Théologie de l'Ancien Testament
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Aperçu du livre
Théologie de l'Ancien Testament - Gustave-Frédéric Oelher
◊ Note ThéoTeX
Le titre inhabituel de cet ouvrage, qui semble sous-entendre que la théologie de l'Ancien Testament diffère essentiellement de celle du Nouveau, s'explique par le développement de la pensée protestante à l'égard de la première partie de la Bible. Cette dernière peut s'étudier généralement sous trois rapports : celui des caractéristiques techniques de chacun des livres qui la composent, cherchant à en fixer la date, la source, les circonstances, le plan, la forme littéraire ; c'est ce qu'on appelait autrefois (à l'époque d'Œhler) l'Introduction à l'Ancien Testament, et aujourd'hui la Critique biblique. On doit ensuite analyser le contenu des livres, du point de vue historique, géographique, archéologique, etc. Enfin, le théologien s'efforce de dégager du texte la pensée religieuse, les grandes vérités spirituelles qu'il contient sur Dieu, sur l'homme, sur le péché ; c'est là l'objet de la Dogmatique.
Les réformateurs du
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e siècle entièrement absorbés par la question du salut de l'homme ne se sont guère intéressés à l'étude critique et historique de l'A. T. Ils ont par contre prétendu y retrouver sans distinction toutes les doctrines du Nouveau, au point de ne plus considérer les Écritures que comme un grand catéchisme dogmatique unifié, duquel ils pouvaient puiser à volonté leurs sujets de prédication. La moisson de cette exploitation artificielle et exagérée du texte biblique, fut en grande partie la sèche et stérile scolastique protestante, l'orthodoxie morte du
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e s., contre laquelle le siècle suivant devait réagir. Le
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e s. vit en effet s'installer et régner la théologie dite rationaliste, qui n'accorde de crédit à l'Écriture que dans la mesure des passages répondant aux besoins, aux aspirations et à la raison de l'homme ; et qui, inspirée du déisme, n'accepte point de dogmes extérieurs. Au
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e s. la Critique biblique prend le relais, elle s'évertue à saper la crédibilité historique de l'A. T., et à révoquer en doute tout son contenu supranaturaliste.
En réponse aux abus de la dogmatique et aux mensonges du libéralisme, l'idée d'une Théologie Biblique, respectueuse du texte et de son contexte historique, a commencé à germer dans la pensée protestante évangélique. Son fondement repose non pas sur l'infaillibilité d'un syllabus venu directement du Ciel pour nous catéchiser, et égal en importance dans toutes ses parties, mais sur le fait de la Révélation ; Dieu s'est révélé à l'homme, la Bible n'est pas ce fait lui-même, mais le document de ce fait. La révélation a été progressive, historique, consistant principalement en actes divins, et non en doctrines. En conséquence, la Théologie de l'Ancien Testament, ne peut pas être équivalente à celle du Nouveau ; elle ne la contient qu'en germe, et de manière incomplète. Gustave-Frédéric
Œhler
a été, parmi d'autres, un pionnier de cette façon de comprendre l'Écriture. Son traducteur français, Henri
de Rougemont
(1839-1900) fit partie du comité de rédaction de la célèbre Bible annotée de Neuchâtel, dont les excellentes notes doivent ainsi beaucoup à ce travail de traduction qu'il menait de front.
Cent cinquante ans plus tard, on pourrait penser que les idées d'Œhler sont devenues banales, et son ouvrage trop ancien. Ce serait compter sans le dicton qui veut que « ceux qui n'apprennent rien de l'histoire sont condamnés à la répéter ». Or la théologie d'expression française, en admettant qu'elle existe, ne peut pas connaître grand-chose de son histoire puisque, se détournant de son passé et renonçant à une identité qui lui soit propre, elle se contente de singer toutes les modes venues d'Amérique : au temps du dispensationalisme, elle ne jurait que par les notes de la Bible Scofield et les commentaires de MacArthur, au temps de Piper et de Keller, la voilà plus calviniste que Calvin. Il était donc inévitable que, sans s'effrayer d'un anachronisme ridicule, elle retombe dans des travers dogmatiques vieux de cinq siècles. Mieux, abolissant toute différence entre l'Ancien et le Nouveau Testament, elle est prête à vous démontrer que la grande commission d'évangéliser toutes les nations, laissée par Jésus-Christ à ses apôtres, n'est pas autre chose que le mandat culturel donné à Adam et Ève, de se multiplier et de remplir la terre ; par le truchement de l'intertextualité, elle vous prouve que quand Jean fait dire à Pilate : « Voici l'homme… », ce n'est que pour le menu plaisir de faire un clin d'œil à Zacharie 6.12 : « Voici, un homme, dont le nom est germe… » ; et d'afficher une multitude de mômeries semblables, dont les réformateurs eux-mêmes auraient eu honte.
A l'opposé, la lecture du solide et riche monument construit par Herr Professor Œhler de Tubingue, Ancien Testament en main pour vérifier les nombreuses références, un interlinéaire hébreu à portée, émulera le bon sens exégétique de chacun, et exaltera son admiration et sa gratitude envers ce Dieu tout-puissant qui a su, avec une sagesse et une patience infinies, préparer l'humanité déchue et rebelle à la venue de son Sauveur.
Phoenix, le 12 décembre 2017
G.-F. Œhler (1812-1872)G.-F. Œhler (1812-1872)
◊ Préface du traducteur
Il y a des hommes qui écrivent moins qu'ils ne le pourraient. Quand, à l'âge de soixante ans, la mort vint l'enlever à sa famille, à la science et à l'Église, Œhler n'avait livré à l'impression que quelques brochures et quelques articles détachés, dispersés dans divers journaux théologiques et principalement dans l'Encyclopédie de Herzog. Et pourtant son cours sur la Théologie de l'A. T. était connu depuis longtemps pour ce qu'on pouvait entendre de mieux sur la matière dans toute l'Allemagne.
On pouvait l'entendre, mais non pas le lire. En 1860, — cette date me permettra de parler au nom de mes souvenirs personnels, — ce qui attirait à Tubingue, sur les bords verdoyants du Neckar, un si grand nombre d'étudiants en théologie, ce n'était pas uniquement Beck, le docteur biblique par excellence, avec son admirable respect pour la Parole de Dieu et sa polémique impitoyable contre tout ce qui, dans le Christianisme moderne, ne lui paraît pas conforme à l'Esprit de l'Évangile, — c'était aussi, pour sa bonne part, Gust.-Fréd. Œhler, dont on vantait partout dans les cercles croyants la profonde intelligence de l'Ancien Testament.
Belles années d'étude, semestres bénis ! je ne vous regrette pas ; car, s'il y a un temps pour recevoir, il y a un temps pour donner, et il y a plus de joie encore à donner qu'à recevoir ; mais j'aime tout ce qui me fait penser à vous ! A l'université wurtembergeoise, chaque heure de leçon était pour nos esprits comme un bain salutaire. Tantôt nous nous plongions dans les eaux profondes et calmes des cours de Œhler ; tantôt les paroles indignées de Beck nous surprenaient comme des douches puissantes. Puis, dans les moments de loisir, c'étaient les douceurs de l'amitié, les lectures en commun, les promenades au hasard dans les prés et les bois, les conversations sur le chemin de Wankheim ou de la chapelle de Wurmlingen. Un jour de congé survenait-il, nous avions à nous une journée entière et nous poussions alors jusqu'à Niedernau, Hohenzollern, l'Achalm ou Lichtenstein.
Le lendemain, cet homme qui entrait brusquement dans la salle des cours et qui gagnait son pupitre à grands pas, c'était Œhler. Il n'y avait rien dans sa personne qui frappât l'imagination, mais l'on ne tardait pas à se sentir rempli pour lui de l'admiration qu'inspirent toujours un travail infatigable, de grandes lumières et une humilité sincère. A peine assis, il commençait sa leçon d'une manière presque précipitée. Point de phrases, il n'avait pas le temps d'en faire ; mais des choses. Il allait toujours droit au but. Evidemment, c'était un de ces hommes si rares qui connaissent le prix et la brièveté du temps. Le soir cependant, lorsque parfois il nous admettait dans le cercle de sa famille, et qu'il nous offrait bière et cigares, ces deux attributs du délassement en Allemagne, nous aimions à entendre ses francs éclats de rire ; c'était l'arc qui se détendait.
Il avait alors 50 ans. Il était né en 1810 dans une petite ville souabe. En 1834, il était devenu professeur dans la maison des missions à Bâle, débutant ainsi sur terre suisse dans la carrière de l'enseignement. De 1845 à 1852, il avait passé à l'université de Breslau une semaine d'années. Tubingue le posséda de 1852 jusqu'en 1872.
C'est dans l'hiver de 1870 à 1871 qu'il donna pour la dernière fois son cours sur la Théologie de l'A. T. Il l'ouvrit par un discours dont je détache le fragment suivant :
« L'Ancien Testament est beaucoup trop peu connu ; l'Église est loin d'en tirer pour son édification tout ce qu'elle pourrait en tirer, et la société moderne renferme une foule de gens cultivés pour lesquels il est malheureusement comme s'il n'existait pas ! C'est là un fait qu'on a signalé dernièrement dans plus d'une réunion pastorale et dans plus d'un Synode. Il faut absolument que les théologiens donnent, à cet égard, l'exemple d'une réforme radicale, il faut qu'ils étudient davantage l'A. T., il faut qu'ils l'étudient mieux. Pour être apprécié à sa juste valeur, tout édifice à la construction duquel a présidé une idée générale, veut être considéré dans son ensemble, et non pas seulement d'une manière fragmentaire, partie après partie. Or, la Révélation est un tout, un continuum systema, pour parler avec Bengel ; c'est un magnifique enchaînement de faits et de promesses, un seul et même organisme, qui commence à la Genèse par l'acte créateur, et qui se développe par degrés jusqu'à son accomplissement en Christ, pour aboutir enfin à la terre nouvelle et aux nouveaux cieux dont parle l'Apocalypse. Tel est le monument grandiose dont l'A. T. forme la base, et nul ne comprendra jamais véritablement cette base puissante, qui la sépare du reste de l'édifice ou qui ne l'examine que dans ses parties isolées. Il n'est que trop facile, alors que l'on procède ainsi, de s'achopper aux étrangetés que renferment les antiques Livres sacrés des Hébreux, et de se laisser aller à rejeter le tout à cause des détails que l'étude de l'ensemble, si l'on eût commencé par elle, n'aurait pas manqué de justifier pleinement.
La Théologie de l'A. T. est une discipline relativement moderne. Ce n'est guère que dans le courant du siècle dernier qu'on a commencé à séparer la Théologie biblique de la Dogmatique, et il s'écoula encore bien des années avant qu'on en vint à distinguer la Théologie de l'Ancien, de celle du Nouveau Testament. L'ancienne orthodoxie méconnaissait entièrement la différence qu'il y a entre les deux alliances. Nous sommes bien revenus de cette manière de voir, dont Hengstenberg a été l'un des derniers représentants ; mais nous avons maintenant à nous tenir en garde contre l'excès opposé, qui est peut-être plus dangereux encore. Il y a toute une école qui traite l'A. T., comme s'il n'avait rien de commun avec le Nouveau, qui fait de la religion de Moïse quelque chose de spécifiquement différent de celle de Jésus-Christ, et qui la ravale au niveau des autres religions de l'antiquité. A ce point de vue, le paganisme aurait autant que le Judaïsme préparé la voie à l'Évangile. A ce point de vue, l'étude de Moïse n'est guère plus utile à un théologien que celle d'Homère. A ce point de vue encore, on ne parlera jamais d'ancienne alliance, mais toujours de judaïsme et de religion juive, bien que l'histoire soit là pour prouver que, loin d'être identiques, le Mosaïsme et le Judaïsme sont deux choses distinctes, dont la seconde ne commence qu'où finit la première, avec Esdras et le Sopherisme.
Ce mépris de l'A. T., renouvelé de Marcion par Schleiermacher, conduit beaucoup plus loin qu'on ne le croirait d'abord ; il conduit, si l'on est conséquent, à refuser à la nouvelle alliance elle-même le caractère de religion révélée. Le N. T. renferme sur l'Ancien des déclarations telles, que le sort de l'un est indissolublement lié à celui de l'autre. Il n'est jamais entré dans la pensée des Apôtres que la religion qu'ils prêchaient ait pu se passer de la révélation préparatoire de la loi et des prophètes. Sans le Dieu créateur et législateur de l'A. T., impossible d'arriver au Dieu Sauveur de l'Évangile.
Je ne prétends pas que la notion du salut se trouve exposée dans l'A. T. absolument comme elle l'est dans le Nouveau ; mais ce qu'on peut dire, ce qu'il faut dire, — c'est que l'A. T., renferme en germe la notion du salut parfait qui est en Christ. Au reste, si Schleiermacher nie en principe tout rapport organique entre les deux alliances, dans la pratique il ne manque pas de se contredire lui-même ; ainsi, par exemple, dans sa Dogmatique, il range tout ce qu'il dit de l'œuvre du Sauveur sous les trois rubriques de Jésus-Christ roi, sacrificateur et prophète. — On a dit que, pour bien comprendre la religion de l'A. T., il faut la dégager de tout ce qu'elle renferme de juif, et traduire en langage japhétique ce qu'elle présente sous une forme sémitique (Bunsen). Je crois au contraire que c'est précisément, parce que l'histoire racontée dans l'A. T. est sémitique et Israélite, qu'elle est une histoire sainte, car Israël est le peuple que Dieu a choisi pour être dans le monde le dépositaire de la grande pensée du salut. Le salut vient des Juifs. Ce n'est pas pour cacher Dieu au monde qu'Israël a été choisi, mais bien pour révéler un Dieu saint à une humanité qui ne le connaissait plus.
La Théologie de l'A. T. et la Dogmatique ont donc entre elles une étroite relation, mais cette relation est autre que ne le pensait l'ancienne orthodoxie. Au lieu de se contenter de choisir ici et là dans l'A. T. telle ou telle parole isolée pour en étayer tel ou tel dogme chrétien, la Théologie de l'A. T. doit suivre la Révélation dans sa marche progressive à travers toute l'histoire, après quoi il incombe à la Dogmatique de constater le résultat définitif auquel a abouti cette grande évolution.
Personne n'a jamais été plus pénétré que je ne le suis de la grandeur d'une semblable tâche. Il n'est que trop aisé de s'expliquer pourquoi nous possédons si peu de Théologies de l'A. T. complètes, et pourquoi ce sont pour la plupart des œuvres posthumes. »
Il y avait sans doute dans ces dernières paroles un pressentiment douloureux.
En mai 1871, Œhler éprouva les premiers symptômes du mal qui devait l'emporter : c'étaient de singulières douleurs dans la région du foie et de l'estomac. Durant l'été, ces douleurs ne firent que de gagner en intensité ; il se sentait une lassitude insurmontable. Il alla passer ses vacances à Rorschach, où il avait plusieurs fois déjà trouvé des forces nouvelles dans un repos bienfaisant. Tout fut inutile. Il rapporta à Tubingue sa fatigue et ses souffrances. Grâce à une force de volonté héroïque, il se remit à l'œuvre et reprit ses cours. Mais les deux heures de leçons qu'il donna le 25 novembre 1871 furent les dernières. Le soir, il se coucha exténué et ne se releva plus, bien que la lutte de la vie contre la mort dût se prolonger encore chez lui pendant près de trois mois.
« Je ne suis pas l'homme qu'il me faut, — disait-il, un jour à son collègue, M. Beck, qui le visitait fréquemment à cette époque suprême de sa vie, — je ne suis pas l'homme qu'il me faut, c'est Christ qui l'est ! Et quel Christ ? Non pas tel ou tel, d'invention humaine, mais celui de la Bible, celui qui est venu de Dieu, qui a expié nos péchés et qui établit dans les croyants une justice et une sainteté divines.
Au point où j'en suis, — ajoutait-il, — en face de la mort, le mot d'éternité retentit dans le cœur comme un coup de foudre, et celui de péché, qu'en temps ordinaire on prononce si légèrement, devient une flamme qui brûle la conscience. Alors sortent de leur oubli et s'avancent au grand jour tous ces défauts naturels, tous ces péchés d'omission, toutes ces transgressions, qu'auparavant on ne voyait pas ou qu'on ne voulait pas voir. Et les justices sous lesquelles on pensait pouvoir s'abriter, ne sont plus que des lambeaux et des lambeaux souillés ! »
Le 19 février 1872, à six heures du soir, après de longues et cruelles souffrances, il s'éteignit doucement. Il avait choisi lui-même pour être gravée sur sa tombe une parole de l'épître aux Hébreux qui avait joué un grand rôle dans son développement intérieur : « Il y a encore un repos pour le peuple de Dieu. »
Son fils aîné se mit aussitôt en devoir d'élever à la mémoire de son père un monument plus durable que la pierre la plus saine : dans l'automne de 1873 parut le premier volume de la Théologie de l'A. T. de G.-F. Œhler, édité par les soins de M. Hermann Œhler. L'automne de 1873 ! c'était une époque de grande agitation ecclésiastique et religieuse pour notre chère patrie. Ce travail de traduction se présenta à moi, non pas comme une distraction, mais comme une occupation nouvelle, et il a été mon compagnon fidèle dans les quelques tristes jours et dans les nombreux jours heureux que Dieu m'a envoyés dès lors.
Rien de hasardé chez Œhler ; aucune de ces hypothèses plus séduisantes que fondées, qui plaisent, mais qui ne nourrissent pas ; il ne met le pied que sur un terrain solide ; sobriété presque excessive ; modération qui impatiente parfois ; plutôt que de dépasser de l'épaisseur d'une ligne ce qu'il pourrait rigoureusement prouver, il reste souvent bien en deçà de ce qu'il serait en droit d'affirmer. Mais pas une page au-dessus de laquelle on ne sente planer la foi la plus positive à la Révélation, pas un paragraphe qui ne trahisse un esprit tout pénétré de la divinité et de la majestueuse grandeur de l'Ancien Testament.
Je recommande tout particulièrement à cet égard la lecture de l'Introduction, que l'on aurait bien tort de laisser de côté, lors même qu'elle renferme aussi des choses d'une moindre importance.
La Théologie de l'A. T. de Œhler se divise en théologie de Moïse, des Prophètes et des Hagiographes (Loi, Prophétisme et Sagesse). De ces trois parties, la première est à elle seule beaucoup plus considérable que les deux dernières. Elle ne paraît donc pas tout entière dans le présent volume ; nous en avons réservé les deux derniers chapitres, qui traitent des cérémonies du culte et des fêtes solennelles des Hébreux, pour notre second volume, qui, de cette façon, aura probablement la même dimension que celui-ci, et qui s'ouvrira par les importants paragraphes où Œhler pose les bases de sa belle, — quoique peut-être incomplète, — théorie de l'expiation.
J'ai le sentiment bien vif d'avoir tenté une bonne œuvre en rendant l'étude de ce livre possible à tous les théologiens de langue française. Puissent quelques-uns d'entre eux le lire et en retirer un réel profit, malgré tous les défauts de la traduction. Puisse-t-il devenir dans une partie de l'Europe latine, comme il l'est déjà dans l'Europe germaine où quinze cents exemplaires s'en sont placés en moins de deux ans, une pierre solide dans la digue que les hommes de foi travaillent en tous lieux, chacun selon la mesure du don de Christ, à opposer au débordement du doute et de l'incrédulité. Puisse-t-il, par l'insuffisance même du traducteur, — dont la principale excuse est de n'avoir du moins empêché personne de se livrer à ce travail plutôt que lui, — provoquer la composition d'une Théologie de l'A. T. originale, française, digne enfin du pays qui a produit autrefois Calvin, Cappel, Bochart, Samuel Petit, André Rivet, Jacques Basnage et tant d'autres !
Bayards, 1876.
H. De Rougemont.
◊ INTRODUCTION
◊ § 1. Coup d'œil général
Préciser le but que se propose la Théologie de l'A. T. ; dire en quoi elle se distingue des disciplines qu'on pourrait le plus aisément confondre avec elle, comme l'Introduction à l'A. T., l'Archéologie sacrée ou l'Histoire des Israélites ; déterminer la place qu'il convient d'assigner à l'ancienne alliance par rapport à la nouvelle ; puis passer en revue la littérature de la Théologie de l'A. T., et enfin parler de la méthode et de l'ordre que nous suivrons dans notre travail ; tel est le programme de cette introduction.
◊
I. Idée de la Théologie de l'A. T.
◊ § 2. Elle ne doit pas se borner à exposer le contenu didactique de l'A. T.
L'idéal que nous nous proposons est de faire assister nos lecteurs au développement historique de la religion renfermée dans les livres canoniques de l'A. T. Tandis que la Dogmatique cherche à exposer systématiquement les vérités révélées dans la Bible, la Théologie biblique suit la révélation dans son développement progressif et l'étudie sous les formes diverses qu'elle a successivement revêtues ; elle s'efforce de signaler les phases par lesquelles a passé la révélation de l'ancienne alliance avant d'arriver à son accomplissement en Christ, les formes diverses qu'ont affectées, avant l'apparition du Seigneur, les rapports de l'homme avec Dieu. Or la révélation de l'ancienne alliance n'a pas consisté en discours seulement, en doctrines ou en prophéties, — mais aussi en faits et en institutions. Elle a développé chez les Israélites toute une vie à part ; elle a produit chez eux une connaissance religieuse qui augmentait à mesure qu'il plaisait à Dieu de se manifester plus complètement. C'est pourquoi la Théologie de l'A. T. ne peut pas s'en tenir à l'étude des enseignements didactiques que renferme l'A. T. ; il faut absolument qu'elle s'occupe aussi de l'histoire du Royaume de Dieu pendant l'ancienne alliance, qu'elle expose tout ce qui a été révélé à Israël de tant de manières diverses et pendant une si longue série de siècles.
Ce n'est pas ainsi que l'on comprend ordinairement notre discipline. Le plus souvent on veut qu'elle se borne à exposer le contenu didactique de l'A. T. Soit ! mais les vérités que l'A. T. révèle sous une forme purement didactique sont bien peu nombreuses ; pourquoi se condamner à quelque chose d'aussi fragmentaire que ce qui résulterait d'une étude de la Bible dont on exclurait l'histoire et les institutions théocratiques ? Steudel qui, dans son Cours sur la Théologie de l'A. T., 1840, s'en tient à la dogmatique de l'ancienne alliance, a fait pourtant un aveu significatif : « On se ferait, dit-il, une idée bien imparfaite de la révélation de l'ancienne alliance, si on ne la considérait que dans sa partie doctrinale. Ce sont des faits, et des faits très concrets, qui ont peut-être le plus contribué à former le sentiment religieux des Israélites. Ce n'est pas la conscience qui a amené les événements ; ce sont les événements qui ont développé la conscience du peuple de Dieu, et il y a tel fait dont l'importance religieuse ne se trouve indiquée dans la Bible que bien des siècles après le moment où il a eu lieu, et où il a commencé à exercer sa bienfaisante influence sur les esprits et sur les cœurs. » Après avoir ainsi parlé, Steudel pense assez faire en traitant de l'histoire de la révélation dans l'introduction de son ouvrage. Mais cela ne suffit pas : on ne peut de cette façon mettre convenablement en lumière le rapport intime que soutiennent ensemble les vérités révélées et l'histoire, ni signaler d'une manière satisfaisante le parallélisme qu'il y a entre le développement des connaissances religieuses des Israélites et le développement de leurs destinées historiques. C'est pour cela que nous donnerons à l'histoire du règne de Dieu dans l'ancienne alliance droit de cité dans le corps même de notre étude.
On a critiqué le nom de « Théologie de l'A. T. » On a dit qu'il est trop vague et qu'on aurait le droit de faire rentrer dans un cours ainsi intitulé toutes les branches de la Théologie qui se rapportent à l'A. T., comme par exemple l'Introduction, l'Herméneutique, etc. Cela est vrai. Mais ce nom vaut mieux pourtant que celui de Dogmatique ou même d'Histoire des dogmes de l'A. T., qu'ont adoptés De Wette et Rosenkranz. On ne trouve dans l'A. T. que peu de dogmes proprement dits. En dehors du Pentateuque, il est assez rare d'y rencontrer de ces grandes sentences, telles que par exemple Deut.6.4 : « l'Éternel notre Dieu est le seul Éternel, » — dont la place est toute marquée dans une confession de foi, et qui veulent absolument être crues. Les livres prophétiques et les hagiographes renferment des aperçus nouveaux ; on sent en les lisant que la connaissance religieuse s'est développée depuis Moïse ; mais, somme toute, peu de dogmes. L'A. T. annonce le Messie ; il parle de son règne éternel, de la résurrection des morts, etc. ; mais ce ne seront là des articles de foi que plus tard, dans l'économie des accomplissements ; jusqu'alors ce seront des objets d'espérance plutôt que de foi. Encore moins pourrait-on tirer des dogmes de ces portions de l'A. T., telles que certains Psaumes et le livre de Job, où l'on voit la conscience israélite chercher vainement la solution du grand problème de la vie. Il faut en prendre son parti, et laisser à ce qui est imparfait et infirme dans l'A. T., son caractère d'infirmité et d'imperfection. On y trouve des croyances en germe, des aspirations ; il faut savoir s'en contenter, tout en reconnaissant que la révélation préparatoire a le grand mérite d'annoncer clairement une révélation plus complète.
Toute autre, cela se comprend, est la valeur de l'A. T. aux yeux du Judaïsme postérieur. Moïse Maïmonides, par exemple, y voit un tout complet, auquel il ne manque absolument rien. L'A. T. est pour lui ce qu'est le Coran pour tout bon Mahométan. — On nous saura peut-être gré de citer ici les treize articles fondamentaux dans lesquels il résume tout l'A. T :
C'est Dieu qui a tout créé.
Il n'y a qu'un seul Dieu.
Il est esprit, il n'a pas de corps.
Il est éternel.
Il est digne de toute adoration.
Il a envoyé des prophètes aux hommes.
Moïse est le plus grand de tous ces prophètes.
La loi a été donnée par révélation céleste.
Cette loi ne sera jamais abrogée (Lex perpetua).
Dieu possède la toute-science. Il sait en particulier tout ce que font les hommes.
Il rendra à chacun selon ses œuvres.
Il viendra un Messie.
Il y aura une résurrection des morts.
Cependant une chose remarquable, c'est que la Théologie judaïque s'est toujours efforcée de faire remonter jusqu'au Pentateuque, de peur qu'elles ne manquassent d'autorité, les grandes doctrines du Messie et de la résurrection, qui cependant sont presqu'exclusivement le produit de la prophétie.
◊ § 3. En quoi elle se distingue de l'Introduction à l'A. T. de l'Archéologie et de l'Histoire des Israélites.
1o L'Introduction à l'A. T., qui s'occupe de la composition des livres sacrés de l'ancienne alliance, est tout autre chose que la Théologie de l'A. T. ; mais elle en a besoin, elle doit tenir compte des résultats obtenus par elle, comme celle-ci à son tour peut recevoir de l'Introduction de précieux renseignements.
On se plaît souvent à mettre la Théologie de l'A. T. dans une position de complète dépendance vis-à-vis de l'Introduction. Il semble vraiment qu'elle ne puisse absolument rien faire à elle seule. C'est la manière de voir de Rothe. Avant de songer à extraire de la Bible les vérités qui y sont révélées, il faut, dit-il, commencer par en soumettre les différents livres à une étude critique pour voir quels sont ceux sur lesquels on peut compter ; il faut d'abord se mettre au clair sur la question d'authenticité. — Fort bien ! Seulement il est regrettable que bien souvent on se laisse influencer dans cette étude critique par des idées préconçues. Ces livres dont on prétend étudier en toute impartialité l'origine, on n'est pas sans les connaître déjà plus ou moins bien. On se fait de la Révélation une idée qui n'est point celle qu'elle donnerait d'elle-même, si l'on daignait la consulter sur sa propre nature. On attribue à l'histoire sainte des facteurs qu'elle répudie. Il est aisé de comprendre que de cette manière on arrive sur la date de la composition de tel ou tel livre, à des résultats tout autres que ceux qu'on obtiendrait si l'on interrogeait la Bible sans préoccupations dogmatiques. Tout ce que Rothe demande de celui qui se livre à l'étude critique de la Bible, c'est qu'il considère la Révélation, abstraction faite de la Bible, comme un fait réel. Il estime que, lorsqu'on est arrivé par la lecture de l'Écriture sainte à avoir une impression profonde de la majesté du grand événement qui s'appelle la Révélation, on peut sans inquiétude soumettre la Bible à la critique la plus sévère ; on ne se départira jamais, à l'égard du volume sacré, du respect qu'il mérite. — Rothe a raison. La Révélation est un fait réel, abstraction faite de la Bible. La Bible n'est pas la Révélation elle-même, elle en est le document. Mais si c'est grâce à la Bible qu'on a de la Révélation cette impression unique de grandeur, ne ferait-on pas mieux, plutôt que de se mettre à la critiquer, de se livrer tout simplement à elle ? Lorsqu'on a acquis la conviction personnelle que l'Écriture sainte contient la vérité sur le plan du salut, — alors on peut témoigner un certain respect aux traditions humaines relatives à la Bible, que ces traditions proviennent de la synagogue, de l'antiquité chrétienne, ou de l'ancienne Théologie protestante, — mais on ne s'y livre pas pieds et poings liés. Eh bien ! l'on se défiera davantage encore d'une critique qui, par toute son allure, montre qu'elle ne croit pas à l'inspiration du livre du salut ; car on sait à quoi s'en tenir sur son compte, on sait qu'elle n'est pas dans le vrai, parce qu'elle est incapable d'expliquer le rôle que ce livre a joué dans l'Église ; on se pose une question bien simple : on se demande ce que serait une Bible qui aurait été produite par les facteurs que fait entrer en jeu la critique que nous combattons ? Ce ne serait certainement pas celle que nous possédons, celle qui fait passer sous nos yeux comme un cortège magnifique tout le grandiose enchaînement des révélations accordées à l'homme depuis la Genèse jusqu'à l'Apocalypse, — celle qui depuis deux mille ans exerce sur les cœurs l'empire que nous savons.
On peut signaler un parallélisme parfait entre le développement de la Révélation et celui de la Littérature sacrée. Plus il y a de révélations, plus il y a de livres qui se composent. — Mais, a-t-on dit, Moïse vivait dans un temps trop reculé pour qu'il ait pu écrire tout ce qu'on lui attribue. H. Schultz, dont la Théologie de l'A. T. renferme cependant tant de bonnes choses, n'a pas craint de reproduire cette objection. Comme si les antiquités égyptiennes n'étaient pas là pour nous montrer que l'écriture était chose fort ordinaire en Egypte quinze siècles avant J.-C. !
Nous aurons à plus d'une reprise l'occasion de constater un progrès, une différence de niveau, dans la connaissance religieuse que dénotent les divers livres de l'A. T. Cela peut servir à déterminer l'époque de la composition de plus d'un livre. Comment, par exemple, si l'on part de l'idée que le Pentateuque date des derniers siècles de l'ancienne alliance, parviendra-t-on à exposer d'une manière satisfaisante le développement de la doctrine de Dieu, des perfections divines, des anges ou de l'état de l'homme après la mort ? Nous verrons que, pour la plupart des doctrines, les livres de Moïse sont évidemment la base sur laquelle sont venus bâtir plus tard les prophètes et les hagiographes. Voilà ce que la critique de l'A. T. oublie très souvent. Et pourtant il y a là de quoi prouver, non pas que le Pentateuque dans sa forme actuelle soit de Moïse, mais qu'il est le frère aîné des livres prophétiques.
2o Quant à l'archéologie, il est évident que, si l'on y fait rentrer, avec Hupfeld, l'étude de la géographie, de l'histoire, des mœurs et des coutumes domestiques, sociales et religieuses de tous les peuples dont il est parlé dans la Bible, elle n'aura pas grand'chose de commun avec la Théologie de l'A. T. Si, au contraire, avec de Wette et Keil, on pense que l'archéologie sacrée doit s'en tenir à l'étude de l'état social des Israélites en tant que peuple de Dieu, — alors elle se trouve avoir de nombreux points de contact avec notre étude, car chez ce peuple consacré à Dieu la religion présidait à tous les actes quelque peu importants de la vie sociale et domestique. Cependant, même lorsqu'elles étudieront les mêmes matières, ces deux disciplines conserveront toujours leur point de vue particulier. Pour ce qui est du culte, par exemple, la Théologie de l'A. T. le présentera comme un moyen de communion entre Dieu et le peuple, elle en fera la symbolique, et elle en laissera à l'archéologie le côté purement technique.
3o Il en est à peu près de même des rapports de la Théologie de l'A. T. avec l'Histoire des Israélites. La Théologie de l'A. T., avons-nous dit, doit aussi s'occuper des événements qui forment la base historique de la religion de l'ancienne alliance, comme la sortie d'Egypte ou le don de la loi à Sinaï ; grands faits dont l'A. T. ne peut pas plus se passer que le Nouveau ne le peut faire de la mort ou de la résurrection de Jésus-Christ. Mais elle cherchera à considérer ces événements sous le même jour que le faisaient les hommes de Dieu qui les voyaient se passer sous leurs yeux. Ayant pour tâche de donner une juste idée de ce que les hommes de foi ont cru avant Jésus-Christ, de ce qui a fait leur force pendant leur vie et en face de la mort, elle s'efforcera d'étudier l'histoire au point de vue de la foi, sans se laisser influencer par les idées préconçues avec lesquelles la plupart des historiens entreprennent aujourd'hui leurs travaux.
Il y aura toujours un abîme entre les théologiens, auxquels je déclare me rattacher, qui laissent subsister comme des faits réels ce que la Bible nous présente comme tels, qui par conséquent sont convaincus que ce que les hommes de Dieu croyaient, avait commencé par avoir lieu, — et ceux qui ne voient dans les croyances des Israélites qu'un effet de leur imagination, des légendes n'ayant tout au plus pour fondement historique que des événements assez mesquins, qu'il incombe à la critique de réduire à leurs vraies dimensions. Lorsque, pour comprendre l'A. T., on refuse de se servir de la clef qu'il nous offre lui-même, à quoi aboutit-on ? Comme on ne peut expliquer les destinées du peuple d'Israël, on se contente d'y voir un insoluble problème. Rosenkranz raconte, dans sa biographie de Hegel, que l'histoire juive a toujours été une écharde dans l'esprit du grand philosophe. Elle était pour lui un objet de répulsion, et pourtant elle le préoccupait sans cesse.
Il faut reconnaître aussi que beaucoup de ceux qui ne contestent point le caractère historique de la Révélation, pourraient être plus conséquents qu'ils ne le sont. On accorde bien que la religion judaïque repose sur des faits, mais sur lesquels ? Voilà où l'on aime assez à rester dans le vague. Nulle critique n'a cependant réussi à réfuter ces belles paroles de Herder dans sa 12me lettre sur l'étude de la Théologie : « Une histoire comme celle de l'A. T. ne s'invente pas. Un peule comme le peuple Juif n'est pas une fiction ; ses destinées sont le drame le plus grandiose qu'on puisse imaginer, — un drame dont le dénouement ne peut probablement pas se séparer de celui de l'histoire de l'humanité elle-même. » Nous n'avons ici qu'un mot à changer. Rom.11.25 et sq. nous permet de dire certainement au lieu de probablement.
◊ § 4. La Théologie de l'A. T. et les apocryphes.
On sait que la traduction des Septante renferme un certain nombre de livres qui ne se trouvent pas dans l'A. T. hébreu, et qui sont d'une origine postérieure. L'Église des premiers siècles s'est occupée de la question de savoir quel cas il convenait d'en faire, quelle position il fallait leur assigner vis-à-vis des livres contenus dans le recueil hébreu, et elle a décidé qu'ils pouvaient être lus dans les assemblées du culte. Le concile de Trente leur a accordé le caractère de canonicité, et une Théologie de l'A. T. faite par un catholique doit tenir compte de leur contenu. Le Protestantisme, adoptant une expression de Jérôme, qui n'est pas des meilleures, les a nommés Apocryphes (mis de côté) et les a exclus du canon. Il est ainsi revenu au sentiment de la synagogue palestinienne, tel qu'il s'était définitivement fixé à la fin du premier siècle de notre ère dans le sanhédrin de Jamnia. On a dit que ce sanhédrin s'était placé à un point de vue purement littéraire, et qu'il avait indistinctement fait entrer dans le canon tout ce qui existait alors en fait de livres hébreux. S'il en était ainsi, le livre de l'Ecclésiastique, par exemple, qui existait depuis longtemps, aurait évidemment dû être admis dans le canon. Il s'agissait bien plutôt, dans la fixation du canon, comme le pense Josèphe, de mettre à part les livres inspirés, δικαίως θεῖα πεπιστευμένα βιβλία.
Aujourd'hui il est de mode, même chez les théologiens protestants, d'effacer autant que possible toute distinction entre les livres canoniques et les livres apocryphes. Mais pourquoi tenir si peu de compte de l'opinion du Nouveau Testament à cet égard ?
1o Le Nouveau Testament rattache directement Jean-Baptiste à Malachie et passe les apocryphes sous un silence qui a évidemment quelque chose de significatif (Matth.11.13).
2o Le Nouveau Testament ne cite jamais que des livres canoniques. On a voulu trouver dans l'épître de Jacques des citations de l'Ecclésiastique et de la Sapience, mais Stier lui-même a dû reconnaître que ce ne sont là tout au plus que des allusions.
3o Jésus parle aux disciples d'Emmaüs de la loi de Moïse, des prophètes et des Psaumes ; ce sont là tous les livres qui ont écrit de lui (Luc.24.44). — Or l'Ancien Testament hébreu, par opposition à la version des Septante, se divisait en trois parties : La loi ou le Pentateuque ; les Prophètes, qui se subdivisaient à leur tour en prophètes antérieurs, comprenant les livres historiques depuis Josué jusqu'aux Rois, et en prophètes postérieurs, à savoir les 3 premiers grands prophètes et les 12 petits ; et enfin les Hagiographes (Psaumes, Proverbes, Job, Cantique des Cantiques, Ecclésiaste, Esther, Daniel, Esdras, Néhémie, Chronique). Il n'y a donc pas de doute possible sur la manière de voir de notre Seigneur et des apôtres à l'égard du canon de l'A. T.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que les livres canoniques seuls sont un pur produit de l'Esprit qui a été le principe de vie de l'ancienne alliance. L'histoire de la Révélation s'y trouve tout entière et ne se trouve que là. Nous laisserons donc de côté les Apocryphes.
Quelques réflexions à l'appui de ce qui précède.
Que si l'on compare les livres de Moïse et les prophètes avec les apocryphes, on doit reconnaître qu'il convient d'établir une différence spécifique entre cette loi, qui revendique continuellement une autorité divine, ces prophètes qui ont conscience d'être des organes de l'esprit de Dieu, — et des ordonnances humaines qui viennent s'ajouter à la loi sans prétendre à une origine divine. Graf, dans son étude sur les livres historiques de l'A. T., prétend que plusieurs des ordonnances du Deutéronome sont plus anciennes que les lois de l'Exode ou du Lévitique, d'où il résulterait que le Pentateuque ne devrait sa forme actuelle qu'à un contemporain d'Esdras qui l'aurait profondément retravaillé. — Mais c'est un fait acquis par l'histoire que, dès après l'exil, le Pentateuque était un recueil auquel personne n'aurait osé toucher. Et c'est précisément ce respect qu'on avait pour le Pentateuque, qui a engagé les docteurs Juifs à le comparer à Sinaï, et à donner le nom de barrière, סיג (seyag) aux ordonnances qu'ils y ajoutaient, et que notre Seigneur regarde d'un tout autre œil que la loi elle-même.
On pourrait plutôt être tenté de contester qu'il y ait une différence réelle entre les Hagiographies et les Apocryphes. Quelques-uns des Hagiographes ne sont-ils pas contemporains des Apocryphes, et n'ont-ils pas été composés après le moment où la prophétie a été réduite au silence ? — Oui, mais même chez les meilleurs d'entre les livres apocryphes on ne peut méconnaître une déchéance considérable de l'Esprit de l'ancienne alliance et un mélange fort compromettant d'éléments profanes et de points de vue étrangers. Prenez, par exemple, le livre tant vanté de Jésus, fils de Sirach, l'Ecclésiastique. Ne voyez-vous pas, pour ne relever qu'un point, combien y est exagérée et matérialisée l'idée de la rémunération ? C'est là de l'eudémonisme tout pur, et un eudémonisme grossier, qui ne tient aucun compte des passages de l'A. T. où cette doctrine est sagement spiritualisée et pour ainsi dire tenue en bride. Parcourons encore la Sapience, le meilleur des Apocryphes. Vous y remarquerez le plus curieux mélange de la philosophie grecque et d'idées provenant de l'A. T. Ce syncrétisme, du reste, est un trait caractéristique de la Théologie judaïque postérieure à l'A. T. En revanche, dans les livres canoniques, la religion révélée a assez de force pour dompter et transformer les éléments étrangers, si elle en trouve qui lui paraissent valoir la peine qu'elle se les assimile. En disant ceci, je pense particulièrement aux antiques traditions qui avaient cours sur la création, aux cérémonies religieuses que Moïse a trouvées établies déjà chez différents peuples, et aux aperçus nouveaux que les livres postérieurs, composés hors de la Palestine, renferment sur la nature des anges ou de Satan.
En tous cas, si nous nous laissions aller dans notre étude à entrer dans le domaine des Apocryphes, nous ne saurions plus où nous arrêter. Par la Sapience nous serions conduits insensiblement à nous occuper de la philosophie alexandrine. Puis, il faudrait consacrer un chapitre, qui du reste ne serait pas le moins intéressant, à l'apocalyptique du livre d'Hénoch, du quatrième livre d'Esdras, du Psautier de Salomon ; après quoi il faudrait encore dire un mot des divers partis religieux qui existaient chez les Juifs, et des fragments de la vieille théologie rabbinique qui nous ont été transmis dans le Targoum. C'est ce qu'ont fait de Wette et Cœlln. Mais pourquoi surcharger la Théologie de l'A. T. d'un appendice aussi considérable ? Pourquoi ne pas faire de ces diverses matières l'objet d'une étude à part ?
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II. Quelle place il convient d'assigner à l'Ancienne alliance dans l'histoire de la Révélation.
◊ § 5. De quelle manière un théologien chrétien doit-il envisager la religion de l'Ancienne alliance ?
Le nom de Théologie de l'A. T. est significatif. Qui dit testament, dit alliance, et qui dit alliance suppose deux parties contractantes. Et ici l'une d'elles est Dieu lui-même. Ce n'est pas une religion humaine, la religion juive, que nous allons étudier, mais bien une révélation. Cette révélation repose d'une part sur des principes diamétralement opposés à ceux des religions païennes ; de l'autre, elle prépare la Révélation de la nouvelle alliance.
A l'heure qu'il est, ce n'est point ainsi qu'on envisage généralement l'A. T. L'opinion dominante depuis Ewald, c'est que les Juifs, en vertu de certaines dispositions naturelles propres à la race sémitique, ont été plus heureux que les autres nations de l'antiquité dans leur recherche de la vérité. Les Grecs ont été le peuple des beaux-arts et de la philosophie, les Romains celui du droit, les Juifs celui de la religion ; c'est chez eux que la pensée religieuse a pris son plus puissant essor. — Précédemment le rationalisme se plaisait à rabaisser autant que possible l'A. T. ; c'était un livre bien trivial, mais quoi ! les Juifs n'avaient pas pu faire mieux. Aujourd'hui on rend pleine justice à la profondeur de pensée et à la haute moralité de l'A. T., on y constate même la présence plus ou moins claire des vérités éternelles que le Christianisme a pleinement mises en lumière. — Mais quelques précieux renseignements de détail que les théologiens de cette tendance aient fournis à la science, jamais sur cette voie l'on ne parviendra à comprendre l'A. T. Comment donc ? Israël, grâce à son génie religieux, produit lui-même tout naturellement la religion de l'A. T. Et voilà que, quand nous ouvrons la Bible, à chaque page nous y trouvons l'opposition la plus directe entre ce peuple et sa religion ! Dès le commencement de son histoire, Israël cherche toute autre chose que le Dieu de l'A. T. ! « Tu m'as fatigué par tes péchés et tu m'as travaillé par tes iniquités. » (Esaïe.43.24) « Passez par les îles de Kittim et voyez ; envoyez en Kédar et considérez bien, et regardez s'il y est rien arrivé de pareil. Y a-t-il aucune nation qui ait changé ses dieux, lesquels toutefois ne sont pas dieux ? Mais mon peuple a changé sa gloire en ce qui ne profite de rien ! » (Jérémie.2.10-11) Voilà le résumé des expériences que l'Éternel a faites dans la pénible éducation de son peuple ; voilà la vérité sur les dispositions religieuses des Israélites ! — Les faux dieux sont des produits de l'esprit naturel des peuples païens, et c'est pourquoi ces derniers restent fidèles à leurs dieux aussi longtemps que le principe du paganisme a la force d'exercer quelque empire sur les esprits. Mais si l'on admet qu'il en est de même du Dieu des Juifs, on se met dans l'incapacité de comprendre l'A. T., qui nous montre continuellement Israël se faisant violence pour s'élever à la hauteur de la religion qui lui est donnée, et s'efforçant de s'en affranchir pour servir les dieux des peuples qui l'entourent.
◊ § 6. Idée de la Révélation. Révélation générale. Révélation spéciale.
Pour comprendre la Révélation, il faut remonter à la notion de la création. La Révélation n'est que le développement de la relation dans laquelle Dieu est entré avec le monde en le créant. Dieu appelle le monde à l'existence par sa parole. Il lui donne la vie par son esprit : dans la création apparaissent donc déjà la parole et l'esprit, les deux grands principes de la révélation. Dieu crée successivement diverses classes d'êtres, et il ne s'arrête qu'après qu'il peut reconnaître son image dans l'homme qu'il vient de former : voilà le fondement de la révélation, car la révélation, d'une manière générale, n'est autre chose que Dieu donnant au monde des témoignages de soi, et même se communiquant au monde, pour le faire parvenir au but auquel il est destiné et qu'il n'atteindra que lorsque l'homme sera entré dans une communion parfaite avec son Dieu.
Le lien qui unissait primitivement l'homme à son créateur ayant été rompu par le péché, Dieu aurait pu se taire. Il ne le fait pas ; il parle par la nature et par l'histoire à la conscience d'un chacun ; il parle de sa puissance, de sa bonté, de sa justice ; il pousse ainsi chaque cœur à le chercher. L'A. T. fait souvent mention de ce témoignage, dont les Païens eux-mêmes ne sont pas privés. (Actes.14.17) Voyez Esa.40.21-26 ; Jér.10.1-24 ; Psa.19.2 ; 94.8-10. Ces passages ne sont rien autre que le développement de ce qu'on appelle la preuve téléologique et la preuve morale de l'existence de Dieu. « N'aurez-vous jamais de connaissance ? N'écouterez-vous jamais ? Ne vous a-t-il pas été annoncé dès le commencement ? N'avez-vous pas compris comment la terre a été fondée ? C'est lui qui est assis au-dessus du globe de la terre, qui étend les cieux comme un pavillon, qui réduit les potentats à rien et qui anéantit les gouverneurs de la terre. — Elevez vos yeux en haut vers les étoiles et regardez. Qui a créé ces choses ? (Esaïe.40.21-26) Dans Jérémie ch. 10, c'est la notion du gouvernement de l'univers par l'Éternel qui est mise en relief. On connaît le Psaume 19 : Le Dieu qui a créé le soleil est un Dieu glorieux et un Dieu d'ordre. Quant au Psaume 94, voici le raisonnement qu'y fait le Psalmiste : « Celui qui a planté l'oreille, n'entendra-t-il point ? Celui qui a formé l'œil, ne verra-t-il point ? » c'est-à-dire le créateur des sens doit avoir des sens correspondants à ceux qu'il a donnés aux hommes. Il doit être un Dieu vivant qui sait tout, qui voit tout, qui exauce les prières. « Celui qui châtie les nations, ne reprendra-t-il point, lui qui enseigne la science aux hommes ? » C'est-à-dire : Celui qui a doué les hommes d'une conscience et d'un entendement, ne donnerait-il pas dans la manière dont il conduit les peuples, des preuves réelles de sa justice ?
Cette révélation générale se compose de témoignages extérieurs et de témoignages intérieurs, qui viennent se corroborer mutuellement. Un fait, une épreuve, un bienfait réveillent la conscience ; la conscience perçoit la signification de ces divers faits. Lisez Actes.17.27-28, et rapprochez le verset 28 du 27. C'est parce que nous sommes de race divine, et que nous avons une conscience, que nous pouvons connaître Dieu et comprendre le langage qu'il nous parle.
Cependant cette révélation générale ne suffit pas à rétablir entre Dieu et l'homme une communion telle que celle qui devrait exister entre le créateur et la créature formée à son image. L'homme naturel a beau chercher ; Dieu reste pour lui un Dieu caché (Esaïe.45.15 ; Jérémie.23.18 ; Jean.1.18) La connaissance de la puissance éternelle et de la divinité du créateur (Rom.1.20) ne conduit pas nécessairement à celle du Dieu vivant et véritable. On peut en sa conscience se sentir dans une complète dépendance de ce Dieu, sans pour cela avoir avec lui une communion personnelle. Il y a plus : la conscience elle-même est la première à apprendre à l'homme qu'il y a une muraille de séparation qui s'élève entre son créateur et lui et qu'il n'ose pas l'appeler son Dieu. Au fond, les Gentils ont oublié Dieu (Psaume.9.18). Pour qu'il s'établisse entre l'homme et son auteur une communion effective, il faut absolument que Dieu condescende à donner de soi-même des témoignages personnels et à se montrer d'une manière objective. Ceci est quelque chose de nouveau, c'est la Révélation spéciale qui commence.
La Théologie du juste milieu considère tout autrement la Révélation. Elle en fait un phénomène psychologique ; elle cherche à la présenter comme quelque chose qui se passe uniquement, ou du moins le plus possible, dans l'esprit de l'homme. Etre inspiré, c'est tout simplement être bien pénétré de la pensée qu'on a en soi la vie divine. On ne nie pas absolument les faits objectifs ; on accorde qu'il y a eu dans l'histoire des Israélites des événements qui ont été accompagnés de certaines communications célestes. Mais, de peur de se rapprocher d'une manière trop compromettante de la sphère des miracles, on n'accorde point que Dieu se soit montré objectivement, personnellement, ainsi que le raconte la Bible ; on parle de ces Révélations en termes fort vagues. — Et pourtant, si la Révélation se résume à une communication du divin à l'humanité par le moyen de certains enthousiastes ; si elle n'a pour but que de donner à certains esprits d'élite la certitude intime qu'ils sont participants de la vie divine, — il n'y a plus de différence spécifique entre un prophète et un sage païen. Les païens avaient aussi parfois la certitude d'être participants de la vie divine. Pour qu'il y ait une communion personnelle entre Dieu et les hommes, une communion digne de l'homme, il faut une révélation objective, une manifestation personnelle de Dieu. « Me voici, me voici ! dit l'Éternel » (Esaïe.52.6 ; 65.1). C'est avec beaucoup de raison que Luther, dans son commentaire sur le Psaume 18, fait remarquer combien Dieu a toujours tenu à rattacher le souvenir de ses révélations à des objets extérieurs et à des lieux précis. « Par ces monuments et ces mémoriaux, dit-il, Dieu a voulu empêcher que la foi en sa personne ne dégénérât un jour en une religion purement humaine, ou plutôt en une pure idolâtrie. » En un mot la Révélation de Dieu doit être la Révélation d'un Dieu personnel, et non pas seulement de la divinité. En bon éducateur, Dieu commence par se faire connaître objectivement à l'humanité encore dans son enfance ; plus tard seulement il voudra des adorateurs qui l'adorent en esprit.
La Révélation spéciale commence au moment où Dieu fait alliance avec un peuple élu, au milieu duquel il établit son règne ; elle atteint son point culminant dans l'incarnation du Fils de Dieu ; à partir de là elle travaille à la formation d'une sainte assemblée consacrée à son Sauveur et composée de représentants de toutes nations et de toutes langues, et elle atteindra son but lors de la création des nouveaux cieux et d'une terre nouvelle, où Dieu sera tout en tous (Esaïe.65.17 ; 66.22, Apoc.21.1 ; 1Cor.15.28).
La Révélation générale sert toujours de base à la Révélation spéciale, et celle-ci à son tour est le couronnement de la première. De même que dans la nature chaque règne a ses lois particulières et que néanmoins tous les règnes sont intimement unis entre eux, les inférieurs servant de base aux supérieurs, et les supérieurs de couronnement aux inférieurs, de même les deux genres de révélation s'harmonisent parfaitement ; ce qui du reste n'est point surprenant, puisqu'elles ont toutes deux la Parole pour médiateur. Le supranaturalisme établissait autrefois une opposition directe entre la Révélation naturelle et la Révélation spéciale, laquelle arrivait dans l'histoire sans qu'on sût bien à quel propos. Telle n'est point la manière de voir de la Bible.
◊ § 7. La Révélation a son histoire. Elle s'est développée progressivement. Elle concerne l'homme tout entier. Son caractère surnaturel.
Dieu, même en se révélant de la manière la plus personnelle, ne laisse pas de tenir compte des lois qui président au développement des choses du monde. Tout ici bas est soumis à la loi du progrès, ce qui suppose un point de départ imparfait. La révélation ne sera donc pas complète dès le premier jour ; elle connaîtra le temps des petits commencements ; elle sera d'abord limitée, imparfaite ; elle se restreindra à un seul peuple et s'y particularisera. Puis, sans entraver aucunement le développement naturel de l'humanité, sans faire violence à personne, elle travaillera pendant des siècles à préparer les hommes à recevoir le salut quand il apparaîtra. Il apparaît en Jésus. Depuis ce moment, il s'agit, pour l'humanité, de s'approprier la plénitude de grâce divine dont Christ est le porteur. C'est ce qui a lieu de nouveau par degrés et progressivement.
Et comme la Révélation a pour but de rétablir une communion parfaite entre Dieu et l'homme, elle s'adresse à la nature humaine sous toutes ses faces. Elle n'agit pas exclusivement, ni même d'une manière prédominante, sur l'intelligence de l'homme. C'est à rapprocher l'homme de Dieu, et non seulement à faire connaître Dieu à l'homme, que travaille la Révélation ; elle y travaille en parlant, en agissant, en produisant des effets objectifs sur le monde extérieur, en fondant un ordre social, en illuminant le cœur de l'homme, en communiquant l'Esprit de Dieu, en produisant une vie nouvelle ; mais la parole révélatrice et l'histoire vont toujours de pair ; toute intervention divine est annoncée à l'avance, et commentée ensuite par les prophètes. « Le Seigneur l'Éternel ne fera rien qu'il n'ait révélé son secret aux prophètes ses serviteurs. Le Seigneur l'Éternel a parlé, qui ne prophétisera ? » (Amos.3.7-8).
La notion de révélation que nous venons de développer, diffère sur deux points de celle qui était généralement reçue dans l'ancienne Théologie protestante. A ses yeux la Révélation n'était presque exclusivement qu'une doctrine, destinée à éclairer les hommes. On allait jusqu'à dire que les lumières que la Révélation communiquait à l'humanité, l'humanité les aurait peut-être acquises un jour par sa propre raison, seulement moins parfaites. — Mais s'il ne s'était agi que de cela, pourquoi donc Dieu n'aurait-il pas envoyé tout simplement du ciel un catéchisme, un recueil de doctrines, ce qui nous transporterait en plein Islamisme et ferait de la Bible un Coran ? Pourquoi tout ce déploiement historique, s'il ne s'agit que d'apporter au monde telle ou telle connaissance nouvelle ? Tout cet appareil ne doit-il donc servir absolument qu'à confirmer les vérités révélées ? — En second lieu, l'ancienne Théologie protestante méconnaissait complètement le caractère progressif de la Révélation. A ses yeux, nulle différence entre l'A. T. et le N. T. ; les dogmes chrétiens, comme par exemple la Trinité, se trouvent renfermés à titre égal dans les deux tomes de la Bible.
Mais, pour revenir à la première erreur de l'ancien supranaturalisme, il est clair que la Révélation doit aussi agir sur l'intelligence de l'homme et augmenter la somme de ses connaissances ; mais tel n'est point son but exclusif, ni même son premier but. Il faut au sein d'une humanité pécheresse, créer des hommes de Dieu ; il faut fonder une Église qui soit porteuse de la vie divine. L'humanité doit être haussée jusqu'à devenir le Royaume de Dieu, le Tabernacle de Dieu avec les hommes (Apoc.21.3). Voilà ce dont il s'agit, et rien de moins ! Un but pareil, jamais la Révélation ne l'atteindra si elle se borne à éclairer l'homme. Nous voulons faire une Théologie de faits. Nous ne tomberons pas dans un autre extrême en disant avec Hoffmann, dans son livre sur la Prophétie et son accomplissement, ou avec Ad. Köhler, dans les Etudes et critiques de Ullmann, 1852, que la Révélation ne consiste absolument qu'en des faits, et que c'est uniquement en réfléchissant sur ces faits que les hommes ont acquis leurs connaissances religieuses. Non ! nous le répétons : il y a réciprocité continuelle de bons offices entre les faits et les révélations orales. Par exemple le déluge est annoncé à l'avance, — une parole prophétique précède ce grand jugement de Dieu ; puis le déluge vient donner raison à l'Éternel et à Noé, et Dieu ne tarde pas à le prendre pour texte de nouvelles exhortations.
Si l'on demande à quoi l'on peut distinguer la Révélation d'avec les pensées qui surgissent d'elles-mêmes dans l'esprit de l'homme, je répondrai :
à la continuité des faits qui accompagnent la Révélation et qui font de l'histoire sacrée l'organisme le mieux agencé qu'on puisse imaginer ;
aux miracles, qui montrent que Dieu est agissant dans cette histoire ;
à l'action particulière que l'Esprit de Dieu exerçait sur les prophètes, action qui était si précise qu'ils se savaient inspirés ;
enfin aux expériences intimes que font tous ceux qui croient, à la joie qui remplit leur cœur quand ils sont entrés dans les vues de Dieu à leur égard.
Il est vrai que le sentiment du salut ne se change en une assurance du salut que lorsque, avec la nouvelle alliance, un nouvel homme est là pour dire ce dont il est redevable à la Parole de Dieu, et ce qu'il doit à ses propres forces et à ses propres lumières. Mais il y a dans l'A. T. déjà des paroles qui montrent que les vrais Israélites ont fait des expériences qu'ils ne peuvent oublier : « Où y a-t-il un Dieu comme toi ? » (Exode.15.11). « Quelle est la nation qui ait des lois aussi justes que celles-ci ? » (Deutér.4.8 ; Psa.147.19-20).
◊ § 8. L'A. T. et le N. T. comparés avec le Paganisme et l'un avec l'autre.
La Révélation se compose de deux grandes parties, l'Ancien et le Nouveau Testament, la préparation et l'accomplissement. Mais ces deux parties sont intimement unies ; elles ne forment qu'une seule grande économie du salut, qui diffère complètement de toutes les religions païennes. St Paul dit que les Païens avant Jésus-Christ étaient séparés de la République d'Israël, étrangers par rapport aux alliances et aux promesses. Israël a de l'espérance, les Gentils en sont privés ; Israël possède le vrai Dieu, les Gentils sont sans Dieu dans le monde. — La loi et les prophètes trouvent leur accomplissement dans l'Évangile : les religions païennes, loin de s'y accomplir, s'y dissolvent, quand elles viennent à le rencontrer. Laissons au Paganisme le mérite d'avoir préparé le terrain à l'Évangile, non seulement négativement, en montrant à l'homme l'insuffisance des religions de son crû et en éveillant en lui le besoin du salut ; mais aussi d'une manière positive, en exerçant de mille manières ses forces intellectuelles et morales. — Mais reconnaissons qu'il lui manque bien des choses. Il lui manque toute cette série d'interventions divines qui, dans le Judaïsme, fraient la voie à Christ ; il lui manque jusqu'à la connaissance du projet que Dieu a formé de sauver le monde ; (Esaïe.41.22 ; 43.9 ; 44.7 et sq.) ; il ne peut pas même offrir un pied-à-terre à la colombe de l'arche. Ce n'est pas chez les Gentils que l'Évangile se développera d'abord. Car si la civilisation païenne peut être transformée par l'Évangile, elle n'est pourtant pas la condition sine qua non de l'influence salutaire du Christianisme (1Cor.1.18-30). Comme il lui manque le sentiment de la sainteté et par conséquent celui du péché, qui est encore toute autre chose que le sentiment de l'injuste, le Paganisme n'a précisément pas ce qui lui aurait été nécessaire pour que l'œuvre du salut eût pris naissance dans son sein.
Faisons le compte du Paganisme. Qu'avait-il à léguer aux races nouvelles lorsque son beau temps fut passé ? Quel était le capital acquis par ses oracles et ses devins ? Qu'était-il en état d'offrir à ses adeptes en fait de connaissances solides, de vraies consolations et de vivifiantes espérances ? Les devins ont parcouru la terre et sondé le ciel dans l'espoir d'y découvrir des signes de