Sedrata Une Capitale Oubliée Du Maghreb Central

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Sedrata : une capitale oublie du Maghreb central

En Algrie, il ne sest trouv personne pour faire sortir de leur sommeil ces villes arabes ou berbres autrefois si vivantes, que la conqute de lIslam fit natre sur ses pas. Marguerite van Berchem

Entre le Grand Erg oriental et le Grand Erg occidental, 800 km au sud dAlger et 14 km au sud-ouest de Ouargla, en plein dsert algrien, se trouvent les restes dune ville fonde au IXe sicle : Sedrata. Les Ibadites, matres de Sedrata Sedrata doit sa naissance aux Ibadites, zlateurs dune foi rigoureuse prtendant tablir leur pouvoir loin des compromissions dun empire trop profane. Les Ibadites dsigns aussi comme Kharjites suscitent bien des questions. Issus de Basra (Irak), ils vcurent une longue priode de kitman (secret quant leur doctrine). Ils se rpandirent largement dans le monde islamique et eurent un temps lambition de restaurer un pouvoir pur en renversant le califat. Implants en Afrique du Nord, les Ibadites tablissent ds le VIIIe sicle une vritable rsistance au pouvoir central abbasside qui sexerce difficilement depuis Bagdad. Un Ibadite dorigine persane, Ibn Rustam, fonde la ville de Tahert (ouest de lAlgrie) et devient limam des Ibadites. La puissance de limamat rustmide fut reconnu par tous les Ibadites, jusquen Orient ; cependant au dbut du Xe sicle, la partie orientale de lAfrique du Nord fut balaye par de nouveaux conqurants, les shiites fatimides, futurs fondateurs du Caire. Dans la tourmente, limamat de Tahert disparut et les Ibadites tablirent un nouveau refuge dans loasis de Ouargla, Sedrata. Ils revinrent alors un tat de kitman. Dans loasis de Ouargla se mit en place un gouvernement de type nouveau constitu par des conseils de reclus prsids par un sheykh. Une ville que le temps et le sable recouvrent La ville a t successivement rvle puis oublie, nouveau gagne par les sables. Lensemble, redcouvert pour la premire fois en 1868, au cours dune exploration des bassins du Hodna et du Sahara par M. Ville, et non pas en 1885 par H. Tarry comme on lcrit habituellement, a constitu au Xe sicle un important

ensemble architectural ; en particulier,

il renferme les premiers vestiges dune

architecture palatiale en Algrie pour la priode islamique. En 1883, H. Tarry publie les premiers lments relatifs au palais grce aux sondages quil a faits en 1881. Les dcors de stuc trouvs alors sont perdus. En 1898, Paul Blanchet entreprit Sedrata des fouilles pour le compte de lAcadmie des inscriptions et belles-lettres. Il fouilla le palais nord, o il dnombra 34 pices, ainsi que la mosque. Une mort prcoce lempcha cependant de publier ses travaux mais la Socit de gographie conserve ses photographies. Pendant la seconde guerre, entre 1942 et 1945, le service des Antiquits dAlgrie suscita des fouilles et des lments du dcor de stuc furent dposs au muse Stephane-Gsell Alger. Enfin, en 1951, Marguerite van Berchem entama une campagne de fouilles qui se poursuivit aussi en 1952. Elle publia de nombreux articles mais faute de photographies ariennes et dune cartographie prcise, elle ne put tablir un relev topographique de la ville et de ses environs. Labsence deau, malgr lexistence dun puits artsien nomm Ayn al-safa, mentionn par les sources historiques et trouv par Tarry mais quil ne localisa pas , rendit les travaux plus difficiles encore. Cest cependant pour lheure les seules connaissances solides sur ce site important. La ville de Sedrata Sedrata tait au centre dune zone dirrigation. Les canaux principaux avaient 2 ou 3 m de largeur ; ils alimentaient des cultures marachres formant un rseau dense. lextrieur de la ville se trouvaient des bassins destins la collecte des eaux issues de la nappe artsienne. Ce sont les gerbes deaux dune puissance incroyable qui vont faire fleurir tout ce dsert. Ainsi se dveloppe une ville qui stendait sur plus de 2 km alors quelle nexcdait pas 600 m de largeur. Elle tait ceinte de murs renforcs de tours carres, de palmeraies et de jardins. De l, marchands et missionnaires ibadites rayonnaient vers le Soudan, le Ghana, la Mauritanie et les rgions de la boucle du Niger. Les tapis ornementaux des murs de Sedrata En 1951, Marguerite van Berchem exhuma des sables une vaste demeure : elle couvrait probablement une surface de 180 200 m. Une des salles tait

pourvue dalcves surleves et votes, ornes de dcors de pltre taill ou timchent, pltre gris du pays encore en usage en 1950. la fin de la premire

campagne, larchologue suisse remarqua un vaste monticule. Quelques sondages rvlrent un palais, fouill lanne suivante. Ses murs taient couverts dun abondant et sophistiqu dcor de stuc sorganisant en assemblages de panneaux aux motifs diffrents, vritables tapis muraux. La calligraphie se limitait la rpartition du mot bndiction. Le dcor se concentrait dans une vaste salle oblongue, souvrant par une baie sur une grande cour et desservant de petites pices ses extrmits ; au fond, face la baie daccs, se trouvait un iwan souvrant sur une plate-forme surleve ; de part et dautre, des espaces secondaires couds, dont un sachevant par un couloir. Dans un des angles de la cour, un petit mihrab (niche prcisant la direction de la prire) tait conserv. Le dcor de la grande pice de rception se signale par un rpertoire unique de motifs voquant fortement lart textile et semblant redevable un fonds local ; on a ainsi tabli des rapprochements avec lart de la broderie mais aussi avec les dcors dpoque chrtienne de Tbessa. Cependant, dans larticulation des surfaces, le got de certains motifs, les ouvertures lobes, les modillons copeaux, enfin dans lemploi dun espace architectural hirarchis, les parallles sont probantes avec dautres vestiges de larchitecture palatiale islamique. Sans aller jusqu proposer des rapprochements avec Balkh (Afghanistan) ou envisager ceux avec Samarra (Irak), Sedrata, malgr son originalit, ne doit pas tre regarde comme inclassable. Ces vestiges sont les seuls qui demeurent de lactivit constructrice des Ibadites du Maghreb ; en effet, Tahert ne conserve aucune de leurs traces, pas plus que les cinq villes du Mzab o les Ibadites se rfugirent finalement. Le dcor du palais montre que, bien au-del de la zone urbanise et du vieux limes romain, stait dveloppe une architecture rsidentielle trs raffine en Afrique du Nord. Les circonstances de labandon de Sedrata ne sont pas claires. On la rattach aux menes des Fatimides et on a voulu imaginer que la ville avait disparu dans le dernier quart du XIe sicle. Or un manuscrit trouv Ouargla par Tarry semblait assurer que la ville navait t dtruite quen 1274 par un chef de guerre. Mais le manuscrit est demeur introuvable ! Le centre de la ville na pas t fouill par manque de moyens et notre connaissance de Sedrata na plus volu depuis, faute de nouvelles fouilles.
Sophie Makariou, conservateur

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