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La faille: Roman
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Livre électronique128 pages1 heure

La faille: Roman

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À propos de ce livre électronique

Avec La faille, Slimane Aït Sidhoum, continue d’explorer une écriture qui, ludique et tragique à la fois, approfondit le ton et le verbe précis, si bien jumelés, de son premier roman Les trois doigts de la main. Bien qu’ancré dans les réalités les plus tragiques de l’Algérie, La faille les transcende en les intégrant, par petites doses et sous différentes humeurs du narrateur, dans une histoire d’amour froide car elle naît et évolue dans leur insoutenable paysage de la destruction et de la morbidité. C’est avec une badinerie loufoque et une ironie puérile que ce roman donne à lire un double drame entre deux rives. La fiction chez Aït Sidhoum puise sa force dans le regard individuel que l’auteur porte sur la société en évitant de plaquer les mots à la réalité et celle-ci à l’écriture.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Slimane Aït Sidhoum est enseignant de langue française dans un collège et correspondant d’un grand quotidien à Sidi Aïssa.
LangueFrançais
ÉditeurChihab
Date de sortie30 nov. 2021
ISBN9789947394373
La faille: Roman

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    La faille - Slimane Aït Sidhoum

    La_faille.jpg

    La Faille

    DU MÊME AUTEUR

    Les trois doigts de la main, roman, Chihab, 2002.

    SLIMANE AÏT SIDHOUM

    La Faille

    roman

    CHIHAB ÉDITIONS

    © Chihab Editions, 2005

    Isbn : 9961-63-563-9

    Dépôt légal : 1411/2005

    À ma mère

    PREMIÈRE PARTIE .

    Alger

    1.

    J’ai eu un sommeil saccadé. Une de ces insomnies malignes qui profitent du moindre petit prétexte pour vous tenir éveillé. Toute ma nuit s’était dé­roulée dans l’horreur. Des bouts de cauchemars nés de toutes mes frayeurs avouées et non avouées. Un reli­­­quat onirique mal archivé. Un reliquat clan­des­­tin qui s’offre des virées ostentatoires dans mes doutes. Un reliquat débonnaire prêt à jouer toute la nuit. Une nuit qu’on aimerait jeter en enfer. Une nuit qu’il faut enfermer dans les glaciers boréaux du grand Nord.

    Mina ne dormait pas, elle non plus. Elle avait le cœur tendu à mon âme. Elle écoutait, toute trem­blante, mes soucis et mes doutes. Elle s’était en­gouffrée dans le grand lit, tout contre moi. Elle avait besoin de cette présence qui endiguerait le flot des émo­tions extrêmes vécues tout au long de cette folle journée du mercredi. Le séisme s’était glissé comme un che­veu sur la soupe, qu’on découvre avec l’hor­reur d’usage. Les images de la journée se présen­taient une par une dans ce rêve éveillé. Un inventaire horri­ble : les immeubles qui s’étaient écroulés dans ma cité, la rencontre d’avec Rania et la procession de mil­liers de gens angoissés par ce qui venait de se pas­ser, errant sur l’autoroute. Elles circulaient en moi à la vitesse de la lumière, dans un ballet inco­hé­rent. Ce n’était pas l’idéal pour draguer Morphée : je nageais entre rêve et réalité. À six heures du matin, j’avais senti une énième secousse et de forte magni­tude. Le sismographe avait du boulot.

    Je fus très partagé entre le désir de rester à Alger et celui de repartir chez mes parents à Sidi Mlih. Ma femme m’avait dit d’aller au centre-ville : se pro­­me­ner m’aiderait à prendre la bonne décision. Elle, elle profiterait pour aller passer quelques jours chez sa co­pine Amel. Curieux couple qui se délite dans les mo­ments les plus graves ! De toutes les façons, je ne pourrais voir le docteur Martin que dans une semaine. Le rédacteur en chef du journal qui ac­cueille mes élucubrations littéraires et autres n’avait même pas appelé. On avait convenu juste­ment un mois auparavant que j’aille voir les villages côtiers et tenter de ramener de quoi faire une série de repor­tages pour tout l’été.

    Alger, ce matin du jour d’après, ne comprenait pas ce qui vient de lui arriver. Une inondation à l’au­­­­­tomne avait emporté un millier de personnes. Quelques mois plus tard vint un fort séisme qui ébranla ses entrailles. Les mêmes dégâts produisant les mêmes paniques. Lorsque nous avions fait un tour en voiture hier, après la terrible secousse, nous avions aperçu des centaines de gens avec des couver­tures sur la tête en transhumance sur l’autoroute. La ville n’était pas sortie de son état d’hébétude.

    Les commerces, faute de clients et de passants, étaient fermés. Seuls les cafés ouverts gardaient un soup­çon d’activité. Il fallait bien offrir aux Algérois des espaces de dialogues et de convivialités. Des lieux propices où l’on s’adonnerait aux « débrie­fings » nécessaires. Chacun y allait de sa petite histoire. L’ora­teur se mettait dans la posture du seul rescapé d’un événement qui avait emporté tout le monde. L’assistance même, bayant aux cor­neilles, montrait un vif intérêt pour les histoires racontées. Les autres, en tendant une oreille intéressée, jouaient le rôle des absents qui avaient raté le film du millénaire. Je soup­çonnais certains de jouer les malicieux. Ils avaient envie de confronter les points de vue et de dé­bus­quer les mythomanes.

    Les journaux avaient refait leurs premières pages. Les unes étaient quasiment identiques. Ils don­naient, suprême exploit, presque les mêmes détails : « La wilaya de Boumerdès sinistrée. L’effondrement des vieux immeubles sis à Alger-Centre et les griefs contre les offices chargés de l’entretien de ces bâti­ments.» Tout ce que l’on savait déjà. Les pouvoirs publics n’étaient pas prévenus, ils ne pouvaient donc pas agir. Même avec un avertisseur de catastrophe, ils ne feraient pas grand-chose. Et, en plus, il avait choisi le week-end, « ce f… séisme». Ce n’était pas juste. Les responsables avaient quand même droit au repos, après une semaine infernale entre soirées mon­daines et orgies institutionnalisées.

    C’était comme les inondations. Elles étaient ve­nues le samedi. Il faut dire qu’on n’était pas préparé à les re­cevoir. Elles tombaient, encore une fois, juste au retour d’un long week-end. Même pas le temps de souffler, de poser ses bagages et de se changer et l’on vous cueille à froid avec des inon­dations et un mil­­lier de morts. Enfin, les pouvoirs publics sont toujours pris de court. Les sinistrés doivent aussi comprendre tous ces mécanismes et sont priés de res­­­ter calmes et de ne pas protester.

    Subir la fatalité et accepter son sort. Dire tout haut que Dieu nous met à l’épreuve.

    Quand on gâche le week-end des puissants, le mi­­ni­­­mum que ces derniers attendent de la plèbe était le calme. En Algérie, il ne sert à rien de se révol­ter.

    De dépit, j’avais jeté la pile de journaux sur la table voisine. Elle ferait le bonheur d’un autre client qui viendrait s’installer en commandant un café.

    Écrire une lettre à ma correspondante belge est la chose la plus indiquée ce matin. Ça me changerait des éditos alarmistes et apocalyptiques.

    La rassurer après ce qui venait de se passer avec des mots simples en écrivant : tout va. Je n’étais pas bien inspiré après toutes mes émotions de la soirée d’hier.

    Le lourd bilan des victimes, des villes entières et villages qui disparaissent de la carte, le cœur n’avait plus envie de s’épancher.

    Je savais qu’Amandine comprendrait mon man­que de verve, mais je voulais tenir ma promesse quitte à dire des banalités. Je n’avais réussi à écrire qu’un seul feuillet. Je ne voulais pas non plus faire du remplissage de circonstance, car je dois beaucoup à l’art épistolaire. Depuis l’âge de dix ans, je n’ai pas arrêté d’avoir des correspondants dans tous les pays. Mais le record de longévité, je l’ai eu avec une vieille dame parisienne. On s’était échangé plus de deux cents lettres et une centaine de livres sur une période de dix ans.

    Je me souviens toujours d’une lettre qui avait été postée à Toulouse à mon intention et qui était arri­vée au bout de vingt-quatre heures. Je n’avais pas cru mes yeux. Pour être sûr de la véracité de la date d’envoi, j’avais utilisé une loupe, et ce que je voyais n’était pas un mirage ou une illusion d’optique.

    Cette histoire, je l’avais racontée à tous les gens de la ville de Sidi Mlih.

    Je me suis senti un peu léger en mettant la lettre d’Aman­dine dans le bac qui correspondait à l’envoi du courrier aérien. Je savais que celle-ci mettrait un peu plus de dix jours. Entre temps, nous aurions eu l’occasion d’échanger une dizaine de messages élec­tro­niques.

    Je n’avais aucun objectif précis pour cette journée du jeudi, sauf celui de quitter au plus vite Alger. J’errais dans les rues sous une chaleur suffocante. Fatigué de constater ce désarroi visible sur tous les visages.

    L’air était anxiogène, j’ingurgitais sans le vouloir les milliers d’angoisses diffuses. La tentation de reve­nir chez moi était lancinante. Me terrer dans ce grand appartement, regarder la télévision et oublier l’horreur du mercredi, serait le mieux à faire.

    L’attrait qu’exerçait Sidi Mlih sur moi n’était pas nég­ligeable, il prenait le dessus sur tout. Dans les mo­ments difficiles ou de grande tristesse, je pre­nais mes distances avec Alger et ma femme. Elle s’était habituée à mes escapades provinciales. Le séisme m’offrait l’occasion rêvée de rompre la trêve et de renouer avec la ville sanctuaire.

    Sans savoir comment, je me retrouvais à héler un taxi. La circulation était fluide car la plupart des Algé­rois n’avaient pas rejoint leurs lieux de travail.

    Je prenais la route Moutonnière qui longeait la mer. C’était cette voie que traversait Albert Camus pour rejoindre la plage et se dorer au soleil en été, ou tout simplement pour livrer des parties inter­minables de football. Je ne sais pas pourquoi je ne pense qu’à cet écrivain lorsque je suis à Alger. J’avais pris un taxi pour mettre un terme à mes errances. Il me déposa à quelques mètres de la gare d’El Harrach. Une ville qui part en lambeaux sans être touchée par le séisme. Ici, c’était plus animé qu’à Alger. El Harrach res­semble à un grand bourg décrépit.

    La ville est d’une vétusté affligeante. Les façades avaient gardé les cou­leurs pionnières de la colo­ni­sation, mais le tout par­tait en écailles. Elle donnait le spectacle d’un reptile en période de mue. Des couleurs qui ont perdu leurs éclats origi­naux. Gardant pour la mauvaise con­science des res­pon­sables de la ville, les traces des suin­­te­ments de l’eau boueuse de la pluie. Cette eau avait dégouliné le long des murs, dessinant des saig­nées hideuses. Je savais d’avance que je ne trouverai pas de moyen de transport pour rentrer chez mes parents. Les gens qui avaient vu à la télévision la ca­tastrophe de la veille n’auront pas envie de venir à la capitale.

    La peur d’une autre secousse pourrait dissuader le plus téméraire des voyageurs. Mes crain­tes se con­cré­tisèrent. Des dizaines de personnes vain­cues par

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