Au Nom de Dieu - David Yallop
Au Nom de Dieu - David Yallop
Au Nom de Dieu - David Yallop
YALLOP
AU NOM
DE DIEU
Traduit de l'anglais
par Claude Gilbert
Sur la violence :
Arrachez Dieu du cœur des hommes, dites aux
enfants que le péché n'est qu'un conte de fées inventé
par leurs grands-parents pour les rendre bons, publiez
des textes pour l'école élémentaire qui ignorent Dieu
et se moquent de l'autorité mais ne vous étonnez pas
de ce qui se passe alors. L'éducation seule ne suffit
pas ! Victor Hugo a écrit qu'une école de plus signifie
une prison de moins. Que cela n'est-il vrai aujour-
d'hui !
Sur Israël :
L'Eglise doit aussi penser aux minorités chrétiennes
qui vivent dans des pays arabes. Elle ne peut pas les
abandonner au hasard... pour moi, personnellement,
il ne fait aucun doute qu'il existe des liens particuliers
entre le peuple d'Israël et la Palestine. Mais le Saint
Père, même s'il le voulait, ne pourrait pas dire que la
Palestine appartient aux Juifs, car cela reviendrait à
porter un jugement politique.
Sur les armes nucléaires :
Les gens disent que les armes nucléaires sont trop
puissantes et que s'en servir signifierait la fin du
monde. On les fabrique et on les accumule mais
uniquement pour « dissuader » l'adversaire d'atta-
quer et conserver la stabilité de la situation internatio-
nale.
Regardez autour de vous. Est-il vrai ou pas que
pendant trente ans il n'y a pas eu de guerre mondiale ?
Est-il vrai ou pas que les crises graves entre les deux
grandes puissances, les Etats-Unis et l'U.R.S.S. ont
été évitées ?
Réjouissons-nous de ce résultat partiel... Un désar-
mement progressif, contrôlé et universel est possible
uniquement si une organisation internationale dispo-
sant de pouvoirs plus réels et de possibilités de
sanctions plus efficaces que les Nations Unies actuel-
les venait à naître et que l'éducation en faveur de la
paix devienne sincère.
Sur le racisme aux Etats-Unis :
Aux Etats-Unis, malgré les lois, les Noirs sont
pratiquement en marge de la société. Les descendants
des Indiens n'ont vu leur situation s'améliorer de
façon significative que ces toutes dernières années.
ON DEMANDE DU SECOURS :
Homme saint et plein d'espoir, sachant sourire.
Travail intéressant, revenus garantis, logement
assuré.
Couverture sociale par organisation ayant fait ses
preuves. Envoyer candidature à Collège des Cardi-
naux, Cité du Vatican.
Chère Pia,
Je t'écris pour que tu aies les nouveaux timbres de
la Sede Vacante et pour te féliciter de ton succès à ton
premier examen. Espérons que le Seigneur t'aidera
aussi pour la suite. Nous avons terminé aujourd'hui le
pré-conclave avec la dernière Congrégation Géné-
rale. Après cela, nous avons tiré les cellules au sort et
sommes allés les voir. J'ai eu le numéro 60, c'est un
salon reconverti en chambre à coucher ; j'ai l'impres-
sion de me retrouver au séminaire à Feltre en 1923.
Un lit de fer, un matelas, une cuvette pour me laver.
Au 61 se trouve le cardinal Tomasek, de Prague.
Un peu plus loin, les cardinaux Tarancon, de Madrid,
Medeiros, de Boston, Sin, de Manille, et Malual, de
Kinshasa. Seul manque le cardinal d'Australie et nous
aurions eu un résumé du monde entier. Je ne sais pas
combien de temps durera le conclave, il est ardu de
trouver la bonne personne pour affronter tant de
problèmes qui sont de très lourdes croix. Par bon-
heur, je suis hors de danger. Dans ces circonstances,
c'est déjà une très lourde responsabilité de donner sa
voix. Je suis certain qu'en bonne chrétienne tu prieras
pour l'Eglise en ces moments-là. Salue bien Fran-
cesco, Papa et Maman. Je ne leur écris pas car je suis
assez occupé pour l'instant. Très affectueusement à
toi,
Albino Luciani
Chère sœur,
Je t'écris juste avant d'entrer en conclave. Ce sont
des instants lourds de responsabilité, même si je ne
cours aucun risque personnellement, malgré les
bavardages des journaux. Donner sa voix pour un
pape en ce moment est un lourd fardeau. Prie pour
l'Eglise et salue affectueusement Errere, Roberto et
Gino.
Albino Luciani
Siri 25 voix
Luciani 23 voix
Pignedoli 18 voix
Lorscheider 12 voix
Baggio 9 voix
Siri 35 voix
Luciani 30 voix
Pignedoli 15 voix
Lorscheider 12 voix
Luciani 68 voix
Siri 15 voix
Pignedoli 10 voix
Luciani 99 voix
Siri 11 voix
Lorscheider 1 voix (celle d'Albino Luciani)
C'est par ces mots simples, ces mots de tous les jours, suivis
par l'Angelus et sa Bénédiction que le pape Jean-Paul 1er
annonça son arrivée au monde. La réaction chaleureuse et
enthousiaste de la foule romaine représenta très exactement
ce qu'en pensait le monde qui observait.
Les observateurs du Vatican se creusèrent la tête pour
savoir quelles clefs recelait le choix des noms. Est-il Jean, est-
il Paul ? Une des personnes interrogées fut le cardinal
Suenens.
— Il sera les deux à sa façon, répondit-il. Il est plus proche
de Jean dans sa manière mais c'est comme de mêler de
l'oxygène et de l'hydrogène — vous obtenez de l'eau, deux
éléments différents produisent une troisième substance.
Le nom de Jean-Paul pouvait indiquer une continuité. Le
fait que Luciani se soit nommé Jean-Paul 1er, convention qui
ne s'était encore jamais appliquée avant qu'un second du
même nom n'apparaisse, aurait dû signifier quelque chose aux
observateurs du Vatican. Ce qu'eux-mêmes et le reste de
l'Eglise étaient sur le point de connaître n'était lié à aucun des
prédécesseurs récents du nouveau pape. C'était quelque
chose d'unique.
Il n'avait pas dit au monde qui l'écoutait ce premier jour
comment exactement il avait l'intention de réaliser son rêve
d'une Eglise pauvre mais, dans les heures qui suivirent, il
adopta une ligne d'action d'une importance vitale si sa vision
devait un jour prendre corps.
Le soir du dimanche 27 août 1978 il dîna avec le cardinal
Jean Villot et lui demanda de garder, au moins pour un
moment, ses fonctions de secrétaire d'Etat. Villot accepta. Le
nouveau pape reconfirma aussi les divers cardinaux en poste
aux départements de la Curie romaine. Comme il était entré
au conclave sans la moindre aspiration à devenir pape, il eût
été extraordinaire qu'il présentât une liste des nouveaux
membres du cabinet.
Le 31 août, le périodique italien très respecté, Il Mondo,
adressa une longue lettre ouverte à Albino Luciani. La lettre
demandait une intervention pontificale afin d'imposer « ordre
et moralité » aux affaires financières du Vatican qui compre-
naient « des spéculations dans des eaux malsaines ». La lettre
ouverte, intitulée « Votre Sainteté, est-ce juste? » attaquait
violemment ce qu'elle considérait comme l'état de choses qui
régnait dans les opérations financières du Vatican. Accompa-
gnant cette lettre ouverte, une longue analyse avait pour titre
« La fortune de saint Pierre ».
Il Mondo posait à Albino Luciani un certain nombre de
questions tout à fait pertinentes :
186
A l'automne 1974, Mario Tronconi fut « suicidé » — on
découvrit son corps sur la ligne de chemin de fer Lugano-
Chiasso. Dans sa poche une lettre d'adieu adressée à son
épouse. Avant sa mort, certainement pour le bien de sa
tranquillité, Pacelli, Mennini et les autres dirigeants de
Svirobank avaient obligé Tronconi à signer une confession
dans laquelle il assumait toute la responsabilité pour le trou de
35 millions de dollars. Personne ne dénonça Ambrosio,
l'homme qui avait réellement creusé ce trou. Et même, on
confia à Ambrosio la tâche de récupérer les pertes. La vérité
ne vit le jour que deux ans plus tard, quand Mario Barone, un
des vice-présidents du conseil d'administration de la Banco di
Roma (cette dernière détenait les 49 pour cent restants de
Svirobank) fut arrêté et interrogé sur le krack Sindona.
Manifestement, le métier de banquier en Italie comporte
beaucoup de risques induits. Mario Tronconi n'était qu'un
membre de cette fraternité d'hommes dont la mort serait
maquillée en suicide. Dans les dix années qui suivraient, la
liste prendrait des proportions inquiétantes. On allait appli-
quer la « Solution Italienne » à un nombre croissant de
« problèmes ».
Tandis que Michele Sindona luttait pour ne pas être extradé
de New York et qu'il complotait une revanche, Vatican
Entreprise s'était déjà remis à spéculer grâce à son successeur,
Roberto Calvi. On le connaissait dans les cercles d'affaires de
Milan sous le sobriquet de « Il Cavaliere », Le Chevalier. Un
curieux surnom pour l'homme qui jouissait des fonctions de
trésorier de la Loge P2. Il datait de 1974, quand Giovanni
Leone, alors président de la République, l'avait fait Cavaliere
del Lavoro, pour les services rendus à l'économie. Calvi allait
remplacer Sindona pour blanchir l'argent de la Mafia, lui qui
pendant plus de dix ans n'emprunterait jamais un seul chemin
honnête.
Roberto Calvi est né à Milan le 13 avril 1920 mais sa famille
est originaire de Valtellina, longue vallée alpine proche de la
frontière suisse, non loin du pays d'Albino Luciani. Ils étaient
tous les deux de souche montagnarde. Après des études à la
prestigieuse université Bocconi il combat pour Mussolini sur
le front russe lors de la Seconde Guerre mondiale. Après la
guerre il suit les traces de son père dans la banque. En 1947, il
entre à la Banco Ambrosiano, à Milan. Tirant son nom de
saint Ambroise, elle transpirait la religiosité. Comme la
Banca Cattolica del Veneto, on la connaissait sous le nom de
« Banque des Prêtres ». Avant de pouvoir y ouvrir un
compte, il fallait présenter un certificat de baptême établis-
sant qu'on était bien catholique. A la fin des réunions du
conseil d'administration, on adressait des prières à Dieu pour
le remercier des chiffres de l'année. Au début des années 1960
il y avait davantage de respect religieux à l'intérieur de la
banque que dans bon nombre d'églises voisines. Le Chevalier
au regard de glace nourrissait d'autres projets pour sa banque
diocésaine assoupie qui comptait parmi sa clientèle le cardinal
archevêque de Milan, Giovanni Montini. Quand Montini
devint le pape Paul VI, en 1963, Calvi avait grimpé dans la
hiérarchie de la banque jusqu'au poste de directeur adjoint.
Au moment où le pape Paul décida de faire appel à Sindona
pour soulager l'Eglise de ses participations italiennes trop
importantes pour n'être pas embarrassantes, le Requin et le
Chevalier étaient déjà bons amis. Ils manigançaient déjà la
prise de contrôle de la Banco Ambrosiano pour la transformer
en une espèce très spéciale d'institution bancaire internatio-
nale. En 1971, Calvi devint directeur général de la banque. A
51 ans il s'était élevé bien plus haut que l'humble employé de
bureau qu'avait été son père. L'individu moyen se serait
satisfait de jouir un moment de ses lauriers et de diriger les
prières lors des réunions du conseil d'administration. La seule
chose moyenne chez Roberto Calvi était sa taille. Ses
capacités à rêver des combinaisons malhonnêtes pour blanchir
l'argent de la Mafia, pour exporter des lires illégalement, pour
échapper au fisc, pour dissimuler l'achat illicite d'actions de sa
propre banque, pour trafiquer à la Bourse de Milan, pour
soudoyer, corrompre, fausser le cours de la justice, organiser
une fausse arrestation ici, un meurtre là — ses capacités pour
faire tout cela et autre chose encore mettaient le Chevalier
dans une catégorie de criminels tout à fait spéciale.
Calvi fut présenté à l'évêque Marcinkus par Michele
Sindona en 1971 et rejoignit sur-le-champ le clan très choisi
des « uomini di fiducia » du Vatican. Ces hommes de
confiance représentaient une petite élite de laïcs qui travail-
laient avec et pour Vatican Entreprise. Des hommes comme
Sindona, Spada, Mennini et Bordoni ; des hommes choisis
avec le plus grand soin.
La contribution de Calvi consista à répandre le cancer de la
criminalité du Vatican à travers le monde. En 1963, il créa une
société au Luxembourg qui s'appelait Compendium — ce nom
se transforma par la suite en Banco Ambrosiano Holdings
SA. Cette société-écran constituait la clé de voûte des
machinations de Calvi. Des millions d'euro-dollars empruntés
étaient destinés à passer par cette société holding du Luxem-
bourg. Plus de 250 banques dans le monde entier seront
abusées et prêteront de l'argent directement à cette petite
société-écran. Les sommes dépassent 450 millions de dollars.
L'empire du Chevalier grandissait vite. Au début des
années 1960 déjà, la Banco Ambrosiano avait acquis la Banca
del Gottardo, à Lugano, en Suisse. Elle allait devenir le canal
principal pour blanchir l'argent de la Mafia après la débâcle
d'Amincor, à Zurich, qui appartenait à Sindona. D'autres
participations étrangères allaient suivre.
Parmi elles, la Banco Ambrosiano Overseas Ltd, à Nassau.
Cette branche installée au paradis fiscal des Bahamas fut
fondée en 1971 et dès cette date figura à son conseil
d'administration l'évêque Paul Marcinkus. Au départ, elle
avait pour raison sociale Cisalpine Overseas Bank, afin de
détourner toute enquête des fonctionnaires de la police
financière italienne.
Les bénéfices qui entraient dans les coffres de la banque du
Vatican croissaient en proportion du développement de
l'empire de Calvi. Pour bien comprendre la plupart des
circonvolutions très compliquées, et souvent délibérément
telles, des opérations financières auxquelles Calvi se livra tout
au long des années 1970, il faut se rendre compte d'un fait
crucial : fondamentalement, la Banco Ambrosiano de Milan
et la banque du Vatican étaient entrelacées. Bien des opéra-
tions décisives étaient menées en commun. La raison pour
laquelle Calvi a pu enfreindre la loi à maintes et maintes
reprises tenait à l'aide immédiate que lui apportait la banque
du Vatican. Ainsi, quand le 19 novembre 1976, Calvi voulut
acquérir 53,3 pour cent de la Banco Mercantile SA, de
Florence, l'achat se fit au nom de la banque du Vatican. Les
actions prirent leur chemin tortueux le 17 décembre 1976 vers
l'agent de change milanais Giammei & Co qui agissait
fréquemment au nom du Vatican. Après des écritures comp-
tables adroites, les actions furent « déposées » le même jour à
la banque du Vatican. Le fait que le Vatican ne disposait pas
des fonds suffisants dans aucun compte précis pour régler
l'achat de ces actions fut résolu par le crédit, le 17 décembre
1976, d'un compte nouvellement ouvert, N° 42801, d'une
somme de 8 milliards de lires. L'été suivant, le 29 juin 1977,
Giammei racheta les actions à la banque du Vatican par le
canal du Credito Commerciale de Milan. Tandis que les
actions suivaient ce chemin sinueux elles connaissaient, du
moins sur le papier, une augmentation de prix spectaculaire.
L'achat originel avait été conclu au prix de 14000 lires
l'action. Quand elles retournèrent chez Giammei elles
« valaient » 26000 lires l'unité. Le 30 juin 1977, elles étaient
vendues par le Credito Commerciale à Immobiliare XX
Settembre Sa que contrôlait Calvi. Sur le papier, la banque du
Vatican avait fait un bénéfice de 7 724 378 100 lires pendant
que le prix des actions se promenait. En réalité, Calvi avait
payé 800 millions de lires à la banque du Vatican pour le
privilège de se servir de son nom et de ses facilités. La banque
du Vatican, située dans l'Etat indépendant de la Cité du
Vatican, était hors d'atteinte des inspecteurs bancaires ita-
liens. En vendant lui-même des actions qu'il possédait déjà au
double du prix d'achat originel, Calvi augmentait largement la
valeur, sur le papier, de la Banco Mercantile et volait
7 724 378 100 lires, moins évidemment la ristourne qu'il don-
nait à la banque du Vatican. Par la suite, Calvi vendit ses
actions à son rival milanais en affaires, Anna Bonomi, pour
33 milliards de lires.
Avec la coopération étroite et continue de la banque du
Vatican, Calvi était à même de s'ouvrir encore et encore un
chemin illicite et criminel à travers les lois italiennes. Des
opérations telles que celle décrite ci-dessus n'auraient pu
avoir lieu sans la parfaite connaissance et l'approbation de
Marcinkus.
En ce qui concerne la combinaison Sindona/Calvi/Marcin-
kus dans l'affaire de la Banca Cattolica del Veneto, toutes les
preuves disponibles indiquent un complot criminel impliquant
ces trois hommes.
Marcinkus voulait garder l'opération secrète, même vis-à-
vis du pape Paul VI. Quelques années après, Calvi évoqua
l'affaire devant Flavio Carboni1 :
« Messieurs,
Nous vous confirmons par la présente que nous
contrôlons directement ou indirectement les organisa-
tions suivantes :
Manie S.A. Luxembourg
Astolfine S.A. Panama
Nordeurop Establishment, Liechtenstein
U.T.C. United Trading Corporation, Panama
Erin S.A. Panama
Bellatrix S.A. Panama
Belrosa S.A. Panama
Starfield S.A. Panama
Nous vous confirmons aussi que nous sommes
informés de leur endettement envers vous à la date du
10 juin 1981, et vous renvoyons aux extraits de
compte ci-joints. »
Préface 7
Prologue 11
Le Chemin de Rome 19
Le Trône Vacant 85
A l'Intérieur du Conclave 103
Vatican Entreprise S.A 127
Les Trente-Trois Jours 209
Il nous reste la Peur 287
Au Bénéfice du Meurtre — les Affaires restent les
Affaires 347
Epilogue 425
L'auteur 433