La Débâcle by Zola, Émile, 1840-1902
La Débâcle by Zola, Émile, 1840-1902
La Débâcle by Zola, Émile, 1840-1902
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Title: La d�b�cle
Language: French
�mile Zola
LA D�B�CLE
(1892)
Premi�re partie
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
Deuxi�me partie
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
Troisi�me partie
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
Premi�re partie
Et, ayant serr� une derni�re fois les deux mains de Weiss, il fila
� grandes enjamb�es vers le monticule o� �tait parqu�e
l'artillerie de r�serve, sans avoir reparl� de son p�re, sans rien
avoir fait dire � Silvine, dont le nom lui br�lait les l�vres.
Sans r�pondre, Weiss hocha la t�te d'un air soucieux. Lui aussi
regardait du c�t� du Rhin, vers cet orient o� la nuit s'�tait d�j�
compl�tement faite, un mur noir, assombri de myst�re. Depuis les
derni�res sonneries de l'appel, un grand silence tombait sur le
camp engourdi, troubl� � peine par les pas et les voix de quelques
soldats attard�s. Une lumi�re venait de s'allumer, une �toile
clignotante, dans la salle de la ferme o� l'�tat-major veillait,
attendant les d�p�ches qui arrivaient d'heure en heure, obscures
encore. Et le feu de bois vert, enfin abandonn�, fumait toujours
d'une grosse fum�e triste, qu'un l�ger vent poussait au-dessus de
cette ferme inqui�te, salissant au ciel les premi�res �toiles.
-- Qu'est-ce que vous nous chantez l�, vous! Qu'est-ce que �a veut
dire, toutes ces b�tises!... Mais �a n'a pas de sens, c'est trop
b�te pour qu'on se casse la t�te � comprendre... Allez conter �a �
des recrues, mais pas � moi, non! Pas � moi qui ai vingt-sept ans
de service!
Un quart d'heure plus tard, une autre d�p�che disait que l'arm�e
avait d� abandonner Woerth et battait en retraite. Ah! quelle
nuit! Rochas, foudroy� de sommeil, venait de s'envelopper dans son
manteau et dormait sur la terre, insoucieux d'un abri, comme cela
lui arrivait souvent. Maurice et Jean s'�taient gliss�s sous la
tente, o� d�j� Loubet, Chouteau, Pache et Lapoulle se tassaient,
la t�te sur leur sac. On tenait six, � condition de replier les
jambes. Loubet avait d'abord �gay� leur faim � tous, en faisant
croire � Lapoulle qu'il y aurait du poulet, le lendemain matin, �
la distribution; mais ils �taient trop las, ils ronflaient, les
Prussiens pouvaient venir. Un instant, Jean resta sans bouger,
serr� contre Maurice; malgr� sa grande fatigue, il tardait �
s'endormir, tout ce qu'avait dit ce monsieur lui tournait dans la
t�te, l'Allemagne en armes, innombrable, d�vorante; et il sentait
bien que son compagnon non plus ne dormait pas, pensait aux m�mes
choses. Puis, celui-ci eut une impatience, un mouvement de recul,
et l'autre comprit qu'il le g�nait. Entre le paysan et le lettr�,
l'inimiti� d'instinct, la r�pugnance de classe et d'�ducation
�taient comme un malaise physique. Le premier pourtant en
�prouvait une honte, une tristesse au fond, se faisant petit,
t�chant d'�chapper � ce m�pris hostile qu'il devinait l�. Si la
nuit dehors devenait fra�che, on �touffait tellement sous la
tente, parmi l'entassement des corps, que Maurice, exasp�r� de
fi�vre, sortit d'un saut brusque, alla s'�tendre � quelques pas.
Jean, malheureux, roula dans un cauchemar, un demi-sommeil
p�nible, o� se m�laient le regret de ne pas �tre aim� et
l'appr�hension d'un immense malheur, dont il croyait entendre le
galop, l�-bas, au fond de l'inconnu.
-- Mais la soupe?
Et, d'un coup d'�paule, il lan�a son sac contre un talus. Merci!
Vingt-cinq kilos sur l'�chine, il en avait assez! On n'�tait pas
des b�tes de somme, pour tra�ner �a.
Et, dans une fi�vre d'aveugle col�re, lui aussi fit sauter les
bretelles, laissa tomber son sac au bord du chemin, en fixant sur
Jean des yeux de d�fi.
-- Ca ne fait rien, cria tr�s haut Loubet, avec son rire d'enfant
des halles, ce n'est tout de m�me pas � Berlin que nous allons.
-- Paysan!
-- Oui, c'est bien �a, je suis un paysan, tandis que vous �tes un
monsieur, vous!... Et c'est pour �a que vous �tes un cochon, oui!
Un sale cochon. Je ne vous l'envoie pas dire.
D'abord, les soldats s'�taient mis � rire. Elle avait une bonne
t�te, la vieille folle! Puis, des mots leur parvinrent, la vieille
criait:
Lui-m�me, dans son simple bon sens, �tait outr� de la b�tise des
chefs. Mais il fallait bien les faire respecter; et, comme
Chouteau grognait encore, il lui coupa la parole.
-- Ah! nom de Dieu! r�p�tait Chouteau, qui r�gnait d�j� dans son
coin, en ma�tre indiscut�, par sa toute-puissance de beau parleur,
c'est bien s�r qu'on va nous aligner � Charentonneau, pour
emp�cher Bismarck d'aller coucher aux Tuileries.
Jean �tait devenu tr�s rouge, sous le flot du sang de col�re qui
parfois lui montait au visage, dans ses rares coups de passion.
Bien qu'il f�t serr� par ses voisins comme dans un �tau vivant, il
se leva, avan�a ses poings tendus et sa face enflamm�e, d'un air
si terrible, que l'autre bl�mit.
III
Il la rappela.
-- Dites, n'est-ce pas dans une de ces maisons que l'empereur est
descendu?
D'une claque sonore, entre ses mains, il avait �cras� une mouche
au vol; et il s'�gayait plus haut, et il croyait de toute son
innocence � ce plan si ais�, retomb� d'aplomb dans sa foi au
courage invincible. Obligeamment, il indiqua aux deux soldats la
place exacte de leur r�giment; puis, heureux, un cigare aux dents,
il s'installa devant sa demi-tasse.
-- Ah! dit Prosper, devenu grave, ce n'est pas ici comme l�-bas,
on se bat autrement.
-- L'empereur!
Tous furent aussit�t debout. Entre les peupliers, par la grande
route blanche, un peloton de cent-gardes apparaissait, d'un luxe
d'uniformes correct encore et resplendissant, avec le grand soleil
dor� de leur cuirasse. Puis, tout de suite, venait l'empereur �
cheval, dans un large espace libre, accompagn� de son �tat-major,
que suivait un second peloton de cent-gardes.
-- Foutu!
Jean, dans son �troit bon sens, avait eu un hochement de t�te: une
sacr�e malchance pour une arm�e, un pareil chef! Et, dix minutes
plus tard, apr�s avoir serr� la main de Prosper, lorsque Maurice,
heureux de son fin d�jeuner, s'en alla fumer en fl�nant d'autres
cigarettes, il emporta cette image de l'empereur, si bl�me et si
vague, passant au petit trot de son cheval. C'�tait le
conspirateur, le r�veur � qui l'�nergie manque au moment de
l'action. On le disait tr�s bon, tr�s capable d'une grande et
g�n�reuse pens�e, tr�s tenace d'ailleurs en son vouloir d'homme
silencieux; et il �tait aussi tr�s brave, m�prisant le danger en
fataliste pr�t toujours � subir le destin. Mais il semblait frapp�
de stupeur dans les grandes crises, comme paralys� devant
l'accomplissement des faits, impuissant d�s lors � r�agir contre
la fortune, si elle lui devenait adverse. Et Maurice se demandait
s'il n'y avait pas l� un �tat physiologique sp�cial, aggrav� par
la souffrance, si la maladie dont l'empereur souffrait visiblement
n'�tait pas la cause de cette ind�cision, de cette incapacit�
grandissantes qu'il montrait depuis le commencement de la
campagne. Cela aurait tout expliqu�. Un gravier dans la chair d'un
homme, et les empires s'�croulent.
IV
-- � la soupe!
Puis, comme on faisait une courte halte pour laisser souffler les
hommes, il lui donna un bon conseil.
C'�tait comme pour les trois pains, attach�s sur les sacs: on ne
l'avait pas �cout�, les averses venaient de les d�tremper, � tel
point qu'ils s'�taient fondus, une vraie bouillie, impossible � se
mettre sous la dent.
-- Sales cochons, r�p�ta Jean hors de lui, c'est bien fait pour
vous! Et vous ne m�ritez pas la peine que je vais avoir � vous
d�terrer quelque chose, parce que, tout de m�me, mon devoir est de
ne pas vous laisser claquer en route!
-- Ah! nom de Dieu, la belle b�te! �a p�se dans les vingt livres.
Pour �tre seuls tous deux, il l'emmena vers la petite ferme, que
les soldats avaient pill�e la veille, et o� le paysan,
incorrigible, �pre au gain quand m�me, venait d'installer une
sorte de buvette, en mettant en perce un tonneau de vin blanc.
Devant la porte, sur une planche, il distribuait sa marchandise, �
quatre sous le verre, aid� par le gar�on qu'il avait engag� depuis
trois jours, le colosse blond, l'Alsacien.
Un hasard fit alors que Maurice reconnut Prosper, qui avait pouss�
son cheval au bord d'une mare; et ils purent causer un instant. Le
chasseur paraissait �tourdi, h�b�t�, ne sachant rien, n'ayant rien
vu depuis Reims: si pourtant, il avait vu deux uhlans encore, des
bougres qui apparaissaient, qui disparaissaient, sans qu'on s�t
d'o� ils sortaient ni o� ils rentraient. D�j�, on contait des
histoires, quatre uhlans entrant au galop dans une ville, le
revolver au poing, la traversant, la conqu�rant, � vingt
kilom�tres de leur corps d'arm�e. Ils �taient partout, ils
pr�c�daient les colonnes d'un bourdonnement d'abeilles, mouvant
rideau derri�re lequel l'infanterie dissimulait ses mouvements,
marchait en toute s�curit�, comme en temps de paix. Et Maurice eut
un grand serrement au coeur, en regardant la route encombr�e de
chasseurs et de hussards, qu'on utilisait si mal.
Le soir, quand Maurice voulut enlever son soulier pour voir son
talon qui battait d'une grosse fi�vre, il arracha la peau. Le sang
jaillit, il eut un cri de douleur. Et, comme Jean se trouvait l�,
il parut pris d'une grande piti� inqui�te.
Un loustic cria:
Et ce fut lui, avec son esprit pratique, qui eut une id�e.
Mais, avec le major Bouroche, d�s les premiers mots, les choses
faillirent mal tourner.
-- Vous ne savez donc pas, mon cher gar�on, que l'empereur est
descendu chez les Desroches... On a r�quisitionn� la maison pour
lui, et ils ne sont gu�re satisfaits du grand honneur, je vous
assure. Quand on pense qu'on a forc� la pauvre vieille maman, une
femme de soixante-dix ans pass�s, � donner sa chambre et � monter
se coucher sous les toits, dans un lit de bonne!... Tenez, tout ce
que vous voyez l�, sur la place, c'est � l'empereur, ce sont ses
malles enfin, vous comprenez!
-- Dites donc, mon jeune ami, je vais vous panser le pied, vous
d�nerez avec nous, et vous coucherez l�-haut, dans la petite
chambre de mon �l�ve, qui a fil�.
-- Ah! oui... On ne remonte plus par l�, c'est par l�-bas qu'on
va, pour y crever tous!
VI
-- Demande-lui donc, � ton bon Dieu, qu'il nous envoie une paire
de saucisses et une chopine � chacun.
Mais le lieutenant Rochas les fit taire. Ce n'�tait pas une honte,
de ne toujours songer qu'� son ventre! Lui, bonnement, serrait la
ceinture de son pantalon. Depuis que les choses tournaient
d�cid�ment mal, et que, par moments, au loin, on entendait la
fusillade, il avait retrouv� toute son ent�t�e confiance.
Puisqu'ils �taient l�, maintenant, les Prussiens, c'�tait si
simple: on allait les battre! Et il haussait les �paules, derri�re
le capitaine Beaudoin, ce jeune homme, comme il le nommait, que la
perte d�finitive de ses bagages d�solait, les l�vres pinc�es, le
visage p�le, ne d�rageant pas. Ne point manger, passe encore! Ce
qui l'indignait, c'�tait de ne pouvoir changer de chemise.
Et Loubet ajouta:
-- Ca!
-- Mais elle a mon �ge, je t'ai dit que nous �tions jumeaux.
-- Elle te ressemble?
-- Oui, elle est blonde aussi, oh! des cheveux fris�s, si doux!...
Toute petite, une figure mince, et pas bruyante, ah! non!... Ma
ch�re Henriette!
-- Oui, oui...
C'�tait lui qui, le matin, � la vue des uhlans, avait soutenu que
c'�taient des soldats � Bazaine.
-- Enfin, mon g�n�ral, reprit Sambuc, nous sommes venus pour vous
avertir que les bois de Dieulet, � cette heure, sont pleins de
Prussiens... Hier, comme le 5e corps quittait Bois-les-Dames, il a
eu un engagement, du c�t� de Nouart...
Maurice dit non, de la t�te. Son pied allait tout � fait mieux,
dans les larges souliers.
-- Alors, tu as faim?
Et Jean, voyant qu'il ne r�pondait pas, tira, sans �tre vu, l'un
des deux biscuits de son sac; puis, mentant avec simplicit�:
-- Quel fichu pays, avec ces c�tes et ces bois continuels!... Vous
entendez, o� est-ce, o� se bat-on?
-- Nom de Dieu! Qui est-ce qui m'a foutu un soldat pareil? ...
Est-ce que tu veux te faire ramasser par les Prussiens? Allons,
debout!
-- Oh! Moi, dit Jean, j'ai la peau plus dure, je puis attendre...
Un bon coup de sirop de grenouille, et me voil� d'aplomb!
VII
Les feux, sur les deux rives, br�laient plus haut, et leur clart�
en ce moment devenait si vive, que la sc�ne, dans son effroi,
s'�voquait avec une nettet� d'apparition. Sous le poids de la
cavalerie et de l'artillerie d�filant depuis le matin, les bacs
qui supportaient les madriers, avaient fini par s'enfoncer, de
sorte que le tablier se trouvait dans l'eau, � quelques
centim�tres. C'�taient maintenant les cuirassiers qui passaient,
deux par deux, d'une file ininterrompue, sortant de l'ombre de
l'une des berges pour rentrer dans l'ombre de l'autre; et l'on ne
voyait plus le pont, ils semblaient marcher sur l'eau, sur cette
eau violemment �clair�e, o� dansait un incendie. Les chevaux
hennissants, les crins effar�s, les jambes raidies, s'avan�aient
dans la terreur de ce terrain mouvant, qu'ils sentaient fuir.
Debout sur les �triers, serrant les guides, les cuirassiers
passaient, passaient toujours, drap�s dans leurs grands manteaux
blancs, ne montrant que leurs casques tout allum�s de reflets
rouges. Et l'on aurait cru des cavaliers fant�mes allant � la
guerre des t�n�bres, avec des chevelures de flammes.
-- Vous �tes donc des voleurs que vous cassez tout! cria-t-il
d'une voix dure. Qu'est-ce que vous voulez?
-- Je n'ai rien, pas une cro�te... Est-ce que vous croyez, comme
�a, qu'on en a pour nourrir des cent mille hommes... Ce matin, il
y en a d'autres, oui! De ceux au g�n�ral Ducrot, qui ont pass� et
qui m'ont tout pris.
-- Camarades, camarades...
-- Qui, toi?
-- M�me sur moi, p�re? demanda tout d'un coup une voix forte, qui
domina le bruit.
-- Dites donc, p�re, nous crevons de faim. Vous nous donnerez bien
du pain et du fromage, � nous autres!
-- Hein! �a va mieux?
Fouchard eut, sur son fils, un regard oblique, luisant d'un rire
int�rieur.
-- Si, si.
Puis, il se tut, cracha longuement; et l'artilleur dut reprendre,
apr�s un silence:
-- Non, non.
-- Et Charlot?
Et, comme elle sautait dans la salle, elle resta saisie devant les
trois hommes. Sous la lumi�re vacillante de la chandelle, elle
apparaissait, tr�s brune, avec ses �pais cheveux noirs, ses grands
beaux yeux, qui suffisaient � sa beaut�, dans son visage ovale,
d'une tranquillit� forte de soumission. Mais, en ce moment, la vue
brusque d'Honor� avait jet� tout le sang de son coeur � ses joues;
et elle n'�tait pas �tonn�e pourtant de le trouver l�, elle avait
song� � lui, en galopant depuis Raucourt.
-- Bonsoir, Silvine.
-- Bonsoir, Honor�.
� bout de force, tomb�e sur une chaise, elle raconta que, lorsque
le 7e corps avait envahi Raucourt, elle s'�tait r�fugi�e chez son
parrain, le docteur Dalichamp, esp�rant que le p�re Fouchard
aurait l'id�e de venir l'y prendre, avant de repartir. La Grande-
Rue �tait encombr�e d'une telle bousculade, qu'un chien ne s'y
serait pas risqu�. Et, jusque vers quatre heures, elle avait
patient�, assez tranquille, faisant de la charpie avec des dames;
car le docteur, dans la pens�e qu'on enverrait peut-�tre des
bless�s de Metz et de Verdun, si l'on se battait par l�,
s'occupait depuis quinze jours � installer une ambulance dans la
grande salle de la mairie. Du monde arrivait, qui disait qu'on
pourrait bien se servir tout de suite de cette ambulance; et, en
effet, d�s midi, on avait entendu le canon, du c�t� de Beaumont.
Mais �a se passait loin encore, on n'avait pas peur, lorsque, tout
d'un coup, comme les derniers soldats Fran�ais quittaient
Raucourt, un obus �tait venu, avec un bruit effroyable, d�foncer
le toit d'une maison voisine. Deux autres suivirent, c'�tait une
batterie allemande qui canonnait l'arri�re-garde du 7e corps.
D�j�, des bless�s de Beaumont se trouvaient � la mairie, on
craignit qu'un obus ne les achev�t sur la paille, o� ils
attendaient que le docteur v�nt les op�rer. Fous d'�pouvante, les
bless�s se levaient, voulaient descendre dans les caves, malgr�
leurs membres fracass�s, qui leur arrachaient des cris de douleur.
Prise d'un grand frisson, elle se mit les deux mains sur les yeux,
afin de ne plus voir.
-- Ah! oui, les Prussiens... Eh bien! ils avaient tout cass�, tout
pill�, tout mang� et tout bu. Ils volaient aussi le linge, les
serviettes, les draps, jusqu'aux rideaux, qu'ils d�chiraient en
longues bandes, pour se panser les pieds. J'en ai vu dont les
pieds n'�taient plus qu'une plaie, tant ils avaient march�. Devant
chez le docteur, au bord du ruisseau, il y en avait une troupe,
qui s'�taient d�chauss�s et qui s'enveloppaient les talons avec
des chemises de femme garnies de dentelle, vol�es sans doute � la
belle Madame Lef�vre, la femme du fabricant... Jusqu'� la nuit, le
pillage a dur�. Les maisons n'avaient plus de portes, elles
b�illaient sur la rue par toutes les ouvertures des rez-de-
chauss�e, et l'on apercevait les d�bris des meubles � l'int�rieur,
un vrai massacre qui mettait en col�re les gens calmes... Moi,
j'�tais comme folle, je ne pouvais rester davantage. On a eu beau
vouloir me retenir, en me disant que les routes �taient barr�es,
qu'on me tuerait pour s�r, je suis partie, je me suis jet�e tout
de suite dans les champs, � droite, en sortant de Raucourt. Des
chariots de Fran�ais et de Prussiens, en tas, arrivaient de
Beaumont. Deux ont pass� pr�s de moi, dans l'obscurit�, avec des
cris, des g�missements, et j'ai couru, oh! J'ai couru � travers
les terres, � travers les bois, je ne sais plus par o�, en faisant
un grand d�tour, du c�t� de Villers... Trois fois, je me suis
cach�e, en croyant entendre des soldats. Mais je n'ai rencontr�
qu'une autre femme qui courait aussi, qui se sauvait de Beaumont,
elle, et qui m'a dit des choses � faire dresser les cheveux...
Enfin, je suis ici, bien malheureuse, oh! Bien malheureuse!
-- Est-ce qu'il vous a forc�e? ... Est-ce que vous avez consenti?
-- Mon Dieu! Je ne sais pas, je vous jure que je ne sais pas moi-
m�me... Mais, voyez-vous, ce serait si mal de mentir! Et je ne
puis m'excuser, non! Je ne puis dire qu'il m'ait battue... Vous
�tiez parti, j'�tais folle, et la chose est arriv�e, je ne sais
pas, je ne sais pas comment!
Elle ne leva m�me pas les yeux, s'apaisant, reprenant son air de
r�signation courageuse.
Elle se leva toute droite, elle eut un cri et tomba entre les bras
du jeune homme. Elle ne pouvait parler, tout le sang de ses veines
�tait � son visage. Il s'�tait assis sur la chaise, il l'avait
prise sur ses genoux.
D'un baiser sur les l�vres, il la fit taire. Et elle n'avait d�j�
plus la force de refuser la f�licit� qui lui arrivait, toute la
vie heureuse qu'elle croyait � jamais morte. D'un �lan
involontaire, irr�sistible, elle le saisit � pleins bras, elle le
serra en le baisant � son tour, de toute sa force de femme, comme
un bien reconquis, � elle seule, que personne maintenant ne lui
enl�verait. Il �tait de nouveau � elle, lui qu'elle avait perdu,
et elle mourrait plut�t que de se le laisser reprendre.
Elle ne trouva pas un mot, elle le regarda de toute son �me, d'un
dernier et long regard, comme il sautait par la fen�tre, pour
rejoindre sa batterie, au pas de course.
-- Adieu, p�re!
VIII
Dans la bousculade, au bout de la chauss�e de Wadelincourt, place
de Torcy, Jean fut s�par� de Maurice; et il courut, s'�gara parmi
la cohue pi�tinante, ne put le retrouver. C'�tait une vraie
malchance, car il avait accept� l'offre du jeune homme, qui
voulait l'emmener chez sa soeur: l�, on se reposerait, on se
coucherait m�me dans un bon lit. Il y avait un tel d�sarroi, tous
les r�giments confondus, plus d'ordres de route ni plus de chefs,
que les hommes �taient � peu pr�s libres de faire ce qu'ils
voulaient. Quand on aurait dormi quelques heures, il serait
toujours temps de s'orienter et de rejoindre les camarades.
En levant les yeux, Jean lut sur une plaque: avenue de la Sous-
Pr�fecture. Au bout, il y avait un monument, dans un jardin. Et,
au coin de l'avenue, il aper�ut un cavalier, un chasseur
d'Afrique, qu'il crut reconna�tre. N'�tait-ce pas Prosper, le
gar�on de Remilly, qu'il avait vu � Vouziers, avec Maurice? Il
�tait descendu de son cheval, et le cheval, hagard, tremblant sur
les pieds, souffrait d'une telle faim, qu'il avait allong� le cou
pour manger les planches d'un fourgon, qui stationnait contre le
trottoir. Depuis deux jours, les chevaux n'avaient plus re�u de
rations, ils se mouraient d'�puisement. Les grosses dents
faisaient un bruit de r�pe, contre le bois, tandis que le chasseur
d'Afrique pleurait.
Puis, comme Jean, qui s'�tait �loign�, revenait, avec l'id�e que
ce gar�on devait savoir l'adresse des parents de Maurice, il ne le
revit plus. Alors, ce fut du d�sespoir, il erra de rue en rue, se
retrouva � la Sous-Pr�fecture, poussa jusqu'� la place Turenne.
L�, un instant, il se crut sauv�, en apercevant devant l'H�tel de
Ville, au pied de la statue m�me, le lieutenant Rochas, avec
quelques hommes de la compagnie. S'il ne pouvait rejoindre son
ami, il rallierait le r�giment, il dormirait au moins sous la
tente. Le capitaine Beaudoin n'ayant pas reparu, emport� de son
c�t�, �chou� ailleurs, le lieutenant t�chait de r�unir son monde,
s'informant, demandant en vain o� �tait fix� le campement de la
division. Mais, � mesure qu'on avan�ait dans la ville, la
compagnie, au lieu de s'accro�tre, diminuait. Un soldat, avec des
gestes fous, entra dans une auberge, et jamais il ne revint. Trois
autres s'arr�t�rent devant la porte d'un �picier, retenus par des
zouaves qui avaient d�fonc� un petit tonneau d'eau-de-vie.
Plusieurs, d�j�, gisaient en travers du ruisseau, d'autres
voulaient partir, retombaient, �cras�s et stupides. Chouteau et
Loubet, se poussant du coude, venaient de dispara�tre au fond
d'une all�e noire, derri�re une grosse femme qui portait un pain.
Et il n'y avait plus, avec le lieutenant, que Pache et Lapoulle,
ainsi qu'une dizaine de camarades.
Jean eut un geste vague, pour dire qu'il ne savait pas. Mais
Pache, montrant Lapoulle, r�pondit, gagn� par les larmes:
-- Nous sommes l�, il n'y a que nous deux... Que le bon Dieu ait
piti� de nous, c'est trop de mis�re!
-- Monsieur Delaherche?
-- Rue Maqua, presque au coin de la rue au beurre, une grande
belle maison, avec des sculptures.
Mais il se r�cria.
-- Oh! mon oncle, pourquoi n'est-il pas venu d�jeuner ici? On lui
aurait pr�par� une chambre... Si l'on envoyait le chercher?
-- C'est lui.
-- Avant midi, r�p�ta Weiss. Vous savez qu'il est sept heures du
soir et que vous dormez depuis douze heures environ.
Sept heures, bon Dieu! Ce fut un effarement. Jean, d�j� tout v�tu,
voulait courir, tandis que Maurice, encore au lit, se lamentait de
ne pouvoir plus remuer les jambes. Comment retrouver les
camarades? L'arm�e n'avait-elle pas fil�? Et tous deux se
f�chaient, on n'aurait pas d� les laisser dormir si longtemps.
Mais Weiss eut un geste de d�sesp�rance.
-- Pour ce qu'on a fait, mon Dieu! vous avez aussi bien fait de
rester couch�s.
Jean �carquillait les yeux, tandis que Maurice, � genoux sur son
lit, tendait le cou.
-- Quoi donc?
Comme pour le prier de venir � son aide, elle s'�tait tourn�e vers
Jean. Celui-ci la regardait, un peu surpris de la trouver moins
belle que la veille, plus mince, plus p�le, � pr�sent qu'il ne la
voyait plus au travers de la demi-hallucination de sa fatigue. Ce
qui restait frappant, c'�tait sa ressemblance avec son fr�re; et,
cependant, toute la diff�rence de leurs natures s'accusait
profonde, � cette minute: lui, d'une nervosit� de femme, �branl�
par la maladie de l'�poque, subissant la crise historique et
sociale de la race, capable d'un instant � l'autre des
enthousiasmes les plus nobles et des pires d�couragements; elle,
si ch�tive, dans son effacement de cendrillon, avec son air
r�sign� de petite m�nag�re, le front solide, les yeux braves, du
bois sacr� dont on fait les martyrs.
-- Dame! dit Jean, avec son bon sens, nous ne sommes pas les
seuls, nous faisons ce qu'on nous fait faire.
Mais la crise du jeune homme �clata, plus violente.
-- Quoi donc? petite soeur, c'est toi qui veux qu'on se batte, et
tu injuries la guerre!
Jean, tout de suite, avec son flair, trouva le 106e, dont les
tentes s'alignaient sur la pente du plateau, derri�re le
cimeti�re. La nuit �tait presque tomb�e; mais on distinguait
encore, par grandes masses, l'amas sombre des toitures de la
ville, puis, au del�, Balan et Bazeilles, dans les prairies qui se
d�roulaient jusqu'� la ligne des coteaux, de Remilly � Fr�nois;
tandis que, sur la gauche, s'�tendait la tache noire du bois de la
Garenne, et que, sur la droite, en bas, luisait le large ruban
p�le de la Meuse. Un instant, Maurice regarda cet immense horizon
s'an�antir dans les t�n�bres.
Deuxi�me partie
Une l�g�re chute de pl�tras lui fit lever la t�te. C'�tait une
balle qui venait d'�corner sa maison, dont il apercevait la
fa�ade, par-dessus le mur mitoyen. Il en fut tr�s contrari�, il
gronda:
Mais, derri�re lui, un autre petit bruit mou l'�tonna. Et, comme
il se retournait, il vit un soldat, frapp� en plein coeur, qui
tombait sur le dos. Les jambes eurent une courte convulsion, la
face resta jeune et tranquille, foudroy�e. C'�tait le premier
mort, et il fut surtout boulevers� par le fracas du chassepot,
rebondissant sur le pav� de la cour.
Alors, apr�s avoir jet� un regard vers les pr�s, o� les Bavarois
gagnaient du terrain, Weiss se d�cida � suivre Delaherche. Mais,
de l'autre c�t�, dans la rue, il voulut fermer sa maison � double
tour; et il rejoignait enfin son compagnon, lorsqu'un nouveau
spectacle les immobilisa tous les deux.
-- Au revoir, Fran�oise.
-- Au revoir, messieurs.
Oui, elle �tait bien morte. Il s'�tait baiss�, il lui t�tait les
mains; et, en se relevant, il rencontra le visage empourpr� du
petit Auguste, qui avait soulev� la t�te pour regarder sa m�re. Il
ne disait rien, il ne pleurait pas, il avait seulement ses grands
yeux de fi�vre �largis d�mesur�ment, devant cet effroyable corps
qu'il ne reconnaissait plus.
-- Nom de Dieu! put enfin crier Weiss, les voil� maintenant qui
tuent les femmes!
-- Ah! les bandits! cria Weiss, ils ont fait le tour... Je les
voyais bien qui filaient le long du chemin de fer... Tenez! les
entendez-vous, l�-bas, � gauche?
-- Je vous dis qu'il a �t� tu� net, un obus qui l'a coup� en deux.
-- � quelle heure?
Weiss, qui, d'un petit coup sec, remontait ses lunettes � chaque
seconde, expliquait la position au lieutenant, toujours assis
contre la porte, avec ses deux jambes coup�es, tr�s p�le et
agonisant du sang qu'il perdait.
II
-- O� tire-t-on?
Chouteau triomphait.
-- Comment, pas vrai? ... Alors, maintenant, c'est pas vrai que
nous sommes vendus? ... Ah! dis donc, toi l'aristo! est-ce que tu
en es, de la bande � ces sales cochons de tra�tres?
Il s'avan�ait, mena�ant.
-- Vrai! s'ils croient que ma peau ne vaut pas plus cher que
�a!... Je vais leur en donner pour leur argent.
-- Quoi donc? quoi donc? quels sont les sales pierrots qui se
disputent?
Et le lieutenant Rochas parut, avec son k�pi jauni par les pluies,
sa capote o� manquaient des boutons, toute sa maigre et
d�gingand�e personne dans un pitoyable �tat d'abandon et de
mis�re. Il n'en �tait pas moins d'une cr�nerie victorieuse, les
yeux �tincelants, les moustaches h�riss�es.
Rochas eut un geste, comme pour dire qu'il n'avait pas d'ordre.
Puis, apr�s un silence:
-- Quelqu'un a-t-il vu le capitaine?
-- Le voici, dit-il.
-- Voulez-vous bien vous coucher! Qui est-ce qui m'a fichu des
gaillards qui se font tuer, quand ils n'en ont pas l'ordre!
-- Dis donc, est-ce que nous allons passer la journ�e comme �a?
Finit-il par demander � Jean.
Et il r�p�ta son geste, comme pour dire qu'il �tait trop tard.
-- G�n�ral! g�n�ral!
-- Emportez-moi, emportez-moi...
III
Vers deux heures, toute habill�e, Henriette vint se jeter sur son
lit, en n�gligeant m�me de fermer la fen�tre. La fatigue,
l'anxi�t� l'�crasaient. Qu'avait-elle, � grelotter ainsi de
fi�vre, elle si calme d'habitude, marchant d'un pas si l�ger,
qu'on ne l'entendait pas vivre? Et elle sommeilla p�niblement,
engourdie, avec la sensation persistante du malheur qui pesait
dans le ciel noir. Tout d'un coup, au fond de son mauvais sommeil,
le canon recommen�a, des d�tonations sourdes, lointaines; et il ne
cessait plus, r�gulier, ent�t�. Frissonnante, elle se mit sur son
s�ant. O� �tait-elle donc? Elle ne reconnaissait plus, elle ne
voyait plus la chambre, qu'une �paisse fum�e semblait emplir.
Puis, elle comprit: des brouillards, qui s'�taient lev�s du fleuve
voisin, avaient d� envahir la pi�ce. Dehors, le canon redoublait.
Elle sauta du lit, elle courut � la fen�tre, pour �couter.
Mais elle eut un brusque geste, elle dit tout haut, en quittant la
fen�tre:
-- Gilberte!
Quand elle sut que six heures sonnaient, elle �prouva une g�ne,
plaisantant pour la cacher, disant que ce n'�tait pas une heure �
venir r�veiller les gens. Puis, � la premi�re question sur son
mari:
Sa chemise avait gliss�, une de ses �paules �tait nue, d'une chair
rose et fine, sous les m�ches �parses de la noire chevelure;
tandis qu'une odeur p�n�trante, une odeur d'amour s'exhalait de
son r�veil.
-- C'est tr�s mal d'avoir renou�, dit enfin Henriette de son air
s�rieux.
-- Alors, c'est Madame Weiss qui est mont�e vous r�veiller... Vous
avez pu dormir, ma fille...
�videmment, elle n'�tait pas venue pour dire cela. Ah! ce mariage
que son fils avait voulu faire contre son gr�, dans la crise de la
cinquantaine, apr�s vingt ans d'un m�nage glac� avec une femme
maussade et maigre, lui si raisonnable jusque-l�, tout emport�
maintenant d'un d�sir de jeunesse pour cette jolie veuve, si
l�g�re et si gaie!
-- Laissez donc! des mensonges! Il n'y a que les braves gens qui y
laisseront la peau!
-- Vous avez bien des terrines, des seaux, des marmites, enfin ce
que vous voudrez... Nous n'allons pas nous barbouiller de sang
jusqu'au nez, bien s�r!... Et des �ponges, t�chez de m'avoir des
�ponges!
-- Pauvres gens!
-- Mon mari?
-- Comment, l�-bas?
IV
-- Je vais � Bazeilles.
-- Comment, � Bazeilles!
Henriette, pour les calmer, leur dit simplement, d'une voix qui
tremblait un peu:
-- Vous �tes ensemble, sains et saufs tous les deux, et vous avez
vos fillettes: de quoi vous plaignez-vous?
Henriette remarqua alors que les obus venaient du Liry, tandis que
les batteries de Pont-Maugis et de Noyers ne tiraient plus que sur
Balan. Elle voyait tr�s nettement la fum�e, � chaque d�charge;
puis, elle entendait presque aussit�t le sifflement, que suivait
la d�tonation. Il dut y avoir un court r�pit, des vapeurs l�g�res
se dissipaient lentement.
Du coup, une joie folle fit danser le gamin, qui trouvait �a tr�s
farce.
Et c'�tait vrai, elle se releva, elle marcha d�s lors parmi les
balles avec une insouciance de cr�ature d�gag�e d'elle-m�me, qui
ne raisonne plus, qui donne sa vie. Elle ne cherchait m�me plus �
se prot�ger, allant tout droit, la t�te haute, n'allongeant le pas
que dans le d�sir d'arriver. Les projectiles s'�crasaient autour
d'elle, vingt fois elle manqua d'�tre tu�e, sans para�tre le
savoir. Sa h�te l�g�re, son activit� de femme silencieuse,
semblaient l'aider, la faire passer si fine, si souple dans le
p�ril, qu'elle y �chappait. Elle �tait enfin � Bazeilles, elle
coupa au milieu d'un champ de luzerne, pour rejoindre la route, la
grande rue qui traverse le village. Comme elle y d�bouchait, elle
reconnut sur la droite, � deux cents pas, sa maison qui br�lait,
sans qu'on v�t les flammes au grand soleil, le toit � demi
effondr� d�j�, les fen�tres vomissant des tourbillons de fum�e
noire. Alors, un galop l'emporta, elle courut � perdre haleine.
Weiss, d�s huit heures, s'�tait trouv� enferm� l�, s�par� des
troupes qui se repliaient. Tout de suite, le retour � Sedan �tait
devenu impossible, car les Bavarois, d�bordant par le parc de
Montivilliers, avaient coup� la ligne de retraite. Il �tait seul,
avec son fusil et les cartouches qui lui restaient, lorsqu'il
aper�ut devant sa porte une dizaine de soldats, demeur�s comme lui
en arri�re, isol�s de leurs camarades, cherchant des yeux un abri,
pour vendre au moins ch�rement leur peau. Vivement, il descendit
leur ouvrir, et la maison d�s lors eut une garnison, un capitaine,
un caporal, huit hommes, tous hors d'eux, enrag�s, r�solus � ne
pas se rendre.
-- G�cher une balle, ah! non, par exemple! vaut mieux en d�molir
un autre.
-- Tirez dans le tas, ne vous occupez pas du reste. Tant que votre
feu ne se ralentira point, ils sont bien trop prudents pour se
risquer.
-- Attendez!
-- Sales cochons!
Mais l'officier avait lev� son �p�e, et les deux hommes tomb�rent
comme des masses, le gar�on jardinier la face contre terre,
l'autre, le comptable, sur le flanc, le long du mur. Celui-ci,
avant d'expirer, eut une convulsion derni�re, les paupi�res
battantes, la bouche tordue. L'officier, qui s'approcha, le remua
du pied, voulant s'assurer qu'il avait bien cess� de vivre.
Jean, qui se tourna, fut inquiet de voir que Maurice avait laiss�
tomber sa t�te, la joue contre le sol, les yeux ferm�s. Il �tait
tr�s p�le, la face immobile.
-- Ah! bon sang, nous y voil�! cria Jean. Mais le tout est d'y
rester!
-- Non, non, c'est fini, j'aime mieux �a. Ce qui est exasp�rant,
c'est d'attendre ce qu'on ne peut �viter.
-- Mais, mon colonel, cria soudain Maurice, vous �tes bless�, vous
aussi!
La pi�ce avec ses six servants et son mar�chal des logis, plus
loin l'avant-train et ses quatre chevaux mont�s par les deux
conducteurs, plus loin le caisson, ses six chevaux, ses trois
conducteurs, plus loin encore la prolonge, la fourrag�re, la
forge, toute cette queue d'hommes, de b�tes et de mat�riel
s'�tendait sur une ligne droite, � une centaine de m�tres en
arri�re; sans compter les haut-le-pied, le caisson de rechange,
les b�tes et les hommes destin�s � boucher les trous, et qui
attendaient � droite, pour ne pas rester inutilement expos�s, dans
l'enfilade du tir.
-- Honor�, reprit Maurice, dit que les autres sont des clous, �
c�t� de la sienne... Ah! la sienne, il coucherait avec, jamais on
n'en trouvera la pareille! Vois donc de quel oeil il la couve, et
comme il la fait essuyer, pour qu'elle n'ait pas trop chaud!
-- Jean, en veux-tu?
Ce fut un rude moment. Prosper, qui n'�tait pas plus poltron qu'un
autre, alluma une cigarette, tant il avait la bouche s�che. Quand
on va charger, chacun peut se dire: �cette fois, j'y reste!� Cela
dura bien cinq ou six minutes, on racontait que le g�n�ral
Margueritte �tait all� en avant, pour reconna�tre le terrain. On
attendait. Les cinq r�giments s'�taient form�s en trois colonnes,
chaque colonne avait sept escadrons de profondeur, de quoi donner
� manger aux canons.
-- Chargez!
VI
Elle �tait tr�s p�le, elle leva la t�te, jeta un coup d'oeil
autour d'elle, avec un frisson. Puis, l'involontaire, l'invincible
sourire revint sur ses l�vres.
-- Oh! oui, effrayant, tous ces hommes que l'on coupe... C'est
dr�le que je reste l�, sans m'�vanouir.
-- Non, je ne sais rien... Vers midi, j'ai mont� une lettre pour
le mar�chal De Mac-Mahon. L'empereur �tait avec lui... Ils sont
rest�s pr�s d'une heure enferm�s ensemble, le mar�chal dans son
lit, l'empereur assis contre le matelas, sur une chaise... �a, je
le sais, parce que je les ai vus, quand on a ouvert la porte.
-- Non, non, ce n'est pas assez grand... Une moiti� de drap par
exemple.
Enfin, on allait donc �tre tranquille! Puis, cette joie lui parut
antipatriotique, il la refr�na. Mais son coeur soulag� battait
quand m�me, et il regarda un colonel et un capitaine, suivis du
sergent, qui sortaient � pas pr�cipit�s de la Sous-Pr�fecture. Le
colonel portait, sous le bras, la nappe roul�e. Il eut l'id�e de
les suivre, il quitta Rose, laquelle �tait tr�s fi�re d'avoir
fourni ce linge. � ce moment, deux heures sonnaient.
Bouroche l'interrompit.
-- Ah! nom de Dieu! c'est b�te, ce que vous avez fait l�!
-- J'ai dit oui, j'ai dit oui! est-ce que je savais, moi!
Et sa col�re tomba, il se mit � pleurer � chaudes larmes.
Bouroche ouvrit les yeux, retira ses bras des deux seaux, les
secoua, les essuya dans la paille. Puis, se soulevant sur les
genoux:
-- Faites, major.
-- Parlez donc plus haut, nom de Dieu! J'ai les oreilles en sang,
avec leur sacr� canon.
-- Le bras.
On lava la table, on jeta une fois encore les seaux d'eau rouge �
la vol�e, au travers de la pelouse. La corbeille de marguerites
n'�tait plus qu'une bouillie sanglante, de la verdure et des
fleurs hach�es dans du sang. Et le major, � qui on avait apport�
le num�ro trois, se mit, pour se d�lasser un peu, � chercher une
balle qui, apr�s avoir fracass� le maxillaire inf�rieur, devait
s'�tre log�e sous la langue. Beaucoup de sang coulait et lui
engluait les doigts.
En effet, � gauche, une porte, mal ferm�e, b�illait; et, par cette
fente, on apercevait l'empereur, qui avait repris sa marche
chancelante, de la chemin�e � la fen�tre. Il pi�tinait, ne
s'arr�tait pas, malgr� d'intol�rables souffrances.
Elle �tait tr�s �mue, sa jolie figure blonde exprimait une piti�
sinc�re. Aussi Delaherche, dont la ferveur bonapartiste se
refroidissait singuli�rement depuis deux jours, la trouva-t-il un
peu sotte. En bas, pourtant, il resta encore un instant avec elle,
guettant le d�part du g�n�ral Lebrun. Et, quand celui-ci reparut,
il le suivit.
VII
-- Ah! fichu sort! b�gaya Jean, c'est vexant tout de m�me d'�tre
l�, � se faire casser la gueule pour les autres, quand les autres
sont quelque part, � fumer tranquillement leur pipe!
-- � moi!
-- Au drapeau!
D'un bond, Rochas, revenu sur ses pas, prit le drapeau, dont la
hampe s'�tait bris�e; tandis que le sous-lieutenant murmurait, les
mots emp�t�s d'une �cume sanglante:
-- Voyons, avec des bons bougres comme vous, est-ce qu'on ne passe
pas o� l'on veut? ... Je trouverai bien cinquante bons bougres
pour se faire encore casser la gueule.
Cette fois, elle avait compris. Elle tendit vers les grands bois
sa main d�charn�e.
-- L�-bas, l�-bas!
-- Hein? Qu'est-ce que vous dites? ... Ces maisons qu'on aper�oit,
au bout des champs?
Et, poussant son cheval, sautant sur la selle comme une outre
gonfl�e d'un vent de col�re, il galopa du c�t� de Sedan.
On ne les avait pas revus, depuis qu'ils s'en �taient all�s, sous
le pr�texte de porter � l'ambulance le sergent Sapin. Sans doute,
ils avaient err� ensuite, fl�nant, �vitant les coins o� tombaient
les obus. Et ils venaient d'�chouer l�, dans cette auberge mise au
pillage.
-- Faites pas les serins, entrez, vous autres, qu'on vous rince le
gosier!
-- Ma pauvre ch�rie!
-- � quoi bon?
Cependant, son fr�re la poussait lui aussi, et elle dut monter les
marches, rester un instant au fond du vestibule, d'o� son regard
enfilait l'all�e. D�s lors, elle assista au combat.
Soudain, comme Jean levait les yeux, il vit Henriette, qui �tait
tranquillement revenue, glisser un sac sous la t�te du mis�rable,
en guise d'oreiller, apr�s l'avoir couch� sur le dos. Il courut,
la ramena violemment derri�re l'arbre, o� il s'abritait avec
Maurice.
-- Tenez ferme, mes enfants! Ne l�chez pas!... Ah! les capons, les
voil� qui filent! nous allons leur r�gler leur compte!
Une derni�re fois, Jean leva la t�te, regarda vers l'ouest, d'o�
montait une grande lueur rose; et il eut enfin un soupir de
soulagement immense.
VIII
-- Mon Dieu! prenez-moi donc... Mon Dieu! prenez donc tous ces
mis�rables qui souffrent...
-- Ah! s'�cria Maurice, c'est bien fichu, va! Nous pouvons nous
appr�ter � �tre Prussiens.
Et, tout �clop� qu'il �tait, les cheveux coll�s encore par le sang
de son �raflure, il se redressa, dans un besoin vivace de vivre,
de reprendre l'outil ou la charrue, pour reb�tir la maison, selon
sa parole. Il �tait du vieux sol obstin� et sage, du pays de la
raison, du travail et de l'�pargne.
-- C'est vrai, vous y �tes all�e, vous avez attrap� �a... Ah! ce
pauvre Weiss!
Et il avait laiss� tomber les pi�ces d'or dans le k�pi que Jean
lui tendait. Celui-ci, remu� par le chiffre de la somme, pr�s de
six cents francs, voulut tout de suite que Maurice en pr�t la
moiti�. On ne savait pas, ils pouvaient �tre brusquement s�par�s
l'un de l'autre.
-- � moi! � moi!
-- � moi! � moi!
Et, � cette heure m�me, Napol�on III �tait dans la pauvre maison
du tisserand, sur la route de Donchery. D�s cinq heures du matin,
il avait voulu quitter la Sous-Pr�fecture, mal � l'aise de sentir
Sedan autour de lui, comme un remords et une menace, toujours
tourment� du reste par le besoin d'apaiser un peu son coeur
sensible, en obtenant pour sa malheureuse arm�e des conditions
meilleures. Il d�sirait voir le roi de Prusse. Il �tait mont� dans
une cal�che de louage, il avait suivi la grande route large,
bord�e de hauts peupliers, cette premi�re �tape de l'exil, faite
sous le petit froid de l'aube, avec la sensation de toute la
grandeur d�chue qu'il laissait, dans sa fuite; et c'�tait, sur
cette route, qu'il venait de rencontrer Bismarck, accouru � la
h�te, en vieille casquette, en grosses bottes graiss�es,
uniquement d�sireux de l'amuser, de l'emp�cher de voir le roi,
tant que la capitulation ne serait pas sign�e. Le roi �tait encore
� Vendresse, � quatorze kilom�tres. O� aller? Sous quel toit
attendre? L�-bas, perdu dans une nu�e d'orage, le palais des
Tuileries avait disparu. Sedan semblait s'�tre recul� d�j� � des
lieues, comme barr� par un fleuve de sang. Il n'y avait plus de
ch�teaux imp�riaux, en France, plus de demeures officielles, plus
m�me de coin chez le moindre des fonctionnaires, o� il os�t
s'asseoir. Et c'�tait dans la maison du tisserand qu'il voulut
�chouer, la mis�rable maison aper�ue au bord du chemin, avec son
�troit potager enclos d'une haie, sa fa�ade d'un �tage, aux
petites fen�tres mornes. En haut, la chambre, simplement blanchie
� la chaux, �tait carrel�e, n'avait d'autres meubles qu'une table
de bois blanc et deux chaises de paille. Il y patienta pendant des
heures, d'abord en compagnie de Bismarck qui souriait � l'entendre
parler de g�n�rosit�, seul ensuite, tra�nant sa mis�re, collant sa
face terreuse aux vitres, regardant encore ce sol de France, cette
Meuse qui coulait si belle, au travers des vastes champs fertiles.
Troisi�me partie
Et, apr�s avoir aval� un verre de vin, il resta morne, les yeux
perdus, l�-bas, dans les t�n�bres de sa m�moire.
Silvine, qui �tait rest�e assise, avec Charlot sur les genoux,
n'avait pas quitt� Prosper des yeux. Lorsqu'elle le vit se lever,
pour se rendre tout de suite � l'�curie et faire la connaissance
des b�tes, elle demanda de nouveau:
-- Comment, rest�?
-- Oui, je crois que les Prussiens lui ont fait son affaire... Je
l'ai vu � moiti� renvers� sur un canon, la t�te droite, avec un
trou sous le coeur.
-- Dame! Aussi s�r qu'on peut l'�tre d'une chose qu'on a vue...
C'�tait sur un petit monticule, � c�t� de trois arbres, et il me
semble que j'irais, les yeux ferm�s.
Mais, quand le calme fut un peu revenu, Fouchard fut tr�s ennuy�
d'entendre que Silvine parlait toujours d'aller chercher le corps
d'Honor�, l�-bas. Elle s'obstinait, sans cris maintenant, dans un
silence d�sesp�r� et invincible; et il ne la reconnaissait plus,
elle si docile, faisant toutes les besognes en fille r�sign�e: ses
grands yeux de soumission qui suffisaient � la beaut� de son
visage avaient pris une d�cision farouche, tandis que son front
restait p�le, sous le flot de ses �pais cheveux bruns. Elle venait
d'arracher un fichu rouge qu'elle avait aux �paules, elle s'�tait
mise toute en noir, comme une veuve. Vainement, il lui repr�senta
la difficult� des recherches, les dangers qu'elle pouvait courir,
le peu d'espoir qu'il y avait de retrouver le corps. Elle cessait
m�me de r�pondre, il voyait bien qu'elle partirait seule, qu'elle
ferait quelque folie, s'il ne s'en occupait pas, ce qui
l'inqui�tait plus encore, � cause des complications o� cela
pouvait le jeter avec les autorit�s Prussiennes. Aussi finit-il
par se d�cider � se rendre chez le maire de Remilly, qui �tait un
peu son cousin, et � eux deux ils arrang�rent une histoire:
Silvine fut donn�e pour la veuve v�ritable d'Honor�, Prosper
devint son fr�re; de sorte que le colonel Bavarois, install� en
bas du village, � l'h�tel de la croix de Malte, voulut bien
d�livrer un laissez-Passer pour le fr�re et la soeur, les
autorisant � ramener le corps du mari, s'ils le d�couvraient. La
nuit �tait venue, tout ce qu'on put obtenir de la jeune femme, ce
fut qu'elle attendrait le jour pour se mettre en marche.
Lorsque Silvine eut ramen� l'�ne dans le chemin, elle exigea que
Prosper lui r�pond�t.
-- Voyons, o� est-ce?
-- Mais il n'y est pas, il n'y est pas!... Vous aurez mal vu...
Oui! Une id�e comme �a, une id�e fausse qui vous aura pass� par
les yeux!
-- Si vous vous �tiez tromp�, s'il vivait! Et bien s�r qu'il vit,
puisqu'il n'est pas l�!
Tout � coup, elle jeta un cri sourd. Elle venait de se retourner,
elle se trouvait sur l'emplacement m�me de la batterie. C'�tait
effroyable, le sol boulevers� comme par un tremblement de terre,
des d�bris tra�nant partout, des morts renvers�s en tous sens,
dans d'atroces postures, les bras tordus, les jambes repli�es, la
t�te d�jet�e, hurlant de leur bouche aux dents blanches, grande
ouverte. Un brigadier �tait mort, les deux mains sur les
paupi�res, en une crispation �pouvant�e, comme pour ne pas voir.
Des pi�ces d'or, qu'un lieutenant portait dans une ceinture,
avaient coul� avec son sang, �parses parmi ses entrailles. L'un
sur l'autre, le m�nage, Adolphe le conducteur et le pointeur
Louis, avec leurs yeux sortis des orbites, restaient farouchement
embrass�s, mari�s jusque dans la mort. Et c'�tait enfin Honor�,
couch� sur sa pi�ce bancale, ainsi que sur un lit d'honneur,
foudroy� au flanc et � l'�paule, la face intacte et belle de
col�re, regardant toujours, l�-bas, vers les batteries
Prussiennes.
II
Le cri des sentinelles, grandi peu � peu, �clata devant lui, alla
se perdre au loin. Il s'�tait r�veill�, il se retournait sur la
terre dure, lorsqu'un coup de feu d�chira le grand silence. Un
r�le de mort, tout de suite, avait travers� la nuit noire; et il y
eut un �claboussement d'eau, la courte lutte d'un corps qui coule
� pic. Sans doute quelque malheureux qui venait de recevoir une
balle en pleine poitrine, comme il tentait de se sauver, en
passant la Meuse � la nage.
-- Dame! Ils ont des raisons pour �tre contents. Et puis, peut-
�tre qu'ils croient nous distraire... La journ�e n'a pas �t�
mauvaise, ne nous plaignons pas.
Tous les deux donc, Jean et Maurice, s'en all�rent par le chemin
que ce dernier avait suivi d�j�, le long de la Meuse. Le parc de
la tour � Glaire et la maison d'habitation �taient d�vast�s,
pill�s, les pelouses ravin�es comme par un orage, les arbres
abattus, les b�timents envahis. Une foule en guenilles, des
soldats couverts de boue, les joues creuses, les yeux luisants de
fi�vre, y campaient en boh�miens, vivaient en loups dans les
chambres souill�es, n'osant sortir, de peur de perdre leur place
pour la nuit. Et, plus loin, sur les pentes, ils travers�rent la
cavalerie et l'artillerie, si correctes jusque-l�, d�chues elles
aussi, se d�sorganisant sous cette torture de la faim, qui
affolait les chevaux et jetait les hommes � travers champs, en
bandes d�vastatrices. � droite, ils virent, devant le moulin, une
queue interminable d'artilleurs et de chasseurs d'Afrique d�filant
avec lenteur: le meunier leur vendait de la farine, deux poign�es
dans leur mouchoir pour un franc. Mais la crainte de trop attendre
les fit passer outre, avec l'espoir de trouver mieux, dans le
village d'Iges; et ce fut une consternation, lorsqu'ils l'eurent
visit�, nu et morne, pareil � un village d'Alg�rie, apr�s un
passage de sauterelles: plus une miette de vivres, ni pain, ni
l�gumes, ni viande, les mis�rables maisons comme racl�es avec les
ongles. On disait que le g�n�ral Lebrun �tait descendu chez le
maire. Vainement, il s'�tait efforc� d'organiser un service de
bons, payables apr�s la campagne, de fa�on � faciliter
l'approvisionnement des troupes. Il n'y avait plus rien, l'argent
devenait inutile. La veille encore, on payait un biscuit deux
francs, une bouteille de vin sept francs, un petit verre d'eau-de-
vie vingt sous, une pipe de tabac dix sous. Et, maintenant, des
officiers devaient garder la maison du g�n�ral, ainsi que les
masures voisines, le sabre au poing, car de continuelles bandes de
r�deurs enfon�aient les portes, volaient jusqu'� l'huile des
lampes pour la boire.
-- Ah! comme c'est long! grogna Lapoulle, que son gros app�tit
torturait. Je vas l'assommer, voulez-vous?
Mais Loubet l'arr�ta. Merci! Pour se faire une sale histoire avec
les Prussiens, qui avaient d�fendu, sous peine de mort, de tuer un
seul cheval, dans la crainte que la carcasse abandonn�e
n'engendr�t la peste. Il fallait attendre la nuit close. Et
c'�tait pourquoi, tous les quatre, ils �taient dans le foss�, �
guetter, les yeux luisants, ne quittant pas la b�te.
-- Caporal, demanda Pache, d'une voix un peu tremblante, vous qui
avez de l'id�e, si vous pouviez le tuer sans lui faire du mal?
-- Ma foi, non, je n'ai pas d'id�e, et s'il faut le tuer, sans lui
faire du mal...
-- Je ne sais pas bien quel morceau �a peut �tre, dit enfin Loubet
en se relevant, les bras charg�s d'un lambeau �norme de viande.
Mais voil� tout de m�me de quoi nous en mettre par-dessus les
yeux.
Tous se r�cri�rent.
Il �tait quatre heures d�j�, ils n'avaient rien mang� encore, par
ce beau jeudi ensoleill�, lorsqu'ils eurent la joie, tout d'un
coup, d'apercevoir Delaherche. Quelques bourgeois de Sedan
obtenaient ainsi, � grand-peine, l'autorisation d'aller voir les
prisonniers, auxquels ils portaient des provisions; et Maurice,
plusieurs fois d�j�, avait dit sa surprise de n'avoir aucune
nouvelle de sa soeur. D�s qu'ils reconnurent de loin Delaherche,
charg� d'un panier, ayant un pain sous chaque bras, ils se
ru�rent; mais ils arriv�rent encore trop tard, une telle pouss�e
s'�tait produite, que le panier et un des pains venaient d'y
rester, enlev�s, disparus, sans que le fabricant de drap e�t pu
lui-m�me se rendre compte de cet arrachement.
Mais, cent pas plus loin, Pache, �videmment, se crut seul, car il
se mit � marcher d'un pas rapide, sans m�me jeter un regard en
arri�re. Et ils purent ais�ment le suivre jusque dans les
carri�res voisines, ils arriv�rent sur son dos, comme il
d�rangeait deux grosses pierres, pour prendre une moiti� de pain
dessous. C'�tait la fin de ses provisions, il avait encore de quoi
faire un repas.
Donner son pain, pourquoi donc? Si ch�tif qu'il f�t, une col�re le
redressa, tandis qu'il serrait le morceau de toutes ses forces sur
son coeur. Lui aussi avait faim.
-- Tiens! Le couteau!
-- Non!
-- Tiens! Regarde!
Lorsque l'aube parut, l'un des soldats �tait mort, l'autre r�lait
toujours.
-- Allons, viens, mon petit, dit Jean avec douceur. Nous allons
prendre l'air, �a vaudra mieux.
Mais, dehors, par la belle matin�e d�j� chaude, lorsque tous deux
eurent suivi la berge et se trouv�rent pr�s du village d'Iges,
Maurice s'exalta davantage, le poing tendu, l�-bas, vers le vaste
horizon ensoleill� du champ de bataille, le plateau d'Illy en
face, Saint-Menges � gauche, le bois de la Garenne � droite.
-- � nous! � nous!
-- Et Henriette? Henriette?
-- �coute, dit-il tout bas � Jean, qui marchait pr�s de lui, nous
allons attendre de passer le long d'un bois, et d'un saut nous
filerons parmi les arbres... La fronti�re belge n'est pas loin,
nous trouverons bien quelqu'un pour nous y conduire.
Mais, d'un geste, Maurice disait qu'il y avait des chances pour
qu'on les manqu�t, et puis, apr�s tout, que, s'ils y restaient, ce
serait tant pis!
-- Il y a des v�tements?
-- � trois sous les deux, � trois sous les deux, les cigares de
Bruxelles!
-- � trois sous les deux, � trois sous les deux, les cigares de
Bruxelles!
En quelques minutes, Jean fut d�barrass� de sa marchandise. On se
pressait, on riait: en voil� donc un qui �tait raisonnable, qui ne
volait pas le pauvre monde! Attir�s par le bon march�, des
Prussiens s'approch�rent aussi, et il dut faire du commerce avec
eux. Il avait manoeuvr� de fa�on � franchir l'enceinte gard�e, il
vendit ses deux derniers cigares � un gros sergent barbu, qui ne
parlait pas un mot de Fran�ais.
-- Ne marche donc pas si vite, sacr� bon Dieu! r�p�tait Jean dans
le dos de Maurice. Tu vas nous faire reprendre.
Puis, comme il souriait d'un air tr�s bon, ils se risqu�rent, tout
bas.
-- Nom de Dieu! Jura d'une voix sourde Jean, qui retint un cri de
douleur.
-- Tu es b�te!
-- Tais-toi, tu es b�te!
-- Que je vous garde, toi et ton ami? ... Pour avoir des histoires
avec les Prussiens, ah! non, par exemple! J'aimerais mieux crever
tout de suite!
Pourtant, il ajouta:
-- Et vous, mon brave, vous seriez mieux dans un lit que sur cette
chaise.
-- Non, non! Ce n'est pas fini, non! Il faut que je m'en aille...
Non! Puisque lui, maintenant, en a pour des semaines, pour des
mois peut-�tre, � �tre l�, je ne puis pas rester, je veux m'en
aller tout de suite... N'est-ce pas? Docteur, vous m'aiderez, vous
me donnerez bien les moyens de m'�chapper et de rentrer � Paris.
-- Tu t'en vas?
IV
-- C'est donc �a que nous n'avons pas �t� les plus forts!...
N'importe, on donne les chiffres: Bazaine a cent cinquante mille
hommes, trois cent mille fusils, plus de cinq cents canons; et
bien s�r qu'il leur m�nage un sacr� coup de sa fa�on.
Une rafale plia les arbres, au loin, fit g�mir les vieilles
charpentes de la ferme. Si l'hiver devait �tre dur, quelles
souffrances pour les pauvres soldats, sans feu, sans pain, qui se
battraient dans la neige!
-- Comment, de trahir?
-- Ah! ne m'�chauffez pas les oreilles, vous savez tr�s bien que
les trois vaches que vous nous avez vendues dimanche �taient
pourries... Parfaitement, pourries, enfin malades, crev�es de
maladie infecte, car elles ont empoisonn� mes hommes, et il y en a
deux qui doivent en �tre morts � l'heure qu'il est.
Sa m�re, follement, le prit dans ses bras, l'assit sur ses genoux.
Ah! le pauvre �tre, sa joie et son d�sespoir, qu'elle aimait de
toute son �me et qu'elle ne pouvait regarder sans pleurer, ce fils
de sa chair qu'elle souffrait d'entendre appeler m�chamment le
Prussien par les gamins de son �ge, lorsqu'ils jouaient avec lui
sur la route! Elle le baisa, comme pour lui rentrer les paroles
dans la bouche.
-- Ah! bon! c'est vous trois... Qu'est-ce que vous m'apportez, sur
cette brouette?
-- Dis donc, toi! est-ce que tu nous prends pour des mendiants, �
nous laisser dehors par un temps pareil?
Mais, tandis que Prosper, tr�s calme, haussant les �paules sans
r�pondre, faisait rentrer le cheval et la carriole, ce fut de
nouveau le p�re Fouchard qui intervint, pench� sur la brouette.
-- Dites donc, ils en ont fait une histoire, pour ces deux uhlans
qu'ils ont ramass�s sans t�te, pr�s de Villecourt... Vous savez
que Villecourt br�le depuis hier: une sentence, comme ils disent,
qu'ils ont port�e contre le village, pour le punir de vous avoir
accueillis... Faut �tre prudent, vous savez, et ne pas revenir
tout de suite. On vous portera le pain l�-bas.
-- Tout �a, c'est des choses dont on ne doit pas causer, reprit
prudemment le p�re Fouchard. � votre sant�, et bonsoir!
-- Mais oui, c'est moi, p�re Fouchard... Je n'ai pas voulu revenir
par ici, sans vous dire un petit bonjour.
-- Oh! Non, Silvine est l�-bas qui donne � manger aux vaches...
Est-ce que tu veux la voir, Silvine?
En effet, elle �tait tr�s belle, dans sa p�leur, avec ses grands
yeux superbes qui �clairaient tout son visage. Ses lourds cheveux
noirs la coiffaient comme d'un casque de deuil �ternel.
-- Jamais!
-- Oh! C'est bien �a, oui! C'est bien �a qui me rend folle.
Pourquoi ai-je consenti, puisque je ne vous aimais point? ... Je
ne puis pas me souvenir, j'�tais si triste, si malade du d�part
d'Honor�, et �'a �t� peut-�tre parce que vous me parliez de lui et
que vous aviez l'air de l'aimer... Mon Dieu! Que de nuits j'ai
pass�es � pleurer toutes les larmes de mon corps, en songeant �
�a! C'est abominable d'avoir fait une chose qu'on ne voulait pas
faire, sans pouvoir s'expliquer ensuite pourquoi on l'a faite...
Et il m'avait pardonn�, il m'avait dit que, si ces cochons de
Prussiens ne le tuaient pas, il m'�pouserait tout de m�me, quand
il rentrerait du service... Et vous croyez que je vais retourner
avec vous? Ah! tenez! sous le couteau, je dirai non, non, jamais!
-- Comment, le petit?
Mais elle ne r�pondait pas, elle serrait l'enfant plus fort, comme
si elle e�t craint qu'on ne le lui arrach�t tout de suite; et,
dans ses grands yeux, montait une ex�cration �pouvant�e.
-- Silvine! Silvine!
-- Silvine! Silvine!
Les yeux �largis dans sa face p�le, Silvine s'�tait lev�e. Elle ne
pronon�a pas une parole, elle alluma une chandelle, qu'elle vint
poser de l'autre c�t� de la t�te de Goliath, qui apparut, vivement
�clair�e, comme entre deux cierges. Et leurs regards, � ce moment,
se rencontr�rent: il la suppliait, �perdu, envahi par la peur;
mais elle ne parut pas comprendre, elle se recula jusqu'au buffet,
resta l� debout, de son air t�tu et glac�.
Goliath, qui ne pouvait remuer un doigt, tourna les yeux vers son
d�fenseur improvis�. Il n'avait plus que les yeux de vivants, des
yeux de supplication ardente, sous le front livide, que trempait
une sueur d'angoisse, � grosses gouttes, malgr� le froid.
-- Ainsi, tel est bien votre arr�t � tous les deux... La mort?
-- Dites donc, esp�ces de salops que vous �tes, est-ce que vous
n'auriez pas pu faire vos salet�s dehors? Hein! Vous prenez donc
ma maison pour un fumier, que vous venez y g�ter les meubles, avec
des coups pareils?
Et, dans la nuit tr�s noire, sur la neige p�le, le petit cort�ge
s'en alla, disparut, sans autre bruit qu'un l�ger cri plaintif de
la brouette.
Sambuc jura toujours sur la t�te de son p�re qu'il avait bien mis
les deux bons cailloux aux pattes. Pourtant, le corps remonta, les
Prussiens le d�couvrirent trois jours plus tard, � Pont-Maugis,
dans de grandes herbes; et leur fureur fut extr�me, lorsqu'ils
eurent tir� du sac ce mort, saign� au cou comme un pourceau. Il y
eut des menaces terribles, des vexations, des perquisitions. Sans
doute, quelques habitants durent trop causer, car on vint un soir
arr�ter le maire de Remilly et le p�re Fouchard, coupables
d'entretenir de bons rapports avec les francs-tireurs, qu'on
accusait d'avoir fait le coup. Et le p�re Fouchard, dans cette
circonstance extr�me, fut vraiment tr�s beau, avec son
impassibilit� de vieux paysan qui connaissait la force invincible
du calme et du silence. Il marcha, sans s'effarer, sans m�me
demander d'explications. On allait bien voir. Dans le pays, on
disait tout bas qu'il avait d�j� tir� des Prussiens une grosse
fortune, des sacs d'�cus enfouis quelque part, un � un, � mesure
qu'il les gagnait.
VI
-- Vous arrivez tr�s mal, mon fils part ce soir pour Bruxelles...
D'ailleurs, il est comme moi, sans puissance aucune... Adressez-
vous donc � ma belle-fille, qui peut tout.
-- Non, non! Nous ne pouvons pas �tre avec les fous furieux. Ca
devient du massacre... Moi, je suis avec Monsieur Thiers, qui veut
les �lections; et, quant � leur r�publique, mon Dieu! Ce n'est pas
elle qui me g�ne, on la gardera s'il le faut, en attendant mieux.
-- Comment, de te surprendre?
Henriette avait fini par se remettre. Elle essuya les yeux de son
amie, elle la for�a de r�parer le d�sordre de ses v�tements.
Le p�re Fouchard, pour les adieux, fit bien les choses. Il envoya
Silvine chercher deux bouteilles de vin, il voulut que tout le
monde b�t un verre � l'extermination des allemands. Lui, gros
monsieur d�sormais, tenait son magot, cach� quelque part; et,
tranquille depuis que les francs-tireurs des bois de Dieulet
avaient disparu, traqu�s comme des fauves, il n'avait plus que le
d�sir de jouir de la paix prochaine, lorsqu'elle serait conclue.
M�me, dans un acc�s de g�n�rosit�, il venait de donner des gages �
Prosper, pour l'attacher � la ferme, que le gar�on, d'ailleurs,
n'avait pas l'envie de quitter. Il trinqua avec Prosper, il voulut
trinquer aussi avec Silvine, dont il avait eu un instant l'id�e de
faire sa femme, tant il la voyait sage, tout enti�re � sa besogne;
mais � quoi bon? Il sentait bien qu'elle ne se d�rangerait plus,
qu'elle serait encore l�, lorsque Charlot, grandi, partirait comme
soldat � son tour. Et, quand il eut trinqu� avec le docteur, avec
Henriette, avec Jean, il s'�cria:
-- � la sant� de tous! Que chacun fasse son affaire et ne se porte
pas plus mal que moi!
-- Adieu! Adieu!
VII
-- Ah! non, non! mon petit, je ne reste pas, si c'est pour cette
belle besogne... Mon capitaine m'a dit d'aller � Vaugirard, avec
mes hommes, et j'y vais. Quand le tonnerre de Dieu y serait,
j'irais tout de m�me. C'est naturel, tu dois sentir �a.
Mais, d'un geste de furieuse r�volte, Maurice lui avait l�ch� les
mains. Et tous deux rest�rent quelques secondes face � face, l'un
dans l'exasp�ration du coup de d�mence qui emportait Paris entier,
ce mal venu de loin, des ferments mauvais du dernier r�gne,
l'autre fort de son bon sens et de son ignorance, sain encore
d'avoir pouss� � part, dans la terre du travail et de l'�pargne.
Tous les deux �taient fr�res pourtant, un lien solide les
attachait, et ce fut un arrachement, lorsque, soudain, une
bousculade qui se produisit, les s�para.
-- Au revoir, Maurice!
-- Au revoir, Jean!
-- Au revoir, Jean!
-- Au revoir, Maurice!
VIII
-- C'est vous, Otto... Oh! soyez bon, puisque le hasard nous remet
une fois encore face � face.
-- Oh! mon Dieu, vous ne voulez rien faire... Oh! mon Dieu, � qui
vais-je m'adresser?
-- � quoi bon? puisque, demain, il n'y aura plus l�-bas que des
d�combres!
-- Oh! mon petit, est-ce que tu vis encore? Est-ce que j'aurai
cette chance, sale brute que je suis? ... Attends, laisse-moi
voir.
-- Peux-tu marcher?
-- Oui, je crois.
Brusquement, une id�e lui vint. S'il y avait des barques, au bas
du pont royal, comme autrefois, on allait pouvoir tenter le coup.
Ce serait tr�s long, dangereux, pas commode; mais on n'avait pas
le choix, et il fallait se d�cider vite.
Mais, d'un geste terrifi�, Jean le fit taire, comme s'il avait
craint qu'un tel blasph�me ne leur port�t malheur. �tait-ce
possible qu'un gar�on qu'il aimait tant, si instruit, si d�licat,
en f�t arriv� � des id�es pareilles? Et il ramait plus fort, car
il avait d�pass� le pont de Solf�rino, il se trouvait maintenant
dans un large espace d�couvert. La clart� devenait telle, que la
rivi�re �tait �clair�e comme par le soleil de midi, tombant
d'aplomb, sans une ombre. On distinguait les moindres d�tails avec
une pr�cision singuli�re, les moires du courant, les tas de
graviers des berges, les petits arbres des quais. Surtout, les
ponts apparaissaient, d'une blancheur �clatante, si nets, qu'on en
aurait compt� les pierres; et l'on aurait dit, d'un incendie �
l'autre, de minces passerelles intactes, au-dessus de cette eau
braisillante. Par moments, au milieu de la clameur grondante et
continue, de brusques craquements se faisaient entendre. Des
rafales de suie tombaient, le vent apportait des odeurs empest�es.
Et l'�pouvantement, c'�tait que Paris, les autres quartiers
lointains, l�-bas, au fond de la trou�e de la Seine, n'existaient
plus. � droite, � gauche, la violence des incendies �blouissait,
creusait au del� un ab�me noir. On ne voyait plus qu'une �normit�
t�n�breuse, un n�ant, comme si Paris tout entier, gagn� par le
feu, f�t d�vor�, e�t d�j� disparu dans une �ternelle nuit. Et le
ciel aussi �tait mort, les flammes montaient si haut, qu'elles
�teignaient les �toiles.
Ah! cette rue des Orties, avec quelle fi�vre d'impatience Jean la
souhaitait, depuis quatre grandes heures! Lorsqu'ils y entr�rent,
ce fut une d�livrance. Elle �tait noire, d�serte, silencieuse,
comme � cent lieues de la bataille. La maison, une vieille et
�troite maison sans concierge dormait d'un sommeil de mort.
-- C'est moi qui l'ai tu�... Oui, l�-bas, sur une barricade... Il
se battait d'un c�t�, moi de l'autre...
-- Tonnerre de Dieu! est-ce que vous vous fichez de moi? ... Des
brigands qui sont las de voler, d'assassiner et d'incendier!...
Son affaire est claire, � votre bandit, et je me charge de le
faire gu�rir, oui! avec trois balles dans la t�te!
Alors, Bouroche eut un grand geste, comme pour dire qu'on allait
loin, quand on entrait dans ces id�es-l�. Il fut sur le point de
parler encore, finit par se taire. Et il partit, en ajoutant
simplement:
-- Je reviendrai.
Mais Maurice, sans quitter des yeux les quartiers qui br�laient,
l�-bas, b�gaya lentement, avec peine:
-- Non, non, ne maudis pas la guerre... Elle est bonne, elle fait
son oeuvre...
Son fr�re, mon Dieu! son Maurice ador� par del� la naissance, qui
�tait un autre elle-m�me, qu'elle avait �lev�, sauv�! son unique
tendresse, depuis qu'elle avait vu, � Bazeilles, contre un mur, le
corps de son pauvre Weiss trou� de balles! La guerre achevait donc
de lui prendre tout son coeur, elle resterait donc seule au monde,
veuve et d�pareill�e, sans personne qui l'aimerait!
-- Ah! bon sang! cria Jean dans un sanglot, c'est ma faute!... Mon
cher petit pour qui j'aurais donn� ma peau, et que je vais
massacrer comme une brute!... Qu'allons-nous devenir? Me
pardonnerez-vous jamais?
-- Adieu!
-- Adieu!
-- Adieu!
-- Adieu!
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