3 Maugere
3 Maugere
3 Maugere
LAssemble nationale constituante en supprimant les maisons closes affirmera aux yeux du monde, la volont inbranlable de notre pays dassurer le respect de la personne humaine et de son minente dignit Dbat lAssemble nationale constituante autour de la loi dite Marthe Richard vote le 13 avril 1946. En vrit, tant que, sur la terre, il y aura des hommes, tant quil y aura des femmes, tant quil y aura des femmes et des hommes, les moralistes auront lieu de sindigner; car cette chose, dont ils ne connaissent pas la valeur, donnera lieu aux plus actives transactions Georges de la Fouchardire vers 1927.
Les regards profanes qui seront mis en perspective dans cet article ont t ports une poque o les termes du dbat politique sur la prostitution avaient t dj largement poss dans lespace public suite la mdiatisation de trois types de scandales : les bavures de la police des murs, la traite des femmes et la prostitution des enfants. Au XIXe sicle et jusqu lavnement de la IVe Rpublique, la prostitution est une activit place sous juridiction policire. Les prostitues des couches populaires taient alors les cibles dune politique dite rglementariste , orchestre par le prfet de police Paris et sous lautorit du commissaire en province. Ces femmes taient soumises des rglements qui encadraient trs strictement leur libert daller et venir et les astreignaient une visite sanitaire rgulire (hebdomadaire ou bimensuelle). Le manquement ces obligations administratives les exposait une peine privative de libert pouvant atteindre prs de soixante jours prononce par un simple fonctionnaire de police. Le pivot de cet encadrement sanitaire et policier tait la maison de tolrance dans laquelle ladministration aurait souhait que toutes les prostitues officient afin dviter tout scandale public. Ce modle sest progressivement mis en place partir du Consulat et sest consolid sur la base dun discours mdical qui concevait la surveillance du corps des femmes dbauches comme le meilleur moyen de lutter contre le pril vnrien. Ce systme rglementariste sest vu complt dans les annes 1900 par des mesures lgislatives visant rprimer les responsables de ce que lon nommait lpoque la traite des blanches et protger les mineurs. Toutefois, lessentiel du dispositif demeure quasiment inchang jusquen 1946, et ce, malgr les attaques rptes portes par les opposants cette politique, nomms les abolitionnistes. La rgulation administrative de la prostitution a commenc tre dnonce en France comme un systme attentatoire aux liberts individuelles au moment de lavnement de la IIIe Rpublique. La police des murs charge Paris de rguler la prostitution de rue et de faire appliquer la rglementation sanitaire subit intervalle rgulier de virulentes attaques dans la presse. Nonobstant cette vigoureuse contestation et malgr la dimension internationale et organise que prit la lutte contre la rglementation de la prostitution, ce modle daction publique na t transform en France quau lendemain de la seconde guerre mondiale avec la fameuse loi dite Marthe Richard fermant les maisons closes. Cette transformation est-elle le fruit dune volution des reprsentations concernant la prostitution et son mode de rgulation ? A la faveur de la rupture que reprsenta la guerre, lopinion publique ou seulement les gouvernements taient-ils devenus soudain plus sensibles larbitraire vcu par ces
femmes,
moins
que
ce
ne
soit
lide
que
ladministration
participt
lorganisation
de
la
dbauche
qui
ft
devenue
insupportable
et
commandt
la
fermeture
des
maisons
closes
?
La
formulation
de
ces
questions
suggre
limportance
des
liens
unissant
les
reprsentations
et
les
choix
politiques
et
recouvre
implicitement
lide
que
ces
derniers
sont
dpendants
du
contexte
socio-culturel
dans
lequel
ils
sinscrivent.
Lexplication
politique
des
changements
institutionnels
et
des
modles
daction
publique
est
nourrie
par
une
littrature
dsormais
foisonnante1.
Le
prsent
article,
sans
avoir
pour
objet
principal
dillustrer
les
dbats
scientifiques
qui
nourrissent
cette
question
du
changement,
apportera
en
guise
de
conclusion
quelques
claircissements
sur
ce
point
et
proposera
ainsi
le
regard
dune
politiste
sur
la
prostitution.
Car,
tout
en
ne
se
drobant
pas
la
tche
de
prsenter
le
point
de
vue
de
la
science
politique
dans
le
cadre
dun
dossier
ddi
un
change
pluridisciplinaire,
cette
contribution
recouvre
le
souhait
de
restituer
en
partie
le
regard
profane
sur
la
sexualit
tarife,
non
pour
lopposer
celui
des
experts,
mais
pour
contribuer
mettre
en
lumire
lconomie
gnrale
des
discours
sur
la
prostitution
durant
lentre-deux-guerres.
Une
enqute
dopinion
ralise
au
milieu
des
annes
1920
auprs
dun
public
instruit
mais
non
expert2
a
constitu
le
matriau
qui
nous
a
permis
de
pntrer
ces
reprsentations
profanes.
Labsence
de
donnes
comparables
en
dautres
lieux
et
en
dautres
temps
ne
nous
permet
pas
de
mettre
en
uvre
une
comparaison
ou
de
souligner
une
volution.
Les
rsultats
que
nous
aurons
pu
extraire
ne
permettront
pas
eux
seuls
dexpliquer
le
maintien
de
la
politique
prostitutionnelle
telle
que
nous
lavons
brivement
dcrite
pas
plus
que
les
attaques
que
celle-ci
connat.
Toutefois,
en
procdant
ainsi,
nous
avons
voulu
examiner
si
les
discours
profanes
sinscrivaient
dans
un
registre
de
discours
comparable
celui
des
experts
et
comment
cet
ensemble
pouvait
constituer
un
corpus,
mlant
des
(pseudo)-connaissances
et
des
valeurs,
venant
lgitimer
ou
au
contraire
saper
un
modle
daction
publique
ou
tout
au
moins
exprimer
un
changement
de
rfrentiel3.
Les
ides
ne
produisent
pas
directement
de
laction,
surtout
celles
relativement
volatiles
mises
par
lopinion
publique
sur
un
sujet
se
prtant
volontiers
aux
ractions
motionnelles.
En
revanche,
sur
un
temps
long4,
elles
reprsentent
des
indices
dune
reprsentation
dominante
de
la
ralit
laquelle
se
confrontent
ncessairement
les
pouvoirs
publics
qui
peuvent
selon
les
cas
dcider
de
sen
affranchir
ou
au
contraire
de
sy
montrer
sensibles.
En
tout
tat
de
cause,
ils
ne
peuvent
manquer
dlaborer
en
marge
de
leur
action
un
dispositif
de
lgitimation
puisant
en
partie
dans
cette
reprsentation
de
la
ralit
pour
justifier
une
position
minoritaire
ou
apparaissant
sous
le
signe
de
lvidence.
En
ce
sens,
1
P. PIERSON, The Limits of Design: Explaining Institutional Origins and Change , dans Governance, vol. 13, o n 4, 2000, p. 475-499. K. THELEN, Comment les institutions voluent : perspectives de lanalyse comparative historique , dans Anne de la rgulation, 7, 16, 2004, p. 13-44. Revue Franaise de Science Politique, vol. 55, o n 1, 2005 et particulirement P. MULLER, Esquisse dune thorie du changement de laction publique , dans RFSP, op. cit., p. 155-187 ; B. PALIER et Y. SUREL, Les "trois i" et lanalyse de lEtat en action , dans RFSP, op. cit., p. 7-32. P. LASCOUMES, Ruptures politiques et politiques pnitentiaires. Analyse comparative des o perspectives de changement institutionnel , dans Dviance et Socit, vol. 30, n 3, p. 405-419. F. BAUMGARTNER e.a., Lobbying and Policy Change. Who Wins, Who Loses, and Why, The Universty of Chicago Press, Chicago, 2009. B. PALIER et Y. SUREL, Quand les politiques changent : temporalits et niveaux de laction publique, LHarmattan, Paris, 2010. 2 La seule dont nous disposions ma connaissance pour la priode rglementariste. 3 Nous appelons ici rfrentiel la matrice normative et cognitive qui sest impose comme le cadre dinterprtations de la ralit ; dans cet article, nous utiliserons comme synonyme lexpression grammaire dominante employe par K. THELEN. Au cours de mon travail de thse sur les discours dexperts et de la loi, jai mis au jour la lente moralisation de la question prostitutionnelle. Voir A. MAUGERE, Les politiques de la e prostitution du Moyen ge au XXI sicle, Dalloz, Paris, 2009 et Droit et prostitution sous la Troisime Rpublique : la lente progression de largumentation morale dans larne parlementaire , J.-L. HALPERIN, A.STORA-LAMARRE et F. AUDREN (dir.), La Rpublique et son droit (1870-1930), Presses Universitaires de Franche Comt, 2011, p. 409-428. 4 B. PALIER et Y. SUREL, 2005 et 2010, op. cit.
A. MAUGERE
la reprsentation profane de la ralit est une contrainte pour les pouvoirs publics en mme temps quelle exprime une matrice cognitive et normative5 que cet article se propose de dvoiler.
I
Prsentation
de
lenqute
Cette
enqute
nest
pas
un
travail
men
par
des
spcialistes
en
sciences
sociales
ayant
prsent
sous
une
forme
organise
leurs
rsultats,
et
en
trouver
la
gnalogie
procde
dun
travail
de
reconstruction
partir
de
donnes
parpilles
dans
louvrage.
Celui-ci
est
luvre
de
Charles
Tournier
et
de
Maurice
Hamel
qui
ont
t
les
responsables
de
ce
sondage
dopinion
commenc
au
dbut
des
annes
1920
et
publi
dans
sa
version
intgrale
en
1927.
Les
deux
enquteurs,
bien
que
travaillant
pour
loccasion
pour
le
compte
de
la
revue
satirique
Tam-Tam6,
ne
sintressent
pas
la
question
prostitutionnelle
par
got
de
la
gaudriole
et
cest
avec
srieux
quils
se
sont
adresss
leurs
confrres
,
membres
de
professions
intellectuelles,
afin
de
recueillir
leur
avis
et
rendre
celui-ci
public.
Louvrage,
intitul
sobrement
La
prostitution.
Enqute,
regroupait
lensemble
des
rponses
envoyes
lhebdomadaire.
Charles
Tournier
et
Maurice
Hamel
avaient
pos
chaque
personnalit
trois
questions
:
Quelles
sont
les
causes
de
la
prostitution
?
Quels
en
sont
les
effets
et
les
consquences
?
Faut-il
abolir
la
prostitution
(ou
simplement
la
rglementer
dans
des
conditions
nouvelles)
?
Les
rponses
sexpriment
sous
forme
de
lettres;
elles
ont
t
publies
par
la
revue
par
ordre
darrive
la
rdaction.
Au
total,
ce
sont
114
lettres
que
Maurice
Hamel
et
Charles
Tournier
ont
russi
recueillir.
Elles
sont
de
longueur
variable
;
certaines
des
rponses
nexcdent
pas
quelques
lignes,
quelques
autres
sont
au
contraire
de
trois
pages,
mais
la
moyenne
se
situe
autour
dune
page
dactylographie
sur
un
format
de
livre
de
poche.
La
grande
majorit
des
enquts
sont
des
profanes
sagissant
des
problmatiques
de
la
prostitution
mme
si
nous
retrouvons
quelques
noms
connus
pour
en
tre
des
spcialistes
:
ainsi
les
docteurs
Pinard
et
Bizard,
un
directeur
de
la
prison
de
Saint
Lazare
nomm
Thivet
et
les
romanciers
Victor
Margueritte,
Lon
Frapi
et
Maurice
Dekobra.
Ils
sont
113
avoir
rpondu7.
Ce
sont
essentiellement
des
intellectuels
(artistes,
avocats,
journalistes,
crivains)
ayant
entre
45
et
65
ans.
Deux
ont
plus
de
80
ans,
6
ont
moins
de
40
ans.
Ce
sont
en
grande
majorit
des
hommes
;
8
femmes
seulement
ont
rpondu
cette
enqute.
Sans
doute
ont-elles
t
moins
consultes,
mais
nous
pouvons
aussi
constater
que,
parmi
elles,
deux
femmes
ayant
pris
la
peine
de
rpondre
ont
envoy
une
lettre
pour
exprimer
leur
incomptence
sur
le
sujet,
soulignant
ainsi
la
difficult
pour
les
femmes
dvoquer
la
thmatique
prostitutionnelle
:
J'ai
bien
reu
la
premire
lettre
que
vous
m'avez
crite
au
sujet
de
votre
enqute,
mais
je
vous
avouerai
trs
franchement
que
j'ai
trouv
que
la
question
pose
n'tait
nullement
de
ma
comptence
et
que,
par
consquent,
elle
ne
m'intressait
en
aucune
faon.
Je
persiste
dans
cette
opinion
et
je
laisse
mes
confrres
masculins,
les
soins
de
vous
rpondre
vous
priant
de
ne
pas
m'en
vouloir
d'une
abstention
bien
comprhensible
et
vous
assurer
de
mes
sentiments
de
reconnaissante
sympathie
(no97
nous
soulignons).
Absolument
incomptente
dans
la
question
et
prfre
ne
pas
me
mler
de
ce
qui
ne
me
regarde
pas
(no105
nous
soulignons).
Parmi
les
105
hommes
ayant
rpondu,
trois
seulement
ont
pris
la
peine
de
rpondre
lenqute
en
dclinant
linvitation
se
prononcer
dont
le
ministre
Raymond
Poincar
et
labb
Lemire
:
Je
ne
me
5 6
P. MULLER, RFSP, op. cit., p. 171. Tam-Tam est un hebdomadaire politique, satirique et illustr cr en 1862. 7 Une personnalit a envoy deux rponses.
regarde
pas
comme
qualifi
pour
rpondre
au
questionnaire
que
vous
avez
bien
voulu
madresser
8
(no68).
Publie
durant
lentre-deux-guerres,
avant
que
nclate
la
crise
de
1929,
cette
enqute,
par-del
les
reprsentations
de
la
prostitution
quelle
nous
livre,
restitue
latmosphre
de
lpoque
des
annes
folles
dans
sa
diversit
:
ct
de
ceux
qui
manifestent
le
souhait
de
jouir
labri
du
regard
du
pouvoir,
voire
son
encontre,
ou
revendiquent
une
position
relativiste
sur
les
questions
de
morale
sexuelle,
sont
toujours
prsents
des
conservateurs
souhaitant
imposer
une
morale
austre.
La
folie
de
cette
poque
a
eu
sa
visibilit
dans
le
champ
artistique
et
les
femmes
arborant
des
cheveux
courts
reprsentent
une
image
forte
de
la
tonalit
subversive
qui
existait
dans
les
milieux
intellectuels
et
artistiques.
Ces
femmes
en
se
coupant
les
cheveux
manifestaient
le
souci
de
se
rapprocher
dun
modle
masculin
peru
comme
mancipateur.
Toutefois,
certaines
catgories
de
la
population
ntaient
pas
en
capacit
de
participer
cette
socit
de
plaisir,
tandis
que
dautres
mettaient
un
point
dhonneur
ne
pas
sy
mler.
Telle
est
dailleurs
la
position
de
Charles
Tournier
et
de
Maurice
Hamel,
pour
lesquels
nous
navons
pas
russi
retrouver
dlments
biographiques
mais
dont
la
dcision
dinterroger
ce
quils
considraient
comme
une
lite
est
ne,
nen
pas
douter,
dune
position
ractionnaire
et
plus
prcisment
dun
double
sentiment
dexaspration
lgard
de
nouveaux
comportements
sociaux
et
face
linertie
des
pouvoirs
publics
dans
leur
combat
contre
la
dbauche.
Cest
une
dsapprobation
lgard
des
murs
et
vis--vis
de
la
manire
dont
le
droit
sy
confronte
quils
expriment.
Dans
son
propos
introductif,
Charles
Tournier
salarme
de
ce
quen
notre
poque
de
dcadence,
il
nest
nul
besoin
dtre
jolie
et
spirituelle
pour
percer
!
[...]
Aujourdhui
tout
sachve.
La
soif
du
plaisir,
du
luxe
asservit
la
majorit
des
beaux
talents
.
Quant
Maurice
Hamel,
il
constate
que
la
socit
se
dtourne
avec
lchet
et
hypocrisie
de
la
plupart
des
problmes
dont
limportance
est
considrable
au
point
de
vue
de
lavenir
des
races
.
La
Premire
guerre
mondiale
avait
mis
un
terme
brutal
la
campagne
abolitionniste
qui
alimentait
de
manire
chronique
le
dbat
politique.
Cest
prcisment
cette
discussion
que
souhaiteraient
ractiver
les
deux
enquteurs.
Maurice
Hamel
se
dclare
fervent
abolitionniste
,
mais
la
manire
dont
il
dcline
cette
option
politique
illustre
toute
lambigut
de
ce
mouvement
n
en
Angleterre
et
auquel
se
joignirent,
au
dbut
de
la
IIIe
Rpublique,
des
rpublicains
franais.
Ds
lorigine,
ce
mouvement,
qui
a
pris
corps
afin
de
rclamer
labrogation
des
Contagious
Diseases
Acts,
qui,
dans
les
annes
1860,
transcrivaient
en
Angleterre
le
modle
dit
franais
de
rglementation
de
la
prostitution,
affiche
galement
le
souhait
dabolir
la
prostitution.
Aussi
ne
rallie-t-il
pas
seulement
sa
cause
des
dfenseurs
des
liberts
individuelles,
mais
galement
des
puritains
souhaitant
dcourager
ce
que
Josphine
Butler
appelle
elle-mme
le
vice
sexuel
.
A
la
lecture
des
commentaires
que
nos
deux
enquteurs
formulent
en
guise
de
rponse
aux
lettres
des
sonds9,
nous
comprenons
que
les
responsables
de
ce
sondage
sont
des
partisans
de
labolition
de
la
prostitution
plutt
que
de
celle
de
la
rglementation.
Les
deux
auteurs
terminent
dailleurs
leur
ouvrage
par
cette
phrase
:
Notre
conclusion
est
formelle.
Il
faut
abolir
la
prostitution
.
Dans
quelques
rponses
quils
adressent
aux
enquts,
en
contradiction
avec
le
propos
introductif
demandant
labolition
de
la
rglementation
de
la
prostitution
qui
accable
les
prostitues
et
les
rend
dfinitivement
indignes,
ils
se
prononcent
pour
une
rglementation
svre
qui
fasse
perdre
le
got
du
pain...
du
pain
quelles
gagnent
en
un
commerce
dont
nos
statistiques
commerciales
nont
pas
senorgueillir
devant
ltranger
(rponse
la
lettre
no104).
Dans
une
des
dernires
rponses
(quils
adressent
Lon
Frapi,
no112),
ils
en
appellent
une
politique
prohibitionniste
:
Nous
avons
dj
proclam
notre
respect
pour
la
libert
8
Lchantillon des femmes tant faible et nayant pas identifi de traits singuliers dans leurs rponses, nous ne consacrerons pas de dveloppements spcifiques partir dune variable de genre. 9 Dans louvrage publi en 1927, Maurice Hamel et Charles Tournier ont accompagn chaque lettre dun commentaire. Nous ne savons pas si celui-ci figurait dans lhebdomadaire.
10
A. MAUGERE
individuelle,
la
condition
que
cette
libert
ne
constitue
pas
un
danger
pour
les
autres.
Or,
la
prostitution
constitue
le
plus
grand
des
dangers.
Il
faut
interdire
lexercice
de
cette
profession
honteuse
qui
fait,
dans
son
genre,
autant
de
victimes
que
celles
des
financiers
vreux,
des
hommes
daffaires
marrons
et
des
bistrots
.
Ces
commentaires
premptoires
recouvrent-ils
une
part
de
ralit
;
sont-ils
les
relais
de
reprsentations
communment
partages
?
Dans
les
annes
daprs-guerre,
le
nombre
des
maisons
de
tolrance
continue
samenuiser.
Cependant,
on
doit
noter
quen
mme
temps
que
se
dveloppent
des
lieux
de
rencontre
informels
sont
riges
des
maisons
dabattage
o
se
pratique
le
cot
tayloris
10.
Lhygine
de
lensemble
des
tablissements
ddis
la
sexualit
vnale
samliore.
Sil
demeure
difficile
de
gurir
de
la
syphilis
avant
que
la
pnicilline
soit
utilise,
compter
des
annes
40,
les
traitements
ont
connu
des
progrs
notables
depuis
quen
1910
le
Docteur
Ehrlich
a
mis
au
point,
au
terme
dune
606e
exprience,
un
remde
dnomm
le
Salvarsan
ayant
acquis
trs
vite
une
grande
popularit.
Peut-tre
en
partie
grce
ces
progrs,
la
question
sanitaire,
si
elle
reste
proccupante,
nest
plus
la
thmatique
vers
laquelle
convergent
toutes
les
anxits
comme
ce
fut
le
cas
dans
la
seconde
moiti
du
XIXe
sicle,
poque
laquelle
se
multipliaient
les
congrs
de
mdecins,
lieux
de
propagande
pour
le
modle
de
rglementation
de
la
prostitution.
Au
dbut
du
XXe
sicle,
au
contraire,
les
proccupations
des
mdecins
se
voient
concurrences
par
celles
des
moralistes.
Ces
derniers,
parmi
lesquels
figurent
de
nombreux
abolitionnistes,
ont
trouv
dans
la
question
de
la
traite
des
femmes
un
moyen
de
faire
entendre
dautres
types
de
problmatisation.
Au
tournant
de
1900,
des
confrences
internationales
o
sont
mis
en
rcit
les
destins
dramatiques
de
jeunes
filles
innocentes
abuses
par
des
trafiquants
ont
dplac
le
regard
des
pouvoirs
publics11.
La
question
prostitutionnelle
ne
pntre
de
son
ct
que
marginalement
la
sphre
politique.
Les
historiens
ont
parl
de
la
IIIe
Rpublique
comme
du
rendez-vous
manqu
avec
la
rforme
dans
la
mesure
o
le
systme
rglementariste
est
maintenu
alors
mme
quil
contrevient
au
principe
de
la
sparation
des
pouvoirs
et
celui
de
la
lgalit
des
dlits
et
des
peines,
et
ce
dans
un
contexte
o
les
parlementaires
rpublicains
affichent
ostensiblement
le
souci
de
les
respecter.
Toutefois,
le
lgislateur
na
pas
t
compltement
silencieux
sur
la
question
prostitutionnelle
:
en
1885,
et
pour
la
premire
fois,
celle-ci
fait
son
entre
dans
le
code
pnal.
A
nouveau,
en
1903,
suite
aux
dbats
internationaux
relatifs
la
traite,
et
en
1908,
propos
de
la
prostitution
des
mineurs,
le
lgislateur
se
saisit
du
problme.
Si
les
proccupations
pragmatiques
dominent
les
rpertoires
de
discours
qui
viennent
lgitimer
le
modle
daction
publique
en
matire
de
prostitution,
on
peroit
partir
des
dbats
et
des
termes
arrts
dans
les
lois
votes,
et
particulirement
en
1903
et
1908,
linfiltration
dun
rpertoire
moral
de
discours.
La
morale
devient
peu
peu
un
critre
lgitime
dans
larne
politique
pour
fonder
lintervention
des
pouvoirs
publics
dans
lconomie
prostitutionnelle12.
Si
la
mme
poque
et
avant
la
Grande
guerre,
lapproche
mdicale
domine
dans
la
littrature
scientifique
sur
la
prostitution,
divers
indices
attestent
que
cette
proccupation
sanitaire
camoufle
au
tournant
de
1900
des
anxits
plus
morales.
Pour
nen
citer
quun,
rappelons
lengagement
de
10
A. CORBIN, Les filles de noce. Misre sexuelle et prostitution aux XIX e et XX e sicles, Aubier, Paris, 1978, p. 492. 11 Ces confrences (Congrs de Londres de 1899 et Confrence internationale de Paris de 1902) aboutissent e e la signature daccords internationaux. Ceux-ci se succderont durant la 1 moiti du XX sicle. Avant guerre : Arrangement international du 18 mai 1904 pour la rpression de la traite des blanches et Convention internationale du 4 mai 1910 relative la rpression la traite des blanches. Aprs guerre : Convention internationale du 30 septembre 1921 pour la rpression de la traite des femmes et des enfants et une convention internationale du 11 octobre 1933 relative la rpression de la traite des femmes majeures . Voir les dveloppements de J.-M. CHAUMONT sur ce sujet. En particulier, Le mythe de la traite des blanches : enqute sur la fabrication d'un flau, La Dcouverte, Paris, 2009. 12 A. MAUGERE, op. cit.
11
certains abolitionnistes pour la cration dun dlit de contamination intersexuelle qui, au mpris de toute prudence prophylactique, placerait la question sanitaire sous langle pnal. Dans les annes 1920, on ne peut que souligner lvanescence de la thmatique mdicale au sein de la littrature scientifique consacre la prostitution. Si les futurs docteurs en mdecine choisissent encore pour sujet de thse la prostitution, ldition non universitaire ne diffuse plus ce type de littrature. Ce constat vaudra galement pour la dcennie 1930. En procdant au dpouillement de cette enqute et dans le cadre de cet article, nous nous proposons de vrifier si la moralisation de la question prostitutionnelle, telle que nous avons pu dj lobserver dans lespace de lexpertise et dans larne parlementaire, est galement observable travers le discours des intellectuels vivant dans les annes 1920. Dans les dveloppements qui vont suivre seront mises en exergue les diffrentes causes identifies par les sonds comme responsables de la prostitution avant de mettre au jour les consquences et den venir ultimement la question du choix du modle daction publique.
II
Rsultats
de
lenqute
A
Les
causes
de
la
prostitution
Ce
graphique
nous
permet
de
mettre
en
vidence
la
grande
imagination
dont
ont
fait
preuve
les
sonds
lorsquils
ont
port
leur
rflexion
sur
les
causes
de
la
prostitution.
Nous
avons
comptabilis
113
causes,
mme
si
certaines
manent
de
la
mme
source,
ce
qui
signifie
quun
certain
nombre
des
personnalits
interroges
nont
mis
aucun
avis
sur
ce
sujet.
Lorsque
les
sonds
rflchissent
aux
causes
de
la
prostitution,
un
de
leurs
rflexes
consiste
souvent
tenter
de
comprendre
les
origines
du
choix
dentrer
dans
la
carrire
prostitutionnelle.
Ce
regard
centr
sur
la
figure
de
la
prostitue
oppose
deux
types
de
causes
:
la
misre
conomique
et
le
caractre
de
certaines
femmes.
Ainsi
voit-on
saffronter
ou
se
cumuler
des
arguments
dordre
psychologique
et
dordre
social.
22
sonds
estiment
que
la
misre
constitue
une
cause
exclusive
ou
une
des
causes
de
la
prostitution
contre
34
prtendant
que
le
caractre
(vice,
paresse,
etc.)
est
une
cause
exclusive
ou
une
des
causes
de
la
prostitution.
Sept
personnalits
font
de
la
misre
une
cause
exclusive
ou
principale
de
la
prostitution.
Ainsi,
Vincent
Hyspa
crit
quil
croit
pourtant
quon
12
A. MAUGERE
abolirait
[la
prostitution]
si
on
pouvait
supprimer
la
misre
qui
en
est
la
principale
cause
et
Gustave
Try
tmoigne
ainsi
auprs
des
enquteurs
:
Je
vous
envoie
ci-dessous
ma
rponse
votre
enqute.
1
La
misre
;
2
La
misre
;
3
a
ne
dpend
pas
de
nous
.
La
problmatisation
sociale
de
la
question
prostitutionnelle
rabattant
la
prostitution
sur
la
pauprisation
de
la
gent
fminine
est
loin
de
recueillir
les
suffrages.
Toutefois,
un
certain
nombre
dauteurs
estiment
que
la
prostitution
a
pour
origine
la
socit
bourgeoise
et
sa
morale
sexuelle
dnigrant
lamour
libre
(en
dehors
du
cadre
marital)
ainsi
que
lingalit
entre
les
sexes.
Mais
ce
sont
l
des
causes
qui
tentent
dexpliquer
lexistence
structurelle
de
la
prostitution
plutt
que
le
parcours
des
femmes
changeant
de
la
sexualit
contre
de
largent.
Lorsque
les
regards
se
concentrent
sur
le
personnage
prostitue
,
les
causes
psychologiques
semblent
avoir
nettement
les
prfrences
des
sonds.
Ils
sont
15
souligner
que
le
caractre
(dprav)
des
femmes
(qui
se
prostituent)
est
la
seule
cause
ou
la
principale
cause
de
la
prostitution
et
ceux-l
se
montrent
srs
de
leur
jugement
:
Maurice
Dekobra,
auteur
de
plusieurs
ouvrages
sur
la
prostitution
dans
les
annes
20,
traque
avec
sarcasme
la
ncessit
pour
la
femme
paresseuse
et
veule,
de
gagner
son
pain
la
sueur
de
son...
front
et
la
ncessit
pour
la
femme
orgueilleuse
et
avide
de
luxe,
de
gagner
ses
toilettes
et
son
auto
la
force
de
son...
poignet
(no4);
Daniel
Caldine
se
demande
ironiquement
comment
supprimer
la
prostitution
qui
est
ne
avec
la
premire
femme!
(no10).
Maurice
Prax
estime
que
les
demoiselles
qui
se
prostituent
doivent
aimer
le
mtier...
Il
nest
pas
douteux
en
effet
quelles
pourraient
aisment
trouver
dautres
situations
que
la
situation
horizontale...
On
cherche
des
bonnes
dans
tous
les
bureaux
de
placement
(no45)13.
Le
sens
de
lobservation
de
Georges
Docquois
lui
aurait
permis
de
constater
que
La
prostitue
ne
existe
:
Jusque
dans
les
milieux
les
plus
aiss,
navez-vous
jamais
vu
de
toutes
petites
filles
dj
lisiblement
marques
du
sceau
de
la
prostitue
?
[...]
(no66)
ce
qui
en
dit
long
sur
la
manire
dont
ce
Georges
regarde
les
petites
filles.
On
pourrait
encore
citer
les
rponses
de
Charles
Esquier
(no11)14,
Maurice
Ajam
(no48)15,
Henri
dAlmras
(no63)16,
Henri
Falk
(no71)17,
Marcel
Achard
(no77)18,
Francis
Carco
(no78)19
et
Jo
Bridge
(no110)20.
A
contrario,
lorsque
les
hommes
sont
identifis
comme
les
responsables
de
la
prostitution,
jamais
les
enquts
ne
manquent
dy
associer
dautres
causes.
Ainsi
Henry
Kistemaekers
crit
:
Les
causes
:
Lgosme
masculin,
la
misre
;
Adolphe
Aderer
:
Les
hommes
sont
la
cause
des
erreurs
de
la
femme
:
mais
est-ce
bien
leur
faute
?
Nest-ce
pas
plutt
celle
de
la
nature
?
;
Victor
Margueritte
:
limmoralit
de
notre
13
La mme ide est dveloppe par Jean Rameau (no33) : La paresse, le vice et limmoralit gnrale... Il y a des oies garder en province. Mais on prfre garder des oisons Paris , et J.-H. Rosny An (no24) : la prostitue a une nature spciale : elle a horreur de leffort . 14 Malheureusement il semble hlas ! Que pour bien des femmes dune mentalit primitive et animale, la prostitution soit une fonction naturelle, un tat moral o elles se complaisent . 15 Tant quil existera par le monde des gaillardes avec du temprament ou des femmes plus froides auxquelles lacte sexuel ne cote pas plus que davaler un verre deau, vous nempcherez pas ces garonnes de trafiquer dune acrobatie fort simple quelles exercent sans peine ou avec plaisir . 16 La misre, unique cause ou cause principale de la prostitution ? Cest la plus vaste blague des temps modernes. Depuis la guerre, dans la classe populaire, les ouvriers, les midinettes, par exemple, gagnent suffisamment leur vie. Leur niveau moral sest-il lev ? Dans la bourgeoisie, les femmes sont bien plus instruites quautrefois, plus capables de gagner elles aussi leur vie, et plus disposes revendiquer leurs droits, sinon leurs devoirs. Le nombre des cocus, je les en fais juges, a-t-il diminu ? . 17 Il nat tous les jours des tres que leur naturel portera la prostitution . 18 Jai voulu croire que les prostitues taient des victimes mal rsignes, mourant volontiers poitrinaires pour perptuer une tradition et accompagnant jusquau pied de lchafaud leur petit homme. Les prostitues sont gnralement grasses, elles ne meurent pas poitrinaires, mais apoplectiques et il y a des barrages dagents au pied de lchafaud . 19 Il vous faut, hlas ! Compter avec ce vieil instinct des femmes et le got quelles ont toujours eu de plaire leurs tyrans et den tre rcompenses . 20 Quelquefois aussi les Prostitues le sont par vice, par penchant spcial et par plaisir .
13
antdiluvienne morale sexuelle et liniquit de notre grossire justice masculine et enfin Maurice Level : Ses causes ? Innombrables. Le temprament d'abord ; pourquoi refuserions-nous aux femmes ce que nous nous accordons si gaillardement ; la misre. Chacun vit du mtier qu'il peut et celui-ci n'exige aucun apprentissage ; l'illusion que renferme le mot Fille de joie et qui fait que celles qui portent ce titre ou aspirent le porter s'imaginent qu'il a une signification certaine ; la muflerie des hommes qui, leur rvrence tire, si j'ose m'exprimer ainsi, ne se proccupent gure des suites (no111), Gabriel Timmoryestime de son ct que La prostitution a pour cause le besoin inn chez lhomme et aussi chez la femme de gagner de largent avec le minimum defforts (no75). Sur ce point, lopinion des femmes napparat pas diffrente. Parmi les femmes ayant mis un avis sur ce sujet, elles sont trois juger que le caractre des femmes est responsable de la prostitution (le got du luxe, le caractre vicieux). La misre, lingalit entre les sexes du point de vue du droit et des conditions conomiques sont galement des causes identifies par ces femmes. Lorsquils dpassent une analyse centre sur les acteurs, les membres des professions intellectuelles se montrent volontiers sensibles ce que lon pourrait qualifier de regard anthropologique. Ils estiment ainsi que la nature humaine ou le simple fait de vivre en socit explique lexistence de la prostitution, hypothse qui est lapidairement rsume dans la formule clbre la prostitution, le plus vieux mtier du monde . Pour les sonds, cette cause est en gnral associe lide que labolition de la prostitution est impossible. Ainsi Ren Bizet considre qu aussi longtemps que les hommes existeront, la prostitution durera (no2). Plusieurs lettres expriment cette ide de manire tautologique : Louis Dalgara juge ainsi que sil serait indigne de la clbrer, il serait puril de la dplorer outre mesure, attendu que nous ny pouvons rien... (no88). Guy de Teramond estime quil faudrait commencer par refaire compltement lhumanit, et cest l une tche quil nest mme pas possible denvisager!... (no25). La prostitution est une ncessit sociale, justifie par le besoin physique auquel elle correspond. Dcrter son abolition, ce serait simplement en transformer les caractres et les manifestations, mais elle subsisterait (no49). Les causes ? Vieilles comme le monde, puisqumanant des instincts de reproduction, de sociabilit et dgosme soucieux de rompre avec la monotonie de lexistence par la varit des plaisirs (no56). Citons enfin sans puiser cette catgorie, o lon pourrait encore ranger neuf rponses (no1, 3, 25, 59, 69, 81, 85, 95, 98), celle de Robert de Jouvenel : Les hommes se divisent en deux catgories : les cochons et les hypocrites qui sont aussi des cochons [...]. Cest un rve absurde de vouloir instaurer la vertu dans le monde. Les honntes gens devraient essayer dy installer la franchise (no60). Ce relativisme sil dnote un rejet dune morale conservatrice porte nanmoins en lui une forte interrogation sur les valeurs et les pratiques qui unissent et organisent un groupe social. Cette profusion de paroles sur les causes de la prostitution et lexception de ceux portant un regard purement socio-conomique sur la prostitution la misre cause (quasi)exclusive de la prostitution nous permet de souligner quel point lintrt pour les murs de leurs contemporains culmine chez les intellectuels interrogs. On ne saurait videmment en tirer de conclusions trop rapides car si une telle enqute avait exist dans les annes 1860 1880, dans ces annes o dominent les rflexions sur la sant et lordre publics, nous ne pouvons exclure que cette mme frange de la population naurait pas amplement questionn les causes et accus limmoralit des femmes ou plus largement celle de la socit. Peut-tre mme aurions-nous pu noter une grande pudeur dans les rponses, dnotant ainsi le poids de la morale. Enfin, si une telle enqute avait t mene avant les annes 1860, il nest pas sr que les enquteurs auraient pu recueillir autant de matriau tant la prostitution tait connote ngativement. Parent Duchtelet est demeur longtemps un prcurseur en semparant de ce sujet et en en faisant un objet de science. Longtemps, la question est demeure trop sulfureuse pour que des honntes gens daignent y accoler leur nom ft-ce en tant que critique. Sur ce point, nous pouvons donc dire que la prostitution a perdu en partie son caractre rpulsif mme si cela est sans doute moins vrai pour les femmes.
14
A. MAUGERE
Quoiquil en soit, lorsquest voque lhypothse dune moralisation de la question prostitutionnelle, nous ne voulons pas signifier que la prostitution est devenue sujette une condamnation morale suprieure. Dans lespace politique, nous avons voulu y voir la reconnaissance progressive de llment moral comme un critre pertinent pour fonder lintervention des pouvoirs publics dans lconomie prostitutionnelle et, dans lespace des experts, le fait que les proccupations concernant le scandale public et surtout la sant publique (en somme des problmatisations pragmatiques) noccupaient plus une place prpondrante dans lensemble des discours scientifiques ports sur la prostitution. Cest prcisment ce point, partir du regard profane, que nous nous proposons de prsenter maintenant en examinant la manire dont les sonds ont rpondu la question des consquences de la prostitution.
La dchance physique est la premire des consquences identifie par les personnes interroges. Nous avons compt trente et une lettres qui laissent percevoir des craintes par rapport aux maladies vnriennes, ce qui peut indiquer le poids du discours mdical sur les reprsentations associes la prostitution. On peut y voir aussi la marque de peurs justifies dans la mesure o, mme si les traitements se sont amliors compter des annes 1910, ils n'ont pas atteint lefficacit qu'ils connatront avec la dcouverte de la pnicilline. Par ailleurs, il est exact que la Grande guerre a connu une recrudescence de contaminations qui a laiss des traces dans les esprits comme en tmoigne la lettre ayant consacr les plus longs dveloppements dcrire le pril vnrien, celle du snateur Hugues Le Roux voquant dans le premier paragraphe linstinct gnital , dans le deuxime les innocents contamins, dans le troisime les atroces tragdies, presque toujours termines par la mort , dans le quatrime la gnralisation du mal en thiopie, en Afrique et en Asie, et, dans un ultime dveloppement, les ravages plus meurtriers que les projectiles allemands causs par les filles sans surveillances larrire du front durant la Grande guerre (no37). Il faut cependant souligner un fait encore plus important, d'autant plus notable dans le contexte que nous venons de rappeler brivement (traitement imparfait, souvenirs encore frais de la Grande
15
guerre
et
du
dveloppement
de
la
maladie
qui
en
a
t
un
corollaire)
:
prs
des
trois
quarts
des
lettres
ny
font
aucune
rfrence21
et
celles
qui
le
font
procdent
parfois
par
allusions
furtives,
voire
obscures.
Ainsi
Andr
de
Fouquires
ne
cite
quen
passant
le
problme
de
lhygine
publique
pour
tout
de
suite
lui
prfrer
celui
du
proslytisme
de
la
corruption
permettant
mme
de
douter
que
par
le
terme
d
hygine
celui-ci
vise
le
problme
de
la
prophylaxie
des
maladies
vnriennes
:
Pour
lesthtique
gnrale
et
lhygine
publique,
il
faut
rglementer
la
prostitution.
Nous
viterons
ainsi
quelle
soit
trop
apparente
ou
trop
outrageante,
quelle
ne
soit
un
mauvais
exemple
et
quelle
nentrane
ceux
(et
ils
sont
majorit)
qui
ont
encore
des
principes
de
morale.
Il
serait
en
effet
dplorable
que
la
prostitution
stalt
au
grand
jour,
comme
dans
certains
pays
o,
sous
prtexte
de
pudibonderie,
on
semble
ignorer
ce
mal
ncessaire
(no12).
Le
Professeur
Muchery,
dans
une
lettre
dune
page,
ne
mentionne
pas
la
propagation
des
maladies
vnriennes
comme
une
des
raisons
qui
fonde
son
choix
pour
le
rgime
rglementariste
et
ne
cite
la
question
mdicale
quen
troisime
position
des
bases
sur
lesquelles
elle
[la
prostitution]
pourrait
tre
rglemente
.
La
premire
mission
de
la
rglementation
est
dviter
le
scandale.
Dans
la
hirarchie
des
effets
nfastes
de
la
prostitution,
Urbain
Gonthier
ne
cite
quen
troisime
position
la
diffusion
des
maladies
dgotantes,
aprs
avoir
voqu
la
dgradation
des
rapports
homme/
femme
et
la
licence
de
lhomme
(no99).
Daniel
Riche
ny
fait
quune
rfrence
en
insistant
sur
la
ncessit
de
conserver
la
prostitution
officielle
qui
est
la
plus
utile
la
sant
publique
(no69).
Les
rfrences
la
maladie
se
devinent
davantage
quelles
ne
sont
clairement
exposes.
J.-H.
Rosny
alerte
de
manire
fugace
sur
lavarie
identifie
un
flau
formidable
(no24),
Andr
Billy
interpelle
quant
la
ncessit
dduquer
les
jeunes
gens
contre
les
risques
quils
courent
dans
le
commerce
des
prostitues
(no36).
Ils
sont
peu
nombreux
ceux
qui,
comme
le
snateur
Le
Roux,
consacrent
la
quasi-totalit
de
leur
intervention
la
thmatique
sanitaire.
Thodore
Valensi,
moins
virulent
que
ce
dernier,
sattarde
promouvoir
un
systme
allemand
exemplaire
sur
le
plan
prophylactique
(no47).
Le
Docteur
Flix
Paoli
crit
un
long
paragraphe
sur
ce
thme
(no51).
Matre
Louis
Schmoll,
ancien
avocat
de
la
Socit
Franaise
de
prophylaxie
sanitaire
et
morale,
est
trs
heureux
que
cette
enqute
lui
donne
loccasion
de
prsenter
les
conclusions
auxquelles
parvint
son
organisation
en
1902,
grce
aux
expertises
de
deux
spcialistes
en
mdecine,
les
docteurs
Gaucher
et
Le
Pileur
:
la
prostitution
est
le
principal
facteur
des
maladies
vnriennes
et
en
particulier
de
la
syphilis
,
il
faut
donc
mieux
la
rglementer
(no54).
Dans
certains
cas,
la
question
sanitaire
nest
plus
lie
la
question
de
la
maladie,
mais
celle
de
la
dnatalit22
dont
quelquun
comme
Lon
Riotor,
Conseiller
municipal
et
homme
de
lettres
comme
il
se
dfinit
lui-mme,
rend
responsable
les
prostitues
et
de
manire
plus
gnrale
les
dbauches
(no52).
L
honorable
Docteur
Pinard,
abolitionniste
et
par
ailleurs
dput,
qui
dirige
la
commission
de
prophylaxie
des
maladies
vnriennes
au
ministre
de
lHygine,
ne
pense
mme
pas
utile
dy
faire
une
allusion
dans
sa
courte
rponse
:
Je
pense
que
la
prostitution
est
un
opprobre
social,
une
honte
et
un
scandale,
comme
vous
le
dites
si
bien,
quil
faut
faire
disparatre
.
Cette
lettre
illustre
parfaitement
le
fait
que
la
thmatique
sanitaire
est
compltement
rabattue
sur
un
problme
moral.
La
hantise
du
scandale
public
lui-mme
ne
sexprime
que
marginalement
dans
ce
sondage.
Les
rponses
ne
sattardent
pas
dcrire
les
consquences
de
la
prostitution
pour
la
moralit
publique,
cest--dire
les
convenances
sociales
quil
convient
dadopter
dans
lespace
public.
On
citera
cependant
quelques
extraits.
Le
directeur
de
la
prison
Saint-Lazare
estime
que
la
prostitution
est
21
La mme conclusion simpose propos des rponses formules par les femmes. Elles ne sont que deux faire rfrence la maladie. 22 Peu avant lenqute, en 1920, la loi a assimil la contraception lavortement. Ces deux pratiques sont punies ainsi que leur publicit. Si le thme de la dnatalit apparat environ dans une dizaine de lettres, 5 sonds uniquement la prsentent comme une des consquences de la prostitution.
16
A. MAUGERE
indispensable
pour
les
villes
de
garnison
et
les
ports
de
mer,
mais
quil
faut
la
chasser
des
rues
car
elle
offre
un
spectacle
profondment
immoral
et
rpugnant
(no8).
Selon
Andr
de
Fouquires
(no12),
le
rgime
juridique
de
la
prostitution
doit
servir
viter
tout
proslytisme
de
la
corruption.
Pour
Vincent
Hyspa
(no13),
la
prostitution
est
une
honte
et
un
scandale
.
Le
professeur
Georges
Muchery
(no15)
veut
en
premier
lieu
supprimer
le
racolage
dans
la
rue,
dans
les
cafs
et
dans
les
endroits
publics
,
tout
comme
le
chansonnier
Thodore
Botrel
(no20).
En
revanche,
la
dchance
morale
attise
les
craintes
dun
nombre
non
ngligeable
de
sonds.
Cette
peur
exprime
une
angoisse
concernant
ce
qui
constitue
une
atteinte
au
for
intrieur
de
ltre
humain
et
non
ce
qui
peut
heurter
les
usages
sociaux
et
blesser
un
regard
du
fait
de
lexposition
dun
spectacle
indcent.
Les
effets
et
les
consquences
?,
crit
Paul
Brulat,
funestes
et
dplorables,
car
elles
avilissent
la
nature
humaine
(no28)
tandis
que
Landre
salarme
de
la
dchance
physique
,
mais
aussi
morale
(no31).
Georges
Beaume
estime
galement
que
la
prostitution,
si
normment
dveloppe
aujourdhui,
produit
notre
poque
orgueilleuse
de
sa
civilisation,
qui
nest
pourtant
quapparente,
des
ravages
irrparables
dans
les
corps
et
dans
les
mes
(no57).
Sur
un
terrain
relativement
proche,
en
ce
que
la
prostitution
y
est
dcrite
comme
atteignant
le
cur
mme
des
relations
humaines,
quelques
personnalits
interroges
voquent
lide
que
lexistence
mme
de
la
prostitution
indpendamment
de
la
manire
dont
elle
est
pratique
dgrade
les
rapports
entre
hommes
et
femmes
:
Les
effets
et
les
consquences
de
la
prostitution
sont
la
dgradation
de
la
femme
qui
se
vend
et
de
lhomme
qui
achte;
cest
lassassinat
de
tout
ce
qui
est
noble,
bon
et
beau
dans
lamour
(no50).
La
rponse
dUrbain
Gohier
est
sensiblement
la
mme
:
les
consquences
de
la
prostitution
sont
:
lavilissement
de
la
femme
[...]
;
lavilissement
de
lhomme,
qui
perd
la
notion
humaine
et
juste
du
rapport
entre
les
sexes
(no99).
Ce
positionnement
moral,
sil
apparat
assez
vivace
et
sil
donne
lieu
un
certain
nombre
denvoles
lyriques
qui
peuvent
frapper
les
esprits,
est
cependant
minoritaire
lorsquon
le
compare
une
attitude
plus
relativiste.
Lautre
point
notable,
aprs
avoir
not
le
relatif
oubli
des
consquences
sanitaires,
est
que
les
personnalits
sont
dans
lensemble
peu
sensibles
la
question
des
effets
et
consquences
de
la
prostitution.
La
majorit
des
sonds
na
pas
pris
la
peine
de
rpondre
cette
question
et
une
quinzaine
de
personnalits
formulent
une
rponse
plutt
diffuse.
La
prostitution
y
apparat
davantage
comme
le
reflet
dun
mauvais
tat
gnral
de
la
socit
ou
le
miroir
de
lhumanit.
Beaucoup
auraient
pu,
la
manire
de
Funck
Brentano,
rpondre
la
question
sur
les
effets
et
les
consquences
par
cette
formule
lapidaire
:
bien
malin
qui
les
indiquera
(no85).
La
prostitution
rvle
des
maux
imperceptibles
qui
ne
sont
ni
du
ressort
de
la
voierie
ni
de
celui
de
la
mdecine.
Cest
bien
le
sens
que
lon
doit
attribuer
la
rponse
de
J.-H.
Rosny
An,
lequel
estime
que
cette
question
est
insidieuse
et
demanderait
une
chronique
entire
(no24).
Ce
silence
tranche
avec
le
dbordement
de
paroles
sur
les
causes
de
la
prostitution
que
nous
avons
soulign
prcdemment.
Lironie
de
la
situation
est
que
si
la
prostitution
est
majoritairement
prsente
comme
un
vice
et
si
quasiment
tous
sinterrogent
sur
les
causes
dune
pratique
immorale
si
rpandue,
un
grand
nombre
de
lettres
envoyes
la
rdaction
de
Tam-Tam
rendent
compte
du
fait
que
cette
activit
na
pour
ainsi
dire
que
peu
de
consquences
nfastes23.
Si
lon
retranchait
les
rponses
prsentant
la
dchance
physique
comme
le
rsultat
de
la
prostitution,
que
resterait-il
des
mfaits
de
cette
activit
?
Avec
la
dcouverte
de
la
pnicilline
et
lintroduction
du
prservatif,
pas
grand-chose
Si
ce
23
Deux femmes relativisent fortement lide mme que la prostitution soit nfaste. Ainsi Rene Dunan crit : D'un point de vue moral, je ne juge pas la Prostitution comme le pire mal, et je suis porte le tenir pour le moindre . Lcrivaine Marie Laparcerie met dans un style relativement sibyllin la mme ide : Les effets et consquences de la prostitution ?... effets et consquences ncessaires. Le monde est un tout complet dont chaque compartiment, chaque parcelle est indispensable sa marche. Il y a le bien et le mal, j'entends au sens social du mot ; il y a le bonheur et le malheur. Pour le mal et pour le malheur, sauve qui peut .
17
relatif
dsintrt
pour
les
effets
et
les
consquences
rvle
en
partie
linnocuit
de
la
pratique
prostitutionnelle,
il
reste
que
cette
profusion
de
paroles
sur
les
causes
nen
exprime
pas
moins
une
certaine
anxit
vis--vis
de
ce
phnomne.
Peut-tre
est-ce
au
cur
de
la
subversion
des
lois
de
lchange
des
femmes
que
se
situe
le
vritable
scandale,
qui
appelle
la
cration
dune
catgorie
de
femmes
mettre
part
et
non
dans
lidentification
deffets
proprement
nfastes24
?
Ce
scandale,
un
certain
nombre
de
sonds
lexpriment
en
sindignant
de
limmoralit
de
ces
femmes
changeant
de
la
sexualit
contre
de
largent.
Cependant,
ils
sont
assez
nombreux
exprimer
une
position
moins
tranche
et
relativiser
limmoralit
des
prostitues
et,
quand
ce
nest
pas
pour
louer
les
services
rendus
par
cette
activit25,
en
relativiser
les
inconvnients.
Ainsi
Ren
Bizet
estime
que
les
effets
et
consquences
[de
la
prostitution]
en
sont
tragiques
comme
sont
tragiques
les
effets
et
consquences
de
la
socit,
des
guerres,
et
de
toute
invention
humaine.
Ni
plus
ni
moins.
Aussi
longtemps
que
les
hommes
existeront,
la
prostitution
durera
.
Une
posture
relativiste
inspire
de
nombreuses
rponses
;
plusieurs
lettres
ddramatisent
la
prostitution
du
corps
en
la
comparant
celle
de
lesprit
:
chacun
se
prostitue
plus
ou
moins.
Les
journalistes,
par
exemple,
vendent
leur
esprit
et
tchent
de
le
prsenter
aux
lecteurs
dans
la
forme
qui
leur
sera
la
plus
agrable,
pour
avoir
du
succs
.
Un
autre
sond
estime
quavant
dabolir
la
prostitution,
il
faut
dabord
fermer
les
pires
bordels
et
ainsi
commencer
par
les
deux
chambres
et
lAcadmie
dite
Franaise
(no46).
Sur
un
ton
moins
sarcastique,
Sylvain
Bonmariage
se
demande
o
commence
la
prostitution
?
O
finit- elle
?
Quand
tel
auteur
de
talent
crit
sans
inspiration,
sans
art,
une
pice
infecte,
uniquement
pour
obtenir
un
succs
de
scandale,
ne
se
prostitue-t-il
pas
beaucoup
plus
que
le
pauvre
tre
humain
qui
fait
le
trottoir
devant
les
galeries
Lafayette
(no58).
On
pourrait
encore
citer
quatre
autres
lettres
(no82,
86,
87
et
113).
Comparaison
avec
la
prostitution
des
esprits,
mais
aussi
avec
le
mariage:
le
thme
dj
popularis
par
Marx
dans
le
Manifeste
du
Parti
communiste
et
par
Engels
dans
son
Origine
de
la
famille
fait
recette
chez
Georges
de
la
Fouchardire
(no17),
Victor
Snell
(no38),
Guillot
de
Saix
(no42)
Maurice
Magre
(no109)
et
Lon
Frapi
(no112).
De
lensemble
de
ces
opinions
relatives
aux
causes
et
aux
effets
de
la
prostitution,
qui
nous
renseignent
quant
aux
reprsentations
quont
les
intellectuels
de
la
prostitution,
peut-on
en
dduire
un
choix
de
modle
daction
publique
?
Les
positions
conservatrices
appellent-elles
un
rgime
de
type
prohibitionniste
?
Lappel
lapplication
du
droit
commun
sera-t-il
le
corollaire
des
positions
24
P. TABET, Du don au tarif. Les relations sexuelles impliquant une compensation , dans Les Temps Modernes, no490, mai 1987, p. 44. 25 o Georges de la Fouchardire est le seul faire lapologie de la prostitution (n 17). Nous ne pouvons rsister citer un extrait de sa longue lettre : La prostitution est la seule forme honnte de lamour, celle qui ne se nourrit pas de mensonges. Dans une prostitue le cochon de payant trouve toujours ce quil cherche, car il borne son dsir aux choses possibles. Dans une matresse dsintresse et qui se donne avec passion, lamant ne trouve jamais ce quil cherche, car il cherche toujours autre chose, cest--dire quelque chose dimpossible et de surhumain Or la reconnaissance est une vertu surhumaine, et chacun des deux, lamante et lamant, estiment que lautre doit tre reconnaissant et soumis et servile, pour le don prcieux dun corps et le don inestimable dun cur fervent Il y a plus de calcul, vraiment, dans lamour dsintress quil ny a dans lamour vnal. [] Supprimer la prostitution, qui est une des pierres angulaires de la civilisation ? Rglementer la carrire qui doit tre libre et ouverte toutes les personnes qui ont ou croient avoir des dispositions pour lamour et le commerce ? En vrit, tant que, sur la terre, il y aura des hommes, tant quil y aura des femmes, tant quil y aura des femmes et des hommes, les moralistes auront lieu de sindigner ; car cette chose, dont ils ne connaissent pas la valeur, donnera lieu aux plus actives transactions . Les autres personnalits interroges sattardant plus volontiers sur quelques-unes de ses consquences heureuses : les effets de la prostitution o sont excellents pour lhomme. Pour la femme, je noserais en dcider (n 98). Les prostitues jouent la o fonction de consolatrice des grands enfants (n 14), cest--dire souvent des hommes qui nont pas tous les o o o o o traits physiques (n 15, n 103, n 111) et desprit (n 67 et n 90) des sducteurs. La prostitution a galement la o o fonction de complter le mariage (n 69 et n 73). Avec esprit de drision, deux auteurs y voient un moyen o o efficace de gravir lchelle sociale (n 75 et n 90).
18
A. MAUGERE
relativistes ? Les anxits concernant la diffusion des maladies commandent-elles un renforcement des mesures rglementaristes ?
19
droit des femmes faire commerce de leur charme26. La trs grande majorit de ceux ayant esquiss une rponse formule le souhait de rglementer la prostitution (25/34) marquant ainsi le souci de remdier aux problmes pratiques poss par la prostitution. Notons que les rformes quils plbiscitent ne sont pas ncessairement du ressort dune politique de rgulation plus rigoureuse. Seules trois personnalits, dont le directeur de la prison de Saint Lazare (no8) et le professeur Muchery (no15), se prononcent pour le redoublement de la lutte contre la prostitution des rues, ainsi que pour une surveillance sanitaire plus troite27. J-H Rosny veut de son ct ladoucissement du rgime (no24). Michel Corday souhaite le dpouiller de certaines pratiques discrtes, rudes et barbares (no21) et Paul Reboux, pour qui le systme actuel est vexatoire et inefficace , souhaite rglementer [la prostitution] [...] la condition que ce rglement soit purement hyginique, et concerne les deux participants de la contagion (no34). Quelques rponses excentriques formulent le vu de renouveler compltement les modalits du contrle en interdisant aux femmes qui nont pas encore eu denfants de se prostituer (no14) ou en transfrant un ordre religieux ou mystique le pouvoir dont dispose la police des murs (no16).
26
Nous nous en sommes abstenu car, parmi ces rpondants, il nest pas exclu que certains auraient t partisans dun modle libral de rglementation. 27 Thodore Valensi se rallie galement cette dernire opinion (no47). 28 M. FOUCAULT, gouvernementalit (1978), Dits et crits, Tome 2, Quarto Gallimard, Paris, 2001, p. 635- 657. Repris dans M. FOUCAULT, Scurit, territoire, population, Cours au Collge de France. 1977-1978, Gallimard Seuil, Paris, 2004, p. 91-118. 29 Dans la littrature des politistes, labsence de changement renvoie frquemment la notion anglophone de path dependance , traduit littralement comme la dpendance au sentier . Elle exprime lancrage
20
A. MAUGERE
politiques
se
montraient
dsormais
rceptifs
aux
arguments
abolitionnistes.
Au
dbut
des
annes
1930,
les
partis
radicaux
et
radical-socialiste
se
prononcent
pour
la
fermeture
des
maisons
closes.
En
1936,
le
Ministre
Henri
Sellier
reprend
cette
proposition
dans
un
projet
de
loi30
;
celui-ci
ne
sera
toutefois
pas
adopt.
Si
la
guerre
accentue
les
traits
du
rglementarisme
et
lui
donne
pour
la
premire
fois
des
bases
lgales31,
la
priode
de
la
Libration
aura
raison
des
principaux
traits
de
ce
rgime.
Alors
que
lAssemble
nest
encore
que
constituante,
elle
vote
quasiment
sans
dbat,
le
13
avril
1946,
la
fermeture
des
maisons
closes.
A
rebours
de
lavnement
dun
rgime
de
gouvernementalit,
laction
publique
qui
intervient
sur
le
secteur
prostitutionnel
semble
obir
une
rationalit
juridico-morale
qui
cherche
ses
fondements
dans
des
rgles
transcendantes
32.
Ignorant
en
partie
les
alas
de
la
conjoncture
,
les
contingences
de
la
vie
politique
ordinaire
,
typiquement
pris
en
compte
par
la
rationalit
politique
contemporaine,
soucieuse
de
pragmatisme
et
defficacit
sociale
,
les
pouvoirs
publics
napprhendent
plus
la
prostitution
partir
dune
normativit
de
gestion
33.
Sans
pouvoir
ici
dvelopper
lensemble
des
hypothses
qui
nous
paraissent
pouvoir
expliquer
ce
changement
anachronique
de
modle
daction
publique,
nous
pouvons
avancer
trois
arguments
plus
ou
moins
satisfaisants
expliquant
cette
rupture34.
Dans
une
perspective
fonctionnaliste,
nous
pourrions
y
voir
la
disparition
de
largument
sanitaire
qui
avait
en
partie
concouru
sdimenter
le
modle
rglementariste.
Cette
explication
ferait
toutefois
fi
du
fait
que
cette
politique
avait
dabord
t
justifie
par
la
hantise
du
scandale
public
et
que
cette
crainte
ntait
nullement
dissipe
au
moment
de
la
dcision
de
supprimer
les
maisons
closes.
Cest
mme
ce
qui
fonda
en
partie
la
tolrance
des
htels
de
passe
dans
les
quinze
premires
annes
de
ladoption
du
modle
abolitionniste35
ou
qui
est
venu
justifier
en
2003
la
rintroduction
dun
dlit
de
racolage
dans
le
code
pnal,
sans
que
les
effets
long
terme
ne
soient
satisfaisants
mme
de
ce
point
de
vue.
La
productivit
sociale
de
ce
modle
est
faible.
Ne
permettant
lexpression
de
ce
commerce
vritablement
nulle
part,
le
modle
abolitionniste
tel
quil
se
dcline
en
France
fait
des
rues
le
lieu
du
racolage
et
les
riverains
continuent
de
pouvoir
sen
exasprer36.
Dans
une
perspective
plus
attache
souligner
le
caractre
dterminant
des
rapports
de
pouvoir,
nous
pourrions
voir
dans
ce
changement
un
dplacement
de
lquilibre
des
forces
et,
sous
cet
angle,
la
traite
des
tres
humains
a
t
une
fentre
dopportunit
qui
a
permis
aux
abolitionnistes
de
promouvoir
leurs
objectifs
en
tant
couts
par
les
responsables
politiques
qui
participaient
aux
confrences
institutionnel
dun
modle
daction
publique
et
explique
la
rsistance
au
changement.
Le
courant
du
noinstitutionnalisme
historique
y
fait
un
recours
important
pour
expliquer
lenracinement
dune
politique.
30
A.
CORBIN,
op.
cit.,
p.
498.
31
I.
MEINEN,
Wehrmacht
et
prostitution
sous
lOccupation
(1940-1945),
Payot,
Paris,
2006,
p.
115
et
suiv.
32
M.
FOUCAULT,
gouvernementalit
,
in
Dits
et
crits,
op.
cit.,
p.648.
33
J.
COMMAILLE,
Lesprit
sociologique
des
lois,
PUF,
Paris,
1994,
p.
26-27.
Pour
que
[les
rgles
de
construction
de
la
lgitimit]
existent,
il
convient
daffirmer
des
principes
forts,
dune
grande
stabilit
dans
le
temps,
comme
condition
de
leur
respect,
au
nom
de
finalits
suprieures
et
qui
simposent
lensemble
social.
[...]
la
rationalit
juridique
seule
porteuse
duniversalit,
les
politiques
vont
opposer
un
travail
dordre
soumis
aux
alas
de
la
conjoncture,
aux
contingences
de
la
vie
politique
ordinaire
.
34
Afin
dexplorer
les
diffrentes
explications
politiques
du
changement
de
modle
daction
publique,
nous
nous
appuyons
sur
larticle
de
K.
THELEN
Comment
les
institutions
voluent
:
perspectives
de
lanalyse
comparative
historique
,
op.
cit.
35
Le
juge
dinstruction
Marcel
Sacotte
se
montre
mme
favorable
dans
un
ouvrage
publi
en
1959
la
tolrance
des
htels
de
passe
:
Ne
serait-il
pas,
dans
ces
conditions,
prfrable
de
substituer
[
linterdiction
de
proxntisme
htelier]
une
lgislation
rglementant
les
modalits
dans
lesquelles
les
htels
pourraient
recevoir
des
prostitues
avec
leurs
clients
,
M.
SACOTTE,
La
prostitution,
Buchet/Chastel,
Paris,
1959,
p.155.
Le
mme
juge
rapporte,
un
peu
plus
de
10
ans
plus
tard,
lintensification
de
la
rpression
contre
ces
lieux
de
prostitution.
La
prostitution:
que
peut-on
faire
?,
Buchet-Chastel,
Paris,
1971.
36
V.
GUIENNE,
Politiques
problmatiques
pour
femmes
publiques
,
J.
DANET
et
V.
GUIENNE
(dir.),
Action
publique
et
prostitution,
PUR,
Rennes,
2006,
p.
81-98.
21
internationales
organises
sur
cette
question.
Les
militants
abolitionnistes
ont
ainsi
occup
progressivement
une
place
plus
importante
dans
lespace
des
dbats.
Alors
mme
que,
comme
le
note
le
rapporteur
de
la
loi
pour
la
fermeture
des
maisons
closes,
les
parlementaires
de
1946
avaient
autant
de
raison
de
se
mfier
des
abolitionnistes,
qui
dans
lEst
staient
montrs
proches
des
Allemands,
que
des
tenanciers
de
maisons
closes
qui
navaient
pas
hsit
collaborer
avec
lennemi37,
les
partisans
dune
approche
pnale
semblaient
dsormais
avoir
conquis
lespace
politique
des
dbats.
Cette
hypothse
du
dplacement
du
rapport
de
force
est
nouveau
conforte
par
le
contexte
actuel
qui
a
vu
le
modle
abolitionniste
se
renforcer
dans
sa
dynamique
rpressive
la
faveur
dune
nouvelle
mdiatisation
de
la
question
de
la
traite.
Alors
que
lapparition
du
SIDA,
dans
les
annes
1980,
avait
nouveau
reconduit
des
anxits
de
type
sanitaire,
les
pouvoirs
publics
ont
soutenu
des
initiatives
dassociations
de
sant
communautaires
qui
ont
en
partie
modifi
la
manire
de
prendre
en
charge
ce
secteur.
Alors
que
lintervention
sociale
tait
traditionnellement
assure
par
des
organismes
convertis
aux
ides
abolitionnistes
assimilant
la
prostitution
une
inadaptation
sociale,
lapparition
des
associations
de
sant
communautaires,
par
leur
mode
dorganisation
mme
associant
des
travailleurs
du
sexe
dautres
professionnels,
a
modifi
lapproche
sociale
la
fois
dans
ses
mthodes
et
dans
ses
objectifs.
Dans
cette
configuration
nouvelle,
les
personnes
changeant
de
la
sexualit
contre
de
largent
ont
trouv
un
espace
propice
pour
revendiquer
leur
activit
comme
un
choix
et
rclamer
des
droits
sociaux.
Larrive
de
prostitues
trangres
dans
les
annes
1990
et
les
destins
dramatiques
vcus
par
certaines
dentre
elles
ont
toutefois
ractualis
la
question
de
la
traite
des
femmes
et
les
partisans
du
modle
abolitionniste
y
ont
trouv
nouveau
un
espace
pour
leurs
revendications.
La
brche
qui
stait
ouverte
dans
les
annes
1980
en
faveur
de
la
reconnaissance
des
revendications
des
prostitues,
rebaptises
travailleuses
du
sexe
,
sest
ainsi
prmaturment
referme
avant
que
les
partisans
dun
modle
libral
naient
eu
le
temps
de
gagner
leur
place
auprs
des
responsables
politiques38.
Dans
une
perspective
culturaliste
ou
dans
celle
de
lapproche
dite
cognitive
des
politiques
publiques,
nous
pouvons
voir
dans
le
changement
de
modle
daction
publique,
ce
que
nous
avons
amplement
dvelopp
ailleurs,
une
consquence
de
la
moralisation
de
la
question
prostitutionnelle
dans
larne
politique
et
plus
largement
un
effet
du
changement
de
la
grammaire
dominante
qui
tramait
la
question
prostitutionnelle.
Les
rpertoires
de
discours
ont
t
transforms
:
les
experts,
les
acteurs
politiques
et
les
profanes
ont
plbiscit
une
problmatisation
thique
de
la
question
prostitutionnelle
au
dtriment
de
proccupations
plus
pragmatiques
(tranquillit
publique,
sant
publique,
justice
sociale).
En
mme
temps,
ce
changement
de
grammaire
dominante
ne
nous
dit
rien
de
la
manire
dont
le
politique
doit
se
confronter
au
phnomne
prostitutionnel.
Une
interrogation
de
type
thique
peut
37
Daprs les dclarations du rapporteur de la commission de la famille, la collaboration des tauliers avec loccupant allemand est insuffisante expliquer la dcision de fermer les maisons closes : Dsirant avant tout faire un expos trs objectif de la question, nous ne retiendrons pas certains arguments que se jettent la tte les partisans de lune ou lautre thse, saccusant mutuellement des pires compromissions ; nous ne citerons quen passant, et parce quil est notre avis indiscutable, largument prsent par les partisans de la fermeture des maisons de tolrance lorsquils disent que, pendant loccupation, les services de la Gestapo ont trouv, dans ce milieu, un terrain extrmement favorable pour exercer leur action criminelle. Sur le mme plan, nous avons eu la surprise dapprendre que certaines personnes qui avaient pris en Alsace, bien avant la guerre, la tte de la propagande abolitionniste taient des autonomistes notoires travaillant contre les intrts franais . 38 La faiblesse dans ce positionnement est particulirement lisible loccasion des missions dinformation dorigine parlementaire qui sont mises en place. En 2000, 2002 et 2011, lorsque les acteurs politiques ont analys leur modle daction publique en matire de prostitution dans la perspective den dresser un bilan ou de le rformer, on constate la surreprsentation des dfenseurs du modle abolitionniste comme experts reconnus comme pertinents. La dpendance au sentier y est particulirement lisible.
22
A. MAUGERE
inclure
lide
que
la
prostitution
contrevient
fondamentalement
la
dignit
humaine
et
imposer
linterdiction
de
cette
activit,
mais
elle
peut
aussi
inversement
intgrer
lide
que
la
prostitution
ressortit
la
libre
disposition
de
son
corps
et
imposer
la
dcriminalisation
de
cette
activit.
Dans
le
contexte
dune
conomie
librale,
et
alors
mme
que
les
autres
commerces
du
sexe
ont
t
soustraits
une
politique
criminelle,
on
peut
ainsi
tre
troubl
par
le
fait
que
la
prostitution
soit
de
plus
en
plus
du
ressort
dun
dispositif
rpressif.
Toutefois,
de
ce
dsintrt
pour
les
dfis
techniques
poss
par
la
prostitution,
de
ce
regain
de
proccupations
morales,
les
partisans
dun
modle
abolitionniste
ont
pu
tirer
profit
pour
soutenir
la
suppression
de
la
rglementation
de
la
prostitution.
Si
au
moment
de
la
dfaite
de
Sedan,
en
1870,
la
question
sanitaire,
en
particulier,
tait
non
ngociable
et
requrait
lintervention
de
ladministration,
empchant
que
cette
dfaite
militaire
qui
avait
provoqu
la
chute
du
Second
empire
nemporte
avec
elle
la
rglementation
de
la
prostitution,
telle
ntait
pas
la
situation
au
moment
de
la
Libration.
Si
la
loi
du
24
avril
1946
sur
la
prophylaxie
des
maladies
vnriennes
vote
quelques
jours
aprs
la
loi
fermant
les
maisons
closes
rintroduit
un
contrle
sanitaire
en
lui
donnant
une
base
lgale
,
la
disjonction
de
ce
volet
mdical
annonce
bien
la
mise
en
retrait
de
largument
sanitaire
comme
justification
de
la
politique
prostitutionnelle.
A
la
Libration,
un
souci
de
justice
sociale,
que
matrialise
le
programme
national
de
la
Rsistance
et
le
prambule
de
la
Constitution
de
1946,
et
le
souhait
de
marquer
la
rupture
morale
davec
la
priode
vichyste
ont
eu
raison
du
systme
rglementariste
:
La
dpravation
des
murs
et
un
rgime
social
et
conomique
injuste
ont
favoris
le
maintien
dune
institution
abjecte
que
doit
dsavouer
la
IVe
Rpublique
:
la
rglementation
de
la
prostitution
et
lexistence
de
maisons
de
tolrance
(nous
soulignons),
dclare
le
dput
du
Mouvement
Rpublicain
Populaire
l'origine
de
la
proposition
de
la
loi
pour
la
fermeture
des
maisons
closes.
Le
rapporteur
de
la
loi
pour
le
gouvernement
justifie
galement
cette
loi
dans
des
termes
proches
:
Sur
le
terrain
moral,
comme
sur
le
terrain
social,
il
apparat
indiscutable
quun
grand
pays
ne
doit
pas
sabaisser
rendre
lgales
si
peu
que
ce
soit
de
semblables
pratiques
et
quen
rglementant
dune
part,
en
tolrant
dautre
part,
lexistence
des
maisons
closes,
les
pouvoirs
publics
facilitent
en
quelque
sorte
la
prostitution
parce
quils
abandonnent
un
secteur
sur
lequel
elle
est
abrite
par
la
loi
(nous
soulignons).
La
suppression
des
maisons
closes
ne
procde
pas
dune
brusque
rupture
politique
mergeant
du
nant.
Dun
point
de
vue
socio-culturel,
et
cette
enqute
en
fournit
un
exemple,
la
prostitution
a
t
problmatise
de
manire
thique,
ce
qui
a
permis
aux
pouvoirs
publics
de
dlaisser
les
dfis
techniques
poss
par
la
prostitution.
Dun
point
de
vue
politique,
cette
approche
pnale
accentuait
un
lent
processus
tendant
faire
reconnatre
le
critre
moral
comme
celui
laune
duquel
devait
se
dcider
le
modle
daction
publique
en
matire
de
prostitution.
Lanalyse
de
K.
Thelen
soulignant
limportance
de
la
sdimentation
institutionnelle
comme
variable
dun
processus
de
changement
nous
parat
ici
tout
fait
convaincante.
Si
la
politique
rglementariste
napparat
pas
ngociable
dans
sa
dimension
de
lutte
contre
le
scandale
public
et
dans
son
souci
de
limiter
le
pril
vnrien,
en
revanche
le
rejet
de
la
morale
comme
devant
fonder
cette
politique
y
est
apparu
progressivement
comme
le
maillon
le
plus
faible39.
Aussi,
lEtat
na-t-il
cess
dtre
dnonc
par
les
abolitionnistes
comme
lorganisateur
de
la
dbauche
vnale
;
la
rception
de
cette
argumentation
tait
la
cl
de
leur
victoire.
Ainsi,
la
question
de
la
traite
des
tres
humains
et
celle
de
la
prostitution
des
mineurs
ont
t
des
points
relais
pour
la
diffusion
dun
rpertoire
moral
de
discours
dans
larne
politique40.
Le
souci
des
parlementaires
de
sparer
le
droit
et
la
morale
a
finalement
t,
la
Libration,
balay
dun
simple
revers
de
main
et
les
hommes
politiques
se
sont
soudain
sentis
investis
dune
mission
de
rforme
des
murs.
Empruntant
les
mmes
arguments
et
le
mme
lyrisme
que
les
abolitionnistes,
les
acteurs
politiques
au
lendemain
de
la
Seconde
guerre
mondiale
ont
fait
de
la
prostitution
un
39
La sdimentation institutionnelle est une variable explicative du changement institutionnel : elle contourne la dpendance au sentier en ajoutant de nouvelles institutions permettant de faire dvier progressivement linstitution en place de ses objectifs initiaux. Pour des exemples : K. THELEN, op. cit., p. 30-32. 40 A. MAUGERE (2011), op. cit., p. 418-425.
23
espace de leur lgitimation symbolique : lAssemble nationale constituante en supprimant les maisons closes affirmera aux yeux du monde, la volont inbranlable de notre pays dassurer le respect de la personne humaine et de son minente dignit , assure le dput et rapporteur la commission de la famille, Marcel Roclore41. Depuis, le succs dans les discours politiques de cette association entre prostitution et atteinte la dignit humaine ne sest pas dmenti42. Nos sonds auraient pu constater que la prostitution nen continuait pas moins safficher sur les trottoirs, se diffuser sur les rseaux virtuels et faire faire des milliers de kilomtres des femmes finanant ainsi leurs souhaits dmigration et dmancipation43.
41
Annales de lAssemble Nationale Constituante, Documents parlementaires, sessions de 1945 et 1946, Du 6 novembre 1945 au 7 fvrier 1946, n 159, Annexe n 248, p. 276-277. 42 A. MAUGERE, La rgulation de la prostitution en France l'poque contemporaine : le passage d'un rfrentiel social un rfrentiel scuritaire ? , communication prsente au colloque international Comment l'Etat fait-il notre lit ? La rgulation de la sexualit en Europe , 25-26 Mars 2010, sous la direction de Rgine Beauthier l'Universit Libre de Bruxelles. Consultable en ligne : http://normes-genre- sexualites.ulb.ac.be/fileadmin/user_upload/docs/Lit_inter_Maugere.pdf 43 Articles parus dans des revues scientifiques : R. ANDRIJASEVIC, La traite des femmes dEurope de lEst en Italie. Analyse critique des reprsentations , dans Revue europenne des migrations internationales, 21, 1, 2005 ; F. GUILLEMAUT, Victimes de trafic ou actrices dun processus migratoire. Saisir la voix des femmes migrantes prostitues par la Recherche-Action (enqute) , dans Terrains et travaux, 10, 1, 2006 ; M. DARLEY, o La prostitution en clubs dans la rgion frontalire tchque , dans Revue franaise de sociologie, n 48, 2, 2007 ; N. RAGARU, Du bon usage de la traite des tres humains : controverses autour dun problme social et o dune qualification juridique , dans Genses, n 66, Mars 2007, p. 69-89; F. LEVY et M. LIEBER, La sexualit comme ressource migratoire. Les Chinoises du Nord Paris , dans Revue Franaise de Sociologie, 50, 4, 2009.
24