Joyce Mansour
Joyce Mansour, née Joyce Patricia Adès, à Bowden, Angleterre le 25 juillet 1928 et morte à Paris le 27 août 1986, est une poétesse égyptienne d'expression française liée au surréalisme.
Poésie
modifierLe Désir du désir sans fin, 1963
modifierIl m'est difficile de penser à la mort
Quand sur mon ventre hésitent de grands oiseaux
Aux pâles retards de sperme
Et habiletés d'écume.
- « Le désir du désir sans fin », Joyce Mansour, La Brèche, nº 5, Octobre 1963, p. 4
Aucun homme avec moi ne place son pied
Sur la pente calcinée de la haine.
- « Le désir du désir sans fin », Joyce Mansour, La Brèche, nº 5, Octobre 1963, p. 4
J'enjambe ta bouche
Ta balustrade
J'étale
Ma lourde frisure
En filigrane
Sur la cascade de ta vigne .
- « Le désir du désir sans fin », Joyce Mansour, La Brèche, nº 5, Octobre 1963, p. 5
Ici un lapin passait naguère
Sa vie errante souple et flottante
Sur le candélabre de l'inaction
Aux sept branches de supplices
Aux homélies anciennes
Sauvez-moi cria-t-il du haut de sa passion .
- « Le désir du désir sans fin », Joyce Mansour, La Brèche, nº 5, Octobre 1963, p. 5
Je sais que sous le pont
Tes yeux fous se sont noyés
Notre-Dame entrebâille ses savantes cuisses gothiques
Plus puissantes et plus fières
Qu'échafauds et belladones
Elles enferment ton roux visage.
- « Le désir du désir sans fin », Joyce Mansour, La Brèche, nº 5, Octobre 1963, p. 6
Je sens ton sexe gouaché de parfums
Féroce cache-pot de porcelaine
Plonger dans ma rétine
Eclats et arrachements du spasme vaginal.
- « Le désir du désir sans fin », Joyce Mansour, La Brèche, nº 5, Octobre 1963, p. 6
Je voudrais couler pensive
Dans la blanche crème de tes artères
Glisser ma main nue sur l'échine moite de ta corolle
Mater ta plante cuivrée aux barbares cornets de neige
Je suis le tourbillon de Gomorrhe .
- « Le Désir du désir sans fin », Joyce Mansour, La Brèche, nº 5, Octobre 1963, p. 6
Funéraire comme une attente à vie, 1964
modifierIl est un roi qui ne connaît aucune défaite
Je crève ses yeux
Deux doigts dans l'angle de la douleur suprême.
- « Funéraire comme une attente à vie », Joyce Mansour, La Brèche, nº 7, Décembre 1964, p. 78
Il y a des éraflures écarlates sur la main verte
De ma rêverie églantine.
- « Funéraire comme une attente à vie », Joyce Mansour, La Brèche, nº 7, Décembre 1964, p. 78
J'aime couler ma haine dans l'entonnoir
De l'amant
Dépecer son pénis à la hache
Parler toute la nuit.
- « Funéraire comme une attente à vie », Joyce Mansour, La Brèche, nº 7, Décembre 1964, p. 78
Ô perle impénétrable
Misérable eau salie
Des folles pleureuses de Rodah
Pour qui éclate la tumeur
L'écrevisse la rose
La blessure guimauve
Entre les rides replètes de son cou.
- « Funéraire comme une attente à vie », Joyce Mansour, La Brèche, nº 7, Décembre 1964, p. 78
Opaques sont les prunelles de l'aïeule ensevelie
Vengeresses mes morts amoureuses.
- « Funéraire comme une attente à vie », Joyce Mansour, La Brèche, nº 7, Décembre 1964, p. 78
L'édifice en ciment
D'une belle et chaude journée d'août
Le réveil des caïmans entre les jacinthes d'eau
L'image fuit le jour et son précieux suicide
Il enduit son museau de vase incolore
Les berges de la Seine n'entraînent plus ma chute
Et les papilles de ta langue
Silence sur le calme plat
Flocons goémons spasmes verticales
Colorent mes nuits de malaises indéfinissables.
- « Funéraire comme une attente à vie », Joyce Mansour, La Brèche, nº 7, Décembre 1964, p. 80
Prose
modifierLes Gisants satisfaits, 1958
modifier- Les surréalistes — Une génération entre le rêve et l'action (1991), Jean-Luc Rispail, éd. Gallimard, coll. « Découverte Gallimard Littérature », 2000 (ISBN 2-07-053140-6), chap. Témoignages et documents, Joyce Mansour, Les Gisants satisfaits, 1958, p. 177
- Les surréalistes — Une génération entre le rêve et l'action (1991), Jean-Luc Rispail, éd. Gallimard, coll. « Découverte Gallimard Littérature », 2000 (ISBN 2-07-053140-6), chap. Témoignages et documents, Joyce Mansour, Les Gisants satisfaits, 1958, p. 177
- Les surréalistes — Une génération entre le rêve et l'action (1991), Jean-Luc Rispail, éd. Gallimard, coll. « Découverte Gallimard Littérature », 2000 (ISBN 2-07-053140-6), chap. Témoignages et documents, Joyce Mansour, Les Gisants satisfaits, 1958, p. 177
- Les surréalistes — Une génération entre le rêve et l'action (1991), Jean-Luc Rispail, éd. Gallimard, coll. « Découverte Gallimard Littérature », 2000 (ISBN 2-07-053140-6), chap. Témoignages et documents, Joyce Mansour, Les Gisants satisfaits, 1958, p. 177
Dolman le maléfique, 1961
modifierComme la spirale noire et glacée qui soupire dans certains escaliers, dans certains cercueils, les médiocres clowns aux pieds fourchus et à l'haleine sulfureuse qui gesticulent, ravis sur leur tremplin brisé au-dessus des abîmes, n'atteignent jamais l'assouvissement dans leurs ébats ; énervés par la brûlure spasmodique de la passion ils persistent allègrement dans leur grimace routinière. Ce sont des personnages de peu d'importance dans la hiérarchie diabolique ; ils n'ont le pouvoir de détraquer le cerveau de personne.
Tout autres sont les démons de haute lignée qui se nomment les Métastases, codicille d'une race disparue. Magnifiques de malédiction, incestueux et moroses, ils distribuent : fléaux aux pieds de biche, crapauds et chancres, ces fleurs libidineuses. Dédaignant le commun des mortels, ils ne s'occupent que des êtres d'élite, hommes doués de nez busqués, d'infamie à l'état pur et dont la virilité est capable de troubler la quiétude des plus chastes. Dolman était l'un d'eux.
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 46
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 46
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 46
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 46
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 46
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 48
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 48
[Dolman] sentit son épine dorsale s'étirer sous le choc de l'ossature cataleptique des girafes et, avec stupéfaction et délice, il laissa glisser ses yeux sur la savane, se sentant devenir tour à tour herbe, roseau, terre, vent, terre, terre, TERRE ! Il se maria aux sapins et leurs branchages, bruissements, oiseaux et racines entrèrent en lui sans offrir la moindre résistance. En un clignement de paupières il assimila l'arbre foudroyé. Voici qu'il était arbre... mais ses yeux couraient encore... il connut les femmes lointaines qui se dépêchaient en cliquetant sur les chemins du sommet entre les lamas aux cous lourds de signification phalliques et les hommes qui gémissaient à leurs côtés. Épuisé Dolman trébucha sur une pierre et de ses paumes couvrit ses prunelles frénétiques. Secoué par un éternuement d'exaltation, il éprouva son premier vertige.
Entre temps les villageois, ayant atteint leur but, larguèrent une rapide prière vers la vallée et revinrent sur leurs pas sans trop de hâte. L'honneur était sauf.
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 48
Plus tard, quelque vingt ans plus tard, Dolman découvrit le sexe. Tout d'abord il s'occupa uniquement de la connaissance de son corps à l'aide d'un microscope et d'une équerre, puis, moins timide, il se consacra aux fillettes qui osaient le dévisager avec cet air de sous-entendu, ces yeux mouillés, ces demi-sourires qu'on leur connaît. Il opérait à distance.
De son regard scintillant il perçait les formes rondelettes, souillait les claires tuniques, caressait les plaies et cela aussi longtemps que le supportaient ses nerfs, sans procéder au moindre échange de sang, sans même se soucier de l'ablation de l'hymen, jusqu'à ce que sa victime s'égare totalement, tremble devant lui et se convulse, nue, avide de se laisser dévorer par ces yeux infatigables.
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 48
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 49
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 49
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 49
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 49
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 49
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 49
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 49
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 49
Cent fois par jour il relança sa mouche en l'air, comme il savait faire, en quête d'une idée de distractions nouvelles mais sans résultat, jusqu'au jour où son œil droit vit briller le reflet de la mer dans l'azur. Le réveil du désir fut immédiat. Il aspira à être vague, poisson, eau. Il voulut être dune, écume, algue. À dos d'homme par-dessus les montagnes et les plaines, les villageois le transportèrent jusqu'à la plage lointaine. Ils arrivèrent au but très amoindris après un mois de marche forcée. Sans perdre son temps en remerciements, Dolman immergea son cerveau hagard dans les flots. Selon son vœu il devint mer, algue, poisson ; il noya son spleen dans la gelée mouvementée et dès lors paressa sous la une tel une baleine, lavé de toute nostalgie terrestre.
Cette époque heureuse ne dura guère.
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 50
Dolman se lassa de son image aqueuse et ordonna à nouveau la mise en route de la communauté. Les villageois ensablés arrachèrent leurs enfants aux cocotiers et repartirent en se lamentant sur l es chemins de la forêt. Dolman était lourd d'angoisse. Il retrouva sa hutte et ses vieilles habitudes sans plaisir. L'insatisfaction usait ses méninges, et un désir galopant gonflait ses poumons comme un caillot de sang. La mort acheta un billet de loterie en son nom.
C'est alors que le Diable intervint. Ne pouvant accepter l'évasion d'une de ses créatures, il quitta sa tour de silence et accourut, détermine à enfermer Dolman dans les perspectives toujours changeantes d'une souffrance sans issue. On pense bien qu'il ne pouvait permettre l'anéantissement de la fange, il en avait trop besoin pour consolider son règne. Il retroussa donc ses babines et se prépara à la lutte. Il ne laissa rien au hasard car l'imprévu est père du rire et le rire libère, allège et arrache le guidon des pattes démoniaques.
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 50
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 50
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 51
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 51
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 52
Le Diable enroula les seins bandés d'un tentacule perspicace de douceur et lança sa langue aiguisée par la névrose entre les jambes entortillées. Dolman lissa ses longs cheveux et soupira en constatant que déjà son ventre, charrieur de l'étincelle, puait l'excrément. La Bête caressa les cuisses raides, froissa le visage de sa patte mouillée et dit : « De ma lance trempée d’adrénaline, je palperai ta matrice mouvante de progéniture ; je créerai à mon tour ».
Le Vil s'affala sur le flanc, pâmé et déconfit. « Je vous tiendrai compagnie cette nuit ». Et il s'endormit sans lâcher les pointes sophistiquées des seins de Dolman, qu'il tenait entre ses dents. « Voir ! Savoir ! » Dolman ouvrit les yeux de la dernière chance, rassembla ses membres sans trop se remuer et ralluma le feu. Il approcha son visage empourpré du Poilu. Rien. Il ne comprenait rien, ne voyait rien. « Peut-être ai-je perdu mon don du discernement ? » Il se rua vers la porte et posa ses yeux sur le lac aux purs reflets. Il posséda l'eau glacée, sentit les vagues se muer en pétales d'écume au passage des poissons, entendit les sons fruités des harmonies fluviales résonner dans ses entrailles. C'était fini ; incapable de s'intégrer à la tendre vélocité de l'Ombre, il n'avait plus qu'à mourir. Il ne voyait plus le ciel jaspé de prune et le gigantesque artichaut pelucheux qui poussait sa crête entre les gerbes de l'incendie ne l'intéressait guère. Il n'était rien puisque l'Autre subsistait. « Viens », siffla l'Adorable entre les lèvres du gâchis, et Dolman se rendit à l'appel, larmoyant et détaché. « Soyez heureux », dit le Feu en soulignant de bleu le misérable bosquet où se cabrait un dernier cri. Dolman ouvrit les jambes et sentit jaillir les éclaboussures de lave que précède l'éternuement terminal. « Soyez heureux », répéta l'Ignare quand Dolman expira, « Je serai éternellement présent ». « Vous verrai-je ? » hoqueta l'homme, la tête dans l'au-delà. « Celui qui viendra aura mon visage ». « Le verrai-je ? Le verrai-je ? » L'agonisant jeta un dernier regard circulaire et mourut.
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 52
- « Dolman le maléfique », Joyce Mansour, La Brèche, nº 1, Octobre 1961, p. 52
Infiniment... sur le gazon, 1963
modifier- « Infiniment... sur le gazon », Joyce Mansour, La Brèche, nº 4, Février 1963, p. 62
Illusions de vol, 1964
modifier- « Illusions de vol », Joyce Mansour, La Brèche, nº 6, Juin 1964, p. 22
Je me souviens de nos jeux de fin d'après-midi. En péril mortel devant sa sœur ennemie, le roi noir la menaça de ses crochets sans toutefois se décider à mordre, par une répugnance que je ne me charge pas d'expliquer.
« Échec au roi ».
Le sol quadrillé était fort mal éclairé par la fenêtre donnant sur la baie et mon roi n'avait plus sa tour, son terrier, dont le rôle est de quelque valeur tant dans l'attaque directe que dans la défense.
« Dommage que les pions-soldats ne puissent être renouvelés après consommation ».
- « Illusions de vol », Joyce Mansour, La Brèche, nº 6, Juin 1964, p. 22
Le vieil homme ouvrit une armoire et me tendit, un à un à travers l'échiquier, des verges, des phallus de jade grandeur nature, d'autres en plastique munis de plumes gluantes. J'observai ce défilé de sexes masculins sans proférer la moindre réplique. Déçu par mon silence et mon évidente incompréhension, le savant rangea les pénis dans leurs écrins de velours. Dorothée entra toute mouillée de la baie.
Je ne vis plus le vieil homme... ou plutôt si parfois il nous advint encore de jouer aux échecs dans le salon glacial, je ne devais plus être pour lui qu'un adversaire. Je quittai Majorque sans regrets et ne tardai pas d'apprendre la mort du savant.
- « Illusions de vol », Joyce Mansour, La Brèche, nº 6, Juin 1964, p. 23
- « Illusions de vol », Joyce Mansour, La Brèche, nº 6, Juin 1964, p. 24
Tu m'as prise dans tes bras toute chargée de fièvre, nous avons pris l'avion (le vol, le vol, mon amour) et je me souvenais des yeux du savant enfoncés jusqu'aux pupilles dans la banquise rouge-cardinal : « Toi, surtout, Joyce, tu dois comprendre... »
Evidemment. Joyce : « joy-stick ». Suis-je toujours kleptomane ?
- « Illusions de vol », Joyce Mansour, La Brèche, nº 6, Juin 1964, p. 24