Le cri de l’innocence
En m’éveillant ce matin, j’ai pensé à Mariette. Ce n’était pas la première fois. Chaque fois, ces pensées me plongeaient dans une profonde mélancolie, une intense tristesse.
Mariette était une fille à part, de celle que l’on regarde en biais, un sourire au coin des lèvres.
Muette de naissance, on la disait un peu simplette. Les différences effraient.
J’avais beaucoup de compassion pour elle. Mariette, la pauvre Mariette…
Je me souviens qu’elle adorait mes longues nattes brunes et qu’elle les touchait souvent. Je la laissais faire. Je revois encore son joli sourire, ses yeux bleus comme deux immenses fenêtres ouvertes sur son visage maigre et maladif.
Un regard tellement expressif qu’il n’était nul besoin de mots pour comprendre ce qu’il racontait. On disait d’elle qu’elle était simple d’esprit parce qu’elle ne ressemblait pas aux autres enfants. On disait aussi qu’elle ne serait pas devenue une adulte comme les autres ; j’en suis tout à fait convaincue. Est-on obligé de ressembler aux autres ? Elle était bien trop douce, pétrie d’empathie, tant pour les animaux que pour les humains. Elle était belle jusqu’au fond de son âme. Il y a quelques années, le gardien du cimetière m’a annoncé qu’on allait reprendre sa concession puisque personne ne payait.
Qui pouvait encore se soucier de Mariette après tout ce temps ?
Les gens d’ici ont d’autres soucis. Chacun regarde chez soi. Je lui ai demandé combien coûtait une concession à perpétuité et j’ai signé le chèque.
Elle mériterait qu’on lui érige une statue sur la place du village de Saint-Pierre-aux-Loups, dans le Vercors.
Et comme je suis la seule à le savoir, lui offrir un lit pour l’éternité était la moindre des choses.
Ne pas l’oublier…
Mariette a pris cette habitude, quand je ne pense pas à elle pendant une longue période, de se rappeler à mon souvenir dans un rêve, comme elle l’a fait cette nuit, en déposant un baiser sur ma joue. J’ai envie, avant de la rejoindre, de briser le sceau du secret, celui qui l’a tuée jadis. Mais je ne sais pas comment m’y prendre, ni même s’il est opportun de le faire.
C’est une si vieille histoire.
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