À L’OMBRE DES JEUNES FILLES EN FLEURS Marcel Proust
Fin 1919, la France victorieuse panse ses plaies et fête ses héroïques poilus. La vie politique a repris. Lors des élections législatives des 16 et 29 novembre, les Français élisent la Chambre dite « bleu horizon » en raison des nombreux jeunes anciens combattants qui y siègent. La droite et le centre y prédominent au nom de la lutte contre le bolchevisme et du mantra : « l’Allemagne paiera ». Dans ce contexte d’effervescence nationale, la logique voudrait que le prix créé par les frères Goncourt en 1903 récompense, comme chaque année depuis quatre ans, un roman évoquant l’expérience des tranchées. Les Croix de bois de Roland Dorgelès est tout désigné pour succéder aux remarquables Le Feu d’Henri Barbusse (1916), Civilisation de Georges Duhamel (1918) et au plus discutable La Flamme au poing d’Henry Malherbe (1917). Sous l’impulsion de Léon Daudet, frère de Lucien et fils de feu Alphonse, par ailleurs membre de l’Action française et antidreyfusard, qui vient d’être élu à la Chambre sur une liste d’union nationale, le jury couronne le 10 décembre, après trois tours de scrutin et par six voix contre quatre, le roman touffu d’un écrivain dreyfusard et d’origine juive. Le titre À l’ombre des jeunes filles enque Marcel Proust jugeait lui-même un peu « midinette », semble comme un pied de nez à l’horreur des charniers et à l’héroïsme viril des combattants, et cela dans un pays où l’on croise surtout des mères en pleurs et des jeunes veuves en deuil. Même si Lucien Daudet, le jeune frère de Léon, est un ami très proche de Proust, ce choix atteste à tout le moins l’indépendance d’un jury sachant, en dépit du climat idéologique, discerner le talent, sinon le génie, là où il se trouve.
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