Globalisation Economique. Genese, Formes Et Perspectives
Globalisation Economique. Genese, Formes Et Perspectives
Globalisation Economique. Genese, Formes Et Perspectives
TITRE
GLOBALISATION ECONOMIQUE.
GENESE, FORMES ET PERSPECTIVES
PREPAREE PAR
BOUFEDJI ABDELOUAHAB
DIRECTEUR DE THESE
BOUKELLA MOURAD
JURY COMPOSE DES PROFESSEURS
KOUDRI AHMED
FERFERA MOHAMED YACINE
INAL MYRIAM
BENABDELLAH YOUCEF
Remerciements
INTRODUCTION GENERALE…………………………………………………………………………………… 6
CONCLUSION…………………………………………………………………………………………………………… 451
NOTES………………………………………………………………………………………………………………………. 458
BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………………………………………………. 472
INTRODUCTION GENERALE
Introduction générale
Cela n’a rien d’étonnant dans la mesure où bon nombre de ceux qui
interviennent dans ce débat ne le font pas à titre de connaisseurs, d’experts ou
d’universitaires spécialisés. Leurs réflexions et leurs contributions manquent de
rigueur scientifique car elles ne sont pas délimitées par des disciplines clairement
définies comme l’analyse économique, la géostratégie ou la sociologie. A titre
d’exemple, dans son livre The Lexus and the Olive Tree (la Lexus et l’olivier ),
Thomas Friedman, éditorialiste du New York Times, associe la Lexus, qui est une
marque de voiture de luxe japonaise, au processus de mondialisation1. Selon lui, cette
voiture dont la conception et la production ont nécessité la collaboration de groupes de
travailleurs situés aux quatre coins de la planète symbolise l’ère nouvelle de la
mondialisation qui a succédé à la période de la guerre froide. L’auteur soutient que la
mondialisation se définit comme un mouvement d’interdépendance accrue des
relations économiques, technologiques et culturelles entre les différentes nations. La
mondialisation serait donc facteur de convergence entre les parties constitutives du
nouveau système international et, à ce titre, favorise la paix et la coopération entre les
pays du monde. A l’inverse de la Lexus, l’olivier symbolise le conflit israélo-arabe et,
au-delà, toutes les guerres ethniques et religieuses ainsi que l’exacerbation des
sentiments nationalistes, sources de conflits régionaux violents .
Cette analyse rappelle une étude menée sur le thème de la mondialisation auprès
d’un groupe d’enseignants de l’Université du Koweït 2. Parmi les questions posées
dans le cadre de cette enquête, on pouvait y lire ceci : « la mondialisation est-elle une
des formes de l’hégémonie culturelle subie par le monde arabe ? La mondialisation
est-elle contraire à nos valeurs islamiques ?
Il est vrai que ces deux questions ont recueilli des réponses affirmatives à
hauteur de 50 % pour la première et 36% pour la seconde. Mais ce n’est pas là le plus
important. Ce qui compte le plus à nos yeux, c’est de montrer comment deux études
1
Thomas Friedman, The Lexus and the Olive Tree, Anchor Books, 2000.
2
ا، ﺍﻟﺠﺎﻤﻌﺎﺕ ﺍﻟﻌﺭﺒﻴﺔ ﻤﺠﻠﺔ ﺍﺘﺤﺎﺩ، ﺍﻟﺜﻘﺎﻓﺔ ﺍﻟﻌﺭﺒﻴﺔ ﺍﻹﺴﻼﻤﻴﺔ ﺇﺯﺍﺀ ﺘﺤﺩﻴﺎﺕ ﺍﻟﻌﻭﻟﻤﺔ ﻭ ﻓﺭﺼﻬﺎ،ﻋﻠﻲ ﺃﺴﻌﺩ ﻭﻁﻔﺔ ﻭ ﻤﺤﻤﺩ ﺍﻟﻌﺒﺩ ﺍﻟﻐﻔﻭﺭ
ﺍﻟﻌﺩﺩ ﺍﻟﺤﺎﺩﻱ ﻭ ﺍﻷﺭﺒﻌﻭﻥ
-6-
INTRODUCTION GENERALE
Dans ces conditions, nous avons jugé utile lors de l’entame du présent travail de
recherche de privilégier une problématique générale qui traite du problème dans sa
globalité et non dans un de ses aspects spécifiques. La question centrale qui sous-tend
cette problématique peut être formulée ainsi : quel est le trait fondamental qui permet
de définir le mouvement de globalisation de façon simple et précise ? Bien sûr, notre
démarche n’est pas de nature exhaustive et n’a pas pour but d’épuiser le sujet. Il s’agit
plutôt de parvenir à isoler l’élément le plus caractéristique du processus de
globalisation afin qu’il puisse servir de grille de lecture pour déchiffrer les différentes
composantes qui forment ce phénomène. Nous avons choisi d’utiliser le terme de
globalisation plutôt que celui de mondialisation car, à notre avis, le second terme
recouvre ou correspond aussi à des phénomènes extra-économiques multiples,
compliqués et interdépendants qu’il serait très délicat de séparer des processus
exclusivement économiques.
3
En 1983, Théodore Levitt emploie ce terme pour désigner la convergence des marchés dans le monde entier.
Ainsi, la « firme globale » agit comme si les principales régions du monde constituaient une entité unique. Elle
-7-
INTRODUCTION GENERALE
processus de globalisation est telle qu’il ne peut s’agir que d’une nouvelle phase de
l’économie mondiale. Cependant il n’est pas possible de se contenter de définir ce
processus à partir de ce seul élément. Le plus important est, en effet, de dire en quoi la
globalisation constitue-elle une nouvelle étape de l’économie mondiale. Beaucoup de
thèses qui ont été avancées pour répondre à cette question ont privilégié l’idée que
c’est l’essor considérable des échanges extérieurs qui marque le commencement de la
phase de globalisation. Certes, les chiffres sur le commerce extérieur témoignent,
incontestablement, d’une croissance remarquable des échanges internationaux de biens
et services depuis la fin du XXe siècle. Néanmoins, ces chiffres sont exprimés en
valeurs absolus, tandis que rapportés aux valeurs des PIB des grandes nations
commerciales, ils montrent une grande stabilité dans le temps 4. Par ailleurs, cette
thèse sur le rôle prépondérant du commerce international dans le processus de
globalisation paraît plus fragile encore face aux arguments de ceux qui disent que la
fraction de la production globale qui était échangée par les grandes puissances
commerciales à la fin du XIXe et au début du XXe siècle était plus importante qu’elle
ne l’est aujourd’hui. Bien sûr, il s’agit là d’un argument de statique comparative qui ne
fait qu’opposer une situation par rapport à une autre. Il ne tient pas compte du
caractère dynamique du phénomène analysé et ne prend pas en compte, non plus, le
rôle de l’évolution du niveau des prix des biens échangés entre les différents pays. En
effet, si un bien connaît une hausse dans le volume de ses ventes à l’étranger, la valeur
de celles-ci pourrait bien régresser si la demande mondiale pour ce bien est
caractérisée par une faible élasticité par rapport au prix. A vrai dire, après
considération de l’ensemble des facteurs liés à l’évolution récente du commerce
extérieur, il paraît logique de dire que l’essor des échanges extérieurs ces vingt
dernières années est plus une conséquence de la globalisation qu’une des causes de
celle-ci. Et la même chose peut être dite, avec certaines nuances, à propos de
l’accroissement exponentiel des investissements directs à l’étranger depuis le début
des années 1980.
vend la même chose, de la même manière partout. En ce sens, la globalisation des marchés s’oppose àn la vision
antérieure d’un cycle du produit qui consistait à vendre aux pays moins avancés les produits devenus obsolètes
dans les pays les plus riches. T.Levitt, The Globalization of Markets, Harvard Business Review, mai-juin 1983.
4
Paul Krugman, America ; The Boastful, Foreign Afffairs, Mai-Juin 1998.
-8-
INTRODUCTION GENERALE
présence de plus en plus manifeste de ces pays sur les marchés mondiaux est en train
d’aboutir à « une restructuration massive de l’appareil productif, ce qui ne permet pas
aux pays riches de maintenir leur niveau de vie antérieur ». En d’autres termes, la
concurrence des économies émergentes du Tiers monde est devenue une menace pour
les pays occidentaux riches. Les craintes exprimées à propos de la croissance des pays
émergents semblent se focalisées sur les flux de capitaux plutôt que sur le commerce .
Les problèmes de chômage dans les économies occidentales étaient expliqués par la
mobilité du capital. Le capital du premier monde semblait ne créer d’emplois que dans
le Tiers monde. En effet, dans le cas des pays en développement, il existe une relation
de dépendance étroite entre flux d’exportations et stocks d’investissements étrangers
reçus. Le plus souvent, les premiers n’ont pu être portés à des niveaux
significativement élevés que parce que les seconds l’ont été aussi .
La thèse selon laquelle la concurrence du Tiers monde serait l’un des plus graves
problèmes auxquels doivent faire face les pays avancés est à la fois discutable d’un
point de vue théorique et démentie par les faits. En effet, les chiffres concernant les
exportations de capital vers les pays émergents peuvent paraître importants, mais ils
sont relativement faibles en comparaison du stock de capital et des investissements
dans les pays avancés. En 2002, environ 2 % seulement des investissements des pays
de la zone O.C.D.E. furent détournés vers l’extérieur 5. Par ailleurs, comme le
commerce avec les pays à bas salaires représente moins de 2 % du PNB, son incidence
sur le niveau de vie des pays développés paraît limité6.
La première hypothèse de travail sur laquelle nous nous appuyons pour apporter
une réponse à cette question est d’ordre épistémologique . En effet, le premier pas
significatif vers la globalisation a peut-être été franchi à la faveur de la maîtrise par
l’homme des ondes électromagnétiques. Celles-ci lui permettent via les réseaux de
5
CNUCED, World I nvestment Report 2003. P.25.
6
Calcul fait sur la base de statistiques pour l’année 2003 fournies par le site officiel de l’O.C.D.E:
www.oecd.org
-9-
INTRODUCTION GENERALE
La seconde hypothèses de notre thèse est qu’il est impossible de saisir la logique
de la globalisation en dehors de la dynamique grandiose du capitalisme. Elle en est une
des manifestations les plus récentes. Le capitalisme est fondamentalement un
processus dynamique. Il est en perpétuel changement. Il est, de ce fait, plus proche des
théories de l’évolution de la vie qu’il ne l’est des autres disciplines des sciences
humaines. C’est l’innovation, sous toutes ses formes, qui est le moteur du dynamisme
du système capitaliste. L’innovation peut s’appliquer aux biens et services, aux
techniques de production et de commercialisation ainsi qu’aux entités et institutions
qui les mettent en œuvre. Ainsi, le produit, le procédé de fabrication ou l’organisation
productive qui s’impose sur le marché est vite dépassé par un autre produit, un autre
procédé de fabrication ou une autre organisation productive, jugés plus satisfaisants
par les consommateurs. Dans ce système, l’entreprise qui obtient une position
dominante sur le marché n’est jamais sûre de la conserver très longtemps car la
concurrence est tout le temps en quête de moyens plus efficaces pour la détrôner.
L’économie capitaliste est en permanence caractérisée par une « valse » des géants.
Ainsi, si l’on examine le classement des cent premières entreprises américaines, on
s’aperçoit que, tente cinq ans plus tard, 60 d’entre elles ne figuraient pas dans le
classement de 1966 7.
La vitalité du système capitaliste est telle qu’il ne peut pas faire autrement que
détruire des ressources économiques, par définition rares, pour les remplacer par
d’autres plus performantes et plus productives. C’est le principe de la destruction
créatrice énoncée et popularisée par l’économiste autrichien Joseph schumpeter
(1883-1952) qui veut qu’une économie moderne est toujours en déséquilibre
dynamique. L’économie de schumpeter n’est pas un système fermé mais elle évolue et
change sans cesse selon un mode biologique plutôt que mécanique. Schumpeter
soutenait que c’est l’innovateur qui est le véritable sujet de l’économie. Pour lui,
7
Information recueillie sur le site www.fortune.com du magazine américain Fortune.
- 10 -
INTRODUCTION GENERALE
Dans une économie fondée sur le savoir et le connaître, les firmes ne peuvent pas
conserver les mêmes organisations structurelles qui ont été à l’origine de l’essor de
productivité lors de la periode précédente. Faire le pari que la prospérité et l’expansion
de l’entreprise passent désormais par la promotion de ses activités qui s’appuient le
plus sur l’innovation exige des firmes concernées d’opter pour une organisation
structuelle qui soit axée sur le savoir et l’information. C’est une réorientation
stratégique de premier ordre. C’est ainsi que les firmes pyramidales fortement
hiérarchisées et bien adaptées à la production de masse standardisée ont cédé la place
aux firmes-réseaux dont l’essentiel de la valeur provient de la capacité de leurs
travailleurs les plus talentueux à indentifer et à résoudre les problèmes les plus
complexes. La prospérité de ce genre d’entreprises repose de moins en moins sur les
activités de production proprement dite et de plus en plus sur l’offre de services à
haute valeur ajoutée. Les usines, les immeubles et les machines n’ont plus qu’une
importance relative et sont le plus souvent utilisées à la commande. L’accentuation de
la tendance à la délocalisation des activités de fabrication dans les pays en
développement est très révélatrice de cette transformation. L’entreprise caractéristique
de l’économie du savoir ne ressemble plus à une pyramide mais à un réseau. Chaque
noeud du réseau comprend un nombre relativement réduit de membres ou de
partenaires et s’étend sur plusieurs sites à travers les pays, liés entre eux par des liens
organiques plus ou moins étroits. Les compétences individuelles sont combinées de
façon à obtenire des effets de synergie importants. Chaque nœud de l’éntreprise-réseau
constitue une combinaison unique de compétences et est difficile à reproduire par les
autres firmes.
- 11 -
INTRODUCTION GENERALE
- 12 -
INTRODUCTION GENERALE
savoir que les connaissances et les compétences qui font leur attractivité et leur
productivité ne sont pas des acquis définitifs. Il est de leur responsabilité de se
remettre continuellement en question afin de rester en adéquation avec les exigences
de la nouvelle économie, de plus en plus tributaire du connaître et de l’information.
Concernant les Etats, leur principale action face au défi que leur pose le mouvement de
globalisation est de faire en sorte que les forces centripètes qui lient les individus
d’une nation les uns aux autres en garantissant sa cohésion compensent et neutralisent
les effets des forces centrifuges de l’économie mondiale qui, à l’inverse des premières,
distendent les relations intercommunautaires au sein de la nation. Cela nécessite
d’entreprendre une politique à long terme fondée sur la promotion de la qualité de la
force de travail et l’amélioration de son attractivité pour le capital local et étranger,
sans ségrégation aucune. Les firmes, les régions et les économies les plus prospères
seront celles qui emploieront en grand nombre des personnes bien formées et disposant
d’infrastructures modernes et performantes. Les pouvoirs publics ne doivent donc pas
hésiter à porter leurs efforts en priorité sur les secteurs de l’éducation, la santé, la
formation professionnelle, la recherche scientifique, les télécommunications dont les
performances ( ou les contre-performances) ont une influence directe sur les capacités
productives des travailleurs actuels ainsi que sur celles des générations futures.
Le cas des pays en développement est encore plus délicat car l’intensification de
l’innovation et l’accélération de son rythme que favorise l’économie du savoir
creusent l’écart de développement économique qui les sépare des pays avancés et
aggrave le risque de marginalisation économique, mais aussi technologique, politique
et culturelle qu’ils encourent sur la scène mondiale.
Pour mettre en évidence la thèse que nous soutenons et les hypothèses de travail
qui l’étayent, nous avons opté pour le plan de travail suivant:
Chapitre premier : la globalisation dans une perspective historique ;
Chapitre second : la globalisation à l’œuvre ;
Chapitre troisième : la globalisation et l’Etat-Nation ;
Chapitre quatrième : la globalisation et les pays en développement.
- 13 -
INTRODUCTION GENERALE
- 14 -
CHAPITRE I
LA GLOBALISATION
DANS
UNE PERSPECTIVE
HISTORIQUE
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
John Maynard Keynes disait à propos de l’économie que c’est une discipline
facile où pourtant, peu excellent. D’après lui, ce paradoxe est dû au fait que la bonne
compréhension des grands principes de l’économie nécessite des connaissances
profondes d’autres disciplines, comme l’histoire, la politique, la sociologie, etc.
L’économie est difficile aussi à appréhender du fait du caractère fortement
“accumulable” de ses informations. Tenter de comprendre ou d’expliquer une théorie
ou un phénomène économique important sans s’intéresser aux théories et aux
phénomènes économiques adéquats qui les ont précédés aboutit forcément à des
résultats insatisfaisants. L’étude du processus de globalisation obéit parfaitement à ce
principe. Un phénomène de l’ampleur de celui de la globalisation qui est à l’œuvre
depuis une vingtaine d’années ne peut à l’évidence surgir du néant. Des événements
multiformes, des phénomènes économiques et extra-économiques et des politiques
menées délibérément ou involontairement ont conjugué leurs effets pour façonner au
final le phénomène en question.
L’objectif de ce premier chapitre est de restituer le mouvement de globalisation
dans son contexte historique afin d’essayer de déterminer sa genèse, d’une part, et de
faire ressortir les facteurs qui ont favorisé son émergence, d’autre part.
Ce premier chapitre se compose de trois sections. Dans la première section nous
avons essayé de retracer à grands traits les principales étapes traversées par l’économie
capitaliste occidentale. Nous avons à cet égard identifié deux grandes périodes,
marquées chacune par un type particulier de régulation macro-économique. Dans la
première, dominée par les petites entreprises familiales, la régulation est dite
concurrentielle dans la mesure où ce sont les mécanismes du marché qui déterminent,
en dehors de toute intervention extérieure significative, l’équilibre économique global.
La seconde période commence avec l’application et la diffusion des principes de
production Tayloriens qui ouvrent la voie à la production à grande échelle et au règne
de la grande entreprise. La mise en œuvre des principes de production fordiens
constitue l’achèvement de cet édifice économique qui, sur le plan institutionnel, se
traduit par l’application d’une régulation macro-économique appelée monopoliste.
Celle-ci se caractérise par un rôle économique accru de l’Etat à travers l’application de
politiques gouvernementales conjoncturelles d’inspiration keynésienne ainsi que la
fixation par l’Etat de normes sociales que les entreprises se doivent de coordonner la
mise en œuvre avec des syndicats pleinement reconnus. Dans les pays occidentaux, cet
édifice économico-institutionnel sera à l’origine de résultats remarquables en termes
d’emploi et de prospérité économique, notamment durant la période 1945-1973.
Les années 1970 marquent un peu partout en occident, à l’exception notable du
Japon, le début d’une période de crise économique sévère. Le chômage et,
paradoxalement, l’inflation atteignent des niveaux très élevés, alors que la production
connaît une profonde stagnation. Face à cette situation inédite, les tentatives de relance
par les traditionnelles politiques anticycliques se sont avérées vaines. La situation
économique d’ensemble, à l’échelle nationale et internationale, évoluait de telle
manière qu’elle rendait impossible le rétablissement des conditions économiques
prévalant avant l’apparition de la crise. Dans ces conditions, la sortie de crise, reposait
plus sur les mesures et les politiques que parviendraient à entreprendre les entreprises
16
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
que sur celles mises en œuvre au niveau des Etats. C’est ce qui doit ressortir de la
lecture de la section suivante.
Dans la seconde section, nous avons en effet essayé de montrer qu’après une
période d’hésitation, les grandes entreprises occidentales se sont engagées dans une
nouvelle stratégie visant à organiser leurs activités sur de nouvelles bases de
compétitivité. Jusque là, la forme de production dominante dans les économies
occidentales était la production de masse standardisée. Dans ce type de production, le
facteur de compétitivité primordial dépend de l’importance des économies d’échelle
réalisées. Le coût de production unitaire moyen doit décroître à mesure que la
production augmente. L’une des conséquences de la crise des années 1970 a été que ce
facteur ne revêtit plus l’importance qu’il avait auparavant à mesure que le mode de
production de masse standardisée cédait la place à d’autres principes d’organisation de
la production.
Les produits qui étaient issus de ces processus de production réformés étaient
plus personnalisés, plus miniatures et comprenaient une part plus grande de services à
haute valeur ajoutée. En outre, la part des activités tertiaires supérieures était en
constante progression par rapport au secteur secondaire notamment. De même, les
secteurs les plus étroitement liés aux nouvelles technologies de l’information et de la
communication ont vu leurs positions se renforcer.
Le point commun entre toutes ces évolutions est que la position compétitive des
firmes devenait étroitement dépendante de facteurs tels que la technologie, les savoirs
et les compétences. L’intensification de la concurrence entre les entreprises
occidentales et entre elles et des firmes de pays en développement condamnait les
premières à un recours accru à ces facteurs de production spécifiques.
La seconde section analyse donc cette véritable mutation et révèle les raisons qui
ont fait que les facteurs de compétitivité concernés se singularisent et s’émancipent par
rapport aux autres facteurs de production plus traditionnels, en particulier le travail
ouvrier.
Cependant, ces transformations étaient d’une ampleur et d’une profondeur telles
qu’il n’était pas possible pour les entreprises concernées de procéder à leur exécution
sans opérer au préalable ou en parallèle un profond réaménagement de leurs structures
fonctionnelles. La structure pyramidale et fortement hiérarchisée, très caractéristique
des entreprises de production de masse standardisée ne pouvait pas servir, à
l’évidence, de cadre propice à la nouvelle stratégie compétitive. Celle-ci nécessitait
une structure qui puisse offrir des qualités telles que souplesse, flexibilité, réactivité et
travail en synergie. Ces caractéristiques sont nécessaires pour que le savoir et les
connaissances technologiques, sur lesquels est fondée la nouvelle compétitivité des
entreprises soient pleinement productifs. La structure retenue a été celle d’entreprise-
réseau qui réunit entre eux les travailleurs du savoir dont les compétences sont
indispensables à la bonne marche de l’entreprise. La troisième section est ainsi
consacrée à l’étude de l’entreprise-réseau, à ses composantes et à son fonctionnement.
17
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
SECTION I
Pour comprendre cette situation il faut revenir aux conditions économiques qui
étaient celles de la grande partie du XIXe siècle. A l’époque, les économies
occidentales fonctionnaient telles qu’elles étaient décrites par Smith, Say, Ricardo et
les autres auteurs classiques. En règle générale, les secteurs d’activité étaient
composés d’une multitude de petites entreprises, souvent de type familial, ne détenant
chacune d’elles qu’une part limitée du marché. De ce fait, la concurrence qui y régnait
était considérable ce qui fait que ces entreprises n’avaient pas de prise sur les prix avec
lesquels elles offraient leurs produits. Dans ce système, les prix étaient flexibles et se
fixaient librement selon le jeu autonome de l’offre et de la demande. Même les salaires
étaient soumis à cette logique et fluctuaient au gré de la conjoncture, de l’évolution
démographique et des prix des biens de subsistance.
Les premiers principes fondant la logique de ce système ont été posés par Adam
Smith dès 1776. Ils ont été repris et développés par les autres auteurs classiques à
commencer par le français J.B. Say. Le traité, son œuvre majeure, publié en 1803 jette
les bases du libéralisme à la française. Influencé par la richesse des nations de son
illustre prédécesseur écossais, il s’en écarte cependant sur certains points, tels
l’effacement de la valeur - travail au profit de la valeur - utilité, l’extension du travail
productif à tous les domaines (sciences - arts) concourant à créer une utilité et surtout
la fameuse loi des débouchés qui stipule que toute production trouve acquéreur sur le
marché parce qu’elle aura engendré d’autres productions. Cette loi que les économistes
anglo-saxons de Ricardo aux néo-libéraux actuels s’en revendiquent pose toute
l’axiomatique de l’école classique et néo-classique : l’équilibre général du marché
livré à lui-même sans interférences extérieures. Say postule que «c’est la production
qui ouvre des débouchés aux produits ». Avant d’aller plus loin dans ce sens, il
convient de signaler combien il est surprenant d’apprendre qu’en formulant sa loi des
débouchés, Say n’avait pas perdu de vue l’importance de la demande dans le
fonctionnement du système économique. Il disait à ce sujet que «les entrepreneurs des
18
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
diverses branches d’industrie ont coutume de dire que la difficulté n’est pas de
produire, mais de vendre ; qu’on produirait toujours assez de marchandises, si l’on
pouvait facilement en trouver le débit»1. La difficulté n’est pas de produire mais de
vendre; c’est sur ce thème que se basera Keynes un siècle et demi plus tard pour
construire sa théorie.
Say et les classiques dans leur majorité, réfutent cette idée et inversent quelque
peu la relation de priorité entre l’offre et la demande. Chez les classiques, c’est la
production et les facteurs qui tendent à son accroissement qui comptent le plus. Say
précise cette idée en disant que «l’homme dont l’industrie s’applique à donner de la
valeur aux choses en leur créant un usage quelconque ne peut espérer que cette valeur
sera appréciée et payée que là où d’autres hommes auront les moyens d’en faire
l’acquisition». Et de s’interroger, «ces moyens, en quoi consistent - ils ? En d’autres
valeurs, d’autres produits, fruits de leurs industries, de leurs capitaux, de leurs terres :
d’où il résulte que c’est la production qui ouvre des débouchés aux produits»2. Par
conséquent, dans tout Etat, plus les producteurs sont nombreux et les productions
multiples, et plus les débouchés sont faciles, variés et vastes.
Une des caractéristiques majeures de ce système est l’impossibilité de voir surgir
en son sein une crise généralisée de surproduction. La flexibilité des prix et des
salaires et leur libre détermination, font que la demande et l’offre s’ajustent l’une à
l’autre rendant impossible la persistance d’un déséquilibre significatif entre eux. Cette
problématique, dégagée par Say, sera systématisée plus tard par les classiques et
surtout les néoclassiques : c’est la conception des facteurs de production comme
services s’échangeant sur le marché suivant le principe de l’offre et de la demande,
indépendamment les uns des autres. Les prix des biens de capital, mais aussi du travail
ouvrier se fixeront chacun de son coté, suivant l’offre et la demande des quantités
échangées sur un marché libre de toutes entraves. In fine, le marché assurera
l’équilibre pour l’ensemble des services productifs et tendra à leur plein emploi. Cette
réduction du processus productif à la mise en relation de services productifs, plus tard
appelés facteurs de production, permet à Say d’appréhender la répartition en termes de
rémunération de ces services.
Ainsi le fermage ou la rente, l’intérêt ou le profit, et le salaire sont les
rémunérations respectives du terrain, du capital et du travail ouvrier. Les revenus des
propriétaires terriens obéissent au principe de la rente différentielle dont la
démonstration à été faite par Ricardo. Ce genre de revenus est fonction de la fertilité
des terres mises en exploitation. De leur coté, les salaires sont des salaires de
subsistance ; ils se fixent au niveau qui assure l’entretien de l’ouvrier et de sa famille.
A court terme, le salaire de l’ouvrier est déterminé par les prix des biens de
subsistance, alors qu’à plus long terme, c’est de l’évolution démographique de la
population que dépend le niveau des salaires3. Quant au profit de l’entrepreneur
capitaliste, il est constitué de la différence positive entre l’ensemble de ses revenus et
la somme des avances qu’il a consenties sous forme de coûts de production.
19
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
qui détermine la répartition des richesses entre les différentes classes sociales (suivant
les prix que consentent à offrir certains individus et groupes d’individus pour obtenir
une quantité donnée de services productifs proposés à la vente par d’autres individus et
groupes d’individus ) ; à ce sujet nous avons eu un aperçu des lois qui régissent ce
processus chez les classiques. Ceux-ci considèrent donc que la production détermine la
répartition, et cette dernière détermine l’accumulation qui elle-même détermine à son
tour la production selon une approche circulaire et macro-économique qui peut être
schématisée comme suit :
Production
Accumulation
Répartition
Chez les classiques, l’accumulation de capital revêt une grande importance, car
c’est sur elle que repose la poursuite du processus de production. Ce rôle est dévolu à
la classe des capitalistes grâce aux profits qu’elle parvient à réaliser. Cette catégorie,
en prenant en charge la fonction d’accumulation grâce à ses vertus en matière
d’épargne, joue un rôle d’utilité sociale. Plus ses profits sont importants, plus son
épargne est importante alimentant d’autant plus ses fonds d’accumulation ce qui en fin
de compte fait élever la production et la richesse nationales à des niveaux supérieurs.
En dernier ressort, les ouvriers eux-mêmes bénéficieront de cette évolution favorable à
la faveur d’un niveau d’emploi supérieur et donc des salaires en hausse. Pour que se
concrétisent ces promesses, le gouvernement doit respecter la liberté d’entreprendre,
mais aussi de ne pas imposer lourdement les profits.
Cette conception, on le voit bien, est celle d’une économie de l’offre où la
production joue le rôle de moteur de l’activité économique. Les classiques et les
néoclassiques ont tous adhéré à cette conception qui a ainsi dominé la pensée
économique jusqu’aux années trente de ce siècle lorsqu’elles ont été remises en
question par les thèses keynesiennes basées sur le principe de la prééminence de la
demande effective.
20
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
produits pouvant être crées par cette addition de capitaux et d’industrie, de nouvelles
épargnes deviennent toujours plus faciles » disait J. B. Say à ce sujet.
Il est vrai qu’en ces temps, la croissance économique était le fruit d’un effort
pénible et de longue haleine. L’épargne n’était obtenue qu’au prix de la frugalité de
ceux qui la fournissent et de la misère extrême de la grande masse d’ouvriers
condamnés à ne recevoir en contrepartie d’un dur labeur qu’un salaire d’airain ne leur
assurant que la consommation des produits les plus grossiers. Voici ce que disait Say
à ce propos : « L’accroissement des capitaux est lent de sa nature ; car il n’a jamais
lieu que là où il y a des valeurs véritablement produites, et des valeurs ne se créent pas
sans qu’on y mette outre les autres éléments, du temps, et de la peine »4. En somme la
croissance économique se mérite.
21
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Dans un premier temps, un siècle environ, le savoir s’appliqua aux outils, aux
procédés et aux produits. C’est ainsi que naquit la révolution industrielle. Les
inventions de la révolution industrielle se répandirent instantanément et dans toutes
sortes de métiers et d’industries. D’entrée de jeu elles furent considérées comme des
techniques, ce qui est très différent de ce qui s’était produit auparavant ; car la presque
totalité des innovations techniques d’autrefois restaient réservées à un seul métier ou à
une seule application. La même chose peut-être dite à propos du capitalisme qui, sous
une forme ou une autre, s’était manifesté à maintes reprises à travers les âges. Ce qu’il
y a d’unique et sans précédent dans les développements des deux cents cinquante
dernières années, c’est leur rapidité et leur ampleur. Le capitalisme devenait la société.
Les changements apportés à la société par le capitalisme et la révolution industrielle
mirent moins de cent ans pour acquérir en Europe occidentale, leur impact maximal.
Les changements dont nous avons parlé plus haut, concernant la signification du
savoir rendirent alors le capitalisme inévitable et assurèrent sa domination 6. D’abord
et surtout, la rapidité du progrès technique créa une demande de capitaux supérieure à
tout ce qu’un artisan pouvait se procurer. Ensuite, les nouvelles techniques
conduisaient à concentrer la production, c’est-à-dire engendrait l’usine. La nouvelle
technologie exigeait aussi des masses d’énergie dont la production ne peut pas être
décentralisée. Le fait essentiel, c’est que la production cessa du jour au lendemain
d’être fondée sur les métiers pour se fonder sur la technologie en tant qu’élément
fondamental dans l’élaboration d’outils de production plus sophistiqués. Et qu’en
conséquence, le capitaliste se trouva placé dans un bref laps de temps, au centre de la
société et de l’économie alors qu’il n’y détenait auparavant qu’une place secondaire.
Jusqu’en 1750, la grande entreprise n’était jamais privée mais nationale. Mais à partir
de 1830, c’est au tour de la grande entreprise privée capitaliste de dominer en
Occident. Le capitalisme, et surtout la révolution industrielle n’ont pratiquement connu
aucune résistance pour se répandre. Smith, Ricardo et bien d’autres observateurs de la
société ne décrivaient dans leurs livres que la production des métiers. Dans les années
1830, Honoré De Balzac décrivait une société française dominée par les banquiers et la
bourse.
Cette évolution des firmes à la concentration et à l’utilisation d’outils de
production plus élaborés et plus puissants se poursuivit tout au long du XIXe siècle.
Cette tendance fut renforcée par une transformation non moins importante dans les
procédés d’exécution du travail productif. Taylor a été l’artisan de ce bouleversement
dans les méthodes de travail précisément au sein des grandes entreprises américaines
dont le principe fut ensuite repris par les firmes européennes. Il s’en est suivi un
extraordinaire bond dans la productivité du travail. Jusqu’à Taylor, personne ne s’était
réellement intéressé au travail. Chacun savait que le seul moyen de produire davantage
consiste à travailler plus longtemps ou plus dur. Le taylorisme consiste à affirmer et à
agir en sorte que toute tache peut-être étudiée, analysée, divisée en une série de
mouvements simples et répétitifs dont chacun doit être accompli comme il faut, dans
un temps minimum, et avec des outils adaptés. Affirmer cela c’était soutenir qu’il
n’existe pas de «travail qualifié » ce qui constitue un crime impardonnable aux yeux
des syndicats. Nous verrons plus loin comment la révolte des ouvriers industriels
contre les méthodes taylorisantes a été l’un des facteurs majeurs de la fin de la
croissance exceptionnelle de la période de l’après-guerre.
22
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Le taylorisme
La forme Taylorienne d’organisation des entreprises doit son nom aux travaux de
rationalisation du travail industriel entrepris aux Etats-Unis à la fin du siècle dernier
par Frederick Taylor. Celui-ci s’était efforcé de donner une définition rigoureuse des
tâches à accomplir par les ouvriers d’une usine de la Midvale Steel Compagny où il
était lui-même employé. L’approche analytique de Taylor permit de faciliter la
formation de nouveaux ouvriers et d’assurer leur insertion rapide dans les structures
industrielles de production. C’est la raison pour laquelle l’utilisation du modèle
Taylorien s’est rapidement étendue aux Etats-Unis, dans les premières décennies de ce
siècle, au moment de l’afflux des immigrants européens et des débuts de la production
de masse. L’approche analytique de Taylor peut-être schématisée comme suit :
DEMANDE ABONDANTE
DE CONSOMMATION D’EMPLOI PEU
QUALIFIES
MARCHE D’OFFRE
LA PRODUCTION PEUT ETRE ORGANISEE
COMME UN SYSTEME FERME
(PUSH SYSTEM)
PRODUCTION DE MASSE
PAR
REPETITION EMIETTEMENT
DES TACHES D’EXECUTION
STANDARDISATION SPECIALISATION
DES PRODUITS DES TACHES
ECONOMIES APPRENTISSAGE
D’ECHELLE RAPIDE
23
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Cela suppose que les dernières décennies du XIXe siècle ont été marquées par un
cycle d’accumulation de capital soutenu. C’est durant cette période que les grandes
firmes industrielles, ayant une base nationale, dont certaines étaient des
multinationales, font leur apparition aux Etats-Unis et en Europe. Déjà en 1904, le tiers
des actifs industriels américains était détenu par 318 firmes géantes8. L’accroissement
de la taille des unités de production par rapport au marché auquel elles s’adressaient et
la spécialisation des ressources associée au passage à la production à grande échelle –
au milieu des années 1880, par exemple, dans l’industrie des cigarettes, la production
de trente machines suffisait à saturer le marché 9 – donnent naissance à un système
industriel composé des grandes entreprises fonctionnant selon une logique nouvelle et
ad hoc avec planification et contrôle des prix. Les mouvements de constitution de
cartels en Europe et de fusion des entreprises aux Etats-Unis ont été les principaux
moyens par lesquels ont été atteints ces objectifs.
Comme il a été dit plus haut, la régulation concurrentielle qui est en vigueur au
e
XIX siècle, jusqu’aux années 1920, repose sur une forme d’accumulation de capital
qualifiée d’extensive. La valorisation des capitaux est assurée non par modernisation
des équipements mais par une extension du salariat. Autrement dit, la croissance
résulte de l’extension des capacités de production plutôt que du développement de la
productivité. Les salaires sont régulés au plus bas par la concurrence sur les marchés,
et la norme de consommation n’offre pas de débouchés importants ; la consommation
ouvrière est largement orientée vers les dépenses alimentaires.
24
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
25
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
26
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
impose la machine, laquelle peut-être utilisée à plein temps (travail par équipes en 3 X
8h ).
La chaîne, c’est donc le travail totalement déqualifié et aliéné, réduit à un seul
geste perpétuellement répété. C’est «le despotisme absolu des temps et des
mouvements » sous le contrôle constant des chefs de ligne. La chaîne achève
l’éclatement du métier et aboutit à un fort accroissement de l’intensité du travail
puisqu’elle vise à éliminer toute porosité de la journée de travail en éliminant les
temps morts . De ce fait elle réalise un allongement camouflé de la journée de travail,
accroît la productivité apparente de celui-ci et le taux d’exploitation des travailleurs
tout en réduisant les coûts de formation de la main-d’œuvre dont la majorité est
dépourvue de toute qualification13.
Avant d’aller plus loin dans ce raisonnement, il importe de dire que les produits
qui sortent des usines qui ont adopté les principes de production fordiens sont des
produits standardisés parce qu’issus de machines à usage spécifique c’est-à-dire
conçus pour un seul produit. Nous utilisons donc le terme de production de masse
standardisée pour désigner la production qui caractérise le système économique
fordiste.
L’introduction, puis la généralisation de l’ordre productif fordiste aux Etats-Unis
a été à l’origine d’une phase de croissance exceptionnelle qui s’est amorcée dès la
seconde guerre moitié des années 1930. Le même phénomène sera observé en Europe,
après la Seconde guerre et la fin de la période de reconstruction. Le quart de siècle qui
s’est achevé avec la fin des années 1960 a été marqué dans les pays capitalistes
développés par des taux moyens de croissance inégalés jusqu’alors (5 % environ en
moyenne sur l’ensemble des pays membres de l’OCDE). En 1969, le PNB américain a
été de 962 milliards de dollars alors qu’il n’était que de 235 milliards avant la guerre,
soit presque son triplement en l’espace de trente ans.
27
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Contrairement à la croissance des années 1920 qui était centrée sur l’expansion
de la section II, la croissance de l’après-guerre n’était pas affectée par ce genre de
déséquilibre. Cela est dû au long procès historique qui a commencé au début du XXe
siècle et qui a été la pénétration de la production capitaliste dans la fabrication des
moyens de consommation individuelle de la grande masse des salariés. C’est dans ce
déploiement que le capitalisme accomplit le bouleversement historique par lequel il
réalise ses potentialités dans la formation sociale. En effet, tant que le capitalisme
transforme d’une manière prédominante le procès de travail par création de moyens
collectifs de production sans remodeler le mode de consommation, l’accumulation
progresse par à coups. Il s’agit d’un régime d’accumulation principalement extensif,
fondé sur l’édification de l’industrie lourde par pans successifs. Les à-coups
proviennent du développement inégal de la section I qui déprime le taux de rendement
global du capital.
A cet effet, l’époque d’après-guerre se distingue par l’universalisation des
rapports de production capitalistes à l’ensemble des activités productives et du
développement corrélatif de la circulation marchande. Le ressort essentiel en fut la
transformation des conditions d’existence de la classe ouvrière permettant
l’introduction de méthodes de production capitalistiques dans l’ensemble de la section
II. Cette dynamique permettait – ou même passait par – une certaine harmonisation de
l’expansion des deux sections de production à travers la densification de leurs
échanges. Cette neutralisation partielle de la tendance au développement inégal de la
section I a été responsable de la croissance approximativement régulière du produit
global dans la majeure partie de l’après-guerre, en contraste avec les à-coups de
l’accumulation caractéristiques du régime à prédominance extensive antérieur aux
transformations des conditions d’existence du salariat. Les graphiques 1 et 2 retracent
l’expansion des deux sections de production durant la période de l’après-guerre.
28
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
29
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
La régulation macro-économique
30
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Dans ces industries, le système de détermination des salaires reposait sur cinq
principes essentiels :
31
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Tableau I.1. Evolution du taux de croissance annuel moyen du salaire aux Etats-
Unis
Taux de croissance
annuel moyen (%) 1951 1961 1966 1970
Salaire nominal
horaire de base 3,6 3,9 4,6
Salaire réel
hebdomadaire 2,2 3,5 -1,5
L’accroissement soutenu et sur une longue période du salaire réel aux Etats-Unis
et en Europe permet à la masse des salariés d’accéder aux biens de consommation
durables dont ils étaient exclus durant la période de l’entre-deux guerres. Ainsi pour la
première fois de l’histoire, l’ordre productif nouveau qu’est le fordisme, comporte une
norme de consommation ouvrière. Par cette norme sociale de consommation, le mode
de consommation est intégrée dans les conditions de production. Par leur séparation
vis-à-vis des moyens de production, les travailleurs sont forcément liés au capitalisme
par la consommation individuelle des marchandises issues de la production de masse.
Ce mode de consommation uniforme de produits banalisés est une consommation de
masse. C’est une condition essentielle de l’accumulation capitaliste parce qu’elle
contrecarre la tendance au développement inégal de la section I.
32
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Augmentation des
Forts gains de salaires
Rationalisation du travail
productivité
(taylorisme et fordisme)
partagés en Augmentation des
profits
Production Consommation
de masse de masse
33
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Tableau I.2 : Comparaison entre les périodes caractéristiques du XXe siècle des
taux de croissance moyens annuels (%) en France
1900-13 1913-29 1921-29 1929-38 1950-59 1959-74
Valeur ajoutée
SI 2,9 1,5 9,6 -5,0 4,8 7,7
SII 1,9 1,6 5,9 -0,5 4,7 5,5
Investissement brut
SI 4,7 2,6 12,2 -7,7 9,5 8,7
SII 3,0 2,4 6,2 -3,8 4,4 7,7
Emploi
SI 1,2 1,2 3,3 -4,4 1,0 2,3
SII 0,1 0,1 0,1 -1,1 -0,5 0
Productivité du
travail
1,7 0,4 5,7 -0,6 3,8 5,3
SI
1,8 1,6 6,0 0,6 5,3 5,5
SII
Capital par tête
SI 1,5 0,6 -0,8 4,7 3,2 5,6
SII 1,9 1,5 1,6 2,7 4,2 6,1
Taux de salaire réel 2,1 0,9 -0,1 0,4 4,1 4,1
SI : Section productive des moyens de production
SII : Section productive des biens de consommation
Source : Dockes et Rosier, op.cit, p.208
34
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Ces résultats montrent que la centralisation du capital progresse dans les périodes
de fléchissement de la plus-value relative et dans les périodes de fortes dévalorisations
du capital. Elle reste au contraire stable ou diminue légèrement dans les phases d’essor
d’une accumulation approximativement régulière. Les grandes firmes ont mis à profit
les étapes successives du mouvement de centralisation du capital pour faire orienter les
lois de la concurrence économique dans le sens qui les arrange le plus. La
centralisation du capital est un changement qualitatif qui remodèle l’autonomie des
capitaux et établit des rapports de concurrence nouveaux. En fait, les lois de la
concurrence dérivent de la loi d’accumulation.
La planification
35
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Tout ce qui est susceptible de supprimer ou neutraliser l’effet de tous les phénomènes
contrariants doit être entrepris.
L’essor de la production en série s’est traduit par une sensibilisation particulière
de l’investissement au volume de la demande pour un produit. Les unités de
production avaient pris une telle dimension par rapport à l’ensemble du marché que les
investissements dans les équipements de production avaient tendance à se conformer
au niveau présumé d’utilisation de la capacité de production, plutôt qu’aux
changements intervenant dans le coût des intrants. Les producteurs voulaient avoir la
certitude que ce qu’ils allaient produire trouverait acquéreur à un prix au-dessous
duquel leur production ne sera pas rentable. Il va de soi qu’à mesure que les capitaux
en jeu augmentent et que la durée de lancement des productions s’allonge, il est de
plus en plus risqué de s’en remettre aux réactions spontanées du consommateur.
L’entreprise doit donc prendre toutes les mesures en son pouvoir afin que ce qu’elle
décide de produire soit voulu par le consommateur à un prix qui soit rémunérateur
pour elle. La planification existe parce qu’on ne peut plus s’en remettre au processus
autorégulateur du marché concurrentiel.
Il existe des stratégies variées pour pallier l’incertitude croissante des marchés.
Le marché peut-être éliminé par l’effet de ce qu’on appelle communément
l’intégration verticale. L’unité planificatrice prend le contrôle de sa source de
ravitaillement ou de son débouché. Dans la plupart des cas, ce processus a commencé
par des regroupements : des producteurs se mettaient d’accord pour fixer les prix ou
limiter la production. Lorsque même les accords de regroupement les plus sophistiqués
s’avéraient inefficaces, les sociétés finissaient par se tourner vers une forme
d’intégration plus directe en recourant à des fusions horizontales. L’étape suivante a
été la consolidation de ces nouvelles entités par le remaniement de leurs installations
productives (fermeture des unités les plus faibles ) en intervenant pour organiser le
marché et stabiliser la production. Les stratégies de stabilisation différaient selon les
caractéristiques techniques du produit concerné ; mais toutes reflétaient le désir de
réaliser les économies que promettait la technologie malgré son coût fixe élevé, en
utilisant au maximum les capacités de production. Fondamentalement, on peut
distinguer deux façons de procéder : la segmentation et les mouvements de stocks.
36
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
L’un des deux procédés auxquels on avait recours pour stabiliser la production
était donc la segmentation. Cette stratégie visait à diviser le marché ; réserver la
demande de base pour les installations de production en série appartenant à la firme et
laisser le reste aux petits producteurs.
L’autre stratégie à laquelle les entreprises avaient recours pour stabiliser la
production consiste à faire face aux fluctuations de la demande en jouant sur les
stocks. Quand la demande faiblissait, on stockait la production ; quand elle remontait,
on remettait cet excédent de production sur le marché. Cette manière de faire n’est
concevable que dans le cas d’un produit standard qui peut-être stocké, et dont on n’a
pas à craindre qu’un brusque changement dans le goût du public ou dans l’évolution de
la technologie ou encore une chute soudaine des prix, lui fasse perdre de sa valeur.
Les grandes entreprises ne se contentent pas de stabiliser la production afin de
prévenir les retombées négatives des fluctuations de la demande sur leurs parts de
marché. Elles veillent aussi à ce que les prix auxquels elles acceptent de céder leur
production ne tombent pas au-dessous d’un seuil minimal. Les positions dominantes
qu’elles occupent sur les différents marchés et la nature oligopolistique qui caractérise
leurs relations de concurrence leur ont grandement faciliter la tâche. C’est ainsi que les
pratiques concertées au sein d’un oligopole répondent à un double objectif de
stabilité ; d’une part consolider les barrières à l’entrée pour empêcher que de nouveaux
producteurs ne puissent pénétrer dans le(s) secteur(s) concerné(s) ; d’autre part rendre
le prix insensible en courte période aux perturbations qui peuvent se produire dans les
conditions de l’échange. La planification industrielle privée exige, par sa nature même,
de contrôler ses prix de vente qui ne peuvent pas être abandonnés aux caprices d’un
marché incontrôlé. Les prix doivent être assez bas pour permettre de recruter une
clientèle et faciliter l’expansion des ventes, et en même temps être assez élevés afin
d’assurer des bénéfices suffisants pour financer la croissance et satisfaire les
actionnaires. Par ailleurs, les firmes constituant un oligopole ont toujours
soigneusement évité la concurrence sur les prix du fait des dangers que fait peser une
telle façon de procéder sur la planification privée. Chaque firme proscrira toute action,
et notamment toute baisse brutale de ses prix, qui serait préjudiciable à l’intérêt qu’elle
a – en commun avec ses congénères – de maintenir son contrôle sur les prix. Cette
action commune n’exige aucun arrangement bien complexe et, sauf cas exceptionnels,
se perpétue sans grandes difficultés.
Le rôle de l’Etat.
Les auteurs, tels les membres de l’école française de la régulation, pour lesquels
le fordisme se réfère à la société globale, penchent pour la définition la plus extensive
de celui-ci. Ils y incluent, on l’a déjà vu, des syndicats forts et des aménagements
politiques de type corporatiste ; une organisation industrielle caractérisée par un fort
degré d’intégration verticale ; mais aussi l’Etat comme ayant un rôle clé dans la
gestion de la demande économique et procurant une garantie de bien-être.
L’Etat accroît la demande effective au moyen d’achats à l’industrie privée,
lesquels sont financés soit avec l’argent des contribuables, soit par des emprunts lancés
sur le marché des capitaux. L’intervention de l’Etat dans l’économie a ainsi pris de
37
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
nouvelles formes, qui sont venus seconder le système de détermination des salaires
dans sa fonction de soutien du pouvoir d’achat des consommateurs.
Du point de vue de la firme industrielle, la régulation de la demande globale est
une question de toute première urgence. Il est indispensable non seulement que le
public soit amené à acheter ses marchandises en quantités – et à des prix –
prédéterminées, mais encore qu’il soit en mesure de le faire. Le conditionnement le
plus au point du comportement du consommateur – dont la publicité est l’une des
formes les plus importantes - restera sans effet si le niveau de l’emploi, et par voie de
conséquence le revenu baisse sensiblement, et si les consommateurs ne sont plus en
mesure d’acheter comme par le passé. Il faut donc compter sur un volume suffisant de
pouvoir d’achat pour que la production courante du système industriel soit absorbée
aux prix établis.
Aux Etats-Unis, la régulation de la demande devint un volet essentiel de la
politique économique du gouvernement fédéral dans les années 1930 - et un peu plus
tard en Europe occidentale – Dans ce sens, et après la Seconde guerre mondiale, le
gouvernement fédéral a joué un rôle économique, à la fois quantitativement et
qualitativement différent de celui qu’il avait tenu jusque- là.
Source : United States Bureau of the Census, the Statistical History of the United States : From Colonial Times
to Present, séries Y, New York, Basic Books, 1976, pp. 457-465.
38
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Dès ses premiers écrits, on trouve chez Keynes la même préoccupation qui
travaillait Ford ; maintenir le pouvoir d’achat, distribuer salaire et revenu, car là
seulement est la condition de maintenir un haut niveau de consommation, synonyme
de sortie de crise. Sous le titre fort significatif de «épargner ou dépenser », Keynes
énonce : « Il y a beaucoup de gens aujourd’hui qui s’imaginent qu’épargner plus qu’à
l’ordinaire est la meilleure chose à faire pour améliorer la situation générale. Mais si
un surplus important de chômeurs est déjà disponible le fait d’épargner aura
seulement pour conséquence d’ajouter à ce surplus et donc d’accroître le nombre de
chômeurs. En outre, tout homme mis en chômage verra s’amenuiser son pouvoir
d’achat et provoquera à son tour un chômage accru parmi les travailleurs. Et c’est ainsi
que la situation ne cessera d’empirer en un cercle vicieux. »18.
L’essentiel de l’intelligence de Keynes est d’avoir su à sa naissance même
enregistrer et formaliser les conditions d’existence et de reproduction de mécanismes
de la production de masse. L’auteur de la théorie générale expliquait, dès 1925, les
transformations dans la vie économique par cette proposition inédite : « Les idées qui
faisaient partie de l’ancien temps au sujet de la monnaie, alors qu’on croyait pouvoir
modifier sa valeur et laisser aux lois de l’offre et de la demande le soin des
réajustements nécessaires datant d’il y a cinquante ans ou cent ans alors que les
syndicats étaient impuissants…»19. Pour Keynes, non seulement la fin de la loi de
l’offre et de la demande et la nouvelle efficacité de la résistance ouvrière c’est tout un,
mais encore il faut prendre acte de la légitimité de la revendication ouvrière. Là est le
second versant de la révolution keynésienne ; avoir montré la nécessité politique d’une
nouvelle gestion de la force de travail. Le salaire minimum, la durée du travail, les
accidents de travail, l’assurance chômage, on le voit, il s’agit de toutes les choses sur
lesquelles le développement et l’avenir du fordisme réclamaient des modifications de
grande ampleur.
Keynes vient ainsi après Taylor et Ford parachever l’édifice. Ainsi, la théorie et
la pratique de la production de masse au sein de l’atelier, la théorie et la pratique du
type d’Etat et de régulation qui lui correspondent.
39
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
40
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
L’évolution du commerce mondial de janvier 1929 à mars 1993 : la somme des importations
de 75 pays (valeurs mensuelles exprimées en millions de dollars – or 1929).
Source :J. Rivoire, l’économie mondiale de 1945 à nos jours. Economica, 1989.
41
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Dans les années qui ont suivi la Seconde guerre mondiale, la position des Etats-
Unis au sein du système international des échanges était tout à fait normal eu égard
aux dégâts qui ont touché le potentiel de production de leurs principaux concurrents.
Aux yeux de ces derniers, cette position privilégiée des Etats-Unis est apparue, à
l’époque, comme une condition sine qua non de la reconstruction du commerce
mondial, quelque chose d’inscrit dans l’ordre économique du moment. La position
unique dont jouissaient les Etats-Unis s’expliquait par deux causes, l’une passagère,
puisque rattachée aux circonstances extraordinaires de la Seconde guerre, l’autre plus
durable et structurelle de par ses liens avec le rôle du dollar dans le cadre du système
de Bretton Woods. Pour reconstruire leurs économies, les autres nations ne pouvaient
se passer des produits américains. D’où le gigantisme de l’excédent commercial
américain, et le gonflement proportionné de la demande en dollars (le dollar gap).
Mais au fur et à mesure des efforts consentis par les Etats-Unis pour encourager la
reconstruction – Plan Marshall – les autres pays devenaient moins dépendants des
Etats-Unis pour leurs approvisionnements et s’affirmaient en concurrents sur les
marchés internationaux. Dès la fin des années 1950, l’excédent américain avait
pratiquement disparu.
Bref, la nation a été l’espace d’épanouissement du fordisme et les institutions de
régulation étaient essentiellement nationales. Le cadre national a pu garantir les
conditions de stabilité dont avait besoin le système économique pour réaliser une
longue et forte période de stabilité.
La phase de croissance exceptionnelle qu’a été la période de l’après-guerre pris
fin au tournant des années 1960. C’est à cette date que sont apparus les premiers signes
de la crise. On verra dans le paragraphe suivant comment les facteurs et les spécificités
de la croissance de l’après-guerre ont fortement façonné le profil de la crise des années
1970. Ainsi, pour comprendre ce qui ne va pas au cours de cette période, il faut savoir
ce qui marchait bien dans celle qui l’a précédée. Le système fordiste, de par son essor
rapide et soutenu, portait en lui, les germes de son propre essoufflement.
La crise économique qui a marqué de son empreinte les décennies 1970 et 1980,
constitue un des maillons d’une longue chaîne faite de changements économiques
majeurs. Elle constitue aussi l’avant-dernier épisode d’une longue série d’événements
dont on peut raisonnablement situer le commencement à la fin du XIXe siècle. Le
dernier épisode étant le mouvement de globalisation qui se déroule actuellement sous
nos yeux. Comme l’indique son titre, cette section se limite à mettre en exergue les
différents aspects de la crise des années 1970. Elle ne se propose pas de présenter une
synthèse des différentes théories qui ont eu pour objet l’analyse de cette crise.
L’absence d’une vision cohérente permettant de rendre compte de cette crise dans son
unité et sa globalité fait qu’il est préférable de ne pas inclure dans cette partie du livre
un travail de lecture purement théorique de cette crise 20. Le mieux est de relever les
principaux facteurs de blocage dont la conjonction a rendu impossible la poursuite de
l’expansion de l’après-guerre à la même allure et aux mêmes traits. C’est donc à une
lecture essentiellement descriptive de la crise que nous procédons dans cette section.
Le but est de faire le lien avec le second chapitre qui traite de la stratégie de
42
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
i- La parcellisation
43
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
44
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Cette polémique sur les causes et les facteurs les plus déterminants de la crise de
la productivité ne nous importe que secondairement. L’essentiel pour nous est de
montrer l’ampleur de ce ralentissement des gains de productivité et d’en mesurer les
conséquences sur le dispositif de régulation économique mis en place dans les pays
capitalistes avancés durant la période de l’après-guerre. Alice M. Rivelin écrit à ce
sujet que des efforts considérables ont été entrepris pour comprendre la crise de la
productivité. De nouveaux facteurs semblent avoir joué un rôle dans cette crise.
Cependant, ni séparément ni collectivement, ils ne peuvent pleinement l’expliquer. Un
certain mystère demeure concernant cette situation23. Aux Etats-Unis, le ralentissement
de la productivité du travail pour l’ensemble de l’industrie manufacturière se lit en
toutes lettres. De 3 % l’an pour la période 1947 – 1958, elle se maintient pendant la
période 1958 – 1966 à 3.2 % avant de chuter nettement pour 1966 – 1974, passant à
1.6 % en moyenne. Au niveau global (ensemble de l’industrie manufacturière privée ),
elle passe de 3.5 % pour la période 1947 – 1966 à 1.7 % pour celle de 1966 – 1974.
Ainsi, un quart de siècle durant, l’extraordinaire progression de la productivité du
travail a fait en sorte que les profits pour l’accumulation, les salaires et les revenus
sociaux pour la consommation, progressent de pair à un rythme assez rapide pour
permettre au système de fonctionner sans heurts 25.
45
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
46
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
en faveur des salariés. Les discussions ont été particulièrement vives autour du fait
central : la détérioration de la «productivité apparente du capital ».
Nous voulons ici attirer l’attention du lecteur sur la fragilité des constructions
théoriques qui cherchent à appréhender la crise à partir de la baisse du taux moyen de
profit. Celles-ci se caractérisent par le fait de placer la rentabilité au sommet de
l’édifice explicatif de la crise actuelle. Cette conception se retrouve d’abord dans
l’analyse de l’origine de la crise ; ensuite, par un glissement abusif et généralement
non explicite, on en vient à élever le taux de profit au rang d’une théorie de la crise. Le
problème est d’ordre méthodologique ; il s’agit de savoir s’il faut partir du taux de
profit pour comprendre l’origine de la crise ou s’il faut renverser cet ordre
hiérarchique en considérant que c’est la crise elle-même qui précède la baisse du taux
de profit27. Mutatis mutandis et à la lumière de ces développements, l’alourdissement
de la composition organique du capital apparaît comme un facteur aggravant des
problèmes de rentabilité des entreprises.
A titre d’illustration des phénomènes de déstructuration de la cohérence du
système productif, citons les travaux de l’économiste néoclassique autrichien F. Von
Hayek qui a donné une place importante aux rapports entre les crises et les
déformations de la structure productive. Pour cet auteur, les politiques keynésiennes de
croissance des crédits bancaires et de faibles taux d’intérêt ont induit une longue
période de surinvestissement et par-là une déformation profonde de la structure
productive relativement à la structure d’équilibre correspondant aux préférences
réelles des agents. La crise résulterait d’un allongement excessif du processus de
production, d’une importance trop grande de la production de biens de production par
rapport aux biens de consommation. Elle est suivie d’une phase de réajustement de la
structure productive aux préférences des consommateurs, au partage désiré entre
consommation et épargne. Ce réajustement implique une transition vers des processus
de production moins capitalistiques. Cette transition ne peut se faire sans crise du fait
de la rigidité de l’appareil productif, de la spécifité des biens de production, et parce
qu’elle implique des pertes de capital et des réductions de revenus 28.
De nombreuses analyses théoriques se sont intéressées aux transformations de la
production, de ses rapports à la crise et de la crise de la production elle-même. Elles
ont appréhendé ces questions sous l’angle du développement inégal des sections de
production.
47
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
l’extérieur est beaucoup plus faible en 1959 qu’en 1899 ; la France exportait 33% de
sa production de produits manufacturés en 1899 et seulement 18% en 1959.
L’expansion de l’immédiat après-guerre est largement axée vers le marché intérieur ;
on peut vérifier que de 1950 à 1967, il y a tendance à la stabilisation ou à la baisse de
la part des exportations dans le PNB ; de façon parallèle, le poids relatif des
importations tend à se réduire.
Cette croissance de type autocentrée est remise en cause à partir de 1967 ; le
mouvement d’internationalisation des échanges s’accroît sensiblement en longue
période, comme le montre le tableau suivant :
Source : Etats-Unis, ministère du commerce des Etats-Unis, Survey of Current Business pour les années citées.
Autres pays : publications du Fonds monétaire international pour les années citées
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e- l’industrialisation du Tiers-monde
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groupe de pays comprenant les Etats du sud-est asiatique s’est illustré par l’application
d’un vigoureux modèle de développement économique caractérisé par des taux
d’investissement très élevés et l’orientation de la majeure partie de la production vers
l’exportation. La «réussite» de ce modèle a privé les firmes occidentales d’une partie
de leurs revenus sur l’ensemble des marchés de grande consommation. L’autre groupe
est formé de pays de grande dimension, dotés de ressources naturelles abondantes et
possédant des marchés intérieurs relativement importants. Ils sont donc moins
dépendants des exportations industrielles pour les recettes en devises dont ils ont
besoin. C’est pourquoi ces pays se sont efforcés de créer des industries de production
en série orientées vers le marché intérieur. Pour ce faire, ils ont restreint les
importations de produits concurrents en provenance de pays plus avancés. C’est ainsi
que les succès des pays comme le Brésil, le Mexique et l’Argentine ont contribué à
l’embouteillage des marchés de grande consommation.
Le problème de la saturation des marchés des pays occidentaux s’est posé avec
davantage d’acuité du fait de certaines caractéristiques propres au système fordiste. Le
problème de la saturation aurait été moins sévère si l’élaboration de produits nouveaux
se faisait à un rythme soutenu ; des produits nouveaux bénéficiant d’une demande
forte venant remplacer périodiquement d’anciens produits dont la demande est
stagnante. Pour que cela soit possible, l’effort d’innovation doit être particulièrement
soutenu. Or la stabilité du système de production Taylorien-Fordien est conditionnée
par l’obtention d’économies d’échelle substantielles. L’obtention d’effets de taille par
l’installation de machines plus puissantes, par l’agrandissement des installations
existantes, par la croissance des effectifs implique que le cycle de production d’un
produit donné se déroule sur un cycle de production étendu. Il est clair que cet
impératif est en contradiction avec la nécessité d’écourter le cycle de vie d’un produit
pour le remplacer par un autre, nouveau celui-la, en mesure de susciter l’engouement
des consommateurs.
Tous les efforts étaient faits pour répartir sur un volume de production aussi
grand que possible les coûts fixes d’investissement en études et en équipement. Vers
les années 1970, on estimait que le seuil de rentabilité s’établissait en production
annuelle d’automobiles à 250 000 unités pour l’assemblage, 500 000 pour les moteurs
et un million pour l’emboutissage. La conjugaison de ces économies d’échelle avec
celles liées à la vente (y compris la publicité), et la nécessité de disposer d’une gamme
de produits diversifiés couvrant tous les segments du marché conduisaient à estimer
que seul un volume minimum de 2 millions d’unités par an pouvait assurer la survie
d’un constructeur d’automobiles 32.
De même, la politique courante parmi les entreprises les plus fidèles aux
principes de gestion fordiste consistant en la création de stocks tampons destinés à la
stabilisation de la production ne plaide pas en faveur d’une créativité soutenue en
matière d’élaboration de nouveaux produits. Plus fondamentalement, la saturation de
la demande pour les biens standardisés et banalisés dans les pays occidentaux semble
être inscrite dans la nature des choses. En effet, la productivité locale qui s’est accrue à
des rythmes élevés sur de longues périodes a porté la production et la consommation à
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
des niveaux records. La poursuite de cette tendance était aux yeux de nombreux
observateurs, proprement impossible. J. Fourastié qui a été un observateur attentif de
cette période de croissance exceptionnelle disait à ce sujet : « Depuis 1968 ou 1970,
j’attendais la fin des "trente glorieuses". Ma raison était bien simple. Voyez-vous les
gens consommaient mille fois ou seulement cinq cent ou seulement soixante fois plus
qu’aujourd’hui ? Voyez-vous le nombre que cela suppose d’automobiles, de machines
à laver, d’appartements… ». Et d’ajouter en guise d’explication des principaux traits
qui marqueront la période qui succédera à la phase d ’expansion économique rapide :
« La voie du progrès rapide est maintenant fermée. Celle d’un progrès lent est ouverte,
mais étroite et malaisée […] cette voie implique cependant une intense activité
créatrice, un fourmillement d’initiatives originales […] plus d’efforts, plus
d’intelligence pour un moindre résultat »33. En d’autres termes, la solution (partielle) à
la saturation de la consommation passe par un effort supplémentaire de créativité, un
enrichissement et un renouvellement de l’éventail des produits existants.
g- crise de l’Etat
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h- un changement de politique
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SECTION II
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Pour bien entamer cette seconde section, il y a lieu de rappeler que la stratégie de
globalisation économique s’inscrit dans la logique du dépassement du système de
production de masse standardisée qui, comme on l’a vu, était arrivé à une impasse.
Cette stratégie constitue la consécration de tous les efforts qui ont été entrepris en vue
de lever les blocages, qui en s’accumulant, ont fini par transformer les avantages du
système en question en autant d’inconvénients. Les facteurs de crise étaient trop
nombreux et trop profonds (facteurs internes et facteurs externes) pour espérer que de
simples réaménagements ou que des réformes superficielles et à court terme pourraient
rétablir la situation de prospérité antérieure. Avec le temps et en s’approfondissant, ces
diverses stratégies apparemment disparates ont pu acquérir une cohérence d’ensemble
et s’unir dans une stratégie globale de type combinatoire.
Pour être en phase avec ce qui a été dit auparavant, on peut dire que la continuité
dans le temps des logiques qui sous-tendent les grands phénomènes économiques de
l’histoire, laissent à penser que c’est la logique de la crise multidimensionnelle des
années 1970 elle-même qui a produit la cohérence des différentes stratégies qui ont été
appliquées plus tard, justement pour sortir de cette crise. De ce point de vue, la
globalisation de l’économie apparaît comme l’élément central vers lequel tendent
toutes ces stratégies.
Les transformations qui ont découlé du processus de globalisation n’ont épargné
aucun aspect du système de production de masse standardisée. Elles ont eu un impact
direct sur la nature et la qualité des biens produits. Elles ont en conséquence
profondément transformé les méthodes et les moyens de production de ces biens d’un
genre nouveau. Cela ne pouvait se faire sans une profonde restructuration des formes
organisationnelles des entreprises concernées. Du fait que des entreprises de rang
mondial étaient impliquées dans ce processus, il en découlait inévitablement un
remaniement général des principes régissant le fonctionnement macro-économique.
Par ailleurs, et en sachant que le mouvement de globalisation fait intervenir de façon
privilégiée la dimension internationale de l’économie, on comprend alors pourquoi ce
processus est attaché à un bouleversement dans le fonctionnement de l’économie
mondiale.
Bref, le mouvement de globalisation participe de manière active à la mise en
place d’un nouveau paradigme technico-économique qui se substitue à celui qui a été à
l’œuvre depuis le début de ce siècle, notamment après la Deuxième guerre mondiale.
Les transformations survenues depuis la fin des années 1970 dans les relations
entre la science, la technologie et l’activité industrielle ont fait de la technologie un
facteur de compétitivité souvent décisif, dont les traits affectent pratiquement
l’ensemble du système industriel (entendu au sens large, comprenant donc une partie
des services). L’accent peut-être mis sur les points suivants.
Les liens entre la connaissance scientifique fondamentale et la technologie se
sont considérablement resserrés. Plus qu’à toute époque précédente, on assiste à une
interpénétration entre la technologie industrielle à but compétitif et la recherche de
base pure sans parler de la recherche fondamentale orientée dont le rôle est toujours
plus important. L’exemple le plus clair se trouve dans le domaine de la biotechnologie
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
où les sciences du vivant sont en prise presque directe avec les processus industriels.
Parallèlement, toutes les technologies critiques contemporaines se caractérisent par
leur forte capacité de diffusion intersectorielle. Elles offrent des opportunités de
renouveler la conception de nombreux produits et d’en inventer de nouveaux. Plus
important encore, elles exigent la transformation des procédés dominants de
fabrication aussi bien que des techniques de gestion dans l’ensemble du système
industriel.
De nombreuses percées technologiques récentes ont été le résultat de
fertilisations réciproques ou combinatoires entre des disciplines scientifiques et des
techniques distinctes ; c’est le cas des nouveaux matériaux nés de la rencontre entre la
chimie appliquée, les matériaux classiques et la programmation industrielle
informatisée par micro-ordinateur. Dans le cas où ces synergies seraient importantes, il
devient possible d’identifier des grappes technologiques, c’est-à-dire des groupes
d’activités industrielles et de services établis autour d’une base technologique
commune (en particulier dans le domaine de la micro-électronique et de la
biotechnologie).
Indépendamment de leur impact sur la croissance macro-économique et le niveau
d’emploi, dont la nature et l’ampleur sont controversées, ces développements ont
modifié les paramètres de la compétitivité micro-économique ainsi que les
comportements concurrentiels des entreprises. Tous les facteurs qui viennent d’être
énumérées les ont contraintes à augmenter sérieusement leurs dépenses (ou
investissements immatériels) en R&D. Par ailleurs, le coût de ces dépenses a
augmenter sensiblement. La hausse a été particulièrement forte dans l’informatique
(semi-conducteurs, ordinateurs) de la pharmacie, mais elle concerne pratiquement tous
les secteurs. L’effet conjoint de l’augmentation du niveau des dépenses exigées par les
transformations des « paradigmes technologiques » et de leur coût explique
l’accroissement de la part de la valeur ajoutée réinvestie dans la technologie.
Prises dans leur ensemble, ces transformations ont entraîné des changements
dans la composition des ressources spécialisées complémentaires. Celles-ci sont
définies comme les ressources qui manquent à une entreprise tout en lui étant pourtant
nécessaire pour mener à bien la mise au point et la commercialisation d’une innovation
et pour bénéficier des flux de valeur ajoutée et des quasi-rentes d’entreprises
auxquelles elle doit pouvoir normalement prétendre.
Tout se conjugue pour faire pression sur les firmes afin qu’elles coopèrent soit
avec plus faible qu’elles-mêmes soit entre égaux. Dans un contexte de changement
technologique rapide, les accords de coopération et les alliances stratégiques sont un
moyen permettant à des entreprises de se procurer, au moindre risque et en gardant la
possibilité de se désengager, les ressources complémentaires et les intrants
technologiques essentiels. Ils sont aussi l’un des principaux instruments des politiques
de compétitivité.
Ces quelques lignes ont pour objet de servir d’entrée en matière au délicat
problème des formes et enjeux de la compétition technologique que nous étudions
dans ce qui suit.
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Il tirait cette notion, comme il était le premier à l’admettre, des écrits de Marx.
Mais il l’utilisait pour réfuter Marx. La notion de développement économique qu’il
conçut parvint à établir ce que ni les économistes classiques, ni Marx, ni Keynes ne
purent faire : à savoir que le profit remplit une fonction économique. Dans une
économie de changement et d’innovation, le profit, à l’inverse des théories de Marx,
n’est pas une « plus-value » volée aux travailleurs. Au contraire, c’est la seule source
d’emplois et de revenus pour les travailleurs. La théorie du développement
économique montre que personne, sinon l’innovateur, ne réalise de véritable
« profit » ; et que le profit de l’innovateur est souvent de courte durée. Mais
l’innovation selon la formule de Schumpeter, est aussi une « destruction créatrice ».
Cela rend obsolète les biens d’équipement et les investissements. Plus une économie
progresse, plus elle a besoin de formation de capital. Ainsi, ce que l ’économiste
classique – ou le comptable ou la bourse – considère comme du « profit » est en
réalité un coût, le coût de préserver son activité, le coût d’un futur où rien n’est
prévisible, sinon que les entreprises rentables d’aujourd’hui seront les canards boiteux
de demain. La formation du capital et la productivité sont donc nécessaires pour que
l’économie puisse continuer à produire de la prospérité, et, avant tout, pour qu’elle
maintienne les emplois d’aujourd’hui tout en créant les emplois de demain.
L’innovation de Schumpeter, avec sa destruction créatrice est jusqu’à présent la
seule théorie qui justifie l’existence de ce que nous appelons profit. Les économistes
classiques savaient très bien que leur théorie n’offrait aucune rationalisation du profit.
En effet, dans l’équilibre économique d’un système économique fermé, il n’y a pas de
place pour le profit, ni explication. En revanche, si le profit est un coût réel, et surtout
s’il est le seul moyen de maintenir des emplois et d’en créer de nouveaux, alors le
capitalisme redevient un système moral.
Les économistes classiques avaient souligné que le profit est nécessaire pour
inciter les gens à prendre des risques. Mais ne serait-ce pas en réalité une forme de
corruption, et donc injustifiable moralement ? Ce dilemme avait conduit l’un des
économistes les plus brillants du XIXe siècle, John Stuart Mill, à embrasser le
socialisme vers la fin de sa vie. La faiblesse de ce système de stimulation, du point de
vue moral, permit à Marx de condamner aussitôt le capitaliste comme mauvais et
immoral et d’affirmer qu’il ne remplit aucune fonction, et que sa fin prochaine est
inéluctable. Si l’on renonce à l’axiome d’une économie stable, indépendante et fermée,
pour adopter l ’économie dynamique, croissante, mobile et changeante de Schumpeter,
ce qu’on appelle le profit n’est plus immoral. Il devient un impératif moral. Dans la
théorie économique de Schumpeter, une seule question subsiste : y a-t-il suffisamment
de profit ? la formation de capital sera-t-elle suffisante pour parer aux coûts futurs, au
coût de rester en vie ou coût de la destruction créatrice.
Pour P.Drucker, cette notion suffit à faire du modèle de Schumpeter la seule
base pour les politiques économiques dont nous avons besoin. Très clairement, la
conception Keynésienne – ou classique – de l’innovation en tant que phénomène
« extérieur », et en fait périphérique à l’économie, sans grand effet sur elle, ne peut
plus être défendue. La question fondamentale de la théorie et de la politique
économique, surtout dans les pays développés, est la suivante : Comment peut-on
maintenir la formation du capital et la productivité afin de soutenir les changements
technologiques rapides et l’emploi ? Quel est le minimum de profit nécessaire pour
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couvrir les coûts futurs ? Quel est le profit minimum requis, avant tout, pour préserver
les emplois et pour en créer de nouveaux ?
Technologie et information
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du temps. En bref, des écarts technologiques peuvent exister entre les pays et perdurer
même si l’on est obligé d’admettre, contrairement à l’hypothèse Ricardienne, qu’ils ne
sont pas stables et naturels. Des écarts statiques peuvent donc être remplacés par des
écarts temporels et dynamiques. Bref, les innovations tant de procédé que de produit
peuvent être difficiles à imiter en raison de la spécificité des connaissances et
compétences techniques de l’entreprise innovante. La réduction des écarts
technologiques nécessite la conjonction de conditions qu’il est difficile pour les pays
en développement de réunir. Il faut disposer d’un capital pour produire de nouveaux
capitaux, de connaissances préalables pour assimiler de nouvelles connaissances, de
compétences et d’un certain niveau de développement pour créer les effets d’échelle
qui rendent le développement possible. En résumé, il est dans la logique de la
dynamique de la technologie et de la croissance que ce soit celui qui est le plus avancé
sur le plan technologique qui s’enrichit le plus et que l’écart demeure et se creuse par
rapport à ceux qui sont laissés à la traîne.
Toutefois, il n’est plus possible comme auparavant d’évaluer en décennies
l’avance technologique liée à une entreprise sectorielle ou nationale. L’avance ou le
retard entre pays développés se calcule plutôt sur une année ou deux. En d’autres
termes, les entreprises de ces pays présentent une position technologique internationale
plus concurrentielle et plus semblable. Malgré cela, le phénomène du « gagnant
unique » observé dans un nombre croissant de secteurs selon lequel, seuls ceux qui
franchissent la ligne d’arrivée les premiers récupèrent tous les bénéfices, incite
fortement à l’intensification de l’effort d’innovation par les firmes.
La stratégie de rivalité technologique par l’intensification du processus
d’innovation initiée par les firmes des pays les plus avancés dans le domaine
technologique s’inscrit dans une approche dite de barrières stratégiques à l’entrée
destinées à dissuader d’éventuels entrants parmi les concurrents. Ces barrières à
l’entrée sont matérialisées par des coûts d’entrée qui dans l’approche traditionnelle de
G. Stigler sont définis «comme un coût de production (à n’importe quel niveau de
production) qui doit être supporté par une firme qui cherche à entrer dans une
industrie, mais n’est pas supporté par les firmes déjà installées dans l’industrie »38.
Suivant la formulation de J. Bain, ce sont les effets potentiels de ces barrières – en
l’occurrence la persistance de prix fixés au-dessus du coût moyen en longue période –
qui les définissent. Dans ces conditions, les avantages absolus de coût, les économies
d’échelle, la différenciation des produits sont recensés en tant que barrières à l’entrée.
Les avantages absolus de coût permettent, en effet, aux firmes installées de produire
n’importe quel niveau de production à des coûts unitaires plus faibles que les éventuels
entrants ; et, donc, de maintenir un prix supérieur au coût unitaire sans être sous la
menace d’une entrée. La différenciation des produits fait que les firmes installées
bénéficient de l’attachement d’une clientèle de telle sorte que les entrants potentiels ne
peuvent accaparer une part de marché qu’en proposant un prix plus faible ou en
supportant des coûts de vente plus élevés que les firmes installées. Celles-ci sont,
donc, en mesure de toujours maintenir un prix au - dessus de leur coût unitaire 39.
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Il était dans la logique des choses et tout à fait prévisible que l’application des
stratégies de compétition technologique basées sur l’exploitation intensive des
connaissances scientifiques et techniques, d’une part, et l’accroissement de
l’importance du capital humain par rapport au capital physique, d’autre part, se
traduisent par l’accélération du rythme de création de nouveaux produits (et services).
Le cycle de vie des produits est devenu à la faveur de cette stratégie de plus en plus
court et leur remplacement par de nouveaux produits se fait à rythme particulièrement
rapide. A titre d’exemple, il a été calculé que dans les industries de l’information, le
stock des connaissances – au sens large de ce terme – double tous les 18 mois. Bien
sûr, cette évolution ne peut durer indéfiniment, cependant, un accroissement des
connaissances d’une telle ampleur ne peut que donner lieu à des vagues d’innovation
aussi nombreuses que variées. C’est ainsi que les matériels informatiques des
entreprises sont renouvelés périodiquement à des intervalles relativement rapprochés.
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croissent le plus vite et font les profits les plus élevés fabriquent des microprocesseurs
spécialisés et des circuits intégrés destinés à répondre aux besoins spécifiques des
acheteurs. Maintenant que les ordinateurs ayant des systèmes d’exploitation standard
sont devenus des articles courants, les profits les plus importants proviennent des
logiciels qui permettent d’utiliser ces ordinateurs pour les besoins particuliers des
utilisateurs. (En 1984, 80% du coût d’un ordinateur était dans le hardware et 20% dans
les logiciels ; en 1990, les proportions sont exactement inverses).
Les services traditionnels sont en train de vivre une transformation identique.
Dans les télécommunications, les profits les plus élevés viennent des services sur
mesure à longue distance, comme le traitement de la voix, de l’image et de
l’information, d’installations reliant les téléphones, les ordinateurs et les fax, de
réseaux de télécommunications spécialisés reliant les individus travaillant dans des
lieux différents. Les entreprises de transport routier, ferroviaire et aérien dont la
croissance est la plus rapide satisfont les besoins de leurs clients en matière
d’enlèvements et de livraisons spécialisées, de containers exclusifs, et d’intégration sur
toute la planète des différents modes de transport. Les organismes financiers les plus
rentables offrent une grande variété de services (liant la banque, l’assurance et les
placements) adaptés aux besoins spécifiques des individus et des entreprises.
Ces nouvelles entreprises sont rentables pour deux raisons : d’une part, les clients
sont prêts à payer un surprix pour des biens et des services qui répondent exactement
à leurs besoins ; d’autre part, cette production personnalisée ne peut être facilement
copiée par des concurrents accoutumés à la production de masse. La concurrence
continue à comprimer les profits sur tout ce qui est uniforme, courant, standard, c’est-
à-dire sur tout ce qui peut être fabriqué, reproduit ou extrait en grandes quantités
partout dans le monde ; mais les entreprises florissantes dans les nations
économiquement avancées changent de terrain et s’appuient sur des produits et des
services personnalisés. La nouvelle barrière à l’entrée n’est plus la quantité ou le prix,
c’est la capacité à trouver le bon accord entre des technologies spécifiques et des
marchés spécifiques. Les grandes firmes ne se focalisent plus sur les produits en tant
que tels ; de manière croissante, leur stratégie se concentre sur les connaissances
spécialisées.
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c- Tertiairisation
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gérées aujourd’hui en fonction de ces flux » dit Nicholas Heymann, analyste chez
Natwest Securities.
L’importance que prennent les services est encore plus spectaculaire dans les
entreprises informatiques, qui tendent de plus en plus à concevoir et à gérer l’ensemble
des opérations informatisées du client, depuis la paie jusqu’au suivi des commandes.
Pour Hewlett-Packard, les recettes provenant des services s’élevaient à 5,3 milliards de
dollars en 1996, soit une hausse de 20% par rapport à 1995. Sur les 70 milliards de
recettes d’IBM en 1995, 20 provenaient des services 43.
D’après Lloyd Waterhouse, directeur général d’IBM Global Services, les
services affichent une progression plus rapide que le matériel ou le service. En 1995,
General Electric (GE) a engrangé 7 milliards sur 70 milliards de dollars de recettes
grâce à des services comme la réparation et la maintenance de locomotives, de moteurs
d’avions, de centrales électriques et d’équipement médical. Le groupe comptait
encaisser grâce à ce type de service plus de 15 milliards de dollars d’ici l’an 2000 44.
L’entreprise vient d’ailleurs de constituer une commission où des représentants de
toutes ses activités de production s’échangent des idées.
Il serait erroné de croire que cette tendance à l’accroissement de l’importance des
services par rapport au matériel est spécifique au secteur informatique comme le laisse
à penser les exemples précédents. Cette tendance est en train de s’étendre aux autres
secteurs. La division médicale de General Electric, par exemple, qui se sert de son
propre équipement pour interpréter des informations d’aide au diagnostic transmises
électroniquement, a appris à la division des moteurs d’avions à se servir de la même
technologie pour identifier la panne d’un avion situé dans un aéroport à des milliers de
kilomètres. « Le meilleur moyen d’assurer une forte expansion de mes activités, c’est
d’améliorer l’équipement que j’ai installé et d’en assurer la maintenance plutôt que
d’essayer de vendre davantage de matériel », explique John Welch, président de
General Electric. Il ajoute que les services liés aux produits se développent deux à trois
fois plus vite que les produits eux-mêmes.
Ce phénomène ne concerne pas uniquement les activités industrielles récentes, il
touche aussi des secteurs aussi traditionnels que l’agriculture. Un exemple d’industrie
hybride que forment désormais les activités industrielles, agricoles et de service nous
est fourni par le tracteur interactif de Massey Fergusson – une firme mondialement
connu dans la fabrication de matériel agricole. Cette firme, en utilisant les technologies
de l’information et des communications pour ses tracteurs est en train de créer une
nouvelle activité : la gestion des rendements agricoles 45. Les nouveaux tracteurs sont
reliés à un récepteur GPS (Global Positioning System) qui enregistre leur position
exacte et la quantité récoltée dans la parcelle. Ces données sont associées aux
informations sur le sol (éléments nutritifs, teneur en eau), la météorologie et les
diverses techniques agricoles, puis communiquées à l’agriculteur sous la forme de
cartes de rendements (Yield Mapping System) à partir desquelles celui-ci peut planifier
certains changements, par exemple réduire le tassement de la terre dans telle ou telle
partie du champ. Les analystes pensent que ce système interactif pourrait bientôt être
plus rémunérateur pour Massey Fergusson que son activité principale.
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Pour bon nombre d’entreprises, les services sont simplement un moyen d’assurer
leur expansion. Mais pour beaucoup d’autres sociétés, c’est une stratégie de survie,
notamment dans le secteur de l’informatique. La concurrence s’est renforcée, la durée
de vie des produits s’est raccourcie, et avec l’avènement des « architectures ouvertes »
– des systèmes qui permettent aux entreprises de mélanger les composants de
fabricants rivaux et de les combiner – les clients peuvent choisir entre plusieurs
fournisseurs quand ils souhaitent améliorer leur équipement ou acheter du matériel
complémentaire.
Résultat : les marges brutes pour la production, qui pouvaient atteindre autrefois
jusqu’à 75%, dépassent rarement les 30% aujourd’hui. Alors que pour les services,
elles dépassent parfois 50%. Chez Unysis, qui a vu ses bénéfices fondre pour les gros
systèmes et les PC, « les services informatiques représentent désormais 63% du chiffre
d’affaires et 100% des espoirs »46.
Ainsi donc, les différentes branches d’activité de demain ne ressembleront pas à
celles d’aujourd’hui. Les industries manufacturières emprunteront de plus en plus
certaines pratiques qui caractérisent les services – souci de la qualité, produits sur
mesure, produits en flux tendus (rendant les stocks moins nécessaires). Témoin de ce
changement : presque tous les emplois crées depuis dix ans dans le secteur
manufacturier sont non manuels 47. Quant au secteur des services, il ressemblera
davantage au secteur manufacturier, comme le montrent déjà de nombreux
indicateurs : sensibilité aux fluctuations conjoncturelles, évolution des investissements
matériels et immatériels, ouverture aux échanges internationaux et gains de
productivité.
La convergence des industries manufacturières et des activités de services va
sans doute s’accélérer à mesure que les technologies de l’information et des
communications (TIC) renforceront la « codification des connaissances » dans des
domaines tels que la finance, la médecine et le droit. Tous ces services peuvent être
inventoriés et faire l’objet d’échanges internationaux.
S’il existe un terme pour résumer l’essentiel de ce qui a été dit à propos des
évolutions enregistrées au niveau des produits, c’est bien celui de multimédia. Tel un
aimant, le mot multimédia attire à lui, les discours les plus divers : les uns issus du
monde technique, montrent l’unification croissante des différentes composantes du
champ de l’information. Grâce à une généralisation de la numérisation, on traite et on
transporte, selon les mêmes principes, les données informatiques, la voix téléphonique
et l’audiovisuel.
Dans le monde de l’édition et de la production des programmes, on voit
également dans le multimédia la possibilité de mettre fin aux cloisons qui séparent
divertissement, formation, information et travail professionnel.
La numérisation permet donc d’intégrer sur un même support du texte, de
l’image animée et du son. Les nouveaux produits multimédias devraient dans les
années à venir s’imposer comme outil de stockage et de consultation des informations.
Dores et déjà, les photothèques sont numérisées et enregistrées sur ce type de support ;
des programmes de formation interactifs sont élaborés ainsi que toute une nouvelle
gamme de catalogues : La Redoute et les 3 Suisses distribuent le leur sous forme de
CD ROM.
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Le mythe de la désindustrialisation
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Cela veut dire que l’on considère désormais le savoir comme la principale
ressource économique. Les ressources naturelles, le travail et le capital comptent
surtout pour le fait qu’ils imposent des contraintes. Sans eux, le savoir lui-même ne
produit rien. En conséquence, le savoir, depuis toujours relevant du domaine privé, est
tombé d’un seul coup dans le domaine public.
Dans une économie de l’information, la valeur s’accroît non pas grâce au travail,
mais grâce au savoir. Par conséquent, certains estiment que la théorie de la valeur
travail de Marx, élaborée au commencement de l’économie industrielle, doit être
remplacée par une nouvelle théorie. Dans une société d’information, la valeur est crée
et augmentée grâce au savoir, un travail très différent de celui qu’avait Marx à l’esprit.
Cependant, l’idée que le savoir peut créer une valeur économique est
généralement absente des analyses économiques même si certains signes montrent que
cet aspect des choses commence à être pris sérieusement en compte. Edward Denison,
économiste du département américain du commerce, a réalisé une étude visant à
déterminer les facteurs qui ont le plus contribué à la croissance économique durant la
période allant de 1948 à 1973. L’étude a conclut que les deux tiers de la croissance
économique réalisée au cours de cette période sont dus à un meilleur niveau
d’éducation de la force de travail dans son ensemble.
On ne comprend pas très bien comment le savoir remplit son rôle de ressource
économique. L’expérience manque pour formuler une théorie que l’on puisse tester.
Nous avons besoin d’une théorie économique qui place le savoir au centre du
processus de création de la richesse. Les premières études sur le sujet montrent qu’il
semble bien que la concurrence imparfaite soit inhérente à l’économie du savoir. Dans
l’économie fondée sur le savoir, il semble bien que la concurrence imparfaite soit
inhérente à l’économie même. Les avantages initiaux obtenus grâce à la mise en œuvre
précoce et à l’exploitation du savoir (le caractère cumulatif et spécifique) deviennent
permanents et irréversibles. Les premiers à découvrir garderont toujours une longueur
d’avance sur les suiveurs et les initiateurs. En fin de compte, il n’est pas possible, au
moins jusqu’à présent, de quantifier le savoir. On peut bien sûr estimer ce qu’il en
coûte de le produire et de le distribuer. Mais on peut rien dire de précis de ce qu’il
produit ; de ce qu’on pourrait appeler le « rendement du savoir ». Or toute théorie
économique suppose l’existence d’un modèle établissant des relations entre différentes
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
variables. Sans un pareil modèle, il est impossible de faire des choix rationnels, ce qui
constitue l’essence même de la science économique.
Le savoir et le pouvoir
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
2- La prééminence du capital
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
SECTION III
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
R. Reich utilise ce terme pour désigner tous ceux dont l’exécution du travail
nécessite de hautes compétences scientifiques, mais aussi artistiques et spectaculaires.
Il faut remarquer que le terme comprend le mot manipulation qui, dans ce contexte,
évoque la maîtrise de l’exercice d’une activité. Le terme de manipulation désigne
aussi, quoique implicitement, l’exécution de travail original (chaque fois
spécifiquement adapté à la situation à laquelle il fait face), non répétitif et non
routinier. Le terme de symboles renvoie, quant à lui, à des signes, qui tout en étant
réels, n’ont pas d’efficacité ou de valeur en soi, mais en tant que signe d’autre chose.
Le symbole, sous forme de concept et de notion, permet ainsi la maîtrise de la
complexité de la réalité ce qui facilite la production de savoirs et de connaissances,
leur acquisition et leur transmission. Le symbole est aussi l’étape intermédiaire et
indispensable entre le développement d’une idée, sa mise à l’épreuve et son exécution.
L’engin spatial le plus complexe, l’armement le plus destructeur tout comme la
symphonie la plus raffinée n’étaient, au départ, qu’un ensemble de symboles.
91
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Qu’une catégorie d’emploi soit classée dans les professions libérales ou dans les
emplois de direction a peu de rapport avec la fonction que son titulaire exerce
effectivement dans l’économie mondiale. Ainsi, les membres des professions libérales
ne sont pas tous des manipulateurs de symboles. Certains notaires passent leur vie à
des tâches totalement monotones : rédiger les mêmes testaments, les mêmes contrats,
inlassablement, en changeant simplement les noms. De même, tous les manipulateurs
de symboles ne sont pas des «professionnels ». Dans l’ancienne économie de
production standardisée, un professionnel était quelqu’un qui avait dominé un certain
domaine de la connaissance. Cette connaissance existait déjà, prête à être maîtrisée.
Une fois que le novice avait consciencieusement absorbé cette connaissance et avait
réussi un examen attestant cette absorption, le statut de professionnel lui était
automatiquement conféré.
Mais la nouvelle économie est pleine de problèmes non identifiés, de solutions
inconnues, de moyens encore jamais essayés de résoudre les premiers à l’aide des
secondes ; la maîtrise des anciens domaines de connaissance n’est plus suffisante pour
garantir un revenu convenable. Ni, ce qui est plus important encore, n’est même pas
nécessaire. Les travailleurs du savoir peuvent souvent accéder à l’ensemble des
connaissances établies en donnant un petit coup sur une touche d’ordinateur. Les faits,
les codes, les formules, sont faciles à atteindre. Ce qui a beaucoup plus de valeur, c’est
la capacité à utiliser effectivement et de manière créative ces connaissances.
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
La possession d’un diplôme ne garantit pas une telle capacité innovatrice. En fait,
son apparition dans la vie active peut être compromise par un enseignement qui s’est
appesanti sur l’acquisition machinale de connaissances plutôt que sur l’originalité de la
pensée.
Observer de prés des entreprises où l’essentiel de la valeur est crée grâce aux
talents des travailleurs du savoir et de l’information permet d’apercevoir trois
compétences différentes, mais reliées entre elles, qui leur permettent de prospérer.
D’abord, les compétences pour résoudre les problèmes, fondés sur la capacité à réunir
divers éléments d’une manière inédite, que ce soit pour obtenir des alliages, des
molécules, des circuits intégrés, des logiciels, des scénarios, des portefeuilles de titre,
de l’information. Ceux qui résolvent les problèmes doivent parfaitement connaître ce
que les éléments qu’ils ont à leur disposition peuvent donner quand ils sont
rassemblés ; ils doivent ensuite transformer cette connaissance en modèles et en
instructions pour passer au stade de la production. Ceux qui s’occupent, ainsi, de la
création de nouveaux produits et services sont impliqués dans une recherche
continuelle en vue de nouvelles applications, de nouvelles combinaisons, de nouveaux
raffinements propres à résoudre les problèmes de toutes sortes susceptibles
d’apparaître.
Enfin viennent les capacités nécessaires pour faire se rejoindre ceux qui
identifient les problèmes et ceux qui se chargent de leur résolution. Ceux qui tiennent
ce rôle doivent avoir une compréhension des technologies et des marchés spécifiques
suffisante pour discerner le potentiel des nouveaux produits ; ils doivent aussi trouver
l’argent nécessaire pour lancer le projet, et rassembler les bons identificateurs et
“résolveurs” de problèmes qui le mèneront à son terme. Ceux qui occupent cette place
dans la nouvelle économie étaient typiquement appelés dirigeants ou entrepreneurs
dans l’ancienne, mais aucun de ces termes ne décrit complètement leur rôle dans
l’entreprise de production personnalisée. Plutôt que de contrôler des organisations, de
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
fonder des entreprises ou d’inventer, ils passent tout leur temps à manier des idées. Ils
jouent le rôle de managers du savoir. Les identificateurs et les résolveurs de
problèmes, et les managers du savoir forment ce que J.K. Galbraith appelait déjà la
«technostructure »53. Cependant, les membres de la technostructure, tout en étant des
manipulateurs de symboles comme les trois catégories de travailleurs de savoir que
nous venons d’évoquer n’en diffèrent pas moins par la façon dont ils sont structurés en
tant que groupe à part au sein de l’entreprise moderne. Les membres de la
technostructure, exerçant leurs talents dans l’entreprise de production de masse
standardisée, du fait du principe d’organisation hiérarchique de celle-ci entretenaient
des relations de travail étroites avec les autres catégories d’employés occupant la
sphère inférieure dans l’échelle de responsabilité de l’entreprise. La technostructure
occupait le sommet de la pyramide que formait la structure des emplois des entreprises
industrielles. Les autres catégories de cols blancs occupaient une place intermédiaire
entre la technostructure et les cols bleus en bas de la pyramide. Dans cette structure
typique des entreprises de production de masse standardisée, l’information allait du
bas vers le haut, et les ordres prenaient le sens inverse. A l’inverse, les manipulateurs
de symboles de l’entreprise de production personnalisée ont des relations limitées avec
leurs «subordonnés ».
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Les équipes de créateurs résolvent et identifient les problèmes d’une manière très
semblable – qu’ils développent de nouveaux logiciels, imaginent une nouvelle
stratégie commerciale, fassent de la recherche scientifique ou conçoivent un montage
financier. Dans tous les cas de figure, la coordination est davantage horizontale que
verticale. Comme les problèmes et les solutions ne peuvent être définis à l’avance, les
réunions et les ordres du jour formels ne suffisent pas à les mettre en évidence. Ils
émergent au contraire de relations fréquentes et informelles. L’apprentissage est
mutuel à l’intérieur de l’équipe, à mesure que les idées, les expériences, les énigmes et
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
les solutions sont partagées. Une solution trouvée pour un problème s’avère applicable
à un problème totalement différent ; un échec dans un domaine se transforme en
stratégie gagnante dans un tout autre domaine. C’est comme si les membres de
l’équipe reconstituaient en même temps plusieurs puzzles avec des pièces rassemblées
dans le même tas, des pièces qui peuvent être arrangées de diverses manières pour
former plusieurs images différentes.
Ainsi, l’entreprise de production ne ressemble plus à une pyramide, mais à un
réseau. Les managers du savoir sont au centre, mais ils ne sont pas impliqués dans un
grand nombre de liaisons, et de nouvelles relations sont tissées sans cesse. Chaque
nœud du réseau comprend un nombre relativement réduit de membres, qui dépend de
la tâche à accomplir, et va d’une douzaine à plusieurs centaines de personnes. Les
compétences individuelles sont combinées de telle sorte que l’aptitude du groupe à
innover dépasse celle de la simple somme de ses membres. Au fur et à mesure que le
temps passe, et que le groupe travaille sur des problèmes variés et selon des approches
différentes, chacun mesure mieux les aptitudes de ses associés. Les membres du
groupe apprennent à s'aider les uns les autres pour obtenir de meilleurs résultats, ils
découvrent ce que chacun peut apporter à chaque projet et comment ils peuvent, tous
ensemble, accroître leurs expériences. Chaque participant est à l’affût d’idées propres
à faire avancer le groupe. Cette expérience et ces connaissances accumulées ne
peuvent être traduites en procédures opératoires faciles à transférer à d’autres salariés
et à d’autres organisations. Chaque nœud de l’entreprise-réseau représente une
combinaison unique de compétences.
Dans son ouvrage intitulé The advent of the automatic factory (l’avènement de
l’usine automatisée), rédigé en 1952, John Diebold témoignait d’une grande
clairvoyance à l’égard de ces problèmes. Il attirait l’attention sur les nouvelles
compétences qui seraient nécessaires à une échelle sans précédent. Il signalait
également que l’informatisation impliquait «la conception de toute une gamme de
produits ainsi que des procédés » ; cela ne serait pas possible sans des changements
dans les «structures de la plupart des entreprises afin de faciliter la circulation de
l’information entre les services de R&D, les services d’études, les services de
production et les services commerciaux. » Cette mutation exigerait elle-même des
changements dans la structure de gestion afin de faciliter la circulation horizontale des
individus et de l’information. Ainsi, il apparaît bien que le simple fait de s’équiper de
matériels informatiques ne représentait que la première étape, la plus élémentaire, et
l’ensemble du processus prendrait des décennies comme on le constate aujourd’hui, et
non pas des années.
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
ne suivent plus une orientation linéaire suivant la hiérarchie des systèmes productifs
nationaux, du plus développé vers le moins développé. La crise, ensuite, qui
commence avec la fin des années 1960, marquée notamment par la saturation des
marchés qui ont soutenu la croissance de l’après-guerre et l’épuisement des gains de
productivité, impose, on l’a déjà vu, une accélération du rythme des innovations 56. De
nouveaux produits et de nouvelles méthodes de production sont indispensables au
rétablissement de la croissance de la productivité et au renouvellement continu de la
demande. Les firmes se trouvent confrontées à une augmentation sensible de leurs
concurrents et à une multiplication des formes de la concurrence. La réduction des
coûts n’est plus le facteur principal de compétitivité. Il ne faut plus maintenant, tant
vendre ce qui est produit au moindre coût, que produire ce qui peut être vendu. Les
industries sont de plus en plus conduites par la demande plutôt que par l’offre.
Les firmes sont, de ce fait, soumises à des contraintes opposées. Elles doivent, en
premier lieu, se rapprocher de leurs clients afin de répondre le plus vite et le plus
précisément possible à l’évolution de leurs demandes. D. Reinertsen, un consultant de
McKinsey, a établi en 1983 qu’un délai de six mois dans le lancement d’un produit
pouvait réduire d’un tiers les profits totaux sur la totalité de son cycle de vie. Il faut, en
deuxième lieu, satisfaire ces besoins à des prix et donc à des coûts les plus faibles
possibles. La concurrence les amène en troisième lieu à renouveler en permanence leur
offre. Le temps compte de plus en plus. Les groupes multinationaux doivent gérer, tout
à la fois, le temps et l’espace : le temps, pour réduire l’intervalle entre la conception de
nouveaux produits et leur lancement sur le marché, l’espace pour valoriser leurs
produits sur une échelle géographique la plus large possible.
Les nouvelles structures vont privilégier les gains de temps en procédant à une
très forte intégration des fonctions entre elles comme à l’intérieur de chacune d’elles.
L’organisation cloisonnée et l’enchaînement linéaire des fonctions principales
caractéristiques des firmes pyramidales de production de masse standard sont remis en
cause. Le recours à des systèmes informatisés de traitement de l’information permet
d’intégrer la conception d’un nouveau produit, la simulation de sa fabrication et de son
fonctionnement, la programmation des équipements qui le fabriqueront en série et la
commande des approvisionnements nécessaires. Les tâches caractéristiques de chaque
fonction principale sont ainsi de plus en plus difficiles à isoler. Une relation étroite
doit être maintenue par exemple entre le service commercial et la recherche –
développement afin de faire remonter le plus rapidement possible les informations sur
les attentes de la clientèle et les données sur le comportement effectif des produits
vendus. L’intégration des fonctions permet à la fois de renforcer l’efficacité de
l’ensemble du groupe et de réduire ses délais de réaction. En faisant intervenir les
fournisseurs et les clients ainsi que ses propres départements d’ingénierie, directement
au stade de la conception de son nouveau type d’appareil, le Boeing 777, le groupe
aéronautique américain espère économiser 20% du coût de développement sur un
montant total qui devrait avoisiner 5 milliards de dollars57. Ces évolutions peuvent
être illustrées par le schéma suivant :
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Après vente
Production R&D
Commercialisation
La figure I.4 illustre les lignes de communication qui relient les unités
spécialisées de recherche-développement aux unités complémentaires dans chaque
ligne de produits et entre elles, d’une ligne de produits à l’autre, dans un groupe
structuré en réseau.
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Des gains de temps sont également obtenus par le passage du travail séquentiel
au travail en parallèle. Dans les formes traditionnelles d’organisation, les tâches se
succèdent dans le temps, chacune prenant la suite de l’autre. Le lancement d’un
nouveau produit suit une procédure linéaire qui part de la recherche, passe par le
développement, la fabrication, avant d’aborder la commercialisation. Le délai de mise
sur le marché correspond à la somme des temps nécessaires à la réalisation de chacune
de ces étapes. Le fait que ce soit l’innovation qui joue le rôle le plus prépondérant dans
la concurrence entre les firmes a fait que, à l’heure actuelle, les firmes s’efforcent de
plus en plus de mener ces opérations en parallèle, c’est-à-dire que, dès le stade de la
recherche, des études sont conduites sur les conditions du marché et sur l’organisation
de l’équipement de fabrication. Plus encore, au sein même de chacune des fonctions, le
maximum d’opérations est mené de front afin de réduire le temps d’exécution de
l’ensemble.
Toutes ces idées sont confirmées par le rapport du MIT sur la compétitivité de
l’économie américaine que nous avons déjà évoqué58. Les auteurs du rapport
considèrent que le manque de coopération entre les différents départements de
l’entreprise est l’un des obstacles majeurs à l’innovation technologique et à
l’amélioration de la performance industrielle aux Etats-Unis. Dans l’entreprise
américaine, de véritables mailles humaines et organisationnelles semblent souvent
séparer les divers services. Du commercial à la recherche et de cette dernière à la
fabrication, le flux d’information est lent ou inadapté. Les gens du métier ont du mal à
travailler en équipe avec des spécialistes d’autres disciplines. On fragmente en
séquences des décisions qui auraient dû être intégrées. Dans pareille organisation, le
travail peut être accompli de façon très compétente au sein de chaque segment
spécialisé, et pourtant déboucher globalement sur l’inefficacité et le gâchis. On peut
citer à titre d’exemple de cette organisation parcellisée, la tendance des entreprises
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Recherche
Connaissances
Invention et/ou
Conception Affinement de la Distribution et
Marché production d’une
détaillée et conception et commercialisation
potentiel conception
expérimentation production
analytique
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
années 1960 qu’ont été entreprises les tentatives les plus sérieuses dans le sens de
l’élaboration de nouvelles formes d’organisation plus performantes. Notre foi en la
capacité de la structure pyramidale à régler nos problèmes a été sérieusement entamée
après que cette dernière ait été incapable de surmonter les problèmes complexes qui
ont surgi à cette époque-là. Il était clair que les problèmes de l’époque – stagnation
économique, instabilité politique et une multitude de problèmes sociaux inextricables
– ne pouvaient pas être résolus dans un monde organisé selon le principe hiérarchique.
L’échec des hiérarchies à résoudre les problèmes de la société à obliger les gens à
«parler » les uns aux autres, et ce fut le début du réseau, nous dit John Naisbitt.
Cependant, l’objectif principal du réseau ne se limite pas à l’échange d’informations et
de contacts. Il inclut aussi, et surtout, la création et l’échange du savoir. Le réseau
permet que chaque nouvelle idée soit intégrée à une autre nouvelle idée qui la suit,
produisant ainsi une compréhension nouvelle et cumulative de la nature humaine et de
l’univers dans lequel nous vivons.
Dans le domaine économique, les grandes organisations – les derniers champions
de la structure hiérarchique – ont commencé à remettre en question la structure
hiérarchique dès la fin des années 1970. Nombre d’entre elles avaient commencé à
découvrir que la méthode hiérarchique qui était si efficace par le passé n’est plus
valable, dans une large mesure à cause du manque de liens horizontaux qui les
caractérise. On prévoyait dès cette époque là que les entreprises et les institutions
fonctionneraient selon le modèle du réseau. Les architectures seront alors élaborées de
façon à ce que les liens et les relations de travail soient à la fois horizontales et
verticales, mais aussi multidirectionnelles et transdisciplinaires.
Il va de soi que dans ce système en gestation, les firmes ne se transformeront pas
en immenses firmes-réseaux, abandonnant tout contrôle formel pour laisser leurs
travailleurs faire ce que bon leur semble.
Une description des différentes formes que prennent les réseaux d’entreprises
permet d’avoir une idée plus précise sur la transformation en cours, de la firme
pyramidale fortement hiérarchisée à la firme-réseau. Ces formes ne sont pas stables et
continuent à évoluer. Les plus communes sont les suivantes :
Centres de profit indépendants. Ce réseau supprime les cadres intermédiaires et,
en ce qui concerne le développement des produits et des ventes, transfert l’autorité à
des groupes d’ingénieurs et de commerciaux (résolveurs et identificateurs de
problèmes) dont la rémunération est proportionnelle aux profits réalisés par l’unité à
laquelle ils appartiennent. Les managers du savoir dans les sièges sociaux apportent
une aide financière et logistique, mais laissent les unités libres de leurs dépenses
jusqu’à un certain montant. En 1990, Johnson & Johnson comprenait 160 sociétés
indépendantes ; Hewlett Packard, quelque 50 unités séparées. General Electric, IBM,
AT&T et Eastman Kodak, parmi d’autres adoptaient aussi cette approche. Pour des
raisons semblables, les grandes maisons d’édition étaient en train de créer activement
de petites maisons d’édition semi-autonomes à l’intérieur de la société mère, chacune
formée d’une douzaine de personnes ayant des responsabilités très larges dans
l’acquisition et l’impression de livres en propre.
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
350 dollars de composants achetés à l’extérieur. En 1990 aussi, la Lewis Galoob Toy
Compagny vendait pour plus de 50 millions de dollars de petits objets conçus par des
inventeurs indépendants et des sociétés spécialisées, développés par des ingénieurs
indépendants, fabriqués et emballés par des fournisseurs à Honk Kong (qui faisaient
faire en Chine et en Thaïlande le travail demandant le plus de main-d’œuvre), et puis
distribués aux Etats-Unis par des sociétés de jouets indépendantes. Les studios de
cinéma comptaient autrefois sur leurs propres équipements, leurs équipes exclusives
d’acteurs, de réalisateurs et de scénaristes ; elles passent maintenant des contrats,
projet par projet, avec des producteurs, des acteurs, des scénaristes, des cameramen
indépendants, et s’appuient sur des distributeurs indépendants pour que les films soient
projetés dans des salles appropriées. Les éditeurs ne passent pas des contrats seulement
avec les auteurs, ils le font aussi pour l’impression, la maquette, les illustrations, la
commercialisation et toutes les autres facettes de la production. Même les
constructeurs automobiles externalisent une part croissante de ce qu’ils fabriquent. (En
1990, Chrysler produisait directement 30% seulement de la valeur de ses voitures ;
Ford, environ 50%. General Motors achetait la moitié de ses services de conception et
d’ingénierie auprès de 800 sociétés différentes.)
Nous l’avons déjà dit, la vitesse et l’agilité sont si importantes pour l’entreprise
de production personnalisée qu’elle ne peut être alourdie par des frais généraux
importants comme des immeubles pour la direction, des usines, des équipements, et
des fichiers de personnel. Elle doit être en mesure de changer rapidement de direction,
d’explorer des options quand elles se présentent, de découvrir de nouveaux liens entre
problèmes et solutions où qu’ils se situent.
Dans l’ancienne entreprise de production de masse standardisée, les coûts fixes
comme les usines, les équipements, les entrepôts et les énormes fichiers de salariés
étaient nécessaires pour contrôler les opérations et s’assurer que leur déroulement était
conforme aux prévisions. Dans l’entreprise de production personnalisée, ils
représentent un poids superflu. Ici tout ce qui compte est la rapidité à identifier et à
résoudre les problèmes, le mariage de la perspicacité technique et du savoir-faire
commercial, favorisé par une clairvoyance stratégique et financière. Tout le reste,
c’est-à-dire les éléments plus standardisés, peuvent être obtenus au moment des
besoins. Les bureaux, les usines, les entrepôts sont loués, le crédit bail est utilisé pour
l’acquisition des équipements standards ; les composants courants sont achetés à des
producteurs extérieurs, souvent au-delà des mers.
En fait, un faible nombre de personnes travaillent pour l’entreprise de production
personnalisée, au sens traditionnel où ces personnes occupent des emplois stables et
reçoivent des salaires fixes.
Avant d’aller plus loin dans ce raisonnement, il convient de traiter ce dernier
point avec plus de détails. Comme on l’a déjà noté, la structure en réseau repose sur
l’introduction de nouvelles formes d’organisation du travail. La spécialisation étroite
et la définition de routines opératoires, stables, soumises à une planification stricte,
cèdent progressivement le pas au travail de groupe et à l’introduction d’une capacité
d’initiative. La modification des relations entre départements et fonctions au sein
même des entreprises se projette sur l’organisation des rapports entre firmes avec le
développement des partenariats, et par voie de conséquence, sur le mode de
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
leurs activités avec celles du groupe partenaire. Leur contribution ne se limite pas à la
fourniture d’un produit standard mais doit plutôt s’analyser comme celle d’un résultat.
L’importance de l’accroissement du contenu, en connaissances, technologies et savoir-
faire des activités industrielles implique l’approfondissement des relations entre
fonctions, de même qu’avec les fournisseurs et les clients. Une certaine familiarité
avec les besoins et les conditions d’utilisation des produits est un facteur de
compétitivité de plus en plus nécessaire. La conclusion d’un accord de partenariat
présente de ce fait un double aspect stratégique. Il établit, d’une part, les bases d’une
intégration efficace entre les opérations des groupes et de leurs sous traitants. Il
contribue, d’autre part, à une certaine garantie de confidentialité qui protège les
compétences du donneur d’ordres du risque de transfert à la concurrence.
Le développement des relations de type partenariat se traduit ainsi par une
évolution des modalités de structuration à l’échelle des industries, ce qui remet en
cause les structures héritées des modes de fonctionnement des oligopoles traditionnels.
Ceux-ci se caractérisaient par des modalités de structuration des firmes fondées sur
l’intégration verticale des activités selon un modèle d’internalisation. Une firme
comme IBM fabriquait des composants électroniques, des unités de calcul, des
équipements périphériques, produisait des logiciels, assemblait des systèmes et les
plaçait chez ses clients. Les grands constructeurs automobiles contrôlaient, de manière
interne, la totalité de la filière de production, depuis la tôlerie jusqu’au véhicule en
bout de chaîne.
A l’heure actuelle, les groupes font de plus en plus appel à des fournisseurs
spécialisés de composants. Les contraintes et les avantages de la production de masse
sont transférés à ces derniers. Une des conséquences de cette évolution consiste en une
réduction du nombre des sous-traitants, qui doivent détenir et maintenir un niveau de
compétence élevé et atteindre des volumes importants de fabrication pour maîtriser les
coûts de production. Pour les systèmes d’injection des véhicules diesel, par exemple,
deux firmes allemandes dont Bosch détiennent le monopole total. Tandis que les
constructeurs se concentrent principalement sur l’assemblage de produits
particularisés, les contraintes de taille s’imposent aux fournisseurs de produits
intermédiaires. L’industrie de traitement de l’information a connu depuis le début des
années 1980 une évolution spécifique mais similaire.
Les conséquences de ces stratégies sur la structuration de l’industrie sont
décisives. En tout premier lieu, la segmentation des activités selon des strates
horizontales, avec le développement de producteurs dominant sur chacune d’entre
elles et des produits qui doivent être complémentaires pour pouvoir être assemblés en
systèmes implique l’établissement d’étroites relations de coopération entre eux pour
assurer la normalisation et l’interopérabilité de leurs produits. Cette cohérence, qui
était au préalable assurée par l’intégration verticale au sein de chaque grand
constructeur, est maintenant transférée aux accords entre producteurs spécialisés.
La généralisation des alliances va de pair avec la segmentation horizontale des
industries. En second lieu, les firmes ne sont plus contraintes de se conformer à une
stratégie dominante, comme la construction d’un ensemble intégré, pour atteindre
l’optimum de production. Plusieurs types de stratégies peuvent coexister, soit qu’elle
vise une intégration verticale, soit qu’elle recherche une intégration horizontale, soit
enfin qu’elle s’efforce de bâtir une niche protégée par un haut niveau de compétence.
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Les capacités d’organisation, l’une des trois compétences identifiées par R. Reich
comme étant une manipulation de symboles et qu’il appelle le courtage stratégique.
Nous préférons, quant à nous, l’appeler management du savoir, deviennent alors un
facteur de compétitivité de plus en plus déterminant. La capacité d’un groupe de tisser
des réseaux de partenaires ou d’entrer dans des réseaux constitués conditionne
largement ses possibilités futures de croissance et de réussite.
Il apparaît bien que le nouveau modèle de structuration des entreprises, basé sur
la multiplicité des centres de décision se caractérise par un degré de flexibilité plus
important que celui de l’entreprise classique. Dans cette dernière, c’est l’intégration
verticale entre les différentes fonctions et départements qui assure la cohérence
d’ensemble. Le graphique suivant schématise les transformations marquant le passage
du modèle d’organisation classique au modèle «flexible ».
Source : Brahrami H.(1992) « The Emerging Flexible Organisation ». California Management Review.
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n’apprennent pas grand-chose. Chaque participant trouve des arguments pour soutenir
le point de vue qu’il a choisi, en définissant les mots à sa convenance. Savoir si
l’industrie est remplacée par une économie de services dépend de ce qu’on l’entend
par «industrie » et « services » ; de même, savoir si les petites entreprises vont
remplacer les grandes dépend du sens donné à ces adjectifs. En fait, toutes les
entreprises industrielles comportent une part d’activités de services, et toutes les
grandes entreprises se transforment en petits réseaux de plus petites entreprises.
Le système de statistique industrielle est, dans ce domaine, anachronique et peu
utile. Il définit un établissement comme n’importe quelle entreprise, y compris s’il fait
partie d’une société plus vaste. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que, selon
les statistiques officielles, le nombre de petits établissements ait quasiment doublé
entre 1975 et 1990, et qu’ils aient crée des millions d’emplois, exactement au moment
où la firme hiérarchisée de production de masse se transformait en une entreprise-
réseau décentralisée de production personnalisée. Mais même en tenant compte de ce
tour de passe-passe statistique, le passage des hiérarchies de production de masse à des
réseaux de production décentralisée donne l’impression d’un noyau s’amenuisant,
parce que les grandes firmes n’emploient plus beaucoup de salariés directement, et que
leur réseau d’emploi indirect rend les mesures très difficiles.
Selon les données officielles, les 500 plus grandes firmes industrielles
américaines n’ont pas réussi à augmenter d’une seule unité leurs effectifs entre 1975 et
1990, et leur part dans l’emploi civil est tombée de 17% à moins de 10%. Pendant ce
temps, après des décennies de déclin, le nombre de personnes se déclarant elles-mêmes
comme «étant leur propre employeur » a recommencé à augmenter. Et le nombre de
nouvelles entreprises a explosé (en 1950, 93 000 entreprises ont été créées aux Etats-
Unis ; à la fin des années quatre-vingt, environ 1,3 millions de nouvelles entreprises
apparaissent chaque année). La plupart des nouveaux emplois semblent provenir des
petites entreprises. Il en est de même pour la majeure partie de la croissance de la
recherche- développement. Une transformation analogue est en train de se produire
dans les autres économies.
Il semble naturel de tirer comme conclusion de ces données que les grandes
firmes sont remplacées par des millions d’entreprises minuscules ; ce serait tomber
dans le même piège que dans le débat entre «industrie » et «services » : dans les deux
cas, c’est ignorer les relations en forme de réseaux qui structurent la nouvelle
économie. La grande firme n’est plus une « grande » entreprise ; mais ce n’est pas non
plus un simple ensemble d’entreprises plus petites. C’est un réseau d’entreprises. Son
centre apporte la perspicacité stratégique et relie les éléments entre eux. Mais ceux-ci
gardent souvent une autonomie suffisante pour établir des connections profitables avec
d’autres réseaux. Il n’y a pas de séparation nette entre « intérieur » et « extérieur » de
la firme, il n’y a que des distances variables à son centre stratégique.
Les interconnections qui en résultent peuvent être extrêmement complexes. IBM
était suffisamment jalouse de son indépendance pour préférer quitter l’Inde plutôt que
de partager des profits avec des partenaires locaux ; tout au long des années quatre-
vingt, elle a passé des accords avec des dizaines de sociétés pour partager la résolution
et l’identification de problèmes et le management. De la même façon AT&T s’est
vantée pendant soixante-dix ans d’avoir un contrôle total sur ses produits et sur ses
systèmes d’exploitation ; elle s’est retrouvée dans un nouveau monde de
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
II - Le réseau mondial
L’histoire économique de ces derniers siècles nous enseigne que les phénomènes
économiques nouveaux finissent presque toujours par s’internationaliser et couvrir de
grands espaces géographiques aux quatre coins de la planète. Cette extension
commence par les pays les plus développés économiquement. Ces phénomènes
prennent souvent naissance au niveau local, puis deviennent des phénomènes
régionaux, et ensuite prennent de l’envergure pour finalement couvrir tout l’espace
national. Le phénomène économique de l’adoption de la structure en réseau n’a pas
dérogé à cette règle. Dans ce cas précis, les facteurs qui ont été à l’origine de cette
évolution sont d’ordre logique.
Premièrement, les facteurs qui poussent à l’abandon (progressif faut-il le
rappeler) de la structure pyramidale hiérarchisée et à l’adoption de la structure en
réseau ne pouvaient se limiter d’agir à l’échelle de l’économie d’une nation, fut-elle la
plus puissante. Ils devaient un jour ou l’autre concerner les entreprises des autres
régions du monde à commencer par celles de la Triade. Le savoir est la base de
l’innovation et de la course à la suprématie technologique qui, ensemble (en effet, il
faut se garder d’isoler une entité, la technologie, et un moment, l’innovation, qui sont
en réalité très difficiles à caractériser au sein de cet ensemble plus large que l’on peut
appeler la «dynamique des compétences »), forment le facteur le plus primordial de la
concurrence économique64. Ce savoir constitue un élément “aspatial” qui transcende
les frontières internationales. Au sein des réseaux d’entreprises circulent et
s’échangent des connaissances et des informations très diversifiées. Le but de cet
échange est de combiner ces informations et ces connaissances pour offrir des
solutions spécifiques voire uniques à des problèmes bien déterminés soumis par des
clients particuliers. Pour que cela soit possible, les connaissances, les savoirs-faire et
les compétences des firmes constitutives de la firme-réseau doivent être
complémentaires les uns les autres. Les responsables de ces réseaux d’entreprises ont
donc intérêt à ce que l’architecture de ces structures soit la plus large possible d’un
point de vue géographique. Plus la possibilité d’élargir cette construction est élevée,
plus le choix de sélectionner des firmes performantes devant faire partie du réseau est
varié. La probabilité que l’ensemble ainsi constitué soit doté d’une compétitivité
importante est d’autant plus élevée. Par ailleurs, le fait que les ressources stratégiques
pour la compétitivité soient de moins en moins génériques et de plus en plus
spécifiques, difficilement normalisables et transférables, accentue fortement la
tendance à la constitution de réseaux de firmes et leur internationalisation.
114
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
115
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
ces firmes fonctionnant selon une logique réticulaire à l’intérieur de leurs frontières
nationales et rester dans une logique pyramidale à l’extérieur de celles-ci. Le réseau-
mondial était l’ultime étape de cette restructuration ; il était inscrit dans l’ordre des
choses.
Dans l’économie de production personnalisée qui est en train d’émerger, et où la
production à grande échelle ne joue plus le même rôle, rares sont les produits qui ont
une nationalité déterminée. Divers éléments sont produits efficacement dans des
endroits très variés ; ils sont ensuite combinés de toutes sortes de manières à répondre
aux besoins des consommateurs dans différents endroits. Le capital intellectuel peut
provenir de partout, et être incorporé instantanément. Bien entendu, une partie de cette
activité à l’échelle mondiale n’est rien d’autre que de la production de masse
standardisée transplantée pour aborder de front les concurrents étrangers dont les coûts
de production sont réduits. N’importe quelle firme dans le monde peut suivre la même
route en direction des bas salaires et des conditions de production en série
avantageuses, en général. C’est ce qui explique, qu’à la fin des années 1980, des
sociétés appartenant à des américains emploient 11% de la main-d’œuvre industrielle
de l’Irlande du nord, produisant en masse les produits les plus divers, des logiciels aux
cigarettes, la majorité d’entre eux arrivant finalement sur les rayons des magasins
américains. De fait, le plus important employeur privé de Singapour est General
Electric, qui est aussi à l’origine d’une part notable des exportations de ce pays67. Au
début des années 1990, la production des firmes appartenant en majorité à des
Américains est réalisée pour plus de 20% en dehors des Etats-Unis par des travailleurs
étrangers ; et cette proportion était en croissance rapide.
Cependant, une part croissante de cette nouvelle activité mondiale des firmes
appartenant à des Américains, des Européens ou des Japonais comporte de la
résolution et de l’identification de problèmes en dehors de ces trois principaux pôles
de l’économie mondiale. Ce genre d’activité suppose l’existence d’acteurs capables,
d’une part, de représenter, de capter, d’anticiper les besoins et les désirs et de les
mettre en forme dans des produits ou des services ; il suppose, d’autre part, l’existence
d’acteurs dont la compétence consiste à agencer des savoirs techniques, dans le
développement et la réalisation des produits et des services68. C’est de ces activités que
le réseau mondial tire la majeure partie de ses profits, parce que les compétences et la
perspicacité ne sont pas faciles à reproduire. Ce genre d’activités suppose de vastes
connaissances dont la circulation et le partage nécessitent des processus
d’interprétation et de communication interpersonnelle très complexes – les
connaissances ne doivent pas être confondues avec l’information au sens de données
parfaitement standardisables et transférables.
Des chercheurs de différents pays aident les firmes appartenant à des étrangers à
découvrir de nouveaux produits, de nouvelles applications, des perfectionnements.
Selon les chiffres de la National Science Foundation, entre 1986 et 1987, les sociétés
originaires des Etats-Unis ont accru leurs dépenses de recherche et développement de
33% à l’étranger et de 6% seulement aux Etats-Unis69. Une recherche menée par John
Cantwell suggère que, en général, les firmes multinationales ne concentrent pas leur
recherche-développement dans leur pays d’origine70. A la fin des années 1980, deux
chercheurs européens du laboratoire IBM de Zurich annoncent deux progrès majeurs
dans les domaines de la supraconductivité, qui leur valent des prix Nobel.
116
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Ceux qui, à l’étranger, sont directement employés par des firmes d’un autre pays
ne contribuent que pour une faible fraction à la valeur «étrangère » incorporée dans les
produits de ces firmes. La plus grande part est ajoutée par l’intermédiaire de contrats
de fournitures, de licences, de joint-ventures. Dans ces contrats, une partie du
management et la majorité de la valeur issue de la résolution et de l’identification de
problèmes sont réalisée en dehors du pays d’origine. Les partenaires au sein du réseau
peuvent être membres de la même grande firme multinationale, et recevoir des salaires
provenant de la même source ; ou bien ils travaillent pour des sociétés différentes qui
partageront les profits éventuels d’un joint-venture ; ou encore ils signent simplement
des contrats prévoyant la fourniture de services spécifiques en échange d’honoraires
prédéterminés. Les ingénieurs allemands qui ont conçu la Pontiac Le Mans peuvent
être payés directement par General Motors ; ou bien ils sont payés par la société
allemande Siemens, engagée dans un joint-venture avec General Motors par une
licence d’utilisation pour les projets d’automobiles développés par ses ingénieurs.
Autre exemple, celui de Corning Glass, qui dans les années 1980, abandonne son
organisation de forme pyramidale en faveur d’une structure en réseau, fabriquant par
exemple des câbles optiques par l’intermédiaire de son partenaire européen, Siemens
AG, et de l’équipement médical avec Ciba-Geigy. En 1990, ces alliances européennes
génèrent près de la moitié des profits de Corning. AT&T s’est transformée elle aussi
en réseau mondial : NEC, une société possédée par des japonais, aide AT&T à fournir
le marché en circuits intégrés ; Philips, une firme basée aux Pays-Bas, aide AT&T à
fabriquer et à commercialiser des équipements de commutation téléphonique et des
circuits intégrés destinés à des applications spécifiques, Mitsui, une firme appartenant
en majorité à des japonais, aide AT&T avec des réseaux. Quelle que soit la forme
légale précise de l’opération, son contenu économique est le même ; des ingénieurs et
des techniciens Allemands, Hollandais ou Japonais ont ajouté de la valeur au réseau
mondial, en échange de quoi ils ont reçu une rémunération. Le montant exact de cette
rémunération peut varier, mais elle sera sensiblement égale à la valeur que ces
ingénieurs auront ajoutée au réseau mondial.
L’idée que de grandes entreprises mondiales puissent se transformer en une
firme-réseau tendant ses nœuds aux quatre coins de la planète est difficile à admettre y
compris par les économistes eux-mêmes. La grande firme qui emploie une armée de
salariés et qui contrôle de vastes ressources productives est associée à quelque chose
d’éternellement immuable. On imagine mal en effet, qu’une institution qui a atteint un
degré si élevé d’efficience dans la réalisation de ses objectifs puisse changer sa
stratégie d’une manière aussi profonde. Mais c’est oublier que le capitalisme qui
anime toutes ces entreprises, à l’inverse des autres idéologies, n’attache pas
d’importance aux croyances et au passé, pour peu que cela améliore ses bénéfices.
Il y a une trentaine d’années, J. K. Galbraith s’était intéressé à cette même
question. Il relève que dans la seconde partie du XIXe siècle, et dans les premières
décennies du XXe siècle, il n’y eut pas sujet plus débattu que le sort futur du
capitalisme. On tenait généralement pour acquis que le système économique était en
cours d’évolution et, qu’en temps voulu, il se transformerait en quelque chose de
meilleur et, en tout cas, de différent. En revanche, quelques décennies plus tard, le sort
futur du système industriel (constitué par l’ensemble des grandes firmes industrielles
utilisant le capital et la technologie d’une manière intensive, organisée et planifiée) ne
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
118
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
structures en réseau et l’adoption des techniques de télétravail, les liens entre les
travailleurs deviendraient plus ténus et plus souples. Le sentiment d’appartenance à
l’entreprise deviendrait alors moins fort que celui d’appartenir à un groupe
professionnel homogène.
On voit donc pourquoi les manipulateurs de symboles ou les travailleurs de
savoir sont en train de raffermir leurs liens de travail avec leurs semblables du monde
entier en même temps qu’ils s’éloignent chaque jour davantage des travailleurs de la
production courante et des aides personnels de leurs propres pays. Nous verrons plus
loin la signification de cette dimension fondamentale du processus de globalisation
économique.
La firme-réseau mondial est très différente de la firme multinationale (FMN)
traditionnelle. L’ancienne firme multinationale était contrôlée à partir de son siège
social situé dans son pays d’origine. Ses filiales étrangères étaient vraiment des
filiales. Les filiales extrayaient des matières premières et les envoyaient au pays de la
maison mère, où elles étaient utilisées ; ou bien elles distribuaient et vendaient sur
leurs marchés d’implantation des produits fabriqués dans ce même pays où étaient
rapatriés les profits ainsi réalisés ; ou encore ces filiales fabriquaient des produits selon
des spécifications décidées par le siège social (souvent américain) avant de les
commercialiser sur place et d’expédier les profits aux Etats-Unis ou en Europe ; mais
dans tous les cas, il était clair qu’elles étaient là pour servir les intérêts de la maison-
mère. Il n’y avait pas le moindre doute sur la nationalité du sommet de la pyramide.
Et, quelle que soit la part du produit final fabriqué à l’étranger, le travail le plus
complexe était accompli dans le pays d’origine de la maison mère.
C-A. Michalet qui a abondamment travaillé sur le sujet distingue à ce sujet trois
phrases successives dans la dynamique des structures organisationnelles des firmes
multinationales. La première phase est marquée par des relations directes et
subordonnées des filiales à la maison-mère. La seconde phase est marquée par
l’apparition d’un organisme spécial au niveau de la société mère chargé de la gestion
des entités situées à l’étranger. La troisième phase est caractérisée par une intégration
mondiale des activités de la firme qui passe par une organisation selon deux critères :
a) Division par grandes régions géographiques ;
b) Division selon le critère des produits offerts par le groupe.
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LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
une structure centralisée sera de plus en plus difficile dans le contexte concurrentiel
actuel. De nombreux auteurs ont traité cette question dans le cadre de l’organisation de
la FMN en distinguant le modèle occidental (H) du modèle japonais (J). Le premier est
habituellement assimilé à une forme d'organisation rigide et hiérarchisée alors que le
second est identifié à une forme d’organisation plus souple et moins formelle75.
Dans l’environnement économique actuel, les FMN qui conservent une
organisation hiérarchique et centralisée prospéreront et survivront en dépit de, plutôt
que grâce à leur mode d’organisation traditionnel. Les FMN les plus performantes
abandonnent cette approche traditionnelle pour pouvoir développer des stratégies
globales basées sur le principe de la compétitivité systémique. Une entreprise est en
compétitivité systémique lorsqu’elle parvient à combiner différentes sortes
d’avantages concurrentielles sur l’ensemble de sa chaîne de valeur. La structure en
réseau et les alliances entre firmes indépendantes offrent plus de possibilités que
l’approche traditionnelle pour parvenir à cet objectif. Cette évolution traduit en fait le
passage de la multilocalisation à la globalisation et concerne surtout les produits à
usage spécifique et variable. La trame générale peut être stylisée ainsi. Après la phase
de multinationalisation classique des années 1960 et 1970 – filiales étrangères,
produits encore relativement peu diversifiés, fort contrôle financier, mais forte
autonomie opérationnelle des filiales – Les changements des années 1980-90 procède
d’un double mouvement. Le premier, est l’exacerbation de la concurrence pour les
débouchés, qui donne lieu à une vaste vague d’investissements croisés, dont le but
premier est d’acquérir des positions de marché, dans une course poursuite où la
rapidité et les effets d’imitation jouent un rôle essentiel. Cette intensification de la
concurrence et l’ouverture des économies nationales renforcent considérablement le
degré d’incertitude auxquels sont confrontées les firmes, et la place des critères de
différenciation – qualité, variété, réactivité temporelle – dans la compétition. La
diversification galopante des produits traduit le passage d’une économie mondiale
dominée par l’offre à une économie mondiale dominée par la demande.
Or, le résultat combiné de ces mouvements est que les grandes firmes doivent
gérer non seulement un patchwork souvent disparate d’unités et d’activités (résultat de
la croissance externe rapide), mais des exigences de variété et de réactivité qui sont
hautement spécifiques aux diverses zones et qui, de ce fait, s’additionnent au lieu de se
neutraliser. Des ensembles productifs qui seraient difficiles à maîtriser même dans
l’hypothèse de produits standardisés sont alors confrontés à un degré de complexité
franchement menaçant pour la compétitivité. La situation est d’autant plus dangereuse
que les technologies sont rapidement imitées et que les grandes firmes se trouvent
confrontées sur un nombre croissant de marchés à des concurrents locaux plus petits,
plus agiles, et de plus en plus compétents. C’est alors que la globalisation s’impose
comme stratégie de maîtrise de cette diversité, de coordination entre les segments
juxtaposés de la multilocalisation traditionnelle. Son but général est de recréer des
économies de dimension, là où menace surtout les déséconomies de dimension. Mais
les façons d’atteindre ces économies de dimension en contexte de variété sont
multiples. On peut renforcer la coordination interne ou au contraire développer les
réseaux externes, s’appuyer sur des alliances locales ou non. On peut regrouper
géographiquement les unités ou renforcer les liens d’intégration technique au sein de
réseaux étendus. Le schéma suivant synthétise le processus :
121
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
Il existe deux grands types d’avantages : par les coûts et par la différentiation. Un
avantage par les coûts traduit une meilleure efficacité par les concurrents dans la
conception, la production et la commercialisation d’un produit. La différenciation est
la capacité à fournir à l’acheteur un produit supérieur aux autres en termes de qualité,
de caractéristique ou de services particuliers ou de services après-vente. Une entreprise
parvient à créer un avantage concurrentiel lorsqu’elle découvre une manière nouvelle
et plus efficace que les autres d’aborder une industrie et qu’elle est en mesure de
concrétiser cette découverte. La création d’un avantage concurrentiel est le résultat
d’un acte d’innovation. L’innovation désigne ici aussi bien des progrès technologiques
que des améliorations de méthode ou de manière de faire. L’action d’innovation,
n’exclut ni les produits, ni les procédés, ni les techniques de distribution et de vente.
Innover c’est saisir l’opportunité d’un changement et savoir en accélérer l’avènement.
L’innovation provoque des transferts d’avantage concurrentiel entre concurrents quand
certains sont incapables d’appréhender le nouveau tour que prend la concurrence,
quand d’autres se montrent incapables de le faire ou répugnent de le faire.
122
LA GLOBALISATION DANS UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE
123
CHAPITRE II
LA GLOBALISATION
A L’ŒUVRE
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Dans le chapitre précédent nous avons suivi les évolutions qui ont conduit à
l’éclatement des grandes entreprises pyramidales et leur remplacement par des réseaux
mondiaux. Ceux-ci sont à la base du mouvement de globalisation comme nous allons
le voir dans ce chapitre.
Dans la première section, nous nous intéressons aux stratégies mises en œuvre
par des firmes devenues « globales », pour faire ressortir leurs configurations spatiales
et leurs modes de coordination. Nous constaterons alors que ces stratégies ont eu
comme conséquences l’éclatement des oligopoles nationaux et leur remplacement par
des oligopoles mondiaux ce qui donne à la concurrence son caractère mondialisé.
Cette évolution apparaît à travers l’expansion phénoménale des investissements directs
à l’étranger et de la multiplication et la diffusion des alliances stratégiques entre les
grands groupes mondiaux. Ces deux phénomènes constituent bien les deux principaux
leviers de ces stratégies de globalisation.
Nous commençons la seconde section par un bref passage en revue de certains
travaux théoriques dans le but de situer la problématique de la globalisation par
rapport à celle de la constitution de l’économie mondiale. Nous nous sommes ensuite
attelés à la tâche centrale dans cette thèse qui est celle de la définition du mouvement
de globalisation. En identifiant celui-ci au processus tendanciel visant à l’unification
du marché du travail à l’échelle mondiale, cela permet d’appréhender avec plus de
clarté les conséquences qui découlent de l’enracinement et de la diffusion de ce
processus.
125
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
SECTION I
126
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
lorsqu’il affirme que : « depuis 1945, l’évolution des industries vers le modèle mondial
n’a cessé de s’accentuer. L’industrie internationale n’est plus simplement une
collection d’industries domestiques, mais une série d’industries liées entre elles, dans
laquelle les rivaux se font concurrence sur une base vraiment mondiale »2.
Les réalités que traduisent ces expressions, apparemment claires, renferment
cependant quelques ambiguïtés. Le terme industrie renvoie à la fois à l’industrie
comme base industrielle (ou appareil productif) et à l’industrie comme terme
synonyme de marché, ou d’aire de concurrence relative à un produit homogène. De
même, en ce qui concerne la relation entre le statut d’une industrie donnée et la
stratégie des firmes, Porter s’exprime la plupart du temps d’une manière qui laisse à
penser que ce sont surtout les stratégies des firmes, stratégies multidomestiques ou
globales, qui déterminent le statut des industries, bien que dans d’autres passages du
livre, la relation paraisse plus complexe.
C’est à propos de la notion «d’intégration globale» que les difficultés les plus
importantes se posent. « Dans une industrie globale, dit Porter, une entreprise doit
intégrer d’une façon ou d’une autre ses activités sur une base mondiale afin de tirer
parti des interconnexions (capture the linkages) entre pays ». Cette intégration
« mondiale » peut donc inclure celle de la production manufacturière comme telle.
Celle-ci se ferait à un niveau géographique supranational, qui semblerait, dans le livre
de 1986, pouvoir être continental.
L’idée de l’«usine globale » a séduit certains groupes industriels, mais aussi
beaucoup de chercheurs (économistes et surtout géographes). Elle signifie une
intégration mondiale très poussée, portant y compris sur la production industrielle
comme telle, avec une répartition mondiale des tâches entre filiales. Des travaux
ultérieurs ont mis en doute la possibilité de mettre en pratique une telle stratégie à une
vaste échelle. Ils notent que les firmes qui ont réussi à mettre en œuvre cette stratégie
ne sont pas très nombreuses. Dans leur présentation des modes d’internationalisation
de la firme réseau japonaise, K. Imai et Y. Baba émettent des doutes sur la viabilité du
modèle proposé par Porter comme modèle de portée générale3. Pour eux, l’élément le
plus « global » est la concurrence. La concurrence acquiert donc un caractère
mondialisé.
127
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
concurrence est mondiale mais surtout triadique. Pour ces groupes, le caractère
« global » du marché ainsi que de la concurrence résulte autant de l’investissement
direct à l’étranger (IDE) – « invasion mutuelle » par investissements croisés – que de
la libéralisation des échanges commerciaux. Pour eux, la globalisation est synonyme
de décloisonnement des oligopoles nationaux et de rivalité intense, mais elle signifie
aussi la liberté d’action retrouvée, en particulier celle de pouvoir organiser la
production en intégrant les avantages offerts par des appareils productifs ou des
systèmes nationaux d’innovation distincts et en exploitant les différences dans les
coûts de production.
Les industries caractérisées par des structures d’oligopole mondial sont celles où
« les césures fortes dans la chaîne globale de dépendance réciproque » entre les
oligopoleurs, ont fait place à une situation dans laquelle l’interdépendance entre
(oligopoleurs) transcende bel et bien les frontières nationales. Cette situation nouvelle
n’est pas le produit de la stratégie d’une entreprise ni même de plusieurs. Elle
représente l’aboutissement d’un mouvement d’ensemble dans lequel les événements
politiques ont joué un rôle important. Les stratégies des firmes se sont intégrées
comme des composantes de ce mouvement qui a fait boule de neige, à mesure que
chaque grand groupe a commencé à comprendre les nouvelles règles du jeu, et a
développé ses investissements à l’étranger en conséquence. Même en prenant
l’ industrie dans le sens synonyme de marché, il est donc déjà possible de lui donner
un contenu plus précis en accordant à la notion d’interdépendance entre rivaux qui est
présente chez Porter, plus d’importance que cet auteur ne le fait.
Le caractère oligopolistique de la concurrence implique la dépendance mutuelle
des marchés ainsi que l’institution de formes combinées de coopération et de
concurrence entre les rivaux. L’arène est mondiale. Il faut donc que les stratégies des
rivaux le soient également, de même que les modes de coordination, contrôle et
gestion mis en œuvre au sein des groupes. Mais c’est toujours en exploitant de leur
mieux les disparités nationales, et au besoin en les reconstituant, que les oligopoleurs
mènent la concurrence. Cela est vrai même au sein du « premier monde ». A noter à
cet effet l’importante remarque méthodologique de C-A. Michalet lorsqu’il déclare
que la mise en place d’un espace multinational intégré ne signifie pas que les firmes
multinationales (FMN) suppriment les disparités nationales. Elles n’ont en pas le
pouvoir et il n’est pas sûr que ce soit dans leur intérêt d’aller dans cette direction [si
elles veulent continuer] à tirer parti des différences existant entre nations 4. En ce qui
concerne les stratégies de globalisation des groupes, trois niveaux essentiels sont à
considérer.
Le premier niveau est celui des avantages propres au pays d’origine, ceux que
chaque rival tire de son appartenance nationale. Le deuxième concerne l’acquisition
des intrants stratégiques à la production, dont toute grande firme doit organiser
l’approvisionnement au plan mondial. Aujourd’hui, les intrants stratégiques sont
essentiellement de deux ordres. Il y a d’abord les matières premières stratégiques,
souvent situées, comme par le passé, à l’extérieur de la zone OCDE, dans les pays ou
régions du Tiers-monde. Il y a ensuite les intrants scientifiques et technologiques
localisés cette fois dans les pays de l’OCDE. L’interpénétration toujours plus étroite
entre la science et l’activité économique fait de l’identification de ces intrants (ce que
l’on nomme la veille technologique ) et de leur acquisition par des accords de
128
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
a/ La stratégie de marché
129
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
b/ La stratégie de production
1- La voie de l’approvisionnement
130
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
2- La voie de la rationalisation
Vers le milieu des années 1960, et pour une quinzaine d’années, s’est imposée
une troisième stratégie de rationalisation de la production des FMN. Les IDE tirent
parti des coûts de production (en capital, en intrants, en salaires) plus faibles dans les
pays hôtes et d’économies d’échelle dues à la forte spécialisation de filiales-ateliers.
Celles-ci produisent les composants des produits de la société mère et les exportent
vers le pays d’origine ou vers des filiales localisées dans des pays tiers, le tout
supervisé par lignes de produits ou par une organisation matricielle.
La stratégie de rationalisation touche en priorité les activités de production et
concerne les firmes qui ont déjà atteint un stade avancé de multinationalisation.
L’âpreté de la concurrence mondiale, que génèrent la mondialisation et l’ouverture des
différents marchés, s’oppose aux firmes et entraîne, de leur part, une recherche
constante de la maximisation de la compétitivité, par réduction des prix et donc des
coûts.
Cette stratégie découle aussi des opérations internationales de fusion-acquisition.
Ici les enjeux dépassent généralement les seuls aspects productifs, dans la mesure ou le
nouveau groupe doit réorganiser et rationaliser, sur une base mondiale, ses principales
fonctions : elle est souvent, dans ce cas, la première étape vers l’établissement d’une
stratégie globale. Dans certains secteurs comme la pharmacie ou l’industrie
électronique, les activités de recherche et développement sont prioritairement visées.
Le primat de la compétitivité - prix obtenue par une amélioration constante de la
productivité globale entraîne les firmes multinationales à spécialiser au plan mondial
leurs différentes unités. De statut d’objectif épisodique et complémentaire d’une
stratégie de marché qui demeure encore prédominante, la stratégie de rationalisation
tend à devenir un élément clé du comportement des firmes multinationales dans le
nouveau cadre concurrentiel. C’est à ce titre qu’elle est de plus en plus associée aux
stratégies d’approvisionnement comme l’atteste le comportement des groupes Elf et
Péchiney. Dans son métier de base qu’est la production d’aluminium, ce dernier a
ainsi, au cours des années 1990, augmenté de moitié, la capacité de ses usines de
Tornago en Australie et de Bécancour au Canada, alors que les usines françaises de
Noguéres, de Rioupéroux et de Venthon étaient fermées. La stratégie globale, comme
son nom l’indique, englobe diverses composantes dont la stratégie de rationalisation
131
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
qui devient, pour des raisons que nous expliciterons ultérieurement, une décision
décisive du comportement des firmes multinationales. La recherche des gains élevés
de productivité et d’un fort degré de flexibilité, qui caractérise cette stratégie, touche
durement l’emploi soumis à d’incessants « dégraissages ». Celui-ci a perdu sa
singularité en devenant une variable économique comme les autres, d’autant que les
syndicats de salariés ne sont pas en mesure pour, diverses raisons, d’opposer à
l’organisation transnationale des firmes une structure comparable. La stratégie de
rationalisation est d’autant plus douloureuse pour l’emploi, dans les phases dépressives
de marchés nationaux et/ou de secteurs, notamment dans des activités ayant atteint une
certaine maturité et connaissant de faibles taux de croissance (sidérurgie, chimie par
exemple), qu’elle est exclusive.
La stratégie de rationalisation est également primordiale pour les entreprises qui
doivent réorganiser leurs actifs après l’acquisition de départements ou de firmes. Ce
défi s’est notamment posé aux firmes françaises au cours des années 1986-1991
lorsqu’elles ont procédé à de larges acquisitions aux Etats-Unis. Ainsi le groupe Saint-
Gobain a dû, après l’achat en 1990 de la firme nord-américaine Norton, déjà implantée
dans vingt pays, redéfinir largement l’implantation géographique et la spécialisation de
ses unités.
Systématisée par les FMN Japonaises dans l’industrie automobile aux Etats-Unis,
cette stratégie crée des « transplants » du système de production d’origine, en
combinant dans un même pays hôte des filiales-ateliers, des équipementiers, des unités
d’assemblage et des réseaux commerciaux, reconstituant ainsi sur le sol américain une
filière complètement intégrée, depuis la sidérurgie et les pneumatiques jusqu’à la
fabrication des pièces détachées et la vente d’automobiles, sous contrôle japonais.
Dans les années 1980, nombre de FMN ont poursuivi leur internationalisation en
se recentrant sur leur métier de base et sur des gammes de produits plus resserrés,
jouant sur les synergies et les complémentarités et investissant dans la haute
technologie, ce qui est illustré par la stratégie des FMN de l’informatique et de la
chimie. Cette “respécialisation” a des effets sur la localisation, en faveur des pays
développés sur la taille des unités de production en baisse, sur les effectifs employés
dans le monde (Du Pont les a réduits de 14% en trois ans, Sara Lee de 6% en 1994) et
sur les firmes que les FMN décident d’acquérir dans le même métier. Le recentrage sur
l’amont technologique se traduit par une concurrence exacerbée au sein des oligopoles
en pleine recomposition, devenant mondiaux : « à l’horizon de l’an 2000, dans
certaines filières , il ne devrait plus rester que trois ou quatre grands producteurs,
chacun disposant d’un réseau d’unités de production spécialisées à l’échelle
mondiale6.
Par ailleurs, la décomposition internationale des processus productifs (DIPP)
s’est développée dans l’état des techniques correspondant au fordisme (processus
continu de fabrication, automatisation rigide, machines spécialisées, réponse
quantitative plus que qualitative à la demande). Les années 1980 marquent
l’épuisement des techniques fordistes et l’apparition d’une demande personnalisée et
versatile, exigeant des gammes de produits renouvelées et une production flexible, en
132
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
L’internationalisation de la recherche
Ces mutations technologiques ont exigé des FMN un gros effort de R&D, ainsi
que son internationalisation. La délocalisation de la R&D, l’établissement de
laboratoires hors du pays d’origine, sans rapport avec la délocalisation de la
production, est l’indice d’une globalisation technologique, du moins au sein de la
triade. En 1966, la R&D totale des FMN américaines était délocalisée à 6,5%, à 13%
en 1989; la proportion est plus élevée pour les FMN européennes, moindre pour les
FMN japonaises. La R&D reste moins internationalisée que l’IDE et la production.
Les missions assignées aux laboratoires délocalisés ont évolué. Dans les années 1960,
le laboratoire de soutien, crée à proximité de filiales-relais, se bornait à adapter les
produits et les procédés aux conditions du pays hôte. Puis vint le laboratoire spécialisé
sans lien fonctionnel avec les filiales, exécutant des programmes de R&D organisés
par la société mère dans le cadre d’une division internationale du travail (DIT)
scientifique interne à la FMN et centralisée, adaptée à la DIPP. Plus récent, le gros
laboratoire autonome, situé près d’une filiale importante, reçoit de la société mère un
mandat mondial pour la conception d’un produit ou d’une gamme, dans une stratégie
globale de la FMN. L’innovation peut, dans ce cas, devenir interactive, les utilisateurs
des produits de la filiale lui faisant connaître, sur la base de leur expérience, les
133
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Sources : P. Patel et K. Pavitt . « Nature et importance économique des systèmes nationaux d’innovation », STI
Revue, 14, 1994.
134
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
marchés du globe. Les FMN abandonnent l’idée d’un produit mondial, unique pour
tous les consommateurs, au profit de modèles adaptés à chaque marché particulier. En
même temps, la durée du développement des nouveaux produits s’allonge, en raison
des exigences accrues de qualité, de fiabilité et de personnalisation, et le coût en R&D
du produit nouveau s’alourdit.
Les stratégies globales adoptées à la fin des années 1980 par un nombre croissant
de FMN ont une triple cause : les mutations technologiques, l’adaptation à l’après
DIPP, la réaction aux risques encourus dans les pays hôtes surtout les pays en
développement (instabilité économique et politique, nationalisations). Elles furent
précédées de la stratégie technico-financière caractérisée par un glissement de l’IDE
vers les nouvelles formes d’investissement, la sous-traitance et les alliances entre
FMN, par un dégagement des activités de production et un engagement dans la R&D,
la fourniture de services et la recherche de gains spéculatifs facilitée par la
globalisation financière, par le passage du contrôle du capital et de la filialisation vers
la maîtrise d’une activité à l’étranger grâce à la technologie et au financement à partir
d’une société mère ou d’un holding localisé si possible dans un paradis fiscal. Une
telle stratégie n’a pas de cohérence industrielle. Jouant de ses compétences
technologiques et financières, une telle FMN a vocation à sortir de son secteur
d’origine, à se diversifier et à monter des opérations complexes exigeant une forte
ingénierie technique et financière, et à se mettre en relation avec d’autres FMN. Cette
forme conglomérale de FMN a fait florès au début des années1980. Puis le centrage a
réduit les conglomérats, par délestage des secteurs sans synergie avec le métier de
base, mais sans abandonner la logique financière et la tertiairisation des activités.
On passe à la globalisation de la stratégie d’une « FMN de style nouveau »
lorsque, simultanément, elle a une vision mondiale des marchés et de la concurrence;
connaît bien ses rivaux, la mondialisation de la concurrence n’étant pas anonyme et
créant une interdépendance entre toutes les FMN de l’oligopole ; a le pouvoir de
contrôler ses opérations dans l’espace de la triade ; se comporte comme un joueur
global et change radicalement sa façon de travailler, sa survie étant mise en jeu par une
concurrence aiguë dans l’oligopole mondial ; opère dans des industries à haute
technologie et y recherche des actifs porteurs d’innovation sur une échelle globale ;
localise ses activités là où elles sont les plus rentables suivant les avantages comparés
offerts par les pays ; a des activités coordonnées à l’aide des technologies
d’information et de production flexible, créant de la valeur ajoutée dans de nombreux
pays, et intégrées en une chaîne de valeur internationale sur une base régionale ou
mondiale ; organise ses usines et filiales spécialisées en un réseau internationalement
intégré et s’intègre dans un réseau d’alliances avec d’autres FMN . La stratégie globale
n’est pas seulement technique et financière ; elle est aussi, profondément, industrielle
et commerciale, de marché et de production. Cinq indices permettent de repérer les
stratégies globales : la centralisation internationale du capital, la structure de groupes
prise par les FMN, leur traitement de la R&D et de la technologie, leurs alliances avec
d’autres FMN et l’intégration mondiale de leur production.
135
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
136
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
137
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Les alliances stratégiques entre FMN ont progressé entre 1980-1984 et 1985-1989.
Ces alliances donnent naissance à des réseaux de FMN (entre têtes de groupe) qui sont
elles-mêmes des firmes-réseaux (réseau articulé de filiales, de sous-traitants, de
nouvelles formes d’investissement, de liaisons personnelles communiquant par
télématique). La délimitation entre l’intérieur et l’extérieur du groupe multinational
devient floue, dans une situation qui n’est ni une réelle internalisation (hiérarchie au
sein d’un groupe), ni une réelle externalisation (marché et contrats entre FMN).
L’alliance se situe entre le marché et l’organisation, visant à réduire à la fois les coûts
de transaction et les coûts de contrôle. Au sein de ces réseaux d’alliances, les FMN
sont en même temps concurrentes, pour telle activité ou tel marché, et coalisées pour
d’autres, spécialement la R&D. Les frontières de l’oligopole mondial et de l’industrie
correspondante s’estompent, atténuant la pertinence des classifications industrielles et
des découpages sectoriels traditionnels en branches, sections ou filières. Ces réseaux
de relations internes et externes aux FMN sont la base des stratégies complexes
d’intégration mondiale ou encore globales. Certaines alliances sont accompagnées de
prises de participation croisées au capital entre deux groupes multinationaux, formant
alors une sorte de «super groupe » ou sont le prélude à une absorption. En cela
l’alliance n’est pas un substitut à l’acquisition d’actifs. Elle en est le complément dans
la structuration des réseaux. Dans d’autres cas, l’alliance permet à une FMN de ne pas
s’établir dans chaque pays où elle fait des affaires, donc de réduire sa dépense en
capital, et de se faire représenter localement par un allié.
Bien que des alliances interviennent en n’importe quel point de la chaîne de
valeur de la FMN, elles sont en majorité des accords de coopération à un effort
commun de R&D, éventuellement avec l’aide de l’Etat (subventions à la recherche),
dans des activités de haute technologie. Elles se concentrent donc dans les pays de la
triade et fondent l’oligopole sur l’amont, sur la maîtrise de l’intrant le plus crucial. Les
FMN d’un même réseau se répartissent les coûts de plus en plus importants de la
R&D, en assument les risques ensemble, ainsi que l’obsolescence rapide des nouveaux
produits, et partagent les innovations et l’information scientifique. Longtemps
réticente, IBM a passé des alliances avec quarante partenaires dans le monde, à quoi
Fujitsu a réagi en s’alliant avec Texas Instruments, Siemens (par ailleurs allié de
Toshiba et…IBM) et Hitachi.
Le coût d’accès aux nouvelles technologies pour les firmes qui ne participent
pas aux alliances peut devenir prohibitif (barrières à l’entrée) et l’est pour les firmes
des pays en développement. Les FMN exclues peuvent former une autre alliance pour
contourner les barrières à l’entrée. En partageant les coûts irrécupérables entre les
FMN, les alliances technologiques abaissent aussi les barrières à la sortie. Les
oligopoles mondiaux ne disparaissent pas, mais sont plus mouvants et perméables,
chaque FMN ayant une position contestable au gré des nouvelles alliances ; aucune
alliance n’est irrévocable, contrairement à une acquisition. L’oligopole mondial est
fondé sur une coopération-rivalité où chaque FMN coopère avec ses rivaux pour rester
compétitive et concurrence ses alliés en s’appuyant sur leur accord de coopération.
138
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Tableau II.3. Evolution du nombre d’accords entre FMN des trois pôles de la
triade
Etats-Unis /
Etats-Unis /Japon Europe / Japon Croissance
Europe
1980- 1985- 1980- 1980- 1985-
Industries 1985-1989 %
1984 1989 1984 1984 1989
Automobile 10 24 10 39 6 16 204
Biotechnologies 58 124 45 54 5 20 83
Technologies de
l’information 158 256 133 132 57 57 28
Nouveaux
matériaux 32 52 16 40 15 23 83
Chimie 54 31 28 35 21 14 (-22)
Total 312 481 232 300 104 130
Croissance (%) 56 29 25 41
Le produit-système
139
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Pour être globales et localement adaptées, les FMN mettent en place des formes
d’organisation nouvelles. Par exemple, une unité localisée dans un pays est
responsable de la R&D de la FMN pour le monde ou un continent entier, une autre
unité localisée ailleurs l’étant pour la finance et une troisième pour le marketing ;
ensemble, elles forment un système de contrôle d’une stratégie unifiée de la FMN.
Chaque unité, chaque filiale, chaque division de la FMN se voit confier les
responsabilités qui sont clairement définies comme une partie de la division mondiale
du travail interne à la FMN. Un nombre croissant de FMN desservent les marchés
mondiaux à partir de réseaux concentrés dans un continent ou une région, ce qui est
une étape vers une intégration mondiale encore plus poussée. Dans ce but, les FMN
globales procèdent à la mise en réseau mondial de leurs activités (global Net-
Working), à leur commutation-délocalisation-relocalisation à l’échelle mondiale
(global-switching) et à la concentration de certaines fonctions (R&D, finance, etc.) en
des sites sélectionnés dans l’économie mondiale (global focusing).
140
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
141
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Les firmes doivent gérer ainsi deux contraintes contradictoires. Elles doivent
maintenir une capacité d’appréhension de l’espace global : évolution des technologies,
des procédés de fabrication, des produits et des modes de consommation. Elles doivent
aussi se tenir au plus prés des marchés locaux. L’adoption de structures en réseau
permet de concilier ces deux impératifs.
Le graphique et les exemples suivants montrent l’organisation de quatre grandes
FMN mondiales. Ils illustrent à la fois la structuration en réseau de ces entreprises et
leur mise en œuvre des stratégies de globalisation que nous avons examinées.
Lorsqu’une firme parvient à appliquer une stratégie véritablement globale,
l’appellation multinationale globale coïncide mieux avec la nouvelle réalité que celle
de FMN8.
ABB, FMN helvético-suédoise et premier producteur mondial de matériel
ferroviaire suite à soixante acquisitions réalisées entre 1988 et 1991, a des unités dans
140 pays et une organisation matricielle dans laquelle cinquante « leaders globaux »
gèrent les opérations sur une base mondiale et chaque unité (4000 centres de profits
autonomes) vise à répondre sur mesure à des demandes locales spécifiques. En 1991,
cette FMN a crée son réseau privé de communication par satellite avec ses filiales ;
elle a son propre centre d’information, son centre de trésorerie mondial qui mobilise
les ressources pour financer des opérations globales. Son réseau de 41 unités en
Europe centrale et orientale dessert les marchés locaux d’infrastructure et de biens
d’équipement, mais sert aussi de base d’exportation à faible coût pour les opérations
globales de la FMN. Sa division ABB Project Finance offre des services financiers à
toutes les unités et filiales, en concurrence avec l’offre de tels services externes à
ABB.
Ford, pour développer la Mondeo, vendue sur une base mondiale, a crée une
équipe intégrée de R&D au niveau de Ford-Europe reliée par des réseaux télématiques
à plusieurs sites de R&D et de production européenne et nord-américaine. Suite à son
alliance avec Mazda, Ford produit des modèles Mazda aux Etats-Unis, et depuis 1992
les deux FMN coopèrent pour divers modèles, notamment en différents points de la
chaîne de valeur dans la fabrication de l’Escort. Elles ont une chaîne de montage
commune au Mexique pour la Mercury Tracer, destinée au marché américain (et
dérivée d’un modèle Mazda). En 1994, Ford a renforcé son intégration mondiale en
gérant au niveau mondial ses lignes de produits, leur fabrication et leur vente.
Swissair a transféré sa comptabilité en 1993 à sa filiale Airline Financial Support
Services India, à Bombay, dans laquelle 25% du capital sont détenus par la firme
indienne Tata Consulting Services. Quant aux transactions (achats réciproques de
billets) entre Swissair et d’autres compagnies aériennes alliées ; elles sont compensées
par une unité localisée à Londres. Le logiciel connectant Bombay, Londres et le siège
à Zurich, a été élaboré par une firme californienne.
142
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Stratégie
Stratégies de
rationalisation
de
Graphique 6
globalisation Stratégies de
L’exemple Benetton rationalisation et
d’approvisionnement
Source : Adapté de Octave Gelinier, Stratégie de l’entreprise et motivation des hommes. Paris, Editions
d’organisation, 1990 p. 114.
La configuration globale d’une entreprise engagée dans une stratégie globale est
façonnée par le réseau de ses implantations. Certaines entreprises concentrent leurs
implantations dans un nombre restreint de pays tandis que d’autres préfèrent disperser
les leurs dans un plus grand nombre de pays. Dans une configuration étroite,
l’avantage concurrentiel est recueilli grâce à la concentration des activités dans un
nombre restreint de sites. Tous les marchés sont alors desservis à partir de ces
quelques unités de production. Une configuration concentrée au niveau de la
production exige comme nécessité impérieuse une configuration commerciale très
développée pouvant desservir le plus grand nombre de marchés. La concentration des
activités est caractéristique des secteurs où la réalisation d’économies d’échelle
considérables, la courbe d’apprentissage se trouvant accentuée par l’unicité de
l’implantation et le regroupement des activités liées est avantageux ont une importance
décisive.
143
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Les stratégies globales de dispersion – fondées sur les IDE alors que les
stratégies de concentration sont fondées sur les exportations – interviennent dans les
secteurs où l’avantage concurrentiel ou ce qui revient au même la neutralisation d’un
handicap domestique sera typique des secteurs où le coût des transports, des
communications ou du stockage est élevé au point de dépasser les avantages découlant
de la centralisation géographique de la production. D’autres facteurs commandent
aussi aux entreprises de s’engager dans une stratégie de configuration dispersée. Le
facteur de proximité de la clientèle et le facteur de l’Etat dont le rôle d’encouragement
des IDE sur son territoire en sont parmi les plus importants. Quand il s’agit de
s’engager dans une stratégie globale, la firme essaye autant que possible de donner à
ses implantations internationales une configuration optimale. Cette démarche peut être
analysée comme une régression de la théorie Ricardienne des avantages comparatifs à
la théorie Smithienne des avantages absolus 9.
Cependant diverses considérations interviennent toujours pour rendre irréalisable
cette configuration optimale. Les espoirs mis dans les capacités d’allocation optimale
par le marché interne des firmes reposent sur une confusion entre le niveau micro et le
niveau macro-économique. Il est indéniable que le principe d’internationalisation
favorise le calcul économique sur une base mondiale. Mais son cadre de validité est
limité à l’espace intégré de la firme. Pour qu’il soit possible d’effectuer une
généralisation, il faudrait que le marché interne de la firme se confonde avec le marché
mondial, donc que celle-ci soit dans une situation de monopole, dans la position d’un
planificateur central. Il est possible de mettre en doute une telle hypothèse car, en
deuxième lieu, les marchés dans lesquels se meuvent les agents globaux sont des
marchés imparfaits, de caractère oligopolistique. Or il a été démontré depuis
longtemps déjà que les marchés imparfaits ne garantissaient pas une allocation
optimale des ressources.
Pour notre part, nous ne pensons pas qu’il soit possible d’inscrire le débat sur la
réalisation d’une configuration globale dans le cadre statique d’une allocation optimale
et définitive des ressources. Il s’inscrit plutôt dans le cadre dynamique d’une quête
permanente de positions concurrentielles toujours plus avantageuses.
En définitive, les stratégies mises en œuvre par les firmes se reflètent dans les
configurations spatiales qui caractérisent leur mode de fonctionnement.
Pour mener à bien leurs différentes activités et fonctions en dehors de leur pays
d’origine, les FMN ont agencé leurs unités selon des modalités spatiales particulières.
La nature évolutionniste du phénomène de multinationalisation qui se caractérise par
le passage progressif d’un stade à un autre, a une incidence directe sur l’organisation
spatiale de ces acteurs. Les trois grands types de configuration observés sur le terrain
traduisent une logique d’évolution des firmes qui découle largement de l’intégration
croissante des diverses composantes en un véritable système autorégulé.
La dimension multidomestique ou multinationale a constitué la première forme
d’organisation. Dans la période qui fait suite à la fin de la Deuxième guerre mondiale,
les firmes américaines ont si largement développé cette modalité en Europe qu’elle est
devenue le modèle dominant et la référence du phénomène. Elle demeure encore
centrale pour certains secteurs d’activité et pays en développement. Ainsi, AT&T,
dans le souci de laisser une grande autonomie à ses nouvelles filiales asiatiques a
retenu au début des années 1990 ce type d’organisation spatiale.
144
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
La dimension régionale qui fait une apparition ultérieure, au cours des années
1970, s’inscrit dans le développement de regroupements économiques régionaux de
fait et de droit. Les années 1980 et le début de la décennie suivante ont vu une
extension et un approfondissement de l’intégration régionale : création en 1991 du
Mercosur entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay ; signature, en 1992,
de l’accord de libre-échange nord-américain entre les Etats-Unis, le Canada et le
Mexique ; mise en œuvre, en 1992, d’une zone de libre échange au sein de
l’association des nations de l’Asie du sud-est et extension, en 1994, aux membres de
l’Asia Pacific Economic Cooperation ; enfin, mise en place, en 1993, de l’union
économique et monétaire dans le cadre du traité de Maastricht et entrée de nouveaux
membres (Autriche, Finlande, Suède).
La dimension globale, qui concrétise l’adoption d’une stratégie globale pour une
firme multinationale était au début des années 1990 dans l’enfance. Elle constituait
une tendance qui était appelée à se développer dans l’avenir.
Parmi les remarques à tirer de l’expérience des premières firmes à avoir
expérimenté cette stratégie on peut retenir les suivantes :
En premier lieu, l’organisation globale se différencie nettement des dimensions
précédentes car elle introduit une rupture du point de vue spatial. Il y a, en effet, à ce
niveau une déterritorialisation, dans le sens où les territoires perdent leur pertinence
per se, pour devenir de simples composants de l’espace interne de la firme, car tous les
territoires ne se valent pas. La finalité des firmes dans la globalisation est de tirer
avantages des attributs des différents lieux « à l’évidence, une localisation dans les
paradis fiscaux des Caraibes, Bermudes ou îles Caïmans, par exemple, ne comporte
pas les mêmes avantages pour une firme multinationale qu’une localisation dans une
technopole, comme la Silicon Valley ou la Research Triangle Park aux Etats-Unis »9.
A partir de ces différentes localisations, la firme multinationale constitue une
cohérence d’ensemble en articulant en son sein, des lieux et des espaces aux logiques
propres bien différenciés.
En deuxième lieu, la configuration globale présente une dissociation entre
l’espace de production et l’espace de consommation qui ne se trouve pas dans les deux
autres modalités spatiales dans la mesure où l’activité des filiales étrangères est
prioritairement tournée vers le marché national ou régional. Dans le cas de la
configuration globale, l’activité des filiales étrangères est résolument tournée vers le
marché mondial. Le polycentrisme, qui caractérisait le mode multidomestique ou
régional, à laissé place à un géocentrisme qui est le propre du mode global.
De manière générale, la transition d’une forme d’organisation à une autre a été
grandement facilitée par le développement technologique dans son ensemble et plus
précisément par le traitement de l’information et de son transfert par des réseaux de
télécommunication. En permettant la gestion et la coordination quasi instantanée des
différentes unités dispersées géographiquement, l’organisation régionale a pu être
traitée de manière efficiente. Elle a aussi permis d’accélérer la réflexion et d’amorcer
les contours d’une véritable configuration globale.
Enfin, le rôle joué auprès des grandes firmes par les consultants internationaux
principalement nord-américains, qui ont suivi leurs clients à l’étranger et sont devenus,
à leur tour, de véritables entreprises multinationales a été un puissant facteur de
145
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Type et fonction de
Configuration Période Degré d’intégration du
l’affiliation étrangère, Environnement
spatiale d’émergence groupe
stratégie suivie
Réplique miniature de la Pays relativement ouverts à
maison mère. l’investissement direct
Fourniture du marché étranger.
Multi national. Existence de barrières
Années 1950-
domestique Faible commerciales.
60
Stratégie de marché Coûts élevés de transport et
de communication.
Stratégie de production.
146
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Pays C Pays D
Exportations
147
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Pays A Pays B
Pays C Pays D
Unité d’assemblage
Unité d’assemblage
149
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
150
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Glaxo holding, firme pharmaceutique britannique, est sans nul doute une des
firmes multinationales les plus avancées dans la globalisation de ses activités et
fonctions. Ainsi en 1993, seuls 10 % de son chiffre d’affaire étaient réalisées sur son
marché national d’origine. Cet indicateur est toutefois insuffisant pour saisir une telle
configuration. En effet, de l’examen détaillé des différents lieux d’établissement selon
les principales fonctions se dégagent quatre espaces de dimension variable et aux
caractéristiques propres. Les espaces de la recherche-développement d’une part, et de
la finance d’autre part, ont des ancrages limités en des lieux qui se recoupent dans
certains cas, comme au Royaume-Uni (Middlesex), en Italie (Vérone) ou aux Etats-
Unis (Research Triangle Park). Le premier espace est, par exemple, localisé en des
lieux à forte potentialité de production de connaissances spécifiques, alors que l’espace
financier s’inscrit dans d’autres environnements comme des places financières, New
York et Singapour ou des paradis fiscaux, comme les Bermudes. L’espace de
production apparaît, à priori très étendu ; il correspond en fait à une contrainte forte
propre au secteur pharmaceutique où les médicaments doivent obtenir des
autorisations administratives de mise sur les marchés nationaux. Il apparaît à la simple
énumération des localisations selon les activités que les fonctions, comme la
recherche-développement et la finance, ont un espace d’opération mondial, alors que
la production est plutôt régionalisée et la distribution ancrée sur des territoires
nationaux.
151
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
L’espace de la
L’espace de la L’espace financier
recherche- L’espace productif
distribution (dont holding)
développement
Europe
Athènes Athènes
Bruxelles
Berne
Brondby (Danemark)
Budapest
Dublin Dublin
Genève Espoo (Finlande)
Hambourg Hambourg
Istanbul Istanbul
Londres (coordination) Lisbonne
Madrid Madrid Madrid
Middlesex (Angleterre) Middlesex (2unités) Middlesex Middlesex
Mölndal (Suède)
Nieuwegein (Pays-
Bas)
Oslo
Paris Paris Paris
Prague
Varsovie
Vérone Vérone Vérone Vérone
Vienne
Wiesbaden
Zug (Suisse)
Amérique du Nord
Research Triangle Park Mississauga (Canada) Mississauga Research Triangle
(Caroline du Research Triangle Research Triangle Park
Nord/USA) Park) Park New York
152
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Amérique du Sud
Buenos Aires Buenos Aires
Caracas Caracas
Hamilton
Lima
(Bermudes)
Mexico Mexico
Montevideo
Panama
Quito
Rio de Janeiro Rio de Janeiro
San Juan de Porto
Rico
Santafé de Bogota Santafé de Bogota
Santiago du Chili
Valencia (Venezuela)
Afrique
Casablanca
Le Caire Le Caire
Nairobi Nairobi
Asie – Pacifique
Bombay Bombay
Bangkok
Boronia (Australie) Boronia
Chittagong
Chittagong
(Bangladesh)
Colombo (Sri Lanka) Colombo
Djakarta Djakarta
Djeddah
Hong Kong
Karachi Karachi
Kuala Lumpur Kuala Lumpur
Manille
Palmerston North Palmerston North
(Nouvelle Zélande)
Samut Prakan Samut Prakan
(thaïlande)
Singapour Singapour Singapour
Taïpei Taïpei
Tokyo tokyo
Source : Glaxo holding Rapport d’activité, 1993
Les stratégies appliquées par les FMN et les configurations selon lesquelles elles
déploient leurs activités déterminent les niveaux de structuration de l’économie
mondiale globalisée. Le domaine de la technologie est celui dont le niveau
géographique est le plus ouvert, le plus universel. Les connaissances s’échangent,
153
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
circulent et sont appliquées dans le monde entier. Elles sont de plus en plus
fréquemment le produit de coopérations ou d’alliances technologiques.
La production exige des effets de dimension, particulièrement pour la fabrication
de composants élémentaires fortement standardisés afin de bénéficier des économies
d’échelle. Elle doit également tenir compte des coûts et des délais de transport. Le
niveau régional apparaît de ce fait le plus approprié. Les modalités d’organisation
peuvent alors faire appel à la croissance interne, mais également à l’acquisition de
capacités productives existantes par rachat de firmes. Les alliances, sous forme de
joint-venture pour la production d’organes communs, se généralisent dans la mesure
où elles permettent d’atteindre des seuils de dimension optimale.
La commercialisation, enfin, est l’activité qui requiert la plus grande proximité
physique avec la clientèle. Son caractère local est le plus fortement affirmé. Elle doit
permettre la fourniture d’un véritable service : produit de qualité et service après-vente
efficace. La concurrence se polarise sur la conquête des parts de marchés. Les
alliances cèdent alors le plus souvent le pas aux stratégies de concentration par fusions
et acquisitions qui permettent une couverture rapide et exclusive des zones de
débouchés.
Niveau Facteur de
Domaine Modalité d’organisation
géographique compétitivité
recherche interne
Technologie monde connaissance
alliances stratégiques
croissance interne
Production région dimension joint ventures
fusions et acquisitions
qualité Croissance interne
Commercialisation local
service fusions et acquisitions
D - La coordination globale
Une firme qui choisit une stratégie globale doit pouvoir maîtriser les problèmes
de coordination de l’ensemble de ses activités situées dans plusieurs pays qui ne
manqueront pas de surgir. Une coordination réussie signifie une circulation fluide de
l’information, délégation appropriée des responsabilités, alignement des efforts des
uns et des autres. Si une bonne coordination peut procurer des bénéfices considérables,
la somme d’efforts qu’il faut déployer pour y parvenir représente un formidable défi
organisationnel en raison des différences linguistiques et la nécessité d’instaurer un
échange d’informations fiables et accessibles à tous, sans parler de la complexité
inhérente à toute démarche de coordination. L’accumulation de problèmes d’ordre
organisationnel fait qu’une coordination pleine et ouverte est l’exception plutôt que la
règle au sein des entreprises « globales ». Le cas du laboratoire pharmaceutique
Lexington est très révélateur à ce sujet10. La firme, fondée en 1981, a connu un succès
impressionnant durant les années 1980. La stratégie d’expansion internationale mise
154
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
155
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
156
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
157
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
158
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Les phénomènes que nous étudions peuvent être rangés dans le mouvement plus
large de l’internationalisation économique. Mais la notion d’internationalisation a un
caractère générique. Elle inclut les échanges extérieurs, l’IDE et les flux de capital
internationaux conservant la forme argent. Elle peut même être étendue aujourd’hui de
façon à comprendre les entrées et les sorties de technologies incorporées dans les
équipements, ou transmises et acquises de façon intangible ; les mouvements
internationaux de personnel qualifié et les flux d’informations et de données
transfrontières. Il ne s’agit pas d’opposer les différentes formes de
l’internationalisation, et encore moins d’en exclure telle ou telle, mais simplement de
les penser comme un tout, en établissant entre elles une hiérarchie fondée sur l’analyse
autant que sur les faits observables et mesurables. Ici, l’investissement est considéré
comme l’emportant sur les échanges. Les raisons de ce choix apparaîtront dans les
développements à venir.
Aujourd’hui, un grand nombre d’économistes considèrent que l’IDE a pris le pas
radicalement sur les échanges dans le processus d’internationalisation ; son rôle est
aussi important dans les services que dans le secteur manufacturier. De Anne Julius,
disait à ce sujet qu’ « en tant que modalité d’intégration économique internationale,
l’IDE est dans sa phase de décollage : elle se trouve peut-être dans une situation
comparable à celle du commerce mondial à la fin des années 1940 »12. Les études de
l’OCDE ont accordée une attention particulière à cet aspect de l’évolution de
l’internationalisation économique. L’une d’elles précise ainsi que « la globalisation a
changé l’importance relative des facteurs créateurs d’interdépendance.
L’investissement international domine l’internationalisation plus que ne le font les
échanges et façonne donc les structures qui prédominent dans la production et
l’échange des biens et des services »13.
Un travail plus récent de l’OCDE adopte une démarche historique afin de
caractériser la phase nouvelle de l’internationalisation : « Historiquement, l’expansion
internationale s’est faite surtout à travers les échanges, puis dans les années 1980, par
un développement considérable de l’investissement direct international et de la
collaboration interentreprises. Ce qui est nouveau, c’est que les entreprises ont eu
recours à des combinaisons nouvelles entre les investissements internationaux, les
échanges et la coopération internationale inter-firmes pour assurer leur expansion
internationale et rationaliser leurs opérations. Les stratégies internationales du passé,
fondées sur les exportations ou les stratégies multidomestiques, reposant sur la
production et la vente à l’étranger, font place à de nouvelles stratégies qui combinent
toute une gamme d’activités transfrontières : exportations et approvisionnements à
l’étranger et alliances internationales. Les entreprises qui adoptent ces stratégies
159
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
160
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
L’on pourrait ajouter un cinquième trait distinctif, à savoir que, par le biais de
l’IDE, s’opère une certaine division internationale du travail15.
Dans les années 1950 et 1960, le taux de croissance des IDE était inférieur à celui
du commerce mondial. En dépit des investissements massifs des Etats-Unis en Europe
et en Amérique latine, l’exportation demeurait la modalité principale de la concurrence
à l’échelle mondiale. Dans les années1970, le taux de croissance des IDE rejoint celui
du commerce mondial. Toutefois cette évolution ne résulte pas tant d’une accélération
des IDE que d’un ralentissement des échanges internationaux dont la croissance
annuelle est revenue à un rythme de 5% au lieu de 8% en moyenne entre 1945 et 1970.
L’éruption de la crise porte un coup au commerce mondial, à la fois parce que les
marchés nationaux progressent moins vite et parce que, dans un contexte de chômage
croissant, les Etats tendent à multiplier les obstacles aux importations (normes, accords
de restriction volontaire aux exportations, etc.)
L’IDE, en revanche, n’est guère affecté par le ralentissement de la croissance. Il
est vraisemblable au contraire que le processus d’internationalisation de la production
se développe pendant cette période, même si les données de balance de paiements ne
rendent pas compte de ce phénomène. L’essor spectaculaire des marchés
internationaux offre en effet de nouvelles possibilités de financement aux firmes de
taille internationale tandis que les nouvelles formes d’investissement (notamment la
sous-traitance internationale et la cession de licences) trouvent dans les économies en
développement les plus dynamiques un terrain d’expérimentation privilégié.
Ce n’est que dans les années1980, et plus précisément à partir de 1985, que les
flux d’IDE s’accélèrent véritablement, passant d’un rythme annuel de 50 milliards de
dollars courants en 1983-1985 à plus de 200 milliards en 1989-1991. En dollars
constants, la progression serait de l’ordre de 17% par an de 1985 à 1992, à comparer à
5% pour le commerce mondial, et de 30% par an sur la période 1985-1990. A priori,
l’accélération des IDE concerne donc une période bien délimitée, caractérisée
notamment par la forte appréciation des monnaies japonaise et européenne face au
dollar et par les restructurations engagées en vue de la réalisation du grand marché
européen. Il est probable cependant que ce mouvement se poursuivra, à un rythme
moins soutenu certes, après la pause des premières années1990.
En 1992, d’après les données rassemblées par les chercheurs des Nations Unies
(CNUCED, 1994), 37 000 FM possédant 200 000 filiales, employaient directement 73
millions de personnes – et peut être autant chez leurs sous-traitants – et possédaient
des actifs estimés à 5 000 milliards de dollars environ. Le nombre relativement élevé
de firmes ne doit cependant pas masquer la concentration du phénomène. Sur les 37
000 FM recensés par la CNUCED, les 100 plus importantes (hors secteur bancaire)
détiennent à elles seules 3 400 milliards de dollars d’actifs, soit prés d’un sixième de la
valeur estimée de l’ensemble des actifs existant dans le monde. Les deux tiers de ce
stock, sont détenus dans leur pays d’origine, le reste dans des pays tiers. On estime
qu’un tiers environ du commerce mondial de biens et services correspond à des
échanges intra-firmes entre filiales des FMN.
161
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Pays en développement 7 12 23 27 31 39 51 80
La croissance de l’IDE au cours des années 1980 a été fortement marquée, d’une
part, par la montée de l’investissement international croisé ; elle a donc représenté un
phénomène très largement circonscrit à la zone OCDE. Le processus a, d’autre part,
été dominé par la suprématie des acquisitions/fusions sur les investissements créateurs
de capacités nouvelles.
Le graphique précédent exprime le caractère essentiellement intra-triadique de
l’IDE, qui a été concentré à plus de 80% au sein de la zone OCDE pendant les années
1980. Pendant la même période, ce sont les acquisitions et fusions d’entreprises
existantes qui ont représenté la modalité dominante de l’investissement entre les pays
de l’OCDE.
162
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
163
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
164
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Tableau II.8 – les investissements directs vers les régions en développement, 1987-1995
(Flux annuels moyens en milliards de dollars et en pourcentage)
165
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
166
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Tableau II.9 : Répartition sectorielle du stock mondial d’IDE, 1970 – 1990 en (%)
167
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Le besoin de partenaires
168
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Pour bien mesurer la portée de ce tissu très dense de réseaux d’alliances dans les
industries de haute technologie, un rappel théorique s’impose. La théorie
contemporaine de l’innovation souligne l’importance des régimes
d’appropriation, c’est-à-dire du degré avec lequel une innovation peut-être protégée
(allant de régimes forts où la technologie se révèle très difficiles à imiter, à des
régimes faibles où elle apparaît comme presque impossible à protéger)25. Cela permet
de comprendre un facteur important qui sous-tend les alliances. Durant une période de
changement technologique rapide et radical, également nommé paradigmatique, le
régime d’appropriation sera le plus souvent sérieusement affaibli, et aussi, par voie de
169
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
170
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
L’appropriabilié des innovations rendue possible par les mesures prises par les
groupes pour protéger leurs technologies privées et en interdire l’imitation ou une
utilisation qui n’aurait pas leur accord a fait l’objet d’une attention particulière de la
part des grandes firmes, notamment américaines. Les chiffres concernant la prise de
brevet à l’étranger sont très élevés ( en 1990, la part des dépôts de brevet effectués par
des firmes ou des organismes de recherche étrangers dans le total des dépôts était de
45% aux Etats-Unis). Ils traduisent un degré d’internationalisation qui est bien
supérieur à celui des échanges et manifeste une autre modalité encore de « l’invasion
réciproque » entre rivaux. L’étendue de la prise de brevet au plan international est l’un
des éléments qui traduit aussi bien l’ampleur géographique du déploiement d’une
firme que l’importance qu’elle accorde à la protection de ses positions monopolistes, à
l’extraction de redevances à caractère rentier et à l’exercice d’un pouvoir de
stérilisation des innovations si elle l’entend ainsi. Ce sont les grands groupes
américains qui ont imposé l’inclusion, au terme de l’Uruguay Round, au GATT des
TRIP (trade-related aspects of intellectual property rights).
Les premiers bilans publiés aux Etats-Unis sur les résultats de l’Uruguay Round
soulignent que c’est le chapitre important où les américains estiment, pour l’essentiel,
avoir obtenu gain de cause. Certains auteurs estiment que « le nouvel arsenal juridique
permet aux grandes firmes de parfaire les obstacles à l’accès à la technologie. Les pays
comme le Brésil ou l’Inde, qui ont eu des velléités technologiques indépendantes,
doivent être mis au pas définitivement. De nouveaux concurrents ayant la force de la
Corée ne doivent pas pouvoir surgir »26.
Si pour certains, ces règles introduites dans le traité de l’Uruguay Round ont un
caractère parfaitement démesuré et sont, plutôt, une manifestation de puissance
politique tendant à imposer aux pays pauvres un tribut supplémentaire, nous soutenons
pour notre part, que cette évolution est parfaitement logique au regard de la tendance
fondamentale déjà notée concernant l’émergence d’une économie du savoir dont un
des principaux traits est l’accélération du rythme d’innovation. Le mouvement de
globalisation en ce qu’il est refondation des structures des grandes firmes et
réorganisation du procès de travail au sein de celles-ci sert avant tout à permettre aux
entreprises de tirer pleinement profit de leur potentiel d’innovation. La firme-réseau,
issue de ce processus de restructuration permet aux travailleurs du savoir les plus
habiles de combiner leurs compétences scientifiques et leur savoir-faire pour offrir des
solutions appropriées et souvent personnalisées à des problèmes complexes, différents
et variés. La montée des services à forte valeur ajoutée ne fait que traduire
l’accroissement du rôle et du pouvoir des travailleurs du savoir dans le nouveau
contexte économique. Ce rôle accru découle de la capacité de cette catégorie
socioprofessionnelle à s’imposer sur une échelle véritablement mondiale dans la
mesure ou ses services sont demandés par des clients situés aux quatre coins de la
planète (et pas seulement dans les marchés triadiques). Il est donc clair que le
renforcement de l’arsenal juridique de contrôle de l’appropriation des innovations vise
à assure aux travailleurs du savoir dans les pays riches de pouvoir exercer leurs talents
sur la plus large échelle géographique. Les revenus de cette catégorie comptent pour
une part de plus en plus élevée dans la balance des paiements d’un pays comme les
Etats-Unis.
171
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
172
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Tableau II.10 :
Motivations des alliances stratégiques à caractère technologique,
Secteurs et domaines technologiques, 1980-1989
Manque
Techniques
de Compléme Réduction
Nombre Coût/ R-D Marché de suivi
ressource ntarité du délai
d’alliance risques fondamental : accès/ Implantatio
s technologiq d’innovati
s élevés e structure n sur un
financière ue on
marché
s
Biotechnologie 847 1 13 35 31 10 13 15
Technologie des
nouveaux
matériaux 430 1 3 38 32 11 31 16
Technologie de
l’information
1660 4 2 33 31 3 38 11
Ordinateurs 198 1 2 28 22 2 51 10
Automatisation
industrielle 278 3 3 41 32 4 31 7
Micro-électronique 383 1 3 33 33 5 52 6
Logiciel 344 11 4 38 36 2 24 11
Télécommunicatio 366 1 2 28 28 1 35 16
ns
Autres 91 6 0 29 28 2 35 24
Total, bases de
données 4182 4 31 28 5 32 11
N.B : les motivations sont exprimées en pourcentage, les firmes ayant souvent donné deux motifs à
leurs alliances.
Le renforcement des barrières à l’entrée figure aussi en bonne place parmi les
objectifs de la constitution des alliances stratégiques. Il peut s’agir d’économies
d’échelle, de barrières liées aux investissements immatériels complémentaires à la
R&D stricto sensu. Ces barrières peuvent tenir aussi au fonctionnement de l’industrie
sur la base de relations contractuelles échappant au marché conventionnel (échanges
organisés dans le cadre de relations contractuelles de réseau, en particulier les accords
d’approvisionnement pour les composants de base). L’autre grande catégorie de
barrières concerne les normes et les barrières réglementaires et les stratégies de
limitation de l’accès aux marchés mis au point par les alliances entre Etats et grands
groupes de telle ou telle nationalité. Dans le secteur des télécommunications par
exemple, le montant des dépenses de R&D, l’irréversibilité des investissements très
173
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
élevés mis en œuvre, mais aussi les rendements croissants d’adoption dont bénéficient
les systèmes adoptés en premier (il s’agit des courbes d’apprentissage dont l’effet est
la réduction du coût unitaire en fonction de l’expérience cumulative de la production.
Dans l’aéronautique civile, il a été calculé que les coûts peuvent baisser de 20%,
chaque fois que la production double) sont devenus autant d’incitations qui poussent à
élaborer des « normes par anticipation ». Celles-ci commencent à être esquissés dans
le cours même de la phase de R&D, éliminant ainsi la compétition entre des
technologies alternatives. Il sera ainsi très difficile à des entreprises qui n’ont pas
participé aux travaux dés le début d’avoir une part importante du marché.
Les recherches dites « pré-compétitives » menées en coopération incluent de plus
en plus souvent, des négociations qui visent à assurer la fixation d’un cadre technique
de détermination des solutions concrètes ultérieurement incorporées dans les produits
finaux élaborés par chacun des partenaires. Pour les grands groupes, les conditions de
formation d’un marché et sa relative stabilité : les solutions conçues par chacun des
participants ont moins de chance d’être remises en cause par l’apparition inopinée
d’une alternative technologique totalement différente. Mais la contrepartie est la
formation de barrières à l’entrée pour toutes les autres firmes, l’apparition de situation
de « verrouillage » technologique et la détermination du cours des trajectoires
technologiques au profit d’un nombre limité d’intervenants. Tel est le cadre dans
lequel se met en place le futur système mondialisé mais fortement excluant des
réseaux à larges bandes, appelés aussi « autoroutes de l’information ».
Aujourd’hui, l’exacerbation de la concurrence, le caractère volatile et changeant
de l’environnement risque de décourager l’investissement. Les firmes ne peuvent plus
compter sur la stabilité de règles de fonctionnement des marchés soumis à des ruptures
provoquées par l’accélération des cycles d’innovation. Dans ces conditions, les
coopérations permettent de créer des zones de stabilité qui autorisent des engagements
sur l’avenir et facilitent l’investissement. Un autre élément caractéristique de
nombreuses industries est la disparition des firmes leaders qui étaient autrefois des
modèles à suivre pour l’ensemble d’un secteur. L’entrée en scène de nouveaux
compétiteurs, avec des solutions, des applications ou des produits inédits, provoque
une recomposition permanente du classement des principaux acteurs. Il devient alors
particulièrement difficile pour une entreprise de repérer les tendances majeures de sa
profession, en particulier les orientations technologiques les plus probables. En
d’autres termes, le jeu concurrentiel n’a pas de règles figées et il n’y a aucun pionnier
reconnu par tous pour montrer la voie de l’évolution.
Dans ces conditions, il est certain que les alliances et les coopérations assurent
une régulation. Comme nous venons de le voir maintenant, elles interviennent, en
premier lieu, pour organiser la compatibilité des éléments, équipements ou composants
qui entrent dans la constitution des produits systèmes. On assiste ainsi à la
généralisation des associations ou des organismes de normalisation. En posant les
conditions de compatibilité des équipements, la norme assure les possibilités de
substitution entre des éléments de même type. Les bases d’apparition d’un marché
véritable sont alors définies. A ce stade, la substitution permet de faire remonter la
standardisation du produit final au produit intermédiaire, l’exploitation des économies
d’échelle et assure les conditions de réalisation d’une concurrence par les coûts. Les
174
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
alliances concourent à la fixation des règles du jeu de la concurrence et non pas à leur
élimination.
La généralisation des réseaux d’alliances touche, elle aussi, à la fois la
structuration interne des firmes multinationales et l’organisation de nouveaux espaces
industriels. On assiste en effet à l’émergence de nouvelles formes de structuration
d’oligopoles en réseaux fondés sur la connaissance. Ces nouveaux oligopoles ne se
définissent pas par des marchés dominés par peu de producteurs, mais bien plutôt par
des espaces de technologies génériques contrôlés par des groupes multinationaux qui
en maîtrisant la mise en valeur et l’évolution.
Ainsi, les firmes multinationales contribuent-elles, de manière de plus en plus
déterminée, à la mise en place des formes d’organisation et de régulation des industries
mondialisées.
L’image des réseaux d’alliances stratégiques n’est pas celle d’un « super
impérialisme » stable, à la manière de Kautsky, constitué d’oligopoles maîtrisant
parfaitement les barrières à l’entrée et organisant leurs rapports dans la coopération
paisible. Les relations qui caractérisent ces « coalitions » sont marquées par un
processus permanent de décomposition, recomposition. La relation entre les groupes
oligopolistiques combine une dimension de concurrence et de coopération. Les
accords ou partenariats entre firmes doivent être perçus comme le prolongement de la
concurrence mais par d’autres moyens. Par opposition aux joint-ventures classiques,
les alliances stratégiques ne sont pas nécessairement conçues pour durer (sauf lorsque
un des partenaires considère l’alliance comme l’antichambre d’une absorption, par
exemple entre Fujitsu et le britannique ICL). Les motivations des partenaires peuvent
être tout à fait agressives.
Le problème crucial des partenariats stratégiques est donc souvent celui de
l’équilibre précaire des rapports de force entre partenaires et la menace de
l’empiétement d’un partenaire sur l’autre.
C’est dans ce cadre que se situent les choix offerts aux PME ainsi qu’aux
entreprises des petits pays industrialisés, autres que les FMN dont il a été question. Les
structures oligopolistiques et les barrières à l’entrée laissent à ces entreprises peu de
choix, sinon de rechercher des formes de coopération avec les grandes entreprises dans
l’espoir d’accéder à un marché plus large et/ou de rattraper certains aspects de leur
retard technologique. Toutes les entreprises qui sont parvenues à menacer des groupes
plus puissants ont commencé par être leur allié subordonné. Aujourd’hui, c’est cette
possibilité qui est interdite aux firmes de la majorité des PED, ainsi que le montre le
graphique suivant :
175
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
176
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
En définitive, les alliances sont des accords contractuels entre des firmes, qui
demeurent juridiquement indépendantes, mais qui s’engagent à mener des actions
communes pour des objectifs déterminés et, le plus souvent pour une durée limitée.
Elles constituent aujourd’hui, une modalité importante de déploiement des firmes à
l’échelle mondiale, à coté de la croissance interne et de l’autre modalité de croissance
externe, les fusions et acquisitions. Ces évolutions nous amènent à parler de la
question de la concurrence entre oligopoles devenus mondiaux.
La dimension des grands groupes s’est accrue de façon sensible au cours des
années1980. Le constat en a été fait par W. Andreff dès 1982. La crise a épargné les
grands groupes, qui ont connu au contraire une croissance soutenue28. Les données sur
les opérations de concentration industrielles menées par des entreprises des pays de la
CEE mettent en évidence également le rythme rapide de la concentration des firmes,
impliquant leur rationalisation et leur restructuration. La concentration s’est effectuée
simultanément au plan national, à l’échelle communautaire et au niveau proprement
international, c’est-à-dire triadique.
177
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
178
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
interviennent dans des secteurs et des zones où les barrières nationales sont peu
élevées. Le but n’est pas donc de contourner de tells barrières, ni même d’anticiper sur
des risques éventuels de protectionnisme, mais tout simplement d’acquérir des
positions de marché, en saisissant les bonnes occasions pour cela, et en étant plus
rapide que les concurrents31.
Globalisation
Acquisition
Spécialisation
179
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Les dernières années ont été marquées par la formation de vastes zones
combinant les avantages de la libre circulation des marchandises et de la persistance
(ou même de la recomposition et de l’accentuation) de formes de disparités entre les
pays et les régions, ce qui donne lieu à l’existence de sites d’un genre particulièrement
attrayant pour les entreprises (U.E. ALENA). Dans ces zones, on a donc vu la fusion
de la « stratégie de marché » et la « stratégie de rationalisation de la production » des
FMN. Cette fusion a comporté la disparition à peu prés totale des filiales relais,
caractéristiques de la stratégie dite multidomestique. Par contre, elle a permis le plein
essor des différentes variantes de stratégie de rationalisation de la production
industrielle. Celle-ci est maintenant organisée à l’intérieur des différents pôles de la
triade et est destinée à être vendue prioritairement au sein du grand marché continental
où l’implantation d’une production intégrée internationalement a été décidée.
C’est à ce niveau et dans ce cadre que la grande majorité des FMN cherchent à
optimiser l’organisation internationale de la production manufacturière. Le premier
tient aux exigences des politiques de différenciation de l’offre et de fidélisation de la
clientèle avec ce qu’elles supposent comme proximité des firmes par rapport aux
consommateurs qu’elles ont choisi de cibler. Le second a trait aux caractéristiques
organisationnelles de la production flexible et à ses exigences en termes de proximité
entre les donneurs d’ordre et leurs fournisseurs de pièces, de semi-produits et de
services.
Avec l’introduction du système de la production flexible, l’importance respective
des coûts salariaux et de la proximité des sites par rapport au marché, en tant que
déterminants des choix de localisation de la production, se modifie. La mise en place
de la « production à effectifs dégraissés » ne supprime pas l’intérêt des FMN pour les
sites de production délocalisée à bas salaires. Elle pousse les groupes à les chercher
plus près de leurs bases importantes, au sein même des pôles triadiques. La dernière
étude publiée par C. Oman souligne par exemple que, par rapport aux années
précédentes, « la production destinée à l’Amérique du Nord qui mise sur des sites à
bas salaires s’installe dans des zones à salaires moins élevés des Etats-Unis mêmes,
ainsi qu’au Mexique (même avant l’ALENA) plutôt qu’en Asie ou une autre
région »33.
180
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
FMN, se trouvaient confrontées en tel ou tel domaine. Ce qui fait défaut, c’est une
approche à la fois globale et intégrée où les deux types d’agents économiques sont pris
en considération.
Or, l’examen des analyses des phénomènes économiques internationaux révèle
qu’il existe une opposition forte entre deux optiques : l’optique multinationale et
l’optique internationale. La première revient à privilégier dans l’analyse de la
dimension multinationale des phénomènes internationaux. Les approches qui peuvent
être rattachées à ce premier courant veulent lier le comportement des firmes à la
dynamique structurelle d’internationalisation du capital. En effet le comportement des
agents ne peut trouver en lui-même son principe explicatif : sa compréhension passe
par celle des contraintes nées du fonctionnement du système qui modèlent les
comportements. La démarche consiste donc à présenter un schéma historique de
l’évolution du capitalisme à laquelle se rattache logiquement l’internationalisation du
capital. L’accent mis sur le caractère prédominant de l’internationalisation dans le
fonctionnement du capitalisme conduit à laisser dans l’ombre ce qui se passe au niveau
national. Non seulement la liaison entre l’accumulation internationale et
l’accumulation nationale demeure un problème, mais la question des effets que
l’internationalisation exerce sur les économies nationales reste ouverte. Pour que
l’existence de ces effets soit perceptible, il faut poser que les firmes multinationales ne
sont pas seulement un épiphénomène. Il faut leur reconnaître une possibilité d’action
sur les structures qui les déterminent. En d’autres termes, l’économie mondiale n’est
pas seulement l’espace où se déroule l’internationalisation du capital. Elle est aussi le
produit des comportements des firmes multinationales.
A l’inverse, la seconde optique correspond à l’ensemble des analyses qui en la
prolongeant et l’enrichissant, se rattachent à l’approche traditionnelle de la théorie des
relations internationales. Ici, l’accent est mis sur les différences de structures et de
fonctionnement des économies nationales qui constituent les entités de base. L’espace
des relations économiques internationales n’existe ni indépendamment, ni
antérieurement aux espaces économiques nationaux. Relèvent de cette seconde optique
les analyses qui ont renouvelé la signification économique de la nation : celle-ci n’est
plus la nation-firme ou la nation-bloc de facteurs, grâce à l’introduction des conditions
de l’offre, grâce surtout à la prise en considération des structures internes de
fonctionnement et de régulation. Relèvent également de cette seconde optique les
approches renouvelées de la firme multinationale qui vont de l’imperfection des
marchés à l’internationalisation et à la localisation optimale. Cette démarche, ne
permet cependant pas d’appréhender la constitution de l’économie mondiale telle
qu’elle résulte des décisions et stratégies de ces acteurs. L’économie mondiale apparaît
au mieux comme une dimension surajoutée, plaquée sur le réseau des flux
internationaux.
Les deux grands types d’approches brièvement rappelés illustrent un conflit qui
paraît essentiel :
- soit on dispose d’analyses de l’économie multinationale comme niveau
pertinent et c’est alors le découpage de l’espace en économies nationales (sans
parler de leur fonctionnement) qui pose problème ;
181
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
182
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
183
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Cette troisième direction prolonge les travaux sur l’économie mondiale parmi les
plus anciens fondés sur les analyses de Marx puis sur les théories de l’impérialisme. Il
faut y rattacher les écrits de S. Amin sur l’accumulation41, de Fernand Braudel sur les
économies-monde et plus largement tous ceux de l’école de la dépendance pour
laquelle le monde est composé d’un centre capitaliste et d’une périphérie sous-
développée au dépens de laquelle vit tout en exploitant aux limites du supportable les
ressources rares de la planète 42.
L’économie mondiale apparaît donc surtout comme le lieu de phénomènes de
pouvoir et de dépendances où les confrontations disloquent les organisations
économiques nationales territorialisées et font apparaître une sorte de désordre
international très dangereux.
Comme dans les deux directions précédentes d’analyse, la planète paraît occupée
par des économies nationales de puissance économique très variable révélant des
hiérarchies et des effets de domination. Ceux-ci sont cette fois essentiels et créent en
quelque sorte une configuration déformée de l’économie mondiale par rapport à celle
du découpage territorial administratif des Etats-Nation. G. de Bernis nous dit : « Le
monde n’est pas un ensemble de nations, mais un ensemble de systèmes productifs
entrant en relation les uns avec les autres »43. Cette distinction n’est pas de
dénomination théorique, elle recouvre la conceptualisation d’une réalité concrète dont
les contours sont différents. Il précise en effet ; « En quelque époque du capitalisme
que l’on se place, les conditions de l’accumulation n’ont jamais été assurées dans le
184
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
cadre d’une nation isolée, n’ont pu résoudre les contradictions de leur procès
d’accumulation qu’en intégrant à leur nation des espaces qui constituaient avec elle
son système productif »44.
M. Beaud se rattache à cette même analyse mais d’une manière plus nuancée.
L’un et l’autre de ces auteurs s’inscrivent d’une manière renouvelée dans les courants
d’analyse qui soulignent la dynamique longue d’un capitalisme deus ex machina de
l’évolution économique mondiale. En 1987, après avoir considéré qu’il existe deux
grandes logiques contemporaines, la logique étatiste et la logique capitaliste, M. Beaud
souligne que seule cette dernière est responsable de la mondialisation, car c’est une
logique débordant la frontière nationale « qui ne constitue pas un obstacle
infranchissable ». Il souhaite souligner à la fois l’importance de la « base nationale »
du capitalisme et le « débordement » qui, d’une part, crée ce que l’on appelle
communément du « multinational » et d’autre part, fait naître des hiérarchies en raison
du fait que les bases nationales ne sont pas toutes le siège de capitalismes bien formés
ou tout aussi débordants. D’où son système national / multinational / mondial /
hiérarchisé. C’est donc à partir des « économies nationales dominantes » que les
tendances du fonctionnement de l’économie mondiale vont atteindre les « économies
nationales dominées ». Celles-ci en connaîtront les conséquences en même temps que
les effets de domination politique qu’elles subissent45.
185
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Le concept de système industriel mondial est défini non seulement à partir d’une
perception de caractère immédiatement mondial de certaines contraintes, tel que l’état
de la technologie, mais aussi à partir d’une approche différente de la notion
d’économie nationale. Ainsi, cette démarche, tout en étant plus pointue, moins large
que chacune de celles présentées auparavant, reprend-elle, dans une interprétation
propre, les trois directions sur lesquelles certaines ont paru être focalisées. Il est donc
possible de l’exposer en suivant à nouveau les trois principales directions d’analyse de
la mondialisation.
186
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
187
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
188
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
nature variée s’opérant de territoire à territoire. Ce premier niveau est celui que
considère la théorie économique des relations internationales.
Un second niveau est constitué par le système transnational formé de l’ensemble
des agents multinationaux, entreprises et banques, et de leur espace d’opération.
L’existence et le fonctionnement de ces agents sont dépendants (en partie) de
différences entre territoires nationaux et des modalités d’établissement des flux inter-
territoriaux du premier niveau. Les agents multinationaux créent chacun leur espace
d’opération ; ils entrent aussi en relation les uns avec les autres. Cet assemblage tend à
s’autonomiser du premier niveau. Une « hiérarchie enchevêtrée » entre niveaux
signifie qu’il existe entre eux des déterminations réciproques sur des causalités
circulaires. Il est donc périlleux de vouloir opérer une coupure au sein de cette
causalité circulaire et de privilégier une détermination plutôt que d’autres.
Les différentes déterminations réciproques doivent être, par commodité,
distinguées ; mais en réalité elles sont simultanées et interdépendantes. C’est de la
capacité à concevoir un schéma global correspondant à l’ensemble de ces interactions
entre niveaux que dépend la possibilité d’élaborer une approche permettant la bonne
perception de la réalité de l’économie mondiale.
Les deux niveaux et leurs interactions réciproques constituent un « système
complexe ». La complexité entendue ici au sens que lui donne H. Atlan, correspond à
la qualité des systèmes naturels de produire de l’imprévisible49. Elle désigne la
capacité d’un système de créer du nouveau. Cette définition renvoie à la thématique de
l’auto-organisation. Celle-ci s’est développée aux frontières de plusieurs disciplines
scientifiques que sont à titre principal la physico-chimie, la biologie et les théories de
l’information. Mais ce sont surtout les questions rencontrées par la biologie
moléculaire qui ont conduit à concevoir une logique d’organisation propre aux
systèmes vivants. Il s’agit d’une part de l’autonomie du système vivant, c’est-à-dire la
construction et le maintien de son identité vis-à-vis de son environnement. Il s’agit
d’autre part de la capacité qu’a le vivant de produire dans et par les interactions avec
son milieu de nouvelles formes. C’est H. Atlan qui a introduit le principe de
« complexité par le bruit » pour expliquer cette morphogenèse qui intègre et utilise les
perturbations externes.
C’est cette thématique que certains auteurs réunis autour de C-A. Michalet ont
choisi d’utiliser pour « saisir l’émergence de la firme multinationale et sa relation au
système de l’économie mondiale ». De leur point de vue, il ne s’agit pas ici de
« transposer des concepts ou des résultats d’un domaine scientifique, la biologie, vers
un autre, l’économie, mais il existe une parenté entre les approches ».
Dans le cas qui nous occupe, et dans le cadre de cette démarche
transdisciplinaire, l’économie mondiale peut servir à représenter ce système complexe
où le passage du niveau international au niveau transnational a comme opérateur, la
firme multinationale. L’économie mondiale se présente comme le « méta-niveau » qui
permet de résoudre l’oscillation entre les analyses en termes d’économie internationale
composée de nations et les analyses en termes d’économie multinationale composée de
firmes. Pour opérer ce double dépassement, il ne suffit pas de considérer l’économie
mondiale comme la somme des entités, nations et firmes, qui composent les niveaux
international et transnational. Il ne suffit pas non plus d’en faire la juxtaposition de ces
deux niveaux. Selon cette approche, l’économie mondiale comme système auto-
189
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
organisateur, est bien davantage constituée par l’ensemble des interrelations repérées
plus haut entre les niveaux. En d’autres termes encore, l’économie mondiale ne
renvoie pas aux entités, mais aux relations entre les entités constituantes. Les
interactions entre entités constituantes fondent l’économie mondiale, dans son
existence et son fonctionnement.
Pour conclure cette présentation théorique, nous devons dire que la suite de ce
chapitre montrera que les phénomènes économiques internationaux liés au mouvement
de globalisation, ne constituent pas dans leur ensemble une logique intégrée à même
de fonder une théorie complète et suffisante de la formation de l’économie mondiale.
En fait, le mouvement de globalisation ne fait qu’apporter les éléments
supplémentaires et précieux qui éclairent d’un jour nouveau les changements
intervenus dans les structures et le fonctionnement nouveau de l’économie mondiale.
Nous verrons alors que la plupart des travaux théoriques privilégient à ce sujet
l’approche en termes de dilution accrue des économies nationales dans l’ensemble plus
vaste d’une économie, désormais mondialisée et son corollaire de limitation des
capacités d’intervention des Etats dans le domaine économique. Ces évolutions
découlent de l’extension de l’espace d’opération des agents multinationaux et du
développement des moyens d’intervention qu’ils leur sont disponibles.
Avec l’achèvement de cette section consacrée au passage en revue des approches
théoriques qui ont été proposées en vue d’expliquer l’émergence du phénomène de
mondialisation économique, on en arrive ainsi à la fin du travail d’introduction à la
définition du concept de globalisation proprement dit. Mais compte tenu des longs et
nombreux développements qu’a nécessité ce travail préliminaire, il est nécessaire
d’insérer ici un bref rappel des principales idées, déjà notées afin de ne pas perdre le fil
des idées.
Il est à rappeler donc que ce chapitre commence par mettre en exergue
l’émergence de la firme-réseau en tant que mode de structuration différent des grandes
entreprises, basées jadis sur la structure pyramidale fortement hiérarchisée. Le réseau
est une forme alternative et supérieure d’organisation des hiérarchies. Il est marqué par
de « nouvelles formes de quasi-intégration reposant sur l’électronique qui semblent
être caractérisées par de puissants effets centripètes fondés largement sur la possibilité
d’internaliser d’importantes externalités s’appuyant sur les réseaux (network
externalities) »50. Nous avons vu aussi que l’IDE a pris le pas radicalement sur les
échanges dans le processus d’internationalisation. Son rôle est aussi important dans les
services que dans le secteur manufacturier. L’IDE est marqué par un degré élevé de
concentration au sein des pays avancés, notamment ceux de la triade. Le recentrage a
eu lieu aux dépens des pays en développement.
Les échanges dits intra-sectoriels sont la forme dominante du commerce
extérieur. Ils sont façonnés par les échanges intra-firme, dans le cadre des marchés
privés internes des FMN, ainsi que par des approvisionnements internationaux en
intrants et en produits finis organisés par les groupes. L’intégration horizontale et
verticale des bases industrielles nationales séparées et distinctes est en cours du fait de
l’IDE. Les FMN tirent simultanément avantage de la libéralisation des échanges, de
l’adoption de nouvelles technologies et du recours aux nouvelles formes de gestion de
la production (le toyotisme). Les exigences de proximité de la production toyotiste et
les opportunités offertes par les grands marchés continentaux, de même que les
190
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
191
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
SECTION II
192
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Le qualificatif global est apparu vers le début des années 1980 dans les grandes
écoles américaines de gestion des entreprises, les célèbres Business schools de
Harvard, Columbia, Stanford, etc. Mais il a surtout pris son essor au plan mondial par
le biais de la presse économique et financière anglo-saxonne, avant que le discours
politico-économique néolibéral ne le fasse sien en si peu de temps.
Le terme français « mondialisation » a connu des difficultés pour s’imposer.
D’après F.Chesnais, cela tient à des considérations objectives dont la plus
fondamentale est sans doute la prééminence de l’anglais en tant que véhicule
linguistique par excellence du capitalisme. Mais, également, au fait que le terme
mondialisation a le défaut de diminuer au moins quelque peu le flou conceptuel des
termes global et globalisation 53. La raison en est que le mot mondial permet
d’introduire, avec autrement de force que le terme global ,l’idée que si l’économie
s’est mondialisée, il importerait alors que des institutions politiques mondiales
capables d’en réguler l’évolution soient construites au plus vite. « Or de cela les forces
qui régissent actuellement les affaires du monde ne veulent à aucun prix [...] les plus
forts pensent pouvoir encore chevaucher à leur avantage les forces économiques et
financières que la libéralisation a déchaînées [...] les grands groupes industriels ou les
opérateurs financiers internationaux sont encore moins enclins à entendre parler de
politiques mondiales contraignantes »54.
En ce qui nous concerne, et tout en ayant conscience des raisons de ces
arguments, nous disons d’emblée que c’est le terme de globalisation qui sera utilisé
dans la suite de ce travail. On peut énumérer plusieurs raisons pouvant motiver ce
choix, mais la plus importante, pour nous, tient au fait que le terme de mondialisation,
une notion si controversée mais encore si peu définie, déborde largement le cadre
économique ; elle risque de nous attirer vers des domaines très éloignés du notre. On
sera alors obligé d’inclure dans notre démarche des problématiques, certes
importantes, mais qui n’ont pas de rapport directe avec celles qui nous intéresse ici.
Le terme de mondialisation, aujourd’hui très à la mode, pose un véritable défi
conceptuel55. Dans les différentes utilisations qui en sont faîtes, il exprime toujours
l’étonnement que provoque l’accélération du « changement ». Changement qui, depuis
à peine vingt ans, projette brutalement sur la scène mondiale des acteurs de la vie
économique, politique et intellectuelle, habitués à travailler dans le cadre de leurs pays
respectifs.
Il est devenu en effet banal de constater que tous les problèmes que l’on résolvait
il y a quelques décennies dans le cadre national, ne peuvent plus être résolus sans prise
en compte de l’environnement international ou sans concertation au niveau mondial. Il
en va ainsi des politiques économiques et monétaires, des marchés financiers, de la
recherche des clientèles par les entreprises, des épidémies comme le Sida, des
problèmes sociaux comme l’usage des drogues, des réfugiés, des migrations, de
l’environnement, des politiques de population, de la culture, de l’humanitaire, de la
sécurité et de biens d’autres problèmes. Le phénomène de mondialisation est d’abord
économique, mais il est aussi politique, militaire, social et culturel. Le vocabulaire
utilisé pour décrire le phénomène de mondialisation varie, bien entendu, en fonction
du but recherché. « Interdépendance » a un caractère conservateur dans la mesure où
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LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Enfin, dans le sens le plus étroit qui est attaché au terme de mondialisation, celui-
ci ne permet pas de dire en quoi les phénomènes récents sont nouveaux. Si le terme est
employé, comme le font de nombreux auteurs, pour désigner la libéralisation et le
développement des échanges mondiaux de biens et de services, ainsi que les IDE, il ne
reflète alors que l’accélération de phénomènes déjà anciens. La vocation internationale
du commerce s’est affirmée il y a très longtemps, l’existence d’une classe de
marchands et d’un commerce international est attestée dès l’antiquité mésopotamienne
d’où sont issues la plupart des techniques commerciales et financières utilisées plus
tard par les Phéniciens et les Grecs. Le mouvement d’internationalisation financière
date, lui aussi de plusieurs siècles. C’est au début du XIVe siècle que les banquiers
italiens installèrent des succursales dans toutes les grandes places d’Europe où la trace
de leurs passages figure encore au nom des rues (rue des Lombards à Paris, Lombard
street au cœur de la City à Londres).
198
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Dans un livre récent, Elie Cohen déclarait que « l’accord étonnant sur le
terme mondialisation (traduction de la notion américaine de globalization ) est en soi
un problème, et l’on ne pourra avancer dans la connaissance des phénomènes
habituellement regroupés sous ce vocable avant d’en avoir établi les différents
sens »59. La notion est devenue tellement protéiforme qu’elle porte la confusion à son
comble. Certains en font un usage très extensif. La définition extensive va jusqu'à
assimiler la mondialisation à l’économie de marché. Aussi, bien des traits qu’on prête
à la mondialisation sont des effets classiques du libéralisme économique : l’ouverture
des marchés comme le progrès technique ont des effets sur l’emploi, L’Etat est une
machine de redistribution contrainte, etc. La mondialisation, en ce sens, devient un
équivalent fonctionnel de l’économie de marché.
Un des aspects les plus contrariants de cette confusion est que certains auteurs
considèrent la mondialisation comme une simple traduction du terme anglo-américain
de globalization, alors que les autres considèrent cette dernière comme une dimension
de la première. Elie Cohen lui-même commet cette ambiguïté lorsqu’il déclare dans le
même ouvrage : « …la mondialisation, c’est-à-dire, la convergence des trois
mouvements : la libéralisation des échanges mondiaux, la déréglementation des
économies nationales et la globalisation des grandes firmes industrielles et de
services »60.
Ce passage est d’ailleurs révélateur d’une démarche commune à un nombre élevé
d’auteurs dans leur tentative d’analyser le mouvement de mondialisation-globalisation.
Celui-ci est donc vu comme la convergence de processus économiques fondamentaux
considérés comme autant de vecteurs de changement. Mais cette démarche rencontre
des problèmes ardus et parfois insurmontables. Le plus important est sans doute
d’expliciter les modalités et les contours de cette convergence. Par exemple, quel est le
rapport entre le mouvement de libéralisation des échanges et la globalisation des
entreprises ? Le premier est-il la cause ou l’effet du second, et vice-versa ? La réponse
à cette question n’est pas facile et montre combien il est difficile de vouloir faire la
« jonction » entre des processus économiques très complexes et très dynamiques.
Ce bref commentaire nous permet de préciser un peu plus nos intentions quant à
la démarche que nous comptons suivre pour proposer une définition du processus de
globalisation économique. L’approche qui oriente notre travail et qui apparaît à travers
les sections précédentes indiquent clairement que le mouvement de globalisation ne
peut être assimilé à la libéralisation multilatérale des échanges et la stratégie
commerciale des pouvoirs publics. Il doit être vu comme un phénomène micro-
économique, mû par les stratégies et les comportements des entreprises ; ce sont les
forces qui animent la compétitivité et la concurrence à l’échelle planétaire, entre les
entreprises, de même qu’entre les régions et les pays qui doivent être au centre des
débats. La question de la convergence entre ces deux phénomènes sera élucidée une
fois que le mouvement de globalisation aura été convenablement examiné.
Il est possible, cependant, d’apporter une première classification à ce sujet en
disant qu’il est possible d’aborder les problèmes de la globalisation en distinguant les
rapports de rivalité-coopération entre firmes, entre firmes et Etats, et entre Etats dans
l’ordre commercial. La notion de globalisation est alors déconstruite, dépliée en
199
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Le tableau suivant montre pourquoi les grandes FMN ont émergé comme le
principal sinon l’unique acteur global. Devenir global a été, de loin, plus facile pour
les firmes que pour les parlements, les syndicats ou les universités car elles sont des
institutions suffisamment flexibles pour pouvoir s’adapter facilement et rapidement à
des conditions en changement. C’est cette aptitude qui a fait que les multinationales
( et les entreprises en règle générale) soient le seul acteur global au niveau mondial.
200
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
des personnes, etc., qui sont communément assimilés au processus de globalisation lui-
même ne sont, en fait, que les effets de ce dernier. Dans le passage suivant, F. Lazar
nous offre une illustration de cette ambiguïté ; en effet il définit la globalisation
comme « l’accroissement de l’interdépendance et des interconnexions entre les
économies nationales et l’érosion résultante de l’autonomie des Etats-nations. La
globalisation est caractérisée par une mobilité accrue des biens et services, de capital,
d’idées et de personnes à travers les frontières nationales, par le développement de
blocs régionaux, par la croissance du nombre et l’expansion de firmes globales et un
nombre accru de problèmes socio-économiques et environnementaux qui requiert une
coopération entre de nombreux pays61. La principale limite de ces définitions est
qu’elle ne montre pas en quoi l’accélération d’un phénomène traditionnel aboutit-elle à
une transformation qualitative marquée par l’émergence d’un phénomène nouveau. En
effet, dans quelles conditions, l’accélération de la libéralisation des échanges (cette
dernière étant un phénomène tendanciel de long terme) donne-t-elle lieu à l’émergence
d’un mouvement aussi complexe que celui de globalisation ? Il suffit, pour se rendre
compte de l’insuffisance de cette approche, de noter le caractère multidimensionnel du
phénomène de globalisation tel qu’il est souligné par de nombreux auteurs. Selon ces
derniers, la globalisation présente simultanément des caractéristiques politiques,
économiques, financiers, sociales, scientifiques et technologiques. Comment un
phénomène aussi spécifique que l’accroissement de la mobilité des biens et services et
des mouvements de personnes peut-il englober des dynamiques si diverses et si
distinctes que celles que nous venons de mentionner ? En réalité seules les grandes
firmes mondiales de par les moyens dont elles disposent et des capacités qu’elles ont à
déployer des stratégies dans les différents domaines et à très large échelle peuvent
prétendre être à l’origine du processus de globalisation.
La définition que donnent J. Niosi et B. Bellon du phénomène de globalisation
est plus nuancée, mais néanmoins quelque peu équivoque. Les deux auteurs déclarent
entendre par globalisation « le double mouvement d’une part, de suppression ou
d’atténuation de barrières institutionnelles entre espaces économiques nationaux, et
d’autre part, de développement de stratégies privées et publiques conditionnant et
visant à tirer profit de cette évolution. Ces deux mouvements sont concomitants62.
En fait, il est plus juste de dire que c’est la dernière partie de ce passage qui
comporte une plus grande part de vérité. Nous soutenons donc tout au long de la suite
de ce travail que le mouvement de globalisation trouve son ancrage dans les stratégies
mises en œuvre par les grandes firmes mondiales. Ces stratégies traduisent l’emprise
d’un système économique, le capitalisme, sur l’espace mondial. Cette emprise se
manifeste d’abord sur le plan géopolitique (effondrement du bloc soviétique, ouverture
de la chine à l’économie de marché, pénétration du capitalisme en Amérique latine et
en Afrique dans le sillage des institutions financières internationales placées en
position de force par la crise de la dette qui a frappé ces régions au début des années
1980).
Mais cette emprise universelle du capitalisme déborde de beaucoup le champ
géopolitique. Elle ne se réduit pas au triomphe d’un bloc d’Etats sur un autre, ni même
d’un mode de production sur ses concurrents. Elle tend en effet à transcender la
logique d’un système inter étatique à laquelle elle substitue une logique de réseaux
transnationaux. « Expression de l’expansion spatiale du capitalisme, qui épouse
201
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
désormais les limites du globe, la mondialisation est aussi et avant tout un processus
de contournement, délitement et, pour finir, démantèlement des frontières physiques et
réglementaires qui font obstacle à l’accumulation du capital à l’échelle mondiale »63.
En ce sens, l’économie mondiale est plus qu’une simple économie internationale.
Celle-ci respectueuse des souverainetés étatiques, mettait en rapport les parties
autonomes d’un tout non encore intégré, à travers des flux d’échange, d’investissement
et de crédit. Elle correspondait à une phase spécifique de l’histoire du capitalisme,
phase au cours de laquelle les marchés nationaux, largement protégés, voire régulés
par les Etats, constituaient la base première de l’accumulation du capital. L’échange,
tout comme l’investissement international, restait fondé pour l’essentiel sur des
critères de complémentarité.
La globalisation peut être considérée comme une logique unificatrice des
différentes formes de l’internationalisation, qui permet de penser celle-ci dans ses trois
dimensions les plus importantes : les échanges commerciaux, l’investissement
productif à l’étranger et les flux de capital-argent ou de capital-financier. Pour
Michalet, les rapports entre ces trois modalités de l’internationalisation seraient à
chercher au niveau des trois formes ou « cycles » de la mise en mouvement du capital
définis par Marx ; celui du capital-marchandise, celui du capital productif de valeur ;
celui du capital-argent. Cette approche est utilisée par Michalet pour définir les
périodes de mouvement de l’internationalisation, en particulier pour situer le moment
où il y a passage à « l’économie mondiale »64. « Dans le paradigme traditionnel, le
capital productif est placé hors du champ de la mondialisation du capital. La
transformation de l’économie internationale en économie mondiale coïncide
précisément avec la fin de cette dichotomie. La mondialisation du capital productif
devient partie intégrante de la mondialisation du capital ». Plus précisément, elle en
devient le cœur.
Nous avons déjà fait remarquer que la globalisation conduit les firmes
concernées à mettre en œuvre leurs stratégies et à structurer leurs activités à l’échelle
mondiale. Les contraintes de rapidité et de flexibilité les amènent à privilégier tout
d’abord des stratégies de croissance externe pour couvrir les marchés mondiaux.
Celles-ci reposent à la fois, sur la recherche des effets de taille, par le jeu des prises de
contrôle, et d’effets de réseaux par le biais des alliances. Les firmes optent également
pour des structures de type coopératif (élaboration anticipée des normes, par exemple)
dans la mesure où elles permettent de mieux affronter les turbulences et les
incertitudes de leur environnement. Enfin, la combinaison de ces deux types de
stratégie débouche sur un nouveau mode de structuration : la firme en réseaux.
L’exemple suivant, montrant la multinationalisation de la firme mondiale AT&T
constitue une illustration de cette évolution.
202
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
La thèse que nous défendons est que la logique qui sous-tend ce processus de
structuration en réseaux est celle-là même qui fonde le processus de globalisation
économique. Elle s’inscrit dans le cadre de l’établissement d’un marché mondial du
travail. En effet, les réseaux d’entreprises qui transcendent les frontières
internationales constituent les vecteurs d’une unification du marché mondial du travail.
Ainsi, les analyses contenues dans les sections précédentes doivent permettre de
définir le mouvement de globalisation économique comme étant une intégration accrue
du marché mondial du travail laissant entrevoir une tendance à l’unification de celui-
ci.
Les catégories d’emploi et de travailleurs définies par R. Reich nous offrent une
occasion appréciable de développer notre argumentation. On l’a déjà noté, l’auteur
distingue en effet trois catégories de travailleurs : les manipulateurs de symboles ou
travailleurs du savoir, les travailleurs de la production courante et les travailleurs
employés dans les services aux personnes.
203
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
204
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
commercial favorisé par une clairvoyance stratégique et financière. Tout le reste c’est-
à-dire tous les éléments plus standardisés (usines, équipements,…) peuvent être
obtenus au moment des besoins.
Aussi n’a-t-elle plus besoin d’être organisée comme les vieilles pyramides qui
caractérisaient la production standard. En fait, l’entreprise de production personnalisée
ne peut pas être organisée de la sorte. Les trois groupes qui donnent à la nouvelle
entreprise la plus grande partie de sa valeur – résolveurs de problèmes, identificateurs
de problèmes et managers du savoir – doivent être en contact direct ( que ce soit au
sein d’une même entreprise ou à l’intérieur d’un groupe d’entreprises dans le cadre
d’alliances et accords de coopération impliquant plusieurs entreprises) les uns avec les
autres pour découvrir constamment de nouvelles opportunités. C’est en se constituant
en firme-réseau que ces trois groupes ont pu atteindre cet objectif. Chaque nœud de
l’entreprise-réseau représente une combinaison unique de compétences.
C’est la nature de l’activité de la firme qui commande la qualité des compétences
requises. Par exemple, dans le domaine des produits de lessive où le processus de
production est relativement simple et le service après-vente, pratiquement inexistant, la
forme d’internationalisation dominante est l’exportation pure et simple à partir du
territoire national vers les marchés extérieurs en passant par des agents et des
distributeurs. Dans ce contexte, et à condition d’avoir un bon produit, le principal
facteur de compétitivité réside, toutes choses par ailleurs égales, dans la force de
persuasion de la clientèle la plus large possible. Cela passe le plus souvent par de
vastes compagnes de publicité. Les producteurs de ce genre d’articles passent pour être
de bons clients des chaînes de télévision partout dans le monde. Les manipulateurs de
symboles auditifs et visuels sont particulièrement sollicités par ces firmes.
Le cas de l’industrie automobile est bien différent. Ce secteur d’activité nécessite
des compétences variées et en grand nombre, situées sur l’ensemble de la chaîne de
valeur, de la R&D en amont au marketing et au service après-vente en aval.
Faut-il rappeler que dans la firme-réseau une seule source est véritablement
stratégique ; elle possède de surcroît un caractère singulier : plus on en use et plus elle
se développe. Il s’agit de la compétence humaine, de l’aptitude à identifier et à traiter
les problèmes en opérant des connexions inattendues. Comme on l’a déjà noté, cette
caractéristique singulière fait que les entreprises réseaux sont mondiales par
constitution et par destination.
Ainsi, des groupes de travailleurs du savoir se multiplient partout sur la planète.
L’efficacité accrue des télécommunications et des moyens de transport réduit la taille
du monde, et permet à un groupe localisé dans un pays de combiner ses compétences
avec celles d’autres groupes localisés dans d’autres pays, pour créer la plus grande
valeur possible. On passe ainsi de la firme-réseau à l’industrie en réseau (la sphère
nationale constitue la première aire de diffusion de la firme-réseau, notamment dans
les grandes économies comme celle des Etats-Unis) puis au réseau mondial. Ces
réseaux mondiaux regroupent des individus ayant des capacités à ajouter de la valeur à
l’économie mondiale grâce à leurs cerveaux, et grâce aux systèmes de transport et de
communication qui relient ces cerveaux entre eux et avec le reste de la planète.
205
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Dans les réseaux mondiaux, les produits sont des assemblages internationaux. Ce
qui est échangé entre les nations, c’est moins souvent des produits finis que des
services de résolution de problèmes (recherche, développement, fabrication),
d’identification de problèmes (marketing, publicité, études de marché), et management
(financement, mise en relations de participants, contrats), ainsi que certains
composants et services courants, l’ensemble étant combiné pour créer de la valeur.
Dans ces conditions, il est tout à fait juste de dire que, de manière croissante, la
capacité de chacun de disposer d’une richesse à la fois matérielle et immatérielle est
déterminée par la valeur que l’économie mondiale accorde à ses compétences et à sa
perspicacité. Pour cela, il faut être en mesure d’offrir des services ( à haute valeur
ajoutée) pouvant être échangés partout dans le monde. Ceci est d’autant plus vrai que
la demande mondiale pour ces idées nouvelles s’accroît à mesure que celles-ci
circulent plus vite et plus facilement. Cette situation se reflète aisément dans
l’évolution divergente des revenus des travailleurs du savoir en comparaison des deux
autres groupes de travailleurs.(ouvriers de la production courante et aides personnels).
Au sommet, les manipulateurs de symboles sont tellement demandés dans le monde
qu’ils ont du mal à garder trace de tous leurs revenus. Jamais encore dans l’histoire,
des individus n’ont acquis une telle richesse par eux-mêmes, et dans la légalité66. Nous
examinerons cet aspect dans les sections à venir.
Un des principaux défis auxquels doit faire face la firme-réseau est de maintenir
un équilibre entre son siège central et ses implantations locales. L’entreprise qui aspire
à jouer les premiers rôles dans son domaine d’activité doit, en effet, évoluer vers un
mode d’organisation véritablement mondial. Elle doit pour cela, en premier lieu, créer
un système de valeurs universel, partagé par l’ensemble des partenaires dans tous les
pays où l’entreprise est active en remplacement du système antérieur à forte coloration
nationale. Son activité doit s’exercer à travers un réseau de bureaux et d’individus
reliés les uns aux autres par un réseau maillé de lignes de communication plutôt que
par des lignes d’autorité. Ce qui maintient la cohésion du réseau est le sens d’une
identité commune à tous ses membres, supporté à son tour par l’engagement de ceux-
ci envers un ensemble de valeurs partagées. L’utilisation d’un langage commun,
l’anglais, favorise aussi l’adhésion à des valeurs communes67.
Par ailleurs, le recrutement international, et pas seulement local, est un facteur
supplémentaire de cohésion du réseau dans le sens où il favorise la neutralité par
rapport aux origines nationales. Le talent doit être accessible à travers le monde et
l’identité du pays d’origine doit céder la place à l’identité du groupe. A titre
d’exemple, Singapour Airlines qui est parmi les compagnies aériennes les plus
performantes dans le monde, pratique délibérément une politique de recrutement à
l’échelle mondiale ( y compris pour certains emplois relativement simples comme
celui du personnel navigant d’accueil).
La firme globale, à la différence de l’entreprise internationalisée, est ainsi
structurée en réseau lié par une culture d’entreprise propre. C’est sa véritable
nationalité. Le critère de la nationalité du produit ou de la firme cesse d’être pertinent,
l’entreprise n’a qu’un drapeau : le sien. Mais ce stade est difficile à atteindre, car il
exige des investissements considérables et soutenus en ressources humaines et en
systèmes de management. Gérer les réseaux est un processus par essence difficile.
Mais ce sont les réseaux qui permettent de maintenir la cohésion d’une organisation
206
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
qui n’est fondée ni sur l’allégeance à un pays ni sur la personnalité d’un individu mais
sur des valeurs et des informations partagées. Pour notre part nous soutenons que la
majorité des entreprises qui se sont engagées dans ce processus finiront bien par frayer
leur chemin vers la mondialisation. En effet, la mutation invisible d’une économie de
production et d’échange en une économie de l’information et du savoir favorise
l’évolution vers cette situation. L’information, et à un degré moindre, les
connaissances circulent sans entraves, et échappent aux prérogatives des Etats. Elles
ne peuvent être monopolisées indéfiniment.
Ainsi, dans l’économie fondée sur le savoir, et au sein de la firme-réseau qui en
est l’une des manifestations les plus marquantes, le pouvoir ne dépend pas d’un rang
ou d’une autorité formels (comme dans l’entreprise de production de masse), mais de
la capacité à augmenter la valeur des réseaux de l’entreprise. Cette séparation entre
propriété et pouvoir de contrôle ne date pas d’aujourd’hui ; le rôle et l’importance
croissants du savoir l’ont accentuée. C’est Adolf Berle et Gardiner Means qui en 1932,
ont été les premiers à mettre en avant cette diffusion de la propriété et du contrôle. Ils
notaient à ce sujet que : « lorsque l’on distingue entre les intérêts de la propriété et les
pouvoirs de contrôle, il est nécessaire de garder un fait à l’esprit : de même que de
nombreux individus ayant des intérêts dans l’entreprise n’en sont pas habituellement
considérés comme propriétaires, de même de nombreux individus détenant une part du
pouvoir sur elle, peuvent ne pas être considérés comme faisant partie de ceux qui la
contrôlent »68. Plus récemment encore, le Professeur J.K. Galbraith a popularisé ce
phénomène en indiquant que dans la grande entreprise industrielle moderne, le pouvoir
de contrôle est passé totalement aux mains de la technostructure (l’équivalent de la
classe des manipulateurs de symboles selon R. Reich)69.
Maintenant que les vrais actifs de l’entreprise ne sont plus des objets matériels,
mais les compétences requises pour apporter des solutions à des besoins particuliers, et
la réputation d’avoir réussi de telles opérations dans le passé, aucun groupe ou
participant unique ne « contrôle » cette entreprise comme c’était le cas pour
l’entreprise de production de masse. Personne non plus n’en est « propriétaire » au
sens traditionnel de ce terme. Les managers coordonnent et mettent en relation ; les
investisseurs apportent une partie de l’argent nécessaire pour financer les activités ; ils
seront rémunérés, comme beaucoup de participants par une part des profits. Ceux qui
identifient et résolvent les problèmes les plus complexes et les plus subtiles, sur qui
tout ou presque repose, recevront aussi une part des profits. Ajouter à cela que dans les
firmes où l’activité est basée sur des connaissances très spécifiques et très
sophistiquées, le capital est relativement fermé aux membres extérieurs à l’entreprise,
et l’expérience professionnelle comme accumulation personnalisée de connaissances
est un critère déterminant dans l’accès au capital et aux décisions engageant la
stratégie de l’entreprise.
Ainsi, tant que les vrais actifs de la société sont ses membres, compétents et
talentueux, plutôt que des biens matériels susceptibles d’être achetés ou vendus, les
manifestations futures de la perspicacité de ces membres ne peuvent être possédées ou
vendues. Quelle que soit la valeur potentielle de ces actifs conceptuels, leurs vrais
propriétaires restent ceux qui les ont dans leur têtes. Ils ne peuvent en être extraits sans
leur consentement, et leur degré d’engagement ne peut être commandé. Leurs idées et
leur degré d’engagement futurs peuvent être achetés, mais s’ils sont mécontents de la
207
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
transaction, il est peu probable qu’ils se montrent très perspicaces et créatifs. Ils
finiront par appareiller pour des horizons plus amicaux et plus lucratifs.
Ainsi, indépendamment de la firme pour laquelle ils travaillent, ils exigeront une
rémunération pour leur contribution qui reflétera la valeur effective qu’ils sont
capables d’ajouter à l’entreprise. Lors d’une opération de prise de contrôle de la filiale
X de la firme A par la firme B, plutôt que de décrire la transaction comme la vente par
la première à la deuxième de sa filiale, il est plus exacte de dire que les talentueux
travailleurs du savoir de la filiale X ont échangé les dirigeants de la firme A contre
ceux de la firme B.
Une entreprise basée sur le savoir ne peut pas davantage être acquise que les
individus compétents et talentueux qui la composent. Plus d’une fois ce fait a surpris
les investisseurs et les dirigeants qui pensaient avoir effectué une telle acquisition En
1986, General Electric pensait avoir acquis Kidder Peabody, une société de services
financiers. Mais quand General Electric essaya d’exercer son contrôle sur sa nouvelle
acquisition, imposant l’élaboration de comptes rendus dans des conditions plus
strictes, et une comptabilité analytique plus serrée, la plupart des membres les plus
compétents de Kidder Peabody partirent vers un environnement plus agréable. General
Electric ne conserva que la réputation satisfaisante, mais évanescente de Kidder
Peabody70.
Le pouvoir qui réside de moins en moins dans la propriété d’éléments matériels
(terre, ressources naturelles, machines), se déploie grâce à sa maîtrise des facteurs
immatériels (la connaissance scientifique, la haute technologie, l’information, la
communication, la publicité, la finance). Dans l’un de ces derniers ouvrages, Alvin
Toffler, vulgarisateur de travaux scientifiques réalisés ces trente dernières années sur
la société de l’information et du savoir, décrit cette métamorphose71.
Ces évolutions indiquent que l’émergence d’une économie fondée sur le savoir et
l’information a eu pour conséquence majeure l’accroissement de la diffusion du
contrôle exercé au sein des entreprises. Le pouvoir de contrôle se situe là où le
maximum de valeur est crée. Il dépend de moins en moins de la quantité de capital
apporté à l’entretien des activités de l’entreprise ou à la quantité d’actifs qui y est déjà
détenue. Or le savoir et les connaissances se trouvent à l’échelle mondiale (mais très
inégalement répartis) et se recrutent à ce niveau là, en conséquence. Les nouvelles
technologies de l’information et de la communication offrant des possibilités accrues
dans ce domaine, il est à attendre que de plus en plus de firmes parviennent à adopter
une structure souple et géographiquement étendue.
208
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
sur de nombreux sites situés dans de nombreux pays sans grand dommage pour la
cohésion de l’ensemble ainsi constitué. La firme-réseau (international) qui voit ainsi le
jour, réalise des effets de complémentarité et de synergie entre des compétences de
haut niveau parce que très spécialisées. Par ailleurs, elle fait partie d’un réseau très
dense d’accords de partenariat de coopération et d’alliances stratégiques.
Individuellement, rares sont les entreprises pouvant être considérées comme toutes
puissantes. Ce sont les liens établis entre elles qui les rendent, en tant que réseaux,
« maîtres » effectifs de l’économie mondiale. « En tenant compte des alliances qu’ils
passent entre eux, on peut estimer qu’une dizaine de réseaux mondiaux, plus ou moins
intégrés, constituent de véritables machines de guerre dont le but exclusif est la
conquête et la domination des nouveaux marchés »72.
En résumé, l’on peut dire que, au sein d’une grande firme, les travailleurs du
savoir, forment entre eux, un réseau dont chaque nœud est une combinaison unique de
compétences ; et les grandes entreprises forment par le biais des accords de
coopération, de partenariat stratégique et d’association un réseau mondial présent sur
tous les marchés triadiques et les marchés émergents ou en voie de l’être. Cette
intégration accrue d’une partie du marché mondial de travail constitue la première
dimension de l’esquisse d’une unification de celle-ci .Cette partie concerne
essentiellement toutes les activités liées à l’exploitation d’un fonds de savoir ou de
savoir-faire. A l’inverse de la première, la deuxième dimension est plutôt de nature
excluante. En effet, dans les pays riches, les liens entre les travailleurs du savoir, d’une
part, et les ouvriers de la production courante ainsi que les travailleurs dans les
services aux personnes, d’autre part s’amenuisent de plus en plus. Les travaux
effectués par ces deux catégories d’employés sont, soit transférés dans des pays à
faible coût de main-d’œuvre, soit remplacés par des machines. A mesure que la firme
se transforme en réseau mondial impossible à distinguer des autres réseaux mondiaux,
les individus concernés par son activité deviennent un groupe vaste et diffus, réparti
dans l’ensemble du monde. Les liens entre les cadres dirigeants et les ouvriers
s’affaiblissent : un nombre toujours croissant de subordonnés et de partenaires sont
étrangers, et un nombre sans cesse plus élevé de travailleurs routiniers sont employés
par des firmes appartenant à des étrangers.
Pour comprendre la nature et les raisons de cette dissociation (que d’aucuns
appellent, sécession) entre la classe la plus favorisée des travailleurs du savoir et le
reste de la nation, il faut être au fait de la nature profonde du travail effectué par
chaque catégorie professionnelle.
En ce qui concerne les travailleurs du savoir, leurs services, dits de matière grise,
sont des services de conception, et l’objet et le produit principal en est l’information.
Le déplacement de la source de richesse de l’activité productrice (la dialectique entre
la machine et l’action humaine) vers l’activité de conception se comprend très bien à
partir d’un phénomène que les hommes du marketing ont mis à jour voici plusieurs
années. La courbe de vie des produits à tendance à se contracter. Il arrive donc un
moment où la durée de vie est trop courte pour que les gains principaux se réalisent sur
la phase de production. L’innovation (c’est-à-dire la création) devient la source
principale de gain car elle permet une croissance rapide avec de marges élevées, par
contre, dès que le produit passe du stade de nouveauté innovante au stade de produit
banalisé, l’imitation se déchaîne et les marges se contractent brutalement. Il s’ensuit
209
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
que les transactions de toutes natures et les liens qui en résultent ont tendance à
s’imposer comme principaux générateurs de la valeur ajoutée. Cela se constate par
exemple, dans la structure des entreprises où les fonctions commerciales, marketing et
conception prennent une importance grandissante au détriment de la fonction de
production ou fonction industrielle classique73.
Derrière la montée en puissance de la création et de la distribution, on voit
apparaître une nouvelle relation d’échange. Un rapport interactif entre concepteur et
utilisateur remplace progressivement le tandem classique producteur-consommateur.
Cette nouvelle relation de coproduction été perçue depuis de nombreuses années sans
que sa signification soit pleinement mise en lumière. Lorsque H. Serieyx parlait de
l’entreprise du troisième type, il soulignait en particulier le fait que le «marché rentrait
dans l’atelier de production ». Les activités de création sont particulièrement éloignées
d’une logique d’homogénéisation des processus de production et à fortiori des
produits. Il s’agit d’activités qui nécessitent une interrelation forte entre le prestataire
et l’entreprise cliente pour une définition du service qui prend la forme d’une
coproduction. La qualité du service dépend en bonne part de cette coopération dans la
mesure où c’est elle qui conditionne l’adéquation du service aux besoins de
l’entreprise74.
Ces contraintes de production et de produit font de ces activités de conception
des activités classiquement très personnalisées. Le processus de production est
généralement maîtrisé dans sa globalité par un petit groupe d’internautes assurant de
bout en bout l’ensemble du processus, en articulation directe avec l’entreprise cliente.
En terme de structure d’entreprise, ces activités favorisent une structure du type
qualifié par H. Mintzberg « d’adhocratie ». «La structure du capital et des instances de
direction est cohérente avec ces modes d’organisation : le capital est rarement ouvert à
des membres extérieurs à l’entreprise, et l’expérience professionnelle comme
accumulation personnalisée de connaissances est un critère déterminant dans l’accès
au capital et aux décisions engageant la stratégie de l’entreprise »75.
La relation privilégiée entre les concepteurs et les entreprises-clientes s’est
considérablement raffermie dans le contexte d’une économie « postindustrielle » (voir
supra) basée désormais sur l’accélération du rythme d’innovation technique et
technologique. Pour D. Bell, les deux dimensions principales de la société
postindustrielle sont le caractère central de la connaissance théorique et l’expansion du
secteur des services.
210
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
211
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
5 millions de personnes de moins qu’en 1975 dans les emplois cols bleus. Durant la
même période, l’emploi total a doublé aux Etats-Unis. Mais ces emplois nouveaux ne
concernaient plus la production et le transport des marchandises77.
Cette tendance en elle-même n’est pas nouvelle. Dans les années 1920, un
employé américain sur trois était un col-bleu, travaillant dans la production de biens
manufacturés. Dans les années 50, les chiffres étaient encore d’un sur quatre. A la fin
des années 80, ils sont tombés à un sur six et continuent de baisser. Mais si cette
tendance est ancienne, elle s’est accélérée récemment, au point qu’aucune croissance
industrielle n’est susceptible de renverser la baisse à long terme des emplois cols bleus
vu le pourcentage de cette catégorie dans la population active. On observe cette
tendance dans tous les pays développés.
212
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Ainsi, avec l’introduction des machines automatisées utilisées dans des procédés
de fabrication limités à une tâche spécifique, la relation traditionnelle entre les ouvriers
et les instruments de production s’était trouvée inversée. Auparavant, ces outils
restaient comme le prolongement du bras de l’ouvrier et le complètement de son
savoir-faire artisanal. Il s’en servait pour réaliser l’idée qu’il se faisait du produit à
fabriquer. Désormais, dans le système de production standardisée, l’ouvrier devenait
l’auxiliaire de la machine, et le but de celle-ci n’était plus d’aider les hommes à faire
passer leur ingéniosité dans un produit, mais bien plutôt de rendre superflue leur
participation à la production. Le travailleur n’avait plus aucun rôle dans la définition
des produits ; il leur était désormais soumis (délesté de son savoir-faire, et par
conséquent de son pouvoir). Pour Marx, cette subordination de l’ouvrier au produit
définissait le passage de l’utilisation des outils à celle des machines. Marx disait : « Le
travailleur utilise un outil ; dans une usine, c’est la machine qui utilise le
travailleur »79.
Les travailleurs de la production courante sont en train de payer un lourd tribut à
cette transformation. En effet, avec le démantèlement du système de production
standardisée auquel nous assistons, la production compétitive est de moins en moins
assurée par les cols bleus traditionnels, serviteurs de la machine. La production
compétitive est désormais assurée par des travailleurs du savoir dont la machine est le
serviteur. Ces machines traduisent les instructions données par les techniciens en
mouvement. Ces instructions sont introduites par ces derniers sous forme de données
et de symboles. Les postes de travail modernes sont, en effet, fortement informatisés.
La productivité et donc les salaires des techniciens qui surveillent ces robots
seront relativement élevés, mais ces emplois ne seront pas nombreux. Un exemple : à
la fin des années quatre-vingt, Nippon Steel s’associe à Inland Steel, une firme
américaine pour construire un nouveau laminoir à froid dans L’Etat de l’Arizona. Le
laminoir utilise une technologie ultramoderne, qui réduit le temps nécessaire pour
produire le même rouleau d’acier de douze jours à une heure. En fait, pour faire
fonctionner l’usine, une petite équipe de techniciens qualifiés suffit, ce qui devient
clair quand Inland ferme deux de ses vieux laminoirs à froid, licenciant des centaines
de travailleurs routiniers. Ces derniers, à moins de suivre une formation appropriée, ne
trouveront pas de travail dans ce genre d’installations. Des robots pilotés par des
ordinateurs auront pris leur relève.
Mais contrairement à ce qu’affirme Viviane Forrester, il n’y a pas « une logique
planétaire qui suppose la suppression de ce que l’on nomme le travail, c’est-à-dire des
emplois»80. Il y a une fois de plus dans l'histoire du capitalisme une mutation qui
détruit des emplois et en crée d’autres (désindustrialisation du Nord, plus ou moins liée
au rôle de la technoscience ; destructions de formes agricoles dans le Sud, plus ou
moins liées aux processus de modernisation et d’industrialisation. Il y a les
bouleversements entraînés par les stratégies de pouvoirs économiques d’une puissance
jusqu’ici inégalée. Nous sommes aussi loin de la situation qui justifierait de donner à
son livre le titre, pour certains provocateur, de La Fin du travail comme l’a fait
Jeremy Rifkin81.
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LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
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LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
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LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
non en fonction d’une rationalité individuelle fondée sur la quête du gain, mais selon
des mobiles non économiques, au premier rang desquels, figurent les relations de
parenté et les représentations religieuses. Pour Polanyi, la découverte la plus
marquante de la recherche historique et anthropologique récente est que les relations
sociales de l’homme englobe, en règle générale son économie. L’homme agit de
manière, non pas à protéger son intérêt individuel à posséder des biens matériels, mais
de manière à garantir sa position sociale, ses droits sociaux, ses avantages sociaux. Il
n’accorde de valeur aux biens matériels que pour autant qu’ils servent cette fin84.
Contrairement aux assertions d’Adam Smith, en lieu et place d’une prédilection
présumée de l’individu pour l’échange ou le troc, on trouve dans la plupart des
civilisations une aversion marquée pour les actes ouvertement fondés sur
l’intéressement. S’ils n’ignoraient pas le marché, les premiers empires de l’Antiquité
et les sociétés primitives qui les ont précédées étaient généralement organisés selon
des principes différents, fondés sur la réciprocité, la redistribution et l’autarcie. La
réciprocité, caractéristiques de nombreuses sociétés primitives, signifie que les actes
économiques s’inscrivent dans une chaîne de dons et de contre-dons réciproques, qui à
long terme, s’équilibrent avantageant de la même façon chacune des parties
concernées. La redistribution, qui est au cœur de l’organisation économique des
empires en Mésopotamie, Egypte, Chine, Inde, Perse, en Amérique précolombienne
s’effectue par centralisation et stockage de la production, qui est ensuite répartie entre
les membres de la société selon les principes qui lui sont propres.
Selon ces travaux anthropologiques, dans les sociétés et les civilisations pré
capitalistes, l’organisation du travail collectif sur une large échelle témoigne de
l’existence d’une division poussée du travail qui est totalement déconnectée de
l’émergence d’une économie marchande. La formation de surplus que cette division du
travail permet, ne débouche pas sur l’essor d’une sphère marchande, mais sur la
réalisation de grands travaux d’infrastructures (systèmes d’irrigation, par exemple) et
de prodiges architecturaux à finalité souvent religieuses (ziggourats mésopotamiennes,
pyramides égyptiennes, temples mayas…)
Le livre de Polanyi est une tentative d’explication des drames majeurs qui ont
agité l’histoire de l’humanité durant la première moitié du XXe siècle. Pour lui, les
deux guerres mondiales marquent en effet la fin de la civilisation occidentale. Comme
il le dit lui-même : « La civilisation du XIXe siècle s’est effondrée. Ce livre traite des
origines politiques et économiques de cet événement, ainsi que de la grande
transformation qu’il a provoquée »85. Pour Polanyi, la civilisation du XIXe siècle s’est
effondrée avec la chute des institutions sur lesquelles elle reposait. Ces institutions
sont ; Le système de l’équilibre des puissances qui, un siècle durant, empêcha que
survienne entre les grandes puissances toute guerre longue et destructrice ; l’étalon or
international, symbole d’une organisation unique de l’économie mondiale ; le marché
autorégulateur qui produisit un bien être matériel jusque là insoupçonnée ; L’Etat
libéral.
Parmi ces institutions, l’étalon-or est celui dont l’importance a été reconnue
comme décisive ; sa chute fut la cause immédiate de la catastrophe. « Mais la source et
la matrice du système, c’est le marché autorégulateur ; ce fut cette innovation qui
donna naissance à une civilisation particulière. L’étalon or fut purement et simplement
une tentative pour étendre au domaine international le système du marché intérieur ; le
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LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
système de l’équilibre des puissances fut une superstructure édifiée sur l’étalon or et
fonctionnant en partie grâce à lui, et L’Etat libéral fut lui-même une création du
marché autorégulateur. C’est dans les lois qui gouvernent l’économie de marché que
l’on trouve la clé du système institutionnel du XIXe siècle »86. La civilisation du XIXe
siècle fut unique précisément en ce qu’elle reposait sur un mécanisme institutionnel
déterminé. La production est l’interaction de l’homme et de la nature ; si ce processus
doit être organisé par l’intermédiaire d’un mécanisme régulateur de troc et d’échange,
il faut alors faire entrer l’homme et la nature dans son orbite ; ils doivent être soumis à
l’offre et à la demande c’est-à-dire traités comme des marchandises, comme des biens
produits pour la vente.
Tel était précisément le cas dans un système de marché. De l’homme (sous le
nom de travail), de la nature (sous le nom de terre), on « faisait des disponibilités, des
choses prêtes pour le négoce ; on pourrait acheter et vendre universellement, à un prix
appelé salaire, l’usage de la force de travail, et à un prix appelé rente ou loyer,
l’utilisation de la terre [...] et l’offre et la demande étaient réglées pour chacun d’eux
par le niveau des salaires et des rentes respectivement ». K. Polanyi nous dit qu’on ne
peut pas pleinement saisir la nature de l’économie de marché si on ne conçoit pas bien
quel est l’effet de la machine sur une société commerciale. Ce n’est pas d’affirmer que
la machine fut la cause de tous les changements, mais d’insister sur le fait qu’une fois
que des machines et des installations complexes avaient été utilisées en vue de la
production dans une société commerciale, l’idée d’un marché autorégulateur ne
pouvait que prendre forme. En effet, tant que la machine ne fut qu’un outil peu
coûteux et peu spécialisé, la situation resta la même. Mais plus la production
industrielle se compliquait, plus nombreux étaient les éléments de l’industrie dont il
fallait garantir la fourniture. Trois d’entre eux étaient naturellement d’une importance
primordiale : le travail, la terre et la monnaie. Dans une société commerciale, leur offre
ne pouvait être organisée que d’une seule manière : on devait pouvoir les acheter.
L’extension du mécanisme du marché aux éléments de l’industrie – travail, terre et
monnaie – fut la conséquence inévitable de l’introduction du système de la fabrique
dans une société commerciale. Il fallait que ces éléments fussent mis en vente. Cela
signifie que la production industrielle cessa d’être un élément secondaire du
commerce, que le marchant avait organisé comme une entreprise d’achat et de vente ;
elle impliquait désormais un investissement à long terme, avec les risques que la chose
comporte. Ces risques n’étaient supportables que si la continuité de la production était
raisonnablement assurée.
Dans l’optique anthropologique que défend Polanyi, permettre au mécanisme du
marché de diriger seul le sort des être humains et de leur milieu naturel et même, en
fait, du montant et l’utilisation du pouvoir d’achat, cela aurait pour résultat de détruire
la société. Car « la prétendue marchandise qui a pour nom « force de travail » ne peut
être bousculée, employée à tort et à travers, ou même laissée inutilisée, sans que soit
également affecté l’individu humain qui se trouve être le porteur de cette marchandise
particulière. En disposant de la force de travail d’un homme, le système disposerait
d’ailleurs de l’entité physique, psychologique et morale « homme » qui s’attache à
cette force. Dépouillés de la couverture protectrice des institutions culturelles, les êtres
humains périraient. Ainsi exposés à la société, ils mourraient, victimes d’une
217
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
218
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
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LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
220
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Le but de cette section est de montrer que le marché mondial du travail connaît à
la faveur du processus de globalisation économique un mouvement d’intégration
accrue constituant les prémices d’une certaine forme de son unification. Ce processus
d’intégration procède d’un double mouvement. D’une part, il s’agit du resserrement
des liens entre les travailleurs du savoir à travers les liaisons qu’ils tissent entre eux au
sein des multiples réseaux internationaux qui les emploient. Le fait que le travail de
cette catégorie consiste à « manipuler des symboles » fait que son acheminement d’un
endroit à un autre de la planète se fait sans entrave grâce aux moyens de
communication et d’information ultramodernes qui sont mis à leur disposition.
Pour les travailleurs du savoir, membres des réseaux mondiaux des firmes, le
problème ne se pose pas en terme de déplacement physique ; l’essentiel n’est pas tant
la facilité qu’ils ont à se déplacer librement d’un pays à l’autre. Le plus important est
que les idées qu’ils développent pour identifier les problèmes et les résoudre circulent
librement. Et lorsque cela s’avère nécessaire, les travailleurs du savoir jouissent
généralement d’une mobilité géographique relativement importante, en tous les cas,
plus importante que celle de n’importe quelle autre catégorie professionnelle.
Quoiqu’il en soit, les réseaux mondiaux d’entreprises, de par leur organisation interne
qui transcende les frontières entre les pays, arrivent sans grande difficulté à rassembler
toutes les compétences dont ils ont besoin. Leur grande mobilité compense dans une
large mesure la relative immobilité des personnels qu’ils emploient. L’élargissement et
l’approfondissement du processus de globalisation qui sous-tend cette dynamique
d’intégration aboutiront à la création par les firmes mondiales d’un espace interne
unifié, intégré et de libre circulation pour le travail à fort contenu de savoir et
d’information.
D’autre part, nous l’avons déjà noté, en ce qui concerne le travail routinier de la
production courante, le processus de restructuration des entreprises engagé à la suite
de la crise des années 1970 s’était traduit (pour ne pas dire avait pour objectif) par la
dissolution des liens organiques entre les cadres et les dirigeants d’entreprises, d’une
221
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
222
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
technologies ainsi que pour les techniques financières nouvelles […]. Mais il n’est pas
intégré quant au travail »91. L’auteur considère donc qu’un marché non intégré dans
cette troisième dimension permet aux firmes d’exploiter à leur guise les différences de
rémunération du travail d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un continent à
l’autre. En fait, il serait plus correct de dire : intégré quant au prix de vente de la force
de travail. En fait cette approche est sujette à caution tant elle assimile une plus grande
intégration du travail à une hausse certaine et durable des rémunérations offertes par
les grandes firmes mondiales aux travailleurs les moins bien payés dans les pays non-
triadiques. Or, à moins de supposer que l’intégration du travail passe par la mobilité
parfaite de la force de travail (une hypothèse difficilement envisageable), S. Amin
semble défendre l’idée que cette intégration découle de la mise en œuvre d’un
processus permanent de convergence des régimes institutionnels régissant la
rémunération de la force de travail à travers les pays (législation du travail,
conventions salariales nationales). Il est à se demander alors en quoi les grandes firmes
mondiales peuvent-elles faire échouer ce processus de convergence ?
En fait, il y a une grande vérité à dire que la législation du travail et les
conditions salariales nationales ne font qu’entériner le rapport de force entre capital et
travail. Ce rapport de force reflète l’offre et la demande de main-d’œuvre et c’est la loi
de l’offre et de la demande qui détermine en dernier ressort le niveau général de
rémunération du travail
Ainsi, les firmes mondiales mettent à profit l’offre pléthorique de main-d’œuvre
et leur mobilité relative pour mettre en concurrence l’offre de main-d’œuvre d’un pays
à l’autre. Nous pensons que c’est là en effet que réside la signification profonde du
mouvement d’intégration du travail à l’échelle mondiale : les travailleurs routiniers
sont actuellement en concurrence directe à travers tous les pays, alors qu’auparavant,
du temps des périodes d’internationalisation et de multinationalisation, cette
concurrence se déroulait pour l’essentiel à l’intérieur des frontières nationales. Ce sont
les groupes industriels qui en se réorganisant en réseaux mondiaux ont pu atteindre cet
objectif.
Comprise dans ce sens, les firmes mondiales s’efforcent d’atteindre une plus
grande intégration plutôt qu’elle ne tente de la faire éclater. C’est à l’intérieur de
l’espace de mise en valeur des firmes que s’opère cette intégration et non pas entre des
entités territoriales séparées. Ne pas prendre en considération ce rôle des grandes
firmes mondiales, c’est ne pas admettre que les ensembles économiques ne coïncident
pas toujours avec les espaces nationaux, et que de plus en plus souvent, les premiers
englobent plusieurs des seconds. Actuellement, dans les pays de la triade, les firmes ne
constituent pas les entités qui, jadis, jouaient le rôle d’intermédiaires entre les
nationaux et l’économie mondiale. Les firmes et les secteurs industriels ont cessé
d’exister sous une forme qui permette de les distinguer, d’une manière significative, du
reste de l’économie mondiale
Ainsi, l’examen du réseau mondial fait ressortir chaque fois le même schéma : la
production de masse standardisée est localisée principalement dans les pays où les
salaires sont bas (excepté quand l’assemblage doit se faire dans les pays à hauts
salaires où le produit final sera vendu, soit parce qu’il est moins cher d’y réaliser cet
assemblage, soit pour contourner des barrières protectionnistes) ; la résolution et
l’identification de problèmes, ainsi que le management se situent partout dans le
223
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
monde où des compétences utiles peuvent être trouvées. Telle est l’entreprise mondiale
de production personnalisée ; elle évolue vers un partenariat international de personnes
dont les compétences sont combinées les unes avec les autres, et qui passent des
contrats avec des travailleurs non qualifiés partout dans le monde pour toute la
production de masse standardisée.
Finalement, dans la firme qui pratique une stratégie de globalisation, la
simultanéité, c’est–à-dire le temps, prime sur la distance, le niveau d’information des
acteurs sur leur proximité géographique.
224
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
225
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
globalisation autour de trois thèmes définis en rupture avec le modèle des échanges
internationaux : la globalisation est un phénomène multidimensionnel et transnational
qui se développe dans un contexte de déréglementation.
b- La combinatoire globale
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LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
donc de plus en plus des effets de synergie nés d’une constellation de savoirs
spécialisés – industriels, financiers, technologiques, commerciaux, culturels – dont
l’ensemble où la combinaison est supérieure à la somme des parties.
En second lieu, l’approche globale renvoie à des effets encore plus inattendus par
rapport aux conceptions traditionnelles. Des combinatoires nouvelles de savoirs
techniques font apparaître des innovations qui brouillent les anciennes frontières entre
les disciplines, entre les spécialités.
Enfin, c’est dans le cadre des nouvelles relations entre science, technologie et
innovation que la subversion des frontières traditionnelles est la plus intense. La
nouvelle approche des relations de la science et de la technologie remet aussi en
question la séquence linéaire amont-aval allant de la recherche fondamentale au
développement du produit et sa mise sur le marché.
a- La délocalisation multinationale
227
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
b- La stratégie planétaire
3- Globalisation et régulation
228
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
b- La tendance à l’autonomisation
229
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
Cependant, il n’est pas sûr que la globalisation débouche sur un modèle stable
d’autorégulation. Dès le départ, il semble possible de repérer deux vices structurels. En
premier lieu, les espoirs mis dans les capacités d’allocation optimales par le marché
interne des firmes, substitué à la DIT, reposent sur une confusion entre les niveaux
micro et macro-économique. Il est indéniable que le principe d’internalisation favorise
le calcul sur une base mondiale. Mais son cadre de validité est limité à l'espace intégré
de la firme. Pour qu’il soit possible d’effectuer une généralisation, il faudrait que le
marché interne de la firme se confonde avec le marché mondial, donc que celle-ci soit
dans une situation de monopole, dans la position d’un planificateur central. Il est
possible de mettre en doute une telle hypothèse, car, en deuxième lieu, les marchés
dans lesquels se meuvent les agents globaux sont des marchés imparfaits, de caractère
oligopolistique. Une nouvelle version de la main invisible est d’autant plus improbable
que le principe d’internalisation a pour effet de renforcer leur caractère oligopolistique.
Or, il a été démontré depuis longtemps déjà que les marchés imparfaits ne
garantissaient pas une allocation optimale des ressources.
En fin de compte, la globalisation débouche sur une accentuation de la guerre
économique entre les grandes firmes, ce qui explique l’importance centrale prise
actuellement par la notion de compétitivité dans le discours managérial.
Dans l’ancienne économie de l’Etat-Nation, les équilibres économiques étaient
jugés en référence à la dimension nationale. Ces équilibres sont maintenant reportés
sur les fonctions de la globalisation des espaces et des temps, de la correspondance des
savoirs, de la concordance des normes et des techniques. Le déploiement
d’interdépendances complexes entre un acteur économique et son milieu (marché)
influence d’une façon décisive la question de l’espace de production et la circulation
de l’information. Elles introduisent les termes d’une relativité des distances, et
participent à la « dématérialisation » des transactions.
La coexistence de deux espaces, – celui « mesurable » des distances, et celui plus
incertain que déterminent les circuits de l’information et l’appropriation du savoir –
confère toute leur complexité aux stratégies industrielles contemporaines et aux
mouvements de délocalisation. L’avantage comparatif d’une nation ne se situe plus, ni
dans ses ressources de matières premières, ni même dans ses connaissances
(transférables d’un bout de la planète à l’autre), mais dans sa flexibilité et ses capacités
de renouvellement pour mieux appréhender les changements de situation.
Un autre facteur du redimensionnement de l’espace industriel est induit par la
globalisation des marchés. Une industrie (ou un secteur d’activité) est généralement
considérée comme globale lorsque la compétitivité d’une firme située dans un pays
donné est affectée de façon significative par les positions compétitives qu’elle occupe
dans d’autres pays. Ce phénomène s’oppose à une organisation d’entreprise restreinte
à des marchés multidomestiques mais autonomes et indépendants.
Du même coup, la globalisation et l’interdépendance des facteurs économiques
redéfinissent les conditions de coopération et d’échange. L’évaluation socio-
économique de la dynamique des territoires peut-être réalisée selon deux schémas de
référence. Le premier repose sur le principe de la gravité qui stipule que la force
d’attraction entre deux lieux est directement proportionnelle à la densité de chacun
d’eux et à la distance qui les sépare. Cette conception privilégie les liens physiques et
fonde les politiques d’aménagement sur le traitement topographique de l’espace.
230
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
231
LA GLOBALISATION A L’ŒUVRE
232
CHAPITRE II
LA GLOBALISATION
A L’ŒUVRE
CHAPITRE III
LA GLOBALISATION
ET
L’ETAT - NATION
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Dans un livre paru en 1992, Antony G. McGrew et Paul Lewis ont proposé la
définition suivante du mouvement de globalisation : « La globalisation se rattache à la
multiplicité des liens et des interconnexions entre les Etats et les sociétés qui forment
le système mondial contemporain. Elle décrit le processus par lequel les événements,
les décisions et les activités dans une partie du monde auront des conséquences
significatives sur les individus et les communautés dans d’autres parties éloignées du
globe. La globalisation recouvre deux phénomènes distincts : l’étendue (ou extension)
et l’intensité (ou profondeur). D’une part, elle définit un ensemble de processus qui
englobe la majeure partie du globe ou qui opèrent à l’échelle mondiale ; le concept
revêt alors une signification spatiale. D’autre part, il implique aussi une intensification
des niveaux d’interaction, d’interconnexion et d’interdépendance entre les Etats et les
sociétés qui constituent la communauté internationale. Loin d’être un concept abstrait,
la globalisation combine les caractéristiques les plus familières de la vie moderne. La
globalisation ne signifie pas pour autant que le monde soit en passe de devenir
politiquement plus uni, économiquement plus solidaire ou culturellement plus
homogène. Tout à la fois son étendue et son intensité sont très différenciées quant aux
conséquences qu’elles génèrent»1. Le tableau suivant constitue une énumération des
principales caractéristiques du phénomène de globalisation.
Catégorie Processus.
1 Globalisation financière Dérégulation des marchés financiers,
mobilité internationale du capital,
hausse des fusions et acquisitions.
La globalisation de l’actionnariat
est dans sa phase initiale.
4 La globalisation des modes de vie et des Transfert et transplantation des modes de vie
modèles de consommation, globalisation prédominants. Homogénéisation des modèles
culturelle. de consommation. Le rôle des médias . Les
règles du GATTappliquées aux échanges
culturels.
234
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
6 La globalisation en tant que convergence Une analyse basée sur la notion de l’Etat
politique mondiale concernant l’intégration des sociétés du
monde entier au sein d’un système politique
et économique global dominé par une
puissance principale.
Ces idées et ces définitions sont assez globales pour inclure la plupart des
approches liées au mouvement de globalisation. Cependant, elles ne sont pas
unanimement partagées par tous les chercheurs. De nombreux auteurs considèrent en
effet que l’importance et la nouveauté rattachées au phénomène de globalisation sont
exagérées. D’une manière générale, ces derniers pensent que le système national
demeure la caractéristique la plus significative des sociétés contemporaines. A cet
égard, le système national d’innovation est considéré comme ayant une importance
bien plus grande et joue un rôle plus décisif que tous les processus globaux
susmentionnés2.
Les travaux sur la globalisation économique montrent que les débats sont
focalisés sur la place et le rôle du «cadre national » dans le nouveau contexte
économique issu de ce processus. D’un coté, il y a ceux qui soutiennent que l’idée
d’économie nationale n’a plus aucun sens et que l’attachement à cette notion relève
d’une vision aussi dangereuse que périmée. Pour eux, la globalisation est l’ensemble
des forces mondiales qui agissent sur les économies nationales dans le sens de
l’effacement progressif des frontières de celles-ci et la perte de souveraineté nationale
qui est en train d’en résulter. Les nations mais surtout les gouvernements ont perdu
une large partie du contrôle qu’ils exerçaient sur le destin économique de leurs pays
respectifs. Ainsi, en dépit du fait qu’il y a actuellement plus d’Etats que dans
n’importe quelle période passée, il s’agit d’entités dotées de nouvelles formes
institutionnelles. Quelle que soit l’appellation ou la formulation choisie pour désigner
cette nouvelle réalité (Etat régional post-national, K. Ohmae, Etat post-souverain,
Clarkson), tous sont d’accord sur un point commun, à savoir que les institutions
235
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
nationales ont perdu leur principale importance en tant que représentant d’une
véritable communauté poursuivant des intérêts économiques à des fins nationales. En
un mot, l’Etat ne peut plus jouer aucun rôle économique depuis que l’activité
économique n’est plus délimitée par les économies nationales.
De l’autre coté, il y a ceux qui défendent l’idée que cette vision est démentie par
les données les plus élémentaires concernant les prix, les niveaux d’imposition, les
subventions ou encore les anticipations qui demeurent très connotées par les
conditions locales, même si ces variables tendent à évoluer de concert à travers les
frontières. En d’autres termes, la notion de globalisation, qui sous-entend une certaine
homogénéisation, est abusivement employée pour désigner une interdépendance
accrue de conjonctures hétérogènes.
Finalement, quelles que soient les positions des uns et des autres par rapport à
cette controverse, c’est la place et le rôle de l’Etat qui demeure au cœur du débat. La
question centrale qui résume cette problématique peut être formulée comme suit : La
globalisation met-elle un terme au rôle économique prépondérant qui a été celui de
l’Etat durant la majeure partie du XXe Siècle ? Ce troisième chapitre est une tentative
de voir plus clair en ce qui concerne tous les aspects qui entoure cette question.
236
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
SECTION I
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
240
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
durée fixée et à un prix spécifié. De tels arrangements sont souvent plus efficaces que
le contrôle direct des salariés. Les fournisseurs qui gagnent d’autant plus d’argent
qu’ils accomplissent leur travail vite et bien, ont toutes les raisons de découvrir de
nouvelles méthodes d’efficacité croissante pour accomplir leurs tâches.
Ces transformations structurelles opérées par les grandes firmes ont eu des
retombées profondes sous la forme de remises en question radicales de notions
économiques aussi fondamentales que la nationalité des produits et des firmes où la
signification même d’économie nationale. Ainsi, dans l’ancienne économie de
production de masse standardisée, la majorité des produits, tout comme les firmes qui
les produisaient, avaient une nationalité précise. Quel que soit le nombre de frontières
que le produit franchissait, son pays d’origine ne faisait pas de doute. Le travail
nécessaire pour le fabriquer était effectué pour l’essentiel au même endroit,
simplement parce que les économies d’échelle le nécessitaient. Cela est vrai aussi pour
l’ancienne FMN, quelle que soit la part du produit final fabriquée à l’étranger, le
travail le plus complexe était accompli dans le pays de la maison-mère.
Dans l’économie de production personnalisée dont la logique tend à dominer le
système économique tout entier, et où la production à grande échelle ne joue plus le
même rôle, rares sont les produits qui ont une nationalité déterminée. Divers éléments
sont produits efficacement dans des endroits très variés ; ils sont ensuite combinés de
toutes sortes de manières pour répondre aux besoins des consommateurs dans
différents endroits. Le capital intellectuel et financier peut provenir de partout.
Ce point de vue est défendu d’une façon identique aussi bien par R. Reich que K.
Ohmae 8. Le premier pour illustrer sa vision d’une économie qui se mondialise, où les
grandes firmes traditionnelles laisse peu à peu la place à des réseaux mondiaux
d’entreprises, nous livre ces quelques exemples: « L’équipement de précision pour le
hockey sur glace est conçu en Suède, financé au Canada, et assemblé à Cleveland et
au Danemark pour être distribué respectivement en Amérique du Nord et en Europe ;
dans sa fabrication entrent des alliages dont la structure moléculaire est le fruit des
recherches menées dans l’Etat de Delaware et qui y ont été brevetés, mais qui sont
fabriqués au Japon. La compagne de publicité est conçue en Grande-Bretagne, monté à
New York. Une voiture de sports est financée par le Japon, dessinée en Italie et
montée dans l’Indiana, au Mexique, en France ; elle contient les composants
électroniques les plus récents, mis au point dans le New Jersey et fabriqués au Japon
[…], un satellite conçu en Californie, fabriqué en France, et financé par des australiens
est envoyé dans l’espace par une fusée russe » et de se demander : « Lequel de ces
produits est américain ? Lequel ne l’est pas ? Comment décider ? Et la réponse a-t-elle
vraiment de l’importance ? »9. Le second abonde dans le même sens en
déclarant : « IBM Japon est-elle une compagnie américaine ou japonaise ? Ses 20 000
employés sont Japonais, mais ses actionnaires sont Américains. Cependant, au cours
des dix dernières années, IBM Japon a payé, en moyenne, trois fois plus d’impôts que
Fujitsu. Dans ces conditions, que signifie la nationalité ? Que dire des activités de
Honda dans l’Ohio ? Et de la fabrication au Japon de puces à mémoires par Texas
Instruments? S’agit-il de produits «américains » ? Si oui, que dire des téléphones
cellulaires vendus à Tokyo, contenant des composants fabriqués aux Etats-Unis par
des travailleurs américains, employés par des divisions américaines d’entreprises
japonaises ? Sony dispose d’usines à Dotham dans l’Alabama, d’où il expédie des
241
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
cassettes audio et vidéo vers l’Europe. Quelle est la nationalité de ces produits ou des
usines qui les fabriquent ? »10. L’idée commune à ces deux auteurs, est que pour un
nombre croissant de sociétés qui servent les marchés mondiaux ou qui affrontent une
concurrence mondiale, la notion de nationalité est toute relative, voire obsolète.
Ainsi, il est devenu impossible de dire avec quelle précision quelle part d’un
produit donné est fabriquée à tel ou tel endroit. Quelle part d’un produit doit avoir été
réalisée dans un pays pour que ce produit soit considéré comme «national» et non
comme «étranger ? » Et comment cette part doit être calculée ? Les autorités
nationales qui cherchent à prélever des impôts sur des portions de réseaux mondiaux
sont souvent déroutées. Savoir qui gagne quoi et où est une question dont la réponse
est devenue de moins en moins aisée.
Aujourd’hui, de nouveaux réseaux structurent l’entreprise de production
personnalisée, et remplacent les vieilles pyramides de l’entreprise de production de
masse. Ces réseaux sont en train de se multiplier et de s’étendre sur l’ensemble du
globe. De ce fait, nous dit R. Reich, «il n’y aura plus de firmes américaine,
britannique, française, japonaise ou allemande ; il n’y aura pas davantage de produit
fini qui puisse être qualifié d’américain, de britannique, de français, de japonais ou
d’allemand. Dans ce contexte, évoquer le problème de la compétitivité déclinante
d’une économie ou celui du déclin industriel d’une autre en mettant en avant certains
indicateurs traditionnels comme la réduction des parts de marchés des
firmes «nationales » ou le déficit commercial dans des secteurs stratégiques est
devenue une façon d’envisager les problèmes gravement trompeuse. Elle suppose
l’existence d’entités – les firmes nationales, les secteurs industriels nationaux, même
l’économie nationale dans son ensemble – dont la vitalité doit être restaurée pour
améliorer le niveau de vie de la population toute entière. Ces entités, est-il supposé,
continuent à jouer le rôle d’intermédiaires entre les nationaux et l’économie mondiale,
de telle sorte que leur succès est nécessaire pour améliorer la richesse des individus.
Dans les exposés les plus audacieux sur le mouvement de globalisation, on considère
qu’il s’agit là d’une description des grandes économies occidentales valable pour une
certaine période quand les destins économiques de la plupart des citoyens étaient liés
entre eux, à l’intérieur et autour des grandes firmes et des secteurs industriels dans
chaque pays pris séparément.
Cette analyse suggère que cette description ne convient plus et est même
totalement dépassée. Les firmes « nationales » et les secteurs industriels « nationaux »
ont cessé d’exister sous une forme qui permette de les distinguer, d’une manière
significative, du reste de l’économie mondiale. Pas plus, de ce point de vue, que
l’économie nationale comme un tout ne garde une identité distincte, à l’intérieur de
laquelle les individus dans leur ensemble réussissent ou échouent. « Mais, comme
nous l’avons déjà observé, ces catégories ne sont plus adaptées. Elle suppose qu’il
existe toujours une économie américaine dans laquelle les emplois associés à une
firme ou à un secteur particulier sont d’une manière ou d’une autre attachés à
l’intérieur des frontières du pays, de sorte que les travailleurs américains partagent un
destin commun ; et aussi un ennemi commun auquel nos firmes et nos travailleurs se
mesurent sans ambiguïté sur les champs de bataille du commerce international »11.
Ainsi, supposer que la revitalisation de ces entités abstraites (firmes et secteurs
industriels) aidera les citoyens est désormais une pensée périmée. Le niveau de vie des
242
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
citoyens de toutes les nations, dépend moins du succès des grandes firmes de la nation
que de la demande mondiale pour leurs compétences et leur perspicacité. Maintenant
que « les capitaux, les biens, les hommes, l’information et même les entreprises
peuvent circuler aussi librement à travers les frontières nationales, parler de la
compétitivité industrielle américaine n’a plus de sens »12. Mais l’idée que tous les
produits ont un pays d’origine est si profondément ancrée que les gouvernements, et
les éléments qu’ils représentent, sont incapables de s’adapter à la réalité qui émerge.
On en veut pour preuve de cette transformation, le grand nombre de travailleurs
étrangers employés aujourd’hui par les firmes dites nationales. En 1990, déjà, 40% des
salaires d’IBM sont étrangers, et cette proportion allait en s’accroissant. IBM-Japan
revendiquait à l’époque, environ 20 000 salariés japonais et des ventes dépassant six
milliards de dollars, ce qui faisait d’elle un des principaux exportateurs japonais
d’ordinateurs. Whirlpool, après avoir réduit ses effectifs américains de 10%, envoyait
la majeure partie de sa production au Mexique, et achète, la division appareils de
Philips, employait au début de la décennie 43 500 salariés, en majorité non-américains,
dans 45 pays.
Durant la même période, il a été calculé que la production des firmes appartenant
à des américains et réalisée pour plus de 20% en dehors des Etats-Unis, et cette
proportion augmentait rapidement. Les investissements à l’étranger des firmes
américaines se sont accélérés depuis le début des années 1980, s’accroissant de 24%
pour la seule année 1988. En 1989, ils sont 13% supérieurs au niveau record de
l’année précédente, et en 1990, encore 16% supérieurs à 1989 (alors que, cette même
année, leurs investissements aux Etats-Unis n’ont augmenté que de 6,7%). L’IDE est
devenu le principal vecteur du processus de globalisation économique. Ainsi, entre
1983 et 1989, les flux d’IDE se sont accrus au taux extraordinaire de 28,9% par an 13.
Même si le mouvement ne pouvait pas continuer sur la même lancée, il n’en demeure
pas moins vrai que, durant la fin des années 1990, les chiffres des flux et des stocks
d’IDE ont atteint des niveaux historiques. Les dernières opérations de
fusion/acquisition de ce siècle ont nécessité des sommes proprement inimaginables il y
a encore peu (à titre d’exemple, le rachat de l’allemand Mannesmann par l’opérateur
anglais Vodafone a nécessité le déboursement de 124 milliards de dollars ).
Bien entendu, une partie de cette activité à l’échelle mondiale n’est rien d’autre
que de la production de masse standardisée transplantée pour aborder de front les
concurrents étrangers dont les coûts de production sont réduits. Des pays jouissant de
niveaux de vie aussi appréciables que ceux de l’Irlande, de la Pologne, de Taiwan ou
de Singapour accueillent sur leurs sols de nombreuses et importantes unités de
production appartenant à de grands groupes mondiaux. Ces derniers figurent parmi les
plus grands employeurs et les plus grands exportateurs de ces pays.
Cependant, une part croissante de cette nouvelle activité mondiale des grandes
firmes comporte pourtant des activités de services à haute valeur ajoutée en dehors de
leur pays d’origine. C’est de ces activités que le réseau mondial tire la majeure partie
de ses profits, parce que les compétences et les talents à l’origine de ces activités sont
relativement rares et difficiles à reproduire. La multiplication des centres de recherche
américains à l’étranger et l’accroissement régulier des dépenses de recherche à
l’étranger est révélateur du caractère permanent de cette évolution. Ainsi, selon les
chiffres de la National Science Foundation, entre 1986 et 1987, les firmes américaines
243
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
n’existe qu’une seule meilleure manière d’organiser la production. Si cela survient, les
meilleures formes d’organisation finiraient par prévaloir quel que soit l’endroit et, par
agrégation, les évolutions macro-économiques s’orienteront vers une convergence des
niveaux de productivité et des niveaux de vie 18.
Les vues de Kindleberger reprennent des arguments plus anciens. Dans The
Great Illusion, publié en 1911, Norman Angell disait à peu prés la même chose.
L’économie mondiale était devenue tellement interdépendante que l’indépendance
nationale s’apparentait à un anachronisme, notamment sur les marchés financiers,
disait-il. L’interdépendance était véhiculée par la science, la technologie et
l’économie, considérées comme les forces de la modernité ; et ce sont ces forces et
non pas les gouvernements qui déterminent les relations internationales.
A partir de la fin des années 1970, une abondante littérature a été produite pour
développer ces mêmes thèmes ; le mot globalisation revenait comme un leitmotiv. Le
point commun entre ces travaux est que nous vivons dans une «ère globalisée »
caractérisée par un niveau d’intégration des économies nationales sans précédent.
Cette intégration est elle-même le reflet d’une vive augmentation de la mobilité de la
finance, du capital physique et même du travail à travers le monde entier. A cause de
cette mobilité, les firmes partout dans le monde font face à un marché commun des
biens et des facteurs. Dans ces conditions, les tentatives des gouvernements en vue de
contrôler l’évolution de l’économie nationale sont aussi efficaces que « de pousser en
avant un bout de ficelle ».
A nouveau se pose donc la question des marges de manœuvre laissées aux
gouvernants par la montée des interdépendances économiques, par la libre circulation
des capitaux et par l’intégration européenne. Une perception résignée du rôle de l’Etat
gagne provisoirement les faveurs de certains analystes. A les en croire, les autorités
nationales continueraient à jouer une « partition » adoptée au règne des Etats-Nation
alors que nous serions entrés de plain-pied dans une économie mondiale sans
régulation. Ce qui importerait alors ne serait plus tant le pouvoir de « faire », mais,
face à une opinion publique désorientée, de « dire » et de recueillir un consentement
247
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
par défaut. Le « gouvernement national serait ainsi réduit au rôle de lobby plaidant
dans les enceintes internationales la cause d’un groupe d’intérêts, en l’occurrence un
peuple, une nation »20.
Aujourd’hui, on affirme de plus en plus fort, qu’avec le mouvement de
globalisation, les forces du marché se seraient libérées de l’emprise des Etats et ce sont
elles qui contrôleraient maintenant les Etats. Les deux dernières décennies ont été
marquées par un impressionnant défi lancé par les adeptes du laissez-faire et du
marché libre et autorégulé aux défenseurs de l’interventionnisme étatique dans les
affaires économiques. La nouveauté fondamentale réside selon les auteurs du premier
camp, dans la mutation invisible d’une économie de production et d’échange en une
économie de l’information. Or l’information est immatérielle, elle circule sans
entraves, elle échappe aux prérogatives des Etats. Ceux-ci peuvent tout au plus
contribuer à la rendre plus fluide en évitant de promouvoir des politiques contre-
productives.
Les défenseurs du maintien d’un rôle important de l’Etat voient en ces
campagnes en faveur de l’élargissement des prérogatives des marchés, le retour des
utopies théoriques de marché et qualifient les principes et les arguments sur lesquels
sont fondées ces campagnes comme autant d’aspects d’une pensée unique sans
originalité. R. Boyer dira à ce sujet que « le siècle prochain sera encore l’époque
d’Etats-Nation en charge de discipliner et de contrôler des marchés, mais les contours
de cette implication restent largement inconnus »21.
En vérité, le débat sur la place et le rôle nouveaux des marchés dans l’économie a
l’inconvénient de n’être pas très précis. Il ne montre pas en effet ce qui est aujourd’hui
nouveau par rapport au passé, car, il ne faut pas l’oublier, les discussions sur les
mérites relatifs des marchés et des Etats ont été à la base de l’économie politique
depuis ses débuts. Par ailleurs, le retour en force des marchés en tant qu’instrument de
régulation de l’activité économique incombe aux processus de dérégulation et de
privatisation initiés dès la fin des années 1970, par les Etats eux-mêmes. L’on se
demande alors sur la contribution de ces deux mouvements dans le phénomène de
globalisation.
Si les Etats, ensemble et en coopération étroite entre eux, avaient voulu résister à
la menace que fait peser sur leurs prérogatives le mouvement de globalisation, ils
auraient dû conjuguer leurs efforts en vue d’avoir un degré de contrôle plus élevé sur
trois processus, à savoir : l’intégration des marchés financiers ou globalisation
financière, la libéralisation des échanges extérieurs et la mobilité accrue des capitaux
productifs sous forme de flux d’investissements directs à l’étranger. Nous préférons
pour l’instant ne parler que de la première dimension, nous aurons l’occasion de traiter
des deux autres, ultérieurement. Notons pour l’instant que, dans le domaine des
échanges extérieurs, après la conclusion des accords portant création de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC), les grandes puissances économiques se sont inscrites
dans une logique de libéralisation de leurs échanges. Ces accords n’ont pu être signés
248
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
de chaque nation est identifié avec celui des firmes nationales. A vrai dire, ces
inquiétudes ne sont pas récentes. Déjà dans les années 1960, le français Jean Jacques
Servan-Schreiber s’était distingué par le ton pressant de son livre qui résumait l’état
d’esprit prévalant en Europe et dans les autres régions dominées de manière croissante
par le capitalisme américain, à travers ses puissantes FMN. Il avertissait que l’Europe
était en train de succomber face aux Etats-Unis, « l’industrie américaine se répand à
travers le monde d’abord à cause de l’énergie libérée par la firme américaine ». Cette
énergie provient elle-même « d’un système économique très organisé basé sur des
grandes unités, financées et guidées par le gouvernement national ». Le choix était
clair : « …construire une Europe indépendante ou la laisser devenir une annexe des
Etats-Unis »26. Ce sont des termes presque identiques que certains commentateurs
américains emploieront deux décennies plus tard pour parler du défi japonais.
Maintenant, les japonais, les allemands et d’autres semblent « acheter en bloc » les
Etats-Unis, et les américains font l’expérience du même émoi que les canadiens et les
européens, il y a bien longtemps.
Les raisons de ces inquiétudes sont multiples. Ainsi, en dehors de la destination
des profits, une autre inquiétude concerne le contrôle des firmes. On suppose, en effet,
que les entreprises passées sous contrôle étranger feront de moins bons citoyens que
celles qui sont restées sous contrôle d’actionnaires locaux. Cet argument suppose qu’à
l’inverse des firmes appartenant à des étrangers, les firmes appartenant à des
concitoyens feront passer les intérêts de leurs actionnaires après ceux de leurs pays.
Selon cette conception, une firme « locale » aura, plus qu’une firme appartenant à des
étrangers, tendance à s’abstenir de transférer sa production à l’étranger, même si elle
diminue ainsi ses profits. La rassurante clarté de cette vision est sa seule qualité, le
problème est qu’elle est fausse. Cet argument suppose en effet que nous somme
toujours dans l’économie du milieu du siècle dernier, celle qui était gouverné par le
compromis national, scellé avec la bénédiction des gouvernements, entre les grandes
sociétés et les principaux syndicats. A l’époque, les grandes firmes étaient tenues de
mettre en balance les besoins du public avec les exigences des actionnaires ; d’ailleurs,
le plus souvent, les intérêts des uns et des autres concordaient très bien
Mais dans cette dernière partie du siècle, la concurrence mondiale a mit fin aux
règles tacites des capitalismes nationaux. Les producteurs nationaux ne peuvent plus
s’organiser et s’entendre sur l’objectif commun de maintien des prix et ainsi générer
des profits assez élevés pour tenir compte aussi des intérêts des travailleurs et du grand
public en général. De leur coté, les exigences des actionnaires ne sont plus aussi
inaudibles que par le passé. Les porteurs d’actions, notamment aux Etats-Unis, ne se
contentent plus de laisser les dirigeants gérer leurs entreprises comme ils l’entendent.
Les petits porteurs d’actions dispersés d’autrefois ont été supplantés par des
gestionnaires de fonds de placements – caisses de retraite principalement – prêts à
transférer rapidement leurs placements d’une société à l’autre en fonction de
l’évolution du cours de leurs actions. Jamais encore on avait observé des
concentrations de capitaux aussi énormes que celles actuellement détenues dans les
pays développés par les investisseurs institutionnels. A la fin de 1992, ceux-ci
détenaient aux Etats-Unis 50% au moins des actions des grandes entreprises et une
part presque aussi grande des obligations 27.
252
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Le capital étranger
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
n’est pas cette raison qui fait accourir les investisseurs étrangers. Il faut savoir en effet,
qu’une monnaie dévaluée réduit en même temps la valeur des profits que les actifs
(acquis pour cette raison) devaient en principe dégager. Il semble plus probable que la
dépréciation d’une monnaie accélère plutôt l’exécution de la décision d’investir dans
le pays en question. Cette décision était déjà prise et le nouveau contexte monétaire a
été l’occasion de vaincre les réticences qui demeuraient. Plus fondamentalement
encore, les investissements étrangers dans les grandes économies ont augmenté
régulièrement et, ce, quel que soit le taux de change en vigueur.
En fait, les investisseurs étrangers achètent des actifs à l’extérieur parce qu’ils
pensent qu’ils pourront en faire un meilleur usage, main-d’œuvre comprise, que leurs
détenteurs nationaux. Une firme étrangère ne s’installera dans un autre pays que si elle
peut y faire des profits, c’est-à-dire seulement si elle a un avantage sur les firmes
locales qui opèrent déjà sur place, cet avantage doit plus que compenser le coût
supplémentaire que représente pour la firme étrangère le fait de travailler loin de sa
base. L’expérience des voitures japonaises fabriquées aux Etats-Unis est l’une des
meilleures expériences qui corroborent cette conception. En effet, il a été établi que les
Américains travaillant dans des usines japonaises montent en moyenne une voiture en
19,5 heures : à peine plus que les 19,1 heures des ouvriers japonais, mais nettement
que les 26,5 heures des ouvriers américains travaillant dans les usines américaines.
Après qu’en 1984, Toyota a pris la direction de l’usine de General Motors à Fremont,
en Californie, la productivité a fait un bond de 50% par rapport à ce qu’elle était sous
la direction de General Motors. Même chose quand le japonais Bridgestone racheta les
usines américaines de pneus de Firestone. Entre 1989 et 1992, Bridgestone prévoyait
d’investir plus de un milliard de dollars dans ses usines américaines pour développer la
prochaine génération de pneus radiaux. L’ordre de grandeur est près de deux fois ce
que Firestone aurait pu investir si la firme était restée indépendante, déclarait John
Nevin, le président de Firestone au New York Times. Ce n’est pas pour rien donc que
les travailleurs américains, dans un même secteur industriel, reçoivent des firmes
appartenant à des étrangers des salaires plus élevés que ceux versés par les firmes
appartenant à des américains. Les japonais dépensent près de 1000 dollars de plus
pour former chaque travailleur américain que les employeurs américains du même
secteur industriel29.
Les inquiétudes les plus profondes et les mieux partagées que suscitent
l’acquisition de firmes nationales par des investisseurs étrangers concernent le risque
d’appropriation par ces derniers de technologies, dites sensibles. Ces technologies
peuvent être utilisées par des firmes étrangères pour renforcer leurs avantages
concurrentiels dans des secteurs stratégiques en éliminant les firmes concurrentes. Les
exemples ne manquent pas à ce sujet ; les plus citées sont ceux de la micro-
électronique, la TVHD (télévision à haute définition) ou les télécommunications où
l’on considère que les firmes japonaises occupent des positions dominantes grâce à des
technologies étrangères, le plus souvent américaines.
254
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Ces tractations sont donc vues comme des pertes de technologies nationales, dont
les conséquences seront chèrement payées plus tard. Là aussi, dans l’esprit des tenants
d’une économie mondiale globalisée, une telle conception est assimilée à un pensée
périmée. Et ils rappellent que le passage de la production de masse à la production
personnalisée n’est pas non plus sans rapport avec le problème de l’appropriation et du
contrôle étrangers et de l’inquiétude qu’ils doivent ou non inspirer. Comme nous
l’avons déjà noté, le pouvoir qui résulte de la propriété et du contrôle dans l’entreprise
de production de masse a substantiellement diminué dans l’entreprise de production
personnalisée. Dans la mesure où celle-ci est basée sur les capacités à résoudre les
problèmes les plus complexes, les revenus les plus élevés et la plus forte influence
appartiennent aux individus compétents du réseau plutôt qu’aux actionnaires ou aux
cadres occupant des positions formelles d’autorité. Les dirigeants peuvent bien sûr
jouer un rôle important en organisant le réseau mondial, mais les décisions les plus
déterminantes se prennent à des niveaux inférieurs, dans des nœuds plus décentralisés.
Aussi longtemps que ceux qui prennent en charge ce genre de décision (l’identification
et la résolution de problèmes) c’est-à-dire les travailleurs du savoir, sont originaires du
pays et y résident, il importe peu que ceux qui possèdent formellement et président
l’entreprise soient de nationalité étrangère.
Les transactions concernant l’acquisition de firmes étrangères activant dans le
domaine des technologies de pointe ne dérogent pas à ce principe. L’achat par des
étrangers de firmes nationales spécialisées dans la haute technologie ne signifie pas
que les connaissances technologiques nationales ont été achetées ou perdues. La valeur
première contenue dans ces technologies réside dans les compétences et la perspicacité
nécessaires pour les créer et les améliorer. Ces compétences et cette perspicacité
restent nationales et ne peuvent pas être appropriées ni par des moyens financiers
(acquisitions), encore moins par des moyens coercitifs. Elles dépendent de facteurs
spécifiquement nationaux comme le système éducatif, le régime socioculturel et
politique et les infrastructures scientifiques (universités,…) et technologiques
(laboratoires de recherche, pôles technologiques). Les actifs technologiques d’une
nation ne sont perdus que s’ils sont insuffisamment entretenus. De nombreux exemples
montrent que ça aurait été le cas si des étrangers n’étaient pas intervenus pour apporter
les financements nécessaires.
En 1988, le Congrès américain a voté une loi, The Omnibus Trade Act, qui
permet au gouvernement américain d’empêcher des investisseurs étrangers d’acquérir
une participation majoritaire dans une société américaine. Un comité sur
l’investissement étranger aux Etats-Unis, présidé par le secrétaire au trésor, et dont
font partie les chefs de huit agences fédérales, peut désormais décider qu’un achat
envisagé menace de « porter atteinte à la sécurité nationale ». Le Congrès venait ainsi
de rendre officiel ce qui n’était qu’une résistance informelle aux acquisitions de firmes
par les étrangers. Il a été influencé par les nombreuses commissions et groupes de
travail qui ont multiplié les mises en garde contre le poids croissant des firmes
étrangères (notamment les japonaises), dans des secteurs, où la technologie joue un
rôle crucial (en particulier la micro-électronique). L’exemple le plus illustratif est le
rapport du conseil national de sécurité d’avril 1987 qui mettait en garde contre la
dépendance croissante des forces armées américaines vis-à-vis des firmes japonaises.
Le même rapport se montrait très pessimiste sur l’avenir de l’économie américaine.
255
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Quand on se réfère aux thèses sur la globalisation telles que nous les avons vues
dans les sections précédentes, il est aisé de conclure qu’il s’agit là d’une vision
périmée et qui n’est pas sans créer des problèmes pour les pays qui mettent en œuvre
ce genre de mesures volontaristes. Il est utile de rappeler à ce sujet que, du point de
vue des auteurs qui soutiennent que la globalisation de l’économie n’a eu de cesse de
réduire l’influence de la nationalité des firmes, deux considérations doivent être
soulignées. D’une part, le niveau de vie des citoyens d’une nation dépend de leur
contribution à l’économie mondiale, de ce que valent leurs compétences et leur
perspicacité ; il dépend de moins en moins de ce qu’ils possèdent, c’est-à-dire des
profits que parviennent à réaliser les sociétés qui leur appartiennent ou celles pour
lesquelles ils travaillent. D’autre part, ceux qui savent identifier les problèmes, ceux
qui savent les résoudre et ceux qui réunissent les conditions pour que cela soit possible
accroissent leurs compétences par la pratique. Mises ensemble, ces deux idées
suggèrent une vérité élémentaire. Quand un groupe d’investisseurs étrangers conclut
des contrats avec des nationaux pour identifier et résoudre des problèmes complexes,
la firme qu’ils représentent est bien plus utile pour les nationaux du pays hôte qu’une
firme « nationale » qui conclut des contrats avec des étrangers pour faire les mêmes
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
choses. « Cette vérité a beau être élémentaire, elle n’a pas encore été perçue par les
décideurs politiques et le public américains. L’influence d’une vision périmée n’a
jamais été aussi évidente que lorsque des fonctionnaires de Washington ont décidé de
restreindre la possession par des étrangers d’actifs américains et de n’accorder les
largesses de l’Etat qu’aux firmes sur lesquelles flotte le drapeau américain »31.
Une telle conception était juste dans un système qui a fonctionné correctement
jusqu’aux années 1970. A l’époque, les firmes nationales s’identifiaient avec leurs
économies nationales respectives et leurs avancées technologiques pouvaient être
assimilées à des prouesses économiques nationales. Mais depuis le début des années
1980, cette identité a cessé d’être vérifiée.
Autre exemple illustrant cette évolution nous vient encore des Etats-Unis où
l’administration et le congrès américains, ont jugé, au début de 1988, qu’il était
inacceptable de laisser le Japon dominer seul l’industrie de la télévision à haute
définition. Ils décidèrent alors l’octroi d’une aide financière au profit des firmes
américaines qui voulaient développer cette technologie. Aux firmes étrangères qui ont
émis le vœu d’être associées à cet effort, les responsables américains indiquèrent que
les subventions étaient strictement réservées aux sociétés américaines. Pourtant,
comme nous l’avons vu, les firmes américaines se transformèrent rapidement en un
accord de partenariat entre plusieurs réseaux multinationaux. Elle mènent leurs
recherches, conçoivent et fabriquent certains de leurs produits technologiquement le
plus en pointe à l’étranger. Il en est de même pour les firmes étrangères aux Etats-
Unis. La différence entre les deux groupes tend, en conséquence, à s’estomper.
Finalement, les firmes de chaque pays n’incarnent que marginalement les
citoyens de leurs pays d’origine. Dans le cas précédent, il aurait été plus judicieux
d’inclure dans le programme du gouvernement américain, les milliers d’américains qui
étaient en train d’acquérir une précieuse expérience en matière de technologies liées à
la TVHD en travaillant pour des firmes étrangères comme le japonais Sony, le
néerlandais Philips ou le français Thompson. Cette conclusion est valable pour toutes
les industries de haute technologie : à la base de toute industrie de technologie avancée
figurera les compétences et l’expérience acquises par les citoyens du pays concerné,
quel que soit la firme pour laquelle ils travaillent, mais il est toutefois préférable qu’ils
y soient résidents.
Les problèmes que nous venons de soulever relèvent directement de la
problématique sur laquelle est basé ce travail. Ils sont très importants pour la
compréhension des parties qui restent à développer. En ce sens, nous avons cru utile de
reproduire les deux paragraphes suivants qui sont tirés du livre de R. Reich et qui
résument très bien les idées qui viennent d’être exposées. L’auteur affirme que : « les
décideurs politiques considèrent apparemment les technologies comme des choses –
que les citoyens de la nation possèdent au même titre que les mines d’or, les machines
et les autres biens réels. Aussi, soutenir nos technologies leur semble équivaloir à
augmenter les actifs américains ; peu leur importe l’endroit de la planète où ces firmes
conçoivent, fabriquent, vendent leurs produits récemment inventés ; peu leur importe
aussi avec qui elles passent des contrats pour la fourniture de ces services. Les
décideurs politiques n’ont pas réussi à comprendre que les vrais actifs technologiques
de la nation sont les capacités de leurs concitoyens à résoudre des problèmes
complexes dans l’avenir, et que ses capacités dépendent à leur tour de l’expérience
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produit entre ces deux dates, elles n’entreraient que pour 4% dans les créations
d’emplois attendues 33.
La montée du reengineering pourrait selon certaines sources faire disparaître, aux
Etats-Unis, 25 millions d’emplois dans un secteur privé qui en compte environ 90
millions. Le même phénomène commençait également à toucher l’Europe et le Japon.
« si les techniques les plus performantes étaient mises en œuvre partout où elles
trouvent un champ d’application, 9 millions d’emplois sur les 33 millions qui
subsistent en Allemagne, pourraient être supprimés sans dommage pour la
production »34.
La globalisation de l’économie mondiale, du fait qu’elle tend à accroître d’une
manière singulière la concurrence entre les travailleurs dans un marché en intégration
rapide, exige des compétences élevées et universellement appréciées. Pour ceux qui
n’ont que leur force de travail à offrir, elle ne réserve pas de perspectives
particulièrement réjouissantes : des rémunérations peu élevées au mieux, le chômage
et l’exclusion au pire 35 .
Si pour certains la fin du salariat dans sa forme la plus traditionnelle est une
libération pour les travailleurs, la quasi-totalité des observateurs la considèrent plutôt
comme une tragédie. Hannah Arrendt exprimait bien cette ambivalence : « C’est une
société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail et cette société ne sait
plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la
peine de gagner cette liberté […] ce que nous avons devant nous c’est la perspective
d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur
reste. On ne peut rien imaginer de pire »36.
Eviter le pire dont parle Hannah Arrendt nécessite une mutation notable des
valeurs collectives accompagnant le développement du temps libéré. Celui-ci doit être
ressenti comme un objectif et un instrument de libération de la personne. Mais cette
transformation n’est pas évidente et reste à l’état de balbutiements. Les
dysfonctionnements du marché du travail dans les pays capitalistes avancés constituent
l’un des plus grands défis du phénomène de globalisation aux Etats-Nation. La
restructuration des entreprises pour en faire une communauté de talents et de
compétences laisse sur le carreau des masses de travailleurs non qualifiés ou n’ayant
pu s’adapter à la nouvelle donne. Le chômage massif et la rupture dualiste sont les
résultats majeurs de cette évolution. C’est le plein emploi pour les uns, accompagné de
l’absence de travail pour les autres : « Il est intolérablement absurde – écrivent Y.
Besson et Ph. Guillaume – que certains hommes doivent travailler 39 heures par
semaine et 47 semaines par an, 37 ans dans la vie, alors que d’autres sont condamnés à
être privés d’emploi, privés de statut et de dignité, exclus de la communauté. Telle est
la situation qui, depuis près de trente ans, se développe dans les pays de l’O.C.D.E. : 6
millions de chômeurs en 1972, 30 millions en l’an 2001.
L’autre fait marquant est le glissement de la main-d’œuvre vers les secteurs à
faible productivité. Contrairement à ce qui se passait lors des mutations technologiques
antérieures, ce ne sont plus les secteurs de pointe qui créent de nouveaux emplois. Ce
sont au contraire les secteurs traditionnels, à faible productivité, dispensateurs de
revenus médiocres sous la forme précaire de contrats d’intérim, à durée déterminée ou
à temps partiel.
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Ainsi, les inhibitions ont disparu. Les salaires et les avantages des cadres
dirigeants des grandes entreprises mondiales ainsi que ceux des consultants et
conseillers auxquels elles font appel, ont beaucoup augmenté alors que ceux du reste
de la population ont stagné ou décliné.
Il n’est pas dans notre propos ici de souligner les effets régressifs de la
globalisation sur la répartition des revenus dans les sociétés qui sont concernées par ce
phénomène. Tout le monde sait, en effet, que l’inégalité croissante des revenus est un
phénomène qui ne date pas d’hier et qu’il est inhérent au système capitaliste. La plus
grande égalité dans la répartition des revenus qui a caractérisé une bonne partie du
second tiers de ce XXe siècle a été le résultat du compromis national conclu entre les
grandes entreprises industrielles et leurs travailleurs dans les grandes économies
occidentales. Elle a été aussi et surtout le résultat des politiques de redistribution des
revenus pratiqués par de nombreux Etats qui y mettaient toute leur influence.
Aujourd’hui encore, une partie non négligeable des revenus des personnes à bas
revenus (ou en chômage bien entendu) continue à transiter par le biais des canaux
gouvernementaux sous forme de transferts sociaux.
Il n’est donc pas étonnant que les Etats en question soient rendus responsables de
cette inégalité croissante entre riches et pauvres. Il est vrai que depuis la fin des années
1970, tous les pays occidentaux ont beaucoup baissé les taux d’imposition sur les
revenus des sociétés et des personnes. Ils ont donc moins d’argent à redistribuer aux
plus pauvres. Mais ce rôle de L’Etat n’explique pas tout ; il est un facteur parmi
d’autres à avoir causé l’élargissement du fossé entre riches et pauvres. Mêmes prises
en compte toutes ensembles, les explications conventionnelles de l’inégalité croissante
entre riches et pauvres n’apportent qu’une partie de la réponse. Il faut noter, en effet,
que plusieurs économies avancées ont connu le même changement de tendance qui les
a menées vers une plus grande inégalité, malgré une politique fiscale et sociale
différente des républicains américains et des conservateurs britanniques, et des
évolutions démographiques elles aussi différentes. En plus, le rôle “redistributif” de
l’Etat ne peut être examiné isolément ; et il doit être restitué dans le contexte
économique général qui caractérise l’économie mondiale depuis la crise des années
1970.
Ce qui nous intéresse maintenant, c’est de montrer que les enjeux de cette
inégalité croissante entre riches et pauvres sont nettement plus importants que la
réhabilitation de L’Etat dans son rôle de principal redistributeur des richesses
nationales entre ses citoyens. L’élargissement du fossé entre riches et pauvres cache en
effet des phénomènes beaucoup plus graves. Le mouvement de globalisation qui tend à
créer un marché mondial unifié du travail et à redistribuer les services de chacun en
fonction de sa contribution sur ce marché, c’est-à-dire de la demande adressée à ses
compétences, fragilise du coup les sentiments d’appartenance à la nation et les liens
d’allégeance envers L’Etat. Les prémices de cette séparation sociale et politique sont
plus visibles aux Etats-Unis et dans d’autres pays anglo-saxons. C’est vers cette
importante réalité que nous allons nous tourner dans la présente section.
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Ces deux exemples, parmi d’autres, montrent que plus d’argent n’est pas toute la
solution, mais il reste un élément indispensable dans toute politique visant à plus
d’égalité et de chances entre les citoyens d’un même pays. Si des dépenses
supplémentaires sont nécessaires, qui les paiera ? La question centrale est donc de
savoir jusqu’à quel point les citoyens privilégiés de chaque pays se trouvant dans une
situation semblable voudront supporter ces fardeaux. Aux Etats-Unis et d’une manière
générale dans les pays où les valeurs conservatrices sont profondément ancrées dans la
société, la réponse semble pour le moment négative. Les couches favorisées de la
population sont de l’avis général très réticentes à s’impliquer davantage dans l’effort
d’amélioration des chances de succès économique du reste de leurs concitoyens. Il y a,
nous dit R. Reich, quelque ironie à le constater : « alors que le reste de la nation est
plus dépendant que jamais du cinquième le plus favorisé, ce cinquième en est de moins
en moins dépendant. L’interdépendance économique que Tocqueville avait observée
dans l’Amérique du XIXe siècle se dissipe sans bruit. De manière croissante, le
cinquième privilégié vend son expertise sur le marché mondial, et se trouve en mesure
de maintenir et d’accroître son niveau de vie et celui de ses enfants, alors que celui des
autres américains décline. Son bien-être ne dépend plus exclusivement ou
principalement de la productivité des quatre autres cinquièmes de la population, de
leur pouvoir d’achat ou des contraintes de leurs salaires »41.
Pourtant, sans le soutien de cette couche favorisée, il sera sûrement impossible de
rassembler les ressources et la volonté politique nécessaires pour faire changer les
choses. Et l’on peut dire à cet égard que, en occident, cette volonté politique et ce
soutien doivent apparaître à travers deux canaux, essentiellement, le canal officiel
représenté par le budget de l’Etat, et le canal formel représenté par la solidarité
multiforme (politique financière, sociale,..) que doivent (ou non) manifester les plus
riches à l’endroit de leurs concitoyens moins favorisés.
En fait, ces deux canaux sont intérieurement liés l’un à l’autre. Un budget de
l’Etat qui tient compte de façon satisfaisante des besoins d’amélioration des conditions
de réussite économique des citoyens les moins favorisés (et de leurs enfants), ne fait
que refléter l’accord, et l’adhésion des couches les plus favorisées à ce projet et à ce
principe. Sans cela, les gouvernements les plus favorables à la cause des travailleurs,
n’ont que peut de chance de réussir. Le poids politique et économique (à travers les
plus grandes sociétés et groupe financiers) de la minorité riche et son autonomie vis-à-
vis du reste de la population lui donnent une sorte de droit de veto sur ce genre de
projets.
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Ces positions ont comme prémices la notion qu’un capital national distinct est
crucial pour la future richesse de la nation. Selon cette vue traditionnelle, le secteur
public ne fait que dépenser l’argent que le secteur privé, à force d’investir, a engendré.
Toute l’activité du secteur public est classée en dépenses, et non en investissements.
Conformément à cette vue, ces dépenses doivent être restreintes pour éviter qu’elle ne
provoque ce qu’on appelle , un effet d’éviction de l’investissement privé, ce qui
mettrait en danger la capacité de la nation à gagner ce qu’elle dépense.
A contre courant de cette orthodoxie financière, les théoriciens du phénomène de
globalisation, tel qu’il a été défini précédemment, soutiennent que ces exhortations
relèvent, là aussi, des usages d’une vision périmée. Le risque de voir se produire un
important effet d’éviction est devenu moindre par rapport à ce qu’il était dans le passé.
En effet, à l’époque où le capital se déplaçait moins librement qu’aujourd’hui à travers
les frontières, il était généralement vrai que son coût dans un pays dépendait du niveau
de l’épargne nationale. Des prélèvements fiscaux importants conjugués à un offre de
capital insuffisante faisait augmenter les taux d’intérêts à des seuils qui dissuaderaient
de nombreux investissements privés ; la croissance nationale se trouvant ainsi freinée.
Mais maintenant, les mouvements de moins en moins contrariés du capital dans
le monde entier ont distendu le lien entre le niveau de l’épargne nationale et le coût du
capital à l’intérieur d’un pays. Dans les dernières années de ce siècle, le coût du capital
tend à s’égaliser dans tous les pays de l’O.C.D.E. Dans cet ordre d’idées, cette
mobilité accrue du capital à l’échelle internationale est paradoxalement en train de
créer une relation nouvelle et croissante entre le montant et la nature des
investissements que le secteur public entreprend et la capacité de la nation à attirer le
capital mondial. Ce sont les compétences au sein de la population active d’une nation
et la qualité de ses infrastructures qui la distinguent des autres, et la rendent plus
attractive. C’est principalement par leurs investissements dans ces facteurs de
production relativement immobiles que les nations se différencient le unes des autres ;
à l’inverse, l’argent se déplace aisément dans toute la planète. Ceci signifie que les
coupes dans les dépenses publiques et les réductions d’impôts pour les riches ont peu
d’effet direct sur la quantité d’épargne nationale disponible pour la croissance
économique.
L’exemple finlandais
Ces idées et ces positions qui, dans le règne de l’orthodoxie financière actuelle,
peuvent être considérées comme une vue de l’esprit, sont pourtant corroborées par
plusieurs cas concrets. A titre d’exemple, en Finlande, Nokia, la première entreprise du
pays et le leader mondial du téléphone portable qui a obtenu des résultats records pour
l’année 1999 (19,7 milliards d’euros de CA en augmentation de 48% par rapport à
1988), bien que 85% de son capital soit d’origine étrangère, près de la moitié de ses 55
000 salariés résident en Finlande. Ce petit pays de 5,2 millions d’habitants ne
représente d’ailleurs que 4% du chiffre d’affaires de Nokia, alors même que les
finlandais ont le taux d’équipement en téléphones portables le plus élevé du monde (
plus de 63% et près d’un tiers de la population utilise Internet).
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Ce succès n’est pas seulement celui de Nokia ; c’est celui de toute la Finlande.
D’ailleurs, les Finlandais, pour rire, rebaptisent leur pays Nokialand tant Nokia,
première capitalisation boursière européenne, tire toute l’économie ; 30% de la
croissance, et un quart du total de l’impôt sur le bénéfice récolté dans le pays sont dus
à Nokia. Au-delà de l’exemple typique de Nokia, c’est l’évolution économique de tout
le pays durant la dernière décennie qui illustre ce principe du rôle fondamental de
l’Etat en vue de favoriser et de consolider la reconversion de l’économie en une
économie de savoir en augmentant les investissements publics dans l’éducation, la
santé, la recherche, les infrastructures scientifiques, etc.
Ainsi, à la fin des années 1980, après des années de spéculation effrénée, une
crise immobilière et bancaire sans précédent frappa la Finlande. Au même moment
l’effondrement de l’U.R.S.S. prive les pays d’importants débouchés – prés de 25% des
exportations de la Finlande partaient en effet pour l’Union soviétique. De 1991 à 1993,
la Finlande traverse la plus profonde récession qu’ait connu un pays industrialisé
depuis la fin de la guerre. Le PIB chute de 10% et le taux de chômage passe de 3,3%
en 1990 à 18% en 1994.
C’est à ce moment difficile et crucial que le pays a choisi d’opérer sa
reconversion économique aux industries et services de haute technologie. Il a, pour ce
faire, fortement intensifié son effort de recherche et développement. Les dépenses en
R&D ont été multipliées par deux en moins de dix ans et financées pour une bonne
part par les privatisations. Ce qui place aujourd’hui la Finlande en tête des pays de
l’O.C.D.E. pour la part du PIB consacrée à la recherche (3%) « cet effort est une des
clés du redressement rapide de l’économie finlandaise », souligne Jacques Mer,
économiste spécialiste de la région. Un des signes les plus spectaculaires de ce
redressement est l’accroissement rapide du rôle des activités de haute technologie au
détriment de celles liées aux matières premières et des industries traditionnelles.
Jusqu’aux années 1990, l’économie finlandaise reposait en effet sur l’industrie
forestière (bois, papier) et sur l’industrie des métaux et de la mécanique. Aujourd’hui,
alors que le secteur de haute technologie de l’électronique représente près du tiers des
exportations, l’économie du pays est assise sur trois piliers d’égale importance.
A cet égard, il est utile de rappeler que la Finlande connaît un des taux
d’imposition sur le revenu les plus élevés au monde après la Suède et le Danemark ;
elle impose en revanche peu les entreprises sur leurs bénéfices comparée aux autres
pays de l’Union : 29% à partir de l’année 2000 43.
D’un point de vue analytique, les défenseurs de ces idées inédites en matière de
politique fiscale ne peuvent trouver meilleur allié dans le soutien à ces positions que le
FMI. Dans son bulletin du 11 Avril 1994, cette institution expliquait en effet que l’idée
qu’une forte progressivité de l’impôt découragerait l’offre de travail n’est étayée
d’« aucune preuve concluante » : de 1985 à 1991, les taux marginaux d’imposition du
revenu ont partout baissé (de 61% à 44% en moyenne dans 14 membres de
l’O.C.D.E.) « sans que les allégements consentis aient renforcé de manière
significative l’incitation à l’investissement ou à la discipline fiscale »44. Ce qui est vrai
du rapport entre investissement et impôt l’est aussi de celui entre travail et salaire. Les
réductions successives des charges de l’entreprise n’ont pas débouché sur les créations
d’emplois promises.
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Ainsi, faute d’avoir compris que les mutations technologiques réduisent sans
cesse le besoin de main-d’œuvre dans les entreprises traditionnelles, certains
gouvernements leur proposent de recruter des travailleurs en échange de l’octroi
d’importantes subventions publiques. Ils gaspillent ainsi, sans résultats, des ressources
qui auraient pu être affectées plus profitablement à des secteurs comme l’éducation, la
santé, etc.
Pratiquement plus personne ne soutient en effet la thèse selon laquelle la
croissance, même de 3% ou plus, permettrait de résorber de façon significative et
durable le chômage massif qui ébranle les grandes économies occidentales. La
mutation technologique et informationnelle est passée par là, engendrant, si elle n’est
pas maîtrisée socialement, une croissance non seulement sans emplois, mais
massivement destructive d’emplois.
Lorsque des emplois sont crées en nombre important, ils sont le plus souvent, à
durée déterminée, précaires et faiblement rémunérés. Les emplois plus stables de la
production courante sont localisés pour la grande majorité d’entre eux dans des pays
où les salaires sont dix à vingt fois moins élevés. Aux Etats-Unis, le quart de la
population active est composée de travailleurs temporaires ou à temps partiel, payés
20% à 30% de moins par heure que leurs homologues à plein temps, et non couverts
par l’assurance vieillesse ou l’assurance maladie. Dans le même temps, les profits des
sociétés augmentaient de 92% au cours des années 1980, les dividendes étaient
multipliés par quatre, et les cadres dirigeants s’attribuaient des rémunérations très
élevées : 61% des bénéfices en 1987 contre 22% en 1953 45.
Pour revenir à notre idée de départ, à savoir que l’argent mondial sera attiré par
une population active bien formée pour accomplir des tâches complexes, et des
infrastructures adéquates, et que cette attraction peut mettre en route un cercle
vertueux, il faut se rappeler que pour les pays qui négligent ces domaines, la relation
risque d’être inverse. Un cercle vicieux peut s’enclencher dans lequel l’investissement
international ne pourra être attiré que par des salaires et des impôts relativement
faibles. Le maintien de ces avantages rend à son tour difficile pour la nation le
financement d’une formation et des infrastructures adéquates ; les emplois qui en
résultent apportent peu ou pas d’expérience et de formation pertinentes pour des
emplois plus complexes dans l’avenir, et ainsi de suite. Plus tard, c’est le capital privé
national lui-même qui, faute de conditions d’investissements assez satisfaisantes sera
conduit à aller les rechercher de plus en plus à l’étranger.
Ainsi, sous le titre « Quand les bas salaires nuisent à la compétitivité », Jonathan
Michie écrit à propos des effets des politiques des conservateurs britanniques en
matière d’emploi et de fiscalité, que les patrons payant mal leurs salariés dirigent en
général des entreprises inefficaces qui requièrent un travail au rabais pour compenser
les effets d’une direction et d’un encadrement médiocres, ou d’un équipement
obsolète. On voit ici qu’une politique de bas salaires, en même temps qu’elle érode les
conditions sociales d’un pays, réduit la disposition de ses habitants à se former aux
nouveaux métiers (déqualification du travail). Dans ces conditions, les stages et
formations mis au point pour répondre aux problèmes du chômage et de l’insuffisance
de qualification ne peuvent atteindre de bons résultats. De toute façon, orienter la
formation ou des chômeurs qu’on va préparer à des emplois mal payés dans des
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mondiale ont, comme le dit Krugman lui-même, une fâcheuse propension à dénoncer
une entreprise diabolique derrière toute politique keynésienne, tout effort délibéré
d’un Etat pour stimuler la demande.
Pour revenir à notre idée de départ, nous devons dire que la puissance
économique et financière des grandes sociétés et des riches qu’elles représentent,
ajoutée à l’inorganisation, l’inactivité et le scepticisme politique des plus pauvres fait
que les hommes politiques ont tendance à détourner leur attention des plus pauvres et à
la consacrer de plus en plus aux plus riches. En d’autres termes, sans le soutien de
cette minorité de nantis, toute la bonne volonté des gouvernements les plus favorables
aux causes des couches les moins favorisés de la population ne suffira pas à apporter
une amélioration significative des chances de succès économique de ces dernières. Les
gouvernements ne font que traduire en réalité la disponibilité des riches travailleurs du
savoir à venir en aide au reste de leurs concitoyens. Ainsi, lorsque Margaret Thatcher
disait que les pauvres ne méritent aucune considération particulière dans la mesure où
ils coûtent déjà plus cher à la collectivité qu’ils ne lui rapportent, elle exprimait, sans
doute, plus l’opinion prévalant à l’époque parmi les riches conservateurs que la sienne.
Les gouvernements ne peuvent donc résister indéfiniment à la détermination des
minorités riches dans leurs « visées séparatistes » vis-à-vis du reste de la population.
En matière de compromis budgétaire, par exemple, du fait que les capitaux sont plus
mobiles que jamais, ils sont confrontés à une concurrence fiscale de moins en moins
masquée. L’échec des gouvernements européens sur un compromis ayant trait à une
harmonisation fiscale sur l’épargne va aggraver le problème de l’exode fiscal dont
souffre des pays comme la France et les pays scandinaves au profit de pays comme
l’Irlande, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne. La logique de la compétition joue aussi
pour les investissements, comme l’a prouvé l’établissement récent aux Pays-Bas – où
l’administration fiscale sait se montrer particulièrement conciliante – des sièges des
grandes sociétés issues de méga fusions européennes, tel le géant de l’aéronautique
EADS, né de la fusion d’aérospatiale-Matra, British aerospace, Daimler-Benz et Casa.
Plus grave encore, la concurrence joue désormais pour les salariés hautement
qualifiés. En Suède, par exemple, où en 1999, les prélèvements obligatoires ont atteint
53,2% (la moyenne de l’Union européenne étant de 43,4%), les patrons des entreprises
de haute technologie s’alarment en effet de la fuite des jeunes diplômés suédois
surtaxés 48.
Tous ces exemples expriment une même réalité à travers les pays. Les riches et
les travailleurs du savoir les plus doués dans les économies avancées se séparent du
reste de la nation. Ils sont en train de faire sécession par rapport à des couches
nombreuses et diverses de la population. Dans la plupart des cas, cette sécession n’est
pas déclarée, elle se déroule dans le calme et survient de façon subtile et imperceptible.
Elle prend de nombreuses formes mais elle s’appuie sur la même réalité économique
qui est en train d’émerger. Ceux qui se séparent de la nation ne dépendent plus,
comme par le passé, des performances économiques du reste de leurs concitoyens. Le
fait que dans certains pays cette séparation prenne l’allure de revendications politiques
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
montre qu’un certain degré de calcul rationnel, plutôt qu’un simple égarement, sous-
tend ce désengagement par rapport au reste de la population. En Italie, la sécession du
Nord, riche et développé par rapport au Sud – plutôt rural et plus pauvre – constitue la
base de la plate-forme politique d’un parti politique légal (la ligue du Nord). En
Allemagne, il est bien connu que de très nombreux allemands (de l’Ouest) supportent
de plus en plus mal de continuer à payer des impôts élevés pour payer le prix de
l’unification de leurs pays 49. Cette sécession se manifeste selon différents schémas. Et
c’est toujours aux Etats-Unis que ces formes de séparation sont les plus visibles. Les
travailleurs du savoir au sommet peuvent, de plus en plus, travailler, résider, vivre
leurs loisirs sans être en contact direct avec les autres catégories sociales moins
privilégiées. La ségrégation croissante des américains (mais aussi des autres peuples)
selon le revenu s’est conjuguée au transfert de la charge du financement de services
publics du gouvernement fédéral vers les Etats et les collectivités locales pour
accroître les inégalités dans l’accès aux services. De manière croissante, l’endroit de
résidence détermine la qualité des services publics auxquels on a droit. L’inégalité
dans les services publics n’est nulle part plus apparente que dans l’enseignement
public. Les écoles des quartiers où il y a une forte concentration de travailleurs du
savoir dispensent aux enfants de ces derniers une éducation bien meilleure que celle
des autres quartiers de la ville. Elles offrent plus de chances de terminer les études
secondaires et d’avoir accès aux universités les plus sélectives du pays.
Lorsque les travailleurs du savoir les plus compétents resserrent davantage leurs
liens avec l’économie mondiale et se retirent dans des enclaves résidentielles où ils
n’ont que très peu de rapports avec le reste de la population en consacrant l’essentiel
de leurs dépenses à leur propre bien-être, on est en droit de se demander, dès lors, ce
que signifie les notions de communauté et de nation. Au sens économique, la nation
peut-être comprise comme une communauté nationale partageant, librement et
consciemment sacrifices et intérêts. C’est le principe de « l’intérêt individuel bien
compris », selon lequel les citoyens d’une nation sont prêts à faire des sacrifices en
faveur du bien-être général, non par altruisme ou par patriotisme, mais en raison des
bénéfices ultérieurs que l’action collective va leur procurer. Quels que soient les
sacrifices imposés, ils bénéficieront finalement à ceux qui les supportent.
Jusqu’au début des années 1970, les grandes économies nationales continuaient
encore à illustrer ce principe, dirigeants et investisseurs du monde des affaires,
syndicats, et collectivités représentée par le gouvernement consentaient certaines
restrictions dans l’immédiat en faveur de gains plus élevés pour tous un peu plus tard.
Dans ces conditions, la loyauté géographique, qu’elle s‘adresse à la ville, la région où
la nation, s’accordait plus naturellement à l’intérêt économique individuel et les
réseaux d’interdépendance économique qui en résultent font naître les habitudes de la
citoyenneté.
Mais à mesure que les frontières des villes, des régions et même des nations ne
limitent plus des domaines d’interdépendance économique, le principe de l’intérêt
individuel bien compris, devient moins contraignant. Les pays sont devenus des
régions de l’économie mondiale ; leurs citoyens, la population active d’un marché
mondial. Dans ces conditions, les sacrifices et les restrictions économiques à
l’intérieur des frontières d’une nation ont moins de chance de revenir à leur point de
départ. La question est de savoir de quoi les citoyens d’un pays sont-ils redevables, les
275
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
uns envers les autres, en tant que membres d’une même société, mais qui ne vivent pas
dans la même économie ? En d’autres termes, quel est le degré de fermeté du lien
social et politique quand le lien économique se relâche?
La réponse à cette question dépend en bonne partie de ceux dont l’allégeance
nationale est mise à l’épreuve par l’attraction de l’économie mondiale. C’est à eux que
revient en effet d’instaurer un équilibre entre leurs liens sociaux communautaires, et
leurs liens économiques cosmopolites. Pour cela, ils doivent se considérer comme des
citoyens autant que des acteurs économiques.
En ce sens, il n’est pas facile de se prononcer, pour chaque pays, sur le
comportement des élites concernées vis-à-vis des autres catégories sociales qui perdent
du terrain dans la nouvelle économie mondiale. Ce comportement change d’un pays à
l’autre et d’une période à l’autre en fonction de facteurs multiples et parfois
contradictoires. Mais il est vrai aussi, qu’au Japon et dans certains pays européens,
comme la Suède, l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse (qui forment ce que certains
appellent le capitalisme Rhénan par opposition au capitalisme anglo-saxon), ce
problème de relâchement des solidarités communautaires se pose avec moins de
gravité qu’aux Etats-Unis, par exemple. Cette différence nous semble liée, en gros, à la
plus grande homogénéité raciale et culturelle de ces pays par rapport à l’Amérique. En
Europe, hormis le problème du contrôle des flux des nouveaux immigrants, les
citoyens de chaque pays, se considèrent appartenir à la même communauté. En
Amérique, beaucoup de personnes se considèrent appartenir à la communauté blanche,
noire ou hispanique avant d’être des citoyens américains. L’évolution divergente de la
démographie et des revenus, dans ce pays, n’a fait que compliquer le problème. Les
noirs et les hispaniques sont en effet de plus en plus nombreux et de plus en plus
pauvres. Ainsi, le problème économique vient se greffer sur le problème de la
discrimination raciale. En Europe, le problème ne se pose pas d’une façon aussi
complexe.
Le cas des Etats-Unis mérite qu’on s’y attarde un peu plus. Tout le monde connaît en
effet, le rôle crucial qu’a eu dans l’histoire de ce pays, l’immigration. La population
américaine s’est constituée, au fil des trois derniers siècles, de vagues successives d’émigrés
venus des quatre coins de la planète. Aucune autre nation que l’Amérique ne clame aussi haut
sa fierté d’avoir été le creuset d’autant de races venues des horizons les plus divers et
appartenant à toutes les religions du monde. Au-delà de sa signification littéraire stricte, le
terme bien célèbre de «melting pot » désigne aux yeux de tous ceux qui ont un minimum de
connaissances de l’histoire américaine, la richesse et la diversité de l’apport civilisationnel des
immigrés qui ont choisi comme patrie ce pays. Ce métissage racial et ce long processus
d’intégration sociale des nouveaux venus, est maintenant interrompu. La plupart des émigrés
des dernières générations vivent maintenant isolément dans des communautés fermées sur
elles-mêmes. Certains de leurs enfants, des années après leur installation définitive en
Amérique, ne s’expriment pas encore en anglais. Les processus d’intégration et d’ascension
sociales requièrent désormais des compétences techniques et des qualifications
professionnelles que seule une petite minorité des nouveaux arrivants possède. L’Amérique
ne constitue plus l’Eldorado d’antan qui faisait miroiter aux citoyens du reste du monde tous
les espoirs de richesse et de réussite.
276
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
L’apartheid américain
L’exclusion qui frappe la communauté noire est plus grave encore. En dépit de
plusieurs décennies de luttes en faveur des droits civiques, les noirs continuent d’être
des victimes d’une intense ségrégation. Pour les nombreux auteurs qui soutiennent
l’existence d’un apartheid américain (sic), Cette situation est le produit de politiques
conscientes, nationales et municipales, décidées par la société blanche pour contrôler
la composition raciale de la population urbaine 50.
Ainsi, dans la plupart des villes américaines, et surtout dans celles du nord-est et
du Midwest, la majorité des noirs vivent dans des quartiers où plus de 80%, et souvent
près de 100% des résidents sont eux aussi noirs. La pénurie de transports publics,
conforte cette situation, cet univers social fermé sur lui-même. Cette minorité raciale,
dépourvue à la fois de qualifications professionnelles et d’un travail légitime, son
isolement géographique se double d’une exclusion économique qui risque de se
révéler irréversible. Une reprise économique devient alors peu susceptible d’atteindre
les ghettos ; et lorsque le taux de pauvreté s’élève, la misère supplémentaire se
concentre presque automatiquement sur quelques quartiers sinistrés, souvent
exclusivement noirs, proches entre eux et isolés des zones de résidence plus prospères.
La transformation du langage découle, elle aussi, du caractère prononcé de cette
exclusion avant de contribuer à la durcir. Car le discours des noirs du ghetto (black
english) s’éloigne de plus en plus de l’anglais traditionnel parlé par les blancs.
Désormais, les deux langues possèdent des règles de grammaire, des prononciations et,
surtout, des vocabulaires distincts. Cette fragmentation linguistique, qui symbolise la
rupture de la communication entre les races, alourdit le handicap des noirs en quête de
promotion sociale. L’anglais classique est non seulement la condition d’une bonne
éducation, mais aussi celle d’un travail ouvrant sur une promotion et de meilleurs
rémunérations.
Le choc entre deux formes de discours n’est qu’un des symptômes d’une
opposition plus profonde entre deux identités culturelles, l’une blanche, l’autre noire,
toutes deux issues de la ségrégation résidentielle. Car comme pour répondre à son
existence épouvante, à ce cumul d’un apartheid et d’une pauvreté en plein essor, une
partie de la population urbaine noire a développé un code de comportement de plus en
plus distinct de celui du reste de la société. Puisque les blancs parlent l’anglais
classique, réussissent à l’école, travaillent dur, se marient et élèvent leurs enfants, être
noir obligera à parler la langue des ghettos, à être un élève médiocre, à refuser emploi
légal et mariage, et à s’accommoder de familles éclatées ou monoparentales. Même si
ces comportements constituent une réaction aux conditions économiques et sociales du
ghetto, elles ne sont ni acceptées ni comprises par ceux qui résident ailleurs. Elles
contribuent à creuser le gouffre entre les deux Amériques. Lorsque le chômage, la
dépendance, la criminalité, la drogue et les familles monoparentales prolifèrent dans
des enclaves isolées, ils obligent ainsi leurs résidents à une stratégie de survie qui peut
déboucher sur la glorification de comportements asociaux. Comme les conditions
d’existence des habitants du ghetto ne leur permettent pas, de toute façon, de se
conformer aux valeurs de l’Amérique profonde, et vu qu’ils sont convaincus que,
malgré leurs efforts, ils ne seront jamais vraiment acceptés par la société blanche,
277
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
pourquoi au juste perdraient-ils leur temps à essayer de se plier aux règles qu’elle
édicte ?
La pauvreté des ghettos et le désespoir qui y règne ont donc enclenché la
dynamique socio-psychologique qui fabrique une culture de la ségrégation. Quand il se
généralise, ce nihilisme rend encore plus problématique l’intégration des noirs dans
l’économie de l’information et du savoir qui est en train d’émerger. En concentrant les
pauvres dans des zones radicalement homogènes, la ségrégation a ainsi construit les
enclaves dans lesquelles les comportements destructeurs prolifèrent. Et elle a garanti le
contexte structurel qui perpétue la culture de suspicion et de haine qui oppose les noirs
et les blancs. La généralisation de cette culture limite le nombre des familles
susceptibles de quitter le ghetto. La crainte de se voir reprocher d’«agir blanc » (act
white), de « déserter », de « sympathiser avec l’ennemi » complique la démarche –
déjà fort aléatoire – des noirs désireux de s’intégrer aux institutions économiques et
sociales du pays. Ceux que ce type de reproches dissuade, se condamnent à une
existence de pauvreté et de désespoir ; et qui se transmettra à la génération suivante.
Les noirs d’Amérique forment donc le gros des troupes laissées dans le sillage de
la sécession des riches travailleurs du savoir. Mais pour certains, l’exclusion raciale
n’est pas le motif premier de la séparation, ni sa conséquence nécessaire. Les blancs
disposant de faibles revenus sont exclus de la même façon ; les travailleurs du savoir
noirs bénéficiant de hauts revenus sont souvent les bienvenus. La ségrégation est,
soutient-on, économique plutôt que raciale (bien que, aux Etats-Unis, la ségrégation
due à des motifs économiques ait fréquemment pour conséquence de facto une
ségrégation raciale).
Ce n’est pas par hasard que nous avons insisté sur le cas de la société américaine.
Celui-ci illustre, à notre avis, une problématique d’ordre général, et valable pour un
nombre croissant de pays. En effet, au-delà de savoir lequel des facteurs raciaux ou
économiques a le plus joué dans la fragmentation de la société américaine et la
désintégration de son identité culturelle, l’idée est de montrer que le fossé grandissant
qui, lié au phénomène de globalisation, sépare, dans tous les domaines, riches et
pauvres marque le développement de deux tendances apparemment contradictoires : la
première concerne surtout les riches et tous les travailleurs du savoir que les réseaux
mondiaux s’attachent les services. Cette tendance est liée à la mondialisation des
échanges, à la prise de conscience que nous ne formons qu’ une seule terre dont les
ressources sont rares et l’écosystème fragile, à la montée des interdépendances, à l’ère
de l’information et de la communication globale, à l’avènement de l’économie
planétaire et à l’uniformisation des comportements. La seconde concerne en particulier
ceux qu’on pourrait qualifier de laissés pour compte de la globalisation économique.
Elle est liée à la montée des revendications identitaires, à la désintégration de l’Etat
sous l’effet d’un repli de chacun sur ses traditions, sa religion, sa tribu, les unes
s’opposant aux autres aux travers de conflits de plus en plus nombreux. Les acteurs de
ce repli sur soi sont « des cultures et non des pays ; des composantes et non pas des
ensembles ; des sectes et non des religions, des factions rebelles et des minorités
dissidentes, en guerre non seulement contre la mondialisation mais contre l’Etat-
Nation classique »51.
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
ensemble construit dont la réalité change avec l’histoire et dans les différentes
cultures.
Ces évolutions ne signifient pas la fin des Etats ; elles n’effacent pas les terroirs
ni la sacralisation de la terre et de son histoire, à l’heure où précisément la quête
identitaire reprend toute sa vigueur. Elle sanctionne le déclin d’un ordre sur lequel
reposaient pourtant la plupart des grands équilibres internationaux. L’ordre mondial
actuel est en train de dépasser sa forme ancienne et cherche la voie d’une
recomposition qui passe peut-être par le développement des régionalismes comme en
Europe, par la multiplication des réseaux ou par une importance plus grande donnée
aux individus. En ce sens, la plupart des études retiennent deux scénarios tout à fait
opposés pour l’avenir : soit un ethnicisme ou un nationalisme exacerbé, soit une
société mondiale ouverte.
Pour B. Badie par exemple, la fin des médiations territoriales peut annoncer aussi
l’avènement d’une mondialisation manquée et ne conduire directement ni à
l’émancipation de l’individu ni à la construction d’une société mondiale. A ses yeux,
atteindre ces deux objectifs suppose que « la dimension universaliste dont était porteur
le principe de territorialité soit réinvestie ailleurs, que le respect de l’autre ( d’ou le
sous-titre de son ouvrage) devienne une valeur transnationale, à un moment où aucune
institution n’a les moyens de l’imposer par la contrainte »52.
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
a besoin que tous les autres soient économiquement forts et prospères. Chaque région
de la triade dépend des deux autres comme marchés pour ses produits et fournisseurs,
ainsi que comme lieu d’investissement.
Il semble bien que le nationalisme à somme nulle traduit, en premier lieu, les
points de vues des travailleurs routiniers et des aides personnels, qui insistent pour que
les gouvernements mettent en avant leurs intérêts économiques, même aux dépens
d’autres intérêts dans le monde. A l’inverse, les travailleurs du savoir les plus
compétents, ceux qui ont le plus à gagner de l’existence et du développement d’une
économie mondiale ouverte, sont plutôt susceptibles de développer une attitude de
cosmopolitisme indifférent. Cette attitude risque de faire d’eux des citoyens du monde
n’éprouvant et ne reconnaissant aucune des obligations que la citoyenneté implique
normalement. Partager avec d’autres le simple fait d’être des humains risque bien de
s’avérer insuffisant pour inspirer de grands sacrifices. Le sens de la justice et de la
générosité n’est pas inné. Son apprentissage a de nombreuses racines, mais
l’appartenance à une communauté politique est l’une des plus déterminantes. Sans
véritable communauté politique dans laquelle on puisse apprendre, affiner et pratiquer
les idéaux de justice et de loyauté, ces idéaux apparaîtront peut-être comme des
abstractions sans signification.
Entre ces deux voies dommageables, de nombreux auteurs souhaitent voir
émerger une troisième possibilité supérieure aux deux premières, celle d’un
nationalisme économique positif. Cette position n’est pas celle du cosmopolitisme
indifférent, parce qu’elle repose sur un sens de l’objectif national, d’un lieu historique
et culturel à l’origine d’un projet politique national commun. Elle cherche à
encourager le développement des nouvelles formations au sein de la nation, pour
faciliter la réinsertion professionnelle pour la main- d’œuvre issue des secteurs
industriels en déclin, pour éduquer et entraîner la future population active de la nation
pour améliorer les infrastructures et les conditions de vie de la nation. Toutes ces
actions ne se font naturellement, pas au détriment des autres pays. C’est ce que
résumait George Santayana dans The Life of Reason : « Il est juste de préférer notre
pays à tous les autres, parce que nous sommes des enfants et des citoyens avant de
pouvoir être des voyageurs et des philosophes ».
Ce n’est pas non plus la position du nationalisme à somme nulle : le but premier
est d’accroître le bien-être de la nation à laquelle l’on appartient, mais sans dommage
pour celui d’une autre. Il n’y a pas un montant fixé de profit mondial à répartir ou un
marché limité à se partager. Ce qui compte ici, c’est d’accroître les potentialités et les
connaissances des hommes ; et, dans ce domaine l’expansion est potentiellement
illimitée. Le capital humain à l’inverse du capital physique ou financier, n’a pas de
limites inhérentes.
Comme nous l’avons déjà noté, ceux qui ne sont pas impliqués dans le
mouvement de globalisation et ne font que subir ses conséquences dommageables pour
leurs intérêts adoptent le nationalisme à somme nulle. Ils sont plus vulnérables face à
la concurrence mondiale et considèrent qu’ils ont beaucoup à perdre et pas grand
chose à gagner d’une approche qui cherche à accroître la richesse mondiale, ceux-ci
forment le gros des troupes de ceux qui mènent, ce qu’il convient bien d’appeler une
campagne anti-mondialisation. L’on a qu’à se rappeler les violentes émeutes qui ont eu
pour théâtre la ville américaine de Seattle en décembre 1999 en vue d’empêcher la
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
ils encourront alors le risque de se les voir imposer par des politiques
interventionnistes gouvernementales. Les chefs d’entreprise doivent profiter de la
période actuelle, marquée par une nette reprise des créations d’emploi et une
croissance économique appréciable, plus propice à ce genre de changements.
La « conversion » de Stephen Roach n’est pas un cas isolé. Chaque semaine, un
nouveau livre vient nourrir la controverse sur le mal de vivre des salariés (appelés les
travailleurs pauvres) sur les managers les plus « brutaux » ou les méfaits du
désinvestissement. Un courant qui cohabite pourtant avec la vague d’optimisme que
suscitent la puissance et la créativité retrouvées des Etats-Unis. « Le turbo capitalisme
augmente la richesse nationale, mais déstabilise la société », constate Edward
Luttwork, qui dit redouter de vivre dans un pays « moitié Palm Beach, Moitié
Burundi »53.
Autre exemple de cette tendance au retour d’une meilleure prise en charge des
questions sociales, un sondage récent publié par le libéral The Economist indiquait
qu’une majorité de britanniques souhaitaient une hausse des dépenses publiques,
même si cela impliquait une augmentation de leurs impôts. Un message clairement
reçu par le premier ministre, qui devrait, à la veille des élections prévues d’ici à mai
2002 au plus tard, injecter de l’argent public dans les systèmes de santé et de
l’éducation, mal en point 54.
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SECTION II
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
«l’entreprise en réseau », entretenant des liens lâches avec une constellation de sous-
traitants ou de partenaires dans le cadre de projets ponctuels ; avec elle, apparaît un
nouveau type de manager, une sorte d’ « homme-réseau », capable de coordonner des
équipes à distance et, tel un commutateur, de mettre en contact des personnes les unes
avec les autres, est une image peu conforme à la réalité 56.
En réalité, il n’est pas facile de trancher cette question en faveur de l’un ou de
l’autre de ces deux points de vue. Ceux qui soutiennent l’émergence de l’entreprise-
réseau en tant qu’entreprise d’un type nouveau s’appuient plutôt sur un travail de
synthèse fondé sur un grand nombre d’entrevues avec des centaines de cadres et
d’employés d’une multitude de firmes et d’organismes. On peut leur reprocher de
n’avoir pas pu instaurer l’équilibre nécessaire entre le travail analytique et le travail de
synthèse ou empirique, mais, malgré cela, nous pensons que, au fond, ils n’en
montrent pas moins une certaine image de la nouvelle réalité économique. Il est par
ailleurs difficile d’admettre que les profondes transformations économiques survenues
à tous les plans (et que personne ne dément l’existence), ces trois décennies puissent
avoir lieu sans qu’elles aient comme origine les mutations structurelles opérées par les
firmes et les changements du mode de fonctionnement de ces dernières. L’histoire du
capitalisme montre en effet que les firmes ont toujours été le premier et le plus
déterminant des acteurs de transformation des trois grands éléments de tout processus
économique que sont la production, la répartition et l’accumulation.
A cet effet, peut-on parler de changements profonds au niveau des structures des
firmes, leur mode de fonctionnement et leurs objectifs mais qui ne coïncident pas avec
l’image d’une « firme en réseau » telle que nous l’avons déjà décrite. Si c’est le cas,
force est de constater cependant que ceux qui défendent une vision sceptique
concernant la réalité du phénomène de globalisation n’avancent pas d’arguments pour
étayer cette hypothèse.
Il se peut bien que l’image d’une firme en réseau, n’ayant que peu d’attaches,
avec son pays d’origine soit quelque peu imprécise ou exagérée, mais nous sommes
convaincus qu’elle n’est pas loin de refléter les contours et les principaux traits de la
nouvelle configuration d’un nombre croissant de firmes et de grands groupes. Elle
reflète aussi de ce fait, une part de plus en plus importante de la nouvelle réalité de
l’économie mondiale qui est en train de s’imposer. La lecture des articles de journaux
et de la presse économique spécialisée et la vision de documentaires télévisés sur le
monde des affaires nous conforte chaque jour davantage dans cette conviction.
L’objectif de cette seconde section est donc de faire la lumière sur les travaux qui
tentent d’accréditer la thèse selon laquelle le processus de globalisation ( pour ceux qui
reconnaissent l’existence de ce mouvement) ne pourra pas effacer le cadre économique
national et la régulation économique et sociale qui s’y attachent. Les théories et les
points de vue qui défendent cette position sont nombreux, variés et difficiles à cerner.
Pour mettre un peu d’ordre dans cet ensemble d’écrits, il convient de pouvoir les
rattacher à un travail théorique fédérateur qui puisse être présenté comme la base
commune à tous ces points de vue. Nous pensons que les travaux de Michel Beaud
peuvent bien permettre d’atteindre cet objectif 57 .
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Dans Capitalisme contre capitalisme, Michel Albert s’est essayé à une typologie
des variétés de capitalisme. Il y oppose en particulier un capitalisme néo-américain à
ses yeux inefficace mais triomphant, à un capitalisme rhénan plus performant mais qui
fait moins école 60.
Le débat initié par M. Albert oppose donc deux modèles de capitalisme ; le
modèle anglo-américain fondé sur la réussite individuelle, le profit financier à court
terme, et leur médiatisation ; le modèle rhénan, qui se pratique en Allemagne, en
Suisse, dans le Bénélux et en Europe du Nord, mais aussi avec des variantes au Japon.
Il valorise la réussite collective, le consensus, le souci de long terme. Mais le modèle
rhénan a contre lui, sur presque tous les plans, d’aller à contre-courant, c’est-à-dire de
ne pas imiter le modèle américain qui, malgré ses échecs, ses dettes, ses faiblesses
industrielles et ses inégalités, demeure une véritable star médiatique. « Le moins bon
chasse le meilleur un peu partout, comme, selon la vieille loi de Gresham, la mauvaise
monnaie chasse la bonne. Le moins performant triomphe peu à peu de son rival qui est
pourtant plus efficace »61.
Dans ses travaux sur l’économie mondiale dans les années 1980, M. Beaud
suggère que celle-ci est régie par les rapports de force et d’hégémonie entre grands
capitalismes nationaux ; il en identifie d’ailleurs trois : les capitalismes américain,
allemand et japonais. Tous les indicateurs constitutifs du tableau de bord de
l’économie mondiale (part dans le commerce mondial, flux d’IDE, nombre de grands
FMN originaires de ces pays et leaders de leurs secteurs respectifs, parts respectifs du
dollar, mark et yen dans les réserves monétaires mondiales, etc) reflètent en effet le
poids économique de chacune de ces nations. La place et la prépondérance de chaque
capitalisme dominant dans l’économie mondiale et fonction de l’ampleur de son PNB
national. M. Beaud indique donc que la place et la force d’un pays dans l’économie
mondiale s’appuie avant tout sur les avantages concurrentiels de son économie
domestique.
291
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
concurrentiel procèdent aussi bien d’efforts prolongés et de progrès pas à pas que
d’avancées spectaculaires.
Comme nous l’avons déjà noté, Schumpeter proclamait voici quelques décennies
que la concurrence est un phénomène profondément dynamique en soi. L’état naturel
de la compétition économique n’est pas l’équilibre mais la transformation permanente.
Améliorer, innover dans une industrie sont des attitudes qui appellent naturellement la
continuité : l’innovation « définitive » est inconcevable. Les avantages détenus
aujourd’hui seront demain périmés ou réduits à néant. L’innovation et le changement
requérant des investissements soutenus en capitaux et ressources humaines, il nous
faut expliquer comment un pays crée-t-il l’environnement qui permettra à ses
entreprises d’innover plus vite que les concurrents étrangers dans une branche
particulière ?
La fonction d’incitation à l’amélioration de la compétitivité et à l’innovation que
le pays d’origine a auprès des entreprises s’impose comme facteur essentiel dans toute
explication de l’avantage national au sein de telle ou telle industrie. Pour le moment il
nous faut définir les déterminants de l’avantage concurrentiel national selon M.
Porter. Pour ce dernier, dans chaque pays, l’environnement de l’entreprise se révèle
plus ou moins favorable à l’éclosion d’avantages concurrentiels selon quatre grands
paramètres :
A-Les facteurs
Toute nation possède (en quantités et en qualité très inégalement réparties, il est
vrai) ce que les économistes appellent des facteurs de production, qui ne sont rien
d’autre que les éléments nécessaires à toute industrie : main-d’œuvre, terre arable,
ressources naturelles, capital et infrastructure.
Dans son étude, M. Porter opère une classification hiérarchique des facteurs. La
première distinction sépare facteurs élémentaires – ressources naturelles, climat,
situation géographique, main-d’œuvre non qualifiée et moyennement qualifiée,
financement à long et moyen termes – et facteurs complexes – infrastructure de
communication et d’échange de données numériques, personnel hautement qualifié et
instituts universitaires de recherche dans toutes les disciplines de pointe.
Les facteurs élémentaires n’ont cessé de perdre en importance en devenant de
moins en moins indispensables, de plus en plus disponibles et facilement accessibles
sur les marchés internationaux, quelle que soit leur situation géographique. Pour les
mêmes raisons, ils sont de moins en moins rémunérés qu’auparavant. Les facteurs
293
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
élémentaires jouent sans doute un rôle dans les redistributions au sein même des
organisations, dans la mesure où ils conduisent les entreprises à implanter des activités
ici ou là pour bénéficier de ressources moins coûteuses. Mais il n’explique pas
pourquoi tel pays devient le pays d’origine de telle ou telle industrie.
Aujourd’hui, ce sont les facteurs complexes qui sont à la base de l’avantage
concurrentiel. Aucun avantage d’ordre supérieur ne peut-être obtenu en leur absence.
Ces facteurs sont plus rares, parce qu’ils exigent un effort d’investissement en
équipements et en formation important et prolongé dans le temps. M. Porter considère
par ailleurs que la rareté des facteurs complexes est également observable dans les
industries globales, et l’utilisation des filiales étrangères reste un moyen limité à cet
égard. Pour lui, les facteurs complexes sont organiquement liés à la conception et au
développement des produits et des processus de production de l’entreprise, ainsi qu’à
son aptitude à innover. Cette attitude s’épanouira surtout dans le pays d’origine, tout
en s’inscrivant étroitement dans le cadre de la stratégie globale de l’entreprise.
La seconde catégorie de distinctions entre les facteurs concerne leur spécificité
d’emploi. On y trouve d’une part les facteurs non spécialisés : un réseau routier, un
marché financier, une population active suffisamment instruite et industrieuse, etc. Ces
facteurs sont susceptibles d’être utilisés par nombre d’industries différentes. Par
facteurs spécialisés on désignera d’autres part les individus possédant des
compétences spécifiques, les infrastructures particulières, les connaissances dans des
domaines précis et tous les autres facteurs ne concernant qu’un nombre limité
d’industries voire une seule.
Quant à l’acquisition d’avantages concurrentiels, les facteurs spécialisés sont des
atouts plus déterminants et plus durables que les facteurs non spécialisés. Les activités
qui dépendent de ces derniers peuvent souvent être effectuées ailleurs que dans le pays
d’origine de l’entreprise. En revanche les facteurs spécialisés requièrent des
investissements privés et publics plus spécifiques et plus audacieux. Nécessaires au
niveau des activités principales d’une organisation et au niveau de ses activités les plus
complexes, les facteurs spécialisés conditionnent l’innovation. Ils doivent être
disponibles dans le pays d’origine et seront moins productifs ailleurs. En outre, les
facteurs spécialisés (tout comme les facteurs complexes) sont relativement moins
disponibles pour les entreprises étrangères.
Il est évident donc, sur la base de ces définitions, que lorsque un pays dispose,
pour une industrie donnée, à la fois des facteurs complexes et des facteurs spécialisés
nécessaires, l’avantage concurrentiel national susceptible de lui échoir sera le plus
marquant et le plus durable. La disponibilité et la qualité de ces deux types de facteurs
déterminent directement le degré de sophistication de l’avantage concurrentiel national
et sa perfectibilité potentielle. A l’inverse, l’avantage concurrentiel fondé sur le
binôme facteurs élémentaires / facteurs non-spécialisés ne sera jamais très élaboré et
demeurera souvent éphémère.
Deux remarques sont à relever. Premièrement, dans la plupart des secteurs, et
particulièrement dans les secteurs aujourd’hui essentiels à la croissance de la
productivité dans les économies avancées, les facteurs déterminants de l’avantage
concurrentiel ne sont pas « hérités » mais bien crées ; ils le sont au terme de processus
qui diffèrent considérablement selon les nations et les industries. De la sorte, quelle
que soit la période considérée, ce n’est pas tant le réservoir de facteurs disponibles qui
294
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
importe mais le rythme auquel ils sont crées, valorisés et spécifiquement adaptés à
telle ou telle industrie. Paradoxe surprenant, on observe qu’une abondance de facteurs
peut jouer au détriment et non en faveur de l’acquisition d’avantages concurrentiels.
En revanche, certains handicaps factoriels, en influençant les stratégies et les
innovations, contribuent souvent à asseoir une réussite sur le plan concurrentiel. Cette
caractéristique explique d’ailleurs le problème de marginalisation qui guète un grand
nombre de peuples de l’Hémisphère Sud du fait du fossé croissant qui les sépare des
nations prospères du Nord. Elle fait craindre aussi que ce phénomène ne soit désormais
irréversible.
Deuxièmement, le niveau général des composantes d’un avantage complexe ne
cessant de s’élever, qu’il s’agisse des compétences, des avancées de la science ou de la
technique, il ne suffit plus d’investir pour traduire des ressources en avantage
concurrentiel ; il faut sans cesse réinvestir pour améliorer la qualité de ces ressources,
et cela va sans dire, il faut veiller à ce que les facteurs disponibles ne se déprécient pas
– le niveau de compétence des ressources humaines et celui des connaissances sont
peut-être les deux types de facteurs les plus déterminants pour la valorisation d’un
avantage concurrentiel. Or, ce sont aussi des éléments hautement sujets à dépréciation,
et on peut presque en dire autant de l’infrastructure.
B- La demande
295
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
considérable sur la capacité des entreprises à appréhender et interpréter les besoins des
consommateurs »58. Une première relève de l’attention. Ce sont les besoins du
voisinage immédiat qui sont les plus faciles à percevoir. Cependant, l’importance du
marché intérieur va bien au-delà de cette attention. Le marché intérieur est celui où les
entreprises vont le mieux appréhender, comprendre et satisfaire les besoins de la
clientèle, et où elles vont pouvoir agir en confiance. Comprendre les besoins exige que
l’on ait accès à la clientèle, qu’il s’instaure une communication réelle (la proximité et
l’identité culturelle étant les meilleurs facteurs de communication) entre celle-ci et les
responsables techniques et stratégiques des firmes. La tâche n’est déjà pas facile avec
la clientèle domestique ; elle devient plus sensible à accomplir envers la clientèle
étrangère, à cause de la distance qui la sépare du siège. Et même dans l’hypothèse où
une filiale est capable de se ménager un accès suffisant au marché pour appréhender
pleinement les besoins locaux et leur évolution, encore faut-il qu’elle parvienne à faire
accepter son analyse par le siège. En général, quand il y a disparités de besoins entre
marché étranger et marché domestique, ce sont les signaux émis par ce dernier qui
prédominent. Dans sa conception, un produit reflète pratiquement toujours la demande
domestique.
Le fait que certains besoins soient exprimés par la clientèle domestique avant de
l’être par les clientèles étrangères est source davantage pour les entreprises locales. En
l’occurrence, la demande domestique anticipe des besoins appelés à se généraliser.
Cette anticipation est importante non seulement pour le développement de produits
nouveaux, mais aussi parce qu’elle stimule un perfectionnement constant des produits
existants et la capacité d’être présent sur des segments émergents. Une clientèle
sophistiquée est fréquemment prompte à adopter des biens ou des services nouveaux,
se comportant ainsi en précurseur de la demande internationale future.
296
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Sous réserve qu’elle soit sophistiquée et qu’elle ait un effet d’anticipation des
besoins internationaux, la demande intérieure peut conforter un avantage concurrentiel
national au travers de son volume et de son mode de croissance. Les travaux
consacrés à la compétitivité internationale ont fait la part belle au volume de la
demande intérieure, quoiqu’il y ait finalement peu d’accord sur la causalité ni sur les
raisonnements exposés. Pour chacun , un marché domestique étendu est un atout parce
qu’il procure des économies d’échelle. D’autres y voient une faiblesse arguant du fait
qu’une demande locale limitée oblige à exporter, démarche essentielle au niveau de
l’avantage concurrentiel dans les industries dites globales. Dans ce sens, on cite
souvent les exemples de la Suisse, la Suède, la Corée et même le Japon.
5-Saturation précoce
297
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
concurrence domestique, oblige à rogner les coûts et élimine les entreprises les plus
faibles. Souvent, elle incite aussi l’industrie nationale à fournir de vigoureux efforts de
pénétration des marchés étrangers afin de maintenir sa croissance (L’exemple de
l’électronique grand public au Japon où le consommateur local guette avidement le
dernier cri de la technologie tandis que, au même instant, la clientèle étrangère
commence à peine à découvrir la génération précédente, déjà périmée au Japon).
Cependant, il faut garder à l’esprit que ce décalage dans le temps entre saturation de la
demande domestique et celle de la demande étrangère n’excède pas les quelques
semaines ou quelques mois ; sinon on retomberait dans la théorie du cycle de vie de
Vernon. Pour expliquer l’avance des Etats-Unis dans un si grand nombre de produits
de haute technologie, Vernon affirme qu’une demande intérieure précoce a poussé les
firmes américaines à développer les premières de nouveaux produits. Les entreprises
américaines exportaient pendant la phase finale de développement technologique, puis
implantaient leur production à l’étranger à mesure que croissait la demande étrangère.
Finalement, des firmes étrangères pénétraient le secteur concerné grâce aux transferts
technologiques, et c’était elles qui exportaient vers les Etats-Unis, ainsi que les filiales
étrangères des firmes américaines.
Vernon l’a lui-même reconnu, les Etats-Unis ne s’accaparent plus le marché des
produits de haute technologie, mais aussi, du fait de la croissance exponentielle des
coûts de R&D, les firmes innovantes doivent lancer leurs nouveaux produits
simultanément sur tous les grands marchés mondiaux pour pouvoir couvrir ces coûts.
Il est clair que les diverses conditions de la demande intérieure se renforcent
mutuellement et n’ont pas toutes la même importance aux divers stades d’évolution
d’une industrie. Certains aspects de la demande seront plus importants dans
l’établissement d’un avantage concurrentiel, d’autres jouent plus dans sa préservation
et sa consolidation.
Dans sa théorie sur ce qui fait l’avantage concurrentiel d’une nation, M. Porter
considère que le troisième grand déterminant de cet avantage est l’existence dans le
pays d’industries amont ou d’industries apparentées compétitives sur le plan
international. A l’exemple des constructeurs japonais de machines outils qui ont fait
prospérer, à l’échelle mondiale, nombre de fournisseurs d’unités de contrôle
numérique, de moteurs et d’autres composants.
298
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
plus que tardivement, et qu’ils n’auront pas les mêmes perspectives de développement
parallèle ou de fructueux échanges que s’ils s’étaient trouvés dans un voisinage
immédiat. Les fournisseurs étrangers ne sont pas stimulants pour l’industrie nationale
considérée, dans la mesure où ils ne suscitent que rarement de nouveaux entrants
locaux, ajoute M.Porter. Pour ce dernier, c’est quand ses fournisseurs sont eux-mêmes
compétitifs sur le plan global qu’une industrie nationale est dans la position la plus
favorable. C’est à cette condition qu’elle sera à même de procurer à ses clients
domestiques la manne technologique qui leur est nécessaire.
299
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
L’idée est que le cadre national affecte la manière dont les entreprises vont être
gérées et dont elles joueront la concurrence. Bien qu’on n’observe jamais une réelle
uniformité, le contexte national crée des tendances assez marquées pour être aisément
identifiables. L’avantage concurrentiel national apparaît dans les industries où les
pratiques de management et les pratiques organisationnelles induites par le cadre
national conviennent bien aux sources d’avantage concurrentiel spécifiques de
l’industrie considérée.
A maints égards, le cadre national exerce une influence sur la façon dont sont
menées et organisées les entreprises. Parmi les éléments spécifiques d’une culture
nationale, les plus importants sont : l’attitude à l’égard de l’autorité, les habitudes de
communication entre les personnes, l’attitude des salariés face à la hiérarchie et vice
versa, les normes de comportement des individus et des groupes et les pratiques
professionnelles. Ces éléments sont le résultat du système éducatif, de l’histoire
sociale et religieuse, des structures familiales et d’une multitude d’autres facteurs aussi
difficilement saisissables que propres au pays considéré. Par exemple, l’Italie est un
pays où les liens familiaux demeurent forts et où même aujourd’hui, les gens préfèrent
rester dans leur région natale. Cela explique la petite taille et la propriété familiale qui
sont les traits dominants des entreprises italiennes.
b-Objectifs
Comme nous l’avons déjà noté en faisant référence au livre de Michel Albert, il
existe au plan des objectifs poursuivis par les entreprises comme au plan des
motivations qui animent les dirigeants et leurs salariés, des différences extrêmement
marquées d’un pays à l’autre, mais aussi à l’intérieur de chaque pays. Comme Michel
Albert, mais d’une manière plus nuancée et moins exclusive, M. Porter pense aussi que
les succès d’une nation surviennent dans les industries où les objectifs des firmes et les
motivations des hommes coïncident avec les sources d’avantage concurrentiel.
300
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
l’orientation des investissements. Les plus values à long terme sont exonérées
d’impôts, ce qui incite encore plus à la conservation des titres, et les équipes
dirigeantes ne se soucient pas outre mesure de l’évolution du cours des actions. Les
règles comptables permettent aux entreprises de constituer des réserves substantielles,
se procurant ainsi un matelas de sécurité en prévision de temps difficiles. Les taux de
profit attendus par les actionnaires restent modestes. Ces caractéristiques expliquent
pourquoi en Allemagne, dans des industries parvenues à maturité, qui demandent un
effort soutenu d’investissements dans la recherche et la création de nouvelles
capacités, les entreprises obtiennent les meilleurs résultats, même si la rentabilité
moyenne de l’industrie est peu élevée.
Le déclin relatif des firmes américaines similaires, d’une part, et le fait que les
Etats-Unis soient dans une situation diamétralement opposée, d’autre part, plaide en
faveur de ces hypothèses. Par ailleurs l’existence aux Etats-Unis d’un marché de
capital-risque public et semi-public bien plus développé que dans la plupart des autres
pays rendant plus facile de financer des entreprises nouvelles ou en forte croissance
(start up), surtout s’il s’agit d’industries de technologies avancées est un exemple
supplémentaire illustratif du rôle joué par les facteurs cités plus haut. La
« compétitivité retrouvée » des Etats-Unis dans les industries de pointe doit beaucoup
à ce genre d’entreprises. Dans ce type d’industries, une entreprises pourra afficher des
pertes pendant plusieurs années et pourtant, ces industries ont drainé des milliards de
dollars d’épargne publique.
En généralisant, l’on pourrait dire que, en Allemagne et en Suisse, les conditions
nationales jouent en faveur des industries qui ne requièrent qu’une modeste mise de
fonds initiale mais qui, en se développant, exigent ensuite un effort d’investissement et
de réinvestissement intense et durable. Le cadre américain se prête bien aux créations
d’entreprises dans les industries nouvelles, consommatrices de capital-risque ; il est
propice aux industries où les incitations visant à maximiser la rentabilité annuelle des
entreprises sont compatibles avec la nature des avantages concurrentiels, en raison des
investissements nécessaires.
301
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
M. Porter affirme que l’un des constats les plus frappants de son étude est
l’existence d’un lien entre l’intensité de la rivalité domestique et la création ou la
persistance d’un avantage concurrentiel dans une industrie donnée. Par la même
occasion, l’auteur rejette l’idée selon laquelle la concurrence domestique constitue un
gâchis parce qu’elle conduit à d’inutiles répétitions des efforts et empêche les
entreprises de se procurer des économies d’échelle. La meilleure solution consiste,
croit-on, à aider au maximum une ou deux entreprises – qui deviennent alors des
porte-drapeaux de l’économie nationale – suffisamment grandes et puissantes pour
affronter la concurrence étrangère. D’après l’auteur, d’autres avancent l’idée, voisine
de la précédente, selon laquelle la rivalité domestique n’a pas d’importance dans les
industries globales.
Pour Porter, de nombreux exemples, non seulement pour les industries
fragmentées mais aussi pour les industries à économies d’échelle importantes, réfutent
l’idée, pour lui simpliste, selon laquelle il suffirait qu’une ou deux entreprises fassent
le plein des économies d’échelle sur le marché domestique pour que l’industrie
nationale accède à un leadership mondial. D’après les résultats de ses enquêtes, il
existe peu d’entreprises championnes au niveau national ou d’entreprises ayant une
position de monopole sur leur marché domestique qui fussent compétitives au plan
international.
Le plus intéressant dans ce débat est que M. Porter soutient que les effets de la
concurrence domestique deviennent supérieurs à ceux de la concurrence internationale
à partir du moment où l’on cherche des composantes essentielles de l’avantage
concurrentiel dans le progrès et l’innovation et non pas dans l’efficacité statique. En
l’occurrence, la concurrence entre les firmes d’un même pays prend des formes
différentes de celles que se livrent les entreprises de ce pays avec des concurrents
étrangers, et représente un plus grand intérêt pour le pays. La proximité des
concurrents domestiques fait que les incitations réciproques à progresser sont plus
fortes. Non seulement la rivalité domestique oblige les entreprises à innover, elle
impose aussi que cette innovation enrichisse les avantages concurrentiels de
l’industrie nationale. La concurrence nationale annule les avantages dus à la simple
localisation géographique – avantage par certains coûts, facilité d’accès au marché ou
302
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
disponibilité de certains facteurs (que les concurrents étrangers eux, doivent importer).
Les industries nationales vont donc devoir chercher des avantages concurrentiels plus
élaborés.
Ces quatre grands paramètres déterminant l’éclosion d’avantages concurrentiels
en faveur des firmes et des industries nationales créent ensemble un système
dynamique, interdépendant et interactif. M. Porter appelle ce système «losange ».
L’effet d’un déterminant est, en général, fonction de l’état des autres. La préservation
d’avantages concurrentiels durables dans une industrie résulte de l’effet de
consolidation réciproque des avantages acquis dans divers domaines, créant un
environnement difficile à reproduire par la concurrence étrangère. Le système national
est autant sinon plus important que ses composantes. Pour l’auteur, deux éléments
contribuent plus particulièrement à la transformation du losange en système : la
concurrence domestique et la concentration géographique de l’industrie. La première
concourt à l’enrichissement du losange national dans son ensemble, la seconde
amplifie la portée des interactions au sein du losange.
Le résultat de ce schéma est que les industries concurrentielles ne se répartissent
pas de façon homogène dans l’ensemble de l’économie mais se regroupent dans ce que
Porter appelle des grappes d’industries, liées entre elles de différentes façons. Par
exemple en Italie, 40% des exportations sont le fait de grappes d’industries liées à
l’alimentation, à la mode où à l’équipement de la maison.
Stratégie, structure
et rivalité
des entreprises
Facteurs Demande
Industries amont
et apparentées
Le message que véhicule le livre de M. Porter est que le passage d’un siècle à un
autre dont nous sommes les témoins actuellement, verra émerger les entreprises et les
pays qui auront su intégrer et mettre en œuvre quelques principes de base simples, à
savoir :
303
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
- Les entreprises s’affrontent dans des industries, pas dans des nations ;
- Un avantage concurrentiel se construit sur une différence par sur une similarité ;
- Un avantage est souvent concentré géographiquement ;
- Un avantage se construit sur le long terme.
Cette conception est très éloignée de celle d’un Robert Reich dont la façon de
voir les choses est diamétralement opposée à celle de M. Porter. L’ancien Ministre du
travail américain considère que « le professeur Michael Porter fonde une grande partie
de son argumentation à propos de l’avantage compétitif des nations sur l’hypothèse
que la nation est l’endroit où une firme a ses racines est aussi celui « où le cœur de la
production et de la technologie est crée et entretenu » et ainsi « où ses emplois les plus
productifs sont localisés » et « les compétences les plus avancées sont façonnées ».
Pour R. Reich, « l’hypothèse de Porter aurait été juste jusqu’à la fin des années
soixante-dix, mais les données les plus récentes suggèrent qu’elle ne l’est plus
aujourd’hui »64. Parmi ces données, R. Reich cite une étude de John Cantwell qui
suggère que, en général, les firmes multinationales ne concentrent pas leur recherche-
développement dans leur pays d’origine 65.
Cette opposition entre ces deux auteurs, est due, on s’en doute bien, à la façon
avec laquelle chacun appréhende le processus de globalisation. Celle de Robert Reich,
nous l’avons déjà vue, procède d’une analyse systématique des mutations intervenues
au niveau des firmes et de leurs retombées sur les économie nationales et l’économie
mondiale toute entière. Ce processus est si puissant et si répandu qu’il imprègne de sa
logique tout le système économique mondial, si bien que l’idée de raisonner en termes
d’économie nationale (et de nationalité économique) devient « caduque ». Même s’il
ne s’agit pas d’une rupture épistémologique à proprement parler, les profondes
mutations que véhicule le mouvement de globalisation ressemblent, en ce qui concerne
la façon d’appréhender la nouvelle réalité économique, à la révolution copernicienne
qui a complètement transformé l’astronomie. Copernic élabora en effet une nouvelle
304
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
305
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
306
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Dans une économie de ce type, les entités dominantes restent les économies
nationales, malgré le développement des échanges commerciaux et des
investissements étrangers. Ces processus ne font qu’accroître l’implication de plus en
plus de nations et d’acteurs économiques dans les relations économiques
internationales. Il en découle que les relations commerciales tendent à prendre la
forme de spécialisation nationale à travers une division internationale du travail plus
prononcée. L’importance du commerce extérieur est cependant progressivement
remplacée par le rôle central de l’investissement étranger qui agit comme principe
organisateur du système. L’interdépendance croissante entre les nations n’implique
néanmoins pas la fin d’une séparation relative entre les sphères domestique et
internationale notamment en matière de possibilité de conduite des affaires
économiques, et aussi en termes d’effets économiques de l’une sur l’autre. Les
activités internationales ne rétroagissent pas directement ou nécessairement sur
l’économie domestique, et leurs effets sont neutralisés à travers les politiques
nationales. Les domaines de politique économique domestique et internationale se
distinguent également l’une de l’autre en tant que base d’action ; sinon, elles
fonctionnent de manière automatique. Dans ce cas-là, les ajustements ne font pas
l’objet de règlements de la part des autorités publiques, mais sont la conséquence des
forces autonomes du marché. L’exemple le plus classique de ce mécanisme
d’ajustement automatique reste le système de l’étalon-or qui a marqué le système
monétaire international jusqu’en 1914 (seuls les prix et les salaires changeaient de
307
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
valeur à travers les politiques de dépenses publiques et de taux d’intérêt ; la valeur des
monnaies restant inchangée du fait que celles-ci étaient fixées par rapport à l’or).
Ces indications montrent combien il est erroné de croire que les transformations
actuelles dans l’économie internationale sont sans précédent et qu’elles sont
inévitables ou irréversibles. A titre d’exemple, le système prévalant durant la période
antérieure à 1914 est considéré comme étant authentiquement international, équipé
d’un réseau de communication à longue distance efficace et de moyens de transport de
type industriel. Ce point mérite quelques éclaircissements du fait du rôle primordial de
ces éléments dans les changements économiques contemporains.
Certains observateurs assurent en effet que la révolution des nouvelles
technologies de l’information et de la communication ont développé plutôt que crée un
système commercial mondial de cotation journalière. Dans la seconde moitié du XIXe
siècle, les câbles télégraphiques intercontinentaux avaient déjà réalisé l’intégration des
marchés mondiaux. Ces auteurs font remarquer que la différence entre une économie
mondiale dans laquelle les biens et l’information étaient acheminés à la voile et celle
dans laquelle ils circulaient au moyen de la vapeur et de l’électricité et d’ordre
qualitatif. La différence entre cette dernière et une économie où existent le transport
aérien et le réseau Internet et, par comparaison, purement quantitative. Hirst et
Thompson disent que « si les théoriciens de la globalisation veulent dire que nous
avons une économie dans laquelle chaque partie du monde est reliée aux marchés par
un système d’information fonctionnant en temps réel ; alors, ceci a commencé non pas
dans les années 1970 mais dans les années 1870 »69.
308
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
309
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
L’argument en question
Le point commun entre ses différents travaux est que la façon de voir les choses
diffère sensiblement selon la période d’observation considérée. En effet, pour les
économistes, les analyses rétrospectives portent rarement sur plus de deux ou trois
décennies : à cet horizon nul doute que l’économie internationale ait enregistré des
transformations considérables. Cependant, le diagnostic est bien différent si l’on prend
compte, le temps long du capitalisme. Pour R. Boyer, « les années quatre-vingt-dix
sont nouvelles par rapport aux années soixante, mais nombre des caractéristiques
contemporaines ont déjà été observées, par exemple à la veille de la première guerre
mondiale »70
En dépit du fait que le concept moderne d’investissement direct n’ait été
développé que depuis le début des années soixante (en même temps que fut introduit le
terme de FMN), il est généralement admis que les multinationales manufacturières ont
fait leur apparition dans l’économie mondiale depuis la moitié du XIXe siècle et
qu’elles étaient bien établies à la veille de la Première Guerre Mondiale.
310
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
En ce qui concerne les données relatives aux flux des IDE, il faut préciser que
celles-ci ont toujours été considérées comme problématique. Le fait que ce genre de
statistiques existe ne signifie nécessairement pas qu’elles soient totalement fiables. Ce
n’est que depuis 1970 que des données annuelles comparables sont disponibles.
Certains économistes n’ont pas manqué pour autant d’avancer certaines estimations
concernant l’importance de l’IDE au début de ce siècle. Ainsi, d’après une étude
réalisée par H. Dunning, il ressort que, en 1914, et en prix actualisés, le stock d’IDE
aurait atteint un total de 14 milliards de dollars dans les économies occidentales
développées. A l’époque cela représentait environ 14% du PNB de ces pays réunis.
Comme le montre le tableau suivant, ce pourcentage était encore supérieur à celui de
1985. Au début des années 1990, ils étaient à peu près identiques, surtout si l’on se
réfère aux hypothèses les moins élevées pour l’année 1914. Selon toute probabilité,
pour tous les pays occidentaux, les niveaux de 1913 pouvaient difficilement être
dépassés, si jamais ils l’ont été.
Par ailleurs, le Japon, un pays de récente industrialisation, avait un pourcentage
très bas en 1960 et qui était supérieur à celui de 1913 où à n’importe quel niveau
durant toute autre année d’avant 1960. Les pays d’Europe Occidentale qui avaient un
taux deux fois supérieur à celui du Japon en 1993 (15,2% contre 6,3%), avaient
probablement un taux plus élevé quatre-vingt ans plus tôt.
Pays Europe
Années Occidentaux Etats-Unis Occidentale Japon
développés
1950 -- 4,2 -- --
1960 7,1 6,2 10,4 1,1
1971 6.6 8.1 6.4 1.9
1980 6.6 8.1 6.4 1.9
1985 7.7 6.2 10.3 3.3
1990 9.8 7.8 12.1 6.9
6.3
1993 11.4 8.2 15.2
Note : Paul Bairoch, in States against Market, p. 189.
311
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
commerce pris son essor et progressa au rythme de 9% par an jusqu’en 1973. Entre
1973 et la moitié des années 1980, son taux de croissance est retombé au même niveau
que celui de la fin du XIXe siècle, se développant au rythme de 3,6%.
La question clé qui se pose est de savoir si l’intégration du système économique
international a beaucoup progressé depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Peut-
on en effet comparer différentes périodes de temps en termes de degré d’ouverture et
d’intégration, surtout si l’on sait qu’il y a de considérables activités économiques
internationales depuis les années 1950 ?
Une des manières pour répondre à cette interrogation est de comparer les ratios
du commerce extérieur et de la production globale. Le tableau III.2. montre que, à part
les différences considérables entre pays, le trait saisissant est que la part des échanges
de marchandises dans le PIB des principaux pays industrialisés étaient plus élevée en
1913 qu’elle ne l’était en 1973, (à l’exception de l’Allemagne où elle était à peu près
égale) voire 1994 pour certains pays comme le Japon, la France et le Royaume-Uni.
Source : Maddison, A. « Growth and Fluctuations in The World Economy Journal and Economic Literature,
June 1987, cité dans Hirst, op. cit, p.113.
Source : Tomlinson, J. (1988). “ Can the Governments Run the Economy”. Cité dans P. Hirst et G. Thompson,
op. cit, p.115.
312
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Pour nombre d’auteurs, les deux idées qui semblent sous-tendre le concept de
globalisation sont celle du caractère implacable du processus et celle d’intégration
complète. En théorie, dans une économie globalement intégrée, les prix des biens, des
services, du travail et du capital tendent à se niveler dans le monde entier, les seules
différences se justifiant par des critères de qualité. Dans un tel contexte, un Etat serait
peu à même d’imposer une fiscalité plus lourde ou une réglementation plus coûteuse
que dans d’autres pays.
C’est l’intégration de la sphère financière qui capte l’essentiel des attentions. Il
convient de signaler d’abord que l’intégration des marchés financiers est difficile à
mesurer tant théoriquement qu’empiriquement. L’analyse économique dans ce
domaine est dominée par la théorie dite du « marché (international) efficient du
capital ». Cette théorie postule que les marchés de capitaux opèrent de manière
compétitive pour que l’allocation (internationale) des épargnes et de ces capitaux se
fasse de façon à égaliser les retours sur investissement. Les principaux indicateurs de
cette intégration sont les taux d’intérêt entre pays et la valeur des mêmes parts de
stocks d’action sur les marchés domestique et international. Plus ces indicateurs sont
proches de l’égalité entre différents marchés financiers nationaux, plus haut est le
degré d’intégration de l’économie mondiale. Sur un marché financier totalement
intégré, il n’y aurait qu’un seul taux d’intérêt international sur les prêts à court et à
long terme.
313
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Pour les « globalization skeptics » nous sommes loin d’en être là ; même sur les
marchés des investissements de portefeuille, où l’harmonisation des règles bancaires et
la levée des contrôles de changes est allée le plus loin, la convergence des taux
d’intérêt réels semble inférieure à ce qu’elle était sous l’ancien régime de l’étalon or.
Cette situation pourrait s’expliquer par l’incertitude qui affecte, en régime de taux de
change flottants, le cours en monnaie nationale des portefeuilles de titres libellés en
devises étrangères. Les taux d’intérêt réels ont davantage de chances de converger
lorsque les taux de change sont fixés de manière crédible, comme c’était le cas sous le
système de l’étalon or.
Une des controverses les plus importantes de ce débat sur l’intégration
économique internationale concerne la relation entre épargne et investissement. Le
fond du débat peut être résumé ainsi : plus les marchés financiers sont intégrés, plus le
capital devient internationalement mobile, et plus sera grande la probabilité que
l’épargne domestique et l’investissement divergent. Ainsi, les économies nationales
n’auront plus la faculté de contrôler ou de déterminer le niveau d’investissement
domestique. Comme nous l’avons déjà noté, c’est simplement une autre façon de
souligner le rôle clé des différentiels de taux d’intérêt en tant qu’indicateur de cette
intégration et de déterminant de l’investissement. Une plus grande ouverture implique
que l’épargne domestique devient sans rapport avec l’investissement domestique du
fait que les taux d’intérêt convergent et que l’épargne et l’investissement s’ajustent en
conséquence.
Comme prévu, cette thèse a été fortement contestée par de nombreux auteurs qui
soulignent que la séparation entre épargne et investissement reste à démontrer. Selon
Feldstein 71, la relation entre ces deux agrégats demeurait forte entre 1960 et 1979.
Plus récemment encore, Bosworth72 est arrivé à cette même conclusion. Son étude
couvre pourtant une période (1965-1990) durant laquelle prévalait le régime des taux
de change flottants. Sous ce régime, la plupart des contrôles de change furent
supprimés, de même que fût mise en œuvre la déréglementation des marchés
financiers. Malgré ces changements, il n’a pas été constaté de relâchement évident
dans la relation étroite entre épargne nationale et investissement.
L’enjeu de l’examen de l’intégration internationale est clair. Il s’agit d’établir la
faculté d’économies nationales distinctes à mener des politiques économiques
autonomes. Les économistes se sont divisaient en deux camps au sujet de cette
question. Nous avons déjà vu les arguments de ceux pour qui la globalisation de
l’internationalisation économique est en passe de rendre caduque l’idée que des Etats-
Nation puissent continuer à mener des politiques économiques volontaristes et
autonomes. A l’opposé, il y a ceux qui s’emploient à démontrer que rien au fond n’a
changé, et que de ce fait, les Etats conservent toujours une marge de manœuvre
suffisamment importante pour pouvoir conduire des politiques économiques et
industrielles d’envergure nationale.
314
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Dans cette section, il est question de jeter un regard sur les changements
intervenus au niveau de la régulation économique nationale et son interaction avec les
mécanismes d’intégration internationale afin de faire ressortir les contours de la
situation actuelle. Le régime de l’étalon-or occupe dans ce débat une position centrale
en qualité de premier mécanisme d’intégration économique. C’est un régime qui
véhicule de grandes significations idéologiques et théoriques du fait que non
seulement les parties prenantes y ont adhéré volontairement mais aussi parce qu’il est
supposé avoir incarné le principe d’automaticité dans ses opérations et ses ajustements.
Les principes de base du système impliquaient la détermination d’un prix fixe de
l’or pour chaque monnaie, et alors autoriser la libre circulation de ce métal. La garantie
du libre mouvement de l’or sert à contrôler l’offre de monnaie dans chaque pays,
l’émission de monnaie étant directement liée au niveau des réserves d’or. Si jamais le
prix de l’or (parité de la monnaie) devait être suspendu, cela devrait être à titre
temporaire seulement, et la convertibilité était réinstaurée rapidement – si besoin à
l’aide de politiques déflationnistes domestiques. Ici apparaît le lien crucial entre les
conditions domestiques et les conditions internationales : il doit y avoir une flexibilité
des prix et des salaires pour permettre que le prix nominal soit déterminé par l’offre et
la demande mondiales d’or. Comme dépeint dans ces lignes, le fonctionnement du
régime de l’étalon or représentait l’intégration économique dans ce qu’elle a de
quintessenciel, là où « l’autonomie nationale » était minimale.
Cependant, le régime de l’étalon or n’a jamais fonctionné de cette façon tout à
fait automatique. Durant différentes périodes, il a été difficile de mettre en œuvre les
mesures déflationnistes domestiques que nécessite le régime pour son fonctionnement.
Cela avait conduit à divers dispositifs qui ont permis de protéger l’économie des
rigueurs des mouvements des stocks d’or ; le plus important de ces dispositifs étant des
changements déguisés dans les parités-or des monnaies nationales pour préserver les
réserves d’or ou pour maintenir le niveau de l’activité domestique. Malgré cela, entre
1870 et 1914, les taux de change s’étaient maintenus à l’intérieur de bandes de
fluctuations remarquablement étroites. Le fonctionnement du système de l’étalon or a
également nécessité un degré remarquable de coopération entre les banques centrales.
C’est l’instabilité des années 1920-1940 qui hante encore les responsables du
système économique international. Le souci permanent de la communauté
international est d’éviter une récapitulation de cette période où l’activité économique
internationale (et domestique) a chuté d’une manière dramatique (le commerce
international a diminué de deux tiers entre 1929 et 1933, des contrôles de changes
furent introduits, et des politiques de déflation et de dévaluation ont été mises en
œuvre). Pendant ce temps, des blocs protectionnistes concurrents ont vu le jour et se
sont livrés à une guerre commerciale sans merci.
Le système de Bretton Woods a été élaboré en vue de se libérer des contraintes
imposées aux économies nationales par le système de l’étalon-or, et de son
fonctionnement désastreux durant la période de l’entre-deux guerres. Le système
devrait assurer assez de flexibilité pour appuyer les politiques économiques nationales
d’une part, et suffisamment de stabilité pour éviter les dévaluations compétitives,
315
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Le régime des taux de change flottants qui a suivi les tentatives infructueuses
pour étayer le système de Bretton Woods était destiné à accroître l’autonomie
économique nationale. Mais les règles du jeu ont étonnement peu changé par rapport à
la période précédente. La monnaie américaine est restée la devise de choix dans la
réalisation des transactions monétaires internationales (largement à cause de son
parcours profondément dépendant). Les Etats-Unis continuaient aussi à observer une
position de relative « passivité » en face des fluctuations de la valeur du dollar, alors
que d’autres pays intervenaient systématiquement en vue de stabiliser les taux de
change de leurs monnaies face au dollar. Les Etats-Unis avaient aussi renoncer à fixer
un niveau de prix mondial, et conduisaient leur politique monétaire et de taux de
change indépendamment de ce que faisaient les autres pays.
316
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
317
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
extraordinaire des flux d’investissements à l’étranger avait pour but de transformer les
grandes firmes nationales et les FMN qui laissent ainsi la place à des réseaux
mondiaux. Le fonctionnement réticulaire et la recherche d’effets de synergie entre les
différentes filiales constitutives du réseau mondial rendent celui-ci libre de toute
appartenance nationale. La notion d’économie nationale distincte des autres perd alors
l’essentiel de son sens.
C’est cette conclusion qui a été à l’origine de l’attitude réservée, et parfois
franchement hostile de nombreux économistes, leaders syndicaux et hommes
politiques à l’égard du mouvement de globalisation. Si cette conclusion était plus
nuancée, peut-être que leur position aurait été moins tranchée et plus conciliante.
Remettre en question cette conclusion supposait de leur part que soit mis en doute le
postulat (le processus de globalisation) sur lequel elle a été fondée. Pour qu’il en soit
ainsi, il fallait donc que les économistes qui ne se satisfissent pas de l’analyse
incriminée orientent leurs investigations et leurs enquêtes sur les firmes elles-mêmes,
car c’est au sein de celles-ci que se déroule le cœur du phénomène de globalisation.
Leur objectif est de déterminer à travers une démarche essentiellement statistique, les
modalités d’action des FMN dans certains emplacements particuliers. Sans cela, il leur
est impossible d’estimer de façon adéquate s’il existe réellement de puissantes
tendances à la globalisation comme le suggèrent à la fois les enthousiastes pour ce
processus et ceux qui voient en lui une menace inévitable.
Comme nous l’avons déjà noté, cette analyse repose sur une démarche empirique
éminemment statistique. Elle se base sur les données tirées des comptes des
compagnies elles-mêmes. Cette approche a un avantage considérable sur celle qui
utilise les données des flux de la balance des paiements : elle permet de voir jusqu’à
quelle mesure la FMN mène ses activités sur le territoire national en comparaison de
ses activités à l’étranger73. Les premiers travaux utilisant cette approche datent déjà du
début des années 1990. A l’époque, Tyson et Kapstein s’étaient engagés dans une
controverse et s’opposaient à Robert Reich sur sa conception de la nature de
l’économie mondiale74 . Les deux auteurs contestent l’affirmation de Reich selon
laquelle l’économie américaine est devenue “transnationale » et que cela n’a plus
aucune importance. A l’inverse, Tyson indique que dans le secteur manufacturier, les
opérations d’origine américaine comptent pour 78% du total des avoirs, 70% du total
des ventes, et 70% du total de l’emploi des multinationales américaines en 1988 »75.
L’analyse de Hirst et Thompson portant sur un nombre plus important de pays aboutit
à la même conclusion. Elle se base sur l’examen du pourcentage de distribution par
région et par pays des activités des multinationales de pays avancés en fonction de
certains critères comme les ventes, les avoirs, les filiales, la part des profits (même si
comme le reconnaissent les auteurs eux-mêmes, la fiabilité de ce dernier critère est très
discutable) et les dépenses de R&D. Il n’est pas inutile de rappeler à ce propos que
cette méthode de comparaison statistique internationale comporte une part
d’approximation et d’imprécision parfois importante et qui peut remettre en cause les
conclusions de l’étude en question. Les données utilisées par l’étude sus-citée, en
raison de leur multiplicité, figureront en annexe de ce chapitre, alors que les tableaux
suivants n’en sont qu’un résumé.
318
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Tableau III.4 : Distribution en pourcentage et par pays des ventes des FMN, 1987
et 1992-1993
Tableau III.5 : Distribution en pourcentage et par pays des avoirs des FMN, 1987
et 1992-93
D’après les deux auteurs, la première leçon qui ressort de l’analyse des données
en question (tous critères confondus) est manifeste : les activités des FMN conservent
un ancrage territorial domestique dominant qui l’emporte sur toutes les autres
considérations. Il apparaît donc que les FMN reposent toujours sur leur « base
nationale » en tant que centre de leurs activités économiques, et cela en dépit de toutes
les « spéculations » sur le processus de globalisation. Ces résultats montrent aussi que,
au total, les firmes internationales restent essentiellement des FMN et non des FTN.
Cette centralité nationale recouvre deux aspects, l’un est le rôle du « pays d’origine »
et l’autre est celui de la « région d’origine » (voir annexe). En ce qui concerne les
ventes des FMN par exemple, il est clair que les ventes dans le pays d’origine restent
dominantes. Dans chaque cas, les ventes dans la « région/pays d’origine »
comprennent au moins les deux tiers du chiffre d’affaire de la compagnie. En fait, une
ventilation plus pointue montrerait que ce biais régional s’apparente à un biais national
pour les firmes de toutes les grandes économies. A titre d’exemple, pour les firmes
britanniques et allemandes, la catégorie Europe/Moyen-Orient/Afrique qui a été
retenue dans les sondages de 1987 est dominée par les grands pays européens, alors
que pour les firmes japonaises la catégorie Asie/Pacifique est dominée par le Japon
lui-même. L’analyse en termes de nombre de filières confirme ces conclusions. Ainsi,
à défaut de telles investigations, cette analyse tend à démontrer la régionalisation des
marchés seulement. Quoiqu’il en soit, pour Hirst et Thompson, il ne semble pas
319
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
320
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
1- Les traits nationaux d’origine des firmes persistent et ont des effets sur les
politiques qu’elles mènent ;
2- Les gouvernements nationaux européens et américains, dans la mesure où ils
entendent répondre au défi japonais, privilégient en pratique le critère de
nationalité des firmes. Pour E. Cohen, deux évidences se dégagent simplement
à partir de là : la multinationale n’est pas plus le jouet ou le vecteur de sa
nation d’origine qu’elle n’est apatride et une simple machine économique
d’optimisation des implantations sur la surface de la planète.
Dans la vision de cette approche, la firme globale relève plus du projet, voire du
mythe, que de la pratique des grandes entreprises transnationalisés. Elles conservent
un profond ancrage national et continuent d’être des FMN plutôt que des FTN. Cela
signifie qu’il n’est pas hors de portée des gouvernements nationaux de contrôler ces
firmes.
Pour John Zysman79, une « ère globale » ne devrait pas être définie comme étant
le remplacement progressif des gouvernements par les marchés. Il s’agit plutôt de
l’expansion vigoureuse de la position d’une région (avec une nation dominante, le
Japon) avec des règles et des pratiques très différentes de celles des acteurs
traditionnels du système. C’est l’émergence du Japon et de l’Asie qui a bouleversé les
321
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
322
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
La conclusion à tirer de ce débat est que les développements nationaux ont causé
des changements dans l’économie globale plus que « la soi-disant globalisation a eu
des effets sur les évolutions nationales ». Ce sont les réussites nationales singulières
plutôt que le déploiement d’une logique de marché global unique basée sur des
transactions plus importantes et plus rapides, qui ont été à l’origine des adaptations. Le
rôle évident des gouvernements dans plusieurs économies asiatiques suggère aussi que
les variations dans les politiques économiques et dans les structures institutionnelles
comptent beaucoup dans la concurrence entre les firmes et influent sur le rythme du
développement national.
Les pays avancés ont connu ces vingt dernières années de profonds changements
d’orientation comme la dérégulation des marchés et les privatisations d’entreprises
publiques. Ces réorganisations laissent à penser qu’il s’agit d’un mouvement de
convergence suggérant que les arrangements institutionnels nationaux deviennent
semblables. Ce débat sur la convergence des sociétés industrielles n’est pas nouveau
80
. Ainsi, derrière des demandes pour un commerce régulé (managed trade), et de
nouveaux régimes internationaux, une ancienne controverse concernant les sociétés
industrielles est en train de réapparaître générant des théories et des politiques
conflictuelles. A savoir que tous les pays industriels tendent envers des méthodes
communes de production et d’organisation de la vie économique. Là où ils ne
convergent pas, l’explication tient aux distorsions introduites par l’histoire et la
politique.
De ce point de vue, la compétition, l’imitation, la diffusion des meilleures
pratiques, le commerce et la mobilité de capital opèrent de façon naturelle à produire
une convergence entre les nations dans les structures de production et dans les
relations entre économie, société et Etat. Les variations qui subsistent d’un pays à
l’autre sont le résultat du legs de l’histoire. Mais de telles distinctions finissent par
s’estomper avec le temps donnant lieu à des structures économiques semblables dont
l’efficience et l’universalité produisent un effet supérieur au sein du marché. Sans des
interventions provenant de l’extérieur du marché – par l’Etat, par des groupes
d’intérêt – ces différences ne persisteraient pas. Les disparités qui se maintiennent et
qui ralentissent le rythme de la convergence vu le rendement incertain ne peuvent être
323
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
que le résultat de l’action de l’Etat et/ou de puissants groupes d’intérêt qui utilisent des
ressources générées en dehors du marché pour maintenir des institutions économiques
et sociales distinctes. Cette vision relative aux trajectoires des sociétés industrielles
anime les débats actuels au sein des pays avancés. Un commerce équitable parmi les
nations requiert des structures et des règles de marché communes. Normalement, cela
se développe avec le temps en parallèle avec l’expansion du capitalisme de marché.
Mais lorsque les gouvernements interviennent pour modeler les marchés, pour créer
des avantages économiques, pour protéger les compagnies de la compétition extérieure
ou bien pour préserver des préférences nationales contre les forces du marché, alors,
les modèles divergents le deviennent encore davantage. Les systèmes capitalistes
alternatifs qui émergent de ces situations peuvent satisfaire des objectifs nationaux
mais aux dépens d’autres dans l’ordre économique international.
L’on cite à cet égard l’exemple de la puissance économique de l’Allemagne et du
Japon qui dépend au moins en partie de la possibilité d’exploiter un régime
international de libre échange dans lequel d’autres pays font face à des règles plus
contraignantes en utilisant la puissance étatique. Cette interprétation donne lieu à une
série de demandes pour des institutions et des régulations communes des relations
gouvernement-économie en tant que base pour des échanges économiques libres. Ces
institutions et ces régulations doivent être celles des économies capitalistes dans
lesquelles les entités productives sont façonnées par la concurrence qui s’exerce au
sein des marchés. Les capitalismes japonais, allemands et ceux des autres pays
émergents (latecomers) sont perçus par cette interprétation comme autant de
distorsions dues à l’intervention de l’Etat et créant des avantages commerciaux rendus
possibles précisément parce que les autres se soumettent à des règles différentes.
L’expérience de ces Etats interventionnistes ne peut pas donc servir de modèle
commun pour de nouvelles règles internationales. La revendication pour une plus
grande convergence ou une harmonisation des structures nationales – ou sinon pour
l’obtention de compensations commerciales là où la convergence échoue – repose
ainsi sur l’idée d’une pléiade d’institutions uniques, naturelles et légitimes et de règles
de marché pour le capitalisme.
a- Convergence et globalisation
324
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
convergence comprise au sens large comme étant la diffusion à travers le monde des
mêmes modes de vie économique.
Avant d’aller plus loin dans ce débat sur l’impact du phénomène de globalisation
sur le cadre économique national (résilience de ce dernier ou pas) et sur le mouvement
de convergence des régimes institutionnels, faisons le point sur les arguments qui sont
en cause. D’une manière générale, les économistes semblent d’accord dans leurs
estimations sur les tendances conduisant à la globalisation des activités économiques.
Ils divergent cependant quant à l’ampleur de la rupture que constitue cette
globalisation par rapport aux modèles passés des échanges internationaux. Les auteurs
concernés ne divergent pas tant sur leurs interprétations des changements intervenus
dans l’économie internationale que sur leurs points de vue concernant les effets de ces
changements sur les pratiques et les institutions domestiques. Le clivage fondamental
sépare un groupe d’auteurs qui concluent que les diversités nationales sont en voie de
disparition, d’un autre groupe d’auteurs qui eux prédisent la persistance à long terme
de modèles nationaux fondamentalement différents.
325
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Considérons d’abord les arguments de ceux qui prédisent l’inévitable déclin des
modèles nationaux. Pourquoi trouvent-ils possible aujourd’hui la convergence des
institutions économiques domestiques en ayant en mémoire l’existence d’un long
mouvement de résilience des spécificités nationales dans les domaines de politique,
d’économie et de la société tout au long de l’histoire des pays avancés ? Pour les
auteurs du premier groupe, il y a à cela plusieurs explications. Selon Ronald Dore et
Paul Streeten, le point central est le manque de viabilité d’institutions qui privilégient
des considérations d’égalité, de justice et de solidarité dans des sociétés où l’intérêt
public est désormais assimilé aux performances issues du marché tandis que le
gouvernement ne prétend plus jouer un rôle actif dans l’économie. Il n’existe pas de
volonté politique pour soutenir des institutions et défendre les valeurs susceptibles de
compenser les effets liés à l’efficience et la croissance des marchés. Les traditions
nationales, la culture ou l’héritage de l’histoire ne peuvent pas à eux seuls contenir les
forces du marché.
Vus sous cet angle, les capitalismes allemand et japonais, même s’ils se
comportent d’une meilleure façon à long terme, sont intrinsèquement vulnérables.
Dans la compétition qui oppose les calculs à long terme concernant les utilisations du
travail, des ressources et les caractéristiques de la propriété du capital dans ces deux
pays durant la période de l’après-guerre et la maximisation à court terme du profit du
capitalisme anglo-américain, c’est l’opportunisme économique qui finira par
l’emporter. Lorsque la déréglementation ou la levée des barrières économiques
nationales offrent aux capitalistes nationaux l’opportunité d’échapper aux contraintes
réglementaires sur les salaires, les conditions de travail, les licenciements, la
spéculation financière, les fusions d’entreprise ou la protection de l’environnement, ils
ne se priveront pas de le faire, quelle que soit leur implication dans le système social-
démocrate ou le régime de l’emploi à vie japonais. Etant donné le déclin général dans
les pays occidentaux de toutes les forces politiques qui appellent à des actions
collectives basées sur des valeurs autres que l’efficience et la concurrence, les forces
du marché ne sont désormais confrontées qu’à une faible opposition. A défaut d’un
changement politique radical, celles des institutions dont la raison d’être est de
promouvoir la sécurité économique, l’équité et la solidarité contre la marchandisation
ne paraissent pas pouvoir survivre. Ce pessimisme concernant l’action politique fait
qu’on s’attend à une convergence des systèmes économiques dans une sorte de
déclassement compétitif des valeurs de bien-être et de citoyenneté qui autrefois, étaient
protégées par la législation et le consensus national.
L’idée de convergence est défendue par d’autres auteurs mais sur des bases
entièrement différentes. Ici, l’idée de base est que les interactions économiques entre
les pays dans un marché libre conduit à une concurrence entre divers modèles, une
sorte d’expérimentation de configurations sociales et économiques différentes. Cette
compétition peut mener à la convergence, non pas à cause de la force d’ensemble d’un
modèle ou d’un autre mais plutôt à cause de certains traits de chaque système
considérés comme ayant des avantages décisifs dans la résolution d’un certain nombre
326
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
327
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
328
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
a- Conceptions du marché
Comme nous l’avons déjà noté, les théories de la convergence qui prédisent le
rétrécissement des différences en matière de productivité et de standards de vie
conçoivent l’économie globale comme un marché unique et homogène avec, partout
les mêmes facteurs de prix. Pour R. Boyer, « la globalisation de la finance, du travail,
des technologies et des produits procède de façon à ce que chaque nation en vient à
ressembler à une PME dans un océan de concurrence pure et parfaite». Mais l’auteur
argue que pareille économie n’existe pas. Le terrain de la compétition est nettement
plus varié et irrégulier. Partout, les asymétries d’information et de puissance, les
facteurs d’organisation, les différences dans les infrastructures sociales, et les effets
d’échelle concourent à la segmentation du marché et à la création de « niches », très
éloignées du principe de la concurrence parfaite sur des biens standards et homogènes.
De ce fait, les niveaux de productivité entre firmes, secteurs, régions, nations et
continents peuvent diverger, y compris à long terme, sans montrer aucune tendance
claire à la convergence 84.
L’échec des pressions des marchés à produire une plus grande uniformité dans
les configurations institutionnelles entre les pays révèle l’ambiguïté fondamentale de
ces pressions. Elles peuvent signaler des problèmes et produire des incitations au
changement mais sans indiquer de manière univoque lesquelles des politiques et des
institutions doivent être « réformées » et comment. Si la convergence devait avoir lieu,
cela prendrait de très long délais.
329
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
330
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
d- La politique et la convergence
L’idée selon laquelle la globalisation finira par effacer les distinctions nationales
est affirmée ici avec plus de conviction que dans les autres domaines. La finance
constitue un des éléments majeurs qui crée des structures institutionnelles nationales
distinctes et des modes de comportement spécifiques. Si ces paramètres subissent une
homogénéisation, alors, les autres dimensions du cadre institutionnel national
pourraient connaître le même sort, elles aussi. Pour le moment, de nombreux auteurs
331
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
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LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Les travaux sur le SNI sont souvent associés aux théories évolutionnistes.
Pendant les années 1970 et 1980, un nombre considérable d’études relatives à
l’innovation technologique ont débouché sur la formulation de théories dites
évolutionnistes. Les théories évolutionnistes réfutent l’idée d’un équilibre général.
Elles mettent l’accent sur le déséquilibre comme condition fondamentale du
développement économique de longue période – phénomène de destruction créatrice
de Schumpeter – et sur la formation de structures dans le système 88. Pour les théories
évolutionnistes, la distinction entre système ouvert et systèmes fermés est très
importante. Les derniers peuvent réaliser un équilibre caractérisé par le plus grand
désordre possible tandis que les premiers s’éloignent progressivement de l’équilibre
dans la mesure où les échanges de matière, d’énergie et d’information avec leur
environnement augmentent. Au fur et à mesure que les systèmes ouverts s’éloignent de
l’équilibre, ils peuvent subir des transitions conduisant à un changement qualitatif.
334
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
335
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
336
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
même résultat avec des grandes entreprises intégrées. Si ceci était vérifié, le
mimétisme institutionnel ne serait pas forcément la réponse aux problèmes de
politique technologique. Par exemple, l’existence de petites et moyennes entreprises de
haute technologie aux Etats-Unis est facilitée par la disponibilité du capital-risque et
par une culture dans laquelle les mobilités sociale, économique et géographique sont
considérées comme des éléments positifs du comportement individuel. A l’inverse, la
collaboration entre les instances gouvernementales, les grandes entreprises et les
banques au Japon donnent des chemins différents pour obtenir une production efficace
et compétitive.
Comme on l’a déjà remarqué, le rôle de l’histoire implique que les structures
socio-économiques et les politiques passées modèlent dirigent et limitent celles du
futur. Conjugué à la propriété précédente, ce point implique que bien des innovations
institutionnelles soient nécessaires pour obtenir certains résultats productifs ; il est
impossible de greffer des institutions étrangères sur un SNI donné. Ainsi, il apparaît
bien que le devenir de n’importe quel SNI dépende directement de son passé sous
forme de ce qu’on appelle usuellement les comportements de sentier. Le SNI reflète en
effet un très haut degré de spécificité nationale. Alors que différents SNI arrivent à des
réalisations similaires en termes de croissance, de productivité ou d’exportations, ils y
parviennent par des organisations institutionnelles et des interactions qui sont très
spécifiques à chacun des pays. Ainsi, une même situation productive peut avoir une
multitude de configurations institutionnelles.
Une autre façon d’expliquer la spécificité et le rôle des SNI est basée sur le
savoir technologique. En effet, le savoir est souvent local, il devient de plus en plus
inefficace à mesure que les situations diffèrent de celles pour lesquelles il a été
originellement crée. Une partie au moins du savoir technologique sera locale, tacite,
spécifique et cumulative. Ceci implique que l’état de la connaissance d’un système à
un moment donné est dépendant du sentier parcouru. La nature du savoir correspond
aussi à son appropriabilité et sa transférabilité. Plus le savoir est spécifique et tacite et
plus il est facile à s’approprier et difficile à transférer.
337
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
récente des flux organisés entre des entreprises de nations différentes. Si ces tendances
se perpétuent à l’avenir, elles pourraient limiter l’utilité du concept de SNI et même en
annuler le sens. La question se pose à nouveau des convergences des pratiques au
niveau mondial. Sur la base des théories évolutionnistes, il est possible d’opposer un
certain nombre de critiques à cette déduction.
En premier lieu, la tendance à la globalisation implique seulement une diffusion
plus rapide d’habitudes et de règles de comportement. Selon Prigogine, il est possible
de classifier tous les phénomènes à partir de forces et de flux. Les forces sont, par
exemple, des réactions chimiques qui produisent de nouvelles substances à un certain
endroit et créent donc des hétérogénéités locales. La présence de ces hétérogénéités
cause la diffusion des substances vers les parties du système qui n’en contiennent pas,
c’est-à-dire des flux. Les flux représentent la tendance à l’homogénéisation du
système. Le degré d’homogénéité net ou résultant du système, dépend de l’équilibre
entre forces et flux et non pas de ses valeurs absolues. Dans les systèmes socio-
économiques, les forces sont des innovations crées au niveau local. Les innovations
contribuent donc à la création de l’hétérogénéité. Des processus de diffusion comme le
commerce international, le transfert de technologie ou la diffusion de l’innovation
technologique, correspondent aux flux et conduisent à l’homogénéisation du système.
Ce type d’analyse est présent dans les théories néo-technologiques du commerce
international. La théorie de Vernon sur le cycle de vie du produit en est un exemple.
L’homogénéisation complète du système économique mondial, qui ferait perdre toute
signification au SNI, se vérifierait seulement s’il y avait une cessation des activités
d’innovation. Ainsi, à moins de considérer que les tendances convergentes (exemple
de l’internationalisation) peuvent continuer à l’infini sans tendances divergentes
(exemple des innovations) les asymétries entre les différents SNI se développent
vraisemblablement simultanément aux tendances actuelles de convergence.
Deuxièmement, il faut considérer que les processus de diffusion ne sont pas
instantanés et que la vitesse de diffusion change selon les aspects considérés (la
diffusion de la technologie de production est plus rapide que celle des processus de
production). Ces différentes vitesses de diffusion impliquent que la composition du
système économique international change dans une direction qui n’est pas forcément
celle de la complète homogénéisation.
Troisièmement, bien qu’il y ait convergence des produits échangés au niveau
international, cela n’implique pas une convergence des structures institutionnelles
utilisées pour les produire. La propriété de la multistabilité implique en effet qu’il peut
y avoir plusieurs configurations institutionnelles conduisant au même résultat final.
Ainsi, une harmonisation complète des produits n’impliquerait pas forcément une
convergence des structures institutionnelles.
Un autre point de vue sur cette situation peut être donné par l’analyse en termes
de réseaux. La structure des systèmes socio-économiques est largement constituée de
réseaux, définis ici comme un ensemble d’acteurs et de liaisons. Les réseaux sont
relativement stables mais, au fur et à mesure que le système ouvert s’éloigne de
l’équilibre, ils doivent subir des transitions qui les rendent qualitativement différents.
Ainsi, selon l’hypothèse mentionnée précédemment, la globalisation devrait entraîner
la disparition de liaisons anciennes et la formation de nouveaux réseaux, dont une
large partie sera au niveau international. Pour certains auteurs, cette hypothèse semble
338
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
extrême eu égard à la forte continuité historique des institutions, surtout publiques, qui
jouent un rôle central dans les SNI. C’est à une pareille conclusion qu’arrivent Niosi et
Bellon dans leur analyse des systèmes d’innovation ouverts : la localisation des
acteurs, des activités et des liaisons restera principalement nationale, mais de nouvelles
liaisons, résultant d’une plus intense coopération internationale, y seront ajoutées 90 .
Cette dernière partie a pour but de montrer la façon avec laquelle est considéré
l’avenir de l’Etat-Nation en tant qu’acteur principal de la gouvernance par les
nombreux auteurs qui s’opposent à une certaine rhétorique politique développée par
certains théoriciens du phénomène de la globalisation.
On fait souvent remarquer qu’il est devenu de bon ton d’affirmer que la période
de l’Etat-Nation est révolue, et que la gouvernance à l’échelle nationale est inefficace
en face de la globalisation de l’économie et des processus sociaux 91. La politique
nationale et les choix politiques ont été mis à la touche par les forces du marché
mondial qui restent plus puissantes que le plus puissant des Etats. Le capital est
mobile et n’a plus d’attachements nationaux, et se déplacera selon ses propres
339
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
340
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Les Etats peuvent avoir moins de contrôle sur les idées, mais ils contrôlent
toujours leurs frontières et les mouvements de population à travers celle-ci. Ainsi, à
l’exception d’une minorité de travailleurs hautement qualifiée et très mobile
internationalement, et de groupes d’émigrants et de réfugiés pauvres et prêts à tout
pour quitter des conditions de vie intolérables, la masse des populations mondiales ne
peut pas se déplacer librement. Donc en l’absence de la mobilité de main-d’œuvre, les
Etats conserveront un contrôle considérable sur leurs populations en ce sens que c’est
eux qui désignent ceux qui sont citoyens et qui sont donc dignes de recevoir les aides
341
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
sociales. A cet égard et malgré la rhétorique sur la globalisation, disent les défenseurs
de l’Etat-Nation, la plus grande partie de la population mondiale vit dans des espaces
fermés, prise au piège de la loterie de sa naissance. La richesse n’est donc pas globale,
mais elle est répartie sur une échelle nationale et régionale entre des pays et des
contrées riches et pauvres.
Les populations sont donc moins mobiles que l’argent, les biens ou les idées ; en
un sens elles demeurent « nationalisées », dépendantes des passeports, des visas, de
leurs lieux de résidence et de leurs qualifications professionnelles. Le rôle de l’Etat
démocratique en tant que possesseur d’un territoire dans lequel il assure la régulation
des mouvements de population lui confère une légitimité précise sur le plan
international dans la mesure où aucune autre agence ne pourrait avoir cette légitimité
de représentation de la population.
342
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
ainsi être plurielle, partagée à l’intérieur et entre les Etats plutôt que centralisée à
l’échelle nationale, mais pour être effective elle doit être structurée dans une
architecture cohérente d’institutions. Nous ne disconvenons pas que, cela, les idées les
plus simplistes sur la globalisation le récusent, soit parce qu’elles affirment que
l’économie mondiale est ingouvernable, étant donné la volatilité des marchés et la
divergence des intérêts qui la caractérisent et par conséquent, aucun élément de
structure n’est possible, soit parce qu’elles voient le marché comme un mécanisme de
coordination qui, de lui-même, rend toute tentative de création de structure
institutionnelle non-nécessaire. Le marché est considéré comme un substitut du
gouvernement parce qu’il passe pour un mode satisfaisant de gouvernance : il produit
un résultat optimal lorsque son fonctionnement est le moins contrarié par une
régulation institutionnelle accessoire.
On cite à ce sujet l’exemple de certains théoriciens « maximalistes » comme K.
Ohmae qui soutient que seules deux forces importent dans l’économie mondiale, les
forces dynamiques du marché global et les firmes transnationales, et que, aucune
d’elles n’est, ni ne peut faire l’objet d’une gouvernance publique. Le système global
est gouverné par la logique de la concurrence des marchés et l’action publique peut-
être au mieux secondaire du moment qu’aucune agence gouvernementale (nationale ou
autre) ne peut égaler les forces du marché mondial. Au risque de nous répéter, cette
opinion voit les gouvernements nationaux comme les municipalités du système
global : leurs économies ne sont plus nationales dans aucun sens significatif, et la
politique publique ne peut être efficace que si elle se contente d’une limite de
pourvoyeur local de services publics requis par l’économie globale. La question que se
pose certains auteurs est cependant si cette économie globale existe déjà ou si elle est
en voie de l’être. Comme nous l’avons déjà noté, il y a une grande différence entre une
économie strictement globale et une économie hautement internationalisée. Dans la
première, les politiques nationales sont considérées comme futiles du fait que les
résultats économiques sont entièrement déterminés par les forces du marché mondial
et par les décisions internes des compagnies transnationales. Dans la seconde, les
politiques nationales restent viables ; et à vrai dire, elles sont essentielles afin de
préserver les traits et les forces de la base économique nationale et des firmes qui y
activent. Une économie mondiale avec un degré élevé et croissant de commerce et
d’investissements internationaux n’est pas forcément une économie globalisée au sens
de la première. Dans cette économie, les Etats-Nation, de même que les formes de
régulation internationale créées et soutenues par ces mêmes Etats, ont toujours un rôle
fondamental de gouvernance de l’économie.
La question qui se pose donc concerne le type d’économie mondiale qui existe
actuellement ou qui est en voie d’émerger ; une économie qui est essentiellement
supra-nationale, ou une économie dans laquelle en dépit de hauts niveaux de
commerce et d’investissement international, les processus et les actions à l’échelle
nationale demeurent de premier ordre ; l’ensemble des auteurs dont nous avons
examiné les idées sur les principaux aspects de cette question – le caractère des
marchés financiers mondiaux, les modèles de commerce international et d’IDE, le
nombre et le rôle des FMN – il ne fait pas de doute qu’il n’y a pas de tendance forte
vers une économie globalisée. Dans ce cas là, il faut renoncer au concept en vogue de
globalisation et chercher des modèles moins démoralisants, politiquement parlant.
343
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Mais l’enjeu ici n’est pas simplement de clamer des preuves et de les évaluer, mais
celui de fournir des concepts politiques qui permettent de conserver les possibilités de
gouvernance économique et le rôle des Etats modernes dans cette gouvernance.
En ce sens, il est prétendu que les conflits en cours entre la politique publique des
pays avancés et les principaux marchés financiers ne sont nullement tranchés, et que
malgré certains revers comme la dislocation du SME, il n'y a pas de raison de penser
que les forces du marché l’emporteront toujours sur les systèmes de régulation. La
raison est que la plupart des acteurs de l’économie mondiale ont tout à gagner d’une
stabilité financière, y compris les grandes firmes, pour qui la réduction de l’incertitude
est un avantage certain pour pouvoir affirmer leurs plans d’investissement et leurs
stratégies de production et de marketing. De ce point de vue, l’idée commune à un
grand nombre de théoriciens de la globalisation selon laquelle les firmes tireront
avantage d’un environnement international plus déréglementé est tout simplement
erronée. La stabilité de l’économie internationale ne peut avoir lieu que si les Etats
conjuguent leurs efforts pour la réguler et conviennent d’objectifs et de standards
communs de gouvernance. Certes, les firmes peuvent désirer un système de libre
échange et des régimes communs de normes commerciales, mais ils ne peuvent les
obtenir que si les Etats coopèrent entre eux pour parvenir à une régulation
internationale commune.
Ensuite, la notion que les firmes devraient aspirer à devenir transnationales au
sens extra-territorial du terme est également bizarre. Les bases économiques nationales
à partir desquelles opère la plupart des compagnies contribuent à leur efficacité
économique (non pas seulement au sens de fournisseur d’infrastructures performantes
et à faibles coûts). La plupart des firmes sont enchâssées dans une culture économique
nationale distincte qui leur assure des avantages intangibles mais bien réels. Les firmes
réellement transnationales devraient essayer de créer en leur sein les avantages
culturels et les formes d’identification que les autres firmes obtiennent gratuitement de
leurs institutions nationales. Elles auraient alors besoin d’un groupe central
d’employés pour faire de la firme la source d’identification et mettre en place une élite
managériale non-nationale et cohésive qui peut communiquer entre elle
informellement. Traditionnellement, cette transnationalité a été réalisée par des
organisations non-économiques ayant une forte mission idéologique qui sert de foyer
alternatif à la loyauté envers les pays et les Etats, comme les sectes. Cela serait
difficile pour les entreprises. Les dirigeants et les travailleurs japonais qui voient la
firme comme une communauté sociale de base le font dans un contexte national qui
donne un sens à cela.
Mais les avantages nationaux ne sont pas confinés aux seules sociétés dont les
institutions promeuvent une solidarité pour contrebalancer la coopération et la
concurrence entre firmes et entre intérêts sociaux majeurs. Les Etats-Unis ont une
culture économique qui met l’accent sur la concurrence et l’autonomie des entreprises
individuelles. Mais contrairement à des arguments comme ceux de Reich, les firmes
américaines ont tout intérêt à rester distinctement américaines. Cela provient de la
puissance et des fonctions de l’Etat ; par exemple, le dollar qui reste le moyen de
paiement du commerce international, les agences fédérales de régulation comme le
FDA et le FAA qui sont leaders mondiaux et qui travaillent en étroite collaboration
avec l’industrie, les tribunaux américains qui sont un moyen puissant de défense des
344
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
345
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Etats-Nation pris individuellement. Elle repose également sur les multiples formes de
coopération entre ses Etats, notamment les plus avancés d’entre eux ou le G3
(l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon). Cette coopération touche essentiellement
les domaines de la finance et du commerce international mais aussi la régulation des
flux d’IDE et de main-d’œuvre.
Pour E. Kapstein 95, auteur d’une importante étude sur le rôle de l’Etat dans le
cadre de la globalisation financière, l’actuel système de coopération nationale basé sur
le contrôle du pays hôte, est fermement en place dans le cadre de la supervision
bancaire et est à l’état embryonnaire dans le cas des marchés de titre. Nous sommes
donc en présence non pas de marchés totalement déréglementés mais d’un système
élaboré de gestion détaillée des transactions financières internationales. Ce système de
contrôle est basé sur des règles informelles et sur la confiance entre les différents
partenaires. D’une certaine manière, le succès de ce mode opératoire ne plaide pas en
faveur de l’idée de lui substituer un organisme multinational formel pour superviser et
réguler toute l’activité financière privée comme le suggère certains spécialistes. Les
gouvernements nationaux ne se sont pas montrés impuissants en face de l’irrésistible
« globalisation » de la finance internationale comme le laisse entendre une idée très
répandue. En fait, ils se sont organisés ensemble pour pouvoir exercer un contrôle
effectif sur la nouvelle situation. Ceci reste néanmoins une supervision limitée d’une
économie internationale gouvernée par les marchés. La régulation ne vise pas à altérer
la fixation des prix par les marchés ou la direction des flux financiers. Dans une large
mesure, les marchés monétaires opèrent librement, ce qui permet une libre fixation des
taux de change.
Ces arrangements institutionnels et ces stratégies peuvent assurer un niveau
minimum de gouvernance économique internationale, au moins au profit des grands
pays avancés. Cette gouvernance ne peut pas réduire les inégalités extrêmes entre ces
nations et le reste du monde en termes de commerce, d’investissement, de revenu et de
richesse. Ce n’est pas ce problème que soulève le phénomène de globalisation. L’enjeu
n’est pas de savoir si l’économie mondiale est gouvernable dans le sens d’objectifs
ambitieux tels que la promotion de la justice sociale, l’égalité entre les pays et un plus
grand contrôle démocratique au profit de la majorité de la population mondiale, mais si
elle est gouvernable du tout.
La nouvelle souveraineté
346
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
Dans ce troisième chapitre nous avons voulu mettre face à face deux grands
ensembles d’arguments qui concernent la place et le rôle de l’Etat-Nation par rapport
au mouvement de globalisation. Le premier groupe d’arguments s’appuyant sur une
définition particulière du phénomène en question considère que la nation ne constitue
plus le cadre de référence des activités économiques des firmes d’un pays. Par
conséquent, celles-ci ne constituent plus comme par le passé l’intermédiaire exclusif
ou même privilégié entre les citoyens d’un pays et la prospérité économique. Dès lors
que les firmes ne s’estiment plus tenues par les engagements qui découlent de leur
appartenance nationale, il n’est plus raisonnable de continuer à raisonner en termes
d’économie nationale. Dans ces conditions, l’Etat doit être le premier à adapter sa
politique et son action et de les rendre conformes à la nouvelle réalité économique.
Cela suppose que les autorités publiques placent en tête de leurs priorités
l’amélioration permanente des capacités de leurs citoyens à identifier et à résoudre des
problèmes complexes. Dans une économie mondiale en voie de globalisation, la
rétribution des services productifs est en effet fonction des compétences et des talents
dont font preuve les travailleurs dans l’exécution de leurs tâches. Si l’on ne tient pas
compte assez de cette nouvelle réalité, la répartition de revenus devient plus régressive
et, face à l’ampleur de la tâche qui leur incombe pour corriger cette situation, les
riches sont tentés de faire sécession et de livrer les pauvres à leur triste sort.
347
LA GLOBALISATION ET L’ETAT-NATION
348
ANNEXE
Figure 3.1 : Répartition en pourcentage des ventes de produits manufacturés par les
multinationales selon les régions et le pays du siège social, 1987.
397
Figure 3.2 : Répartition en pourcentage des ventes de services par les multinationales
selon les régions et le pays du siège social, 1987.
398
Figure 3.3 : Répartition en pourcentage des avoirs des multinationales manufacturières
selon les régions et le pays du siège social, 5 pays, 1987.
399
Figure 3.4 : Répartition en pourcentage des avoirs des multinationales manufacturières
selon les régions et le pays du siège social, 3 pays, 1987.
400
Figure 3.5 : Répartition en pourcentage des avoirs des multinationales de service selon
les régions et le pays du siège social, 1987.
401
Figure 3.6 : Répartition des filiales de multinationales manufacturières selon les régions
et le pays du siège social, 1987.
402
Figure 3.7 : Répartition en pourcentage des filiales de multinationales manufacturières
selon les régions et le pays du siège social, 1987.
403
Figure 3.8 : Répartition en pourcentage des filiales de multinationales de services selon
les régions et le pays du siège social, 1987.
404
Figure 3.9 : Répartition en pourcentage par région des filiales de multinationales de
services selon le pays du siège social, 1987.
405
Figure 3.10 : Répartition en pourcentage des profits bruts de multinationales
manufacturières selon les régions et le pays du siège social, 1987.
406
Figure 3.11 : Répartition en pourcentage des ventes des multinationales selon le pays, la
région et le secteur, 1992 – 1993.
407
Figure 3.11 : suite
408
Figure 3.12 : Répartition en pourcentage des avoirs des multinationales selon le pays, la
région et le secteur, 1992 – 1993. (pas de données pour le secteur primaire en France et
aux Pays-Bas).
409
Figure 3.12 : suite.
410
CHAPITRE IV
LA GLOBALISATION
ET LES PAYS EN
DEVELOPPEMENT
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
363
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
SECTION I
Sous-développement et marginalisation
économique
364
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Il n’est pas dans notre intention ici de confondre ces propositions avec la réalité
des PED d’aujourd’hui pour voir ce qui a cessé d’être vrai et pourquoi il en est ainsi.
Les PED forment en effet des groupes de pays très différents les uns des autres,
notamment en matière de potentialités de développement, ce qui rend toute
généralisation à ce sujet fort approximative. A supposer que les propositions du
professeur Gerschenkron se soient révélées vraies dans le cas des pays d’Europe et
365
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
d’Amérique du Nord, il nous importe ici d’en tirer quelques conclusions générales
pour les autres pays qui sont toujours concernés par ce processus de rattrapage
économique ; en l’occurrence l’ensemble des PED.
Une lecture attentive des propositions sus-mentionnées montre clairement que les
phénomènes qu’elles décrivent sont étroitement articulés autour du postulat de la
troisième proposition ; toutes les autres propositions en découlent. La concentration de
l’industrialisation sur des usines et des entreprises de grande taille est indissociable
d’une concentration plus élevée sur la production des moyens de production au
détriment des moyens de consommation. De cette dernière proposition, il ressort que
plus forte sera la pression exercée sur le niveau de consommation de la population, et
ainsi de suite.
Il n’est pas inutile de rappeler que bon nombre de PED ont mené par le passé des
politiques de développement de longue haleine avec des degrés de réussite très divers.
Cependant, même dans les pays où ces expériences ont été menées avec rigueur et
détermination, le problème de la création d’une base industrielle capable d’impulser à
la croissance économique une dynamique auto-entretenue, reste pourtant entièrement
posé. Le problème se pose avec d’autant plus de difficulté que la fabrication de biens
de production, contrairement à la période étudiée par le Professeur Gerschenkron, se
fait désormais avec des techniques et des moyens de production de plus en plus
élaborées, et qui, manifestement ne sont pas à la portée d’aucun PED pris isolément.
Par ailleurs, la concurrence économique qui s’exerce pratiquement à l’échelle du
monde, et qui va en s’intensifiant, ne permet pas comme autrefois d’opter pour des
techniques de production et des produits moins élaborés mais bénéficiant d’une
protection commerciale nationale suffisamment importante pour assurer le maintien de
ces industries domestiques. La Corée du Sud qui vérifie la plupart des propositions
énoncées plus haut et qui fait figure de meilleur exemple de réussite sur le plan du
développement économique continue pourtant à dépendre de ses importations
massives de technologies de fabrication.
La cinquième proposition mérite aussi d’être soulignée. Elle stipule que plus le
retard économique d’un pays est grand, plus grand sera le rôle d’arrangements
institutionnels spécifiques visant à assurer le financement de l’industrie naissante. En
termes d’expériences historiques, cela s’est traduit par une plus grande centralisation
des modalités de financement des investissements et des décisions de répartition les
concernant dans les pays d’Europe au XIXe siècle et dans certains PED plus
récemment encore, et ce, par rapport au cas-référence que constitue l’Angleterre
(autofinancement) de la fin du XVIIIe siècle : le système bancaire en Allemagne et en
France, l’Etat en Russie.
En ce qui concerne les PED, les expériences d’industrialisation les plus
significatives confirment la cinquième proposition de Gerschenkron et l’on peut dire
qu’elles se situent dans le prolongement des expériences européennes du XIXe siècle.
Elles ont toutes été marquées par un degré élevé de concentration de capital, que ce
soit public ou privé, avec parfois un apport considérable de financements extérieurs
sous la forme d’investissements étrangers, résultat d’une insertion dans l’économie
mondiale issue d’un choix déterminé (souvenons-nous du fameux slogan de la Corée
dans les années 1960 : exporter ou mourir). Ces expériences d’industrialisation étaient
366
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
367
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Pour des raisons qui tiennent plus à l’histoire et à la géographie, les pays non-
occidentaux n’avaient pas été à même au XIXe siècle d’imiter spontanément le
processus de développement économique sans cesse accéléré résultant de la révolution
industrielle européenne. De ce fait, l’histoire économique depuis le début du XXe
siècle de ce qui était devenu le tiers-monde a été ponctuée par de nombreuses défaites
et de rares victoires. Il est indéniable que l’on attend de ce travail de songer à l’avenir
de ce bloc, c’est-à-dire comment éviter les échecs en déterminant les contraintes qui
pèsent sur cet ensemble et leur mode d’action. Avant de s’interroger (dans la suite de
cette section) sur les moyens de sortir de ce qu’il faut considérer comme une impasse,
il nous faut donc voir quels sont les obstacles qui s’opposent au démarrage des pays du
tiers-monde. Obstacles que l’analyse de l’évolution passée a déjà largement permis
d’entrevoir et parmi lesquels l’obstacle démographique apparaît comme le plus
important.
1-L’obstacle démographique
368
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
que dans le cas des pays occidentaux la croissance démographique a été, en règle
générale, sinon causée, du moins largement favorisée par des progrès dans le domaine
des disponibilités de produits alimentaires, l’impact des progrès de la médecine n’étant
intervenu que plus tard. Dans le Tiers-monde, au contraire la cause essentielle de la
rapide progression démographique réside dans l’application accélérée d’une médecine
originaire des pays développés dans des sociétés dont les ressources alimentaires par
habitant sont, en général, soit en faible diminution, soit stables. Une bouche en plus ce
sont aussi deux bras en plus ; ceci fut pendant un temps un slogan de Mao. Mais en
termes moins imagés, une progression démographique rapide entraîne une
augmentation moins que proportionnelle de la population active et surtout nécessite
un fort accroissement des investissements pour mettre au travail la population active
additionnelle.
C’est là que réside un des aspects essentiels de l’obstacle découlant de l’inflation
démographique. Une augmentation rapide de la population implique, pour les seuls
besoins du maintien du niveau de vie, un taux très élevé d’investissement, un taux très
élevé d’accumulation. La notion de capital output ratio que l’on désigne également
sous le terme de coefficient d’intensité de capital, permet de faire le lien entre ces deux
phénomènes. Ce ratio représente le rapport liant l’investissement à l’accroissement de
la production, c’est-à-dire le rapport existant entre le montant du capital qu’il faut
investir et l’accroissement de la production qui résulte de l’investissement. Ainsi, s’il
faut investir 10 pour obtenir un accroissement de la production de 2, le capital output
ratio est de 5. En général, on s’accorde à retenir pour les pays du tiers-monde un
coefficient de 4 à 5. En adoptant un coefficient d’intensité de capital de 4,5, l’on peut
déduire que, pour maintenir le niveau de vie du tiers-monde, il faut une formation
brute de capital de l’ordre de 11% du PNB (4,5 x 2,5 =11,25). Pour obtenir un taux de
croissance très modeste du niveau de vie par habitant de l’ordre de 1%, la formation du
capital doit atteindre théoriquement près de 16% du PNB (4,5 x 3,5 = 15,75).
Lors des premières phases du développement des pays occidentaux, la formation
brute de capital ne dépassait pas 5 à 7%. Si l’on considère que le niveau de vie de
beaucoup de pays du tiers-monde est plus bas que ne l’était celui des pays occidentaux
au début de leur développement, et que, d’autre part, les conditions sont plus
défavorables à l’épargne dans les pays du tiers-monde qu’elles ne l’étaient dans les
pays occidentaux, on conçoit combien il est difficile voire impossible d’atteindre des
taux de formation de capital de l’ordre de 16% par les voies traditionnelles qui ont été
celles des pays occidentaux.
Le phénomène entièrement nouveau que représente l’inflation démographique
dont est affligé le tiers-monde constitue donc un obstacle majeur au démarrage
économique de cet ensemble. Non seulement cette inflation conduit à la nécessité de
taux extrêmement élevés d’investissement rien que pour maintenir le faible niveau de
vie, mais elle handicape sérieusement le progrès de la productivité agricole. Progrès
pourtant si nécessaire quand on connaît son bas niveau et surtout le rôle joué par la
demande agricole dans l’ensemble de la demande nationale. En outre cette inflation
démographique accroît considérablement le coût de l’éducation, de la formation
générale et technique.
369
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
2-L’obstacle technique
L’histoire des techniques et des sciences est celle d’une relation croissante entre
ces deux disciplines. La technique employée au début du développement industriel
était essentiellement basée sur des principes où la science était peu présente et où la
simple causalité opérationnelle était très largement dominante. Comme le notait
d’ailleurs le Philosophe Bertrand Russell (1947) en parlant des premières phases de la
technologie, « la plupart des machines, au sens le plus étroit de ce mot, ne comporte
rien qui mérite d’être appelé science. Les machines ont été à l’origine, de simples
moyens de faire exécuter à des objets inanimés des mouvements réguliers qui ont été
exécutés précédemment par le corps et plus spécialement par les doigts des hommes.
Ceci est particulièrement vrai du tissage et du filage. La science proprement dite n’a
pas non plus joué un rôle dans l’invention des chemins de fer et dans la navigation à
vapeur à ses débuts. Dans les deux cas, les hommes se sont servis de force qui
n’avaient rien de mystérieux, et si leurs effets les ont étonnés, ils n’avaient en soi rien
d’étonnant ».
La simplicité de la technique a surtout joué un rôle majeur dans la diffusion
internationale de la révolution industrielle. D’après P. Bairoch, le succès de
« l’assistance technique » que l’Angleterre fournit aux autres pays qui amorcèrent leur
développement au XIXe siècle s’explique non pas par l’ampleur du nombre des
« techniciens », mais par la possibilité de formation rapide de « non-techniciens ».
Ainsi, en raison de la simplicité de la technique, la circulation de l’information
était généralement une condition suffisante pour permettre la formation des ouvriers et
des cadres ; suffisante pour permettre l’imitation de la technique nouvelle. Bref, la
simplicité de la technique facilitait énormément la transmission de l’innovation,
laquelle permettait d’accélérer le processus de développement économique.
Mais insensiblement, au fur et à mesure qu’elle progressait, la technique est
devenue de plus en plus complexe, et a fait des appels de plus en plus fréquents à une
science qui, elle aussi, progressait très rapidement. Donc à mesure qu’on avance vers
la fin du XIXe siècle d’abord, et à l’intérieur du XXe siècle ensuite, on assista à une
évolution de la technique qui se caractérise par une complexité sans cesse croissante.
Cette complexité conduira progressivement à une rupture avec la technique
traditionnelle, rupture qui s’accentue dans les premières années du XXe siècle avec
l’introduction généralisée de l’électricité et du moteur à explosion notamment, et qui
deviendra totale avec les nombreuses applications de l’électronique. Cette rupture
conduit à modifier totalement le rôle et les possibilités de la technique dans le
développement. Il n’y a aucun rapport entre les possibilités de la technique au cours de
la révolution industrielle et les exigences de la technique moderne dans le cadre du
démarrage des pays du tiers-monde.
D’ailleurs, même dans les cas où la technique n’utilise pas de principes
scientifiques, celle-ci a tellement évolué, il y a tant de jalons intermédiaires, que
l’assimilation directe par la simple information est inopérante. La formation (en lieu et
place de la simple information comme autrefois) s’impose, qui impose à son tour le
préalable du niveau général de l’éducation. Et là apparaît le goulot d’étranglement
370
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
371
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Par ailleurs, la technique moderne est non seulement plus difficile, sinon
impossible, à intégrer, mais il est probable que du fait même du développement du
monde occidental, la technique traditionnelle de la plupart des pays du tiers-monde ait
subi une régression assez profonde qui rend vain tout espoir de lui faire jouer un rôle
un tant soit peu semblable à celui qu’a joué la technique traditionnelle occidentale lors
du développement de ces pays. La rupture entre la technique traditionnelle est celle
issue de la révolution industrielle se trouve, en outre, aggravée par la réduction des
coûts qui, d’ailleurs, résulte largement de cette nouvelle technique.
La baisse des coûts des transports, depuis la révolution industrielle a été ponctuée
essentiellement par deux grappes d’innovation majeures. La première – qui se place au
XIXe siècle et qui est à la fois la plus importante et la plus connue – est liée à
l’intervention de la machine à vapeur avec les chemins de fer et les navires. La
seconde comporte deux types d’innovations ; la première découle de l’amélioration
pendant la Seconde guerre mondiale des machines à mouvoir la terre permettant la
construction à faibles coûts et aussi dans les régions à faible population de routes et de
chemins de fer. La seconde série d’innovations est liée à la construction – à peu près à
la même période – de navires spécialisés dans le transport de certains types de
produits : pétrole, minerais, céréales. Quelles ont été les répercussions de ces
évolutions sur les pays du tiers-monde ? Pour P. Bairoch, elles sont au nombre de trois,
essentiellement :
- suppression de la barrière protectrice que représentaient les coûts de transport
pour les industries naissantes ;
- incitation à une spécialisation à outrance dans la production agricole non
vivrière ;
- possibilités d’établissement d’exploitations minières sans création
d’industries de transformation.
Toujours selon P. Bairoch, au cours du XIXe siècle, aucun pays n’a amorcé son
développement économique sans instituer des barrières douanières élevées afin de
protéger ses industries naissantes. Si cette protection douanière a été nécessaire à un
moment où les écarts de développement étaient plus restreints qu’aujourd’hui et
surtout à un moment où les coûts de transport constituaient une barrière naturelle
importante, on comprendra, dit-il, combien peut-être dommageable une absence de
protection des industries dans le cas du tiers-monde. Cela constitue peut-être une des
réponses à la question que se pose W.W. Rostow (1960), à savoir pourquoi la
croissance de l’industrie textile a conduit à une croissance généralisée dans les pays
occidentaux, alors que cela ne fut pas le cas pour les pays sous-développés (Inde,
Mexique) malgré un certain développement de leur industrie textile à la fin du XIXe
siècle. La réponse logique est donc que ces pays équipèrent entièrement leurs usines
textiles avec des machines d’importation : dont l’un des effets indirects majeurs de la
mécanisation du travail textile ne put produire ses effets. Un autre exemple de
l’importance de la barrière naturelle que constitue les coûts de transport nous est donné
372
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
par l’auteur du Manifeste communiste lui-même. Karl Marx écrivait au milieu du XIXe
siècle que l’installation de réseaux de voies ferrées dans les colonies allait entraîner
irrévocablement l’industrialisation de ces pays et ce, malgré une motivation différente
des métropoles. Industrialisation qui devait résulter, selon Marx, des effets induits de
l’installation de ces voies ferrées et de leur fonctionnement.
L’erreur de Marx, d’ailleurs compréhensible si l’on se place vers 1850, a été de
sous-estimer justement l’influence de la baisse des coûts de transport. Car dans ce
domaine spécifique, des répercussions et des effets induits résultant de la construction
et de l’exploitation des chemins de fer, il convient, comme nous l’avons vu, de faire
les remarques suivantes. Etant donné que le point de départ du réseau sera toujours
choisi en fonction de son accessibilité et qu’avec la progression des travaux la voie
prolonge cette accessibilité, le coût des transports vers les points où la construction des
chemins de fer suscite une demande des biens d’équipement sera toujours très faible.
Cela d’autant plus que les effets de la réduction des coûts des transports maritimes
étaient déjà très grands. D’autre part, une fois les lignes établies, aucun problème
sérieux ne se posera pour l’approvisionnement des chemins de fer tant en combustibles
qu’en pièces de rechange. Le coût réduit du transport permettant une dépendance
extérieure pour ces produits.
L’industrie, déjà handicapée par les problèmes de la complexité et
l’inaccessibilité de la technique moderne et par les faibles progrès de la demande
locale, se trouve ainsi exposée à la concurrence des entreprises infiniment plus
productives des pays développés. L’agriculture, elle, a été profondément perturbée par
l’extension presque toujours imposée des cultures non vivrières destinées aux
consommateurs des pays développés et les effets de cette extension ont été, en règle
générale, négatifs.
373
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
secteur industriel exprimé en termes d’actifs employés est donc nettement supérieur.
D’autre part, durant la période de développement de l’Occident, la valeur représentée
par une exploitation agricole occupant un actif était très largement supérieure au coût
du capital nécessaire pour mettre un actif au travail dans l’industrie, même si cette
exploitation avait un rendement très inférieur à la moyenne. De ce fait, le passage de
l’agriculture vers l’industrie s’en trouva facilité et les capitaux agricoles purent
s’investir dans l’industrie. A l’époque, au XIXe siècle, une exploitation agricole sur
laquelle travaillait un actif et dont le rendement était égal à la moitié de la moyenne
nationale représentait un montant monétaire suffisant pour payer le capital nécessaire
pour mettre quatre actifs au travail dans l’industrie. Actuellement, dans le tiers-monde,
il faut probablement vendre des terres qui occupent environ 40 actifs, pour arriver aux
mêmes résultats. Mais avec cette différence que si, au cours du XIXe siècle, il était
possible de débuter dans la plupart des secteurs avec un nombre restreint d’actifs,
aujourd’hui cela n’est réalisable que dans un nombre réduit de secteurs.
Les coûts élevés des investissements ont pour conséquence majeure de rendre
particulièrement difficile l’émergence dans le tiers-monde d’une classe
d’entrepreneurs susceptibles de prendre en charge le processus de développement
économique. Les entrepreneurs d’origine modeste aux capacités techniques et
commerciales appropriées qui ont été à l’origine du développement du monde
Occidental ne peuvent pas intervenir dans le tiers-monde. L’obstacle représenté par le
coût élevé des investissements industriels est plus que suffisant pour expliquer et
justifier cette carence.
Et c’est pourquoi un simple accroissement de la demande, que celle-ci résulte
d’une augmentation des ressources découlant des progrès économiques ou d’une
simple infusion monétaire, a très peu de chances de donner naissance à un plus grand
nombre d’entreprises cherchant à satisfaire cette demande comme ce fut le cas au XIXe
siècle ; et de même si l’on fait abstraction des autres obstacles déjà exposés plus haut.
b -Hypertrophie du tertiaire
374
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Cette liste n’est malheureusement pas exhaustive. Il existe une multitude d’autres
obstacles plus ou moins importants, mais aucun négligeable. Les énumérer et les
expliquer rendrait cette partie du texte par trop chargée. Il s’agit à présent de connaître
les principales conséquences de cette incapacité des pays du tiers-monde à sortir de
l’impasse économique dans laquelle ils se débattent.
La majorité des PED font face aujourd’hui à une série de problèmes difficilement
surmontables. Le plus fondamental d’entre eux tous, c’est que ces pays ne sont
manifestement pas en mesure de dégager suffisamment de ressources productives
humaines et matérielles, en vue de les investir de façon à se doter d’une base
industrielle assez importante pour permettre la réalisation d’une croissance
économique relativement régulière. Sans cela, l’économie sera toujours marquée par
un degré élevé d’extraversion, c’est-à-dire, une situation où une part très importante de
la production nationale sert à payer les importations qui constituent l’essentiel des
ressources. La situation de ces pays est d’autant plus critique que les biens exportés
sont peu nombreux et sujets à des fluctuations erratiques des prix, et connaissent,
comme c’est le cas actuellement, des tendances à la baisse à long terme. L’activité
économique intérieure dépend principalement des exportations, et donc des prix qui
sont déterminés par la demande des pays riches, justifiant l’appellation d’économies
reflets pour les pays exportateurs. Dans ces conditions, les exportations ne suffisent
plus à assurer le service de la dette, et la dépendance extérieure s’aggrave et les
courbes représentatives du cycle économique auront tendance à prendre la forme d’un
L contrairement aux pays avancés où elles ressemblent à un U ou un V. Dans
beaucoup de pays du tiers-monde, le creux du cycle économique peut durer une
décennie ou plus contre quelques mois à une ou deux années dans les pays avancés.
Ce problème de retard pris par la reprise économique à se manifester de nouveau
est lié, entre autres, à l’immobilité qui caractérise le changement de propriété des
actifs des entreprises de production dans les PED. L’aspect formel de cette immobilité
peut être vu à travers le développement ralenti des bourses des valeurs mobilières dans
la plupart des PED. En Afrique par exemple, la seule place financière digne de ce nom
est celle de Johannesburg. Dans les pays à capitalisme développé, l’activité d’une
firme qui se trouve confrontée à des difficultés financières persistantes est vite cédée à
une autre du moment que cette dernière considère que l’activité en question est
toujours profitable. Une firme rachète une autre lorsqu’elle estime pouvoir faire un
meilleur usage des actifs productifs de cette dernière. Dans certains cas, la
privatisation d’entreprises publiques en Europe occidentale relève aussi de cet esprit 4.
Dans les PED, les changements de propriété des entreprises prennent souvent la forme
de projets de privatisation. Or ces programmes de privatisation donnent rarement une
entière satisfaction à leurs promoteurs gouvernementaux. Faute d’acquéreurs, et à
375
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
quelques rares exceptions de pays où existe une longue tradition capitaliste, les
opérations de privatisation se sont généralement soldées par un échec.
En dépit de la diversité des situations économiques des pays concernés, l’on peut
expliquer le peu d’empressement des investisseurs locaux à se porter acquéreurs des
firmes à privatiser par deux grands facteurs. En premier lieu si l’on se fie aux
propositions de A. Gerschenkron notées plus haut, et en les appliquant au cas des PED,
le retard considérable accumulé en matière d’industrialisation et de développement
économique par ce groupe de pays par rapport à ceux d’Europe occidentale et
d’Amérique du Nord aurait incité les gouvernements de ces pays à se lancer dans des
plans de développement économique basés sur des investissements considérables et se
traduisant par la création d’usines et d’entreprises (souvent des monopoles) de grande
taille. Dans ce cas, et pour des considérations historiques multiples et variées, les
décisions concernant l’allocation des ressources productives étaient prises d’une
manière très centralisées au niveau des grandes administrations publiques. L’Etat
planificateur intervenait donc comme le principal acteur économique. Donc, une
lecture inversée des propositions de A. Gerschenkron indique qu’il est tout à fait
normal que les programmes de privatisation actuels dans beaucoup de PED ne
rencontrent pas le succès escompté du fait notamment de la concentration des moyens
de production aux mains de l’Etat. L’absence d’une longue tradition capitaliste
(certains dirons esprit d’entreprise) qui se traduit par un nombre peu élevé
d’investisseurs locaux potentiels, d’une part, et la disproportion entre les capacités de
gestion et de financement de ces derniers et la taille et la valeur des actifs productifs
mis en vente, d’autre part, font que la méthode la plus plausible de privatisation
« nationale » est la rétrocession des actifs en question aux travailleurs des entreprises à
privatiser ou au grand public. Cependant, cette méthode a l’inconvénient de priver les
Etats de recettes financières importantes, mais plus grave encore, de ne pas changer
grand chose au problème, à savoir doter les firmes de moyens financiers à même de les
remettre sur le chemin de l’expansion. Du moment que ni les travailleurs, ni le grand
public ne disposent pas d’argent frais nécessaire à la remise à flot de ces entreprises,
l’opération de privatisation se limitera dans ces conditions à un simple changement de
propriété. Les entreprises en question ne pourront pas opérer les changements
structurels nécessaires et leur situation restera telle quelle.
En second lieu, il faut savoir que les investisseurs locaux n’acceptent pas
normalement de prendre le risque d’acquérir des entreprises publiques qu’une fois que
les perspectives et les conditions d’un progrès économique général se soient nettement
et irréversiblement précisées. Les investisseurs privés prennent leurs décisions
d’investissement ou d’acquisition d’entreprises publiques en fonction de
considérations qui concernent l’environnement économique général dans lequel ils
évoluent. Il serait très naïf de croire que ces décisions sont motivées par les seuls
critères de profit inhérents à l’entreprise. Les investisseurs privés savent pertinemment
qu’il est très difficile voire impossible de faire fructifier leurs affaires individuelles
lorsque tous les facteurs exogènes concourant à façonner l’environnement économique
général dans lequel évoluent leurs entreprises vont à l’encontre de cet objectif. Nous
ne pensons pas nous tromper en disant que le processus de privatisation dans les PED
doit suivre plutôt que précéder les autres volets du processus de réforme économique
376
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
qui touchent aux aspects les plus fondamentaux et les plus généraux de la
compétitivité économique globale. La bonne gouvernance est le terme qui est
couramment utiliser pour désigner l’ensemble des dispositions prises par les pouvoirs
publics en vue de corriger certaines lacunes, institutionnelles ou non-institutionnelles
qui entravent les acteurs économiques dans leur ensemble d’atteindre des
performances productives supérieures. La bonne gouvernance englobe un large
éventail de mesures qui va de la promotion des libertés politiques et de l’éducation de
masse, à la décentralisation administrative et la mise en œuvre d’infrastructures
publiques et scientifiques performantes5. Il semble que, aujourd’hui, même le FMI et
la Banque mondiale ne réclament plus aux PED fortement endettés avec la même
insistance qu’auparavant, la réalisation de programmes tout azimut de privatisation.
Les deux institutions financières internationales mettent maintenant davantage l’accent
sur les mesures susceptibles de toucher aux aspects les plus généraux de l’exercice de
l’activité économique et d’améliorer les conditions de vie et les compétences du plus
grand nombre.
Beaucoup de PED en bute actuellement à des difficultés économiques
structurelles n’ont ni les moyens techniques et financiers ni les compétences humaines
nécessaires à l’assainissement de leurs appareils productifs de manière à obtenir une
reprise stable et régulière de l’activité économique. Ce problème ne concerne pas
uniquement les PED mais touche également les pays de l’ex-bloc soviétique
aujourd’hui appelés pays en transition vers l’économie du marché. Ces pays font face
aujourd’hui aux mêmes problèmes économiques que beaucoup de PED. Ils n’arrivent
pas à retrouver le chemin de la croissance économique et surtout leur programme de
privatisation – pour les mêmes raisons citées plus haut – est pratiquement à l’arrêt. En
1999, le PIB de la Russie était de 185 milliards de dollars contre 529 milliards pour le
Brésil, 407 milliards pour la Corée, 1001 milliards pour la Chine et 600 milliards pour
l’Espagne6. Seules la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie arrivent à tirer leur épingle du
jeu grâce notamment à des flux d’investissements étrangers relativement importants.
En Pologne par exemple, les IDE ont atteint le chiffre de 40 milliards de dollars depuis
1990. L’adhésion de ce pays à l’Union européenne prévue d’ici l’an prochain va
certainement multiplier cette somme.
Dans le contexte économique mondial actuel, l’apport des IDE à la croissance
économique d’une nation est jugé de plus en plus important. Cela est plus vrai encore
dans le cas des PED ; en ce qui concerne les pays avancés (sauf pour le cas de petits
pays comme l’Irlande) et en tenant compte de toutes les formes d’investissements à
l’étranger, les flux d’entrée et sortie marquent une tendance à s’équilibrer si l’on se
réfère à une longue période. La Chine qui est le second plus grand pays d’accueil des
IDE après les Etats-Unis ne cache pas qu’une part non négligeable de sa vigoureuse
expansion économique des dernières décennies est due à ce facteur exogène que sont
les IDE.
Mais il est vain de croire que les IDE se dirigent vers les pays d’accueil de
manière indistincte ou du moins là où ils sont le plus sollicités. A vrai dire, mis à part
certains pays au parcours atypique comme Singapour, Honk Kong et peut-être aussi
Taiwan où les IDE semblent avoir jouer un rôle prépondérant par rapport aux facteurs
internes, il existe une forte corrélation entre potentiels économiques et la manière avec
laquelle ils sont utilisés par le pays d’accueil et l’importance des flux d’IDE que réussi
377
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
à attirer ce dernier. Dans certains cas, et qui sont certes l’exception plutôt que la règle,
des pays très démunis en termes de ressources physiques, ne se sont pas soumis à la
fatalité et ont mené des politiques de développement économique axées
essentiellement sur la promotion du facteur humain qui commencent maintenant à
donner leurs fruits. C’est cela qui explique la forte concentration des flux d’IDE sur un
nombre réduit de grands pays du Sud (Grands pays d’Amérique Latine et d’Asie de
l’Est) dont chacun d’eux est lié par de denses relations économiques à au moins un des
pôles de la triade.
Pour la majorité des PED, du fait de leur situation actuelle, le constat n’est pas
très reluisant et l’avenir ne se présente pas sous de bons auspices. D’une part, ils ne
sont pas en mesure de se doter d’une véritable base industrielle ce qui a comme
première grande conséquence le maintien des taux de chômage à des niveaux très
élevés. L’autre grande conséquence est qu’ils ne participent que d’une manière
marginale et relativement décroissante dans les échanges mondiaux de biens et
services, échanges qui connaissent pourtant une expansion soutenue et régulière.
D’autre part, ces pays ont encore plus de mal à convaincre les investisseurs étrangers
de l’opportunité de venir chez eux. Cette double marginalisation se comprend aisément
si l’on en juge par le fait que le petit groupe de PED qui participe le plus activement
dans les échanges mondiaux est celui-la même qui s’approprie la plus grande part des
flux d’IDE à destination des PED. En effet, la place occupée actuellement dans le
système mondial des échanges par de nombreux PED ne résulte pas uniquement d’une
dotation factorielle naturelle. Dans un grand nombre de cas, leur situation de
producteur et d’exportateur d’une ou deux matières premières de base, minière ou
agricole, souvent de moins en moins demandées sur les marchés mondiaux, est le
résultat d’investissements directs anciens, faits à partir de la fin du XIXe siècle par des
administrations ou des entreprises étrangères. Elles étaient généralement celles du pays
colonisateur ou de la puissance tutélaire au sein de la « zone d’influence » considérée.
Ce raisonnement peut s’appliquer également au cas du petit groupe de nouveaux pays
industrialisés (NPI) dont l’appellation est due au fait qu’ils soient d’importants
exportateurs de produits manufacturés. Pour un certain nombre de ces pays, cette
spécialisation est là aussi le résultat d’investissements réalisés par des FMN
étrangères, mais plus récemment que dans le cas précédent. Cette postériorité dans le
temps, ajoutée à d’autres facteurs encore, a fait que ces investissements soient en
meilleure adéquation avec les évolutions qui ont marqué l’économie mondiale ces
quarante dernières années. Il est donc juste de distinguer aujourd’hui entre deux
groupes de PED : le premier est composé de pays qui, au vu de leurs parts dans les
échanges mondiaux et les flux d’IDE qu’ils reçoivent, sont considérés comme des
acteurs importants de l’économie mondiale. Le second groupe est composé de tous les
autres qui ne participent que marginalement et de moins en moins à ces deux
phénomènes. C’est cette double exclusion qui définit ce qu’il faut appeler la loi de la
marginalisation économique internationale. Nul doute que l’appellation même de PED
s’avérera très insatisfaisante dans les prochaines décennies pour désigner l’ensemble
de ces pays si les tendances qui participent à ce processus de marginalisation ne
seraient pas inversées.
378
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Le grand boom qui a caractérisé la période de l’après-guerre a été marqué par une
expansion massive du commerce mondial et de l’investissement domestique. La
prospérité de l’économie internationale était basée sur ces tendances. La principale
caractéristique de cette période peut être appréhendée à travers le graphique suivant,
qui montre l’ « export gap » entre la croissance de la production mondiale et celle des
exportations – les exportations croissant à un taux beaucoup plus important que la
production entre 1960 et 1990.
exportations
Production
379
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Le début des années 1980 voit apparaître une tendance différente de celle qui
peut être vue à travers le graphique précédent. Ce qui est frappant ici, c’est la brusque
augmentation des IDE par rapport aux exportations. Cela n’est pas pour dire que la
croissance des exportations s’est arrêtée par rapport à la production, mais que la
croissance des exportations a été éclipsée par l’expansion des IDE. Par exemple, entre
1983 et 1990, les flux d’IDE se sont accrus à un taux annuel de 34% contre 9% pour le
commerce global de marchandises8.
Graphique IV.2 : Valeur courante des flux d’exportations et d’IDE, 1975 - 1989
380
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
dont la remontée est due à la récession dans les pays de l’OCDE et à un ralentissement
provisoire des acquisitions/fusions.
Cette répartition est d’autant plus préjudiciable pour les PED que la plus grande
partie de ces investissements est concentrée sur une dizaine de pays, situés pour la
plupart en Asie du Sud-Est (y compris la Chine). Les données du tableau IV.1,
identifient certains aspects de cette concentration. Le tableau est divisé en trois
catégories, A , B et C, et montre les niveaux de population et de distribution de l’IDE
global pour différents groupes de pays et de régions.
381
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Tableau IV.2. Parts relatives des différents groupes de pays dans le marché
mondial de produits manufacturés
Exportations Importations
1980 1990 1980 1990
382
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Asie / Pacifique
5.7
2.2
2.6
3.7 3.0
0.9 5.9
Amérique 3.2 Europe centrale et
latine orientale et ex-URSS
0.6 1.1
6.1
1.2
2.2
Afrique et Moyen-Orient
Asie / Pacifique
10.2
9.9 7.7
7.3 33.4
Amérique Europe de l’Ouest
du Nord 5.1
0.2
1.6
3.6 3.1
2.3 5.3
1.5
0.4
Afrique et Moyen-Orient
383
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
384
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Les nations qui avaient espéré pouvoir fonder leur développement sur une
meilleure valorisation de leurs ressources naturelles sans diversifier leurs bases
exportatrices font l’objet d’une marginalisation inexorable dans les relations
économiques internationales, dont les conséquences économiques peuvent être
désastreuses. Celles qui sont parvenues à transformer leurs spécialisations
internationales et à prendre pied sur les marchés mondiaux de produits manufacturés
constituent un important pôle d’attraction pour les capitaux étrangers.
Le pacte colonial, on s’en souvient, cantonnait les pays colonisés dans un rôle
d’exportation de produits de base, leurs marchés intérieurs étant réservés aux
productions manufacturières métropolitaines. Les stratégies de substitution
d’importations, mises en œuvre par nombre de PED après leur indépendance,
remettaient en cause ce dernier aspect, mais non les spécialisations à l’exportation
héritées de la période coloniale. Dans les années 1960, la revendication commune à
tous les PED, était de négocier avec les pays industrialisés la mise en place de
mécanismes de stabilisation des cours des produits de base à un niveau suffisamment
rémunérateur pour assurer leur développement à long terme. Pour ces pays, la
référence à un prix stable et rémunérateur des produits de base constitue une garantie
de pouvoir d’achat international permettant, en théorie, de programmer l’acquisition de
la technologie nécessaire à leur développement et de garantir l’accès aux sources
privées de financement international. Pour J. Adda, à travers cet espoir, transparaît en
filigrane « la conception d’une économie non soumise aux lois impersonnelles du
marché, d’une économie encastrée – selon l’expression de Polanyi – dans une sphère
sociale ici projetée au niveau international »
Longtemps controversée, la thèse de la dégradation des prix réels des matières
premières, énoncée dès 1950 par Raul Prebish et Hans Singer, n’est plus guère
contestée aujourd’hui. Les études récentes font état d’une tendance déclinante des prix
réels des matières de base non énergétiques de 0,6% par an depuis 1900. La notion de
prix réel se rapporte ici au prix relatif des matières premières par rapport à ceux des
produits manufacturés exportés par les pays industrialisés. Ainsi calculé, le prix réel
des matières se situant en 1992 au plus bas niveau observé au cour du XXe siècle, 55%
en dessous du niveau enregistré en 1900, 66% en dessous du sommet historique de
1917 et 60% en dessous du pic enregistré en 1973, lors de la dernière grande vague de
spéculation à la hausse10.
Cette tendance au déclin des prix réels des matières premières découle
fondamentalement du déclin rapide du contenu en produits de base de la production
industrielle et de la consommation mondiale. En 1972 et 1992, le poids à prix constant
de la consommation de matières premières dans le PIB de l’OCDE a ainsi chuté d’un
tiers, passant de 09 à 06%. Qu’il s’agisse des mutations industrielles dans les pays
développés (réduction du poids des industries lourdes grandes consommatrices de
produits de base, et montée des industries de l’information à valeur ajoutée
immatérielle), de la substitution aux matières traditionnelles (cuivre, fer, étain..) de
matériaux nouveaux (plastiques, fibres optiques, caoutchouc synthétique..)11 plus
fiables, plus performants et moins coûteux, de la miniaturisation des produits ou du
perfectionnement des techniques de récupération, tout concourt dans un contexte de
385
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Nous avons vu que la globalisation peut être définie comme le processus par
lequel les firmes concernées procèdent à l’intensification de la valorisation de leur
capital dans un espace géographique élargi. L’investissement à l’étranger, les échanges
commerciaux, les flux financiers et monétaires ainsi que les transferts de technologie
sont les principaux vecteurs de ce processus. Or, dans la mesure où la plupart des PED
restent à l’écart de ces mouvements internationaux, beaucoup d’auteurs n’ont pas
hésité à imputer la marginalisation de ces pays sur la scène économique internationale
à ce même phénomène de globalisation. Les firmes mondiales et en deuxième lieu les
gouvernements des pays industrialisés sont donc responsable de la dégradation de la
situation économique des populations des pays du Sud.
En vérité, la réalité n’est pas aussi simple que ça, et ces affirmations tiennent plus
du discours idéologique que du raisonnement scientifique. Faut-il rappeler en effet,
que le phénomène de marginalisation des PED se manifeste essentiellement par la part
réduite qu’ont ces pays dans les échanges mondiaux et les flux d’investissements
directs. Le déclin continu du poids des PED dans le commerce, répétons-le, est dû au
fait que ces pays n’exportent pratiquement que des produits de base dont les prix
relatifs connaissent une baisse permanente. Cette baisse ne date pas des années 1980,
386
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
387
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
les PED ne sont en mesure de soutenir la comparaison avec les pays développés que
dans certains secteurs d’activité, généralement à forte densité de main-d’œuvre et à
faible valeur ajoutée. Certains investissements, de par les conditions qu’ils requièrent
en termes de financement, de progrès technique et de ressources humaines spécialisées
sont, selon toute logique, inaccessibles à la grande majorité des PED. A titre
d’exemple, la surenchère à laquelle se livrent les pays industrialisés pour attirer chez
eux de nouveaux projets industriels, certaines autorités locales ou régionales n’hésitent
pas à débourser des sommes d’argent très importantes à titre de subventions pour
remporter les projets en question, synonymes pour eux d’un moindre chômage.
L’handicap des PED – et même des NPI – dans ce domaine est si important qu’il est
possible de dire que ces pays ne peuvent logiquement espérer attirer chez eux que les
projets dont leurs promoteurs étrangers avaient, dès le départ, opté pour l’un d’entre
eux. On observe donc une certaine hiérarchie dans la répartition mondiale des
nouveaux projets d’investissement ; en terme d’importance financière et d’avancée
technique et technologique, les pays industrialisés viennent en tête du classement, puis
les NPI et enfin les PED selon l’avantage propre de chacun.
L’emploi du terme « nouveaux projets d’investissement » n’est pas dû au hasard.
En ce qui concerne l’IDE, il faut en effet distinguer entre les opérations de fusion-
acquisition transnationales et les investissements dans de nouveaux établissements. La
première catégorie d’opération peut ne signifier qu’un simple transfert de propriété
motivée parfois par des activités spéculatives alors que la seconde implique
nécessairement la création d’une capacité productive nette. Rappelons donc que les
sommes dépensées en opérations de fusion-acquisition ont augmenté plus rapidement
que celles qu’a nécessité la réalisation de nouveaux établissements. L’activité de
fusion-acquisition a connu un essor considérable aux Etats-Unis passant de 67% du
total de l’investissement entrant durant la première moitié des années 1980 à 80% dans
la seconde moitié14. La même tendance fut observée dans les autres pays de la triade.
De cette constatation, on peut en déduire que la faible importance de l’IDE capté par
les PED s’explique en partie aussi par le nombre relativement limité d’entreprises
susceptibles d’intéresser les firmes étrangères. Même si nous ne disposons pas de
statistiques officielles à ce sujet, il semble bien que, dans les PED, exception faite de
certaines formes d’investissement comme la sous-traitance, ce soit l’investissement
dans de nouveaux projets qui l’emporte sur les opérations d’acquisition.
Rappelons aussi que, dans une certaine mesure, la « défection » relative des
firmes multinationales à l’égard des PED est due également à l’hostilité que montrait
jusqu’à il y a peu les seconds à l’endroit des activités des premières sur leur sol. Le
monde en développement, en général, considérait les multinationales comme des
exploitants et comme une menace à son autonomie économique nationale. On constate
aujourd’hui que les multinationales sont plus présentes dans les régions et les pays où
les autorités politiques entretenaient des relations plus pragmatiques avec le
capitalisme mondial. Cette présence devient plus significative là où ce sont plusieurs
pays voisins qui adoptent cette attitude en même temps. C’est le cas par exemple d la
région de l’Est et du Sud-Est de l’Asie – y compris la Chine depuis 1979.
388
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Nous venons donc de voir que les critères qui fondent les décisions de
localisation internationale des FMN n’ont que peu à voir avec les considérations
d’ordre moral que certains milieux politiques attendent une meilleure prise en compte
de la part de ces firmes en vue de réserver une part plus importante de leurs
investissements aux PED de manière à enrayer leur tendance à la marginalisation
économique. En fait, les multinationales ne peuvent pas faire autrement ; le contraire
supposerait de leur part d’ignorer les lois impersonnelles du marché qui régissent leurs
activités. Cela est notamment le cas des règles de la concurrence économique qu’il
faudrait réviser et rendre obligatoirement universelles. A vrai dire, il est parfaitement
vain d’attendre qu’une démarche, quelle qu’elle soit, soit entreprise dans ce sens tant
que la sphère économique restera toujours autonome par rapport à la sphère sociale.
Comment en sera-t-il autrement quand on sait que les pouvoirs publics dans les pays
avancés ont le plus grand mal à obtenir des entreprises de s’engager au moins à ne pas
sacrifier l’emploi au profit d’une meilleure rentabilité de leurs affaires ?
Donc, d’un point de vue moral, le problème de la marginalisation économique
des pays du Sud n’est pas indépendant des autres grands défis économiques comme le
chômage massif, l’inégalité économique et la pauvreté du plus grand nombre.
Résoudre ces problèmes, d’une manière ou d’une autre, passe nécessairement par
l’accomplissement de la grande transformation dont parlait K. Polanyi il y a plus d’un
demi-siècle. Cet économiste anthropologue s’employait à montrer que la « Grande
transformation » est ce qui est arrivé au monde à travers la grande crise économique et
politique des années 1930-1945 et qu’elle signifie la mort du libéralisme économique.
Or ce libéralisme, apparu un siècle plutôt avec la révolution industrielle et concerne
une société spécifique où le marché autorégulateur, jusque-là, élément secondaire de la
vie économique, s’est rendu indépendant des autres fonctions16.
L’innovation consistait essentiellement dans un mode de pensée. Pour la
première fois, on se représentait une sorte particulière de phénomènes sociaux, les
phénomènes économiques, comme séparés et constituant à eux seuls un système
distinct auquel tout le reste du social devait être soumis. L’économie avait été
désocialisée, et si l’on en juge par les arguments de Polanyi, la fin des grands fléaux
économiques mondiaux passe par la re-socialisation de l’économie. Chez Polanyi, ce
terme signifie la soustraction au marché des éléments de la production ; la terre, le
travail et la monnaie.
Si les firmes et les multinationales ne sont pas prêtes à prendre en compte des
considérations d’ordre moral pour rééquilibrer leurs investissements dans les pays
pauvres, elles ne semblent pas non plus convaincues par les arguments, purement
économiques ceux-là, de certains auteurs qui affirment qu’une distribution plus
équilibrée des ressources mondiales servira aussi les intérêts mêmes des
multinationales. Ce nouvel équilibre générera un surcroît de demande effective à
l’échelle mondiale ce qui se traduira par une solide reprise économique dans les pays
industrialisés qui font face aujourd’hui encore à divers problèmes de stagnation et de
surcapacité16.
389
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
390
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
ce sujet d’un désengagement des multinationales à l’égard des PED puisque leur
présence dans ces derniers n’a jamais été d’une importance significative. Si les PED
n’ont pu attirer qu’un faible pourcentage des investissements massifs qui ont marqué
l’émergence d’une économie mondiale en voie de globalisation, c’est tout simplement
que ces pays ne disposent pas d’un potentiel économique global attractif. Celui-ci
englobe des facteurs aussi divers et aussi variés que la stabilité politique, le niveau
d’instruction de la population, l’état des infrastructures, le nombre, l’importance et la
capacité productive et technique des entreprises locales, les politiques économiques
des gouvernements, la capacité d’acquisition des nouvelles technologies, etc. Il est
parfaitement clair que le volume des investissements entrants que parvient à réaliser un
pays est très proportionnel à l’état de sophistication de son potentiel économique
global. Certains types d’investissement ont une forte corrélation avec l’un ou l’autre
des facteurs énumérés plus haut . Par exemple, les dépenses de R&D dans les
nouvelles technologies se dirigent presque exclusivement vers les laboratoires et les
entreprises dont les réseaux sont répartis à travers les pays développés, uniquement.
Les investissements nécessitant des productions à grande échelle et un niveau
technique élevé profitent souvent aux entreprises des NPI.
A vrai dire, il nous semble qu’il n’est pas possible d’appliquer ce concept de
potentiel économique global de manière indifférenciée. Il faut en effet distinguer entre
les pays selon qu’il s’agit de pays développés et de NPI, d’un coté et de PED d’un
autre coté. Pour les deux premiers groupes de pays, le problème se pose en termes de
lacunes de diverses sortes qu’il s’agit d’éliminer pour pouvoir arriver à une meilleure
utilisation des ressources disponibles. Pour le groupe des PED, les déficits
économiques sont si importants que même une utilisation maximale des potentialités
économiques existantes ne pourrait pas porter les performances économiques globales
à des niveaux significativement élevés. Dans ce cas précis, le problème ne se pose pas
tant en termes de potentiel économique à parfaire et à mieux utiliser qu’en termes de
persistance du sous-développement qu’il s’agit de vaincre d’une façon définitive.
Il faut dire que les PED que menace une marginalisation économique croissante
ne l’ont pas été à cause de l’émergence et la diffusion du phénomène de globalisation
car dans ce cas là, il faut croire que d’une manière ou d’une autre, le phénomène en
question est dirigé contre ces pays. Or nous avons vu que la globalisation économique
signifie avant tout de nouvelles réponses inventées par les firmes des pays
développés ; celles-ci voulaient affronter sur des bases nouvelles et plus solides
l’exacerbation de la concurrence économique entre elles, d’une part, et entre elles et
certaines firmes originaires de pays en voie d’industrialisation rapide. D’ailleurs, cela
n’a pas empêché ces derniers de poursuivre et de consolider leur stratégie de
croissance. Beaucoup d’entre elles font aujourd’hui partie intégrante des réseaux des
grandes entreprises mondiales. Il faut donc retenir que, mis à part un boycott
généralisé et de longue durée organisé par les PED exportateurs de produits de base à
l’encontre du monde occidental, les firmes originaires de ce dernier ne percevaient pas
de réelle menace de la part de ce qu’il convenait d’appeler le tiers-monde17.
Nous disons donc que la globalisation de l’économie internationale n’était pas
« dirigée » contre les PED et ne peut pas être tenue pour responsable de la menace de
marginalisation qui pèse très sérieusement sur bon nombre d’entre eux. Ce n’est pas la
globalisation qui et la cause de la marginalisation des PED ; c’est plutôt leur incapacité
391
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
392
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Exportations Importations
1977 1985 1995 1977 1985 1995
Groupe des Sept a 50.5 50.9 50.1 50.9 52.4 47.8
Autres pays
industrialisés 18.3 18.2 21.2 22.9 19.4 21.8
Asie en développement
Amérique latine b 7.6 11.3 17.5 8.0 11.5 19.3
OPEP 3.9 3.1 2.6 4.9 2.7 3.7
Autres pays b 14.7 8.1 4.1 7.0 4.7 2.7
Total 5.0 8.4 4.5 6.3 9.3 4.7
100 100 100 100 100 100
(a)
Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada.
(b)
Hors OPEP
Source : OCDE, Perspectives économiques, Paris, 1998.
393
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
394
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
395
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
dans les années 1980. La chute du prix du pétrole, dans un cas, la crise de la dette,
dans l’autre, sont les traumatismes majeurs qui expliquent, en première analyse, la
marginalisation de ces deux régions dans les flux commerciaux au cours de cette
période. La prégnance jusqu’à ce jour des phénomènes d’accoutumance à la rente dans
un cas, à l’endettement extérieur dans l’autre, constitue assurément l’obstacle majeur
au redressement à long terme de ces deux régions.
L’Europe de l’Est et les pays d’Asie centrale, qui composaient l’ancien bloc
soviétique, connaissent eux aussi une évolution fortement régressive de leurs revenus
relatifs depuis le début des années 1980, suivie d’un effondrement après la chute du
mur de Berlin. Cette région qui réalise moins de 5 % des exportations mondiales de
biens et services, a une structure d’exportation proche de nombreux PED, où les
produits de base et intermédiaires occupent une place prépondérante. Le
démantèlement du réseau des échanges intra-régionaux au début des années 1990 et le
coût social considérable de la conversion à l’économie de marché ont ramené le
revenu réel par habitant au niveau de l’Amérique Latine et du monde arabe.
Au total, les comparaisons internationales de revenu par habitant évoquent bien
moins l’existence d’une convergence que d’un fossé véritable entre la partie
développée et relativement peu nombreuse de la planète et l’immensité humaine du
tiers-monde. Ces démonstrations montrent en tous les cas que le problème du
développement économique des PED reste plus que jamais d’actualité. Il est à craindre
en effet que ce problème soit négligé par la communauté internationale après le revers
politique majeur subi par les pays du tiers-monde avec la fin de la guerre froide. Il faut
se rappeler que le mouvement tiers-mondiste avait le vent en poupe tout au long des
années 1960 et ses membres étaient activement courtisés par les protagonistes de la
guerre froide. C’est ainsi que les nations du tiers-monde parvinrent à faire décider
l’Organisation des Nations-Unies que la décennie 1970 soit décrétée celle du
développement. Un tiers de siècle a passé et on ne parle plus aujourd’hui que de
mondialisation. Les problèmes dus à la persistance du sous-développement de
l’immense majorité de la population mondiale ne semblent plus préoccuper les
principaux décideurs mondiaux comme par le passé.
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LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
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LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
des possibilités de rente. Les individus et les groupes de pression seront incités à
investir des ressources pour rechercher des rentes et obtenir des privilèges au lieu de
chercher à accroître la production. Les responsables politiques offriront des rentes en
échange de rémunérations monétaires et/ou de soutien politique. Cette recherche de
rente entraîne un gaspillage de ressources et un facteur de violence politique pour
s’approprier des rentes.
Théorie de l’échange inégal. Les difficultés des pays en développement trouvent
leur origine dans la différence des taux de salaire entre nations et dans la péréquation
internationale des taux de profits. Les pays à bas salaires vendent leurs marchandises à
un prix inférieur à leur « prix de production », même si leur productivité est similaire à
celle des pays industrialisés. Une partie de leur sur-travail est donc transféré à ces
derniers et contribuent à leur appauvrissement.
Théorie des effets d’entraînement. Elle part de l’existence d’effets
d’entraînement de l’amont du processus productif vers l’aval, et de l’aval vers l’amont
et de l’interdépendance à long terme des décisions en matière d’investissement. Les
gouvernements sont incités à pratiquer une politique d’investissement sélective en
faveur des secteurs industriels jugés les plus stratégiques en termes de retombées
économiques tout en soutenant l’existence de la libre entreprise et du libre-échange.
Théorie des étapes de la croissance. Toute société passe par cinq phases :
tradition, transition, décollage (take off), maturité et consommation intensive. Le
problème soulevé par le développement se situe au niveau de la troisième séquence. Le
décollage se produit grâce à une forte augmentation du taux d’investissement,
déclenchant une dynamique auto-entretenue de la croissance.
Théorie des industries industrialisantes. Les industries industrialisantes sont
celles qui dans leur environnement local modifient structurellement la matrice
interindustrielle, transforment les fonctions de production et augmentent la
productivité de l’ensemble de l’économie. La priorité donnée à ces industries repose
sur une forte intervention de l’Etat via la planification et la nationalisation des
entreprises.
Théorie du cercle vicieux de la pauvreté. Les pays sous-développés, en raison de
la faiblesse de la demande interne liée aux faibles revenus, sont dans l’incapacité de
lancer des projets d’investissement rentables et capables de déclencher le processus de
développement. Du coté de l’offre, la faible capacité d’épargne résulte du bas niveau
de revenu réel qui lui-même reflète la faible productivité qui résulte, à son tour, du
manque de capital qui lui-même est le résultat de la faible capacité d’épargne ; ainsi,
le cercle est fermé.
399
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
menées dans les différents pays et d’autre part, aux évolutions de la science
économique.
Dans les années 1950 et 1960, de nombreux économistes considéraient que le
principe du marché ne pouvait répondre de manière satisfaisante aux phénomènes
particuliers des pays en développement. L’Etat devait jouer un rôle majeur dans
l’allocation des ressources et, notamment, en matière d’investissement. La grande
dépression des années 1930 et la réussite à l’époque des expériences de planification
que cela soit en URSS ou bien au Royaume-Uni au cours de la Seconde guerre
mondiale expliquent une telle position. Même s’il existait des différences sur la nature
de la croissance équilibrée ou déséquilibrée, l’Etat était appelé à jouer un rôle
essentiel. Seuls des économistes comme Peter Bauer, Gottfried Haberler et Friedrich
Von Hayck s’opposaient à ce consensus. Un deuxième paradigme de la pensée du
développement à l’époque est son pessimisme vis-à-vis des stratégies de
développement fondées sur les exportations et, au contraire, l’encouragement donné
aux stratégies de substitution d’importation.
Dans les années 1960 et 1970, plusieurs études de nature micro-économique
mirent en évidence les distorsions de prix et les inefficacités qui résultaient des
stratégies de substitution d’importations. Parallèlement, la théorie économique a été
amenée de plus en plus à s’intéresser aux problèmes d’information et d’incitation et à
la manière dont les arrangements contractuels développés pouvaient soit résoudre, soit
au contraire, aggraver ces problèmes. C’est au cours des années 1960 et 1970 que se
sont également développées les études concernant la mesure de la pauvreté et des
inégalités et les analyses de la relation entre concentration de revenus et la croissance,
initiée par la courbe en « U » renversée de Kuznets.
Les années 1980 ont marqué un tournant. D’une part, la disponibilité des données
ainsi que les progrès en matière de traitement informatique des données ont permis
une analyse empirique d’un certain nombre de mécanismes du développement. D’autre
part, les maigres résultats obtenus par les stratégies de développement mises en avant
dans les années 1950 ont conduit à la fois à une faible croissance et des problèmes
d’ajustement et de dette.
Au cours des années1990, l’accent a été mis sur le rôle des institutions dans le
développement et notamment l’importance des systèmes juridique et financier. Des
travaux ont été menés dans les domaines de l’économie politique de la réforme et de la
construction institutionnelle. Le capital social (degré de cohésion sociale, normes,
associations, réseaux d’influence) est maintenant analysé comme un facteur important
dans la mise en œuvre des politiques économiques, des réformes ainsi que le
fonctionnement des institutions. Parallèlement, un ensemble de travaux a été consacré
à l’efficacité du rôle de l’aide au développement. Ils ont mis en évidence le rôle des
institutions et des politiques dans les résultats de cette aide.
400
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
401
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
L’examen des multiples obstacles qui ont fait l’objet de la section précédente
peut laisser à penser que les chances qu’ont la plupart des pays du Sud de réussir un
développement économique rapide sont très minimes. De l’inflation démographique à
certaines caractéristiques sociales comme l’analphabétisme de masse, en passant par la
complexité de la technique moderne, les faibles coûts du transport, la sur-urbanisation
et l’hypertrophie du tertiaire, les effets de démonstration, il y a là une série
impressionnante d’obstacles dont chacun d’entre eux pris isolément peut à lui seul
bloquer un processus de développement. Face à cette adversité, et au bilan plutôt
négatif des expériences de développement passées, on est obligé de se poser la
question délicate suivante : le développement économique des pays du Sud constitue-t-
il une nécessité ou une alternative ? Si en effet les objectifs de croissance économique
permanente sont si difficiles à atteindre, et si, en même temps, les bouleversements et
les déséquilibres sociaux entraînés par les efforts que nécessite tout processus de
développement risquent de détruire toute l’harmonie de tant de sociétés, n’est-il pas
plus sage alors de décréter que le développement rapide n’est pas une voie inéluctable
et qu’il constitue une option parmi d’autres ? Ainsi, au lieu de s’obstiner de vouloir
atteindre des volumes de production toujours plus importants, il serait peut-être plus
raisonnable de privilégier à travers des actions et des politiques essentiellement
sociales l’instauration et le maintien d’une harmonie et d’un équilibre social basés sur
un art de vivre propre aux sociétés sous-développées. Bien sûr, il ne s’agit pas
d’accepter la fatalité et de baisser les bras devant la misère et la pauvreté, mais
d’améliorer les conditions de vie des masses populaires en empruntant des voies autres
402
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Les impératifs
Les pays qui ne parviennent pas encore à réunir les conditions de leur démarrage
économique ne peuvent espérer le faire sans avoir au préalable vaincu certains
obstacles qui rendent vaine toute stratégie de développement économique. Pour cela,
ces pays sont tenus de prendre sans tarder des mesures que tout le monde qualifie
d’impératives. Ce sont des mesures indispensables, en ce sens que, si elles étaient
omises, « il y aurait extrêmement peu de chances pour ne point dire pas du tout , de
s’engager avec tant soit peu de succès dans un processus de développement
économique et social rapide »20. Si l’urgence de certaines de ces mesures est plus
pressante dans certains pays par rapport à d’autres, il est certain que le freinage
démographique constitue presque partout la première des priorités.
Si les problèmes liés à l’inflation démographique semblent déjà affecter des pays
aussi riches et relativement peu peuplés que les monarchies du Golfe, qu’en est-il alors
pour les autres pays qui sont moins bien lotis ?
Dans une région aussi pauvre que ne l’est en moyenne le tiers-monde et où la
progression démographique est, et restera, proche du niveau jugé élevé de 2% par an,
le freinage de cette inflation constitue une nécessité impérieuse. Tant que l’inflation
démographique ne sera pas jugulée, il est tout à fait illusoire de s’attendre à des
progrès réels dans le domaine du développement économique. Nous avons vu
403
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
3 - L’industrialisation
404
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Pays-Bas – une telle option n’est concevable aujourd’hui que pour un nombre réduit
de pays. Les riches pays exportateurs de pétrole du Golfe constituent le seul cas où
cette possibilité pourrait s’avérer faisable. Dans d’autres pays de faible importance
démographique aussi , c’est le secteur des services qui pourrait jouer le rôle de moteur
de la croissance économique.
L’industrialisation qui représente pour le tiers-monde plus un objectif qu’un
moyen pose cependant une série de problèmes qui dépassent largement le cadre de la
seule économie nationale. Il s’agit de savoir d’abord si un tel processus doit s’inscrire
dans le cadre d’une économie pratiquant le protectionnisme commercial ou, au
contraire, l’ouverture sur les autres économies. Les économistes qui prônent le
protectionnisme rappellent à cet égard l’exemple historique des pays développés qui
tout en prêchant le libéralisme en matière de commerce international aux pays du tiers-
monde oublient qu’eux-mêmes avaient érigé des barrières douanières extrêmement
élevées durant leur phase de décollage et parfois bien au delà de celle-ci. Ils insistent
notamment sur le cas des Etats-Unis considérés aujourd’hui comme le chantre du
libéralisme commercial, pays qui en 1913 pratiquait des droits de douane de 44% en
moyenne pour les articles manufacturés. Tous les pays actuellement développés ont
amorcé leur développement à l’abri de barrières douanières. Et les périodes de libre
échangisme n’ont été qu’un court intermède dans l’histoire économique. Or, selon ce
point de vue, si cette protection s’est avérée nécessaire pour les pays occidentaux qui
ont emprunté la voie de l’industrialisation au XIXe siècle, à un moment où non
seulement les coûts des transports élevés constituaient une barrière naturelle très
efficace, mais où, surtout, les écarts entre les niveaux de développement étaient sans
commune mesure avec ceux existant aujourd’hui, on comprendra aisément qu’une
telle protection soit nécessaire pour le tiers-monde. A l’inverse, les économistes qui
souhaitent voir les pays du Sud pratiquaient des politiques libre-échangistes rappellent
à cet effet les résultats décevants des stratégies de substitution aux importations mises
en œuvre par certains pays en développement durant la période 1950-1970 et les
retombées négatives sur le plan interne suite à l’application de certaines mesures
comme la fixation de taux de change élevés21.
Par ailleurs, l’industrialisation du tiers-monde pose le problème de l’existence de
marchés extérieurs suffisamment nombreux et assez vastes pour pouvoir accueillir le
surcroît de production qui découlera de la mise en œuvre de ce processus. Une bonne
partie de cette production supplémentaire devrait être en toute logique écoulée sur les
marchés des pays développés. Ces derniers n’accepteront de jouer le jeu qu’à deux
conditions principales et interdépendantes. La première est que leurs importations
accrues en provenance des pays nouvellement industrialisés soient accompagnées et
compensés par des volumes d’exportation plus importants à destination de ces mêmes
pays. La seconde suppose que les nouvelles productions exportés par les pays du Sud
vers les marchés des pays riches du Nord ne concurrencent pas des productions
similaires et ne risquent pas de provoquer des pertes d’emplois massives et la
disparition de pans entiers de l’économie de ces pays. Cela implique que les pays
occidentaux auraient déjà accompli la restructuration des secteurs productifs les plus
exposés à cette concurrence. Il y aura alors une nouvelle division internationale du
travail dans la mesure où les pays développés auraient avantage à abandonner les
secteurs où les niveaux de rémunération sont faibles au profit d’autres nécessitant une
405
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
capacité technique plus élevée et, de ce fait, des niveaux de rémunération et de profit
plus importants. Des secteurs qui trouveraient d’ailleurs dans les marchés du tiers-
monde une possibilité supplémentaire d’écoulement de marchandises plus importante.
Les modalités d’accès au marché mondial constituent toujours une des conditions
les plus importantes de la réussite de toute stratégie d’industrialisation. Jusqu’à
présent, les pays en développement ont toujours envisagé cet accès au marché mondial
d’un point de vue individuel, chacun voulant tirer le maximum de profit de ses
relations commerciales avec le monde extérieur, notamment avec les pays
occidentaux. L’objectif étant de réaliser le plus grand excédent commercial possible
afin de pouvoir financer des volumes d’importation accrus ce qui favoriserait le
processus d’industrialisation. Cependant, cette voie n’est concevable que si elle est
mise en œuvre par un nombre limité de pays. Les marchés des pays développés ne
pourront offrir de débouchés qu’à une partie des productions supplémentaires en
provenance des pays du Sud. Un partie substantielle de ces productions doit donc être
écoulée sur les marchés intérieurs de ces mêmes pays. Cela ne sera possible que si ces
pays parviennent à réaliser entre eux une véritable intégration économique régionale.
Car il faut convenir que l’industrialisation des pays en développement ne se fera pas
dans le cadre de marchés nationaux individuellement séparés. En effet, dans les
premières phases du développement, en raison des coûts élevés de transport et de la
capacité restreinte de production des équipements, l’étroitesse d’un marché national
n’était pas un facteur négatif. A l’époque, les marchés des diverses entreprises
n’étaient-ils que rarement nationaux pour être plus souvent régionaux. Actuellement,
en raison de l’éclatement des anciens empires coloniaux, on compte un grand nombre
de pays en développement, qui pour la plupart sont faiblement peuplés. Il y avait en
1990 dans le tiers-monde près de 100 pays de moins de 10 millions d’habitants (dont
plus de 80 avaient moins de 5 millions). Mais ce problème démographique aurait une
importance tout à fait relative comparé à la faiblesse endémique du pouvoir d’achat de
ces pays. Aujourd’hui, même les marchés nationaux des grands pays de l’Union
européenne ne sont plus considérés comme étant de taille adéquate. Or, il est bon de
savoir que le pays du Sud qui a le PNB le plus élevé, à savoir la Chine, représente
encore le dixième de celui des Etats-Unis et la moitié de celui de la Grande-Bretagne.
Ainsi donc face au faible nombre de leurs populations et au bas niveau de vie de
celles-ci qui ne leur permettent pas encore de consommer certains biens qui nécessitent
de très grandes unités de production, les pays en développement, à l’exception peut-
être de la Chine, de l’Inde et du Brésil, n’ont d’autres choix que de se regrouper en
communautés économiques régionales. Ces pays ne peuvent pas faire autrement s’ils
veulent réellement peser d’un poids significatif dans les flux des investissements
internationaux. La taille du marché et le nombre de populations qui le composent est
un critère important dans le choix d’un pays d’accueil. Les diverses économies
d’échelle incitent en effet les investisseurs étrangers à implanter leurs unités de
production dans un pays membre d’une zone de libre échange plutôt que de multiplier
les implantations d’usines dans des pays différents et isolés. Bien entendu, ces
raisonnements ne tiennent pas compte du problème que ne manquera pas de poser
l’industrialisation rapide des pays du Sud en matière d’environnement. Ce n’est pas le
lieu ici de débattre de ce problème.
406
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
La première leçon à tirer dans ce domaine est que l’impulsion originelle qui avait
été donnée à la théorie du développement par la décolonisation et la guerre froide est
maintenant révolue. Le cadre théorique de la théorie du développement doit donc être
révisé. Il doit l’être en premier lieu par ceux qui en sont le plus concernés, c’est-à-dire
les théoriciens du développement économique originaires des PED.
Le paradigme de l’Etat
Au début, si l’on considère la recherche qui s’était basée sur le rôle de l’Etat, il y
a lieu de noter que les travaux effectués sous l’égide des Nations-unies avaient subi
l’influence précoce de la théorie de la croissance en provenance de la Grande-Bretagne
au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Ces premières manifestations théoriques
ont trouvé une plus large expression à travers la théorie de la modernisation et la
théorie institutionnelle. La théorie de la modernisation a subi l’influence idéologique
de la guerre froide. Elle a été adoptée par les institutions du capitalisme industriel et
peut-être considérée comme le principal courant orthodoxe de la théorie du
développement. La théorie institutionnelle est par contre plus sophistiquée
intellectuellement et plus radicale politiquement et s’est développée au sein des
organisations des Nations-unies. Une approche distincte a été produite en Amérique
Latine sous l’appellation de théorie de la dépendance par l’agence des Nations-unies et
certains organes étatiques des pays de la région.
La modernisation
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Le paradigme du marché
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(iii) encouragement de l’esprit d’entreprise avec des abattements fiscaux pour les
firmes et l’affirmation du droit au libre management ;
(iv) ouverture des économies au système global élargi avec le désarmement de
l’arsenal des barrières tarifaires et non tarifaires et la libre circulation des
capitaux.
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SECTION II
Une des idées les plus répandues en ce qui concerne les perspectives
économiques des PED est que le mouvement de globalisation de l’économie mondiale
qui est en cours constitue une menace sérieuse pour ces pays. Et l’on cite à cet égard
les chiffres presque insignifiants qui caractérisent la part des PED dans les
phénomènes économiques internationaux qui sont caractéristiques du mouvement de
globalisation. Les PED n’interviennent que dans des proportions très marginales et
décroissantes dans les échanges commerciaux et les flux d’investissement
internationaux. Leur part est aussi plus réduite dans la création de richesse et de
nouvelles technologies27. Cette coïncidence entre l’essor du mouvement de
globalisation et le recul de la participation de beaucoup de PED dans les phénomènes
caractéristiques de ce mouvement a fait dire à de nombreux auteurs que le processus
de globalisation constitue un obstacle important au développement de ces pays et un
facteur déterminant de leur marginalisation sur la scène économique internationale.
Nous avons déjà examiné ce point de vue et avons montré que ce n’est pas tant le
mouvement de globalisation qui est responsable du déclin de la part des PED dans
l’économie mondiale mais la persistance de leur sous-développement économique. Il
faut savoir en effet que le déclin de la part des PED dans les différents phénomènes
économiques internationaux ne traduit pas un recul en termes absolus mais en termes
relatifs. Si par exemple la part des PED dans les échanges commerciaux internationaux
baisse effectivement au cours d’une période donnée en pourcentage du total du
commerce mondial et que, au même moment, ce dernier connaît une expansion
soutenue, cela signifie dans la plupart des cas que la part des PED stagne ou progresse
faiblement alors que les autres groupes de pays réalisent l’essentiel de cet
accroissement du commerce mondial. Le problème est principalement inhérent aux
pays qui n’arrivent pas à suivre le rythme des autres groupes de pays et à occuper dans
l’économie mondiale une place qui soit proportionnelle à leur poids démographique et
à leurs potentiels économiques. Le problème de ces pays est que la persistance de leur
sous-développement les empêche de prendre part de manière active au mouvement de
globalisation et d’en tirer profit. C’est sous cet angle qu’il faut analyser les
phénomènes de marginalisation des PED et non l’inverse.
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LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
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LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
militaires comme celui de l’activité économique, le plus grave n’est pas de prendre des
décisions erronées mais de les prendre tardivement. Laisser un problème en suspens
pour ne pas avoir à supporter les sacrifices qui en découleront nécessairement, cela
non seulement ne résout en rien le problème en question, mais rendra plus tard sa prise
en charge plus complexe et plus difficile et les sacrifices à supporter encore plus
douloureux.
Malheureusement, nous remarquons que la tendance dominante parmi les
gouvernements des pays du Sud, les syndicats et les mouvements associatifs est de
rendre la globalisation économique responsable de bien des difficultés économiques et
sociales que subissent aussi bien les pays pauvres que les couches défavorisées des
populations des pays riches. Les manifestations anti-mondialisation qui mobilisent de
plus en plus de mécontents et sont de plus en plus violentes et qui vont même jusqu’à
annuler des rendez-vous économiques internationaux importants sont révélatrices de
cette tendance. Il est sûr cependant qu’une telle démarche ne saurait constituer une
politique en soi et une réponse adéquate de la part de ces pays aux défis qui les
attendent.
S’il est facile d’admettre que la pratique qui consiste à temporiser en face des
problèmes posés et à fuir devant les défis que pose le mouvement de globalisation
représentent de toutes les manières la politique à ne pas suivre, il faut se demander en
revanche quelles sont les opportunités que représente ce mouvement et quelles sont les
mesures à mettre en œuvre et les stratégies à suivre pour tirer profit de ces
opportunités. Nous pensons sincèrement que dans tous les pays, si le gouvernement
central et les autorités régionales ne prennent pas en charge cette tâche, ce sera les
individus qui le feront mais pour leur seul bénéfice personnel. Leur nombre et l’effet
de leur action seront néanmoins de moindre importance que si ces actions étaient
prises en charge par les pouvoirs publics. Nous reviendrons sur ce point dans la suite
de cette section.
Nous avons déjà défini le processus de globalisation comme étant la tendance à
l’unification du marché mondial du travail à travers la constitution de firmes-réseaux
mondiales. Nous avons dit au début de ce travail que la grande firme nationale n’est
plus une « grande » entreprise mais ce n’est pas non plus un simple ensemble
d’entreprises plus petites. C’est un réseau d’entreprises. Son centre apporte la
perspicacité stratégique et relie les éléments entre eux. Mais ceux-ci gardent souvent
une autonomie suffisante pour établir des connexions profitables avec d’autres
réseaux. Dans ces réseaux, la puissance et la richesse vont aux groupes qui ont
accumulé les compétences les plus fortes en matière de résolution et d’identification de
problèmes. En effet, dans les réseaux mondiaux, les produits sont des assemblages
internationaux. Ce qui est échangé entre les nations, c’est moins souvent des produits
finis que des services de résolution de problèmes (recherche, développement,
fabrication) d’identification de problèmes (marketing, publicité, études de marché) et
management (financement, mise en relation de participants, contrats). Les groupes qui
offrent ces services sont en train de se multiplier partout sur la planète. L’efficacité
accrue des télécommunications et des moyens de transport réduit la taille du monde, et
permet à un groupe localisé dans un pays de combiner ses compétences avec celles
d’autres groupes localisés dans d’autres pays pour créer la plus grande valeur possible.
Ainsi, une bonne partie du savoir, des capitaux et des services que les différents nœuds
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LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
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LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
En résumé, les gouvernements, les entreprises ou les personnes qui ne sont pas
conscients de la nature véritable du mouvement de globalisation et qui ne vont pas de
l’avant pour faire face au défi qu’il représente seront rattrapés par les conséquences et
les problèmes dues à une attitude d’immobilisme négative. Il convient donc de poser la
question de savoir quelles sont les mesures à prendre et les moyens à mettre en œuvre
pour relever le défi de la globalisation ?
Il faut savoir que les premiers concernés par ces mesures sont les personnes
eux-mêmes. Les hommes doivent être conscients que c’est à leur niveau que se pose la
problématique fondamentale de la globalisation et qu’ils forment l’enjeu primordial
des stratégies mises en œuvre autour de cette question. Chaque personne doit
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LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
parfaitement savoir et le plus tôt possible qu’elle représente le fantassin sans lequel le
défi de la globalisation ne sera pas relevé. Il faut savoir en effet que si par le passé, les
individus tenaient à acquérir une éducation et une formation adéquates pour eux et
pour leurs progénitures, c’était essentiellement aux fins de gravir des échelons qui les
mèneront aux catégories sociales supérieures. Aujourd’hui, une telle entreprise est
indispensable à ces personnes si elles ne veulent pas subir l’exclusion économique et
sociale.
Les hommes ne sont donc pas exempts de responsabilité vis-à-vis du nouveau
contexte économique qui est issu du phénomène de la mondialisation. Plus que par le
passé, le confort moral et matériel d’une personne va désormais dépendre moins de
l’entreprise pour laquelle elle travaille et du pays dans lequel elle vit et plus de tout ce
que cette personne entreprendra pour acquérir en permanence de nouvelles
connaissances et parfaire ses compétences. Pour la personne concernée, cet effort
continu et sans relâche doit avoir comme objectif d’intéresser les meilleurs réseaux
mondiaux et d’être en mesure d’offrir ses services partout dans le monde où ils sont
demandés. C’est à ce prix que l’on peut gagner la compétition qui se joue maintenant
au niveau du marché international du travail. Déjà, dès à présent, les grandes
entreprises mondiales recrutent leurs hauts responsables sur une base internationale en
recourant aux services de cabinets d’affaires spécialisées. Ainsi, ces firmes
cosmopolites n’hésitent pas à recruter et à promouvoir des cadres de toutes les
nationalités. Dans la logique de la montée des « industries du savoir » qui caractérise
l’économie contemporaine, des firmes qui hésitent à attribuer les postes les plus élevés
à des étrangers ont des difficultés à recruter les meilleurs talents dans le monde ; ceux-
ci ne veulent évidemment pas rejoindre une organisation qui ne laisse entrevoir aucune
promesse de promotion. Nous voyons là le bon coté de l’économie globale
mondialisée à l’inverse de l’ancienne économie nationale hiérarchisée et relativement
isolée, dont ces emplois de cols blancs étaient nécessairement limités en proportion du
nombre de cols bleus en dessous d’eux ; l’économie mondiale n’impose pas de limite
particulière en nombre de citoyens d’un pays susceptibles de vendre des services
d’identification et de résolution de problèmes dans le monde entier. La demande
mondiale pour ce genre de services est insatiable et croit si vivement qu’il n’existe pas
de problème de jeu à somme nulle. Si les travailleurs d’une nation sont mieux formés,
ils sont en mesure d’ajouter plus de valeur à l’économie mondiale ce qui aura des
retombées positives sur tous les habitants de la planète. Il est vrai, bien sûr, que la
nation dont les membres font les premiers des découvertes en tirera vraisemblablement
un bénéfice disproportionné. Cela ne signifie pas que la maîtrise par les citoyens d’une
nation de certaines technologies paralysera les progrès technologiques dans les autres
pays. Les technologies ne sont pas des biens pour lesquels la demande mondiale est
finie ; elles n’existent pas non plus en quantités finies que certains recueillent au
détriment des autres. Les technologie sont des domaines de connaissances ; et la
connaissance n’a pas de frontières et ne connaît pas de limites. Les avancées d’une
nation dans un domaine sont autant d’acquis potentiels pour les chercheurs et les
scientifiques des autres nations. La prémisse néo-mercantiliste selon laquelle « ils
gagnent ou nous gagnons » est à ce sujet tout simplement inexacte.
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être recherchée est une solution globale qui traite tous les aspects du problème en
question et non pas une solution parcellaire qui ne le résout qu’au prix de l’aggravation
d’autres problèmes. Je crois que la biologie cellulaire offre une bonne illustration de ce
que doit être la pensée en termes de système. Les pathologies sont analysées en effet
comme un dysfonctionnement général pour que les remèdes trouvés n’apaisent pas le
mal en question en causant bien d’autres.
La maîtrise des formes les plus élaborées de l’abstraction et de la pensée en
termes de système est impossible sans le recours à l’expérimentation. L’habitude
d’expérimenter permet de raccourcir le temps de résolution des problèmes. C’est cette
caractéristique qui lui confère une importance cruciale dans la nouvelle économie, où
les technologies, les goûts, les produits et les marchés changent perpétuellement.
Enfin, il y a la capacité à coopérer. Apprendre à coopérer, à communiquer des
concepts abstraits et à atteindre un consensus est une préparation idéale pour la vie de
travail en équipes des travailleurs du savoir. Comme nous l’avons déjà fait remarquer,
dans les firmes réseaux, l’ambiance de travail habituelle des travailleurs du savoir est
le partage des problèmes et des solutions.
Ces aptitudes, qui ne sont pas exhaustives, doivent ensemble devenir ce sujet
sur lequel doit insister l’éducation formelle dés les premières étapes de la formation et
continuer jusqu’à la fin des études universitaires.
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Le manque de moyens matériels et humains est l’une des manifestations les plus
évidentes du problème de pauvreté de masse. Ainsi, si l’on veut recenser les
nombreuses explications possibles de la persistance de la pauvreté dans les nations en
développement, il convient d’avoir à l’esprit deux thèses extrêmes. La première
repose sur une pénurie « matérielle » ou de capital physique : des nations sont pauvres
parce qu’elles ne disposent pas de certains biens ayant une valeur, tels que des usines,
des routes ou des matières premières. La seconde interprétation met en jeu une
insuffisance de capital humain : des nations sont pauvres parce que leurs citoyens
n’ont pas accès aux connaissances qu’utilisent les pays industriels pour créer ce qui a
une valeur sur le plan économique. Ces deux implications ne sont pas exclusives l’une
de l’autre. Les nations en développement pâtissent le plus souvent de ces deux
insuffisances en même temps.
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Kuznets a suivi l’évolution de ce phénomène dans les pays occidentaux sur une
période assez longue, et il a constaté que la part relative de la propriété dans le revenu
national était tombée de 45 à 25%, pendant que celle du travail passait de 55 à 75% 36.
De tous les éléments qui sont regroupés sous la notion de capital humain, c’est à
l’instruction que revient le rôle prépondérant. L’enseignement représente plus qu’une
simple consommation. Il n’est, en effet, pas suivi à la seule fin de retirer satisfaction et
utilité au moment même de la fréquentation de l’école. Au contraire, les dépenses
publiques et privées qu’il entraîne sont supportées volontairement afin d’acquérir un
stock productif, incorporé dans les êtres humains et générateur de revenus futurs. Ces
revenus consistent en gains futurs escomptés, en l’aptitude à exercer un emploi
indépendant ou à effectuer des travaux domestiques, et en la satisfaction des
consommations futures.
Dans leurs travaux sur le rôle de l’éducation, Anderson et Bowman nous offrent
une perspective historique des progrès de l’alphabétisation au début du processus de
modernisation et du rôle de l’éducation dans le développement économique des
dernières décennies. Ils établissent une corrélation entre alphabétisation et débuts de
l’industrialisation en Occident et avancent que les taux d’alphabétisation étaient, à
cette époque, supérieurs à ce que l’on admettait généralement. Ils montrent que la
progression et la transmission des compétences pratiques et des connaissances
intellectuelles sont à la base du développement économique et remarquent en
conclusion : « Une économie dynamique ne peut être lancée et maintenue à son
rythme que par la conjonction des efforts des individus de toutes les couches sociales,
donc par la mise en jeu tant de connaissances générales que d’aptitudes techniques et
manuelles – en particulier l’aptitude à décoder des instructions et à s’initier aux
procédés nouveaux. Une économie complexe ne peut reposer que sur l’utilisation
massive d’instruments de diffusion, de stockage et de remise en circulation des
connaissances. »37.
Le capital santé
Bien que l’on ait souvent mis en avant les effets négatifs de l’amélioration de la
situation sanitaire, puisqu’elle se traduit par un accroissement de la population, pour T.
Schulz cependant, aucune composante de la qualité n’a un impact aussi important et ne
contribue autant qu’elle au bien-être général des populations des pays pauvres. Il est
vrai en effet que la plus grande part de la croissance démographique actuelle est due à
la chute des taux de mortalité et à la persistance de taux de natalité relativement élevés,
mais ce que l’on a peu vu par contre, c’est que l’accroissement démographique
n’excluait pas forcément une progression du bien-être. D’après certains auteurs, c’est
le contraire même qui est vrai, car l’allongement de la vie humaine s’accompagne
d’importants effets bénéfiques. Cet allongement se traduit par une série d’effets sur les
incitations à acquérir davantage de capital humain, et notamment par une plus grande
propension à acquérir un supplément d’instruction et de formation au sein de
l’entreprise, investissements générateurs de bénéfices futurs. Il incite par ailleurs les
parents à investir davantage dans le capital humain de leurs enfants. L’amélioration de
l’état de santé et l’allongement de la vie humaine provoquent en outre un
accroissement de la productivité des travailleurs : tant par allongement de leur période
427
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
428
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Cette politique doit être analysée d’un point de vue très large qui ne se résume
pas à l’éducation et à la santé mais prend en compte le capital humain dans toute sa
diversité. Les analyses récentes portant sur le développement expriment de manière
unanime l’idée que les droits économiques, sociaux et culturels doivent être placés sur
le même plan que les droits civils et politiques. Les notions de droits de l’homme et de
développement humain qui présentent des différences seraient donc à la fois
compatibles et complémentaires. C’est sous cet aspect que le rapport mondial sur le
développement humain 2000 publié par le programme des Nations-unies pour le
développement humain (PNUD) perçoit la relation entre ces deux concepts.
Le principe qui sous-tend le développement humain – à savoir qu’il est essentiel
d’améliorer la vie et d’accroître les libertés de chacun – présente de nombreux traits
communs avec les préoccupations exprimées dans les différentes déclarations sur les
droits de l’homme. La lutte pour le développement humain et la réalisation des droits
de l’homme repose, à bien des égards, sur une même motivation. Elles reflètent un
engagement fondamental en faveur de la liberté, du bien-être et de la dignité des
individus dans toutes les sociétés.
Du fait de cette relation fondatrice entre développement humain et droits de
l’homme qui passe en particulier par l’engagement de chacun à garantir les libertés
fondamentales aux yeux des individus, les notions de développement humain et de
droits de l’homme sont à la fois compatibles et complémentaires. Si le développement
humain se concentre sur le renforcement des capacités et des libertés dont jouissent les
membres d’une communauté, les droits de l’homme constituent eux, les créances que
les individus ont sur le comportement des agents individuels et collectifs et sur la
structure des dispositifs sociaux en vue de faciliter ou de garantir ces capacités et ces
libertés.
C’est là que l’approche fondée sur les droits de l’homme peut offrir une
dimension supplémentaire et très utile à l’analyse du développement humain. Elle relie
cette dernière à l’idée que les autres ont des devoirs pour faciliter et faire avancer le
développement humain. La première étape consiste à se rendre compte que
l’évaluation du développement humain, si elle est combinée à l’approche fondée sur
les droits de l’homme, peut renseigner sur les devoirs d’autrui, au sein de la société, en
vue de renforcer le développement humain d’une manière ou d’une autre. La notion de
développement renvoie à une multitude d’autres préoccupations, telle que le fait de
rendre des comptes, la culpabilité et la responsabilité. Ainsi, proclamer le droit des
individus à un enseignement de base gratuit, ce n’est pas simplement dire qu’il serait
bien que tout le monde accède à une instruction élémentaire, ni même que tout le
monde doive y accéder. En affirmant ce droit, nous faisons en fait valoir que tous les
individus sont en droit de recevoir une instruction élémentaire gratuite, et que, si
certains n’y ont pas accès, le coupable se trouve certainement quelque part dans le
système social. Et rechercher ceux qui doivent rendre des comptes pour de telles
carences peut fortement contribuer à la découverte de remèdes.
429
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
430
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
monarchie qui n’était pas toute puissante et à une justice indépendante . Et c’est en
Angleterre que, peu après, a commencé la révolution industrielle. D’autres recherches
ont constaté une forte corrélation entre l’absolutisme et la stagnation économique dans
les grandes cités européennes entre le XIIe siècle et le début du XIXe siècle.
Tout ceci peut paraître éloigné des problèmes de réformes politiques et
économiques qui se posent aujourd’hui aux pays en développement, mais ce n’est pas
le cas. L’argument selon lequel l’autoritarisme favorise le développement est
circonstanciel et ne s’appuie que sur l’exemple d’une seule région, l’Extrême-Orient,
sur une période comparativement courte. De toute façon, cet exemple, n’est pas très
convaincant, car si l’Extrême-Orient est un cas spécial ce n’est pas du fait du caractère
autoritaire du régime. Il est encore moins convaincant si l’on élargit le débat,
historiquement et géographiquement. Les dictatures qui suivent une politesse
économique sage peuvent obtenir une croissance économique rapide ; mais elles sont
rares, et, étant des dictatures, elles n’ont pas les atouts économiques des démocraties
stables. Les partisans de la «voie asiatique» qui soutiennent que la démocratie sape le
développement ont tort, car loin de freiner la croissance, la démocratie la facilite.
Aujourd’hui, cette relation entre le politique et l’économique est partagée par
les institutions financières de Bretton Woods, elles-mêmes. Le Fonds monétaire
international et la Banque mondiale sont, en effet, engagés dans une révolution qui ne
vise rien de moins qu’à remettre en cause l’organisation qui a été établie au sortir de
la Seconde guerre mondiale. Celle-ci s’est appuyée sur une vision « libérale » du
monde, au sens d’une séparation claire entre les domaines du politique et de
l’économique. Cette séparation entre l’économique et le politique fait aujourd’hui
l’objet d’une profonde remise en question de la part des deux institutions. FMI et
Banque mondiale dépassent désormais leur mission originelle pour s’engager dans des
actions politiques directes dans les pays où elles interviennent. Les deux institutions
définissent ainsi un cadre entièrement nouveau pour les politiques multilatérales d’aide
au développement.
Cette prise de conscience, issue de l’expérience pratique, de la nécessaire prise
en compte du « politique » au sens large dans la définition des politiques de
coopération, s’est effectuée dans un contexte financier qui a contribué à la renforcer.
La diminution progressive des ressources financières apportées par les Etats qui
permettent l’octroi de prêts à des conditions favorables (faible taux d’intérêt, longue
période de remboursement, etc.) obligeait alors les politiques de coopération à devenir
plus sélectives. Elles ont cherché pour cela à définir les critères qui leur permettraient
de choisir les pays dans lesquels leurs interventions pourraient s’avérer les plus
efficaces. Ainsi, le document de travail du G7 de Halifax de juin 1995, consacré à
l’avenir des institutions multilatérales, indiquait clairement que « les ressources
concessionnelles devront être allouées en priorité aux pays qui en ont le plus besoin et
ont démontré la capacité de l’utiliser efficacement ». Parmi les nouveaux critères de
sélection discutés, le critère politique et institutionnel a pris une place de choix 41.
La prise en compte des aspects institutionnels du développement a d’abord pris
le chemin d’une discussion animée par la Banque Mondiale autour de la notion de
« bonne gouvernance ». Celle-ci servait à poser « la question des lieux de contrôle et
de pouvoir effectifs dans les pays dénués de structures étatiques fortes, en Afrique
notamment »42.
431
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Le FMI et la politique
432
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Les événements des années 1990 ont débouché sur une approche plus large de
la lutte contre la pauvreté, selon laquelle les politiques visant à remédier aux inégalités
profondes, aux défaillances des institutions, aux barrières sociales et aux vulnérabilités
des personnes sont aussi cruciales que la poursuite de la croissance économique. Cette
approche plus large découle aussi d’une plus grande prise de conscience du fait que la
définition de la pauvreté ne se borne pas à de faibles revenus, au manque d’instruction
et à la mauvaise santé. Une étude de fond pour le rapport sur le développement dans le
monde 2000/2001 montre que les pauvres n’ont souvent aucun moyen d’agir sur les
facteurs sociaux et économiques qui déterminent leur bien-être. Outre l’exclusion
sociale, le manque de réceptivité des institutions publiques, la brutalité de la police et
le comportement arbitraire des fonctionnaires sont souvent incriminés. En résumé, les
pauvres définissent leur condition comme le manque d’opportunités, de possibilités
d’insertion et de sécurité matérielle. A définition plus large de la pauvreté, il faut une
plus large panoplie de mesures pour la combattre, et il est plus difficile de la mesurer
et de comparer les résultats entre pays et dans le temps.
433
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Les actions nationales et locales ne sont souvent pas suffisantes pour assurer un
recul rapide de la pauvreté. Il y a bien des domaines où un effort international,
notamment des pays industrialisés, est nécessaire. Les pays industrialisés pourraient
créer des opportunités en ouvrant davantage leurs marchés aux importations provenant
des pays pauvres (produits agricoles, textiles et services notamment). On estime que le
protectionnisme de la part des pays industrialisés cause chaque année une perte de
bien-être équivalent à plus du double de l’aide au développement 44. Une plus grande
participation des pays pauvres et des groupes déshérités pourrait conduire à une plus
grande équité des règles qui gouvernent les interactions de l’économie mondiale. En
outre, les pays donateurs pourraient renforcer la capacité des pays en développement à
combattre la pauvreté en augmentant l’aide à ceux dont la politique générale soutient
la lutte contre ce fléau ainsi qu ’en finançant l’initiative renforcée du FMI et de la
434
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Banque mondiale en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) de manière à
approfondir l’allégement de la dette dans tous les cas possibles.
435
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
managériales que leurs collègues situés dans les autres pays qui étaient en compétition
avec eux pour l’obtention de ces emplois. Cette concurrence qui avait lieu jadis au sein
d’un seul pays implique aujourd’hui un nombre considérable de pays.
Comme nous l’avons déjà noté, le rôle prépondérant des compétences
scientifiques et techniques, du savoir et de l’aptitude à l’expérimentation dans la
création de richesse font que, aujourd’hui, ce sont les travailleurs du savoir les plus
talentueux qui tirent pleinement parti de cette évolution. Le fait que l’activité
essentielle de ces travailleurs du savoir prenne la forme de « manipulation de
symboles » dont les résultats sont facilement transférables d’un endroit de la planète à
un autre fait que le marché potentiel pour les services de cette catégorie de travailleurs
atteint des proportions véritablement mondiales. Il résulte de cette caractéristique que
les rémunérations auxquelles ont droit ces manipulateurs de savoir sont fonction du
nombre de consommateurs qui sont susceptibles d’acquérir leurs services de par le
monde. Ces rémunérations peuvent, du reste, atteindre des niveaux très élevés. De
manière croissante donc, la capacité de chacun de disposer d’une richesse à la fois
matérielle et immatérielle est déterminée par la valeur que l’économie mondiale toute
entière accorde à ses compétences et à sa perspicacité.
L’inventivité qui donne droit à des revenus au titre des droits de propriété est
devenue un élément important dans toutes les économies et aspire à être rémunérées à
sa juste valeur. Des pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France ou la
Suisse s’appuient fermement sur les structures de l’Organisation Mondiale du
Commerce pour défendre les intérêts de leurs producteurs dont les droits de propriété
constituent une partie importante de leurs revenus. L’importance de cet élément est
devenue telle que l’ancien directeur général du GATT de 1980 à 1993, le Suisse
Arthur Dunkel, répartit les revenus de l’activité économique en trois catégories : les
revenus tirés de la vente de biens (agricoles et industriels) de la prestation de services,
et de l’exploitation de droits de propriété 46. En donnant une place à part aux droits de
propriété qui étaient auparavant confondus avec les services, le conférencier voulait
ainsi distinguer les services à haute valeur ajoutée qui génèrent des produits brevetés et
sont rémunérés par les droits de propriété, des services ordinaires qui reçoivent de
simples salaires et des primes.
Le nombre de brevets déposés est considéré aujourd’hui comme un sérieux
indicateur de la capacité d’innovation d’un pays. Dans un entretien récent, le
consultant allemand Roland Berger déclarait à propos de l’Allemagne, que ce pays
vivait une crise d’innovation du fait qu’il n’enregistre que 120 brevets par an et par
million d’habitants, alors que les Etats-Unis en enregistrent 292. Pour ce consultant,
ces statistiques traduisent l’existence d’une structure industrielle encore trop orientée
sur l’ancienne économie, alors que d’autres pays sont beaucoup plus tournés vers les
services et les nouvelles technologies. L’Allemagne dépense 1,9% de son Produit
Intérieur Brut pour subventionner les vieilles industries alors que les Etats-Unis n’y
consacrent que 0,4%. La focalisation des allemands sur l’industrie est telle qu’ils ont
besoin de 2,4% de croissance pour créer des emplois, alors que les Etats-Unis n’ont
besoin que de 0,5% de croissance pour obtenir le même résultat 47.
436
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
En Allemagne, le problème ne vient pas des multinationales qui vont plutôt bien
et se développent à l’étranger pour améliorer leurs performances, mais plutôt des 3,3
millions de PME qui ont encore les vieilles structures des sociétés industrielles. Elles
emploient 70% des salariés et 80% des apprentis allemands mais ne génèrent que 57%
du PIB. Le système de l’apprentissage n’est pas adapté à une économie de services
développée. L’apprentissage américain est celui de la nouvelle économie avec des
étudiants qui vont voir des capital-risqueurs et qui montent des start-up. En l’an 2000,
142 milliards d’euros avaient été dépensés par le capital-risque dans le monde. Les
Etats-Unis en ont capté 73%, l’Allemagne uniquement 3,5%.
Le mouvement ou la politique de mondialisation est en passe de changer
complètement la face du monde 48. L’importance cruciale du facteur humain dans le
processus de globalisation du fait de l’émergence des savoirs et des compétences en
tant qu’intrants suprêmes dans toute activité de production de biens ou services est en
train de creuser l’écart entre ceux qui sont parfaitement intégrés dans ce processus et
ceux qui en sont exclus. A l’inverse des premiers, les derniers n’ont pas les
compétences qui leur permettent de tirer profit des opportunités, en tous genres, que
rend possible le mouvement de mondialisation. Les gouvernements qui sont conscients
de cette évolution craignent que la poursuite de cette tendance ne débouche sur la
scission de la société en deux parties et de leur coexistence en deux humanités que tout
ou presque sépare 49.
C’est pour cette raison qu’ils mettent en œuvre des politiques qui mettent
l’accent sur le développement de la faculté de leurs citoyens à acquérir des
compétences et à pouvoir les utiliser de manière productive. Les réussites
économiques globales de pays faiblement dotés en ressources économiques et
relativement peu peuplés comme Hongkong, Singapour, la Malaisie ou la Corée,
découlent moins de la pertinence des politiques économiques gouvernementales mises
en œuvre au début du processus d’industrialisation de ces pays que de l’élévation du
niveau d’instruction et de professionnalisation de leurs populations actives. Ces pays
parviennent, non sans peine, à relever le défi de la mondialisation mieux que tous les
autres pays en développement et même certains pays avancés. Leur expérience, en ce
qu’elle a de positif, doit servir de leçon aux autres pays du Sud.
Deux aspects de cette expérience nous semblent être d’une grande importance.
Le premier est que ces pays, situés pour la plupart en Asie de l’Est, se caractérisent par
de taux d’épargne très élevés, ce qui signifie que leurs systèmes financiers arrivent à
canaliser une grande partie de cette épargne vers les projets d’investissement. Le
second est relatif au rôle décisif qui a été joué par les investissements étrangers dans la
modernisation de ces pays et leur accès au rang de puissances économiques
intermédiaires. C’est ce second point qui nous importe le plus ici.
Dans son rapport annuel sur les investissements internationaux, la Conférence
des Nations-Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) a noté que
jamais ces transactions transfrontalières n’ont été aussi élevées qu’en l’an 2000. Ils ont
alors atteint la somme record de 1300 milliards de dollars. Cette croissance
spectaculaire des investissements à l’étranger « renforce le rôle de la production
internationale, en faisant la principale force dans l’intégration économique
internationale », souligne l’étude. Avec leurs 800 000 filiales et leurs millions de
salariés, les 63 000 groupes internationaux sont le fer de lance de ce mouvement. A
437
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
eux seuls ils ont totalisé les deux tiers des investissements transfrontaliers réalisés en
l’an 2000. Ce poids leur permet d’imposer leur vision de la mondialisation. Car leurs
choix sont précis, tant sur les cibles que sur les régions. La triade, comme le rapport
surnomme la réunion des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon, reste la destination
première. Ces pays qui abritent l’essentiel des grands groupes internationaux, ont attiré
en l’an 2000 l’essentiel des investissements mondiaux (1000 milliards de dollars),
principalement sous la forme de fusions-acquisitions. La montée en puissance de
l’Union européenne, l’intégration de part et d’autre de l’Atlantique ont nourri ces
grandes concentrations, soutenues aussi par les marchés financiers.
Face à ces masses financières mises en jeu par les grandes firmes occidentales,
les sommes investies dans les pays en développement font pâle figure. Même si elles
ont représenté 240 milliards de dollars, leur part dans le total mondial n’est plus que de
19%, « le plus bas niveau depuis 1991 » note le rapport. Mais là encore quelques
destinations sont privilégiées, la Chine – du fait de l’anticipation de son entrée dans
l’Organisation mondiale du commerce – avec 64 milliards de dollars d’IDE reçus, en
Asie, le Brésil et le Mexique en Amérique latine. Quant à l’Afrique, la chute
inexorable se poursuit. En l’an 2000, les investissements internationaux ont été de 9,1
milliards de dollars contre 10,5 milliards en 1990, soit moins de 1% du total mondial.
Mais ce qui nous intéresse le plus, ce n’est pas tant la géographie des
investissements qui, du reste, semble peu évoluer, mais leurs formes. Celles-ci, en
revanche, connaissent de profondes modifications. Les grands groupes ne veulent plus
seulement implanter des usines d’assemblage. Ils se pensent en réseaux, n’hésitent
plus à transférer, y compris dans les pays en développement, des missions comme la
recherche et le développement, le marketing, le design, la finance. Des fonctions qui
semblaient réservées au siège, il y a encore peu de temps. Selon la CNUCED, ces
transferts sont appelés à s’amplifier dans les prochaines années, ce qui forcera les pays
à adopter d’autres politiques pour attirer les grands groupes. Taxes et coûts du travail
peu élevés ne seront plus, d’après le rapport, des éléments suffisants. Une main-
d’œuvre qualifiée, un tissu industriel répondant aux attentes des multinationales et
intégré dans des bassins économiques seront les arguments de demain.
Ceci n’a rien de surprenant vu les développements que nous avons notés
auparavant. Rappelons-nous, en effet, qu’un des traits majeurs de la globalisation est la
montée en puissance du savoir, incarné par le facteur humain, qui éclipse le capital en
tant que facteur de production jusque-là décisif. Le savoir et les compétences sont la
raison d’être de firmes véritablement mondiales constituées en réseaux et présentes sur
les cinq continents. Ce sont des schémas techniques, des informations scientifiques,
des renseignements qui circulent en synergie au sein de ces réseaux. Lorsqu’un réseau
est ainsi constitué, la mobilisation de capital ne pose pas de problèmes importants. Les
responsables du groupe peuvent faire appel à des capitaux originaires de chaque pays
d’implantation des filiales du réseau et même d’ailleurs. On ne compte plus
aujourd’hui le nombre de firmes qui sont cotées dans les bourses étrangères. Ceci
constitue un autre indice de la prééminence du facteur humain sur le facteur capital.
Les pays du Sud doivent orienter leurs politiques de développement de façon à
tirer pleinement profit des opportunités que renferme cette évolution stratégique et
structurelle. L’ascendant pris par le savoir sur le capital dans le processus de
production et de création de richesse ouvre de nouvelles perspectives aux pays en
438
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
439
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
part, une incitation supplémentaire aux investisseurs étrangers pour y installer leurs
unités de production ; et lorsque de telles unités sont déjà implantées, cela permet,
d’autre part, d’accroître le nombre de nationaux qui travaillent dans ces installations,
ce qui leur offre l’occasion d’affiner leurs connaissances et d’acquérir une plus grande
expérience. On évite ainsi que le personnel local ne soit limité à l’exécution de tâches
administratives routinières et peu gratifiantes.
Les autorités concernées possèdent ainsi un élément d’information qui doit
orienter leurs actions dans le sens d’une meilleure prise en charge de la problématique
de l’orientation des ressources vers les secteurs prioritaires de l’éducation et de la
formation.
L’autre élément qui doit guider les actions publiques dans ces domaines précis
tient aux évolutions et aux tendances lourdes qui caractérisent l’économie mondiale.
Aujourd’hui, nous constatons un foisonnement d’expressions polyphoniques telles que
les révolutions du temps, le temps zéro, la bombe informatique qui, toutes, renvoient
aux changements historiques auxquels nous assistons, avec le sentiment mal maîtrisé
d’en être les dupes, d’où une oscillation entre la résignation et la protestation. Mais les
pouvoirs publics ne doivent pas se résigner à cette alternative. Il est de leur devoir
d’être attentifs à ces transformations et de mettre en œuvre toutes les mesures
nécessaires pour tirer profit des opportunités dont elles sont porteuses. Parmi les
changements les plus significatifs et les plus prometteurs, l’on peut citer
l’accroissement de la contribution des services à la production et aux transactions
marchandes, notamment dans les économies développées. Les mutations du système
productif expliquent en partie que les secteurs des services occupent aujourd’hui une
part prépondérante dans l’emploi, dans les consommations intermédiaires comme dans
la valeur ajoutée des économies avancées et même des NPI.
L’autre élément tient à la croissance rapide, au sein des services intermédiaires,
de services à fort contenu informationnels, résultat de l’externalisation par les firmes
de certaines fonctions de services mais aussi de l’apparition de nouveaux secteurs liés
à la diffusion des technologies de l’informatique et des télécommunications. Ces
« services informationnels » regroupent toutes les activités à forte composante de
« matière grise » consistant à traiter, mettre en forme et transmettre les diverses
informations nécessaires au fonctionnement des entreprises et des marchés. Ces
activités, telles que les services de conseil, les services informatiques, les services de
communication ou certains services financiers réclament des investissements (initiaux
et permanents) importants pour transformer les informations collectées et accumulées
en connaissances et en savoirs stratégiques d’aide à la décision et à l’action, qui sont
indispensables au fonctionnement des entreprises et au développement de l’échange
marchand.
Ces savoirs accumulés et mis en forme dans des « produits par les prestataires
de services informationnels ont de plus en plus tendance à être érigés en normes de
gestion et principes d’action des entreprises dans un contexte de mondialisation
accrue. Ce faisant, le degré de polarisation des pays sources de tels services, de même
que les niveaux atteints par ces services ont des incidences croissantes en terme de
polarisation des échanges internationaux de services, mais aussi de localisation de
telles activités tendant vers une hiérarchisation forte de la production au niveau
440
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
mondial, au sein même des pays avancés et de façon encore plus accentuée entre pays
industrialisés et pays en développement.
La somme des compétences critiques nécessaires pour que les entreprises
restent dans la course a constamment évolué. Aujourd’hui, ces blocs de savoir ne
reposent pas sur les seules technologies issues des principes scientifiques et techniques
(eux-mêmes souvent d’origines diverses) mais aussi sur des savoirs relatifs au design,
au marketing, à la logistique, à la gestion financière, à la gestion des organisations, à la
gestion des ressources humaines, à la connaissance des marchés, etc. Ils supposent un
investissement de départ important dans la qualité des ressources humaines à
disposition de l’entreprise et d’un investissement permanent pour maintenir cette
qualité.
Une proportion importante des activités de services s’internationalise sous la
forme de l’investissement direct plutôt que de l’échange. Le mode
d’internationalisation des services et plus souvent contraint par la nature du service
qu’il ne se présente pour l’entrepreneur sous la forme d’une alternative. Les formes
prises par le processus d’internationalisation dans le conseil et l’audit sont sans doute
parmi celles les plus avancées de globalisation et de réseau. Elles sont organisées en
un véritable partenariat intégré de compétences au niveau mondial, qui leur permet
d’organiser leur « production » sur des bases locales et de l’adapter aux spécificités
des marchés.
Les pays en développement qui arriveront dans les années à venir à donner au
plus grand nombre de leurs citoyens les compétences et l’expérience nécessaires qui
leur permettront de faire partie de ces réseaux intégrés auront réussi à relever un grand
défi de développement économique. Et cela pour plusieurs raisons. La première est
que, même si le taux de croissance du commerce et des investissements internationaux
reste vigoureux, il n’en demeure pas moins qu’il sera insuffisant pour permettre aux
dizaines de pays en développement dont la part des exportations mondiales est
marginale d’augmenter celle-ci dans des proportions significatives sans réduire de
manière drastique celle des autres pays (OCDE et NPI). Une telle perspective
risquerait alors de déboucher sur une guerre commerciale à grande échelle. En
revanche, la possibilité pour les pays en développement d’investir le créneau des
activités de services à forte valeur ajoutée en intégrant des réseaux de compétences
internationaux lui donneront l’occasion d’accroître leurs revenus en moyens de
paiement internationaux. Ils pourraient de la sorte porter la valeur de leurs
importations à des niveaux supérieurs sans qu’ils aient besoin, au préalable,
d’augmenter la valeur de leurs exportations, chose que ces pays ont toujours eu du mal
à réaliser.
L’expansion du commerce mondial selon un scénario aussi favorable
permettrait d’abord de favoriser le développement économique des pays en
développement du fait de l’impact positif de l’importation de biens d’équipements en
quantités supérieures. Ce faisant, ces pays deviendraient de gros marchés pour les pays
développés et seraient moins dépendants de leurs exportations en direction de ces
derniers même si celles-ci seraient en constante progression. Les grands groupes
mondiaux trouveront alors la situation propice pour s’engager dans une nouvelle étape
de restructuration industrielle qui devrait déboucher sur une nouvelle division
internationale du travail plus étendue et plus favorable à toutes les parties prenantes.
441
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
442
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
emplois consistant à exécuter des tâches routinières. Dans l’état actuel de l’économie
mondiale, et en l’état actuel des connaissances scientifiques et des méthodes
techniques, la mise en œuvre d’une telle politique n’est envisageable que pour un
nombre limité de pays en développement. Si un grand nombre de ces pays se mettait à
poursuivre une politique résolue d’industrialisation et d’accroissement des capacités de
production en guise de stratégie de développement, cela provoquerait d’abord des
bouleversements écologiques et environnementaux dont les conséquences
dépasseraient de loin les profits qu’il serait raisonnable d’attendre de ces politiques.
Cela aboutirait ensuite à de graves désordres dans le commerce international dans la
mesure où le surcroît de production qui en découlerait de l’application de pareille
stratégie est de loin supérieur à la capacité d’adaptation des différentes parties
prenantes à l’émergence de nouvelles puissances commerciales. Pour que les marchés
mondiaux puissent accueillir ces nouveaux venus, il faudrait envisager une nouvelle
division internationale du travail qui sera basée sur une spécialisation poussée à
l’extrême.
Ceci dit, les pays en développement ne sont pas condamnés à choisie entre
renoncer à toute forme effective de développement économique et opter pour une
politique de croissance aux effets si néfastes qu’elle s’avérerait inacceptable. La
solution existe. Elle passe par une transition historique d’un modèle économique
défaillant à un autre performant.
La situation actuelle des pays en développement se caractérise généralement par
un secteur agricole prépondérant en termes de main-d’œuvre, avec des rendements
faibles ou insuffisants. Les taux très élevés de chômage, l’importance du secteur
informel et l’urbanisation archaïque ( le phénomène des bidonvilles) traduisent à la
fois le fait que le secteur industriel soit resté limité et fortement lié aux activités
extractives, et d’autre part, la difficulté à promouvoir des secteurs tertiaires
performants.
Le nouveau modèle économique qui doit se substituer à l’ancien dont nous
venons de voir les principaux traits doit s’appuyer sur une démarche originale et
d’avant-garde. Il n’est pas sûr en effet que la modernisation de l’agriculture et le
développement concomitant de larges secteurs industriels capables d’absorber le
surcroît de main-d’œuvre ainsi libéré par les exploitations agricoles soit, comme ce fut
le cas en Europe aux XIXe et XXe siècles, la solution qui traduirait le passage à ce
modèle de croissance plus performant. La démarche qui est la plus en phase avec les
caractéristiques de notre époque voudrait que le passage soit fait avec une période
transitoire minimale d’un système économique à dominance agricole à un autre à
dominance de services sophistiqués. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel genre de
services. Les services en grand nombre consistant en l’exécution de tâches routinières
ne nécessitant qu’une faible qualification, et faiblement rémunérés ne peuvent à
l’évidence prétendre servir de moteur au nouveau modèle souhaité. Au contraire,
celui-ci doit être basé sur la prestation de services à forte valeur ajoutée, à hauts
rendements et, par conséquent, hautement rémunérés. Cependant, l’existence d’un tel
schéma de croissance ne signifie pas qu’il s’agit là de services totalement
dématérialisés qui n’aient aucun lien avec la production de biens matériels.
Simplement, il serait nécessaire que la production matérielle en question ne soit pas
une production de masse. L’idéal serait qu’un grand nombre de techniciens,
443
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
444
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Je dois dire, en outre, que les tendances actuelles, n’augurent rien de bon en ce
qui concerne les capacités des pays du Sud, dans l’ensemble, à tirer profit des
opportunités de la mondialisation. Celle-ci s’appuie de plus en plus sur le savoir, les
compétences et l’innovation 52. Or, dans ces domaines, les pays en développement ne
semblent pas déployer les efforts nécessaires pour enrayer la tendance actuelle au
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LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
creusement du fossé qui les sépare des pays avancés ; l’examen du potentiel
scientifique et de savoir des différents pays ne pousse pas à l’optimisme en ce qui
concerne la réduction de l’écart de revenus entre pays riches et pays pauvres. Il n’est
pas sûr que la révolution du savoir permettra à un grand nombre de pays en
développement de faire un bond pour atteindre des niveaux plus élevés de
développement économique et social comme le laissent entendre de nombreux apôtres
de l’Internet. En fait, il est plus vraisemblable que l’écart en matière de savoir élargisse
les disparités entre riches et pauvres, condamnant ainsi de nombreux pays en
développement à vivre dans une relative pauvreté même si ce pessimisme est rarement
exprimé de nos jours.
De l’an 1995 à l’an 2000, – lorsque les secteurs technologiques ont d’abord
connu un essor, puis la dégringolade et restent maintenant à des niveaux élevés – les
bourses des pays émergents ont baissé de 27% alors que celles des pays développés
ont augmenté de 43%. Cette comparaison serait encore plus illustrative, si des pays
comme Hongkong, Taiwan et Singapour, classés parmi la première catégorie de pays,
en étaient exclus.
Pourquoi les marchés considèrent que le monde développé recèle de meilleures
opportunités en comparaison du monde en développement ? La raison est due au fait
que la « titrisation » favorise les pays riches et désavantage les pays pauvres. Cette
différence découle du « knowledge gap » (l’écart de savoir) et les facteurs qui lui sont
liés comme la faiblesse des institutions, la grande dépendance par rapport aux
exportations de certains biens ou l’inégalité qui caractérise les règles de l’économie
mondiale.
Il n’existe pas de divergence parmi les experts quant à considérer qu’une
innovation continue et profitable requiert trois conditions : le développement du
savoir, la fécondation croisée des idées parmi des personnes bien informées, ainsi que
la bonne gouvernance. Sur chacun de ces fronts, existe un fossé croissant entre pays
riches et pays pauvres, et qui est plus décourageant que l’actuelle disparité de revenu
entre ces deux groupes de pays.
Le savoir est le fruit du travail de personnes qui se consacrent à des activités
d’analyse, de pensée et d’expérimentation. Une mesure approximative de ces activités
est le nombre de scientifiques et de techniciens engagés dans la recherche et le
développement. D’après le plus récent rapport de la Banque mondiale sur le
développement dans le monde, les Etats- Unis, l’Allemagne et le Japon ont en
moyenne 3805 chercheurs et scientifiques pour chaque million d’habitants. Ce ratio est
31 fois supérieur à celui de la Malaisie, la Thaïlande et le Brésil – 121/un million.
Pourtant le rapport du ratio du PIB / habitant pour ces deux groupes de pays est
seulement de 3 à 1 (calculé en terme de pouvoir d’achat).
Le développement de l’innovation requiert la mise en place de réseaux
regroupant des personnes bien formées. Les pays en développement manquent de
moyens pour accéder à cette facilité. La diminution des prix des ordinateurs et des
coûts d’accès à l’Internet pourrait suggérer que l’information et le savoir deviennent
plus accessibles, mais les pays pauvres font face à différentes contraintes de coûts,
d’organisation et de formation. Ainsi, et alors qu’en 1998, il existait aux Etats-Unis en
moyenne 557 lignes téléphoniques pour chaque millier d’habitants, il n’en existait que
3 seulement pour le même nombre d’habitants au Bangladesh, 4 au Nigeria et 19 au
446
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
Pakistan. Dans des pays à niveau de revenus moyen comme la Malaisie, la Thaïlande
et le Brésil, la moyenne était de 134 pour 1000.
Plus important encore, les catégories de savoir les plus décisives ne peuvent pas
être transférées à travers des lignes téléphoniques. Elles nécessitent une proximité
physique des personnes concernées pour être mutuellement bénéfiques à toutes les
parties prenantes. Les experts des disciplines qui sont à la pointe de la recherche
scientifique ont tendance à se regrouper dans des centres situés dans des endroits très
peu nombreux. Cela à tendance à maintenir dans l’isolement leurs collègues des pays
en développement ou pire encore, favoriser leur immigration. En outre, de nombreuses
technologies dans des domaines comme l’automation, l’information et la génie
génétique sont mieux exploités par des compagnies qui se trouvent au centre de larges
réseaux de recherche interdisciplinaire. Comme les données sur les revenus le révèlent,
les diplômes sont habituellement nécessaires mais loin d’être suffisants pour le succès
des travailleurs du savoir. L’apprentissage se poursuit par l’apprentissage. Robert
Reich, ministre du travail dans le premier gouvernement de Bill Clinton, considère que
l’une des raisons qui fait que les travailleurs du savoir américains continueront à
exceller sur les marchés mondiaux, est leur concentration dans des secteurs
géographiques spécialisés où ils vivent, travaillent apprennent avec d’autres
travailleurs du savoir qui se consacrent à un même type de résolution et
d’identification de problèmes. A l’intérieur de ces zones, et dans beaucoup d’autres,
« des zones encore plus spécifiques rassemblent des manipulateurs de symboles encore
plus spécialisés qui vendent directement leurs compétences aux marchés mondiaux :
au Nord et à l’Ouest de Boston, des informaticiens qui se consacrent particulièrement
aux logiciels graphiques, entre Little Rock et Fayetville, dans l’Arkansas, des
scientifiques spécialisés dans la biologie moléculaire et les biotechnologies ; … » 53.
De telles zones sont difficiles à reproduire ailleurs. Alors que les inventions ou
les idées nouvelles et spécifiques qui en émanent peuvent traverser le monde en
quelques secondes, la formation cumulative et partagée qui est à la source de ces idées
est beaucoup moins facile à transporter. Dans ce système hautement efficace mais
informel, les capacités et les talents se dirigent là où ils peuvent ajouter le plus de
valeur.
Les brevets constituent une mesure directe de l’écart en terme d’innovation
entre pays du Nord et pays du Sud. Le nombre total de brevets enregistré aux Etats-
Unis, en Allemagne et au Japon a atteint 539347. La Chine et l’Inde qui totalisent une
population combinée de 2,1 milliards d’habitants, ont enregistré 17862 brevets. Cet
écart béant entre pays développés et pays en développement en termes de dépôt de
brevets indique là où a lieu l’essentiel de l’innovation 54.
Non seulement les brevets mesurent l’écart d’innovation, mais ils la renforcent.
Un brevet offre, en effet, un monopole temporaire sur l’exploitation d’une innovation,
ce qui accroît davantage sa valeur. Une certaine protection peut-être nécessaire, voire
importante pour qu’une innovation ne devienne pas un bien public, sans quoi ils ne
serait pas profitable de la développer. Mais comme le savoir gagne en importance, les
pays riches réagissent en renforçant la protection des droits de propriété intellectuelle.
Le bureau américain des brevets a tenté de breveter les modèles de gestion, les
méthodes et les processus, et ainsi assurer leur respect à l’échelle mondiale.
447
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
448
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
449
LA GLOBALISATION ET LES PAYS EN DEVELOPEMENT
globalisation se présente comme étant avant tout un défi que les pays du sud se doivent
de relever. Un certain nombre d’entre eux, une minorité très certainement vu les
conditions et les tendances prévalant actuellement, auront assez de clairvoyance et
feront preuve de suffisamment de bonne volonté pour rassembler tous les moyens qui
leur permettront de gagner ce pari. Les gains qu’ils en tireront seront tels que ces pays
ne feront plus partie de ce bloc de pays. Pour les autres nations l’avenir ne présage pas
de bons augures. Les handicaps qu’elles ont accumulés et les facteurs d’adversité
auxquels elles font face sont d’une ampleur et d’une complexité telles qu’il n’est pas
raisonnable d’espérer les voir suivre le même chemin que leurs prédécesseurs à
l’image d’un vol d’oies.
Ce travail est terminé, la recherche ne fait que commencer, disait Michel Beaud
pour conclure un de ses ouvrages. Cette phrase traduit parfaitement notre état d’esprit
par rapport à la nécessité d’entreprendre des travaux de recherche sur le sujet de la
globalisation qui soient à la mesure de l’importance de ce phénomène.
450
CONCLUSION GENERALE
CONCLUSION GENERALE
451
CONCLUSION GENERALE
Ainsi, et d’un point de vue rétrospectif, si les mesures qui ont été mises en
œuvre pour sortir de la crise des années 1930 ont été le fait de l’Etat, essentiellement,
celles qui devaient permettre de trouver une issue à la crise des années 1970 ne
pouvaient provenir, par contre, que des entreprises elles-mêmes. Dans ces conditions,
il était difficilement concevable que les stratégies de ces firmes dont le comportement
relevait désormais de considérations micro-économiques, puissent tenir compte à la
fois des intérêts des travailleurs, des managers et des propriétaires. En effet, la solution
qui a été imaginée par les grandes firmes occidentales pour renouer avec la croissance
et la prospérité s’est révélée être très avantageuse pour les managers et les travailleurs
les plus qualifiés, ainsi que pour les propriétaires, mais défavorable en général pour
les ouvriers de la production courante.
452
CONCLUSION GENERALE
Pour faciliter cette mutation et la rendre plus effective, les firmes concernées devaient
adopter une structure qui permet de mettre en valeur les nouveaux facteurs
concurrentiels privilégiés par les entreprises. C’est ainsi que la structure pyramidale et
fortement hiérarchisée caractéristique du système de production de masse standardisée
a cédé peu à peu la place à la firme-réseau. Le réseau est une structure flexible et
ouverte, employant surtout des hommes et des femmes qui combinent des
compétences et des savoirs variés et de haut niveau. Cette transformation structurelle
confirme une fois encore une loi inhérente au capitalisme qui veut que, à chaque mode
de production dominant, corresponde une structure organisationnelle spécifique. La
firme-réseau a ainsi succédé à la grande firme pyramidale qui a elle même succédé à la
petite firme entrepreneuriale et familiale du capitalisme du XIX° siècle. Mais
contrairement aux formes structurelles précédentes, la firme-réseau produit avant tout
des services à haute valeur ajoutée qui génèrent donc pour ceux qui les produisent des
niveaux de revenu très élevés. La production proprement dite tient une place de moins
en moins importante pour la rentabilité de la firme. Ainsi, lorsqu’elle n’est pas tout
simplement délocalisée dans des pays à bas salaires, la production est de plus en plus
automatisée et occupe donc un nombre marginal d’ouvriers. Un nombre croissant de
ces derniers est ainsi contraint de choisir entre un chômage qui peut durer longtemps et
une conversion vers une activité de services aux personnes, généralement précaire et
faiblement rémunérée.
453
CONCLUSION GENERALE
Ce constat global ne concerne pas des régions ou des pays en particulier. Les
changements évoqués plus haut se sont étendus à toutes les économies avancées et
émergentes et la firme-réseau est vite devenue un réseau-mondial qui obéit aux mêmes
principes partout dans le monde. On peut dire aussi qu’une telle évolution était inscrite
dans l’ordre des choses. En effet, le réseau ne peut être que mondial car le savoir sur
lequel est fondé sa prospérité est universel. Ainsi, des manipulateurs de symboles
situés aux quatre coins de la planète n’ont d’autre choix que d’unir leurs efforts et
leurs compétences pour identifier et résoudre des problèmes complexes. Cette
combinaison de talents transcende les limites des économies nationales et n’est pas
soumise aux intermédiations des entités économiques nationales comme ce fut le cas
jusque-là.
454
CONCLUSION GENERALE
faisait indirectement à travers les produits de chaque nation. Désormais, elle s’exerce
directement à travers les services productifs des travailleurs de chaque pays. Les
ouvriers de la production courante et les travailleurs du savoir, notamment les plus
talentueux d’entre eux, vendent leurs services directement au niveau de l’économie
mondiale. Ils sont rémunérés en fonction de la valeur qu’accorde cette dernière à leur
travail. Dans ces conditions, le critère de la nationalité des firmes devient de moins en
moins pertinent. Peu importe en effet qu’une firme appartenant en majorité à des
étrangers soit en position dominante sur un marché domestique ou qu’elle prenne le
contrôle d’une firme locale qui développe des technologies dites sensibles ou encore
qu’elle puisse bénéficier des aides et subventions prévues généralement au bénéfice
exclusif des entreprises domestiques ; le plus important est que le travail
d’identification et de résolution de problèmes complexes soit toujours réalisé par des
nationaux. Dans une économie en voie de globalisation où les produits sont un
assemblage cosmopolite de services productifs, la prospérité matérielle de ceux qui
participent à l’élaboration de ce genre de produits est fonction de la qualité de savoir
qu’ils déploient pour exécuter la tâche qui leur est dévolue. Cette évolution
fondamentale montre que le savoir a irrésistiblement pris le dessus sur l’argent en tant
que facteur de création de richesse. Le fait qu’une université aussi prestigieuse que
Harvard puisse lever des montants d’argents de l’ordre de 4 milliards de dollars est très
illustratif de cette évolution. Il faut donc s’attendre à ce que le pouvoir social passe
progressivement aux mains des détenteurs de capital dans la mesure où le travail
humain le plus créatif n’a jamais été rémunéré à des taux aussi élevés. Bill Gates,
patron et fondateur de la firme mondiale de programmes informatiques Microsoft, est
l’homme le plus riche de la planète ; il ne doit sa fortune qu’à son talent et sa
perspicacité.
455
CONCLUSION GENERALE
Les choses ont totalement changé maintenant. La globalisation est passée par là,
elle a fait en sorte que les activités économiques se résume de plus en plus à une
manipulation de savoirs en tous genres. Ceux qui ne possèdent pas les savoir requis ou
seront incapables de les acquérir sont soumis à la loi inexorable de l’exclusion sociale.
Il est certes difficile de donner une définition précise à ce terme ; on peut cependant
dire que celui qui subit cette exclusion ne peut même pas prétendre à la vie, au moins
sereine, que menait ses aïeux. Le système économique a beaucoup évolué, il ne tolère
ni régression, ni immobilisme. A l’image du vélo dont le mouvement ne peut être en
situation d’équilibre qu’en progressant vers l’avant, les forces qui sont derrière le
mouvement de globalisation ne laissent à tout un chacun le choix qu’entre deux
options, soit progresser et s’épanouir, soit régresser et souffrir.
456
CONCLUSION GENERALE
457
NOTES DU CHAPITRE I
458
pouvoir d’achat ou de la demande est de ce fait impossible. Au temps de son auteur,
voilà près de deux siècles, la loi de Say était tenue en haute estime.
18. J.M.keynes, Essai sur la monnaie et l’économie, Payot, Paris, 1971.
19. J.M.Keynes, « Suis-je libéral ? » in Essai de persuasion, Gallimard, 1933, p.243.
20. Pour une lecture satisfaisante des différentes constructions théoriques qui se sont penchées
sur la crise de cette fin de siècle, se référer à l’ouvrage collectif de CH- Barrere, G.Kebadjain,
O. Weinstein, Lire la crise, P.U.F, Paris,1983.
21. On peut définir le temps de transfert comme celui qui sépare deux interventions ouvrières le
long de la chaîne, « temps » pendant lequel le produit en cours de fabrication est « transfère »
d’un poste à l’autre sans être travaillé. Historiquement, la mise en œuvre de ce principe de
mouvement par le machinisme (convoyeurs, tracteurs,…) a permis en fixant de façon
extérieure à l’ouvrier sa cadence de travail, de réaliser des gains substantiels dans le
rendement du travail. Pourtant, en se développant, le principe va révéler la contradiction qui
l’anime :
-d’un côte, pour satisfaire à l’exigence de parcellisation (elle-même commandée par la volonté
de s’approvisionner à une main-d’œuvre non qualifiée), il faut décomposer au maximum le
travail et donc multiplier le nombre de postes de travail.
-de l’autre, la multiplication corrélative des distances et donc des temps pendant lesquels le
produit est simplement « transporté » - et non transformé.
En un mot, le problème naît de ce qu’on ne peut parcelliser le travail qu’en accroissant les
temps de transfert ; les temps « morts » évacués d’abord de la production reviennent par un
autre côté. Il en résulte qu’à partir d’un certain d’un certain seuil de « pertes », il redevient
utile de s’interroger sur « l’économie » de temps véritablement réalisée.
Le problème de l’équilibrage naît de la nécessité de « gérer » et coordonner un ensemble de
postes séparés de travail de façon tout à la façon à :
-respecter du point de vue technique des contraintes d’antériorité ; certaines opérations de
fabrication et/ ou de montage ne pouvant être effectuées qu’après d’autres ;
-minimiser la main-d’œuvre nécessaire ;
-maximiser le temps « d’occupation » de chaque ouvrier sur chaque poste et à « équilibrer » le
temps global d’occupation de chacun des ouvriers employés.
La mise en œuvre de cette procédure est extrêmement complexe et mobilise une
importante force de travail occupée à la « préparation » du travail. Le problème est de parvenir
à ce que chaque ouvrier posté soit occupé sans interruption, malgré les variations du cycle
opératoire de l’un à l’autre (que la somme d’occupation de chacun soit égale au temps
d’occupation des autres).
Benjamin Coriat, L’atelier et le chronomètre, Christian Bourgesis Editeur, 1979, p.200.
22. « Données sociales », Edition 1978, collections de l’INSEE, n° 62-63 p.103-04.
23. Le turn-over, toujours important dans les industries taylorisées se gonfle encore dans les
années 1960-1970 pour atteindre des taux de 60% à 100%. Quant à l’absentéisme, il coûterait
1000 francs français par ouvrier spécialisé et par an en 1970, et ce chiffre augmenterait de
25% par an depuis cette date. Ces deux éléments de la « crise du travail » pourraient conduire
à accroître de 50% le coût salarial, in B.Rosier et P.Dockes, op.cit, p.207.
24. Les thèses opéraîstes souffrent de l’accent exclusif mis sur les luttes socio-politiques au
détriment des contradictions économiques. Elles ne peuvent pas, de ce fait, rendre compte de
certains aspects de la crise, en particulier dans la production.
25. Alice.M.Riveling, Reviving The American Drean : The Economy, The states and the
Government. The Brooking Institutions, 1992, p.68.
26. Denis Clerc, Alain Lipietz, Jean-Satre. Buisson, La crise, Alternatives économiques, Syros,
1985, p.61.
27. On peut faire remarquer que dans la thèse du primat du taux de profit, quel que soit le contenu
particulier donné au rapport de causalité taux de profit- crise, le rapport se trouve toujours pris
dans sa dimension micro-économique, de même que son ressort actif est toujours attribué à
une logique élaborée en termes de comportement des capitalistes. Il peut difficilement en être
autrement à partir du moment où l’on cherche à faire du taux de profit un élément premier,
actif, et que l’on essaye de trouver un moyen par lequel il soit en mesure d’agir réellement sur
459
l’économie et de déterminer son évolution. On doit aussi signaler la confusion relevée par
Jean Robinson entre baisse et insuffisance du taux de profit. La baisse, à supposer qu’elle soit
d’ampleur significative, n’explique pas pourquoi le taux de profit devient insuffisant et met en
cause la poursuite de la production capitaliste. Il faut préciser en quoi le taux de profit
se révèle insuffisant et constitue un facteur de blocage de la croissance. De toute
manière, il serait pour le moins hasardeux de répercuter au niveau global une prétendue
relation de comportement dont le sens ne peut être situé qu’au niveau micro-économique.
28. Frederich..Von Hayek, Prix et production, Calman-Levy, Paris, 1975.
29. Michel Beaud, Le basculement du monde, Editions la découverte, Paris, 1997.
30. Imanuel Wallerstein, « les Etats dans le vortex institutionnel de l’économie monde
capitaliste », revue internationale de sciences sociales, vol.XXXII, 1980, n°4, p.797-805.
31. Jean Fourastié, les trentes glorieuses, pluriel, Paris, 1979, p.257.
32. Ajustement structurel dans l’industrie automobile, STI revue, n°3, avril 1988, p.23.
33. J.Fourastié, op.cit,
34. Pierre Rosanvallon, la crise de l’Etat providence, seuil, Paris, 1981, p.55.
35. P.Drucker, Façonner l’avenir, Intereditions, Paris, 1986, p.118
36. Anne Mayer, Pour une économie de l’information, C NRS, Paris, 1990.
37. R.Nelson, S.Winter, An Evolutionary Theory of Economic change, Cambridge, Mass,
Harvard University Press, 1990.
38. G.Stigler, The Organization of Industry, Homewood, ILL, Irwin, 1968, p.67.
39. J.Bain, Barriers to New Competition, Harward University Press, Cambridge, Mass, 1956.
40. David Ricardo, Principes de l’économie politique et de l’impôt, Calman-Levy, Paris, 1970.
41. Les travaux initiateurs de la théorie du capital humain remontent au début des années 1960. Ils
ont eu pour précurseurs les économistes américains G.Becker, «Human Capital », Columbia
University Press, 1964 et T.W.Schultz (prix Nobel d’économie 1971), « The Economic value
of Education », Columbia University Press, 1964.
42. P.Dasgupta, P.David, Toward a New Economics of Science, Stanford University, 1992.
43. Claudia H.Deutsh, Le rush vers l’eldorado des services, dépêche de l’AFP.
44. La tribune, 04 mars 1998.
45. Stan David et Jim Botkin, « The Coming of Knowledge Based Business”, The Harvard
Business Review, Sept-Oct 1994.
46. Andrew Wyckoff, l’observatoire de l’OCDE, n° 200, juin-juillet 1996.
47. M.Dertouzos, R.Lester, R.Solow, Made in America ; pour une reprise de l’initiative
industrielle, Inter éditions, Paris, 1990, p.21.
48. D.Ricardo, Works and Correspondances of David Ricardo, P.Sraffa, vol.I., Cambridge
University Press, 1951, p.292.
49. Le savoir chez Socrate signifie la connaissance de soi alors que chez Protagoras il signifie
savoir quoi dire et le dire bien. C’est cette dernière signification qui a dominé le monde
occidental pendant plus de deux mille ans. Ce qu’aujourd’hui nous considérons comme le
savoir fait ses preuves dans l’action. Les résultats sont extérieurs à la personne ; ils concernent
la société et l’économie ou bien l’avancement du savoir lui-même. P.Drucker, op-cit , p.55.
50. J.L.Gaffard, Economie industrielle et de l’innovation, Dalloz, Paris 1990, p.251.
51. Ce genre de travail, routinier et ne nécessitant pas une qualification élevée, explique peut-être
l’ambiguïté dont on a parlé précédemment au sujet des statistiques sur la répartition
sectorielle des activités économiques. Ainsi, sous prétexte que ce genre d’emplois, et bien
d’autre lui ressemblant, consistant en en le traitement répétitif et routinier de l’information,
doit être considère comme étant un travail de service, beaucoup d’observateurs défendent
l’idée de l’émergence d’une « économie de services». Le camp adverse inverse ce
raisonnement et défend l’idée selon laquelle ce genre de travail, du fait de sa grande différence
des emplois de service traditionnels comme le nettoyage ou la restauration rapide, il serait
donc préférable de parler d’une économie de l’information plutôt que de services.
52. U.S. Department of Commerce, Bureau of Labor Statistcs,
53. J.K. Galbraith, le nouvel Etat industriel, Gallimard, Paris, 1968, p.81.
54. Jean Fourastié, op.cit, p.84.
460
55. François Chesnais, La mondialisation du capital, Syros, Paris, 1994, p.111.
56. R. Boyer, J. Mistral,
57. Financial Times, 21 août 1991.
58. M. Destouzos, et al, op.cit, p.21.
59. A.Mayer, op.cit, p.232.
60. J.Voge, “Information, structure et complexité dans l’économie des services” dans l’Europe
face à la nouvelle économie de services, (sous la dir.) O.Giarini et J.R. Roulet, P.U.F, 1988.
61. Parmi les transformations les plus importantes analysées par John Naïsbitt on peut citer le
passage d’une société industrielle à une société d’information, l’avènement de l’économie
mondiale à la place de l’économie nationale, la décentralisation au détriment de la
centralisation, la substitution de l’auto assistance à l’assistance institutionnelle, le passage
d’une démocratie participative à une démocratie participative.
John Naisbitt, Megatrends ; Ten New Directions Transforming our Lives, Warner Books
Edition, New York, 1984.
62. Voir à ce sujet O.Williamson, « Markets and hierarchies, Analysis and Anti-trust
Implications », the Free Press, Collier Mac Millan, Pub, 1975.
63. Sur les notions d’entreprises en réseaux, se référer en particulier aux travaux d’A.Bressand,
notamment : « Competing in the Global Network of Networks » promethee, 1986 et A.Rallet,
« de l’entreprise réseau aux réseaux d’entreprises », réseaux, n°36, juin 1986.
64. D.Kaisergruber, Frontières de l’emploi, frontières de l’entreprise, futuribles, déc.1994.
65. D’après une étude du cabinet Peat Marwick, citée par J.de Bandt et P.Petit, compétitivité ; la
place des rapports industrie/services, in Benjamin Coriat, D.Taddéi, Made in France, 1993.
66. J.C.Michalet, le capitalisme mondial, Paris, PUF, 1985.
67. P.Veltz, Mondialisation : villes et territoires ; l’économie d’archipel, PUF, Paris, 1996.
68. O.C.D.E., les technologies dans un monde en évolution, Paris, 1990.
69. The New York Times, 18 avril 1988.
70. J.Cantwell, Technological Innovation and Multinational corporations, London, Blackwell,
1989.
71. J.K. Galbraith, op.cit, p.409.
72. Ashoka Mody, “ Changing Firm Boundaries : An Analysis of Technology – Sharing
Alliances”, The World Bank, The Working Papers, n°3, feb.1989.
73. Ingmar Granstedt, L’impasse industrielle, seuil, Paris, 1980.
74. Lire à ce sujet l’article de Woody Hocshwender, “How Fashion Spreads Around The World at
the Speed of Light”, The New York Times, 13 mai 1990.
75. On oppose les firmes multinationales japonaises (J) au modèle hiérarchique (H) des firmes
occidentales. En H, l’organisation hiérarchique à transmission verticale de l’information, se
traduit par un fort coût de supervision des filiales étrangères. En J, la décision collective se
fonde sur des échanges horizontaux d’information, un ajustement mutuel et une coordination
semi-autonome entre filiales, entre ateliers et entre employés. Le degré d’intégration de H est
supérieur à celui de J. la firme japonaise a davantage recours à la sous-traitance et aux
participations minoritaires au capital dans les filières étrangères. Le degré de formalisation est
inférieur en J qu’en H : organigramme moins net, moins de directives écrites aux filiales,
moins de rapports et de manuels d’instruction. Le modèle H, performant en environnement
économique stable, l’est moins quand augmente l’incertitude sur les marchés, les produits et
les techniques, ce qui est le cas avec la crise et le passage d’une production en masse de biens
standardisés à une production fluide de lots réduits de biens diversifiés à demande
personnalisée et fabriqués à la commande. La flexibilité et l’informalité du modèle J
deviennent alors des avantages.
461
NOTES DU CHAPITRE II
462
33. C. Oman, Mondialisation et Régionalisation : Le défi pour les pays en développement, Paris,
OCDE, 1994.
34. B.Madeuf, Du paradoxe à l’auto-organisation : pour une nouvelle approche de l’économie
mondiale, CEREM, 1981, p.41
35. M. Byé, G. de Bernis, Relations économiques internationales, Dalloz, 1977, p.912.
36. M. Fouquin, Industrie mondiale : la compétitivité à tout prix, Economica, Paris, 1986, p.
XXIII
37. J. Mistral, « Régime international et trajectoires nationales » in capitalismes fin de siècle, R.
Boyer, PUF, Paris, 1986, p.170.
38. CEPII, Economie mondiale : la montée des tensions, Economica, 1983, p.306.
39. G. Lafay, la spécialisation internationale, reflet et instrument de la transformation de
l’économie mondiale, in H. Bourguinat, Internationalisation et autonomie de décision,
Economica, Paris, 1982, p.112.
40. CEPII, Economie mondiale, 1980-1990 : la fracture ? Economica, 1984.
41. S.Amin, L’accumulation, Anthropos, 1970.
42. F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XV – XVIe siècle, A.Collin,
Paris, 1979, p.10, où l’auteur rappelle d’où lui vient l’idée et le sens qu’il donne à ce concept.
Pour lui, les économies-monde de l’histoire n’avaient pas besoin d’être planétaires. En
quelque sorte le monde en question, c’est la périphérie propre à une économie centre,
autonome sur la planète où elle exerce son empire.
43. G. de Bernis, op. cit., p. 40.
44. Ibid., p.797.
45. M. Beaud, le système national mondial hiérarchisé, La découverte, Paris, 1987.
46. G.Lafay,op. cit., p.2.
47. Marc Humbert, Le concept de système industriel mondial, dans M. Humbert (ed)
Investissement International et dynamique de l’économie mondiale, Economica, 1991.
48. B. Madeuf, op. cit. P.43.
49. H. Atlan, Entre le cristal et la fumée- Essai sur l’organisation du vivant, Paris, Seuil
50. C. Antonelli, « Les nouvelles technologies de l’information et l’économie industrielle », in
Technologies de l’information et nouveaux domaines de la croissance, Paris, OCDE, 1989.
51. Le contenu réel de l’Uruguay Round, qui a porté sur l’investissement, le droit d’installation
dans les services et la propriété intellectuelle, traduit mieux que les discours sur le commerce
international, les questions qui intéressent les groupes industriels aujourd’hui.
52. C.Oman, Globalisation et Régionalisation, Les enjeux pour les PED, Paris, OCDE, 1994, p.
35
53. F.Chesnais, op. cit., p.15.
54. Ibidem.
55. Claude Julien, Un monde à vau-l’eau, Le Monde Diplomatique, septembre 1995
56. Pour une lecture plus approfondie des problèmes conceptuels que pose le phénomène de
mondialisation, voir dans la collection Les points de vue, l’article de Maurice Bertrand, « les
défis conceptuels de la mondialisation » publication des cercles Condorcet, n° 14, Juin 1995
57. M. Wolf, The Global Economy Myth, The Financial Times, 13 Février 1996
58. M. Taniguchi, J. West, Vers une économie mondialisée, L’observateur de l’OCDE, n°207,
août-septembre 1997.
59. Elie Cohen, La tentation hexagonale, Fayard, Paris, 1996, p.20.
60. Idem, p.15.
61. F. Lazar, Corporate Strategies : The Costs and Benefits of Going Global, in States Against
Markets, The limits of Globalization, R. Boyer et D Drache (ed), Routledge, NewYork et
London 1996, p.272.
62. J. Niosi, B. Bellon, Une interprétation évolutionniste des politiques industrielles, Revue
d’économie industrielle, Transformation des politiques industrielles dans les années 1990,
n°71, 1995, p.213.
63. J. Adda, op cit., p.3
64. C-A.Michalet, op. cit, p.309.
65. R. Reich, op. cit, p.158
463
66. R. Reich, idem, p.202
67. certaines entreprises « allemandes » parmi lesquelles Siemens ont récemment adopté l’anglais
comme langue officielle du groupe et abandonné l’allemand. K. Ohmae, op. cit., p.135.
68. A.Berle, G. Means, The Modern Corporation and Private Property (1932).
69. J.K. Galbraith, op. cit, p.232.
70. S. Shwartz ; « General Electric Finds Running Kidder, Peabody & Co. Isn’t all that easy »,
The wall street journal, 27 janvier 1989, p.1.
71. Alvin Toffler, Les nouveaux pouvoirs, Fayard, Paris, 1992.
72. Ricardo Petrella, Le retour des conquérants, Le Monde diplomatique, mai 1995.
73. P.Chapignac, Les prémisses d’une transformation structurelle du système économique,
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communication, n° 2464-2465, 20-27 mars 1996, La documentation française.
74. G. Archier et H. Serieyx, L’entreprise du troisième type, Le Seuil, Paris, 1988
75. A.Mayer, op, cit, p.233.
76. D. Bell, The Coming of Post Industrial Society, a Venture in Social Forecasting, Basics Books
Inc. Publishers, New York, 1976, p.507.
77. P.F. Drucker, Façonner l’avenir ; les transformations de l’économie mondiale, les éditions
d’organisation, p.40.
78. N. Wiener, Cybernétique et société, édition des Deux rives, 1952, p. 294.
79. Le Capital, dans « artisanat et manufacture » vol 1, p.422.
80. V. Forrester, L’horreur économique, Paris, Fayard,1996, p.14.
81. J. Rifkin, La fin du travail, la découverte, Paris, 1996.
82. J.K.Galbraith, op., cit., p.266.
83. K. Polanyi, La grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps,
1944, édition française, Paris, Gallimard, 1983.
84. Idem, p.75.
85. Idem, p.21.
86. Ibidem.
87. Idem, p.108.
88. Idem, p.322.
89. F.Chesnais,op.cit, p.30.
90. P.Delfaud, les théories économiques, P.U.F, 1986.
91. S.Amin, Mondialisation et accumulation du capital in Amin S (sous la direction de), Paris,
L’Harmattan, 1990.
92. L. Levasseur, Les autoroutes de l’information : un nouveau contrat social . La Revue
QUADERNI , été 1995.
464
NOTES DU CHAPITRE III
1. A. G. McGrew, P. Lewis, et al. Globalisation and the Nation States, Polity Press, Cambridge,
1992, p.22.
2. P. Patel et K. Pavitt, « Large firms in the production of the World’s Technology : An Important
Case of non-globalization », Journal of International Business Studies, 1eTrimestre, 1991, pp.1-
21.
3. R. Vernon, Sovereignty at Bay : The multinational Spread of US Entreprises, New York, Basic
Books, 1971.
4. E. Cohen, op. cit., p.11.
5. Le Monde Diplomatique, « Le Japon en panne », Octobre 1995.
6. W. Andreff, op. cit., p.67.
7. K. Ohmae, La Triade, Flammarion, 1985, p.270.
8. Il est paradoxal de noter que les thèses les plus répandues sur le phénomène de globalisation sont
l’œuvre de ces deux auteurs. Tous les autres auteurs s’y réfèrent soit pour en prendre appui, soit
pour développer des thèses différentes ou opposées.
9. R. Reich, op. cit, p.103.
10. K. Ohmae, op. cit., p.26.
11. R. Reich, op. cit., p.157.
12. K. Ohmae, op. cit., p.277.
13. R.Petrella, op. cit., p.73.
14. The New York Times, 20 Février 1990.
15. S. Berger, National Diversity and Global Capitalism, Cornell University Press, London, 1996.
16. K. Ohmae, The Borderless World : Power and Strategy in the Interlinked Economy, (New York :
Harper Perenial 1991), pp. X- XI.
17. Idem, p. 18.
18. R. Boyer, The Convergence hypothesis revisited : Globalization but still the century of nations ?
in S. Berger et R.Dore (ed), op. cit., pp. 47,48
19. Charles Kindelberger, American Business Abroad, New haven : Yale University Press, 1969, pp.
207, 208, 182. Cité dans R. Wade, National Diversity and Global Capitalism, op. cit., p. 60.
20. E. Cohen, op. cit., p. 409.
21. R. Boyer, State and Market : A new engagement for the twenty-first century ? in States against
Markets. The limits of globalization, op. cit., p. 111.
22. E. Helleiner, « Explaining the Globalization of Financial Markets: Bringing the States Back” in
review of International Political Economy, vol. 2, n° 2, Printemps 1995.
23. Global Compagnies and Public Policy : The Growing Challenge of Foreign Direct Investment,
Londres, Riia, 1990. Cité dans E. Cohen, op. cit.
24. K. Ohmae, op. cit., p. 201
25. McKinsey Quarterly, hiver 1990
26. Jean Jacques Servan-schreiber, Le défi américain, Paris, Denoël, 1967, p.25.
27. P. Drucker, op. cit., p. 88.
28. R. Passet, L’illusion néo-libérale, Fayard, Paris, 2000, p.111.
29. 29. En 1986, le salarié américain moyen d’une firme industrielle gagnait 32 887 dollars si elle
appartenait à des étrangers, et 28945 dollars si elle appartenait à des américains. Voir Bureau of
Economic Analysis, Foreign Direct Investment in the U.S : Operations of US Affiliates
(Washington, DC : U.S Department of Commerce).
30. National Security Council, Draft Report on Military Dependency on Foreign Technologies, Avril
1987, pages 5-6.
31. R. Reich, op. cit., pp. 141-142
32. cité dans G. Jacob, le re-engineering de l’entreprise, Hermès, 1994. p.20
465
33. R. Passet, Production, emploi, revenu : le divorce, Futuribles, n° 131, avril 1989.
34. B. Cassen, La technologie ? Connais pas. Le Monde Diplomatique, juillet 1994.
35. Ce n’est pas la première fois que la relève de l’homme par la machine soulève des problèmes :
on en trouve la trace dès 1539 dans les motivations qui déterminent la « grande grève » des
imprimeurs de Lyon ; elle est au cœur des révoltes des tisserands au début du XIX siècle, mais
quelle que soit la gravité de ces manifestations, le recul du temps nous révèle qu’il s’agissait de
réactions ponctuelles contre des désajustements momentanés compensés, dans le long terme, par
l’expansion de la sphère productive.
36. Si le phénomène revêt aujourd’hui une portée et une signification nouvelles, c’est que deux
mécanismes qui assuraient cette expansion cessent de jouer. Le premier consiste en un glissement
de la main-d’œuvre des secteurs d’où elle est chassée vers ceux qui se développent. Ce glissement
constitue d’ailleurs un des mécanismes essentiels de la croissance : c’est d’abord le primaire qui
se déverse sur le secondaire ; puis, lorsque la productivité l’exige, c’est le secondaire qui, à son
tour, trouve un exutoire dans le tertiaire. Moyennant un certain chômage frictionnel – aggravé
périodiquement par les crises économiques conjoncturelles – le glissement d’un secteur à l’autre
assure en longue période la permanence de l’emploi. Il semble qu’aujourd’hui ce premier
mécanisme commence à s’enrayer : le tertiaire, longtemps resté à l’écart du progrès technique,
devient le champ de prédilection des technologies informationnelles. Non seulement il absorbe de
moins en moins de main-d’œuvre, mais il commence à supprimer des emplois. Le second
mécanisme tient aux créations d’emplois exigées par la fabrication de la machine elle-même.
Dans le passé, nous dit-on parfois, celle-ci qui supprimait de l’ouvrage au stade de la fabrication
du produit fini, en créait finalement, à long terme, beaucoup plus : d’abord directement pour sa
propre fabrication, ensuite indirectement par la stimulation de la demande liée à la baisse relative
des prix des produits finis et accompagnée de la mise en circulation de nouveaux revenus. Au
début du XIX° siècle, dans l’ardeur des controverses entourant le machinisme, cette position, qui
était celle de Ricardo a reçu la confirmation des faits. La nature des équipements en cause permet
de comprendre qu’il est pu en être ainsi. Songeons par exemple au développement des chemins de
fer avec l’appel de main-d’œuvre exigé par la manipulation de quantités considérables de
matière : l’extraction de minerais, leur transport ; leur transformation, la construction de
locomotives, de rails de traverses, le bouleversement du sol pour faire passer les voies, la mise en
place d’infrastructures lourdes. Rien de comparable donc entre la main-d’œuvre que requiert la
fabrication du microprocesseur et les gigantesques mobilisations humaines exigées par les
équipements du siècle précédent.
37. H. Arrendt, Condition de l’homme moderne, Paris, Calman-Levy, 1983.
38. R. Reich, op. cit. p.152
39. U.S. Department of Labor, Bureau of Labor Statistics, « Reemployment Increases among
Displaced Workers », 14 Oct. 1986.
40. R. Reich, op. cit., p. 272.
41. Idem, pp. 284-285.
42. Idem, p. 237.
43. L’express, n°2546 – Semaine du 20 au 26 avril 2000.
44. Le Figaro, 14 juin 2000.
45. bulletin du FMI, 11 Avril 1994.
46. P. Morin, La grande mutation du travail et de l’emploi, Les Editions D’organisation, Paris, 1994.
47. Le Monde Diplomatique, Chômage : des illusions au bricolage, octobre 1995, P.7.
48. Le Monde Diplomatique, septembre 1995, P.20.
49. P. Krugman, Pourquoi les crises reviennent toujours, Seuil, Paris, 224 Pages.
50. L’express du 13 Avril 2000.
51. Au début des années 1990, une série télévisée allemande a provoqué une véritable polémique
politique dans le pays. Elle montrait les images du démantèlement du mur de Berlin en novembre
466
1989 mais en utilisant la technique du play-back, ce qui donnait l’impression d’un mur en
construction et non pas le contraire. On a compris qu’elle faisait ainsi allusion au fait que
beaucoup d’allemands de l’Ouest regrettent la réunification.
52. Douglass Massey et Nancy Danton, American Apartheid : Segregation and the Making of the
Underclass, Harvard University Press, Cambridge, 1993.
53. Benjamin R. Barber. Djihad vs McWorld, Futuribles n° 170.
54. B. Badie, La fin des territoires, Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du
respect, Fayard, 1995.
55. L’expansion, du 30 mai au 12 juin 1996.
56. L’express, n°2546.
57. Dès la fin des années 1970, S. Leinhardt y voit d’ailleurs un paradigme en plein développement.
Sciences Humaines, n°104, Avril 2000.
58. Pour une lecture critique de cette littérature, voir L. Boltansky et E. Chiappello. Le nouvel esprit
du capitalisme. Gallimard, 1999.
59. L’économie mondiale dans les années quatre-vingt, La découverte, 1988 et, l’économie
mondiale : un système national / mondial hiérarchisé » .
60. F. Chesnais, op. cit., p.34.
61. E. Cohen, op. cit, p.255.
62. M. Albert, Capitalisme contre capitalisme, Paris, ED. du Seuil, 1991.
63. Idem, p. 217.
64. M. Porter, L’avantage concurrentiel des nations, Inter Editions, Paris, 1993.
65. Idem, p.96.
66. R. Reich, op. cit., pp. 309-310.
67. J. Cantwell, Technological Innovation and Multinational Corporations, London, Blackwell, 1989.
68. M. Porter, op. cit, p. 53.
69. « The Global Economy Myth », The Financial Times du 13 février 1996.
70. Globalization in Question, Polity Press, London, 1996, p. 227 .
71. Idem, p. 9.
72. R. Boyer, les mots et les réalités, in Mondialisation, au delà des mythes, La découverte, 1997,
p.32.
73. Domestic Savings and International Capital Movements, European Economic Review, juin 1983.
74. Bosworth, B.P. Saving and Investment in a Global Economy, Brookings institutions, 1993.
75. Pour un examen des travaux utilisant les données des balances de paiements voir, UNCTC, World
Investment Directory, 1993 (United-Nations). Peter Dicken, Global Shift : The
Internationalization of Economic Activity. London: Chapman and Hall, 1992. John Dunning,
Multinational Entreprises and The Global Economy Wokingham: Addison-Wesley. 1993.
76. L. Tyson (1991), They are not us : Why american prospect, winter, pp. 37-49. E.B. Kapstein
(1991), We are us: The Myth of the Multi-national, The National Interest, winter, pp. 55-62.
77. Idem. p.38.
78. R.Boyer, Mondialisation au-delà des mythes, op.cit, p. 21.
79. Winfred Ruigrok et Rob Van Tulden, The Logic of International Restructuring, Londres,
Routledge, 1996.
80. Denis Encarnation et Mark Mason, Does Ownership Matter, Oxford Clarendon Press, 1994.
81. National Roots of a « Global » Economy, Revue d’économie industrielle, n° 71, 1er trimestre
1995.
82. Les philosophes du XIX° siècle Herbert Spencer (1820-1903) et Henri Saint-Simon (1765-1825)
ont anticipé beaucoup d’idées sur ce débat dans leurs écrits sur la société industrielle. Pour la
présentation des thèses de l’après-guerre en faveur de la convergence, voir Raymond Aron, Dix
huit leçons sur la société industrielle (Paris, Gallimard, 1962) ; Clark Kerr, John.T. Dunbridge,
Frederick Harbison, et Charles A. Meyers, Industrialism and Industrial Man, ( Cambridge :
467
Harvard University Press, 1960) ; et Daniel Bell, The Coming of Post-Industrial Society, (new
York : Basic Books, 1973). Pour une critique de ces idées, voir Suzanne Berger et Michael J.
Piore, Dualism and Discontinuity in Industrial Societies, (New York : Cambridge University
Press, 1980), et Charles F. Sabel, Work and Politics (New York ; Cambridge University Press,
1982).
83. Sur le commerce stratégique, voir Paul R. Krugman, ed., Strategic Trade Policy and the New
International Economics, (Cambridge :MIT Press, 1986) ; sur la théorie de la croissance endogène
et sa relation avec la controverse sur la convergence, voir Paul Romer « The Origins of
Endogenous Growth », Journal of Economic Perspectives, n°1, 1994.
84. Yutaka Kosai, Competition and Competition Policy in Japan: Foreign Pressures and Domestic
Institutions, in S. Berger et R. Dore, op. cit.
85. Carl W. Kester, American and Japanese Corporate Governance to best Practice ?
86. R.Boyer, op. cit, p.67.
87. Richard O’Brien, Global Financial Integration : The End of Geography, Pinter Publishers, 1992.
88. J. Zysman, op.cit, p.135.
89. Daniele Archibigi et Jonathan Michie, « The Globalization of Technology : Myths and
Realities », University of Cambridge Research Papers in Management Studies, 1992-1993, n° 14,
(Cambridge: University of Cambridge Press, 1993).
90. I. Prigogine, Stengers I. Order out of Chaos, (London, Fontana).
91. J.Niosi, R. Bellon, P. Savioti et M. Crow, les systèmes nationaux d’innovation : unité et diversité,
Revue française d’économie, numéro d’hiver 1992.
92. B. Bellon, J. Niosi, « Des systèmes nationaux d’innovation ouverts », Revue Française
d’économie, vol. pp. 79-130, 1994.
93. M. Horsmann, A. Marshall. After the Nation State, London : Harper Collins. 1994.
94. G. Thompson, P. Hirst, op. cit, p. 176.
95. le Monde Diplomatique, janvier 1994.
96. «The Rise of the Region State», Foreign Affairs, Spring, 1993.
97. E. B. Kapstein, Governing the Global Economy : International Finance and the State. Cambridge,
MA : Harvard University Press.
468
NOTES DU CHAPITRE IV
469
18. Bairoch Paul, 1982, «International Industrialization levels from 1750 to 1980 », Journal of
European Economic History, 11.
19. I. Wallerstein, C’était quoi le tiers-monde ? Le Monde Diplomatique, n°557, août 2000.
20. P. Bairoch, op. cit, p. 570.
21. P. Samuelson, l’économique, Economica, Paris, 13°édition, 1982.
22. Preston, P.W. Development Theory, Oxford, Blackwell, 1996.
23. H.M. Bouchet, The Political Economy of International Debt, Quorum Books, New YORK,
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24. Toye, J., Dilemmas of Development, Oxford Blackwell, 1987.
25. Gellner, E., Thought and Change, London, Weidenfeld & Nicholson, 1964.
26. In Development Theory :Learning the lessons and moving on, P.W. Preston, The European
Journal of Development Research, vol. 11, n°1, Juin 1999.
27. Il faut préciser que ce constat ne s’applique pas aux économies émergentes de l’Asie et les
grands pays d’Amérique latine comme le Brésil, le Mexique, l’Argentine, l’Uruguay et le
Chili.
28. J. Schumpeter, capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, 1951, (ed 1984) .
29. R.Reich, op. cit. P.158.
30. Pour une présentation particulièrement intéressante de la façon d’enseigner les méthodes de
pensée « de haut niveau » voir Laurent Resnick, Education and Learning to Think, National
Academy Press, Washington , D.C, 1987.
31. World Bank, Governance, The World’s Bank Experience, Washington, 1994.
32. C-A. Michalet, Globalisation et Gouvernance : les rapports des Etats-nations et des
transnationales, Mondes en développement, Tome 22, n° 88, 1994, p. 27
33. Paul Romer, Washington Economic Report, 17 février 1993, USA
34. Voir à ce sujet : Théodore W. Schulz, « The Economic value of Education, Columbia
University Press, New York, 1963 » et « Investments in Human Capital; The Role of
Education and of Research, Mac Millan Co., Free Press, New York, 1971” Gary S. Becker
“Human Capital: A theorotical and Empirical Analysis with Special Reference to Education,
National Bureau of Economic Research and Columbia University Press, New York, 1964,
Simon Kuznets: “Modern Economic Growth, Yale University Press, New Haven,
Connecticut, 1966.
35. Bonnel Editions, Paris, 1983, p. 11.
36. S. Kuznets, Croissance et structure économique, Calman-Levy, Paris, 1972.
37. C. Arnold Anderson et Mary Jean Bowman, « Education and Economic Modernization in
Historical Perspective », dans Schooling and Society: Studies in the History of Education, ed.
Laurence Stone, John Hopkins University Press, Baltimore, 1976, pp. 3-19
38. Modern Economic Growth, Yale University Press, New Haven, 1966, p. 228.
39. A. Marshall, Principles of Economics, livre 4, pp. 138-139.
40. Robert Wade, Governing the Market : Economic Theory and the Role of Government in East
Asian Industrialisation, Princeton University Press, 1990, cité dans the Economist du 27 août
1994
41. C. Chavagneux, « Le FMI et la Banque mondiale tentés par la politique ». La revue Esprit, n°
6, juin 2000.
42. Marie-Claude Smouts, « Du bon usage de la gouvernance en relations internationales » Revue
Internationale des sciences sociales, n° 155, mars 1998.
43. The World Bank, The State in a Changing World, World Development Report, Washington,
1997.
44. Finances et Développement, FMI, Nora Lustig, Nicholas Stern, Une approche plus large de la
lutte contre la pauvreté, décembre 2000, p. 6.
45. Le rachat de l’opérateur téléphonique allemand Mannesmann par la firme britannique
Vodafone qui a nécessité le déboursement de 124 milliards de dollars a propulsé à cette
occasion l’Allemagne à la première place dans le classement mondial des IDE reçus.
46. Conférence donnée le 9 juillet 2002 à Djenane El Mithak.
47. Le Monde du 16 avril 2002.
470
48. Pierre Bourdieu utilise le terme de politique pour indiquer qu’elle traduit une série de mesures
voulues pour atteindre des buts précis et non un processus naturel. Voir le Monde
Diplomatique, avril 2002.
49. Michel Beaud, le basculement du monde, La découverte, Paris, 1997.
50. The Knowledge Gap, Foreign Affairs, mars - avril 2001, Vol 80, n°2.
51. Daniel Cohen, La mondialisation et ses ennemis, Graset, Paris, 2004.
52. Durant le premier trimestre de l’an 2000, par exemple, les entreprises de biotechnologie sont
parvenues à lever 20 milliards de dollars sur les marchés financiers pour financer des
recherches sur les gènes, même si les revenus escomptés ne sont pas attendus avant plusieurs
décennies. En dépit de leur manque de profit et leur récente « décote », plusieurs firmes de la
nouvelle économie sont, cependant, évaluées à plusieurs milliards de dollars. Idem .
53. R. Reich, op. cit, p. 218.
54. Foreign Affairs, vol 80, n°2, 2001.
471
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