Albanie : Forteresse malgré elle: L'Âme des Peuples
Par Sébastien Colson
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À propos de ce livre électronique
Son isolement est légendaire. Durant la Guerre froide, sous le joug du paranoïaque Enver Hoxha, l'Albanie semblait une forteresse inexpugnable, figée dans son idéologique solitude.
Changement de cap. Depuis l'effondrement du communisme, l'autre visage de cette nation de montagnards perchée sur l’Adriatique a fini par émerger. Pays dominé par la loi des familles et des clans, mais où la chaleur de l'amitié transcende tous les clivages et toutes les barrières, une nouvelle Albanie a peu à peu pris le dessus. On y rit, on y boit, on y accueille l'étranger à bras ouverts, dans un climat unique de générosité et de fête toute balkanique.
Ce petit livre n’est pas un guide, c’est un décodeur. Un verrou que l'on fait sauter. Il raconte l'âme d'un peuple que la folie de ses dirigeants tenta de faire sortir de l'histoire. Il dit la volonté des jeunes de retrouver le chemin de l'Europe. Car comprendre l'Albanie impose d'abord d'en saisir les règles et les coutumes immémoriales.
Un grand récit suivi par des entretiens avec Andi Pinari (Notre géographie a permis la préservation de l'identité albanaise), Ermela Teli (Vivre dans un pays corrompu vous corrompt vous-même) et Besnik Mustafaj (Les Albanais ont toujours imaginé leur patrie beaucoup plus grande que ce qu'elle est).
Un voyage historique, culturel et linguistique pour mieux connaître les passions albanaises. Et donc mieux les comprendre.
EXTRAIT
Tout commença, pour l’Albanie contemporaine, au Congrès des Nations de Berlin en 1878, qui visait à statuer du sort des possessions balkaniques de l’homme malade de l’Europe. Le tout-puissant chancelier allemand Otto von Bismarck scella alors le sort des revendications étatiques albanaises d’un seul mot : « L’Albanie n’est qu’une expression géographique ». Où ranger ces populations balkaniques atypiques, qui, au gré des conversions permises par le Millet ottoman, avaient embrassé trois religions majeures, musulmane, orthodoxe et catholique ? Les émissaires des puissances ne comprenaient pas, par exemple, que les orthodoxes de Gjirokastër se revendiquent Albanais au lieu de se battre pour rejoindre la Grèce de leurs coreligionnaires. Même ce facteur de cohésion qu’était la langue n’était pas aussi simple qu’il en avait l’air.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
- […] Belle et utile collection petit format chez Nevicata, dont chaque opuscule est dédié à un pays en particulier. Non pas un guide de voyage classique, mais, comme le dit le père de la collection, un « décodeur » des mentalités profondes et de la culture. Des journalistes, excellents connaisseurs des lieux, ont été sollicités […]. À chaque fois, un récit personnel et cultivé du pays suivi de trois entretiens avec des experts locaux. - Le Temps
- Comment se familiariser avec « historique, les traditions ? » Une démarche d'enquête journalistique au service d'un authentique récit de voyage : le livre-compagnon idéal des guides factuels, le roman-vrai des pays et des villes que l'on s'apprête à découvrir. - Librairie Sciences Po
À PROPOS DE L'AUTEUR
Journaliste au Dauphiné Libéré, Sébastien Colson s'est pris de passion pour l'Albanie dès la chute du mur de Berlin. Dès que possible, et par tous les moyens, il n'a cessé de parcourir ce pays si longtemps refermé sur lui-même.
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Aperçu du livre
Albanie - Sébastien Colson
diplomatique.
Forteresse malgré elle
Himara est une localité située en plein cœur de la splendide riviera albanaise, non loin de la frontière grecque. Mer Ionienne transparente, plages de sable fin, criques reculées, lauriers roses, touristes albanais et macédoniens qui barbotent sous les 38° de ce début juillet. Himara la méridionale incarne le Sud du continent européen dans toute sa langueur. Sauf qu’ici, le paysage dit l’âpreté de l’histoire. Des montagnes de 2 000 mètres couvertes d’oliviers tombent dans la mer. Le calcaire blanc aveugle sous la puissance de l’astre. Et dans les plis des sommets, on serait bien en peine de découvrir un point d’eau. Au milieu de ce décor que l’on dirait taillé pour des géants, les restes d’une forteresse embrassent du regard la côte et scrutent les parages de l’île grecque de Corfou. L’éperon est parfait pour résister aux envahisseurs, comme le firent les Himariotes face à l’Empire ottoman, maîtres des Balkans du quinzième siècle au début du vingtième. En 1492, leur victoire contre le sultan Bayezid II leur permit d’obtenir une autonomie locale appelée « Venom »¹. Laquelle fut toujours défendue avec succès, y compris contre les puissantes forces de Soliman le Magnifique en 1537.
Himara est la plus célèbre des poches de résistance albanaises face aux envahisseurs turcs. La région des Mirditë au nord s’est aussi vaillamment battue. Aux côtés de nombreux autres, ces territoires rebelles expliquent comment un peuple, une langue et une aire culturelle albanaise ont réussi à se perpétuer malgré une histoire faite d’occupations successives. Avant la Sublime Porte, qui resta en Albanie jusqu’en 1912, soit cinq siècles, l’Empire d’Alexandre le Grand, l’Empire romain et l’Empire byzantin ont également dominé ces terres disputées, sans jamais tout à fait les réduire. De façon plus éphémère, le Royaume de Sicile, celui du Serbe Stefan Uroš IV Dušan ou les Normands ont aussi occupé l’Albanie médiévale. Dès la fin du quatorzième siècle, la République de Venise a imprimé sa marque en constituant « l’Albanie vénitienne », un réseau de villes côtières destiné à sécuriser les routes maritimes de l’Orient, notamment face aux redoutables corsaires locaux. Avec la prise de Durazzo (Durrës) en 1501 par les Ottomans, ces comptoirs où s’échangeaient bois, sel et céréales disparaîtront du territoire de l’Albanie d’aujourd’hui. Seule une poignée d’entre eux subsistera au Monténégro (Antivari par exemple, la ville actuelle de Bar) ou au nord de la Grèce.
L’éphémère union des féodaux albanais, réalisée par Skanderbeg entre 1444 et 1468, aura laissé la bannière « de gueule à l’aigle bicéphale de sable », le drapeau national actuel. Mais sa Ligue de Lezhë est l’exception bien plus que la norme : au cours de leur histoire ancienne, les Albanais ont donc pratiquement toujours été sous domination étrangère. De ces occupations diverses résulte une mosaïque méconnue, à laquelle il faut aussi ajouter l’influence des puissantes cultures voisines, encore bien palpable aujourd’hui. Aux cafés toujours bondés qui affichent des coupures de journaux sur les victoires du Panathinaïkos, le grand club omnisports d’Athènes, on comprend bien vite qu’une bonne partie de la population d’Himara, la touristique, est grecque. Elle parle les deux langues et possède les deux passeports. Elle est l’une des multiples incarnations de cette « albanité » construite au carrefour des civilisations et aux marches des grands empires. La richesse de ces héritages, encore bien visible dans le dense patrimoine culturel de villes comme Berat, Durrës, Shköder ou Gjirokastër, a un revers : la complexité de l’identité plurielle albanaise. Laquelle explique aussi la difficulté historique de ce peuple à entrer dans le concert des nations.
Tout commença, pour l’Albanie contemporaine, au Congrès des Nations de Berlin en 1878, qui visait à statuer du sort des possessions balkaniques de l’homme malade de l’Europe². Le tout-puissant chancelier allemand Otto von Bismarck scella alors le sort des revendications étatiques albanaises d’un seul mot : « L’Albanie n’est qu’une expression géographique »³. Où ranger ces populations balkaniques atypiques, qui, au gré des conversions permises par le Millet⁴ ottoman, avaient embrassé trois religions majeures, musulmane, orthodoxe et catholique ? Les émissaires des puissances ne comprenaient pas, par exemple, que les orthodoxes de Gjirokastër se revendiquent Albanais au lieu de se battre pour rejoindre la Grèce de leurs coreligionnaires. Même ce facteur de cohésion qu’était la langue n’était pas aussi simple qu’il en avait l’air. L’albanais était certes très différent des idiomes voisins, puisque les linguistes l’ont longtemps cru seul de son genre au sein de la famille indo-européenne⁵. Mais au dix-neuvième siècle, il se subdivisait encore en de nombreuses variantes dialectales, qui s’écrivaient aussi bien en caractères grecs que cyrilliques ou latins. L’adoption définitive d’un alphabet unique de 36 lettres en 1908 aura donc aussi permis d’unifier la nation après le rendez-vous manqué du Congrès des Nations de Berlin.
Au final, l’État albanais actuel n’apparaîtra que le 28 novembre 1912, bien après les autres nations de l’époque, et encore, de manière fragile. Après la victoire de la coalition d’États chrétiens sur l’Empire ottoman lors de la première guerre balkanique, le partage conflictuel des terres abandonnées par la Sublime Porte dégénérait en seconde guerre balkanique en 1913. La Bulgarie la perdait contre ses anciens alliés serbes, grecs ou monténégrins, qui tous avaient des prétentions sur l’Albanie. Prétentions était un bien faible mot d’ailleurs : leurs armées campaient déjà sur ce qui allait devenir l’un des plus féroces champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Le fragile État créé en 1912 n’existait déjà plus, tandis que le pays était ravagé par les combats. Aux armées déjà mentionnées, s’ajouteront Italiens, Austro-Hongrois venus poursuivre les restes de l’armée serbe lors du tragique automne 1915, et même un corps expéditionnaire français, au secours de cette dernière. La paix n’augurait rien de meilleur pour l’Albanie.