La Maman et la Putain
La Maman et la Putain est un film français de Jean Eustache réalisé en 1973. Le film est considéré par de nombreux critiques comme un chef-d'œuvre[1] du cinéma.
Réalisation | Jean Eustache |
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Scénario | Jean Eustache |
Acteurs principaux | |
Pays de production | France |
Durée | 220 minutes |
Sortie | 1973 |
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.
Synopsis
Alexandre, une sorte d'intellectuel désœuvré, désargenté et vivant chez (et plus ou moins aux crochets de) Marie, sa maîtresse (qui travaille dans une boutique de mode), se lève un matin, emprunte la voiture de sa voisine et va retrouver son ancienne petite amie, Gilberte, lui offrant de l'épouser. Elle ne prend pas sa proposition au sérieux et le repousse. Plus tard, Alexandre retrouve un ami aux Deux Magots. En partant, il croise le regard d'une fille sur la terrasse et lui demande son numéro. Il rentre ensuite chez Marie.
Le lendemain, il rappelle la fille des Deux Magots, Veronika, une infirmière qui travaille dans un hôpital parisien. Il entame bientôt une liaison avec elle, parallèlement à celle qu'il a avec Marie et, tout naturellement, ne cache à aucune des deux ses liens avec l'autre. Un vague triangle amoureux s'ébauche alors, sans que cela pose vraiment problème à Alexandre. Les deux femmes l'aiment, s'apprécient et tolèrent un temps cette situation. Cependant, chacune au fond le veut pour elle seule, les rapports deviennent paroxystiques et il va bien falloir qu'Alexandre se décide pour l'une ou l'autre : la « maman » ou la « putain ».
Fiche technique
- Titre original : La Maman et la Putain
- Réalisation : Jean Eustache
- Assistants réalisateur : Luc Béraud, Rémy Duchemin
- Scénario : Jean Eustache
- Direction artistique :
- Costumes : Catherine Garnier
- Photographie : Pierre Lhomme
- Son : Jean-Pierre Ruh
- Montage : Jean Eustache
- Production : Pierre Cottrell
- Société(s) de production : Elite Films, Ciné Qua Non, Les Films du Losange, Simar Films, V.M. Productions.
- Société(s) de distribution :
- Budget : 700 000 francs[2],[3]
- Pays d’origine : France
- Langue : Français
- Format : Noir et blanc, 16 mm gonflé en 35 mm
- Genre :
- Durée : 220 minutes
- Dates de sortie :
- France : 1973
Distribution
- Jean-Pierre Léaud : Alexandre
- Bernadette Lafont : Marie
- Françoise Lebrun : Veronika
- Isabelle Weingarten : Gilberte
- Jacques Renard : l'ami d'Alexandre
- Jean-Noël Picq : l'amoureux d'Offenbach
- Jean-Claude Biette
- Pierre Cottrell
- Jean Douchet
- Douchka
- Geneviève Mnich : une amie de Veronika
- Bernard Eisenschitz
- Jean Eustache : l'homme dans le supermarché
- Caroline Loeb
- André Téchiné
- Noël Simsolo
- Berthe Granval
Tournage
Le film a été tourné entre le 21 mai et le 11 juillet 1972[4],[5],[6].
Jean-Pierre Léaud raconte que Jean Eustache était intraitable avec les acteurs et voulait absolument que le texte, particulièrement long et dense, soit connu au mot près et à la virgule près. L'exigence était d'autant plus grande qu'il n'y avait qu'une seule prise par plan[7].
Lieux du film
L'action du film se déroule entièrement à Paris :
- Les Deux Magots.
- Le café de Flore.
- Le café Le Saint-Claude[8].
- Le jardin du Luxembourg.
- L'appartement de l'ami, probablement dans l'immeuble du 8 au 26 rue du Commandant-René-Mouchotte
- La chambre d'infirmière. D'après le scénario, Veronika est infirmière à l'hôpital Laennec de Paris[9].
- Le restaurant Le Train bleu dans le hall de la gare de Lyon[10].
- Plusieurs scènes se déroulent aussi dans les rues de Paris.
Les scènes qui se déroulent dans l'appartement de Marie ont été tournées dans l'appartement de Catherine Garnier rue de Vaugirard et les scènes qui se déroulent dans la boutique de Marie ont été tournées dans la boutique de Catherine Garnier rue Vavin[11].
Musique
La musique est celle que les personnages écoutent dans le film[12] :
- L'ami d'Alexandre écoute Zarah Leander Ich weiss, es wird einmal ein Wunder gescheh'n[13] : « C'est la chanteuse que les Allemands ont essayé de lancer… Pour remplacer Marlène Dietrich après son départ. Et comme toutes les imitatrices, elle est bien meilleure que l'original. Elle ne traîne rien derrière elle[14]. »
- Quand il téléphone à Veronika, Alexandre écoute la chanson Un souvenir de Damia[13],[15].
- En faisant sa toilette, il écoute La Belle Hélène de Jacques Offenbach[13],[16]. Pick fait aussi référence à La Belle Hélène[17].
- Veronika a envie d'écouter un disque de Marlene Dietrich[18].
- Marie écoute Les Amants de Paris chanté par Édith Piaf (texte et musique de Léo Ferré)[13].
- Concerto for group and orchestra de Deep Purple[13].
- Falling in love again de Marlene Dietrich[13].
- La Chanson des Fortifs' de Fréhel[13].
- Le Requiem de Mozart[13].
- Tout simplement de Paul Delmet, chanté par Veronika.
Récompenses
- Grand prix au festival de Cannes 1973[19],[6]
- Prix de la Fédération de la presse cinématographique internationale[20]
Diffusion et audience
À sa sortie, le film a été vu par 343 000 spectateurs à sa sortie en salles en 1973[21],[note 1].
Le film a été diffusé à la télévision sur Antenne 2 en 1986 (Ciné-club), Canal+ le 12 mai 1997, sur Arte le 13 mars 2000 et le 29 juillet 2013 en hommage à Bernadette Lafont. Lors de cette dernière diffusion, l'audience est estimée à 478 000 spectateurs[22],[23],[24],[25].
Le film est disponible sur internet, les ayants droit acceptant cette circulation[26].
Analyse
Aspect autobiographique
Le film s'inspire directement de la vie réelle de Jean Eustache, de sa rupture avec Françoise Lebrun, de sa vie avec Catherine Garnier et de son amour pour Marinka Matuszewski[27].
Le personnage de l'ami serait fortement inspiré de Jean-Jacques Schuhl, qui était alors un ami de Jean Eustache[28].
Représentation de son époque
De nombreux critiques analysent La Maman et la Putain comme un film qui « représenterait son époque » ou qui « serait emblématique de son époque ». Le fils du cinéaste, Boris Eustache, récuse cette interprétation et souligne qu'à sa sortie en 1973, on a justement reproché au film de ne pas représenter son époque[29].
Références au cinéma
Dans le film, Alexandre propose à Marie d'aller au cinéma. Il prend le programme, lit à voix haute le synopsis de La classe ouvrière va au paradis d'Elio Petri et referme le programme furieux. Alexandre déclare alors : « Je préfère encore regarder la télévision. Au moins Bellemare et Guy Lux portent leur connerie sur leur figure. C'est plus franc[30]. »
Alexandre fait référence à Nicholas Ray quand il parle de l'Affaire Fauqueux : « Des gens aussi beaux qu'un film de Nicholas Ray[31]. » Il rend aussi hommage à Robert Bresson : « Une femme me plaît par exemple, parce qu'elle a joué dans un film de Bresson, ou parce qu'un homme que j'admire est amoureux d'elle[32]. » Au restaurant, il parle de Murnau : « Ça ressemble à un film de Murnau. Les films de Murnau, c'est toujours le passage de la ville à la campagne, du jour à la nuit. Il y a tout ça ici[33]. » Enfin, il fait son lit en se jetant dessus avec la couverture, exactement comme Angela dans Une femme est une femme de Jean-Luc Godard. Il déclare : « J'ai vu faire ça dans un film. Les films ça sert à ça, à apprendre à vivre, à apprendre à faire un lit[34]. »
On peut également rappeler qu'en 1971, soit deux ans avant la sortie du film d'Eustache, John Schlesinger avait réalisé Sunday Bloody Sunday qui raconte aussi (avec beaucoup de liberté, d'audace et un naturel confondant) l'histoire d'un trio amoureux, un jeune sculpteur bisexuel (Bob, joué par Murray Head) menant de front deux relations amoureuses, l'une avec une femme un peu plus âgée (Alex, jouée par Glenda Jackson), l'autre avec un médecin lui aussi plus âgé (le Dr Hirsch, interprété par Peter Finch), ses deux partenaires étant parfaitement au courant de la situation et l'acceptant avec philosophie (ou un humour un peu ironique), car ils ont compris que Bob ne saurait ni ne voudrait choisir entre eux deux. Bien sûr, le traitement des deux films diffère beaucoup, mais il est clair que "La Maman et la Putain" présente des analogies scénaristiques avec le Schlesinger, même si l'histoire que raconte celui-ci, c'est plutôt "La Maman et le Papa".
Références à la littérature
Alexandre cite Georges Bernanos. Il fait référence aux deux citations suivantes toutes deux extraites de la préface de Grands Cimetières sous la lune[35] :
« J'écris dans les cafés au risque de passer pour un ivrogne, et peut-être le serais-je en effet si les puissantes Républiques ne frappaient de droits, impitoyablement, les alcools consolateurs. »
« J'écris sur les tables de cafés parce que je ne saurais me passer longtemps du visage et de la voix humaine dont je crois avoir essayé de parler noblement. »
Et il ajoute :
« Bernanos disait : "Je ne peux pas me passer longtemps du visage et de la voix humaine, j'écris dans les cafés." Moi j'en fais un peu moins. Je viens y lire. Il disait aussi qu'il le ferait encore davantage si les puissantes républiques ne taxaient impitoyablement les alcools[36]. »
Références à mai 68
Dans une scène du film, Alexandre parle d’un petit café à Saint-Michel qui ouvre à 5 heures 25 et où l’on peut prendre le petit-déjeuner : « Un jour de mai 68. Il y avait beaucoup de monde dans le café. Et tout le monde pleurait. Tout un café pleurait. C’était très beau… Une grenade lacrymogène était tombée. » Après une pause, il ajoute : « Si je n’y étais pas allé tous les matins, je n’aurais rien vu de tout ça. Alors que là, devant mes yeux, une brèche s’était ouverte dans la réalité. » Sa voix se gorge d’un sentiment inquiet : « C’est très tard, n’y allons pas. J’ai peur de ne plus rien y voir. J’ai peur. J’ai peur. Je ne voudrais pas mourir. »
D'après le critique André Habib, cette scène serait « révélatrice de la façon dont Eustache crée un portrait intimiste d’une génération écartelée entre le glorieux mythe de la Nouvelle Vague et la débâcle dépressive de l'après-Mai[37]. »
Le cinéaste Jean-Henri Roger considère La Maman et la Putain comme l'un des plus beaux films sur Mai 68 :
« Pour moi, La Maman et la Putain est l’un des plus beaux films sur 68 alors qu’il n’en parle jamais[38]. »
Réception critique
Jean-Louis Bory dans Le Nouvel Observateur n'a pas apprécié le film. Il dénonce notamment le style de jeu de Léaud : « Jean-Pierre Léaud joue faux et reste faux. » Il dénonce également un film misogyne. Pourtant, il dit apprécier les deux figures féminines que sont Marie et Veronika[39].
Dans son histoire du cinéma français, Jean-Michel Frodon le considère comme un des plus beaux films du cinéma français[40].
Le réalisateur Olivier Assayas cite le film dans sa « cinémathèque imaginaire » :
« Je n'aurais pas imaginé ne pas citer La Maman et la Putain. J'ai l'impression de vivre avec ce film depuis qu'il existe. Je me pose, comme beaucoup de gens dans le cinéma, la question de savoir comment on peut refaire quelque chose comme cela, comment on peut atteindre ce qu'Eustache a atteint. Je crois que la réponse est qu'on ne peut pas. Eustache a dans ce film résumé et accompli une idée qui était celle de la Nouvelle Vague. Il a fait le film qui avait été théorisé par la Nouvelle Vague[41]. »
Il est classé 2e « meilleur film français » de tous les temps par un jury de professionnels du cinéma[24].
Autour du film
- Jean-Louis Martinelli a adapté le texte sur scène en 1990[42].
- En 1996, le groupe de rock Diabologum a repris le monologue final de Veronika dans un morceau nommé La Maman et la Putain sur l'album #3.
- En 2008, le cinéaste Vincent Dieutre a repris ce même monologue dans un court métrage intitulé Ea2, 2e exercice d'admiration : Jean Eustache.
Notes et références
Notes
- Dans son article de 1996, Frédéric Bonnaud indique le chiffre de 60 000 spectateurs (Bonnaud 1996). La différence peut s'expliquer selon que l'on compte les entrées nationales ou exclusivement parisiennes.
Références
- Voir sur timeout.fr.
- Serge Toubiana, « Entretien avec Jean Eustache », Les Cahiers du cinéma, no 284, réédité dans Philippon 2005, p. 85-100
- Frédéric Bonnaud, « Chaque jour, un film à voir ou à revoir à Paris », Libération, (lire en ligne, consulté le )
- Didier Morin, « Luc Béraud », Mettray « Les 40 ans de La Maman et la Putain »,
- Philippon 2005, p. 114
- Denis Desjardins, « La Maman et la Putain, de Jean Eustache », Séquences : La revue de cinéma, no 198, , p. 20-21 (lire en ligne, consulté le )
- Aurélien Bellanger et Thierry Lounas, « Jean-Pierre Léaud », So Film, no 3, , p. 24-33.
- Eustache 2001, p. 40
- Eustache 2001, p. 35
- Eustache 2001, p. 42
- Hanska 2001, p. 49
- Hanska 2001, p. 50
- Hanska 2001, p. 325-326
- Eustache 2001, p. 23
- Eustache 2001, p. 31
- Eustache 2001, p. 36
- Eustache 2001, p. 55
- Eustache 2001, p. 66
- Hanska 2001, p. 309
- Hanska 2001, p. 52
- « La Maman et la Putain », sur jpbox-office.com (consulté le )
- Erwan Higuinen, « La Maman et la putain. Canal +, 22h15 », Libération, (lire en ligne, consulté le )
- Isabelle Potel, « La Maman et la Putain. Arte, 20 h 45 », Libération, (lire en ligne, consulté le )
- Théo Ribeton, « « La Maman et la Putain » : pourquoi le film de Jean Eustache est-il presque invisible ? », Les Inrockuptibles, (lire en ligne)
- Sandrine Marques, « L'invisible Jean Eustache », Le Monde, (lire en ligne)
- Théo Ribeton, « Boris Eustache : Suis-je le gardien de mon père ? », Revue Zinzolin, (lire en ligne). « Je ne suis pas gêné par le fait qu’il circule sur internet. »
- Philippe Azoury, « Jean Eustache, une balle à la place du cœur », Les Inrockuptibles, (lire en ligne, consulté le )
- Nicolas Azalbert, « Ombres blanches : Entretien avec Jean-Jacques Schuhl », Cahiers du cinéma, no 687, , p. 91-97
- Théo Ribeton, « Boris Eustache : Suis-je le gardien de mon père ? », Revue Zinzolin, (lire en ligne)
- Eustache 2001, p. 22
- Eustache 2001, p. 29
- Eustache 2001, p. 34
- Eustache 2001, p. 43
- Eustache 2001, p. 74
- Georges Bernanos, Les Grands Cimetières sous la lune, Le Seuil,
- Eustache 2001, p. 17
- André Habib, « « La rue est entrée dans la chambre ! » : Mai 68, la rue et l’intimité dans The Dreamers et Les amants réguliers », Cinémas : revue d'études cinématographiques / Cinémas: Journal of Film Studies, vol. 21, no 1, , p. 59-77 (DOI 10.7202/1005630ar, lire en ligne)
- Juliette Cerf, « L'Esprit de mai : Entretien avec Jean-Henri Roger », Regards, (lire en ligne)
- Jean-Louis Bory, « Romance d'un jeune homme pauvre », Le Nouvel Observateur, , p. 79 (lire en ligne, consulté le )
- Jean-Michel Frodon, Le Cinéma français, de la Nouvelle Vague à nos jours, Paris, Cahiers du cinéma, , p. 406
- Cécile Blanc, « Olivier Assayas : Une cinémathèque imaginaire », La bibliothèque du film, (lire en ligne, consulté le ).
- Serge Chauvin, « La Maman et la Putain », Les Inrockuptibles, (lire en ligne, consulté le )
Voir aussi
Bibliographie
Livres
- Jérôme d'Estais, Jean Eustache ou la traversée des apparences, LettMotif, (ISBN 978-2-36716-115-0)
- Alain Philippon, Jean Eustache, Paris, Cahiers du cinéma, coll. « Auteurs », (1re éd. 1986), 126 p. (ISBN 978-2866424282)
- Jean Eustache, La Maman et la Putain : Scénario, Cahiers du cinéma, (1re éd. 1986), 122 p. (ISBN 978-2866422080)
- Evane Hanska, Mes années Eustache, Flammarion, coll. « Documents », , 331 p. (ISBN 978-2080679208)
- Colette Dubois, La Maman et la Putain, Yellow Now, coll. « Long métrage »,
Articles
- (en) Martine Pierquin, « La Maman et la Putain », Senses of cinema, no 48, (lire en ligne, consulté le )
- Marion Froger, « Les enfants perdus de 68 ; La Maman et la Putain », Ciné-Bulles, vol. 17, no 2, (lire en ligne, consulté le )
- (en) Georgiana Colvile, « La Maman et la Putain », The French Review, vol. 52, no 6, , p. 956-957 (lire en ligne)
- (en) Ernest Callenbach, « The Mother and the Whore by Jean Eustache; Pierre Cottrell », Film Quarterly, University of California Press, vol. 27, no 4, , p. 46-49 (DOI 10.2307/1211394, lire en ligne)
Liens externes
- « Maman et la putain, La » (présentation de l'œuvre), sur l'Internet Movie Database
- « La Maman et la Putain » (fiche film), sur Allociné