Les aubes brumeuses: Roman
Par Doris Kélanou
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
Doris Kélanou est congolaise, mère de deux enfants. Passionnée de littérature, elle écrit depuis l'âge de 13 ans. Son premier roman, L'hôte indésirable (2007) et son recueil de nouvelles, L'écho du silence (2015) sont parus aux éditions Anibwe.
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Aperçu du livre
Les aubes brumeuses - Doris Kélanou
MAKANI
Doris Kélanou
Les aubes brumeuses
Les Lettres Mouchetées
À mes chers parents, Jean-Roger et Agnès
À mes chers enfants, Reine et Yoann
Me soumettre aux aurevoirs,
Le cœur lourd de désespoir,
Me plier à l’évidence de ton départ, Fernand,
Une douloureuse épreuve, inexorablement !
Ainsi va la vie…
M’a-t-on dit.
BABEL
Dans le fond de ma gorge se bousculent les mots. Je les sens déferler avec force, comme une charge de vagues féroces. Sur le rivage de mes lèvres ils déboulent. Succession de syllabes incompréhensibles. Dénuées de sens. Ces mêmes mots qui depuis une vingtaine d’années ont coulé de ma bouche avec fluidité et vélocité, ces mots dont je ressens le violent remous au fond de ma gorge, traversent ma bouche et atterrissent sur mes lèvres. Détachés. N’adhérant à rien. Vides. Déliés de tout concept. Ne portant aucune signification. Ne désignant rien.
Personne ne comprend mon charabia.
« Qu’est-ce que ce Babel ? » interroge la petite voix intérieure, celle qui me soumet à la question.
Ce n’est ni du français, ni aucun des dialectes d’ici que je prononce à ma façon, sans accent, imprégné du vocable français, si bien que les gens d’ici me traitent de snobinarde et disent que je « patoise » en français.
Je suis formelle. Ce jargon dépareillé et composé de vagissements, de claquements de langue et de murmures n’a ni queue ni tête. Les acclamations aiguës et prolongées qui sortent de ma bouche me sont purement étrangères. Les claquements sonores de ma langue sont radicalement différents des clics du xhosa parlé en Afrique australe. Ce dysfonctionnement oral effraie même les animaux… Le chien de la sentinelle a détalé en m’entendant baragouiner et s’est mis à aboyer très fort. Son maître a dû le museler pour le faire taire. Pourtant, il a continué à grogner, les oreilles tendues, comme s’il avait vu un spectre.
« Spectre ? » susurre la petite voix.
Les oiseaux qui becquetaient négligemment quelques graines sur la pelouse ont brusquement pris leur envol, alertés par leur instinct, les ailes bien raides, battant l’air qui les propulse là-haut d’où, je suppose, ils continuent à assister à la scène.
« Quelle espèce es-tu donc devenue ? » demande la petite voix narquoise.
Je suis irritée. Exaspérée. Décontenancée. Je me fais peur ! Je comprends la nervosité qui habite un muet face à l’incompréhension dont il peut être victime. Lui encore parvient à s’exprimer par signes. Mais il faut les apprendre. Moi, je ne les maîtrise pas. Il m’en faudra du temps ! Je comprends pourquoi un bébé gêné déverse sa nervosité dans les pleurs.
Je cherche un exutoire pour me dédouaner de ce carambolage, je n’en trouve point. Je veux me fuir et extirper de ma mémoire le moindre souvenir de cette page sombre qui s’est ouverte dans ma vie. Sans succès. Ma maîtrise et mon endurance intérieures sont réduites à néant. J’ai tenté de convoquer les larmes mais elles ne sont pas venues à mon secours. Sans doute lasses de venir à la rescousse pour éteindre mes incendies et mes sinistres intérieurs. Mes yeux sont restés aussi secs qu’une rivière desséchée par la canicule. Et ils piquent. Je les ferme pour soulager la douleur.
Je suis secouée par des vibrations intérieures qui font vaciller mes pieds, nouent mon estomac. Je n’ai plus ni force ni volonté pour remédier à ce chaos intérieur. Rien ne trahit l’émotion, l’angoisse qui m’étreint. C’est sûrement cette part de moi, obstinée et opiniâtre, qui prend le dessus. Celle qui n’abdique pas facilement, celle qui ne fléchit pas les genoux devant l’épreuve. Celle qui ne se dérobe pas à la première rafale, mais qui fonce malgré tout en prônant la combativité et le courage qui m’animent en temps normal.
Je cligne des yeux et entre mes paupières desséchées, je jette un regard fureteur dans le but d’entrevoir quelques lueurs d’espoir. Au collet me prend le désespoir. Il m’étrangle avec sa poigne de fer. Je me racle la gorge et j’entends l’écho de mon raclement mourir dans mes oreilles. Le temps piétine alors que s’éternise mon supplice, perdure mon agonie. Par les portes de mon cœur meurtri, je sens se glisser l’élixir de l’apaisement. Il est aussi doux que le coton. Son aspect duveteux me rappelle la soie. Je ferme bien fort les yeux pour le savourer mais je constate qu’il s’en est déjà allé, me ramenant à la case départ. Et me voilà de nouveau livide.
Il y a du monde autour de moi, beaucoup de monde, et pourtant je me sens si seule. Leurs mines ne sont guère rassurantes. Leurs regards pèsent sur moi comme des pelletées de sable pour m’enterrer. Comme des assaillants. Alors que toute la ville est venue en courant, tentant de forcer le portail, les voisins ont escaladé les murs de la propriété de ma mère, indifférents aux fils barbelés qui renforcent la clôture. Ils se sont rués à travers les obstacles. Rien n’a pu arrêter ce déferlement de curiosité. Ils voulaient être aux premières loges. Dépassé par la situation, le gardien a tenu son chien en laisse et laissé faire sans broncher. Il est resté prostré dans sa guérite, la main à la joue, l’expression grave. Par compassion pour moi, il a pris le risque de déroger à ses obligations. Même Kilahu, le fou du quartier, est là. Il semble plus lucide que moi. Il me fait peur. Il se faufile dans la foule, arrive à moi et me regarde en balbutiant :
Tant pis, elle l’aura cherché, la petite Blanche.
Il se fraie un passage, disparaît quelques instants, puis revient vers moi en disant :
Elle doit prendre son mal en patience, la petite Blanche.
Mes collaborateurs se sont rassemblés dans un coin et parlent entre eux. Les membres de ma famille sont tous réunis, des aïeuls aux nouveau-nés. Venus des quatre coins de Mboka-Bissengo. Je les connais presque tous car à mon arrivée au pays ma mère m’a exhibée à sa parentèle tel un trophée, comme si j’étais l'aboutissement parfait de son travail de longue haleine mené avec dextérité, alors que je ne dois ma réussite qu’à la seule force de ma résolution, même si financièrement maman m’a toujours soutenue.
La famille a débarqué comme une troupe rangée en ordre de bataille. Je ne me méprends pas. Je sais leur présence hypocrite. Guidés par la curiosité et le devoir d’obéissance à la coutume, la « solidarité » qu’ils disent, pas par un quelconque amour à mon égard. Au nom de la tradition, ils ont tout quitté pour être présents. Ce sacrifice est un gage qu’ils me feront payer cher, comme si je les avais contraints de quelque manière que ce soit à être là. Trépignant d’impatience, ils attendent tous de savoir le fin mot de cette histoire étrange qui m’arrive. J’ai même entendu dire que d'autres parents arriveront de l’arrière-pays demain matin. Certains voyageront en taxi-brousse. Ils emprunteront ces véhicules de fortune, montés de toutes pièces avec des bouts de ferraille par des mécaniciens improvisés. D’autres voyageront en pirogue, ramée par des vieillards pour qui la rivière n’a plus aucun secret. Ils risqueront leur vie pour venir me voir survivre au spectre ou succomber...
Les parents de Mboka-Bissengo sont là. Que les ramifications de l’arbre généalogique soient évidentes ou imaginaires, ils sont quand même là. Ils se sentent tous concernés ou font semblant de l’être. Ils errent sur la pelouse de ma mère que la veille son jardinier se tuait à tondre. Ils laissent leurs enfants uriner dessus sans vergogne. Ils piétinent les rosiers rouges et les belles jacinthes parées de leurs grappes mauves qui font la fierté de maman. Ils s’aventurent dans toutes les pièces de notre maison, à la recherche de je-ne-sais-quoi, et ma mère passe leurs agissements sous silence. Elle ne bronche pas, trop préoccupée par mon état. D’ailleurs ici, on ne bronche pas. Que ça plaise ou non, on laisse faire. On ferme les yeux et la bouche pour éviter les préjugés, le mauvais œil ou la colère des entités invisibles. Ici, la vie se déroule dans la cécité, le mutisme et la résignation, gages de paix et d’une félicité parfaite. C’est la coutume.
Les jeunes de mon âge osent à peine me regarder. Ils jettent des coups d’œil furtifs et réprobateurs en faisant des messes basses. Je ferme les yeux, je retiens ma respiration en tendant délicatement l’oreille. Et je parviens à saisir quelques mots épars sortis de leur bouche, alors que la télévision diffuse un de mes spots.
Snob…
Gifle…
Pseudo-star !
Cela me dérange. Je sais que c’est de moi dont il s’agit. Les aînés sont proches de nous, ils s’agitent pour nous soutenir ma mère et moi. Je tâte, çà et là, dans l’espoir de déceler à travers leurs actes quelques sincères manifestations d’affection. Tout ce que je ressens de leur présence est mécanique. Je m’insurge contre cette manière imposée d’entretenir des rapports familiaux qui les force à suspendre leur propre vie pour être là, et qui me force à exhiber mon calvaire, qui m’oblige à vivre cette épreuve en public, devant ces gens qui me sont étrangers malgré les liens de sang qui nous unissent, et lesquels j’imagine, se délectent avec sournoiserie de mon tourment. Des gens qui doivent saluer secrètement la gifle que j’ai reçue. Des gens qui, je suppose, ricanent intérieurement en me voyant ainsi diminuée, moi la nouvelle star du pays, la snobinette, la mal blanchie, celle qui a osé se dresser sur un piédestal, les regarder avec condescendance en critiquant leurs coutumes séculaires, celle qui... Hum !
Bon, c’est peut-être leur prêter de vilaines intentions. Toujours est-il que je ne tolère pas leur présence ici. La petite voix intervient sur le ton de la confidence :
« Ne te méprends pas. Ils ne sont là que pour le plaisir de leurs yeux ou pour ne pas se faire sanctionner par la tradition qui les taxerait d'avoir coupé le cordon qui les lie à ta mère et toi. »
L’isolement et un peu d'intimité me feraient du bien. Je le ressens comme un besoin impérieux. J’ai envie de les supplier de me laisser seule. Seule…, même un instant. Je rumine très fort cette envie. Elle se transforme en mots que je me répète intérieurement. Pourtant, je ne parviens pas à les traduire à la compréhension de tous ces observateurs dont la présence m’enfonce davantage dans le gouffre. La frustration m’étouffe. Je suis de la pâleur des temps de la fin. Je suis comme une île enclavée que même la mer ne parvient plus à mouiller. Je ne suis plus réceptive à quoi que ce soit. La démonstration d’amour ou de désamour de ma famille ne m’atteint pas. En temps normal, j’aurais réagi. Là, j’ai perdu toutes mes facultés, je ne maîtrise plus rien. Deux questions, cependant, me taraudent, bien que je ne puisse y répondre :
« Que suis-je devenue ? Quelle sera la fin de cette histoire ? »
Si je survis, cette expérience restera gravée en moi comme l’empreinte d’une cicatrice. Elle restera gravée dans ma mémoire comme l’empreinte d’un sceau sur la cire molle.
« Que deviendrai-je après cette catastrophe ? »
Avant, ma vie était ordinaire. Après, elle risque d’être un désert sinistre. Rien ne pourra échapper à l’épouvante, j’en suis convaincue. Sauf si, progressivement, les jours passant, comme d’habitude, le temps suivant sa course, mon cauchemar perd tout son côté lugubre, singulier et mystérieux, pour s’incorporer et s’identifier aux généralités de la vie. Sauf si tout devient banal comme manger et boire. Sauf si ce sinistre s’effrite et se confond aux effets attendus, communs et habituels. Sauf s’il s’imbrique aux voluptés de la vie, de la vraie vie. Sauf si cette étrange expérience se désintègre dans les normalités, les insignifiances des événements et faits qui composent l'existence humaine, n’attisant aucune curiosité.
Entre-temps, il faut gérer cet état insolite d’une atrocité sans merci. L’imminence, c’est d’accommoder mes moyens à la situation