Henri Gouraud (général)
Henri Gouraud, né le à Paris (Seine) et mort le dans la même ville, est un général d'armée français. Il participe à la colonisation du Soudan français (actuel Mali), de la Mauritanie, du Tchad et du Maroc puis pendant la Première Guerre mondiale, il combat en Argonne, aux Dardanelles — où il perd son bras droit — et en Champagne.
Gouverneur militaire de Paris | |
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Haut-commissaire de France au Levant | |
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Henri Joseph Eugène Gouraud |
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Homme politique, militaire |
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François-Xavier Gouraud (d) |
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Archives conservées par |
Archives diplomatiques (399PAAP)[1] Service historique de la Défense (GR 11 YD 50)[2] |
Il fut également le Haut-commissaire de la République française au Levant de 1919 à 1922 et gouverneur militaire de Paris de 1923 à 1937. C'est un colonisateur actif qui s'inscrit dans le sillage de Gallieni et de Lyautey. Il est davantage connu pour ses fonctions de haut-commissaire de France au Levant et de commandant en chef de l'armée du Levant, en Syrie et au Liban, que pour ses vingt années passées en Afrique. Il est célèbre pour avoir proclamé la création du Grand Liban en 1920, après sa séparation de la Syrie, en application des accords de Sykes-Picot entre la France et la Grande-Bretagne. Cette décision marqua une étape significative dans la politique coloniale française au Levant, qui visait à diviser les territoires pour mieux les contrôler
Il est grand-croix de la Légion d'honneur et médaillé militaire à la suite de sa participation à la Première Guerre mondiale.
Biographie
modifierEnfance et formation militaire
modifierNé dans le 17 novembre 1867 dans le 7e arrondissement de Paris[3],[4] dans une famille aisée de tradition catholique[5], il est le fils de Vincent Gouraud (1834-1906), médecin, et de Marie Portal (1844-1918). Il est l'aîné d'une fratrie de six enfants. Henri Joseph Eugène Gouraud fait ses études au collège Stanislas, où il reçoit une éducation marquée par la foi.
De ces jeunes gens qui appartiennent à la génération ayant connu l'humiliation de 1871[6], il se trouve rapidement une vocation coloniale. Il réussit le concours d'entrée à école militaire de Saint-Cyr en 1888, avec la promotion de « Grand Triomphe »[Note 1]. Sorti dans l’infanterie avec le grade de sous-lieutenant en 1890, il exerce quelques commandements dans l'Est[7]. Gouraud espère partir outremer ; mais son père s'y oppose et Henri Gouraud est d'abord affecté au 21e bataillon de chasseurs à pied à Montbéliard. Soutenu dans son projet par sa mère, il part en 1894 au Soudan français, le long de la boucle du Niger[8].
Il est l’oncle du général Michel Gouraud (1905-1991) qui participe au putsch des généraux à Alger en avril 1961[9].
Premiers faits d'armes (1894-1914)
modifierEn Afrique subsaharienne (1894-1910)
modifierEn 1898, et sous les ordres du général de Trentinian, il parvient à capturer Samory Touré, chef mandingue et résistant à la colonisation française[10]. Touré avait fondé un empire au sud du fleuve Niger et disposait de nombreuses forces armées. Réalisée sans coup férir, l’arrestation du grand chef africain et de ses troupes en , marquant l'achèvement de la colonisation française de l'Afrique de l'Ouest, attire l'attention sur Gouraud au moment où la France cherche à effacer l'affront de l'incident de Fachoda. Aussitôt décoré et promu, Ce jeune lieutenant[11] de l'armée métropolitaine devient ainsi une figure connue des cercles coloniaux français, où il rencontre des personnalités telles qu'Auguste d'Arenberg ou Eugène Étienne, futurs fondateurs du « Parti colonial », un mouvement prônant la colonisation de l'Afrique. Grâce au soutien d'Étienne et d'autres partisans de la colonisation, Gouraud poursuit une carrière en Afrique pendant encore quinze ans, notamment au Niger, au Tchad et en Mauritanie. En 1900, il décide de permuter dans « la Coloniale », tout juste reconnue comme une armée à part entière. Les compétences d’Henri Gouraud intéressent beaucoup Eugène Étienne, député d’Oran. Soucieux de disposer d’une équipe d’officiers serviables et obéissants, il juge Gouraud trop bon « Africain » pour le laisser partir en Chine. Il le recommande pour une mission pionnière, entre le Niger et le Tchad, où il faut organiser le IIIe Territoire militaire (entre le Niger et le Tchad), autour du chef-lieu de Zinder. En 1901, le liteutenant-colonel Péroz , à la suite d’une affaire de rivalité avec les Anglais, lui cède sa place au commandement du IIIe Territoire militaire après avoir été « cassé » par son autorité de tutelle. Au moment de son départ, Péroz recommande Henri Gouraud à ses supérieurs : « C’est un discipliné dans toute la force du terme. Vous aurez en lui plus tard un général obéissant en pensées et en faits. »[7] Ses tâches variées le mettent en contact fréquent avec la population. Durant son travail, il collecte une importante documentation photographique sur la société africaine : le griot, l’arbre à palabres, l’organisation du village, les circuits commerciaux au sud du Sahel. Il n’est pas photographe lui-même mais recueille des images auprès des opérateurs qu’il rencontre, souvent des officiers avec lesquels il est en relation[11].
Henri Gouraud se trouve éloigné des postes parisiens considérés comme essentiels pour sa carrière. En raison de cette distance, il prend l'habitude d'écrire fréquemment à sa famille et à ses contacts à Paris, notamment à Auguste Terrier, secrétaire général du Comité de l'Afrique française. Ce dernier devient rapidement son ami et un intermédiaire auprès des cercles coloniaux parisiens. Il facilite ses relations aussi bien avec Eugène Étienne et les parlementaires qu'avec d'autres officiers coloniaux d'Afrique et d'Asie. Ces échanges épistolaires deviennent un moyen pour Gouraud de renforcer ses liens d'amitié tout en cultivant un réseau de plus en plus influent au sein du Palais Bourbon. Ainsi, Gouraud s'impose comme l'un des principaux officiers coloniaux auxquels la République confie des missions difficiles, comme celle de la conquête de la Mauritanie.
Il est nommé en Oubangui-Chari de 1904 à 1906.[réf. à confirmer] En 1907, il est promu colonel et remplace Bernard Laurent Montané-Capdebosq en commissaire du Gouvernement général en Mauritanie[8] et, plus important encore, il mène, sur ordre du gouvernement, une grande campagne contre les guerriers meneurs de razzias et est chargé stopper un important trafic d'armes organisé par les Maures dans le Sahara en direction du Maroc. La conquête de l'arrière-pays mauritanien devient ainsi une question liée aux enjeux marocains.
En 1909, il commande avec succès la colonne de l’Adrar[12] de plus de 700 chameaux et, en faisant preuve d'une grande organisation logistique dans le désert, Gouraud réussit à conquérir la Mauritanie quelques mois. Il se distingue par sa maîtrise de la « petite guerre » coloniale, une guerre qui s'adapte à de multiples fronts et points de contact, combinant attaques et contre-attaques[7]. Cette réussite lui vaut la reconnaissance nationale et, bien qu'il soit encore colonel sans brevet, l'honneur de faire partie de la première promotion d'officiers autorisés à suivre les cours des Hautes Études militaires à Paris. Gouraud retourne en France en mars 1910 et en 1911, il fait son stage au Centre des Hautes Études Militaires, surnommé « L’École des maréchaux », qui vient d’être créé[5].
Bras droit de Lyautey au Maroc (1911-1914)
modifierLa reconnaissance militaire de Henri Gouraud attire l'attention du général Lyautey. En 1911, des circonstances favorables permettent une intervention militaire, le sultan Moulay Hafid qui avait détrôné son frère, le sultan Moulay Abdelaziz, est assiégé à Fès par les tribus amazighs rebelles. Il fait appel à la France, dont une colonne, commandée par le général Moinier, commandant en chef de la colonne de Fès, composée de 23 000 hommes, franchit l'oued Bouregreg le 27 avril. À Casablanca, le , il accueille le général Lyautey, coordinateur de la colonisation française au Maroc, qui le prend à son service dès qu'il apprend que Gouraud est en charge du ravitaillement de la colonne Moinier. Tous deux participent à la défense de Fès face aux tribus qui assiègent la ville. À cette époque, l'autorité du Sultan Moulay Hafid est affaiblie par diverses révoltes séparatistes qui contestent à la fois son pouvoir et la présence croissante de la France dans le pays. Le 28 et 29 mai 1912, Gouraud se voit confier par Lyautey cinq bataillons, deux escadrons et une batterie d'artillerie pour neutraliser les tribus qui encerclent la ville[13]. Cette opération est un succès. Lyautey exploite la situation de faiblesse du Sultan pour obtenir à la fois la signature du traité de Fès, qui officialise le protectorat français sur le Maroc puis son abdication en faveur de son demi-frère, jugé plus facilement contrôlable[13].
« C'est à lui que nous devons d'être là »[6]dira, à son entrée à Taza en 1914, le général Lyautey.
À ce moment, Gouraud se trouve en première ligne lors de la révolte des tabors à Fès. Il est chargé de restaurer l’ordre dans la ville, et mène dans ce but plusieurs combats, dont celui de Hadjera el Kohila[14],[15], qui lui vaut de recevoir ses deux étoiles sur le champ de bataille le 1er juin 1912, à 45 ans, faisant de lui le plus jeune général de brigade de sa promotion[5]. En le nommant à la tête de la « pacification » de la région de Fès, Lyautey renforce non seulement sa position en tant que subordonné de confiance, mais aussi son lien personnel avec lui[7]. Il est nommé en 1914 au commandement des troupes du Maroc occidental.
Depuis Fès, le 27 avril 1914, la 3e compagnie montée du 1er bataillon de marche du 2e Régiment étranger d’infanterie du capitaine Paul-Frédéric Rollet, sous l’égide du général Gouraud, se met en route vers Taza. Début mai 1914, Lyautey décide de neutraliser la poche de résistance des tribus de Taza[16] et place Gouraud à la tête d'un corps de trois colonnes qui doivent traverser le territoire des Tsouls pour atteindre les rebelles de Taza. Elle affronte le 10 mai 1914 la tribu des Ghiata dans le mont Tfazza, à 50 kilomètres au nord de Taza[17]. Le 16 mai 1914, une fois la tribu vaincue, avec le renfort de trois colonnes du général Gouraud, il réussit la « jonction des deux Maroc » à Bab-el-Hamama[réf. à confirmer] avec le général Baumgarten, parachevant la pacification du Maroc[7],[8].
Première Guerre mondiale
modifierEn août 1914, la guerre éclate en France et il est à la tête de la 4e brigade marocaine envoyée en renfort sur le front français. Il est nommé général de division et reçoit le le commandement de la 10e division d'infanterie. Il dirige notamment des combats en forêt d'Argonne, et y est blessé par une balle le , en se rendant sur une position du front, où les soldats français viennent de repousser une attaque allemande, mais subissent encore des tirs de mitrailleuses[18]. Le 22 janvier 1915, le général Gouraud est nommé au commandement du Corps d'armée colonial. En mai 1915, il est nommé au commandement du Corps expéditionnaire français aux Dardanelles.
Fin juin, il est grièvement blessé par un obus. Sur le navire-hôpital Tchad qui le ramène en France, la gangrène se déclare ; il faut l'amputer du bras droit[19],[Note 2]. En juillet 1915, Poincaré le décore de la médaille militaire sur son lit d'hôpital[20].
Gouraud se rétablit rapidement. À la fin de 1915, il est nommé au commandement de la IVe Armée en Champagne. En 1916, son frère Pierre Gouraud, commandant au sein du 67e régiment d'infanterie est tué au combat dans la Somme[21].
Le 11 décembre 1916, Aristide Briand, président du Conseil, propose par télégramme à Hubert Lyautey le porte-feuille de ministre de la Guerre. La question se pose de trouver un remplaçant à la Résidence générale apte à maintenir l'ordre au Maroc. Gouraud est proposé par Briand, ce que Lyautey accepte par télégramme[22]. Il écrit :
« Gouraud est tout à fait apte à faire face à la situation et je lui remettrai le commandement en toute confiance. Toutefois, il y aurait intérêt majeur pour atténuer l'inconnu de la situation et ménager la transition, à ce que la désignation de mon successeur fût provisoire, au moins au début pour que je reste aux yeux du Sultan et de la population, la caution de la politique suivie jusque ici"[22]. »
Gouraud est toujours sur le front à ce moment et refuse de quitter le théâtre des opérations. C'est Briand qui arrive à le persuader, à la faveur d'une entrevue, de la nécessité de prendre le poste de résident général. Il retourne ainsi quelques mois au Maroc (de à ) pour remplacer Lyautey. Contrairement à ce que Lyautey avait souhaité, la nomination de Gouraud est définitive, ce qui met à mal la stratégie de Lyautey visant à rendre acceptable et peu pesante la présence française au Maroc[22].
Gouraud revient finalement en au commandement de la IVe armée. Jusqu'au date de l'armistice, il lance ses hommes dans des batailles acharnées comme la bataille des monts de Champagne en 1917 et à la contre-offensive victorieuse du 15 juillet 1918. Sa mère meurt quelques jours plus tard.
Il est choisi parmi les militaires vainqueurs pour faire une entrée triomphale dans Strasbourg en . Le mois suivant, en décembre, le général Pétain lui remet la grand-croix de la Légion d'honneur.
Le 5 décembre, il décore l'émir Fayçal en tant que grand officier de la Légion d'honneur pour le soutien que les Hachémites et leurs alliés ont apporté à l'Entente sur le front d'Orient[23].
Haut-commissaire en Syrie et au Liban (1919-1922)
modifierMandat français en Syrie et au Liban
modifierLe général Gouraud est envoyé par Georges Clemenceau comme haut-commissaire de France au Levant et commandant en chef de l'armée du Levant. Il arrive à Beyrouth en , quand la France obtient l'évacuation des troupes britanniques de la zone bleue des accords Sykes-Picot (Zone Ouest), qui occupaient le Proche-Orient depuis la défaite de l'Empire Ottoman à l'automne 1918[24]. Le remplacement des Britanniques par des soldats français fait suite à l'acceptation par la France du mandat britannique sur la Palestine (alors que les accords Sykes-Picot avaient prévu pour la Palestine un statut de zone internationale) ; ce remplacement fait suite aussi au compromis négocié par Clemenceau et Lloyd-Georges concernant l'épineuse question du pétrole de la région de Mossoul[24].
Pour autant, la mission de Henri Gouraud n'est pas totalement claire : entre 1918 et 1920, la France hésite entre sa « grande politique arabe » traditionnelle, qui aurait pour objet la mise en place d'une grande Syrie autonome sous influence française avec l'émir Fayçal à sa tête, et sa « petite politique arabe », centrée sur les relations avec les Maronites, historiquement très francophiles[25]. Dans cette deuxième optique, privilégiée par Henri Gouraud, le Proche-Orient devait être constitué d'une mosaïque de petits États divisés selon des critères confessionnels, ce qui impliquait d'encourager le particularisme religieux (Liban, État des Alaouites, État des Druzes, etc). Robert de Caix de Saint-Aymour résume ce projet de la sorte en mettant l'accent sur la politique de morcellement : « Ainsi organisée, la Syrie devrait pendant un certain nombre d'années au moins être comme un vitrail dont le plomb serait français »[26].
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Version officielle du discours de Gouraud lors de son arrivée à Beyrouth. Archives de la Courneuve (Fonds Gouraud, 399 PAAP/151).
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Suite et fin du discours.
Le 21 novembre 1919, lors de son débarquement à Beyrouth, Gouraud prononce un discours mettant en avant les liens historiques unissant la France et la Syrie, par la référence aux Croisades puis aux Capitulations, mais souligne aussi que les Français sont les « fils de la Révolution » et entendent garantir l'égalité de traitement entre les différents cultes[27].
Un mois après son arrivée, il reçoit de la part des représentants de la communauté alaouite un message esquissant un rapprochement avec les autorités françaises. 76 notables de la montagne alaouite envoient un télégramme sollicitant auprès du général la formation d'un « syndicat autonome alaouites sous protection française »[28]. Néanmoins, cet élément ne doit pas donner l'impression que les Alaouites seraient insensibles à la vision unitaire du nationalisme arabe du Fayçal, car dès l'été 1919 a démarré dans la montagne alaouite une révolte ouverte contre les autorités françaises, menée par le Cheikh Salih el-Ali al-Alawi[28], qui ne termine qu'en 1921, lorsque Gouraud décrète l'amnistie générale des rebelles.
Gouraud appliqua une politique coloniale qui privilégiait la manipulation des communautés locales. En Syrie, cette stratégie se manifesta par la création de divisions administratives entre les communautés druzes, alaouites et les nationalistes urbains, dans le but de favoriser les intérêts français et d’empêcher toute unité nationaliste. En outre, il eut recours à des stratégies similaires à celles employées en Afrique du Nord, notamment en manipulant les tribus, les confréries soufies et les Berbères.
Écrasement du royaume arabe de Damas
modifierLe 31 mars 1920, conformément aux accords de San Remo, octroyant à la France un mandat de la SDN sur la Syrie, Gouraud signe un décret établissant une Banque de Syrie, et une monnaie, la « livre syrienne ». L’acceptation de cette monnaie est obligatoire dans la « zone bleue » (Zone Ouest)[29]. L'arrêté est composé de neuf articles, dont le sixième prévoit une peine maximale de six mois d'emprisonnement et 1 000 livres syriennes d'amende en cas de manœuvre ayant « pour but ou pour effet de déprécier ou tenter de déprécier la valeur » de cette monnaie[29].
Le , le général Gouraud proclame la création de l'État du Grand Liban, en y annexant le mont Liban et les villes côtières conformément aux souhaits émis par les Maronites. À la fin de 1920, après la bataille de Khan Meyssaloun, qui met fin au royaume arabe de Damas rêvé par Fayçal, la situation s'est effectivement dégradée, avec la lutte des nationalistes arabes emmenés par l'émir Abdallah, fils du chérif Hussein et frère de l'émir Fayçal. Mais les Hachémites ne représentent pas complètement tous les Arabes de Syrie. D'autres oppositions internes — comme celle entre les villes de Damas et d'Alep — sont à prendre en compte dans l'instauration du mandat.
Alain Tami rapporte une anecdote apocryphe controversée selon laquelle, en , le premier geste symbolique d'Henri Gouraud, en tant que Haut-commissaire de la République en Syrie aurait été, lorsqu'il entra dans Damas, d'aller visiter le tombeau de Saladin où, selon certaines sources, il aurait déclaré : « Réveille-toi, Saladin, nous sommes de retour. Ma présence ici consacre la victoire de la croix sur le croissant »[30]. Cette phrase, rapportée dès 1926 par Pierre La Mazière[31] fut perçue comme une provocation envers le monde musulman, et nourrit une légende noire autour de son personnage.
Tentative d'assassinat
modifierLe , Gouraud tombe dans une embuscade sur la route entre Damas et Kuneitra[32] organisée notamment par un Libanais favorable à un royaume arabe sous égide hachémite, Adham Khanjar. Le traducteur de Gouraud est tué d'une balle dans la tête, mais le général s'en sort indemne, tout comme Georges Catroux et Hakki Bey Al-Azm, le gouverneur de Damas, qui l'accompagnaient. Trois balles ont perforé sa manche vide (Gouraud est manchot depuis la bataille des Dardannelles)[32]. Les agresseurs ont été mis en fuite par le général Mariano Goybet et le consul général Carlier, secrétaire général adjoint du haut-commissariat de France en Syrie et au Liban, eux-mêmes attaqués et qui suivaient dans une deuxième voiture.
Catroux ouvre une enquête, qui identifie rapidement un chef syrien, Ahmed Muraywid[33], proche de l'émir de Transjordanie Abdallah. Ahmed Muraywid aurait annoncé la mort de Gouraud avant de fuir en Transjordanie (alors sous mandat britannique) quand la rumeur de l'échec de l'attentat s'était répandue. L'enquête finit par remonter jusqu'à Abdallah et Ibrahim Hanano, nationaliste syrien fondateur du bloc national hostile à la présence française, réfugié dans la zone mandataire anglaise. Gouraud se tourne du côté des Britanniques pour punir les coupables, mais n'obtient d'eux que de vagues promesses. Les relations entre les Anglais et les Français en Orient se dégradent alors davantage, tandis que le haut-commissariat français regarde désormais avec une grande méfiance l'ensemble de la famille hachémite, Fayçal compris.
Il met cependant en place en 1922 une Fédération syrienne, à la tête de laquelle il place Soubhi Bey Barakat. Issu d'une grande famille de notables d'Antioche, cet ancien responsable militaire proche de Fayçal a été l'ennemi des Français au moment de la prise de Damas. Gracié par Gouraud, il est élu à la présidence de la Fédération en 1923.
Au-delà de ces péripéties politiques, les années syriennes d'Henri Gouraud contribuent au développement économique de l'intérieur de la Syrie : le tourisme, en particulier le tourisme archéologique et le commerce sont pensés comme des outils de développement par la commission Lenail venue en 1922 étudier le potentiel du pays[34]. Gouraud souhaite s'appuyer sur le développement économique du pays pour prévenir les tensions qu'il sent venir, en particulier avec les Druzes. Une fois que Paris a refusé de financer la politique mandataire proposée par le haut-commissariat, Gouraud, estimant qu'on ne lui donne pas les moyens nécessaires, pose sa démission et rentre en France.
Action en faveur de l’archéologie française au Moyen-Orient
modifierDès son arrivée à Beyrouth il manifeste un grand intérêt pour l'action archéologique française en Orient et soutient le projet de création d'un Service des Antiquités de Syrie, rattaché à l'administration mandataire. Pour lui, poursuivre le travail de redécouverte des antiquités s'inscrit dans une perspective historique de l'action française à l'étranger. Il déclare dans la préface de l'ouvrage Les travaux archéologiques en Syrie de 1920 à 1922 :
« C'est une tradition française qui se maintient ; quand la présence sur l’Euphrate de la colonie française permet à M. Cumont de relever ces admirables peintures de Salihiyé, quand est créé à Damas l'Institut Français d'archéologie et d'arts musulmans, nous ne faisons que suivre l'exemple des soldats français de l'expédition de 1860 auxquels Renan a rendu hommage et celui du Général Bonaparte au Caire[35]. »
Gouraud charge Joseph Chamonard d'organiser le Service des Antiquités de Syrie, début 1920 qui sera épaulé dans sa tâche par la "Mission archéologique permanente" en 1921. Il soumet à la Commission consultative pour les fouilles en Asie Occidentale (rattaché au ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts) une série de texte et de décrets afin de moderniser et rationaliser le cadre légal de l'activité archéologique[36], en remplacement des anciennes législations ottomanes, tombées en désuétude du fait de la disparition de l'Empire ottoman.
Retour à Paris
modifierGouraud rentre définitivement à Paris en 1923. Nommé membre du Conseil supérieur de la guerre, il devient membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de Paris. Au cours d'un voyage en 1923 aux États-Unis, il apprend sa nomination au poste de gouverneur militaire de Paris, poste qui le place désormais dans des fonctions éminemment représentatives et de nature diplomatiques. Après la mort du président des États-Unis, Warren G. Harding en août de cette même année, il représente à ses obsèques le gouvernement français en tant qu'ambassadeur extraordinaire. En , Gouraud inaugure la crypte et les plaques commémoratives du monument Aux Morts des Armées de Champagne à la ferme Navarin, entre les villages de Souain-Perthes-lès-Hurlus et Sommepy-Tahure, dans le département de la Marne. Il se préoccupe ensuite de soutenir l'action de l'Association du souvenir aux morts des armées de Champagne. Dès l'association créée, il demande et obtient l'agrément du ministère de la Guerre pour la Fondation du Monument aux Morts des Armées de Champagne et Ossuaire de Navarin et sa reconnaissance comme association d'utilité publique (). En juin 1933, il accorde son patronage à l’exposition Visions féeriques d’Orient de l'architecte orientaliste Alexandre Raymond. Toujours prêt à présider une cérémonie, incarnation de l'ancien combattant du fait de sa manche droite vide, les Parisiens lui témoignent une véritable vénération. Il fait alors de nombreux voyages : la Pologne en 1925, les Indes et les États-Unis en 1929, la Turquie en 1930, l'Afrique-Occidentale française en 1933.
Fin de vie
modifierEn 1937, à l'âge de 70 ans, il quitte le gouvernement militaire de Paris. Il quitte la capitale pour Royat, à côté de Clermont-Ferrand, et n'y revient qu'à la fin de la guerre, en mai 1945. Il y meurt (dans l'arrondissement où il était né[3]) le , quelques mois après la fin du mandat français en Syrie.
Le Gouvernement provisoire de la République française, présidé par Georges Bidault, lui rend un dernier hommage par des obsèques nationales le devant le monument Aux Morts des Armées de Champagne à Navarin. Conformément à ses dernières volontés, le général Gouraud est inhumé dans la crypte de ce monument-ossuaire « au milieu de ses soldats de la IVe armée qu'il a tant aimés », son képi et sa montre sont en dépôt au fort de la Pompelle, clef de la défense de Reims.
Distinctions
modifierDécorations françaises
modifier- Médaille militaire (10 juillet 1915)[Note 3]
- Grand-croix de la Légion d'honneur (décret du 28 décembre 1918) ; grand officier par décret du 10 août 1914, commandeur par décret du 11 juillet 1909, officier par décret du 31 mai 1904, chevalier par décret du 18 octobre 1898[37]
- Croix de guerre 1914-1918 (4 palmes)
- Officier de l'Instruction publique ; Officier d'Académie en 1905[37]
- Médaille coloniale (agrafes Sénégal et Soudan, Maroc, Mauritanie et Adrar)
- Médaille interalliée 1914-1918
- Médaille commémorative du Maroc
- Médaille commémorative de la guerre 1914-1918
Décorations étrangères
modifier- Grand-croix de l'ordre des Saints-Maurice-et-Lazare ( Royaume d'Italie)
- Commandeur de l'ordre du Nichan el Anouar ( France / Djibouti)
- Commandeur de l'ordre de l'Étoile noire (17 mai 1900) ( France / Bénin)
- Commandeur de Nichan Iftikhar ( France / Tunisie)
- Army Distinguished Service Medal ( États-Unis)
- Croix d'argent de l'ordre de Virtuti Militari (1921)[38] ( Pologne)
- Ordre du Lion blanc ( Tchécoslovaquie)
- Ordre impérial et militaire de Saint-Georges ( Empire russe)
Hommages
modifierPlusieurs voies publiques et autres lieux sont nommées d'après lui en France :
- à Paris, place du Général-Gouraud dans le 7e arrondissement ;
- à Lyon, rue Général-Gouraud dans le 8e arrondissement ;
- à Neuilly-sur-Seine , l'ancienne place du Château renommée place du Général-Gouraud par une délibération du conseil municipal du 28 novembre 1946 ;
- à Strasbourg, rue Général-Gouraud près du parc des Contades ;
- à Toulon, avenue Général-Gouraud ;
- rue du Général-Gouraud dans les villes de Suippes (Marne), Meudon (Hauts-de-Seine), Bourges (Cher), Obernai (Alsace), Guebwiller (Alsace), Marcq-en-Barœul (Nord), Sélestat (Alsace), Chamalières (Puy-de-Dôme), Calais (Pas-de-Calais), Reims (Marne) et Montigny-lès-Metz (Moselle) ;
- Dans les années 1930, alors que le général est encore vivant, la Corniche du Collège Stanislas prend son nom pour devenir la Corniche Gouraud. Henri Gouraud était passé dans cet établissement pour préparer son entrée à Saint-Cyr.
Au Liban :
- à Beyrouth, rue Gouraud dans le quartier de Gemmayzeh.
Au Maroc :
- dans la région d'Ifrane, à l'entrée d'une forêt à Azrou, un imposant cèdre porte le nom du Général-Gouraud, en arabe arz-Gouraud,
- À Rabat est fondé en 1919 le lycée Gouraud devenu ensuite lycée Hassan-II[39].
Au Salon des artistes français de 1927, le sculpteur Émile Guillaume exposa une buste en bronze du général Gouraud, gouverneur militaire de Paris (n° 3224)[40]. C'est un exemplaire en pierre de ce buste qui se trouve à Paris, square d'Ajaccio[Note 4]. Érigé à la demande de la famille du général, il fut inauguré le par Jacques Chirac, alors maire de Paris[41].
Publications
modifier- La Pacification de Mauritanie. Journal des marches et opérations de la colonne de l'Adrar, . — (Consultable sur GALLICA)
- « La France en Syrie », Revue de France, .
- Souvenirs d'un Africain : Au Soudan, . — (Consultable sur GALLICA)
- Zinder-Tchad. Souvenirs d'un Africain, . — (Consultable sur GALLICA)
- Mauritanie-Adrar, . — (Consultable sur GALLICA)
- Au Maroc : 1911-1914, .
Notes et références
modifierNotes
modifier- C’est pour marquer le retour de la fête du Triomphe à Saint-Cyr, interdite 4 ans plus tôt par le ministre de la Guerre et son nouveau « style » (fête de fin d'année) que la 73e promotion de l'école choisit ce nom de baptême. Sur les 432 élèves de cette promotion, plus du quart (119) seront tués au combat: 12 lors d'opérations dites de "pacification" dans les colonies et 106 pendant la Première Guerre mondiale. Dans cette promotion figurent les futurs généraux Charpy, Daugan, Degoutte, Giraud, Naulin, Tanant ou encore Vidalon.
- Sur le navire-hôpital, Gouraud est pris en charge par le chirurgien-adjoint Pierre Oudard qui s'illustrera plus tard dans la transformation de l'organisation du service de santé de la marine, adaptant également le matériel chirurgical et créant une gouttière brancard. La promotion 1953 de l'École principale du service de santé de la Marine de Bordeaux porte le nom de Médecin général de première classe Oudard.
- la Médaille militaire se porte avant la Légion d'honneur pour les officiers généraux ayant commandé au front. Selon la Grande chancellerie de la Légion d'honneur aucun texte officiel n'existe et il s'agit d'une simple habitude.
- Le square d'Ajaccio est situé à l'angle nord-est de l'esplanade des Invalides, le long du boulevard des Invalides.
Références
modifier- « https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/mn_399paap_gouraud_cle81efde.pdf » (consulté le )
- « https://francearchives.fr/fr/file/ad46ac22be9df6a4d1dae40326de46d8a5cbd19d/FRSHD_PUB_00000355.pdf »
- Acte de naissance (no 1420).
- « Base Leonore - extrait acte de naissance »
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Bibliographie
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- Alan Tami, L'art de la guerre au temps des croisades (491/1098 - 589/1193) : Du théocentrisme irrationnel aux influences mutuelles et adaptations pragmatiques dans le domaine militaire., Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, (lire en ligne)Sans donner aucune source, Alan Tami discrédite Gouraud p. 21 tout en affirmant que l'expression qu'il cite est peut-être apocryphe.
Contexte
modifier- James Barr, Une ligne dans le sable : le conflit franco-britannique qui façonna le Moyen-Orient, Paris, Perrin, (ISBN 978-2-262-06499-0)
- Nicole Chevalier, La recherche archéologique française au Moyen-Orient (1842-1947), Paris, Éditions Recherche sur les Civilisations,
- Rémi Kauffer, La Saga des Hachémites : la tragédie du Moyen-Orient, Paris, Éditions Perrin, (ISBN 978-2-262-03699-7)
- Gérard Khoury, La France et l'Orient arabe, Paris, Armand Colin, (ISBN 2-200-21322-0)
- Nadine Picaudou, La déchirure Libanaise, Bruxelles, Éditions Complexe, (ISBN 2-87027-273-1)
Voir aussi
modifierArticles connexes
modifierLiens externes
modifier- « Trésors photographiques du fonds d’archives Gouraud » , sur Ministère des affaires étrangères
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