La réponse
Par Maguy Kabamba
4/5
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Avis sur La réponse
2 notations1 avis
- Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Ce livre m'a beaucoup interpelé et touche de par son sens littéraire que pratique.
J'ai adore dévorer les pages avec plus de curiosité et d'intrigue et heureuse que la fin démontre encore une fois les valeurs sur lesquelles le peuple congolais reposent qui est la foie en Dieu
Aperçu du livre
La réponse - Maguy Kabamba
congolaises
I
Dalila
Elle s'appelle Dalila. Sa vie babélique la laisse perplexe. Belle et bien éduquée, elle n'a ni mari, ni enfants, ni travail. Hier, elle a eu 30 ans. Personne n'a eu l'air de se souvenir de son anniversaire. Personne ? Peut-être ! Elle reste convaincue que Mwa Bana, sa mère, s'en est souvenue, mais a opté pour le silence. Après tout, elle garde minutieusement un carnet où elle inscrit tous les importants événements de sa famille dont les naissances de ses sept enfants, la date et l'heure de la naissance de chaque enfant, le groupe sanguin etc... Elle-même se surnomme l'archiviste de la famille, mais refuse toute fête d'anniversaire car, dit-elle, c'est une dépense inutile.
Dalila soupire. La trentaine, l'émergence d'une autre décennie à prendre par les cornes. Elle aurait voulu oublier cet anniversaire. Malheureusement, elle égrène le nombre de ses années comme un chapelet. Battante, elle refuse de se laisser distraire par le clapotis des vagues, pourtant la patience ne pousse pas dans tous les jardins...
Il fait froid ce matin de juin à Lubumbashi. Son sommeil vient d'être interrompu par les pleurs de son petit-frère Thomas qui serait né avec une horloge dans son ventre.
Pendant la journée, il refuse de manger à une heure autre que 13h ; il refuse de se laver à une heure autre que 18 h et très tôt matin, il s'obstine à se réveiller et, par ricochet, à réveiller toute la maisonnée à 5h du matin. « Comment est-ce possible pour un enfant de 2 ans qui ne sait ni lire, ni écrire et qui ne sait même pas prononcer son propre nom? », s'indigne le reste de la famille qui lui en veut, surtout les dimanches où chacun estime qu'il mérite quelques heures supplémentaires de sommeil.
Imperturbable, Mwa Bana s'offense des plaintes émises sur les cris que pousse Thomas à son réveil tous les matins. « Pourquoi ne vous acharnez pas sur ceux qui, en réalité, vous arrachent de votre sommeil le matin ? », demande-t-elle innocemment lorsque ce débat infini refait surface presque tous les jours dans la famille.
Cette question rhétorique, posée tout de même d'une voix ferme et autoritaire, est toujours suivie de silence, des soupirs d'exaspération, d'expressions de colère étouffée de la part des enfants et des autres membres de la famille. Chacun sait qu'il ne faut pas répliquer, car qui veut secouer le panier qui porte des abeilles ?
Et, ce matin, comme à l'accoutumée, la réponse ne tarde pas à venir. Les chants sont entonnés, le bruit des tams-tams résonne même dans le lointain et les voix s'élèvent.
Qu'on se le dise, ces cantiques, ce sont quand même des chansons niaises et lamentables ! Mais, Dalila garde ça pour elle.
C'est l'heure de prière et adoration matinales à Tolinga Nzambe (Aimons Dieu), une des églises du quartier. Elle fait partie de ces « congrégations charismatiques » de réveil qui se répandent en République Démocratique du Congo comme une trainée de poudre et dont les experts diraient que la « foi du charbonnier » se déploie sans contrainte.
Environ quatre-vingt-dix pour cent de ces églises existent et fonctionnent dans l'illégalité. Elles poussent comme des champignons et s'installent où elles peuvent. Situées soit dans des villas cossues des quartiers chics, soit entre deux nganda (buvettes) dans les communes populaires, soit en plein air, ces églises font souvent salle comble... S'y déroulent de « grandes croisades d'évangélisation », mais aussi des « séances de délivrance » publiques, ces cérémonies d'exorcisme que certains trouvent particulièrement impressionnantes.
Alors que l'Eglise catholique campe souvent sur une ligne rationaliste et divague sur l'existence de l'occultisme, les pasteurs évangéliques et charismatiques affirment écraser véritablement les « sorciers », véritable phobie de leurs ouailles qu'ils réconfortent en leur assurant la puissance du Saint-Esprit.
En RDC où l'expression orale est reine, les pasteurs de ces églises qui renferment plus de chaleur que de lumière, ont un dénominateur commun : l'éloquence.
Des casuistes à outrance, ceux qui ne gèrent pas une église se retrouvent aux coins des rues, aux marchés, dans les taxi-bus, bref, ils se placent dans les lieux publics pour moissonner les âmes. Ceux qui présentent moins d'affinités avec cette vertu l'apprennent de gré ou de force. Résultat ? Tous essaient d'exceller dans la prouesse cicéronienne. Après tout, il faut savoir convaincre pour attirer les bandimi (croyants).
Victimes de la pauvreté structurelle dans tous les domaines imaginables de la RDC, les Congolais sont à la quête de la délivrance des sorciers véritables, imaginaires et imaginables, de la prospérité, de la grâce et de toute solution spirituelle ou pas spirituelle, chrétienne ou pas chrétienne pour se détourner des méandres de la misère machiavélique qui embourbent leurs vies.
Ces thèmes cités ci-haut constituent le principal des sermons de ces pasteurs. « Papa, pour toi, je vois des dollars, des sommes énormes d'argent ». « Mama, tu ne vas plus vendre dans la rue ; Dieu te donne une place privilégiée au Marché Mzee Laurent Kabila ». « Mon frère, vous allez bientôt commencer à faire partie du cortège de Kabila »... Ces prophéties sont toujours accompagnées de « Merci mon Dieu, mon roi, Alléluia Jésus ». Des pleurs d'émotion de joie de la part des « élus », des regards d'envie, voire de haine de la part du reste de la congrégation qui attend son tour.
Et l'amour ? Mêmes les pasteurs donnent leur langue au chat lorsqu'il s'agit d'aborder le premier commandement laissé par le même Christ dont l'effigie orne souvent les salles et les couloirs de ces églises. C'est la prospérité qui intéresse les gens. Dans ce pays en faillite, le seul au monde où l'on appelle Jésus grand-frère (Ya Jésus), en l'absence de travail, et face à la faim, c'est le message de prospérité qui soulage et surtout qui donne espoir. Ne dit-on pas que l'espoir fait vivre ?
Dans cette équation métaphysique, le mutisme et l'indifférence des autorités sont éloquents et c'est d'un œil approbateur qu'elles assistent à la prolifération de ces églises. Après tout, les messages véhiculés sont avantageux pour elles : la résignation, la docilité, l'humilité, des notions bibliques de prédilection pour sauvegarder la paix dans le pays.
Par conséquent, ces églises endorment la population tout en l'encadrant spirituellement. Et le vacarme dans les cités ? C'est le moindre des soucis des autorités. Elles habitent dans des quartiers à accès difficile. Déjà le ronronnement des groupes électrogènes est suffisamment perturbateur. En plus, faut-il s'attirer la colère de l'Eternel en ordonnant la fermeture d'églises?
« Il est beau de louer l'Éternel, Et de célébrer ton nom, ô Très Haut! D'annoncer le matin ta bonté, Et ta fidélité pendant les nuits, sur l'instrument à dix cordes et sur le luth, aux sons de la harpe – Psaumes 92 : 1-4 », dit le pasteur de Tolinga Nzambe. « Il est fidèle, notre Dieu, Il est bon et miséricordieux », commente-t-il.
Mal en point à cause d'une dysménorrhée, Dalila, couchée sur son lit et n'ayant aucune intention de se joindre au brouhaha matinal de sa famille, s'enfonce dans son matelas et cache son visage avec un drap de lit, encouragée tout de même par la fine pluie silencieuse et cajoleuse qui échoue sur le toit.
Du regard, elle fait le tour de la chambre à coucher des filles – c'est un gynécée en miniature ! Une grande pièce très mal éclairée qui abrite trois lits, avec un bureau usé où parfois les enfants s'asseyent pour faire leurs devoirs scolaires. Des valises entassées, deux paniers pour vêtements sales, un gros miroir et une seule commode pour les quatre filles qui partagent cette chambre.
Dieu est bon et fidèle ? Peut-être pour certaines personnes, se dit Dalila. Mais la question capitale est de savoir s'il existe encore. Ecoute-t-il les prières des gens ? Surtout, écoute-t-il leurs lamentations ? Il est certain qu'il s'était montré attentif à celles de Jérémie, mais qu'en est-il de celles des Congolais qui sont devenus de vrais clameurs de haro ?
« Seigneur, toi qui avais interrompu le coucher du soleil pour Josué, pourquoi ne remues-tu pas ciel et terre pour que j'obtienne un visa pour l'Europe ? », « Dieu, regarde ces sacrifices que je fais pour le moment ; pourquoi ne me désenvoûtes-tu pas de la sorcellerie de ma tante, car je n'arrive pas à trouver un mari » ! Pourquoi, comment et surtout, agis, agis et agis...
« Je peux parodier les prières des Congolais à longueur des journées et arriver à la même conclusion ; toutes illustrent la misère, la pauvreté entendue au sens de chômage, accès difficile aux soins de santé, hausse continue des prix des denrées alimentaires, salaires modiques, système d'enseignement désarticulé, délabrement du système judiciaire, impunité... et j'en passe, » se dit Dalila.
Ou alors, Dieu, n'écoute-il que les flatteurs ? « Je suis tentée d'adopter la deuxième option. Il y a moins de trois ans que cette église qui nous dérange tous les matins a ouvert ses portes. Le monsieur qui se dit pasteur a déjà acheté deux voitures. Ses enfants fréquentent maintenant une école privée. Et sa femme, une grosse limace gluante et laide, obèse et antipathique, jadis traînant des lambeaux, porte maintenant les boubous basins à la mode en provenance du Mali et des bijoux en or d'Anvers. »
« Ma copine Maya est une fidèle dans cette église. Elle m'a confirmé que le grand changement dans la vie du pasteur et de son entourage s'est opéré juste après son 'pèlerinage' au Nigéria, voyage financé par un des fidèles qui avait été nommé directeur de cabinet d'un ministère national. Tous savent que cette nomination résulte des jeûnes et prières organisés par le pasteur et sa femme pour ce jeune homme à l'avenir prometteur. Il fallait récompenser le père spirituel, le faiseur de miracles. »
Longtemps conducteur de taxi-bus, et plus tard, un vendeur à la sauvette au marché Mzee Laurent Kabila selon Maya, le pasteur avait trimé des années durant. Il travaillait pour une famille exigeante et avare qui le payait à compte-goutte ; le maigre salaire ne lui permettait pas de nouer les deux bouts du mois. Mais grâce à sa dévotion spirituelle, il a finalement entendu la voix de l'Éternel qui lui a intimé l'ordre de travailler pour Lui et de moissonner les âmes. Eh, on ne dit pas non à son créateur !
Auparavant, avant le service du soir, le pasteur, sourire forcé aux lèvres, tout transpirant et dégageant une odeur insupportable de transpiration, venait souvent demander de l'eau à boire dans la parcelle de Dalila. Un homme au visage sans rien de notoire, ni laid ni beau, juste un homme assez froid et bizarre à la gueule de con. Presque toujours, il portait la même chemise qui, depuis belle lurette, avait perdu sa couleur originale. Après avoir bu, il retournait le gobelet ou le verre avec empressement et disait « Que le Seigneur bénisse cette maison », et sans attendre de réponse, tournait ses talons et allait ouvrir les portes de son église.
Il y a belle lurette qu'il ne passe plus chez Dalila. Il est devenu oga (chef). Aux oubliettes le verre d'eau qu'il quémandait dans cette parcelle ! Aux oubliettes, les chaussures usées et trouées qu'il traînait partout, faute de mieux.
Maintenant, c'est un grand bwana (monsieur). Le nombre de ses fidèles a considérablement augmenté, ses finances également ainsi que son « pouvoir spirituel ».
Grâce à cela, cet homme qui se dit de Dieu est convaincu que la proximité avec le genre de pouvoir qu'il détient le rend propriétaire de la vie de ses fidèles. Les prophéties dans son église abondent et irradient dans toutes les directions. Par conséquent, les mariages se font et se défont, les ruptures des familles deviennent monnaie courante, bref un chambardement notable dans la vie de ses fidèles !
Dès qu'il commence à prier, les gens tombent comme des sauterelles sous insecticide, crient, pleurent à chaudes larmes et, ceux qui sont chanceux frôlent la délivrance ; tout cela incite les fidèles à la générosité – d'où la circulation des paniers d'offrandes au début et à la fin du culte. Les maigres gains des gens y sont versés sous le regard menaçant de la femme du pasteur.
Qu'a causé ce revirement à cent quatre-vingt degrés ? Est-ce le voyage effectué au Nigéria ou les visites régulières au village natal de sa mère ? Ou alors pure, simple dévotion et grâce divine? A voir son style de vie, cette dernière possibilité est à exclure. Non seulement, il « oublie » de rémunérer ses diacres, « anciens » et autres acolytes, mais aussi il refuse de réhabiliter la maison qui abrite son église. Sans autre forme de procès, il se fait maître dépensier des offrandes des bandimi en pourvoyant à sa famille et à celle de sa secrétaire. Vraiment, la revanche inhumaine d'un cancre !
- Ne vas-tu pas quitter ton lit aujourd'hui ?, demande Florence, interrompant ainsi le cours des pensées de Dalila.
- Je ne me sens pas bien.
- Finalement ! Es-tu ce malade imaginaire dont parlait Molière ? Tu souffres toujours de quelque chose. Qu'est-ce aujourd'hui ? La grippe ? Le ventre ? Les jambes ? L'oisiveté peut également être une maladie, tu sais !
Ses propos sont suivis d'un éclat de rire. Sans attendre de réponse, elle se tourne vers sa valise et sort des vêtements qu'elle enfile rapidement sans plus adresser la parole à sa sœur.
Dalila l'observe du coin de l'œil. Florence a l'air affairée comme tous les matins d'ailleurs lorsqu'elle s'apprête à se rendre à la paroisse. Dès qu'elle