Lettres d’amour au Père Noël
Vincent Baker est un génie! Et à mon niveau, je peux juste me contenter de servir le jdr francophone et c’est ma joie! Tout ça pour en venir au sujet du jour: les love letters.
Pour autant que je sache, les love letter, dans cette forme-ci, c’est une invention de Vincent Baker dans le module Hatchet City pour Apocalypse World. Mais la technique est aisément transposable à tout jeu de rôle qui se respecte. En Francophonie, on dit parfois lettres au Père Noël, mais on sait splendidement bien ce que cache son gros rire gras. Alors je vais rester sur le vocable love letter.
C’est l’facteur!
Bon, c’est quoi ce bestiaux encore? Une love letter est un texte que vous (je dis « vous » parce que je m’adresse d’abord au Meneur de jeu*) écrivez au personnage d’une joueuse pour apporter des informations de contexte ou d’histoire pertinentes pour la prochaine partie.
Bon, et alors, il est où le génie?
Dans les détails, pardi, juste à côté du diable! Le truc d’une love letter, c’est que le contenu n’en est pas fixé avant le début de la partie. Soit qu’il est conditionnée à un test (comme ceux qu’on réalise lors d’une partie) ou un choix difficile, ou les deux en même temps. L’un comme l’autres sont une opportunité en or pour poser des questions au joueur et lui donner la main sur un bout de l’histoire qui touche particulièrement son personnage. Car LE truc à retenir, c’est que la love letter est lue, jouée et commentée en début de partie; même si les joueuses peuvent y avoir accès avant, histoire de se familiariser avec.
Et ça sert à quoi?
Une love letter est un chouette moyen d’introduire la partie et de favoriser l’immersion des joueuses. La combinaison test+choix difficile+question amène naturellement la joueuse à plonger au coeur de qui est son personnage.
Quand vous mettez un test dans une love letter, c’est parce que vous estimez que certains enjeux sont incertains. Vous vous en remettez au hasard, vous jouez pour voir où ça vous mène. Quand vous mettez des choix difficiles, vous avez plutôt envie que la joueuse vous dise quelque chose sur son personnage. Quand vous combinez les deux, c’est que vous voulez laisser au hasard de forcer la joueuse à en dire plus sur son personnage. Ne riez pas, c’est utile pour titiller les cordes sensibles d’un personnage sans avoir l’air d’y toucher.
L’autre effet intéressant des love letters, c’est qu’elles permettent de gérer des ellipses ou ce que j’appelle dans ma tête à moi « faire de l’intendance ». J’ai beaucoup utilisé les love letters dans ces deux optiques lors de la campagne des Terres barbares.

La gestion d’ellipses tombe assez sous le sens. Quand on mène en bac-à-sable et/ou pour voir où ça nous mène, on finit souvent une partie sur un climax. Et on ne joue pas l’épilogue. C’est-à-dire les quelques décisions qu’implique l’exploit, la terrible révélation, le choix cornélien, etc. qui forme le climax. La love letter est un outil rêvé pour revenir là-dessus et vous permettre de lier les deux parties en beauté. « Faire de l’intendance » avec des love letters, ça vous permet de jouer des quêtes utiles pour les personnages, mais pas intéressantes pour la tablée. Par exemple, le Magicien qui doit aller chercher une tonne de mithril au royaume nain voisin pour confiner le calice corrupteur de Tsher Nobil.
Ça sert aussi quand un personnage doit régler un problème personnel qui est devenu urgent et prioritaire pour lui, mais qui concerne peu ou pas le groupe. C’est ça que j’appelle « faire de l’intendance ». Par exemple, le Barbare qui doit ramener au clan la dépouille de son oncle mort en donnant le coup de grâce au Dragon de pierre et effectuer le rituel de la mémoire pour que son âme rejoigne le festin des Braves.
Une autre manière d’utiliser les love letters: gérer une joueuse absente. La love letter permet de justifier l’absence du personnage tout en lui faisant vivre des trucs sympas en deux temps trois mouvements en début de partie.
Le plan, c’est foncer!
Je crois que j’ai fait le tour de ce que je voulais radoter sur les love letters, passons aux travaux pratiques! Un petit exemple issu de la campagne Hautepierre (mazette quel setting de Jeremy Strandberg!). Ce qui a été apporté en jeu est en gras et italique.
Chère Blodwen,
(1) Le printemps est toujours une saison très active pour toi car tes bons soins sont souvent requis. Sans compter qu’il te faut organiser la Fête de la fertilité pendant laquelle le village fait passer ses jeunes bêtes entre deux feux pour assurer la fertilité de leurs entrailles. C’est aussi la fête pendant laquelle tu offres ton corps pour assurer la fertilité des femmes du village. Cette année, le dévolu des soeurs de Danu s’est jeté sur Trystan, un choix évident après sa consécration par Tor.
(2) Lors de tes temps libres, tu en profites pour t’éclipser dans la Grande Forêt afin de voir comment venir en aide aux Hamadryads avec lesquelles tu as pactisé.
(3) C’est pourquoi je vais te demander de lancer 2d6+SAG.
(4) Quel que soit le résultat, elles te demandent de « faire revenir Ceux de la Forêt » qu’elles appellent Coedlyon.
Sur 10+: Apporte une réponse aux trois questions ci-dessous. Ensuite choisis 2 dans la liste qui suit.
Sur 7-9: Apporte une réponse à deux questions, j’apporterai la troisième réponse. Ensuite choisis 1 dans la liste qui suit.
Sur 6-: Apporte une réponse, je me charge des deux autres. Ensuite je choisirai 1 dans la liste qui suit. >:-)
(5) Pourquoi les Coedlyon se rassemblaient-ils à l’équinoxe d’automne autour du Bosquet rouge? Pour limiter les effets négatifs du Bosquet par un rituel sombre nécessitant un sacrifice.
Quelles traces des Coedlyon peut-on encore trouver autour d’An-Mohr Dun? Des bastions et même tout un fossé de défense, fossé qui est marqué par des runes magiques.
Pourquoi les attaques de Crinwin se multiplient-elles depuis le départ des Coedlyon? Ce sont d'anciens ennemis héréditaires. Depuis le départ des Coedlyon, les Crinwin ne sont plus contenus et se sont multipliés.
(6)
[x] Les Hamadryads te confient l’une des leurs comme guide (nous déciderons de ses caractéristiques ensemble).
[x] Les Hamadryads t’offrent une arcane mineur (je te dirai laquelle)
[ ] Les Hamadryads n’exigent pas que tu accomplisses ta quête avant la fin de l’hiver.
Regardons ça de plus près. Le paragraphe d’introduction (1) introduit ce qui va introduire préoccuper le personnage lors de la prochaine partie. Précisons d’emblée qu’il y avait accord des joueurs sur les thèmes évoqués. Ensuite, j'arrive avec des éléments d’avancement des objectifs du personnage (2) et paf! le test pour en déterminer aléatoirement les conséquences (3). Dans le résultat automatique du test, j’en profite pour avancer sur un des objectifs personnels du personnage (4).
Les issues possibles du test déterminent la répartition de l’autorité narrative sur les questions et le choix difficile. (5) Les questions sont légèrement orientées et lient les Coedlyons à des endroits marquant de la forêt au pied de Hautepierre pour amener les joueuses à suivre cette quête des Coedlyons comme une réponse à la menace Crinwin. encore un truc qui avait été déterminé auparavant en demandant leurs attentes aux joueuses.
Enfin, le choix difficile. Ici la joueuse va devoir choisir entre un guide, un OBM ou un délai plus long (sachant qu’il y a déjà quelques quêtes sur le feu, ce n’est pas anodin).

Voilà, par le menu le genre de trucs que je mets dans les love letters pour mes joueuses. C’est un exercice parfois difficile. Il faut trouver/choisir sur quoi se concentrer, comment l’amener et formuler de vrais enjeux. Mais c’est un exercice gratifiant car souvent surprenant et très informatif.
*En même temps, on peut aisément imaginer un moyen d’utiliser les love letters entre joueurs, histoire de donner de l’épaisseur aux relations entre leur personnage.
jdr meneur (jdr) outils love letter