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ERP : LES EFFETS DUNE
NORMALISATION DES PROCESSUS DE GESTION Tawhid Chtioui Allocataire Moniteur de 3 me anne Universit Paris Dauphine CREFIGE - Centre de Recherche Europen en Finance et en Gestion Place du marchal de Lattre de Tassigny 75775 Paris Cedex 16 chtioui@crefige.dauphine.fr
Rsum Les ERP sont dsormais des outils de normalisation, de standardisation des processus de gestion. Ils proposent des fonctionnalits riches, fondes sur les meilleures pratiques. Cet article propose dtudier les effets dune telle normalisation sur les Organisations en se rfrant aux diffrentes problmatiques thoriques du rapport NTIC / changement organisationnel. Mots-cls : PGI, normalisation, standardisation, TIC, changement organisationnel, processus de gestion
Abstract ERP systems lead to a standardisation of management processes across the organization. It proposes rich functionalities based on best practices. This paper proposes a study of the impacts of such standardisation on organisations with reference to the different theoretical hypothesis of the relation IT / organizational change. Key-words : ERP, standardisation, IT, organizational change, management processes.
2 1 Introduction Les progiciels de gestion intgrs (Enterprise Resources Planning : ERP) connaissent un vritable succs auprs des entreprises et leur mise en uvre constitue une refonte du systme dinformation de gestion (SIG), mais surtout une remise plat des procdures de gestion au sein de lorganisation. Les ERP sont dsormais des outils de normalisation, de standardisation des processus de gestion des entreprises et des groupes multinationaux. Ils proposent des fonctionnalits riches et prouves, fondes sur les meilleures pratiques. Cest ainsi que la quasi-totalit des grandes entreprises mondiales sont dj quipes dERP 1 et de plus en plus de PME cherchent construire un systme informatique unifi qui s'appuie sur ce progiciel. LERP ralise un rve duniversalit : que chacun travaille dans sa langue et que tous se comprennent (Mourlon et Neyer, 2002). Lintroduction des ERP dans les organisations induit alors une normalisation des processus de gestion, tant attendue par les organisations afin de les aider jeter les bases d'un systme international et de les accompagner dans leur stratgie de globalisation. Nanmoins, cette uniformisation des sous cultures organisationnelles peut ne pas produire les effets escompts. Limplantation dun ERP vise changer lorganisation. Ce processus est risqu. (Besson, 1999). Quels peuvent tre alors les effets de la standardisation induite par les ERP sur les organisations ? Lobjectif de cet article ne consiste pas donner une rponse empirique cette question, mais plutt, de proposer des rponses thoriques et de montrer limportance de la question pour la recherche. Dailleurs, nous navons trouv aucune recherche empirique qui traite de cette question. Aprs avoir tent dillustrer et de cerner le concept dERP, nous exposons les potentialits de normalisation de cet outil. Nous prsentons ensuite les effets attendus de cette normalisation selon les diffrentes approches thoriques du rapport technologies de linformation et de la communication / changement organisationnel. 2 Le concept dERP Les ERP semblent aujourd'hui s'imposer et devenir un vritable standard pour le systme informatique d'une organisation. Pour comprendre leur influence potentielle sur les
1 7 des 10 premires entreprises en terme de bnfices et 9 des 10 premires en terme de capitalisation boursire sont quipes par des progiciels ERP de lditeur SAP, leader incontest du march (Source : CURRAN et al.,1998, in R. SCAPENS et al., 1998) 3 organisations, un pralable est de connatre leur origine, leurs caractristiques et les bases de leur fonctionnement. 2.1 Lmergence des progiciels de gestion intgrs Historiquement, les systmes fonctionnels des entreprises ont t dvelopps sur des matriels diffrents suivant des mthodologies diffrentes : les ralisations sont gnralement htrognes tant au niveau de la reprsentation des donnes quau niveau des modes de traitement. Il en dcoule des inconvnients multiples : - problmes de communication entre domaines censs partager des donnes communes ; - difficults de contrle des oprations en raison de la multiplicit des traitements ncessaires lobtention des tats de synthse ; - cots de maintenance levs en labsence de modularit entranant une faible capacit dvolution ; - complexit de la formation lutilisation de logiciels trs varis ; - difficults, pour de nombreux contrleurs de gestion, dans la collecte et la ressaisie des donnes provenant de diffrents systmes et servant consolider les budgets, laborer les tableaux de reporting, etc. Face ces difficults rcurrentes, les diteurs de logiciels et les grandes socits de conseil proposent une rponse unique sous la forme de progiciels de gestion intgrs visant amliorer la cohrence globale tout en mnageant une certaine modularit. Ainsi, vers le dbut des annes quatre-vingt-dix, la notion dERP est apparue. Elle a t utilise par les mdias professionnels pour qualifier quelques diteurs de progiciels qui couvrent la gestion complte dune entreprise : SAP, ORACLE Applications, BAAN, JD EDWARDS, etc. LERP a t dvelopp lorigine pour les entreprises industrielles et est considr comme une extension des fonctions prises en charge par les MRP (Material Requirement Planning) 2 ou les MRP II (Manufacturing Resource Planning) 3 . 2.2 Quest ce quun ERP ?
2 Les MRP sont des logiciels ou progiciels de gestion apparus dans les annes soixante-dix, qui permettent de planifier et optimiser la gestion de la production (gestion des approvisionnements, gestion des stocks, laboration de plans de production,). 3 Les MRP II sont des logiciels ou progiciels de gestion dvelopps dans les annes quatre-vingts, dans les moyennes et grandes entreprises, pour mieux prendre en compte les ressources ncessaires la production et raliser des simulations partir de plusieurs scnarios de ventes. Ils dterminent l'ensemble des ressources ncessaires pour la production partir de prvisions de la demande, ils grent les stocks et les livraisons, etc. Ils prennent en compte les problmes de capacit et de disponibilit des ressources (matires, hommes, machines). 4 Acronyme dorigine amricaine, lERP (Entreprise Resource Planning) est couramment utilis pour dsigner les progiciels de gestion intgrs. Le terme ERP n'est pas totalement adquat car il met seulement l'aspect planification en vidence. Toutefois la traduction franaise progiciel de gestion intgr n'intgre pas la dimension planification et son utilisation pose problme. Tel que dfini par Robert Reix (1999), un ERP est une application informatique qui intgre les caractristiques gnrales suivantes : - Un ERP est un progiciel : selon le CXP 4 , un progiciel est un ensemble cohrent et indpendant constitu de programmes de services, de supports, de manipulation ou d'informations et d'une documentation, conu pour raliser des traitements informatiques standards, dont la diffusion revt un caractre commercial et qu'un usager peut utiliser de faon autonome aprs une mise en place et une formation limite (Sourdeau, 1997, p20). - Un ERP est paramtrable : produit standardis, lERP est conu lorigine pour satisfaire les besoins dentreprises diverses. Il existe gnralement des versions diffrentes par secteur dactivit (automobile, banque, etc.) et par langue dutilisation. En outre, ladaptation du produit aux besoins dune entreprise donne se fait par paramtrage (choix de rgles de gestion, choix doptions de traitement, choix de format de donnes, etc.). Le paramtrage peut tre assorti dun recours des complments de programmes spcifiques articuls autour de programmes standards. - Un ERP est modulaire : ce nest pas une construction monolithique mais un ensemble de programmes ou modules sparables correspondant chacun un processus de gestion : leur installation et leur fonctionnement peuvent tre raliss de manire autonome. Le dcoupage en modules permet de composer une solution spcifique par assemblage et dtendre la mise en uvre diffrents domaines de gestion. - Un ERP est intgr : les divers modules ne sont pas conus de manire indpendante : ils peuvent changer des informations selon des schmas prvus. Le PGI garantit tout instant une intgrit et une cohrence parfaite des donnes pour tous les utilisateurs, ce qui permet de mettre fin aux problmes dinterfaage, de synchronisation et de doubles saisies. - Un ERP est une application de gestion : il permet de saisir les transactions de lentreprise (comptabilit, gestion des stocks, suivi des commandes et du programme de production) et
4 Cr en 1973, le CPX est un groupement associatif dont la vocation est d'apporter aux entreprises un service complet d'assistance l'valuation et la slection des progiciels. Il comprend aujourd'hui plus de 1300 socits adhrentes.
5 propage linformation recueillie vers les niveaux pertinents. Toutefois, il ne contient pas de programme doptimisation ou de dcision automatique. Il sagit donc dun systme dinformation form de modules fonctionnels standards, relis directement une base de donnes unique et couvrant lensemble des processus de lentreprise. Par ailleurs, un ERP constitue, le plus souvent, une solution de dimension internationale capable de grer des contextes multi-lgislations, multi-langues, multi-devises ; il permet ainsi la remonte des informations manant des filiales dun groupe dans diffrents pays. Ce qui constitue un avantage important dans un contexte de mondialisation puisque les environnements linguistique et lgal sont des leviers structurants pour les entreprises. Paralllement, d'autres logiciels ou progiciels sont dvelopps en complment des progiciels ERP pour amliorer certaines fonctions peu performantes ou pour en ajouter des nouvelles. La plupart de ces applications concerne l'aide la dcision : lensemble est alors appel Systme Organis autour d'un ERP (SO-ERP). 2.3 Le fonctionnement dun ERP Malgr la diversit des offres ERP sur le march, ces progiciels prsentent des architectures semblables et des fonctionnements similaires. Ils sont organises par modules ; chaque module couvre une grande fonction de lentreprise et intgre les traitements des informations pour les diffrents processus de gestion concerns 5 . Souvent, le module comptable ou financier constitue le noyau autour duquel sorganisent les autres modules. Un progiciel ERP fonctionne sur la base dentits comptables (mandats). Une entit comptable est une entit ou un groupe dentits conomiques qui ont en commun une grille danalyse des informations de gestion (la cl comptable), un calendrier comptable (dates darrt et de clture), une devise comptable de rfrence. Tous les modules rattachs une entit possdent les mmes rgles de fonctionnement. 3 LERP et la standardisation Les diffrentes caractristiques des progiciels intgrs, dcrites ci-dessous, ont permis de considrer les ERP comme des outils de normalisation, de standardisation des processus l'intrieur des entreprises et des groupes multinationaux. En effet, ces outils rpondent aux impratifs des rglementations locales (plan de comptes, tats lgaux) et la gestion du
5 Pour SAP R/3 (lERP le plus install au monde), un processus est un ensemble dactivits utilisant et produisant des donnes. 6 multilingue. Les ERP ont ainsi permis aux multinationales de jeter les bases d'un systme international et donc de les accompagner dans leur stratgie de globalisation. Dans le cadre de notre exploration des travaux de recherche portant sur les ERP et leur impact sur les organisations, nous avons constat que jusqualors aucune distinction nest faite entre normalisation et standardisation , deux termes pourtant de sens diffrents. 3.1 Distinguer la norme du standard Les terminologies sont souvent lorigine dincomprhension et sont toutes discutables. Nous avons alors choisi dadopter une classification distinguant la norme du standard (BILLOTTE, 1997). Le vocabulaire anglo-saxon dsigne le standard et la norme par le mme terme : standard . Pourtant, une norme (standard de jure) est un document tabli par consensus et approuv par un organisme de normalisation reconnu. Contrairement, un standard (standard de facto) ne fait pas l'objet d'une publication qui en dtaille le contenu, il est le plus souvent d'origine industrielle. Billotte diffrencie entre standardisation et normalisation en fonction de lobjet, de la nature juridique, de la nature conomique et de lintentionnalit stratgique et politique des acteurs qui les instituent. Il distingue notamment entre standard priv et standard collectif. Le standard priv existe sans autre formalit que celle dtre utilis, aux conditions dacceptation du ou des propritaires. Il existe, sans intervention daucun organisme officiel. Le standard priv est une technologie qui simpose sur le march, en gnral, avec ou contre ses concurrents. Le standard collectif, produit par un organisme collectif, correspond une stratgie dun groupe dacteurs qui souhaite simposer un autre groupe dacteurs. Il peut devenir ou servir de base une normalisation. Au vue de cette distinction, il nous est clair que lutilisation du terme normalisation pour parler de leffet des ERP sur les processus de gestion dans les organisations est inappropri. De ce fait, lintroduction des ERP dans les organisations induit une standardisation de type priv sur les processus de gestion. Dans ce qui suit nous retiendrons, alors, le terme standardisation. 3.2 Lvolution de la standardisation des organisations Lobjectif basique de la standardisation est davoir lutilisation la plus efficiente des ressources. La ressource la plus importante tant lHomme, lart de la standardisation a toujours focalis sur lutilisation de la ressource humaine de la meilleure manire. Adam 7 Smith voque la standardisation du travail dans son livre Aguide to the welth of nations , la grande tape suivante a t avance dans les tudes de F.W. Taylor, o il parle de standardisation des activits dans chaque travail. Eventuellement, comme les activits sont de plus en plus compliques, des personnes ont t forms pour excuter des tches spcifiques. On commence alors une poque de professionnalisme : il sagit alors dune standardisation des personnes. Aujourdhui, avec le dveloppement de la vie conomique, le surcrot des entreprises, la modernisation des mthodes de gestion, on assiste une standardisation des organisations. Jusque l, la technologie de linformation ne jouait pas un rle signifiant dans la standardisation. En mme temps que lorganisation se dveloppe et la comptition saccrot, les socits ont t amenes amliorer leurs performances. Comme le travail devient de plus en plus machinal, les 3 dpartements Inventaire et production, Finance et Ressources Humaines ont t les premiers sur la liste de linformatisation. MRP II, Financial accounting Software (FAS), le package Payroll ont eu un impact important sur ces trois dpartements. Ceci a t le premier grand pas dune entre organise de la technologie de linformation dans les socits. Il sagit dune standardisation des dpartements dans les organisations. Le pas logique suivant pour nimporte quelle socit a t dtendre le concept de la standardisation tous les dpartements au sein de lorganisation. Puisque chaque dpartement est forcment rattach un autre, une suite complte appele Entreprise Resource Planning (ERP) a men la standardisation des pratiques du travail. 3.3 La standardisation des processus de gestion Au del du seul aspect outil, lERP est surtout un concept dorganisation et de management de lentreprise. Sa mise en place a des externalits dans lensemble du fonctionnement de lentreprise. Il affecte deux lments majeurs : le systme dinformation et les processus organisationnels. En effet, les systmes organiss autour dun ERP sont prsents comme une solution aux problmes de dispersion et de fragmentation de linformation dans les entreprises. Ils utilisent une technologie client-serveur intgre et mettent en place de grandes bases de donnes qui modifient considrablement la mise disposition et la circulation de linformation dans lorganisation : toutes les informations sont saisies une seule fois, elles sont accessibles tous les niveaux de lorganisation et sont disponibles en temps rel. La mise en place dERP saccompagne alors dune standardisation des processus, pouvant sappuyer sur le benchmarking propos par le logiciel choisi. Ainsi, la mise en place dun progiciel de 8 gestion intgr induit deux sortes de standardisation des processus de gestion : une interne lorganisation et lautre externe. 3.3.1 Standardisation interne lorganisation Un ERP sappuie sur un rfrentiel unique : toutes les donnes ou les objets utiliss par les diffrents modules sont dfinis dune manire standardise unique (format identique) et grs par un seul type de logiciels (trs souvent, un systme de gestion de bases de donnes relationnelles). De la mme manire, les interfaces homme-machine (communication des commandes par souris, cran, langage de commande, etc.) sont dfinies de faon identique quels que soient les modules. Ainsi, les crans de saisie, les tats de synthse peuvent apparatre sous la mme forme peu importe la langue de lutilisateur. Les ERP proposent des volutions technologiques correspondant lintroduction des architectures de type Intranet transactionnel et des technologies lies Internet. Grce son protocole de communication standardis (TCP/IP), l'Internet permet d'amliorer le systme d'change de donnes informatiques. Les changes de donnes sont plus faciles et laccs aux applications stend un plus grand nombre dutilisateurs : il sagit dune standardisation de la communication au sein de lorganisation induite par lERP. En outre, cette expansion des technologies de partage de donnes a conduit vers un partage du travail sans contrainte gographique. Cette volution est tendue aujourdhui un nouveau concept de management des connaissances , ce qui implique une standardisation des connaissances travers lorganisation. 3.3.2 Standardisation externe lorganisation A leur apparition, les ERP taient sous des formes personnalises chaque entreprise. Mais, trs rapidement, les nouveaux ERP font surface et ils prsentent un avantage majeur savoir que non seulement, ils sont meilleurs que leurs prdcesseurs mais aussi ils visent optimiser les processus de gestion. Cest ainsi que le concepteur du PGI sappuie sur des modles de processus issus des meilleures pratiques du secteur (on capitalise ainsi le savoir-faire des meilleures entreprises dun domaine dactivit donn). Lee et Lee (2000) dcrivent les ERP comme une base pour les meilleures pratiques ou meilleures processus de gestion proposant des mthodes reconnues comme les plus avances dans le monde du business ou dans une industrie spcifique. De lanalyse des meilleures pratiques, lditeur de progiciels obtient un ensemble de rgles de gestion qui constituent un standard de fait pour un secteur dtermin. Ceci induit alors une standardisation des processus de gestion, non plus lchelle de lorganisation mais plutt lchelle de lindustrie. Nous pensons mme quavec le 9 dveloppement continue de lindustrie des nouvelles technologies de linformation et de la communication, ltape suivante nous conduira vers une standardisation de lconomie. 4 ERP : effets de la standardisation et changement organisationnel La standardisation des procdures de gestion induite par les progiciels ERP peut avoir des effets trs varis sur lorganisation. Pour les tudier, il nous a paru indispensable de se positionner par rapport aux diffrentes problmatiques thoriques du rapport TIC 6 /changement organisationnel. Dans la littrature, trois approches sont gnralement mises en concurrence pour qualifier ce rapport : lapproche contingente du dterminisme technologique, lapproche de lintentionnalit, et lapproche mergente. 4.1 Les effets de la standardisation selon une hypothse dterministe 4.1.1 Lapproche contingente du dterminisme technologique Selon cette hypothse, les TIC, d'origine exogne, dterminent ou contraignent fortement la structure et les pratiques de management des Organisations. L'usage d'une mme technologie entrane automatiquement ou presque les mmes effets dans toutes les Organisations. H.J. Leavitt et T.L. Whisler (1958) ainsi que H.A. Simon (1977) 7 estiment que les TIC peuvent modifier profondment les organisations et la nature du travail des managers. Les premiers voient que le progrs des TIC engendrait une centralisation et une diminution du nombre de niveaux hirarchiques. Le second, quant lui, affirme que les middle-managers demeureraient et que les structures se complexifieraient avec le dveloppement de liens transversaux. La vision de Leavitt et Whisler s'inscrit tout fait dans le champ de la thorie de la contingence, qui se dveloppera par la suite et qui considre la technologie comme un des principaux dterminants de la structure des organisations. En 1977, A. Chandler, historien d'entreprise, affirme : la main invisible des managers a remplac la main invisible du march o et quand les techniques nouvelles et l'expansion des marchs ont permis un volume sans prcdent de produits de passer une cadence galement sans prcdent travers les diffrents stades de la production et de la distribution. (p13). Il dveloppe le cas des grandes compagnies ferroviaires qui n'auraient pu se dvelopper
6 Technologie de lInformation et de la Communication 7 in Markus ET Robey,1988 10 sans le tlgraphe, qui a permis des gens disperss gographiquement de communiquer. Les technologies et particulirement les TIC seraient donc dterminantes pour expliquer le dveloppement des grandes entreprises et leurs structures. Selon M. Berry (1983), les instruments de gestion (ratios simples, nomenclatures, matrices, systmes de gestion informatiss,) dterminent les comportements et agissent donc comme une technologie invisible. Selon lui, ces instruments (conceptuels ou matriels) simplifient le rel, structurent le comportement des agents, engendrent des logiques locales souvent rebelles aux efforts de rformes, rgulent les rapports de force, conditionnent la cohrence d'une organisation. (p61). F. Rowe (1999) explique le dveloppement considrable du march des ERP ces dernires annes (bien que ces progiciels cotent trs chers aux entreprises) par le fait que le marketing des PGI se base sur une explication dterministe fonde sur la standardisation et argumente par la transfrabilit certaine des connaissances lies lexprience. 4.1.2 Une optimisation des processus de gestion La standardisation forte des donnes et des langages simplifie la communication et rduit les difficults dapprentissage des utilisateurs. Elle oblige toutes les entits dune mme socit uvrer de la mme faon, ce qui facilite les comparaisons entre diverses units, la consolidation des donnes et lchange dinformations. LERP ralise un rve duniversalit : que chacun travaille dans sa langue et que tous se comprennent (Mourlon et Neyer, 2002). La standardisation induite par lERP a ainsi permis aux multinationales de jeter les bases d'un systme international et donc de les accompagner dans leur stratgie de globalisation. Par ailleurs, lorsquon met en place un ERP, les processus oprationnels comme le suivi des commandes, la gestion de la fabrication, la comptabilit sont tudis, modliss, optimiss puisque lERP est conu autour de best practices (les meilleures pratiques organisationnelles observes dans les entreprises). Lentreprise cliente bnficie, donc, de ces meilleures pratiques lorsquelle harmonise son organisation autour de son systme informatique. Les groupes issus de multiples fusions ou les socits dsorganises par une croissance rapide trouvent ainsi un canevas rationnel sur lequel se structurer. Bancroft et al. (1998), Davenport (1998) ; Bingi et al. (1999) ; Adam et ODoherty (2000) ; Parr et Shanks (2000) ; Summer (2000) prcisent que lERP est associ avec un ensemble de processus de gestion bass sur les meilleures pratiques et constitus de connaissances qui, idalement, devraient tre transfres aux organisations. Ces connaissances sont produites 11 lextrieur de lorganisation, par un groupe dexperts et sont introduites dans lorganisation en plus des connaissances organisationnelles dj en place. Implicitement ou explicitement, ceci suppose un transfert de connaissance entre deux entits spares : lexpert qui dveloppe le systme dinformation et lorganisation. Ce transfert permet dune part un meilleur fonctionnement de lentreprise et dautre part un benchmarking des procdures, mthodes et rgles de travail. 4.2 Les effets de la standardisation selon une hypothse intentionnaliste 4.2.1 Lapproche de lintentionnalit Selon cette approche, la structure d'une organisation est le rsultat d'une stratgie voulue et librement dcide par les managers. La perception et la volont managriales sont les principaux lments explicatifs de la conception des organisations. Dans cette perspective, les TIC sont de simples outils que les managers adoptent et utilisent en fonction de leurs besoins. Ds 1977, J. Galbraith prsentent les diffrentes alternatives dont disposent les managers pour s'adapter l'incertitude de l'environnement. Ils peuvent soit rduire l'incertitude (par exemple en modifiant l'environnement), soit augmenter la capacit de traitement de l'information de l'organisation (en dveloppant des liens transversaux ou en construisant des systmes d'information plus performants). A l'instar de Galbraith, M.L. Tushman et D.A Nadler (1978) estiment que pour rpondre aux besoins dinformations, les managers ne sont pas contraints dvelopper leur systme dinformation ; ils peuvent adapter la structure de leurs entreprises ou choisir parmi dautres solutions optimales en fonction du contexte. Pour R.L. Daft et R.H. Lengel (1986), les entreprises ont besoin de systmes d'information non seulement pour traiter l'incertitude mais aussi pour faire face l'ambigut de toute situation. Plus un systme est riche en quantit d'informations, plus il permet de traiter l'incertitude mais plus il gnre de l'ambigut. Les managers doivent chercher dterminer le systme d'information adapt leurs besoins. Ces diffrents travaux s'inscrivent dans une approche normative et contingente de la conception des organisations : il existe plusieurs solutions optimales en fonction du contexte. Le manager se doit de les chercher, les TIC sont des moyens la disposition des managers quil faut adapter la stratgie de l'organisation. Ainsi, afin dviter les effets imprvus dune standardisation forte des processus de gestion, induite par lutilisation de lERP, les organisations ont adopt des solutions alternatives : 12 4.2.2 Personnaliser lERP pour ladapter lorganisation Les ERP sont conus avec une base standard et une partie personnalisable travers un paramtrage. Tout dabord, ils sont modulables. De plus, chaque module peut offrir une possibilit dindividualisation du processus. Ces progiciels proposent un certain nombre doptions : les tables de configuration. Les entreprises peuvent, ainsi, opter pour une personnalisation plus importante, en reconfigurant un module. Cependant, le paramtrage nautorise pas toutes les fantaisies souhaites. Cest, souvent lentreprise dadapter ses procdures celle de loutil. Le mode de fonctionnement dun ERP est invariable dune entreprise une autre. Le paramtrage nagit qu la marge, par le choix des champs disponibles sur un cran ou un document, par exemple. (COAT et FAVIER, 1999). Le systme final va alors dpendre, dune part, des possibilits limites et des cots supplmentaires importants dadaptation de lERP et dautre part, des besoins, souvent divergents, des diffrents utilisateurs. 4.2.3 Limiter lutilisation de lERP au systme dinformation interne Si lun des facteurs cls de succs de lentreprise tient sa capacit de diffrenciation des units et de personnalisation des processus, le systme peut fragiliser des sources essentielles davantages concurrentiels. En effet, pour certains domaines dactivit (principalement les banques et les assurances), llment essentiel de comptitivit est le systme dinformation. Ces entreprises consacrent des investissements colossaux, techniques et humains pour matriser les systmes dinformation quils ont dvelopps, mis en place et exploiter. Pour ces entreprises, passer sous ERP serait une rgression inacceptable . En fait, la mutualisation du progiciel entre les entreprises utilisatrices et le recours aux best practices , prvues en standards dans lERP, constitue le principal danger quand il sagit du cur de mtier. Cet outil rvolutionnaire, qui devrait lui apporter un avantage concurrentiel dterminant, serait immdiatement disponible la concurrence. Les banques sont unanimes : un ERP pour le back office (la comptabilit, les ressources humaines), peut-tre, mais un ERP pour le front office (la gestion des comptes, le service clientle) srement pas ! Dans dautres domaines, comme par exemple les tlcommunications, les oprateurs tlphoniques ont suivi une dmarche peu prs similaire. En effet, ils utilisent des ERP pour le back office, mais gardent sur des logiciels maison pour tout ce qui concerne la tarification et les relations clients, en loccurrence leur cur de mtier . 13 4.3 Les effets de la standardisation selon une approche mergente 4.3.1 Lapproche mergente L'hypothse mergente cherche faire la synthse dialectique des deux courants antagonistes que nous venons de prsenter. Selon cette approche, l'utilisation et les consquences des NTIC 8 mergent de manire imprvisible des interactions sociales. Les managers choisissent une NTIC et annoncent des objectifs lors de son adoption, mais la mise en place de celle-ci s'effectue dans une organisation dj constitue et son utilisation n'est donc pas totalement prdtermin. Les NTIC ont uniquement des effets potentiels sur l'organisation. Selon A. David (1998), lors de l'introduction d'un outil de gestion au sein d'une organisation, ses membres adaptent l'outil leurs besoins mais dans le mme temps, l'outil a une influence sur le comportement des acteurs. En effet, l'apport de connaissances, que l'outil engendre, modifie la fois les schmes cognitifs de chacun des membres de l'organisation et les relations sociales. R. Reix (1999), R. Marciniak et F. Rowe (1997) et Y. de Ronge (1998) estiment que lhypothse mergente est la plus raliste, mais quelle doit encore tre confirme empiriquement. En dfinitive, les effets dune standardisation induite par lintroduction dun PGI sur le fonctionnement de lorganisation sont peu prvisibles ; comme le dit P. BESSON (1999) : un projet ERP peut tre assimil un laboratoire o se reconstruit de la cohrence organisationnelle . R. Reix (1999) ajoute en parlant des ERP que les rsultats de cette reconstruction sont incertains : il sagit dun processus mergent et non dune action rigoureusement planifiable. 4.3.2 Des effets modrs par le contexte organisationnel L'homme possde la capacit d'examiner et de rviser constamment ses pratiques en fonction des informations nouvelles qu'il reoit ("rflexivit", A. Giddens,1991). Les dirigeants sont aujourd'hui conscients des effets de standardisation des ERP. Ils peuvent mme choisir celles- ci justement pour modifier le structurel et les comportements des autres membres de l'organisation. L'hypothse de l'intentionnalit semble alors pleinement justifie. Mais si on poursuit ce raisonnement, tout se complique. Les autres membres sont aussi conscients de la "manuvre" des dcideurs,... Au final, la rflexivit de l'homme rend imprvisible les consquences de cette standardisation des procdures de gestion et vient donc bien conforter
8 Nouvelles Technologies de lInformation et de la Communication 14 l'hypothse mergente. Le PGI, quelque soit son niveau de standardisation, sera influence par le contexte organisationnel dans lequel il est implment. LERP est confront lorganisation, caractrise par certaines relations entre les individus qui la composent, par des valeurs et rgles qui ne sont pas ncessairement cohrente avec les rgles imposes par le systme. Ainsi, la relation tablie entre lERP et lorganisation est caractrise par une circularit et une complexit. Ce que peut induire une standardisation par lERP des processus de gestion dans une organisation particulire est une question sans rponse prliminaire (Sauf dans une perspective dterministe). 4.3.3 Le revers de la mdaille Comme l'a mis en vidence R.K. Merton (1940), toute action entreprise pour produire de l'efficacit engendre aussi une certaine dose d'inefficacit. Ainsi l'adoption d'une NTIC engendre de l'efficacit mais aussi des dysfonctionnements, c'est--dire des consquences imprvues. Cest de la sorte que la standardisation provoque par lERP favorise dans un premier temps la cohrence dans lorganisation mais peut, dans un second temps, rduire la capacit dinnovation de lorganisation en limitant la varit. Elle peut amliorer lefficience court terme mais aussi limiter, voire interdire les exprimentations locales favorables lapprentissage. En outre, cette standardisation limite lamplitude de choix et les possibilits de coller aux subtilits des entreprises de diffrents secteurs dactivits, et daccompagner leur ractivit. Il est plus simple et rapide de revoir les processus et de trouver les bons paramtres lorsquil y a un seul pays ou une seule socit en cause. Il devient trs complexe de mettre en uvre un ERP, avec consolidation des rgles de gestion et de donnes travers plusieurs socits ou pays : cela peut devenir une gageure utopique. Dun autre ct, lintervention dun intgrateur externe pour la mise en place dERP se base sur une mthodologie dimplantation qui repose sur lutilisation de processus standardiss, issus des meilleures pratiques dentreprises. Ce type de pratique constitue un changement majeur dans lapproche des entreprises. Davenport (1998, p122) souligne les dangers dune telle pratique. un systme ERP, de part sa nature intrinsque, impose sa propre logique la stratgie, lorganisation et la culture de lentreprise. Les intgrateurs et les entreprises vendeuses dERP structurent les processus de manire ce quils refltent les meilleures pratiques, mais cela correspond leur vision dune bonne pratique, qui nest pas ncessairement celle du client. Dans certains cas, le systme permettra un meilleur fonctionnement de lentreprise. Dans certains cas nanmoins, les partis-pris du systme iront lencontre des intrts de lentreprise. (Davenport 1998, p125) 15 En effet, auparavant, les entreprises choisissaient des systmes qui sadaptaient leurs propres processus, ncessitant parfois une rcriture des lignes informatiques du logiciel retenu pour quil respecte au mieux les conditions de lorganisation. Avec les ERP, lapproche est gnralement inverse ; cest lentreprise qui, souvent, choisit dadapter ses processus, ce qui dclenche souvent un bouleversement de la culture interne jusqu entraner des risques pour toute lorganisation. 6 Conclusion Les diffrentes approches thoriques du rapport Technologies de linformation et de la communication / Changement organisationnel peuvent nous renseigner sur les effets probables dune standardisation des processus de gestion suite lintroduction dun Progiciel de gestion intgr dans une organisation. Dans une approche dterministe, la standardisation entrane une optimisation des processus de gestion et accompagne les entreprises dans leur stratgie de globalisation. Selon une approche intentionnaliste, les managers doivent chercher trouver un quilibre subtil entre une adaptation trop coteuse du progiciel aux caractristiques de lorganisation (qui rduit les avantages de la standardisation) et le changement trop brutal impos lorganisation (qui peut entraner des effets non souhaits). Enfin, lapproche mergente met en vidence une grande incertitude des effets attendus de la standardisation qui peut engendrer de linefficacit et constituer subsquemment un risque non ngligeable pour toute lorganisation. A notre avis, il est trs important dapprofondir cette question par des recherches de terrain afin dobserver les effets rels de luniformisation des sous cultures organisationnelles engendre par les PGI. Les rsultats de ce travail peuvent constituer, notre sens, des hypothses pour un travail empirique ultrieur. 7 Bibliographie Adam F. ODoherty P. 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