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Dans le reflet bleu de tes yeux: Roman
Dans le reflet bleu de tes yeux: Roman
Dans le reflet bleu de tes yeux: Roman
Livre électronique267 pages4 heures

Dans le reflet bleu de tes yeux: Roman

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À propos de ce livre électronique

Alexandre habite à La Rochelle. Le jeune homme possède un talent certain pour la peinture, en particulier le portrait. Bachelier, il s’apprête à entrer en faculté de droit. Mais c’est sans compter le coup du destin qui va tout remettre en cause… Cela n’empêchera pas l’Amour et ses plaisirs charnels de s’inviter dans sa vie. Sa sœur, Claudine, belle femme libertine qui vit à Paris, lui sera d’un grand secours dans les épreuves qu’il traversera. Quant à Emma, son amie d’enfance, secrètement amoureuse de ce beau jeune homme cultivé, elle deviendra son soutien et son amour indéfectible. Une histoire prenante : Alexandre arrivera-t-il à surmonter le sort qui s’acharne ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Hanoï pendant la guerre d’Indochine et confié vers l’âge de 5 ans à un couple franco-vietnamien qui revenait en France, Alexandre Ubac a grandi dans un petit village picard, au contact de la nature. Très tôt il s’est mis à écrire dans différents genres, le roman mais aussi des écrits plus humoristiques. Après une vie riche en rebondissements, il partage son temps entre la littérature et son épouse qui l’a toujours soutenu.
LangueFrançais
Date de sortie7 mai 2021
ISBN9782876837515
Dans le reflet bleu de tes yeux: Roman

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    Aperçu du livre

    Dans le reflet bleu de tes yeux - Alexandre Ubac

    www.compagnie-litteraire.com

    Chapitre 1

    L’aube est, sans conteste, le plus beau moment car la naissance du jour est unique, émouvante et magique. Quel que soit le lieu d’observation de cette prodigieuse métamorphose, l’aube qui éclôt tutoie le regard, l’émerveille, le transcende. Bien sûr, elle apparaîtra plus splendide, sensible et touchante si l’on a le bonheur de la découvrir en Polynésie ou dans l’océan Indien plutôt qu’amarré au port de Brest ou de la fenêtre d’un pigeonnier situé au septième étage, entre l’école militaire et la tour Eiffel. L’aube qui naît à Tahiti offre une gamme de lumière à nulle autre pareille dont la nudité, la pureté et la virginité touchent l’intimité de l’âme dans sa grâce la plus mystique. Il se produit comme un frisson ou un effleurement d’une délicatesse infinie qui vous transporte instantanément là-bas, tout près de la pureté angélique de l’instant préservé comme une terre impolluée. Initiation à la fois magique et poétique que les premiers rais chauds du soleil effaceront pour dominer et dispenser à leur tour une autre luminosité plus commune.

    Dès que les conditions météorologiques se prêtaient favorablement à l’exécution de ce spectacle céleste et qu’il en connaissait approximativement sa culminance, Alexandre se rendait sur le port pour assister à cette émouvante sensation où la beauté s’exprimait dans toute sa grâce. C’était comme vivre un opéra au moment où le lyrisme atteint son apogée, c’était un instant de pur bonheur qui réjouissait son être tout entier. Le vertige était bref, mais la magnificence de cette paupière s’ouvrant pour sourdre l’aube ne pouvait que ravir jusqu’à l’âme. Alexandre demeura là, comme en suspension, se délectant encore de cette ivresse bien matinale dont un ciel de tendresse venait de le combler de toute sa puissance créative. Un pèlerin amoureux des mers et qui les sillonnait sous toutes les latitudes lui avait, un jour, parlé de ce phénomène. En outre, il lui avait appris à l’observer, de façon dépouillée, c’est-à-dire avec l’innocence du regard et l’humilité du cœur, à défaut de quoi l’on prenait le risque d’effacer le charme. Ce marin disait qu’on ne regardait pas l’émergence de l’aube comme l’on regarde un feu d’artifice un quatorze juillet. Tout en ne quittant pas le ciel de ses yeux pénétrants, le poète des océans murmurait : c’est comme contempler la beauté d’une femme, au petit matin, lorsqu’elle brille toujours des feux de l’amour. Alexandre avait écouté les propos de ce loup de mer avec respect et beaucoup de curiosité bien que certaines métaphores lui parussent inaccessibles, en raison de sa jeune expérience de la vie et de ses arcanes dont la compréhension demandait un long apprentissage. Le port était encore plongé dans le silence du sommeil de ses habitants. Un léger clapotis annonçait l’amorce de la marée. Une petite brise marine frémissait sur les voiles des bateaux accostés tout autour du port de La Rochelle. Au loin, deux mouettes insomniaques avaient engagé la conversation ; sans doute voulaient-elles seulement être aux premières loges pour déguster le menu que la marée ne manquerait pas de leur proposer ce matin. Quelques lumières clignotaient ici et là signifiant l’agitation du réveil pour les tout premiers courageux comme les boulangers, sans lesquels le petit-déjeuner ne serait pas celui, tant apprécié, avec les croissants et autres viennoiseries ou tout simplement la belle ficelle toute croustillante sortie du four. Les prémisses de cette journée en devenir annonçaient des heures agréables. Le jeune homme décida de prolonger sa balade jusqu’à la plage, d’autant que la température s’avérait douce. Il ne longea pas le port, mais s’engouffra sur la rue Saint-Jean du Pérot. Il croisa quelques bambochards aux mines déconfites qui traduisaient l’agitation d’une nuit secouée par des arrosages alcoolisés ; d’ailleurs, les poignées de mains vigoureuses dont ils se congratulaient indiquaient l’imminente séparation et le retour à la réalité. Ils se détachèrent les uns des autres, après quelques ultimes grivoiseries pour disparaître dans les ruelles avoisinantes et un silence relatif revint. La mer engageait son retrait, découvrant peu à peu de longues portions de sable humidifiées. À un peu plus d’un mille nautique, l’on distinguait deux ou trois bateaux de pêche rentrant vers le port, tandis que d’autres le quittaient pour les mêmes raisons économiques. Le mouvement des vagues en rouleaux, bien cadencé, progressait avec une imperceptible accélération. L’on eut dit que la mer était peu à peu aspirée par une force invisible, celle des courants qui retroussaient les eaux vers le grand large. Et comme le jour touffait, les reliquats sombres de la nuit et que la marée continuait graduellement sa régression vers le large, une sirène retentit, puis une seconde et ce fut un vacarme anormal. Des vrombissements rageurs d’automobiles s’en suivirent qui semblaient se diriger droit vers le port. Il y eut également la sirène des services de police et celle caractéristique des services ambulanciers. Alexandre quitta la plage et se rendit à grands pas vers le vieux port. Il y avait des grappes humaines regroupées ici et là. De nombreux curieux s’étaient précipités, attirés par le tohu-bohu des différentes sirènes et de l’agitation générale. Comme toujours, ce genre d’événement inattendu occasionnait des rumeurs en tout genre qui couraient d’un propos à l’autre alimentant encore plus vivement la curiosité. Alexandre finit par obtenir des informations fiables qui lui furent fournies par un fonctionnaire de la mairie qu’il connaissait. Il s’agissait d’une évasion de deux ou trois dangereux prisonniers de la prison citadelle de Saint-Martin-de-Ré. Celle-ci avait été appuyée avec des complices de l’extérieur. Apparemment, les gangsters seraient armés et il y aurait eu des échanges de coups de feu depuis la citadelle. Tout autour de l’enclave du vieux port fut installé un cordon de sécurité et les forces de police demandèrent aux badauds de rejoindre leur domicile respectif pour ne pas risquer de mauvaise rencontre pouvant, par suite, être regrettable car les voyous ne plaisantaient pas. Les fonctionnaires de police demandèrent à la population de leur signaler toute anomalie susceptible de les aider dans la capture des malfrats et surtout de ne pas agir inconsidérément, ces gens-là étant extrêmement dangereux. Pour, Alexandre, les gendarmes et les voleurs, ça n’existait que dans les bandes dessinées, à l’intérieur du petit écran ou encore derrière le grand velours rouge du cinéma. Mais là, dans la réalité d’un bord de mer, cela lui apparaissait comme un gigantesque gag, comme une absurdité. Il ne savait même pas que, là-bas, dans la citadelle, il y avait des gens qui y étaient enfermés pour des raisons qui lui échappaient. Il ne comprenait pas comment l’on pouvait priver de liberté des êtres humains en les enfermant dans des lieux clos à l’insu de tous dans la discrétion d’une sorte de donjon comme au Moyen-Âge. De ce fait, il lui semblait légitime que certains tentent de s’évader pour retrouver le plancher des vaches de leurs origines.

    Souvent, ce type de fracas qui relève des faits divers excite toutes sortes d’intérêts, de spéculations et d’inconscience. Malgré le danger évident encouru de séjourner dans la zone possiblement dangereuse et malgré l’insistance des policiers aguerris à ce genre d’action périlleuse, certains irréductibles ne voulant pas s’en laisser conter, faisaient mine de changer de position pour demeurer au premier plan de l’événement négligeant totalement les recommandations du service d’ordre. Alexandre, quant à lui, avait pris le chemin de son domicile pour évacuer toute cette charge électrique induite par l’incident de l’évasion de la citadelle. Il n’avait retenu qu’une chose, à savoir, les échanges de coups de feu, et bien que la réalité du fait divers lui semblât complètement farfelue au point qu’il se demandait si l’on n’était pas en train de tourner un film, il se disait que, fausses ou réelles, il valait mieux se tenir loin des balles. Quatre heures s’étaient écoulées depuis son rendez-vous avec l’aube. Ses parents ayant pris la route du travail, il déjeuna tout en se remémorant cette singulière matinée. Il entendit le bourdonnement de deux hélicoptères de la sécurité maritime qui tournoyaient comme des frelons en chasse et il en déduisit que l’opération gangsters n’était nullement achevée. Cette journée, dont les auspices étaient favorables, semblait vouloir glisser vers le mémorable. Pourvu, songea-t-il avec une certaine angoisse, qu’elle ne culmine pas dans le tragique !

    Vers les dix heures, il se retrouva à la hauteur de la Motte Rouge où il put se rendre compte que les choses avaient peu évolué. Du quai Gorges Simenon jusqu’au quai Duperré, les forces de l’ordre avaient agrandi la zone interdite. Les policiers en faction semblaient crispés. Une nasse gigantesque avait été installée depuis l’île de Ré jusqu’aux différents axes d’accès à La Rochelle. Tous les véhicules étaient systématiquement fouillés. Il y avait là deux compagnies de CRS qui investissaient à la fois l’île et La Rochelle, il y avait également des chiens car apparemment l’un des évadés était blessé et les chiens pouvaient suivre ainsi la trace du fuyard. C’était une véritable traque à l’homme comme dans les fictions américaines sauf qu’ici les rôles n’étaient pas joués par des acteurs. Alexandre quitta la Motte Rouge, il prit le trottoir de droite, là où se succédaient de nombreux cafés et terrasses précédant la place de l’horloge. Cet espace était très fréquenté en période d’été car, depuis les diverses terrasses, les gens pouvaient voir le vieux port et, au loin, l’arrivée de bon nombre de bateaux de tous genres, même les cargos qui ne manquaient pas de signaler leur présence à l’aide de leur corne de brume, ce qui ajoutait au charme ambiant ainsi qu’à la note estivale. À mi-chemin, il fut interpellé par un groupe d’adolescents qu’il connaissait et qui se trouvaient attablés à la terrasse d’un café à la mode. Ses amis l’invitèrent à les rejoindre, mais il déclina l’offre amicale, prétextant qu’il avait un deal. 

    — Raconte ! Raconte !

    — Plus tard, leur cria-t-il. Une avalanche de rires taquins furent les derniers bruits qu’Alexandre entendit.

    Chapitre 2

    Sur la terre les anges passent, en enfer, tu as toujours la sympathie du diable…

    Le hasard est une mauvaise intention qui construit ses filets de désagréments dans la discrétion des ombres. La concomitance d’événements liés ou non lui est un espace de prédilection où son action va se réaliser. Le même jour, vingt heures. Alexandre ouvrit les yeux et perçut vaguement ses parents avec quelques-uns de ses copains. À travers le flou de son regard où traînait encore une indicible angoisse, il s’interrogeait sur l’étrangeté de la situation. Il demanda d’une petite voix presque inaudible : 

    — Que se passe-t-il ?

    Sa mère lui répondit avec douceur : 

    — Nous t’expliquerons tout cela demain, pour le moment, il faut que tu te reposes et que tu reprennes des forces.

    Les paupières du jeune homme s’étaient déjà refermées comme pour approuver les propos judicieux. Quelques heures plus tôt, dans le prolongement des rires moqueurs de ses amis et au moment précis où il s’engageait sur le passage clouté, près de l’horloge, pour se rendre sur le quai Duperré, une fusillade avait éclaté entre le cordon de CRS et les évadés de Saint-Martin-de-Ré. Une voiture arriva en trombe sur l’axe où se trouvait Alexandre et des balles de revolver sifflèrent occasionnant une panique générale. Beaucoup de gens s’étaient couchés au sol pour éviter des projectiles pouvant provoquer de sérieuses blessures. Dans ce capharnaüm indescriptible où les uns se couchaient, les autres couraient à perdre haleine, où les cris d’affolements croisaient les injonctions de la police hurlant ses commandements de sécurité à l’adresse de la population, inséré dans ce tumulte fracassant, l’adolescent n’eut pas le temps de s’esquiver, ni de comprendre ce qui s’ensuivit. Tout d’abord, il ressentit une vive brûlure à la jambe gauche et, presque simultanément, il fut projeté au sol par le contact d’un véhicule, ensuite, il ne sentit plus rien car il perdit connaissance. À ce moment précis, deux gendarmes l’avaient repéré et l’avaient rapidement installé dans une ambulance qu’ils avaient hélée. Quelques instants plus tard, le service des urgences du CHU de La Rochelle prit immédiatement le garçon en charge. Tous ces événements s’étaient déroulés avec la vitesse d’un éclair un jour de gros orage. Durant une bonne heure, il y eut des allées et venues d’ambulances transportant des personnes ayant subi les dégâts collatéraux de cette poursuite dangereuse. Fort heureusement, il n’y eut aucune victime, c’était miraculeux. Quatre blessés furent enregistrés, touchés de façon conséquente, dont faisait partie Alexandre. S’agissant des autres personnes, les services médicaux ne relevaient que des commotions, des chocs psychologiques créés par l’angoisse et la peur. D’ici quelques jours, tout rentrerait dans l’ordre et cela ne nécessitait aucun traitement particulier, si ce n’est quelques calmants et de l’aspirine.

    Trois jours s’étaient écoulés depuis l’hospitalisation d’Alexandre. Ayant retrouvé ses esprits ainsi que quelques forces, il sut ce qui lui avait valu de se retrouver sur un lit d’hôpital avec la jambe gauche bandée et d’autres pansements en diverses parties du corps. Par malchance, à la suite de la fusillade qui avait été échangée entre les policiers et les voyous, il avait reçu deux éclats de balles dans la jambe et avait été renversé par la portière droite des fuyards ; en roulant au sol, il avait heurté le trottoir avec son bras droit qui s’était démis. Il s’était blessé également aux mains ainsi qu’au visage, cela avait saigné, mais c’était sans gravité. Tout s’était déroulé très vite, la peur s’était installée dans le secteur de l’horloge où se propageait la rumeur de deux victimes. Effectivement, d’une part les services de presse et d’autre part le commissaire de police de La Rochelle confirmèrent l’information qui courait de bouche à oreille : deux victimes étaient à déplorer, il s’agissait de deux des trois évadés de la prison citadelle. Quant au troisième, également blessé, il se rendit aux forces de police un peu plus tard après une brève résistance, complètement cerné par la brigade du banditisme. Dès son arrivée au service des urgences, Alexandre avait été examiné par un médecin qui évalua ses blessures et il demanda qu’on le conduise au bloc opératoire pour procéder à l’extraction des deux éclats de balle figés dans la jambe gauche car l’un des deux projectiles était plus important et avait pénétré plus en profondeur. Après les divers examens de contrôle, l’adolescent fut opéré. La famille ainsi que les copains, qui, au moment des faits, avaient craint le pire, furent totalement soulagés lorsque le médecin urgentiste fit son compte-rendu circonstancié et qu’il signifia qu’aucun organe, os, nerf ou autre n’avait été endommagé par l’un ou l’autre des impacts.

    Après quelques semaines durant lesquelles il avait été dorloté par les uns et choyé par les autres, car c’était, en quelque sorte, le héros malheureux d’un fait divers peu commun où la vie avait coudoyé la mort dans la fulgurance d’un instant, il reprit ses activités ayant rangé dans la madeleine de sa mémoire les reliques des événements dont il avait été apostrophé, si l’on peut dire. Seules deux cicatrices indélébiles lui rappelleraient que l’insouciance de la jeunesse ne saurait le préserver des indélicatesses de la vie. Pour lui, cette année charnière était importante en tout point car, BAC en poche, il accédait à l’université. Il avait choisi le droit et se voyait bien en avocat, en expert juridique d’une grande administration ou même en administrateur de biens ; il aurait également apprécié la tenue rubis d’un cardinal. Le jeune homme ne manquait pas de désirs ni d’envies, mais quel que soit le chemin qu’il choisirait, il savait qu’il lui en coûterait des sacrifices, du labeur sans relâche et de l’application. Il n’oubliait pas le service militaire pour lequel il serait probablement sursitaire. D’autre part, pour juillet et août, il travaillerait quelques heures par jour dans une librairie, ce qui n’était pas pour lui déplaire, il gérerait en particulier le secteur informatique. Pour l’heure Alexandre, était « cagouillard ». Il était accoudé sur un muret situé à l’angle du quai Duperré et il regardait la mer sur laquelle il lui semblait percevoir par intermittence de reflets verts. Cela était sûrement dû à la luminosité accentuée du jour et pourquoi pas aussi à la proximité du solstice de printemps. Sur la crête des vagues se promenaient des brillances argentées. Des voiliers naviguaient au large, fendant les flots à pleine voile. Souvent, il avait contemplé la mer et, chaque fois, elle lui paraissait différente. Son gigantisme lui semblait insaisissable autant qu’impénétrable. Elle demeurait mystérieuse, énigmatique et indomptable. Cette prodigieuse masse liquide imbibée de sel s’activait au rythme des marées, elle s’étirait sous la pression des courants marins. La mer était à la fois nourricière, vagabonde touristique et guerrière. Elle ne craignait rien ni personne, se suffisant en elle-même, agissant comme bon lui semblait. Elle possédait le don d’ubiquité par sa présence en divers endroits à la fois. En outre, elle était en mesure d’exprimer de la colère, le calme, la révolte, la meurtrissure de la souillure, la joie de ses fulgurances océaniques et enfin la douleur de ses vagues engluées par les poisons des hommes. Aujourd’hui, Alexandre se contenterait de renouer avec les sensations de la mer, il la goûterait à nouveau comme l’on goûte le baiser d’une conquête. Il laisserait son regard vagabonder sur la crête des vagues et frissonnerait sur la douceur de la houle molle comme une caresse suggérée. Il communierait avec l’intimité de cette sensualité océanique, toujours imprévisible, sans cesse renouvelée. Il scrutait l’horizon où s’engouffraient et disparaissaient les voiliers, happés par les brasses inconnues du grand large. Peut-être, à la marée montante, pourrait-il savourer l’apaisante fraîcheur de quelques délicieux embruns ? Plongé dans cette symphonie de bruissements, de sons aquatiques, de couleurs et de teintes douces, de mouvements harmonieux et de furtifs frissonnements, il s’abandonna aux embrassades spontanées de la rêverie et, en cet instant, il sut que la vie était belle, pas « trop belle » comme dit la jeunesse de maintenant, non, juste belle. Une voix fluette l’extirpa de sa plongée halieutique. C’était Emma, une petite copine qu’il aimait bien. 

    — Alors ? Tu es en costume blanc de commandant sur le cargo du port, ou planes-tu au grand large ?

    Il rit de bon cœur car elle était coutumière de ce type de questionnement où se nichait toujours une taquinerie. Il lui répondit : 

    — On devrait prendre plus de temps pour contempler les choses, car nous les regardons de façon si superficielle qu’elles finissent par nous exclure de leur intimité ; tu vois, cette mouette, là-bas, qui tourne en rond, comme égarée dans l’espace, eh bien, si tu en fais soudainement l’abstraction, si tu enlèves le mouvement dans lequel elle s’insère, ton regard, alors, ne perçoit plus que la banalité d’un plan dépourvu de consistance.

    — Je comprends pourquoi tu n’as pas usurpé ta belle note en philo. Moi, je dis toujours, la nuit est courte, le jour long et la vie brève. Nous devons donc procéder à des choix, ce ne sont sans doute pas les meilleurs, mais ce sont ceux du moment et tu sais bien que celui-ci n’est pas le même pour tous. En fin de compte, c’est ce qui donne du charme à la vie, non ?

    Alexandre acquiesça avec bonhomie. Comme souvent, Emma utilisait la pirouette avec une malice toute féminine, à la manière d’une danseuse dont les pointes vous donnent le tournis, même s’il est agréable. Puis, elle revint au quotidien en demandant : 

    — Comment va ta jambe et les cauchemars ne te perturbent pas trop ?

    — Elle a encore quelques raideurs, mais je pense qu’il lui faudra encore un peu de temps pour retrouver sa souplesse et son naturel. Pour ce qui est des cauchemars, c’est plutôt une multiplication de phénomènes d’angoisse, d’anxiété qui s’immisce dans le sommeil. Les médecins disent que c’est la formulation de la mémoire de l’événement jointe à celle de la douleur qui est responsable de ces perturbations psychologiques. En outre, ils pensent que ces dernières mettront plus de temps avant de se dissoudre dans les abysses de la psyché. Tu vois, je t’ai toujours dit que nous étions des petits êtres fragiles.

    Un bisou enthousiaste d’avenir se posa simultanément sur les joues des jeunes gens qui ne doutaient pas de se retrouver, « tout bientôt », comme disent les Rochelais.

    Chapitre 3

    Le sage dit tout sur tout sans avoir vécu ce qu’il dit.

    Le malheureux souffre avec sagesse.

    Chaque TGV s’arrêtant à la gare de La Rochelle libérait deux ou trois dizaines de vacanciers ou touristes. Les familles se rassemblaient par grappes distinctes dans un joyeux brouhaha avant de se diriger vers la sortie, occasionnant un autre tumulte, celui des valises roulant sur le sol cimenté et ces sons qui labouraient les tympans n’avaient rien d’agréable, à ce point que l’on appréciait la délivrance d’un taxi qui vous en soulageait en vous emmenant à votre hôtel ou autre logement. Comme à l’accoutumée, les fervents de juillet affluaient en grand nombre, remplissant peu à peu les hôtels ainsi que les autres sites d’accueil à vocation estivale. Bientôt, sous la gouvernance bienveillante du soleil, les plages grouilleraient de pâleurs exhibées pour le bronzage, le leitmotiv du vacancier. La ville s’emplissait frénétiquement à mesure que les trains libéraient leurs masses humaines frétillantes comme l’arrivée des gardons ne tarderait pas à se manifester dans les eaux de l’Atlantique. L’exception annuelle de cet envahissement satisfaisait les uns et les autres et surtout ceux à qui cela profitait mécaniquement, c’est-à-dire les commerçants et les agences de tourisme. Quant aux habitants, ils s’accommoderaient des nuisances que ne manqueraient pas de drainer toute surpopulation massive ; ce serait pour la bonne cause de leur ville. L’île

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