Le Mouvement Arts & Crafts
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À propos de ce livre électronique
Cette citation de William Morris pourrait résumer à elle seule les Arts & Crafts, mouvement unique qui, en Angleterre, provoqua une véritable réforme des arts appliqués. Fondés par John Ruskin, puis véritablement mis en œuvre par William Morris, les Arts & Crafts véhiculèrent des idées révolutionnaires dans l’Angleterre victorienne. Au milieu de l’ère industrielle « sans âme » qui standardisait les objets, les Arts & Crafts proposèrent de remettre l’esthétique au sein de la production. L’artisanat et le design devinrent ainsi le cœur de cette idéologie nouvelle. Influençant de nombreux domaines à travers le monde, les tendances Arts & Crafts se traduisirent essentiellement dans le design, l’architecture ou la peinture.
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Avis sur Le Mouvement Arts & Crafts
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Aperçu du livre
Le Mouvement Arts & Crafts - Oscar Lovell Triggs
Grinstead.
1 - LA CONTRIBUTION DE JOHN RUSKIN À LA DOCTRINE
« L’art n’est pas une récréation, il ne peut s’apprendre dans des moments libres, ni se pratiquer comme un pis-aller. Ce n’est ni un ouvrage de salons, ni un remède à l’ennui des boudoirs. Il doit être compris et entrepris sérieusement ou alors pas du tout. Pour le servir les hommes lui vouent leur vie, et pour le recevoir, ils lui ouvrent leurs cœurs. » John Ruskin, Modern Painters (Peintres modernes), 1843.
Ainsi que l’indique son nom, la première intention du mouvement Arts & Crafts était l’association de l’art et du travail. Mouvement anglais à l’origine, il émergea lentement de l’ère industrielle sur une période de quarante ans environ, bien que sa différenciation en une phase distincte de l’industrialisme relève des dix dernières années. L’année 1860 fut considérée comme la date approximative de son début, lorsque William Morris construisit sa célèbre Red House dans les environs de Londres, et fit son apprentissage des arts industriels en concevant et en réalisant la décoration et le mobilier de sa maison. Néanmoins, les théories des Arts & Crafts virent le jour avant 1860, dans les écrits de Ruskin et Morris.
L’histoire du pèlerinage de John Ruskin, de son passage du naturalisme à son intérêt pour l’art, et de là au socialisme, est l’un des parcours les plus marquants du XIXe siècle. Dans tous ses premiers écrits sur la nature et l’art c’est la relation de ces éléments avec l’homme qui le préoccupait. Le sentiment moral de Ruskin était ce qui le distinguait des autres professeurs d’art, le désignant ainsi très tôt pour sa mission de réformateur sociale. Il déclara lui-même que les origines de son économie politique se trouvent dans l’assertion exprimée dans Les Peintres modernes, selon laquelle les belles choses sont utiles aux hommes parce qu’elles sont belles, et pour cela seulement, et ne sont pas à vendre, ni à mettre en gage, ou en aucun cas à transformer en espèces sonnantes et trébuchantes. Nous avons la chance de disposer aussi des propres mots de Ruskin sur l’objet de ses études artistiques, qui suivirent Peintres modernes. Il déclara devant son public de Bradford :
« J’ai écrit le livre intitulé The Seven Lamps of Architecture (Les Sept Lampes de l’architecture) pour montrer que toute bonne architecture, sans exception, avait été produite grâce aux pouvoirs magiques de certaines conditions de tempérament et de moral. The Stones of Venice (Les Pierres de Venise) n’avait, dès le départ, d’autre but que de montrer que l’architecture gothique de Venise était née, et révélait par toutes ses caractéristiques, un état de foi nationale pure et de vertu domestique, et que son architecture Renaissance était née, et révélait par toutes ses caractéristiques, un état d’infidélité nationale dissimulée et de corruption domestique. »
La reconnaissance des relations entre art et caractère national indique la portée sociale de ces ouvrages.
Au sujet des Pierres de Venise, W. G. Collingwood fait le commentaire suivant :
« Le noyau de l’ouvrage était le chapitre sur la nature du Gothique, dans lequel il exposait, plus distinctement que dans Les Sept Lampes de l’architecture, et en se basant sur un éventail d’idées plus large, suggérées par le concept préraphaélite, la grande doctrine selon laquelle l’art ne peut être produit que par des artistes ; que l’architecture, dans la mesure où c’est un art, ne signifie pas l’exécution mécanique, par des ouvriers dépourvus d’intelligence, de plans insipides fournis par des cabinets d’architectes ; que, tout comme Socrate repoussa l’avènement de la justice au jour où les philosophes seraient rois et les rois philosophes, Ruskin repoussa le règne de l’art au jour où les ouvriers seraient artistes, et les artistes ouvriers… De cette idée découlait toute sa doctrine, avec tous ses garde-fous et vastes perspectives. Car si l’ouvrier doit devenir un artiste, il doit avoir l’expérience, les sentiments, d’un artiste, ainsi que ses compétences. Et ceci concerne toutes les conditions de formation et les opportunités qui contribueraient à son véritable bien-être. Et lorsque Mr. Ruskin se pencha sur le sujet de façon plus pratique, il découvrit qu’une simple école de dessin et quelques efforts charitables ne suffiraient pas à produire un artiste à partir d’un mécanicien ou d’un « péqueneaud ». Car des questions plus vastes se voyaient complexifier par celle de l’art – rien de moins que les principes fondamentaux de l’interaction humaine et de l’économie sociale. Alors pour la première fois, après avoir longtemps creusé, il avait atteint le véritable filon de sa pensée, les strates les plus profondes de son esprit ; et le travail de la mine avait commencé. »
Le volume intitulé A Joy Forever (Une Joie éternelle) présentant la substance des conseils livrés en 1857 sur l’économie politique de l’art – le titre est significatif – marque définitivement la croisée des chemins, et son intention de parler par la suite ouvertement des thèmes sociaux.
En tant qu’économiste, Ruskin se distança à trois reprises des enseignements de son temps, la première fois des idées relatives à l’économie politique en général, la seconde de la théorie de la beauté et la troisième de la doctrine du travail. Les divergences de Ruskin avec les théories économiques de son temps n’étaient pas plus grandes que ses désaccords avec l’esthétique contemporaine. Le terme « esthétique » avait été utilisé pour la première fois par Baumgarten au XVIIIe siècle pour désigner la science de la beauté, signifiant par ce terme que le beau faisait en premier lieu appel à la sensation, contrairement au bon et au vrai, où la perception était intérieure.
William Morris (pour la conception) et
Morris & Co. (pour la production), Tulipe et saule, 1873
(pour la conception) et 1883 (pour l’impression).
Motif pour tissu imprimé, 135,5 x 93 cm.
Victoria & Albert Museum, Londres.
William Morris (pour la conception) et
Morris & Co. (pour la production),
Voleur de fraises, 1883.
Coton imprimé, 60 x 95,2 cm.
Victoria & Albert Museum, Londres.
William Morris,
motif pour papier peint.
Collection privée.
En faisant de la beauté « la perfection de la connaissance sensuelle », le champ de l’esthétique se démarquait manifestement de celui de la logique et de l’éthique. Ces distinctions prévalurent en philosophie jusqu’au milieu du XIXe siècle, suscitant l’avènement d’une école d’art qui ne s’intéressait qu’aux effets du beau sur les sens et préconisait « l’art pour l’art », s’éloignant ainsi tellement de la vie que l’art s’était réduit à un simple moyen d’amuser et d’occuper les classes supérieures et oisives. Ruskin s’opposa à cette vision de l’esthétique, affirmant que les impressions de la beauté n’étaient ni totalement sensuelles, ni totalement mentales, mais plus fondamentalement morales ou sociales. Il jugeait l’art à l’aune de son degré d’utilité sociale. Jamais, il n’utilisa le terme « esthétique », sauf pour en dénoncer les implications. L’art d’un pays est considéré comme le reflet exact de sa vie éthique : « Seules des personnes nobles peuvent produire de l’art noble ». En écrivant les Pierres de Venise, il examina chaque structure d’après sa capacité à remplir sa fonction expressive. On remarqua que dans ses conférences plus techniques sur l’art à Oxford, il évoquait constamment les problèmes de la vie. Son exposé de l’art de la gravure, par exemple, était autant un traité sur la ligne dans l’art qu’un guide de conduite pour l’existence. Sa description de l’art de la gravure, dans ses conférences, est assez typique de son attitude : « C’est un art sportif, résolu, obéissant ». Dans Aratra Pentilici, pour parler de sculpture, il déclara : « son véritable sujet est le pouvoir spirituel que l’on trouve dans la forme de toute chose vivante, représentée de manière à montrer que le sculpteur a aimé en elle le bon, et détesté le mal ». Les lois qu’il déduisit pour la sculpture étaient dépourvues de toute conception technique : (1) l’ouvrage doit être réalisé avec les outils produits par l’homme. (2) Il doit être fait de matériaux naturels. (3) Il doit révéler les vertus de ces matériaux, et ne viser aucune caractéristique qui leur soit contraire. (4) Il doit être d’un caractère calme et discret, en harmonie avec les besoins ordinaires et en accord avec le bon sens. D’une telle discussion, on déduit bien vite que l’art est synonyme d’expression.
Puisque donc l’art n’est pas une entité qui se distingue par une qualité nommée beauté, mais par un mode d’expression, associé à toutes les autres formes d’expression, et ainsi doté de caractéristiques que l’on peut qualifier de morales ou sociales, il en découle que la principale épreuve de l’art reste son accessibilité, son origine humble, son universalité, sa capacité à servir, à satisfaire de véritables besoins sociaux. La proposition générale sous-tendant Les Peintres Modernes, Les Pierres de Venise, et ses autres essais sur l’art est la suivante: « Le grand art n’est rien d’autre qu’un type de vie fort et noble ». Un sens pour la noblesse de la vie est quelque chose d’assez différent du « goût pour la beauté » développé par l’esthétique opposée. Un sens artistique erroné se reconnaît à son raffinement, sa minutie, sa préciosité ; la pureté du goût se traduit par son universalité. Par conséquent, Ruskin conseillait à ses étudiants de se méfier de l’esprit du choix, en disant : « C’est un esprit insolent, et souvent ignoble et aveugle, aussi ». Il leur dit aussi que le principal projet de l’art était de servir les vrais besoins de la vie quotidienne, et que les prémices de l’art consistaient à purifier le pays et à