La Camisole de Faiblesse
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À propos de ce livre électronique
Vincent n’est plus lui-même, il aima Natacha d’un amour proche de la folie... folie meurtrière qu’il tente de disséquer aujourd’hui en visitant chaque bribe des souvenirs diffus qui s’entrechoquent dans son cerveau...
Jadis brillant, il n’est plus rien.
Les trottoirs, la misère, les amours perdues, les haines tenaces, la recherche de la vérité encombrent et embrument toutes possibilités de remonter à la surface. Alors Vincent tombe sans s’arrêter dans un gouffre noir au bout duquel, il le souhaite, apparaîtra un filet de lumière gorgée de sang... le crotale !
Commence alors ce long voyage dans le passé, le présent et cet inconscient gluant qui le torture jusqu’à son dernier souffle... Un roman schizophrénique !
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Aperçu du livre
La Camisole de Faiblesse - Christophe Martel
Chapter 1
Le wagon file de plus en plus vite et je me compresse contre le loquet d’ouverture de la porte. Je ne descends que dans douze stations, mais je refuse de me trouver au fond de cet endroit exigu. Comment supporter de se sentir coincé entre un prolétaire aviné et un bureaucrate à l’haleine aillée, surchauffé par une nuit médiocre, entamée par une vaine partie de jambes en l’air et achevée par le rituel soulagement infligé à la cuvette des sanitaires familiaux.
Je regarde le type qui s’accroche à la barre centrale de la machine. Il a les poings serrés, le visage buriné et visiblement sa nuit fut courte.
Tant mieux, je répugne à voir des visages reposés alors que moi, la douleur me serre encore la gorge.
Gare de l’Est, je parcours les quais dans l’espoir de ne rencontrer personne, surtout ne faire aucune rencontre... Ou peut-être si, celle d’un chien.
Un de ce ces gros canins, les couilles pendantes, le buste raidi, l’air désespérément bête. Une de ces caricatures flatteuses de vos prétendus ébats amoureux.
Je vous choque ?
Qu’est-ce que cette provocation face aux monstrueuses révérences que je vous fais lorsque dédaigneusement vous déposez une pièce dans mon assiette ?
Sachez que lorsque je vous vomis dessus, je suis un million de fois plus honnête envers vous que mes : « Merci, m’sieur dames ». L’argent dont vous me faites offrande n’est que le fruit de votre culpabilité maladive. Je ne suis pas malheureux, je ne peux l’être puisque je suis mort depuis longtemps. Votre luxe ne me fait pas envie, je m’y suis baigné durant de si longues années et de grâce évitez de me traiter de nouveau pauvre. Les nouveaux pauvres n’existent pas plus que les anciens. Il n’y a que les vivants ou bien leurs ressemblants, je fais désormais partie de cette dernière catégorie.
Natacha était belle, je l’aimais... Je l’ai tuée.
Son corps a longtemps pourri au fond de l’eau lourde et vaseuse d’un étang de forêt. Je songe au liquide qui a dû lentement envahir ses poumons jusqu’à provoquer la suffocation finale.
A-t-elle souffert ?
Je le pense et l’espère.
Affreux, mais n’ai-je point le droit de tout dire, de tout hurler. Si maintenant, en pleine gare de l’Est, il me prenait l’envie de haranguer les foules, si j’en appelais au massacre des juifs, à l’incinération des « nègres ». Si je résolvais radicalement vos problèmes d’immigration par un grand Ferry-boat lancé sur la mer et programmé pour exploser à mi-destination, avec à son bord des centaines d’ethnies différentes. Un fantastique feu d’artifice, hommes, femmes et enfants : « Oh, la belle rouge ! ».
Si je disais cela, je n’aurais droit qu’à quelques haussements d’épaules, au mépris du passant qui ne veut pas être mêlé à un quelconque scandale. Peut-être quelques insultes fuseraient-elles au travers d’écharpes mal nouées, mais surtout certains d’entre vous trouveraient mes paroles séduisantes au fin fond de leur âme damnée.
Je peux tout dire et je ne m’en prive pas.
J’ai assassiné Natacha avec sang froid lors d’une nuit particulièrement lunée.
Une nuit claire qui fut ma complice et me permit de tirer le corps encore chaud de ma victime jusqu’aux prémices d’un bois.
Je tirais encore, les feuilles et la terre s’écartaient sous le sillon formé par les pieds de Natacha. Un oiseau de nuit hurlait dans le lointain ou peut-être était-ce ma conscience, qui me rappelait à l’ordre.
Il était trop tard, rien n’aurait pu arrêter ma quête de vengeance. J’arrivais enfin devant l’étang.
Épaisse et sombre, la grande étendue d’eau reflétait l’image de la lune, pleine, ronde, d’un cercle parfait que rien n’aurait pu déformer sauf le choc sourd provoqué par la pierre accrochée au coup de Natacha.
C’était fini, j’ai allumé une cigarette en regardant la surface liquide agitée par les bulles d’air qui s’échappaient de son corps. J’imaginais l’eau pénétrer en Natacha aussi violemment que l’avaient fait ses amants et j’en appréciais l’idée.
Je fuyais lentement l’endroit du supplice par petites enjambées régulières qui laissaient apparaître à la manière d’une lampe stroboscopique les rayons de la lune au travers du feuillage printanier des grands chênes forestiers.
Cette tragédie aujourd’hui résonne encore en moi comme un éclat de rire mal contenu.
Chapter 2
Les trottoirs sont devenus mon chez-moi. Je connais chacun d’eux comme un renard son territoire. Réceptacles aux déjections canines, parfaits tissus insalubres, ils me sont plus familiers que jamais. Domaine clef du désordre chronique établi dans notre société, ce trottoir venait de faire trébucher Natacha.
Je me précipitais vers elle pour lui porter secours.
Elle se frotta le genou et s’aida de mon bras pour se relever, puis essaya de masquer la terrible impression de ridicule que l’on ressent après une chute accidentelle en public.
Elle sourit, je la tirai dans un café situé à quelques mètres de là. Elle boitait un peu, mais ne sembla pas avoir été traumatisée. Ses mots s’entrechoquaient illogiquement pendant que ses lèvres retenaient des gloussements de rires nerveux.
Elle riait toujours lorsque mes questions prononcées dans le plus solennel des tons, s’inquiétèrent de son état. Chaque morceau de phrase qui déboulait de sa bouche semblait être dicté par Cupidon en personne.
Je fus littéralement sous le charme.
J’avais un rendez-vous à quinze heures pour le compte rendu mensuel des employés de la banque dans laquelle j’officiais en qualité de directeur et le temps me pressait. J’élaborai alors soigneusement une transformation de mon emploi du temps dans ma tête ; je voulais la revoir au plus vite.
Elle accepta l’invitation lancée pour le soir même dans un restaurant puis me remercia.
Elle n’avait presque pas parlé durant notre aparté, mais je sentis en elle, une attirance à mon égard alliée à une étonnante réciprocité. Nonobstant le silence qui s’était installé, j’attendais plus de cette rencontre ; j’espérais plus...
Plus tard dans la journée son image resta ancrée en moi comme une fatalité, un article « Quarante-neuf trois ».
C’était une anomalie, une entorse à la démocratie amoureuse.
J’avais décroché le téléphone et alerté la secrétaire de l’agence de n’accepter aucune communication.
Pour la première fois, je vis réellement mon bureau, ses détails et ses anomalies aussi. Le velours qui recouvrait son mur semblait sortir d’un vieux livre d’histoire. Sans doute Richelieu y eût calmé ses angoisses, la Pompadour poussé ses derniers cris de jouissance et Louis Capet prononcé ses ultimes vœux pour la France avant que cette dernière ne le décapitât.
La poussière, pourtant inexistante en apparence, s’était incrustée dans le tissu en abîmant sensiblement la couleur. Le bordeaux étincelant avait viré à une couleur sans nom, identique à celle qu’ont parfois les mauvaises piquettes en bouteilles de plastique.
L’horloge posée sur le toit de l’armoire se mit à sonner. Il fallait que je me rende à la réunion mensuelle.
Je marchais d’un pas lent, regrettant déjà de devoir affronter les chiffres, la mauvaise volonté de mes collaborateurs et la durée de l’entretien.
Lorsque je fus dans la pièce, les hommes assis en rond autour d’une immense table se levèrent et me souhaitèrent la bienvenue dans un formidable chœur de crétins. J’aimais particulièrement ces démonstrations de lâcheté qui se déroulaient toujours de la même façon.
Un tonitruant brouhaha dans la salle avant mon arrivée faisait vibrer les murs avant de s’éteindre avec le bruit de mes pas dans le couloir. Plus je m’approchais, moins le bruit était perceptible. Combien de fois avais-je souhaité entendre le chœur se transformer en injures inattendues qui m’auraient permis d’en châtier les auteurs ? Je ne les ai jamais aimés, je devrais même dire que je les haïssais.
Étaient présents les chargés de clientèle, de bonne famille, sortant de grandes écoles ; mariés pour la plupart et belliqueux jusqu’au fond de leur âme. Leur sport favori était le football. Ils se réunissaient le dimanche après-midi et se livraient à une partie qui, pour une fois, laissait transparaître de leur comportement une certaine franchise. Enfin, ils pouvaient exercer leurs talents de prédateurs au travers de coups dans les chevilles et de chocs brutaux assénés joyeusement durant la partie. Lorsque cette dernière était finie, ils se réconciliaient dans les vestiaires avec de la bière et disparaissaient chacun de leur côté. Leur fin de semaine s’achevait avec un apéritif ingurgité devant le tirage des numéros de la Loterie Nationale, accompagné d’enfants bruyants se goinfrant à qui mieux mieux de biscuits salés et d’olives, puis, la nuit venait, avec en prélude, l’unique acte sexuel de leur semaine.
C’était avec ces gens-là que je travaillais, avec Flora, ma secrétaire, qui ne savait rien cacher. Le matin, il m’était possible de deviner sa nuit en examinant ses cernes. Marquée au fer rouge par de longues heures houleuses, elle bégayait de stupides excuses, le nez rivé au parquet. Alors, je l’imaginais se réveiller en sursaut sur le torse velu d’un amant mal choisi. Je la voyais se lever, la figure défaite, le sexe encore empli de semence, enfiler le slip de la veille avant de l’inonder du Cinq de Chanel. Plus tard, dans les couloirs du métro, elle se maquillait, remettait ses cheveux en place à la hâte devant une vitrine. Elle déployait des milliers d’efforts pour ressembler à l’employée modèle qu’elle était dans la journée. Sa métamorphose était vaine, elle ne me trompait pas.
J’étais le maître du monde entre neuf et dix-sept heures. J’étais même supérieur à Dieu, toute la banque pratiquait mon culte sous peine de licenciement. Mes ouailles étaient à jamais dévouées à ma cause.
Chapter 3
Gare de l’Est, j’ai de plus en plus froid. Je repense à Natacha et j’ai mal. Mon ventre s’étire vers le bas comme si elle était à l’intérieur, essayant d’en sortir en tirant sur les parois.
La salive se fait rare dans ma gorge, j’ai l’œil humide. La journée va se dérouler le plus simplement du monde, comme à chaque fois. De dérive en dérive, l’alcool aidant, je ne suis plus moi-même. Mon visage est masqué par une épaisse barbe, mes yeux sont à demi fermés en permanence. L’un d’entre eux est recouvert d’une peau blanche, sans doute apparue lors d’un coup de froid.
Je m’efforce cependant d’être propre, c’est le seul maillon qui me retient à la réalité. Tous les matins, je me rends dans un coin sombre et désert où je peux par l’intermédiaire d’un ruisseau et d’une savonnette, exécuter une toilette qui, sans être parfaite, satisfait amplement mon amour propre. Ensuite, je vais acheter une bouteille de vinasse et je m’anesthésie.
Avez-vous déjà réfléchi à quoi songe un clochard lorsque ses yeux se fixent sur le néant ?
Il ne vous est jamais arrivé d’imaginer ce qu’il a pu être avant son état de déchéance ?
Avant, moi non plus je ne consacrais pas beaucoup de temps à ces questions.
Aujourd’hui, je bois de ce liquide épais, d’un rouge vermeil sombre qui coule en moi telle une rasade d’eau fraîche. J’ai le conduit brûlé, carbonisé par les litres d’alcool qui ont pris le même chemin.
Ça y est, voilà la nostalgie qui me reprend, je