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ADAM A CINQUANTE ANS
ADAM A CINQUANTE ANS
ADAM A CINQUANTE ANS
Livre électronique162 pages2 heures

ADAM A CINQUANTE ANS

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À propos de ce livre électronique

Adam est un vieux con. A cinquante ans, il vit seul dans sa maison du fond de la Normandie et rumine ses gloires manquées au bar du village. Le soir de son anniversaire, il invite quelques amis et son ex femme à constater les dégâts. Il ne sait pas que parmi les invités s'est glissé une perle des mers du sud.

LangueFrançais
Date de sortie25 janv. 2016
ISBN9780463317679
ADAM A CINQUANTE ANS
Auteur

Etienne Boutin

Etienne BOUTIN est né en 1963 et dirige aujourd’hui une entreprise de tourisme à Tahiti où il est installé depuis vingt ans. Il s’attache à ancrer l’action de ses romans dans un cadre géographique précis et dans une réalité inventée mais très actuelle.

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    Aperçu du livre

    ADAM A CINQUANTE ANS - Etienne Boutin

    ADAM A CINQUANTE ANS

    Etienne BOUTIN

    Roman

    Copyright 2015 Etienne Boutin

    Adam n'a pas eu de guerre à vingt ans pour justifier la misère des cinquante. Trop jeune pour mai 68. Trop rouge pour la guerre froide. Trop français pour le Vietnam. Trop loin pour l’Afghanistan. Il n’a même pas brandi le gaspi contre l'OPEP.

    Ses vingt ans, Adam les a traînés dans un régiment du train oublié en Forêt Noire. Lèche-botte sans tempérament, il s’est contenté de la seconde classe. Il a bien tenté de rafler quelques lauriers en partant à l’assaut des fermières d’outre-Rhin, mais il a fini par acheter la plupart de ses conquêtes. Depuis son retour de ce service vidé du militaire, Adam regarde avec regret toutes sortes d’engins camouflés défiler à la télévision. Que d'actions héroïques manquées ! Que de raisons perdues pour en découdre ! Il n’a pas eu droit à l’Indochine pour blanchir ses cheveux. Pas de saut sur Kolwezi pour lui faire une gueule. Pas d’opération en Algérie ou au Liban pour ratifier la grosse fatigue qu’il vagabonde dans son petit village du fin fond normand. Toutes les belles campagnes de la fin de vingtième siècle ont filé sous le nez de ce soldat de canapé.

    Pour légitimer sa sale tronche, Adam a dû chercher une autre excuse. C’est en buvant un alcool américain, un soir, au bar du village, qu’il a trouvé le truc. Du bourbon, râpeux, dur au gosier, boyaux tordus à l’arrivée. Il avait là un alibi parfait contre le temps qui passe. C’était même, à condition d’y mettre un peu les formes, la justification idéale à son engourdissement. Non, il n'a pas laissé sa santé sur un champ de bataille, mais contre une bouteille, des années durant, il a lutté. Il est le combattant suprême d’une mêlée acharnée contre l’ennemi le plus insidieux, le plus sournois qu’on n’ait jamais affronté. Adam se présente aujourd’hui à nos yeux, mutilé dans sa chair par des éclats de malt, des tirs de Jack Daniel’s et des rafales de petits gorgeons.

    « J'ai pris des coups, moi, monsieur ! » Peut-il aujourd’hui proclamer à qui veut bien l’entendre. Car Adam n’hésite pas ! Il faut qu’il parle, qu’il explique, qu’il développe. Il doit livrer à ses congénères le résultat de ses élaborations éthérées. Il lui faut un rassemblement d’oreilles attentives pour mieux pâtir des assauts de l’alcool. Il voudrait même que la terre entière sache à quel point il a souffert. En rêve, Adam se voit haranguer des cohortes d’hommes et de femmes disposés sur cent colonnes, un genou à terre, têtes baissées en signe d’adoration du chef. Au fond de ses délires, il discerne les rayons d’un soleil ardent imposer sa silhouette enluminée à la ferveur de la foule démesurée avec force violons, trompettes et tout le tralala.

    Bien sûr, faute d’un tel champ d’honneur, c’est le Café du Commerce qui a récolté ses illusions. Depuis vingt ans, Adam a pris l’habitude d’entrer sabre au clair dans tous les bars qu’il trouve sur son chemin. Dans ces temples dédiés à des idoles à bouchon, dans ces arrières salles ou le courage peut se planquer dans la fumée puante des maïs, Adam déverse à qui mieux mieux toute sa besace. Faute de vraies cartouches, il vomi des phrases, des salves de mots. Ce sont des visions plus ou moins belles qu’il ne cesse d’échafauder depuis qu’il est tout petit. Des rêveries d’écolo. Des obsessions de sauveur de l’humanité. Adam rêve de changer le monde, mais comme la plupart d’entre nous, Adam se suffit de rêver. Il vide toutes ses ambitions sur des zincs patinés, croyant que la sciure des planchers épongera ses frustrations. Mais à faire macérer trop longtemps ses désirs dans ce mauvais jus, ils ont pris le goût du vinaigre. Adam est devenu le soldat inconnu d’une sale guerre qu’il livre tous les soirs à cent mètres de chez lui. Dans le bar de son bled, il fait briller sa flamme à force d’eau-de-vie. Il se bat contre des étiquettes désuètes. Il égorge Jim Beam, fusille Southern Confort sans sourciller et mitraille tous les goulots qui lui tiennent tête, croyant ainsi faire taire cette vie qui l’a trompé sur la qualité, sur la quantité, sur tout.

    Hier soir encore, Adam a joué au grand blessé de comptoir. Il est resté fidèle à son registre favori. Dans son charabia qu’on dirait fait d’éructations sans queue ni tête sur n’importe quel sujet, il y a pourtant des constantes, des fidélités de baragouin. Adam s’est fait une spécialité de la langue de bois des défenseurs de la nature. Un mélange de vindicte ordinaire sur les gros qui polluent, les petits qui payent et les moyens qui s’en foutent. Il y rajoute à l’envie des gueulades de circonstance suivant la ligne du parti ou la dernière histoire du moment. Des bateaux qui coulent, des nappes de fuel qui remontent, des vaches qui s’affolent, des usines qui pissent la merde, il y a toujours une petite calamité qui traîne pour combler le vide de ces discours qui ne mènent à rien.

    Hier soir, cependant, Adam a nettement passé la barre du galimatias habituel. C’est vrai que, pour une fois, il avait une tâche vraiment ardue devant lui. Il lui fallait franchir un anniversaire, et pas le moindre. Ces fameux cinquantièmes de l’histoire des hommes. Oui, cinquante piges ! C’était un mur lisse et haut, une barrière épouvantable pour un gars comme lui. Il n’avait aucun entraînement pour grimper cette muraille. Il voyait comme une citadelle tout bonnement imprenable s’interposer sur la route de ses vieux jours et n’avait pas la moindre idée de ce qu’il allait trouver derrière. Alors, il avait bien besoin d’une bouteille et de son petit monde autour de lui.

    Pour aborder cette occasion en limitant les risques, c’est à la Ventrue, chez lui, qu’Adam avait fait venir ses meilleurs amis. Albert, son copain d’enfance, était descendu la veille de Paris pour l’occasion. Il était allé dormir chez ses parents, à l’autre bout du village, profitant de l’invitation d’Adam pour justifier des retrouvailles sans chaleur avec une famille qu’il n’avait pas revu depuis plusieurs années. Albert, toujours bien mis, était la copie en négatif d’un Adam jamais très net. Ce soir, il s’était attifé d’un costume trois pièces vieillot mais élégant, sans doute une énième insulte à son père, cheminot, retraité et communiste - dans le désordre et suivant les jours - à qui il avait dû pousser des boutons en voyant son propre fils se déguiser en bourgeois. Albert était arrivé à la Ventrue au volant d’une BMW noire un peu sur le retour mais bien à l’image du personnage : toutes les options à l’intérieur mais l’aspect du dehors un peu défraîchi. Les bonnes gens du pays avaient sans doute accompagné d’un gentil sourire son passage dans les petites rues du village, tant il est amusant de constater sur les autres les méfaits du temps qui passe.

    Adam avait bien sûr invité Constant et Barbara, sans doute les deux normands auxquels il tient le plus. Constant et Barbara devaient avoir à peu près le même âge qu’Adam. Ils ne s’étaient jamais mariés, n’avaient pas d’enfants et semblaient vivre ensemble une histoire platonique. Ils habitaient au centre du bourg, dans une vieille maison en location. On les voyait rarement ensemble car leurs obligations professionnelles, l’une infirmière à domicile, l’autre chauffeur de bus, leur imposaient des horaires impossibles à concilier. Maud et Gaspard, les habitants du petit pavillon neuf d’à côté, avaient accepté, non sans résistance, de sortir de leur farouche retraite pour se joindre à la fête. Ce jeune couple, déjà effacé d’ordinaire, semblait avoir été complètement happé par le petit garçon qui leur était né il y a peu, à tel point qu’on ne les voyait plus guère arpenter la plage comme avant, ni même faire quelques petites courses chez l’épicier du village. Cette quasi-disparition faisait même parler, au grand dam de ces jeunes gens si peu enclins à paraître. On se demande bien ce qui pouvait se dire, d’ailleurs, mais le qu’en dira-t-on n’a aucune pitié.

    Adam avait dû batailler ferme pour convaincre le couple de faire venir une jeune fille à qui confier la garde du si précieux bambin pour la soirée. Son ex-femme, elle, ne s’était pas fait prier pour venir. Céline n’avait même pas reçu d’invitation et s’était pointée sans plus de façon avec une amie, collègue de travail. Un simple texto avait servi à le prévenir, mais certainement pas à lui demander son accord. Céline s’est toujours imposée à Adam, et il n’y peut rien. Maxime et Simone, ses voisins laboureurs, avaient assurément attendu qu’il les invite. Il y a plusieurs mois déjà, Simone avait marqué la date fatidique d’un rond sur le calendrier des pompiers de la Manche placardé à côté de sa cheminée. Elle attendait cette occasion avec espoir car elle voulait aller au feu. C’était son boulot, c’est tout. Son boulot de voisine, de femme au foyer, de mère de remplacement. Sans même espérer qu’Adam l’en prie, elle s’était donc occupée l’après-midi du repas et de toute l’intendance.

    Quand les invités sont arrivés, Adam avait déjà commencé à boire. Il avait passé la fin de l’après-midi à ne rien faire, traînant dans les basques de Simone, vérifiant une énième fois l’habileté de sa voisine à préparer une table ou un plat, et piquant de ci de là quelques grandes gorgées au goulot de ses vieilles amies. Simone avait sorti trop tôt les bouteilles d’apéritifs pour les disposer bien en rang sur la table basse du salon, et il n’avait pas su résister à pareille invite.

    Vers six heures, tout le monde est arrivé en même temps, comme s’ils avaient sciemment organisé ce moment en forme de débarquement. Intimidé par ce flot trop soudain de voitures et d’amitié, Adam a eu bien du mal a leur servir un accueil digne sur le parking. Même si le soleil chauffait doucement, même si le vent, pour une fois, ne forçait pas à fuir cet endroit exposé, il s’est empressé de faire rentrer tous les convives. Ils se sont engouffrés au salon en faisant résonner de gentilles remarques, se donnant le mot pour façonner une joyeuse entrée en matière.

    « Salut vieux frère. Toujours aussi beau gosse, je vois ! » A lancé Albert. Il a dit ça en ouvrant largement les bras devant les murs du salon, comme s’il reconnaissait son ami dans la pierre nue de cette vieille bâtisse qu’il connaît par coeur.

    « C’est vrai que tu n’as pas changé » a remarqué Céline avec un sourire un peu forcé, et Constant a pu montrer sa malice en en disant de même sur elle. Barbara et Maxime, qui sont toujours d’accord, ont convenu qu’Adam était bien de la trempe de ces rochers solides qui parsèment les eaux autour de la presqu’île de la Hague. Même Gaspard s’est osé à une plaisante allusion à la douceur des traits d’Adam, les comparant aux dunes souples qui entourent la Ventrue. Il y avait pourtant à redire sur cette figure qui n’avait pas résisté aussi bien que les invités voulaient le faire croire aux attaques du temps et surtout du bourbon. Adam avait les traits fortement creusés, surtout autour de la bouche. Une partie des joues semblaient même vouloir se décrocher et le souvenir d’une acné juvénile accentuait l’irrégularité du bas du visage. Le menton saillait bizarrement, comme pour tenter de remonter cette mauvaise pente. Il semblait désigner le haut du visage ou un front déjà bien dégarni présentait une surface étonnamment lisse en comparaison, sans doute pour indiquer la farouche résistance intellectuelle qu’Adam avait érigé en principe de vie. Des yeux sombres enfoncés dans deux orbites très marquées faisaient la frontière entre les deux mondes. Là aussi, les rides étaient forts en dessous et quasi inexistants au dessus. Adam aurait pu se limiter à cette ambivalence, mais d’abondant cheveux blonds tirés en arrière lui faisaient un manteau exubérant à la tête et achevaient de jeter le trouble dans ce tableau hétéroclite. A voir le soin qu’il apportait quotidiennement à sa coiffure, Adam devait fort bien connaître son effet et apprécier cette touche de mystère supplémentaire.

    Pour remercier ses invités de leurs égards, le beau ténébreux n’avait plus qu’à offrir l’apéro à la ronde. Un bain de tiédeur amicale s’est chargé de créer l’ambiance et a dû faire oublier les joues de l’hôte déjà bien rouges. Céline a embarqué son amie dans la découverte des tableaux du salon. Les autres se sont confortablement installés autour de la table basse qui portait les apéritifs et les verres. Simone et Barbara ont aidé à servir chacun à sa convenance. Adam a pu s’emparer définitivement de la bouteille sur laquelle il avait déjà jeté un sérieux dévolu en fin d’après-midi. Mais après le choc des verres, les « à la tienne » de circonstance, les niaiseries de prime abord, les ça va ça va, tous ces lieux communs de première minute, un silence un peu gêné s’est glissé sous les lampées des uns et des autres. On a entendu des amuse-gueule gémir brièvement sous des dents pressées. On a vu des yeux tourner vers le sol et d’autres lorgner bizarrement le maître des lieux. Tous attendaient visiblement quelque chose de sa part.

    La réputation de fort braillard d’Adam était sérieusement établie dans la région. Cela faisait maintenant plus de dix ans qu’il beuglait tous les soirs au « Rendez-vous des Amis », et la maigre audience du début avait été vite remplacée par un public averti. Un auditoire bientôt tout acquis à sa verve pâteuse. On venait même des villages blottis dans les collines alentour entendre le gémisseur de la vallée. Ce soir, bien sûr, Adam ne serait pas au bar. Il ne gaverait pas son public fidèle de ses sornettes coutumières. Il resterait chez lui, avec ses invités. Mais il avait justement sous la main une brochette de choix. C’étaient même des spectateurs de marque en comparaison des buveurs familiers de l’estaminet. Il y avait quelques gens du cru, mais de grande qualité, et puis un Parisien,

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