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Sommaire
Introduction..................................................................
Premire partie
Les nouvelles organisations
et transformations du travail.................................... 19
Quand on parle TIC, on parle dorganisation .............. 21
Limpact des TIC
sur les mtiers et les comptences ............................ 45
Deuxime partie
Les risques dexclusion............................................ 71
Des ingalits dans lutilisation des TIC .................... 75
Les processus menant lexclusion .......................... 85
La matrise des TIC :
lments de lefficacit ................................................ 93
Contenir les risques dexclusion.................................. 101
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Troisime partie
Recomposition des mtiers .................................... 109
Les nouveaux mtiers ................................................ 111
volution et reconnaissance des comptences .......... 133
Conclusion .................................................................. 153
Liste des membres de latelier .................................... 165
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QUALIFICATIONS
&
PROSPECTIVE
Les mtiers
face aux technologies
de linformation
Avril 2003
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QUALIFICATIONS
&
PROSPECTIVE
Prsident de latelier
Michel Gollac
Centre dtudes de lemploi
Rapporteurs
Christine Afriat
Commissariat gnral du Plan
Jean-Franois Lou
Ministre dlgu lIndustrie
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Introduction
Bien que les technologies de linformation et de la communication
(TIC) daujourdhui se situent dans la continuit de gnrations technologiques antrieures, lvolution de leurs performances facilite des
transformations qui dpassent largement le cadre sectoriel des industries de linformation et de la communication et affectent lensemble de
lconomie. Lies lintroduction et la diffusion des TIC, ces transformations modifient de faon si profonde le fonctionnement de lconomie que certains y voient la naissance dun nouveau paradigme
conomique que lon appelle, tout comme le secteur qui le porte, nouvelle conomie. Peut-tre y a-t-il l quelque exagration, mais les
transformations en cours seront durables et amneront la plupart des
professions voluer.
Dans ce contexte le rapport analyse les effets de cet avnement de la
socit de linformation sur lemploi, lvolution du travail, la formation et les
qualifications, en se plaant dans une perspective de moyen et long terme.
Comment ces nouvelles technologies se diffusent-elles ? Comment
sarticulent-elles avec lorganisation des entreprises et quelles sont les
consquences pour les salaris ? Comment les individus sapproprient-ils les TIC ? Les TIC produisent-elles, directement ou indirectement, de nouvelles ingalits et des risques dexclusion ? Quelles sont
les consquences de ces volutions sur les mtiers, la nature des
emplois et des qualifications, la valeur des comptences et la manire de les reconnatre ? Cet ouvrage tente de rpondre ces questions.
Mais, pour comprendre le nouveau modle conomique, il faut au
pralable apprhender les liens quentretiennent les TIC, la croissance, lemploi et lvolution vers lconomie de la connaissance.
Que sont les TIC ?
Les TIC sont nes au cours des vingt-cinq dernires annes de la
fusion des tlcommunications, de llectronique, de linformatique et
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- Introduction rgulation car les rendements tant croissants, les prix obtenus spontanment dans le cadre dun quilibre concurrentiel ne permettent pas
de financer les cots fixes.
Les gains de productivit obtenus par lusage des TIC se transmettent
des secteurs producteurs de TIC aux secteurs utilisateurs des TIC par
lincorporation deffets qualit aux produits. Ceci a deux consquences : pour un pays, il nest pas ncessaire dtre producteur de
TIC pour bnficier deffets favorables ; mais rester uniquement utilisateur conduit une relation de dpendance vis--vis des producteurs
qui peuvent plus aisment imposer leurs marges.
Les TIC sont le principal instrument des marchs financiers dont elles
stimulent le fonctionnement : la transmission des ordres, les cotations
et les transmissions des cours y font largement appel. Par ailleurs,
elles permettent de rendre les informations disponibles en temps rel
dun bout lautre de la plante. Lutilisateur final peut ainsi se tenir
inform chaque instant de lvolution de lenvironnement conomique, trouver rapidement les informations quil juge pertinentes.
Mieux inform, il est aussi plus incit agir, dautant que les TIC ont
permis de rduire les cots de transaction. Par ce biais, les TIC facilitent grandement les mouvements de capitaux lchelle mondiale, ce
qui tend amplifier les flux (et reflux) dinvestissements. Comme on le
verra dans la partie Les nouvelles organisations du travail, elles facilitent aussi la mondialisation de faon plus directe parce quelles permettent aux entreprises, parmi dautres choix possibles, de se placer
sur un march mondial ou dorganiser leur production sur une base
mondiale (dlocalisations).
TIC et croissance : dpasser le paradoxe de productivit
La diffusion des TIC permettra-t-elle daccrotre durablement le taux de
croissance de lconomie ? Influence-t-elle la substitution entre capital
et travail ? quel rythme crotra lavenir lefficacit des facteurs de
production ?
Pendant de nombreuses annes, les tudes sur donnes macro-conomiques nont pu que confirmer le constat fait par Robert Solow en
1987 : On peut voir lavnement de lordinateur partout, de nos jours,
sauf dans les statistiques sur la productivit. Lanalyse par secteur ne
semblait gure plus concluante. Seules des tudes sur donnes
micro-conomiques, comme celle de Nathalie Greenan et Jacques
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(8) Greenan (N.) et Mairesse (J.), Computers and Productivity in France : some
evidence, NBER, Working Paper, n 5836, 1996.
(9) Rflexions prliminaires sur la nouvelle conomie, note de Christine Afriat,
sance du 12 octobre 2000.
(10) Cette valuation se fait l'aide de modles conomtriques qui font dpendre
le prix du produit de ses qualits intrinsques.
(11) Artus (P.), La nouvelle conomie, Collection Repres, La Dcouverte, 2001.
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(12) En contrepoint aux positions dfendues par l'OCDE, on trouvera une analyse
plutt sceptique dans Gordon (R.), Does the New Economy Measure up to the
Great Inventions of the Past, NBER, document de travail, n 7833, aot 2000.
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(13) tude du BIPE, op. cit. Pour une synthse des rsultats voir Gille (L,), Marti
(R.) et Zmiro (D.), Les technologies de l'information et de la communication : des
effets favorables sur l'emploi", le 4 Pages, du SESSI, n 133, juillet, 2000. Ces
travaux ont t prsents par Laurent Gille lors de la sance du 9 novembre 2000
de l'Atelier.
(14) Un supplment d'emploi provoque sur le march du travail des tensions qui
conduisent une hausse continue des salaires. Il ne pourra tre maintenu sans
inflation supplmentaire que si la productivit globale des facteurs permet de
financer la hausse des salaires.
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- Introduction dhui de peu darguments pour dfendre que cela sera le cas. En
revanche la dernire partie de ce rapport montre que la diffusion des
TIC dplace des emplois et les transforme grande chelle.
Gestion de la connaissance et transformation des organisations
De laprs-guerre la fin de la guerre froide, dans un contexte de
reconstruction et de rattrapage conomique, le progrs technique a pu
tre considr comme gratuit en France, compte tenu dune recherche
publique importante et dun fort soutien des pouvoirs publics linnovation 15. cette poque, on pouvait assurer un accroissement important de la productivit en remplaant des technologies anciennes par
des technologies rcentes mais connues. Avec la fin du rattrapage
conomique et technologique des tats-Unis, les sources de progrs
sont devenues moins videntes, dautant quen France, la recherche
publique a diminu. Le progrs lui-mme a chang de nature (hybridation des technologies). Dans ce contexte, les TIC amliorent la
capacit mettre en forme des connaissances et les transmettre sur
un march des connaissances devenu mondial. Comme lexplique
Dominique Foray, cela conduit une diffusion plus large des connaissances mais il devient plus difficile pour les producteurs de connaissances nouvelles de sen approprier les bnfices, car ces connaissances perdent plus rapidement leur valeur de march 16. Compte tenu
du dveloppement des cots de recherche et de conception, le capital
immatriel est de plus en plus coteux et doit tre amorti de plus en
plus vite.
Les entreprises, qui doivent inventer des biens nouveaux en comptant
sur leurs propres forces, adoptent une nouvelle approche de linnovation : elles rationalisent leur production de connaissances et dveloppent des actions de R & D en sappuyant sur leur march.
Le souci de grer plus efficacement les connaissances conduit transformer lorganisation de lentreprise. Celle-ci doit devenir plus interactive : Il sagit de construire des organisations qui apprennent en permanence, qui soient des lieux vivants de production et dchange
mlant ce qui est codifiable et ce qui ne lest pas explique Jean-Michel
(15) On dveloppe ici les arguments exposs par Nathalie Greenan lors de la
sance du 10 mai 2001.
(16) Foray (D.), L'conomie de la connaissance, Collection Reores, La
Dcouverte, 2000.
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- Introduction Saussois, Ceci passe par des retours dexprience, des rcits, des
forums, des discussions. Dautre part, on renforce et on systmatise
la codification des connaissances et de la dimension collective de la
production de savoir. Lentreprise doit tre un collectif o lon est tenu
dapprendre en continu, dtre constamment permable aux ides
nouvelles pour les intgrer 17.
Les TIC sont trs sollicites dans les processus de gestion organise
des connaissances. Elles permettent daugmenter linteractivit entre
les personnes ventuellement distantes (courrier lectronique,
forums). Elles sont utilises grande chelle pour codifier, stocker,
tout ce qui est codifiable, puis construire, en traitant ces informations,
des outils daide la dcision (modles) et des rgles daction lusage des oprateurs (PGI) qui seront eux-mmes sollicits pour renouveler linformation de base 18.
Par ailleurs, la gestion des connaissances conduit un changement
des politiques de gestion des ressources humaines 19. Jean-Michel
Saussois insiste pour sa part sur limportance de la mobilit des plus
qualifis dans la diffusion des connaissances.
Bien que lon ne sache pas prcisment valuer limpact des TIC sur
la croissance de la productivit globale des facteurs, lide selon
laquelle une intgration russie des TIC en constitue aujourdhui un
lment essentiel rassemble un large consensus. Il est donc important
que notre pays ne prenne pas de retard dans leur diffusion et les utilise au mieux. Cette position a constitu le postulat de dpart de la
rflexion de cet ouvrage. Il sagit de reconnatre les difficults dadap(17) Sur ce sujet, voir par exemple Saussois (J.-M.), Organiser le partage du
savoir", in La socit du savoir", Sciences humaines, hors srie, mars, avril, mai
2001. Voir galement le sminaire sur l'conomie de la connaissance du
Commissariat gnral du Plan, janvier-avril 2001 :
http://www.plan.gouv.fr/organisation/sdti/sdtietudes.html#documents
Le rapport La France dans l'conomie du savoir : pour une dynamique collective"
a t dit en novembre 2002 La Documentation franaise.
(18) Pour quelques exemples de processus voir Hermine (J.-L.), Les processus de
gestion des connaissances, Extraction des connaissances et apprentissage, n 12, Herns, 2001.
(19) Expos de Michle Debonneuil, op. cit.
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- Introduction tation de notre socit la diffusion des TIC. Leur traitement suppose
une adaptation rciproque.
Cet ouvrage expose les difficults dajustement entre la socit
franaise et les TIC dans le monde du travail, en dmonte les mcanismes, montre les problmes le plus souvent rencontrs, et propose
quelques pistes daction pour les rsoudre. La premire partie traite
des liens entre TIC et organisation, car tirer le meilleur parti des TIC,
cest pour les entreprises se rorganiser. Elle montre galement comment la diffusion des TIC et les rorganisations lies cette diffusion
transforment le travail en profondeur dans de trs nombreuses professions. Mais ces diffrentes transformations exposent les personnes
et crent des risques dexclusion quil convient de combattre : ceci fait
lobjet de la seconde partie. Quelques nouveaux mtiers apparaissent,
dautres disparaissent, beaucoup se transforment ou se recomposent ;
en particulier les mtiers des TIC se recomposent en permanence,
comme cela est expos dans la troisime partie. Toutes ces transformations appellent une volution des comptences et de la reconnaissance de celles-ci. Cette dernire fait donc le point sur ladaptation des
formations et sur les diffrents modes de certification des comptences - celles des informaticiens et celles lis lutilisation des TIC et appelle une relance du dialogue social.
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Premire partie
Nouvelles organisations
et transformations
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation biens et des services. Elle permet de concilier les avantages de la production de masse et ceux dune consommation sur mesure en multipliant les possibilits de recombinaison de composants standardiss.
La dcentralisation de lindustrie, quant elle, constitue une seconde
rponse aux besoins dadaptation des biens et des services, la diversit des clientles dans une conomie globalise. ct de quelques
grandes firmes, un grand nombre dassembleurs de taille plus modeste se dveloppent sur des crneaux particuliers. Enfin, linnovation et
surtout la capacit dinnover en permanence devient centrale dans le
jeu concurrentiel. Ces nouvelles formes dorganisation contribuent ce
que les frontires de lentreprise et de lindustrie sestompent ; les nouvelles formes dorganisation y contribuent largement. Cela est vrai
dans lindustrie comme dans les services, et, naturellement, cela est
vrai de la frontire entre industrie et services, puisque lon cre des
biens qui combinent des produits et des services. premire vue, tout
ce qui permet de segmenter un march plus finement et concentrer la
demande correspondant des segments fins contribue, comme les
font les TIC, accrotre la varit de loffre, et redcouper les structures productives.
Les stratgies des entreprises se caractrisent par une grande diversit : de lintgration la diffrentiation, de la mise en rseau la
dcentralisation.
Les TIC participent aux stratgies de localisation
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation Dans le cas de lindustrie de lhabillement, les TIC contribuent deux
mouvements simultans. Elles facilitent dune part les mouvements de
dlocalisation en permettant des changes complexes et rapides avec
des sous-traitants distants, elles en affaiblissent dautre part limportance et lintrt en renforant lefficacit, la ractivit et la capacit
des entreprises locales de mobiliser des comptences clates. Les
TIC permettent de mettre distance certaines fonctions de lentreprise (coupe, production) ou certains nuds de dcision (rassort). Mais,
du fait de la matrialit des biens, elles ne peuvent pas modifier des
circuits logistiques de transport qui restent inchangs. Pour raccourcir
le circuit physique des matires et des produits, il faut le concentrer
gographiquement. Aux tats-Unis, les entreprises du secteur textilehabillement ont adopt des modes dorganisation centrs sur le rapprovisionnement en continu partir de sites de production faiblement
distants, plutt que de poursuivre des dlocalisations dans des pays
lointains faible cot de main-duvre, qui contribuaient rduire les
cots de production mais affaiblissaient la ractivit des entreprises
dans un secteur fortement marqu par les phnomnes de mode et de
fluctuation de la demande.
Au contraire dans le secteur de la presse, la recherche de la qualit de
service et de proximit du client entrane dcentralisation et autonomie. Ce dveloppement de lautonomie des centres locaux de production permet une meilleure adaptabilit locale au dtriment de la flexibilit et de la souplesse globales.
Ces exemples montrent que les entreprises utilisent les TIC et la flexibilit quelles offrent pour appuyer des stratgies trs diverses, en
fonction de leurs activits et de leurs moyens. Ces stratgies peuvent
tre, selon les cas :
des stratgies dclatement : spcialisation des sites et utilisation
des TIC pour permettre chaque unit de mobiliser facilement les ressources des autres, mise distance des centres dexpertises, rpartition des tches et localisation des partenaires ;
des stratgies dintgration des diffrentes tapes de la constitution
de la valeur ajoute : dveloppement de la polyvalence, dveloppement de business units 21 qui sont des centres de gestion autonomes
(21) Les business unit, de taille souvent rduite, sont soit tourns vers le march
et agissent en centres de profit autonomes, soit ils servent de support technique ou
administratif ces derniers, le tout tant supervis par un centre stratgique.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation du fait de la dconcentration de certains services centraux et de
regroupement dentreprises.
Pour produire et commercialiser un bien a priori identique, des entreprises peuvent utiliser les TIC pour se diffrencier en choisissant entre
deux approches de la localisation.
La premire rpond une stratgie de dveloppement dun march
sur une base tendue, nationale et internationale. Cette globalisation
favorise lagrgation des marchs, la standardisation des produits
ainsi que la concentration des informations. Elle renforce galement
les fonctions dintgration (technique, informationnelle, financire ou
commerciale). Enfin, elle valorise les conomies dchelle.
La seconde se fonde sur lmergence de rseaux locaux, dordre
industriel, technique ou commercial, qui forment les composants de
structures fdratives de communication et de connaissance partir
desquels sorganisent des structures ou des communauts intgres.
Ce qui est recherch, cest la mise en commun de moyens spcialiss,
dans le cadre dune structure disperse.
Les stratgies de dveloppement dAmazon et de Barnes & Nobles
dans lindustrie du livre illustrent cette diversit dapproches. la standardisation de loffre propose par Amazon, Barnes & Nobles rpond
en sappuyant sur un rseau de points de vente interconnects. Dans
le premier cas, les TIC confortent le modle traditionnel de la distribution physique, qui repose sur la gestion dachat et de stocks en
grosses quantits, et le stockage de produits par le distributeur. Cette
gestion base de stocks est coteuse en immobilisations mais donne
sa force la distribution. Elle assure en effet des marges importantes
grce aux possibilits de ngociation sur des grosses quantits ainsi
que sur les conomies dchelle lapprovisionnement. Dans le
second cas, les distributeurs, de taille plus petite, sappuient davantage sur leur rseau de fournisseurs, prfrant se contenter dune fonction de courtage en enregistrant les commandes avant de les transmettre aux fournisseurs, les produits restant chez ces derniers.
Les TIC favorisent de nouvelles relations inter-entreprises
Les nouvelles formes dorganisation et de march sexpriment de plusieurs manires : la fois par lvolution de la structure interne des
entreprises et par la transformation des relations inter-entreprises
dans les filires industrielles comme dans les chanes de valeur.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation Plutt quun monde dentreprises, classables selon leur taille, de la
trs petite la trs grande, lconomie actuelle est un univers o sarticulent des morphologies productives multiples, parmi lesquelles il est
possible de retenir les formes suivantes 22:
1. la grande firme intgre classique, qui volue gnralement vers un
ensemble de structures-noyaux entoures dune nbuleuse de fournisseurs en cascade ;
2. les rseaux de PME, organiss en chanes de valeur ajoute, en
processus daffaires, soit autour dune firme, soit en rseau horizontal pratiquement a-centr, comme les districts territoriaux italiens ;
3. la firme creuse, qui est une sorte de moyen terme entre les deux
schmas prcdents, o un centre stratgique coordonne des activits de production et de vente presque exclusivement extrieures,
comme lillustre la stratgie de Benetton ;
4. des rseaux plus lches et plus spcifiques dalliances technologiques ou commerciales entre grandes firmes gnralement concurrentes ;
5. des groupements (souvent des holdings) entre PME souhaitant
mettre en commun des moyens gnraux ou des ressources financires ;
6. des mondes professionnels plus ou moins structurs, o des indpendants circulent de statut en statut en offrant des prestations aux
entreprises et aux rseaux dactivit comme le montre le cas des
mtiers lis la production culturelle dans les grandes villes.
Ces diffrentes formes peuvent sinterpntrer et correspondent un
modle cellulaire en rseau, selon lexpression retenue par Pierre
Veltz. Ce modle faonne progressivement un espace de relations
humaines particulires, comme en ont cr, rappelons-le, avant lui, le
monde artisanal, le monde marchand ou le monde industriel. Trois lments principaux caractrisent ce modle.
Le premier lment est la dcentralisation oriente vers le march.
Les activits sont rparties en units de taille variable dotes dune
(22) Ce dveloppement s'appuie sur l'expos de Pierre Veltz lors de la sance du
10 mai 2001 et sur son ouvrage Le nouveau monde industriel, Le Dbat,
Gallimard, 2000.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation autonomie relative interne, car elles sont pilotes et coordonnes
travers une prescription des objectifs et un contrle des rsultats. Ces
units sont dlimites et structures partir des dbouchs, des marchs aval, plutt qu partir des procds et des technologies. La spcialisation par les produits est prdominante.
Le deuxime lment est la monte de la forme contractuelle donne
aux relations entre les units et leurs prescripteurs ou leurs contrleurs, ainsi quaux relations horizontales entre les units elles-mmes.
Le dernier lment caractristique du modle cellulaire en rseau est
le caractre plurifonctionnel (au sens des grandes fonctions classiques) des units mises en rseau, impliquant la conjonction et la
coopration au sein des cellules de savoirs professionnels et dobjectifs techniques et commerciaux multiples.
La monte des formes cellulaires correspond la recherche davantages importants. Le premier est lconomie de capital. Celle-ci constitue lobjectif commun, par exemple, des alliances pour la recherchedveloppement qui devient trop coteuse pour une entreprise seule. Il
sagit de substituer un capital relationnel au capital investissement traditionnel. Le second avantage est celui de la ractivit, dans des situations o sont impliqus plusieurs acteurs. Avec le rseau, il sagit de
rpondre la ractivit impose par la dynamique de lconomie et
ceci grce aux petites structures qui disposent de lagilit ncessaire
pour raliser la combinaison vitesse-innovation. Le troisime avantage
est la diffusion-mutualisation des risques. Latout des rseaux est de
diffuser le risque dans des ensembles largis aux contours flous, en
attnuant les chocs frontaux au sein des grandes structures. MarieLaure Morin 23 fait tat de lexistence de diverses conventions de partage du risque : risque de lemploi proprement dit, transfr sur le travailleur lui-mme, directement ou indirectement, par lexternalisation
et la substitution progressive du droit commercial au droit du travail
dans la rgulation de fait de lemploi ; risque conomique pour les
indpendants ou ceux qui sont intgrs techniquement une activit
dentreprise ; risques lis la scurit, notamment dans le cas de coactivit de plusieurs entreprises ; risques sociaux, ds lors que la couverture de ces risques est lie trs fortement au contrat de travail,
comme dans notre pays.
(23) Morin (M.-L.), Crise de la socit salariale et transformation des relations
contractuelles, LIRHE, universit de Toulouse, 1997.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation Lavantage de la mise en rseau est quen substituant une relation
client-fournisseur une relation hirarchique, toutes ces conventions
de partage du risque sont automatiquement dplaces, dun seul coup
et sans ngociation.
De nouveaux modles daffaires mergent
Les renouvellements des formes dintermdiation ne sont pas les
seules sources de cration de valeur autour des TIC et des rseaux.
Les activits fondes sur les technologies et les rseaux sont marques par lapparition de nouveaux modles daffaires dont la caractristique commune est dorganiser de manire renouvele les interactions entre loffre et la demande et en multipliant les possibilits de
gestion des externalits de rseaux.
Les chanes de valeur se rorganisent autour de fonctions-pivots.
Plusieurs mouvements contribuent lmergence de ces fonctionspivots. Un premier correspond lapparition de nouveaux acteurs. Un
deuxime rpond lvolution des positions respectives des entreprises, la redfinition de leurs frontires externes et au poids des
partenariats sur leur organisation interne. Un troisime est lapparition
de nouveaux positionnements sur la chane de valeur : ils rsultent de
dcisions (fdration) des consommateurs ou dinformations donnes
par les distributeurs sur les dcisions des fabricants.
Il existe trois grands types de fonctions-pivots, autour desquels se
structurent aujourdhui les modles daffaires des filires de commerce lectronique :
fonction dintermdiation : tiers ou intermdiaire de mtier, soit
dordre technique (courtage, financier), soit comme grossistes, intermdiaire virtuel (portail, fournisseur daccs Internet, commissaire priseur, moteur de recherche, galerie commerciale) ; agrgateur doffres,
gestionnaires et animateur de plates-formes sectorielles et de communauts virtuelles ; rgulateurs de march (certification, assurance,
nom de domaine, tiers de confiance) ;
fonction de production-distribution : les nouvelles formes de distribution empitent sur les fonctions de production (distribution en
court-circuit de canaux classiques, producteurs qui court-circuitent la
distribution, distributeurs se renforant par rapport aux producteurs
grce aux TIC) ; appropriation-valorisation de la relation et de linformation aux consommateurs ; dveloppement du commerce lectro27
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation nique valeur ajoute en prolongement de la VPC et de la vente en
direct ; dveloppement de la logistique (matrise de linformation, gestion des stocks et des approvisionnements, conomie dchelle sur les
flottes, les plates-formes dentrepts et les transports) ;
fonction de fourniture de services techniques : il sagit doffrir le
matriel mais aussi lingnierie et la maintenance. Le fait de fournir la
technologie lensemble dune filire conduit connatre les mtiers
des utilisateurs et donc doffrir du conseil.
Lautonomisation de ces fonctions et de ces comptences correspond
une dmarche dadaptation face la demande et lvolution technique. Elle traduit galement des dmarches stratgiques volontaristes visant limiter la comptition.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation Enfin, la perspective de lmergence conduit penser que, pour tudier
les consquences de lintroduction des TIC, les caractristiques potentielles des technologies ainsi que les spcificits des situations des entreprises doivent tre prises en compte, dans une perspective dynamique.
Une grande diversit des nouvelles formes dorganisation
Les analyses et les recherches sur les effets des TIC sur les organisations commencent tre suffisamment avances et les expriences
des entreprises suffisamment tablies pour mettre en vidence la
grande diversit des transformations en cours. Les travaux montrent le
caractre incertain et contingent des effets des TIC sur les configurations de travail et sur lexprience des acteurs. La situation rencontre
aujourdhui en matire de TIC et dorganisation nest pas radicalement
nouvelle : des situations analogues ont dj t analyses lors des
premires gnrations dinformatisation, industrielles et tertiaires.
Cette grande diversit se retrouve galement dans les travaux des
chercheurs portant sur le dveloppement de la micro-informatique 25.
Le dterminisme technologique est donc trs discutable. Une technologie ne peut, quel que soit le contexte de dpart et le processus effectivement suivi, dterminer compltement des changements organisationnels. Quant au dterminisme organisationnel, il sous-estime les
incidences de certaines caractristiques particulires des technologies. En outre, ces deux conceptions sont statiques et ne sintressent
gure aux processus dintgration et dutilisation des TIC dans un
contexte organisationnel.
Ds que lon sattache une connaissance fine des utilisations de loutil technique, le fait organisationnel savre omniprsent : quil sagisse du processus de production, des modes de gestion, de lorganisation du travail et des fonctions, de la structure des mtiers, de la rpartition des comptences ou de la localisation. Mais les technologies
participent une remise en cause des organisations existantes. De
telles co-volutions mettent en cause la possibilit de sparer effets
et causes". Technologie et organisation sinfluencent mutuellement et
co-voluent : nouvelles technologies et nouvelles formes dorganisation mergent conjointement.
(25) Gollac (M.), Mangematin (V.), Moatty (F.), Saint-Laurent (A.-.F.) et Foray (D.),
Mairesse (J.) (sous la direction de), quoi sert donc l'informatique ?", revue
d'tudes de cas, innovations et performances, approches interdisciplinaires,
ditions des Hautes tudes en sciences sociales, 1999.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation Comme lont soulign, Patrice Flichy et Alain dIribarne, la double
dimension, technique et organisationnelle, est particulirement centrale dans les TIC : elle est au cur de la variabilit des situations et des
phnomnes observs 26.
La troisime gnration doutils correspond au dveloppement des
outils tlphoniques et au couplage des tlcommunications avec linformatique qui aboutit la mise en rseau de linformatique (Internet,
intranet, tlcommunications mobiles et assistes par ordinateur, logiciel groupware et workflow). Ces technologies favorisent la communication entre les individus, entre les diffrents services comme entre les
entreprises. Les TIC sont donc des technologies de coordination qui
ont une incidence sur la structure organisationnelle des entreprises
mais elles ninduisent pas de modle organisationnel unique.
Pour illustrer notre propos, nous allons prendre le cas de la mise en
place dun intranet dans un dpartement informatique dune mutuelle
dassurances, marqu par de nombreuses alliances et fusions.
Mise en place dun intranet dans un dpartement informatique
dune mutuelle dassurances 1
Quatre cents personnes travaillent au dpartement informatique (DI). Ce
sont pour plus du tiers des salaris de lentreprise et pour le reste des prestataires extrieurs. Trois types de tches sont ralises au sein du dpartement : la gestion des projets informatiques, des tches de maintenance et
dentretien du parc informatique et des tches administratives.
Lintranet est cr fin 1998 de faon relativement incidente. Lintroduction
dune nouvelle messagerie lectronique dans le dpartement na pas permis
de reprendre certains formulaires administratifs (demandes de congs, missions) trs utiles au fonctionnement quotidien du dpartement. Cest pourquoi, ils sont intgrs dans un intranet spcifique au dpartement. Par la
suite, lenrichissement de ses contenus suit les volutions du dpartement.
Il intgre deux annuaires (un pour les salaris, un pour les prestataires extrieurs), des informations sur les nouvelles rgles, des applications de gestion de projet, des informations sur les relations professionnelles entre les
membres du dpartement et ceux dautres dpartements de la mutuelle.
(26) Sance du 11 janvier 2001 et Benghozy (P.-J.), Flichy (P.) et d'Iribarne (A.), Le
dveloppement des NTIC dans les entreprises franaises", Rseaux, volume 18,
n 104, 2000.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation Progressivement, lintranet entre dans le fonctionnement rel du dpartement. Il participe aux processus dvolution des mtiers et des changements
didentit professionnelle de membres du DI. Il apparat comme un moyen
de connatre lvolution du fonctionnement du DI et de sy adapter. En outre,
les membres sapproprient lintranet et lutilisent aussi pour amliorer lexercice des tches. Il apparat alors comme un catalyseur des transformations
des tches et didentit des membres du dpartement. Il ne constitue pas
uniquement un moyen dinformation et de communication sur les volutions
mais il est galement un instrument de leur mise en uvre.
(1) tude de cas analyse par Emmanuelle Vaast in Intranet et alas organisationnels, op.cit.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation gnralement de la qualification des travailleurs 28. En fait, les volutions sont trs contrastes.
Ainsi, dans loffice HLM tudi par Franois Eymard-Duvernay, linformatisation est lie une forte dcentralisation des dcisions et un
accroissement des circulations horizontales dinformation 29. Avant sa
rorganisation, cet office fonctionnait selon un mode bureaucratique
rigide et hirarchis et o la circulation de linformation ne seffectuait
que selon les lignes hirarchiques. prsent, le fonctionnement de
loffice scarte du fonctionnement hirarchique traditionnel. Les chelons levs de la hirarchie ont besoin de moins dinformations, quantitativement, mais cette information doit tre labore : bilans, tableaux
de bord, comptabilit analytique. Quant aux chelons infrieurs, ils ont
besoin de davantage dinformations car ils doivent dsormais prendre
des dcisions au cas par cas. Laugmentation de lautonomie nimplique pas une diminution du contrle. Si une certaine forme de contrle a disparu, lvaluation des agents en revanche est renforce, en
sappuyant directement sur les possibilits denregistrement et de
mobilisation des informations que permet linformatique.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation base devaient appliquer des rgles rigides et coutumires fondes sur un
nombre limit de critres.
Aprs la rorganisation, loffice est devenu un tablissement public industriel
et commercial. La rpartition des responsabilits a t profondment modifie. Les contacts avec les clients sont dsormais assurs par du personnel
plus qualifi (agents commerciaux, agents technico-commerciaux, agents
sociaux) que les agents daccueil ou les gardiens. Les agents technico-commerciaux traitent directement toutes les demandes de maintenance ou de
rparations. Ils sont capables de juger de lopportunit ou non dune opration et ils traitent en direct avec le prestataire de service. Lagent social traite les problmes dimpays et il est charg de trouver des solutions personnalises (dlais, dmarche auprs dorganismes daide sociale, poursuites
selon le cas).
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation individuelle. Dans les tablissements Imbert, linformatisation a accru
les responsabilits de la chef dquipe et a rduit celle des ouvrires
qui ont subi un renforcement du contrle de leur travail, en raison des
informations que le nouveau systme a rendu disponibles. Si certaines
dcisions oprationnelles peuvent tre prises dans latelier, les dcisions stratgiques sont centralises et le contrle est plus prgnant.
Lintgration des activits productives et de gestion chez Imbert
Lintgration des activits productives et de gestion permises par linformatisation a eu pour consquence de modifier le poste de travail dune femme
chef dquipe charge deffectuer pour lensemble de latelier de piqre les
tches dordonnancement : choix des gammes, des matires, des coloris
Utilisant un micro-ordinateur reli lordinateur central, elle peut enregistrer
les ordres de lancement et dapprovisionnement, faire le point tout moment
sur la situation de son secteur, notamment mesurer les rendements de production individuels des ouvrires.
Ce poste de travail se trouve revaloris et devient la charnire des fonctions
commerciale, administrative et productive. Il revt une importance stratgique, porteuse de transformations importantes. Il ralise, en effet, au moins
partiellement, un dbut dintgration des fonctions internes de lentreprise en
remettant en cause la division spatio-fonctionnelle taylorienne des secteurs
qui la composent, sans que pour autant, la division du travail au sein de latelier soit modifie. Les ouvrires, au contraire, deviennent plus fortement
assujetties aux contraintes productives dfinies par les autres services, via
notamment la centralisation des informations.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation Lusage des TIC au service du travail coopratif
Les TIC prsentent lopportunit dinitier de nouvelles pratiques de travail, plus collectives. Elles permettent de nouvelles relations lespace et au temps. Les formes de travail en groupe sont aussi diverses
que les groupes eux-mmes. Si les outils se substituent certaines
formes de collectifs, ils peuvent aussi les renforcer et en recrer
dautres. Ils peuvent aussi aboutir de nouvelles formes de coopration et transformer alors la nature des groupes ou des collectifs qui
structurent les organisations.
Dans la majorit des cas, la communication est facilite sans que les
rseaux de coopration soient vritablement modifis. On se communique des informations, qui vont du simple (date, heure dune runion,
dplacement) au plus complexe (fond dune affaire). Cest la forme
la plus basique, mme si elle implique des oprations de traitement de
message (copie, transfert, archivage, pice jointe).
Le Kiosque
Ce premier usage porte sur la mise en place dun kiosque dans la direction
des ressources humaines (DRH) du dpartement "Dveloppement chez
France Tlcom. Cest un dispositif dinformation, base de donnes collectives qui fonctionne dans le cadre dun systme push 2 . Il correspond la
volont de crer un espace collectif dinformation et de communication. Il se
dfinit comme un outil dinformation et dchanges lintrieur de la DRH.
Les secrtaires ont un rle danimation, cest dire que leur fonction consiste alimenter le kiosque de nouvelles informations.
Cet outil a entran lmergence de nouveaux modes de travail, particulirement pour les secrtaires. Dans le fonctionnement ancien, ces dernires
taient au courant de tout ce que traitait leur patron parce quelles voyaient
passer le courrier. Ctait une volont organisationnelle que les secrtaires
sachent ce qui se passait. Or, prsent avec la messagerie, elles ne sont
plus au courant ; ce qui contribue ce quelles se dsintressent progressivement de leur travail. On arrive au paradoxe suivant : certains outils de travail collectif finissent par tre des outils de travail trs individuels ; chacun
travaille avec son micro-ordinateur et non plus avec ses collgues.
(1) Cet exemple est tir du rapport de fin d'tude ralise pour le compte de la
Branche Dveloppement de France Tlcom l'usage des outils multimdias en
rseau (intranet, groupware, workflow) au service du travail coopratif,
d'Iribarne (A.), Lemoncini (S.), Tchobanian (R.), 2000.
(2) Un systme push est un systme qui consiste avertir automatiquement le
destinataire d'une information susceptible de l'intresser.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation Au-del du "simple" change dinformations, les TIC permettent une
coordination entre les individus et les services.
Beaucoup plus complexe raliser et outiller est la vritable coopration entre acteurs dune mme entreprise, qui touche aux pratiques de
management comme la culture de base des individus et des organisations. Une vritable coopration suppose en effet de construire un
problme commun, avant mme de sattaquer la rsolution de ce problme.
Dans la coordination, le rle des acteurs, leurs tches, les buts
atteindre, le contexte du processus sont bien dfinis. Dans la coopration, tout reste dfinir, ce qui implique lexpression des oppositions,
des dsaccords, pour pouvoir construire ensemble le but atteindre.
Lintroduction dun outil coopratif dans le cadre dun vaste processus
de rorganisation du travail, ne se traduit pas par une distinction nette
entre un avant et un aprs mais aboutit un entremlement danciennes formes de solidarit et de nouvelles. Les bnfices tirs de
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation lintroduction de cet outil, loin dtre imputables au seul processus dinnovation en cours, se trouvent pour partie en germe dans la configuration organisationnelle antrieure.
Le Groupware
ou le travail en rseau coopratif
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation confuse et de moins en moins adapte aux conditions de la concurrence. Dans le modle taylorien, il sagissait de faire plus de volume
de produits (problmatique de type dbit) avec moins de ressources
engages ; la monnaie commune tant le temps. Jean Gadrey a montr que ce concept nest pas adapt au cas des services, mais ses
dfauts deviennent galement de plus en plus apparents dans lindustrie 30. En effet, le volume est un indicateur pauvre, puisque la comptition se fait de plus en plus par la diffrenciation. La qualit ne sobtient pas uniquement en baissant les cots. Les rorganisations introduites et les gains de ractivit doivent tre galement pris en considration. La prsence du temps de travail au dnominateur incite
confondre bonne gestion et conomies de travail alors que de telles
conomies dgradent souvent la fiabilit des systmes techniques.
La productivit des oprations tayloriennes perd sa centralit au profit
dune productivit par la communication et dune productivit vnementielle 31. Le substrat du travail est de moins en moins constitu
par des objets physiques limits et par des processus stables et rptitifs, et de plus en plus par des relations entre tres humains et des
squences dvnements mettre en forme, ordonner et matriser.
Lapproche analytique des tches et des performances voit son importance dcliner rgulirement alors que lon assiste au contraire au
dveloppement des approches rcursives. De plus, la productivit ne
se limite plus au travail direct et dcoule aussi de la coopration des
individus dans laction, obtenue grce leur activit de communication
dans un monde dvnements 32.
La qualit des relations entre les acteurs et la fiabilit des systmes
techniques deviennent des lments essentiels. Le fait davoir des
machines de plus en plus interconnectes permet de coordonner les
acteurs, qui auparavant travaillaient de faon isole. Par exemple, la
TPM (Total Productivity Maintenance) signifie que dans un milieu technicis, le travail du producteur nest plus de produire mais de faire en
sorte que les machines tournent. Une productivit multidimensionnelle jouant sur des processus se substitue une logique lie des oprations individuelles.
(30) Gadrey (J.), Services : la productivit en question, collection Sociologie
conomique, dition Descle de Brouwer, 1996.
(31) Veltz (P.), Le nouveau monde industriel, op. cit.
(32) Veltz (P.) et Zarifian (P.), Vers de nouveaux modles d'organisation,
Sociologie du travail, n 1, 1993.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation diversit. Les effets de lutilisation du capital sont lis la fiabilisation
des quipements.
Lefficacit se dplace de lindividu au collectif
Lefficacit ne dpend plus seulement de la partie programme de la
charge de travail de chacun, mais de ce qui se passe entre les individus, les groupes de travail et les systmes techniques, et qui chappe en partie toute programmation. La qualit de la coopration et des
interfaces entre acteurs devient un facteur de performance central.
Lefficacit se dplace ainsi de lindividu au collectif. Mais simultanment, lindividu est sollicit travers ses comptences originales et
travers sa manire personnelle dinscrire son activit dans le fonctionnement du groupe. Lautonomie individuelle longtemps proscrite est
dsormais exalte par le discours managrial. Mais surtout, elle change de sens : elle est moins perue comme marge de manuvre par
rapport une rgle rigide, plus comme capacit dynamique de sinsrer dans un collectif, puissance daction au sein de contextes instables.
Ces volutions sinscrivent dans un contexte o les schmas hirarchiques et pyramidaux se brouillent et o se diffusent des schmas en
rseau, fonds sur des contrats plus ou moins phmres. Ces schmas en rseau veulent concilier la puissance et la souplesse. Ils permettent de combiner des processus de coopration trs intenses avec
des liens sociaux et des engagements rciproques faibles et prcaires.
Pour illustrer notre propos, il est possible de voir intranet comme un
outil de performance individuelle et de performance collective, selon
les finalits de son utilisation. En effet, intranet peut tre envisag soit
dans une perspective individuelle, comme un ensemble doutils - que
lon peut choisir ou non dutiliser -, soit dans une perspective collective, comme un systme qui met en relation les membres dun collectif
de travail et structure leur activit commune. Dans ce deuxime cas,
intranet contraint fortement les participants, ne leur laissant pas le
choix dutiliser ou non telle ou telle procdure ou protocole.
Cet outil change de faon trs importante la manire dorganiser les
collectifs de travail, en permettant notamment des relations beaucoup
plus rapides et ractives entre les membres. Il favorise ainsi la gestion
de projet, le partage de ressources documentaires, llaboration collective de documents, le reporting ainsi que le management de la
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation connaissance. Cependant, le caractre de participation au collectif
nest pas toujours peru par les agents.
Tensions sur lorganisation et sur les acteurs
Lentreprise en rseau - multitude dunits autonomes coordonnes
par des centres stratgiques - simpose comme nouvelle rfrence.
L o, dans une organisation hirarchique on prescrivait les mthodes
de travail, les procdures, en mme temps que lobjectif raliser, on
ne dfinit plus, dans une organisation en rseau, que des objectifs
raliser. Comme le montre lenqute COI de 1997 les utilisateurs de
linformatique sont plus autonomes que leurs collgues ; il est plus rare
quon leur impose des modes opratoires pour atteindre des objectifs
qui leurs sont fixs, un peu plus rare quils appliquent la lettre des
consignes quils reoivent" 35. On nattend plus du travailleur quil excute un programme dfini de faon prcise mais quil le ralise.
Or, la rorganisation en rseau dune entreprise hirarchique pose de
profonds problmes. Avec la mise en place des TIC, les managers ont
la tentation permanente de connecter le local sur le global en vinant
les niveaux intermdiaires dont la tche de transmission dinformation
semble devenir inutile. Il est trs difficile de connecter les objectifs de
la base et du sommet, dautant que la financiarisation plonge le manager dans le court terme, alors que la base continue attendre de lui
quil gre et assure la stabilit du systme sur le long terme. Dans les
faits, le lien oprationnel se construit travers des paris, des objectifs
gnraux et globaux. Le moteur est la concurrence entre les diffrentes units, au niveau lmentaire.
En consquence, les normes de performance sont dfinies de faon
itrative et exprimentale par le seul biais de la concurrence. Lobjectif
est de faire mieux que le concurrent, et comme celui-ci progresse lui
aussi, procder comme hier conduit lchec. une planification de
type taylorien, la rgulation par la concurrence est prfre, quil
sagisse de concurrence interne (benchmarking) ou externe, entre les
fournisseurs par exemple, lorsque les cots de transaction internes
la firme sont levs. Ainsi, la nouvelle rfrence est le rseau, cest-dire une multitude dunits indpendantes au-dessus desquelles trne
(35) Gollac (M.), Greenan (N.) et Hamon-Cholet (S.), L'informatisation de
l'ancienne conomie : nouvelles machines, nouvelles organisations et nouveaux
travailleurs", conomie et Statistiques, n 339-340, 2000.
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation un centre stratgique organisateur. En faisant supporter les incertitudes conomiques par des communauts locales, voire directement
par des individus, ce nouveau mode dorganisation exige de chacun
un engagement individuel et personnel de plus en plus fort.
La concurrence conduit aussi remettre en cause la division du travail. Celle-ci devient de plus en plus itrative, exprimentale et mouvante et le primtre des tches de plus en plus informel. Des ples
de comptences se constituent selon des processus informels. On ne
rflchit plus sur comment bien faire sa tche, mais sur quelle tche
bien faire. La cooptation joue un rle central.
La gestion des risques est renvoye au niveau local en dveloppant
des dispositifs contractuels ou pseudo-contractuels (engagement de
rsultat individuel, par exemple). Les salaris doivent apprendre
remettre en cause frquemment les normes de performance de leur
travail, et dvelopper de nouvelles faon de procder. Lautonomie de
lindividu (ou de lquipe) ne se mesure plus sa marge de manuvre
par rapport des rgles fixes ou par rapport des normes de performances fixes, mais sa capacit changer la rgle et agir
lintrieur dun rseau.
La tension accrue sur les organisations se rpercute sur les acteurs
qui doivent faire face de nouvelles exigences.
Le salari doit dabord sapproprier les nouveaux outils. Cette appropriation constitue, pour les utilisateurs, une charge de travail supplmentaire qui est presque toujours sous-estime lorsque lon dcide
dimplanter de nouveaux outils. Elle dpend de ladaptation des outils
au travail des personnes, des ressources des utilisateurs et des processus dimplantation (voir partie sur les risques dexclusion).
Dans de nombreux cas, des tches supplmentaires et totalement
nouvelles sont demandes aux salaris avec lintroduction des TIC. Il
sagit par exemple de la gnralisation du reporting qui constitue
pour chacun un travail supplmentaire.
Mais, plus gnralement, on attend des salaris plus autonomes et
grant plus dinformations et plus de moyens de communication, une
coopration plus efficace. Dans le cadre mouvant et concurrentiel de
lentreprise en rseau, chacun doit construire son propre rseau de
coopration. La mise en uvre de cette coopration demande une
implication personnelle plus forte qui se traduit par un travail plus
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- Quand on parle de TIC, on parle dorganisation intense, cest dire une pression accrue des dlais et, finalement, des
dpassements dhoraires plus frquents 36. Tout ceci ncessite de
repenser le systme dvaluation et de rtribution.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences demande de cet atelier suggrent quau cours des dix dernires
annes un tel phnomne a pu se produire en France. Mais il a pu tre
accentu par une conjoncture conomique et technologique particulire :
chmage, cot relatif modr du travail qualifi, cycle dinnovations
radicales.
Existe-t-il un biais technologique spcifique aux TIC ?
Lhypothse de lexistence dun biais technologique spcifique aux TIC
a t largement dbattue au sein de latelier 37.
La notion de biais technologique a t introduite par J.R Hicks dans le
cadre de ses travaux sur la croissance : dans certains cas, le progrs
technique induirait des substitutions entre facteurs de production au
dtriment du travail non qualifi 38. Un courant de la littrature conomique soutient la thse selon laquelle le progrs technique, en particulier la diffusion des TIC, induirait une double substitution : celle du
capital au travail peu qualifi et celle du travail qualifi au travail peu
qualifi.
Certains faits suggrent en effet quil existe un mcanisme qui accrot
la demande de travailleurs qualifis par rapport celle de non qualifis :
on observe une volution gnrale vers une plus grande qualification des emplois. Dans lensemble des pays de lOCDE, lemploi industriel a baiss de 10 % entre 1970 et 1992. Cette volution globale
recouvre une baisse de 20 % de lemploi des travailleurs non qualifis,
lemploi qualifi se maintenant au mme niveau sur toute la priode.
Si lemploi non qualifi a continu crotre dans les activits de services, sa part na cess de baisser ;
depuis 1970, les ingalits entre travailleurs qualifis et non qualifis
ont fortement augment dans lensemble des pays occidentaux. Au
(37) Notamment lors des sances du 12 octobre 2000 (Michle Debonneuil) et du
14 juin 2001 (Emmanuelle Walkoviak). Cette rflexion a t nourrie en particulier
par une tude ralise la demande du Commissariat gnral du Plan et dont on
reprend ci-aprs plusieurs citations et arguments. Askenazy (P.), Pitzali (M.),
Walkoviak (E.) et Waser (A.-M.), Les effets de l'introduction des TIC sur le travail,
les professions et les qualifications, 2001.
(38) Hicks (J.-R .), The theory of wage, dition MacMillan, 1932. Voir galement
Griliche (Z.), "apital Skill Complementarity, Review of Economics and Statistics,
n 51, 1969.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences niveau de lensemble de lconomie, cette distorsion est particulirement nette aux tats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Ainsi, au
cours des vingt dernires annes, la croissance conomique amricaine sest accompagne dune hausse spectaculaire des ingalits,
qui a vu dcliner en niveau le salaire des ouvriers les plus vulnrables
et saccrotre le revenu des travailleurs qui ont des qualifications
leves 39. Dans les pays europens o un salaire minimum protge
les revenus des travailleurs les moins qualifis, notamment en France,
le taux de chmage des moins qualifis a augment beaucoup plus
vite que celui des qualifis 40.
Les causes de ce creusement des ingalits ne sont pas clairement
tablies. Entre autres explications, un "biais technologique" spcifique
aux TIC est voqu. Ce biais rsulterait notamment des mcanismes
suivants :
les travailleurs les plus qualifis sont aussi les plus aptes matriser
lusage dune technologie nouvelle ; certaines tches ralises par les
moins qualifis sont formalises et transformes en routine, ce qui
permet de substituer de la technologie cette catgorie de main
duvre. En revanche, les tches les plus complexes, celles que ralisent les dirigeants, les cadres ou les techniciens se prtent mal la
formalisation ;
le dveloppement des TIC permet daccrotre limportance de la partie conceptuelle des tches qui mobilise la capacit manier des
reprsentations abstraites ;
la mise en place des systmes informatiques et des processus dautomatisation au sein de lindustrie entrane une demande forte de
main-duvre qualifie ;
les TIC favorisent la mise en place dorganisations en rseaux au
sein desquelles les salaris doivent faire preuve dautonomie, de responsabilit et daptitudes grer le changement : les travailleurs les
plus qualifis seraient plus aptes travailler dans ce type denvironnement.
(39) Cohen (D.) et Debonneuil (M.), L'conomie de la nouvelle conomie in
Nouvelle conomie, rapport du Conseil d'analyse conomique, n 28, La
Documentation franaise, 2000.
(40) Fitoussi (J.-P.) et alii, Pour l'emploi et la cohsion sociale, groupe de politique
conomique de l'OFCE, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques,
1994.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences De plus, comme le montrent Michel Czard, Michel Gollac et
Catherine Rougerie, les travailleurs les plus qualifis sont toujours les
premiers quips des dernires gnrations des technologies informatiques. Au cours des dernires annes, la slection des utilisateurs
sest maintenue : la diffusion de linformatique soprant de faon privilgie en direction des cadres, tandis que son utilisation par les
ouvriers ou les employs reste trs ingale selon la profession ou le
mtier. Cette diffrence dans lusage des TIC sera plus dveloppe
dans la partie consacre aux risques dexclusion.
De nombreuses tudes empiriques sur les facteurs de production trouvent que le capital et le travail qualifi sont complmentaires entre eux
et globalement substituables au travail non qualifi, ce qui accrdite
lhypothse de lexistence dun biais technologique. Cependant, si les
tudes menes sur le cas amricain concluent le plus souvent lexistence dun biais, certaines tudes menes en France conduisent
nuancer srieusement le diagnostic. Ainsi, selon ric Maurin et David
Thesmar, le progrs technique favoriserait certaines fonctions et non
les travailleurs qualifis en gnral 41. Ltude des liens entre informatisation et organisation mene par Pierre-Jean Benghozi, Patrice
Flichy et Alain dIribarne montre quil nexiste pas de modle dorganisation unique li une technologie. Si elles rendent possible certains
types dorganisation, les TIC viennent seulement en appui dun modle organisationnel dcid ailleurs 42.
Tout un courant de la littrature a dvelopp des thories dites "de la
croissance endogne" qui postulent que les choix technologiques et
les progrs de la technologie ne sont pas donns une fois pour toutes
indpendamment de la situation conomique 43. Selon les partisans de
cette thse, la recherche technologique elle-mme soriente dans les
directions qui apparaissent a priori les plus prometteuses. Or, les
espoirs de profit que le progrs technologique fait natre dpendent
des prix relatifs. Plusieurs auteurs tels Jean-Paul Fitoussi et Mathias
(41) Maurin (.) et Thesmar (D.), Changes in the Functional Structure of Firms and
the Demand for Skills", document de travail de l'INSEE, 1999.
(42) Benghozi (P.-J.), Flichy (P.) et d'Iribarne (A.), Le dveloppement des NTIC
dans les entreprises franaises, premiers constats, tude prsente la sance
du 11 janvier 2001.
(43) Voir par exemple, Guellec (D.) et Rallet (A.) Les nouvelles thories de la
croissance", La Dcouverte, 1996.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences Thoenig mettent en avant limportance du commerce international 44.
Le choix de technologies favorisant le travail qualifi serait une raction louverture la concurrence ou une anticipation de cette concurrence. Ainsi, Jean-Paul Fitoussi avance lhypothse selon laquelle,
dans les conomies dveloppes, initialement peu ouvertes au monde
extrieur, le capital sous toutes ses formes (physique, humain, financier) constituait une ressource relativement abondante, tandis que,
lchelle mondiale, il constituait la ressource rare, les travailleurs non
qualifis tant la ressource abondante. Ds lors, la mondialisation
pousserait lgalisation des prix des facteurs entre pays, pesant sur
le salaire du travailleur non-qualifi des pays dvelopps et tirant le
salaire du travailleur qualifi vers le haut. Comme il existe, dans beaucoup de pays dvelopps des rigidits la baisse du cot relatif du travail non qualifi, les entreprises tablies dans ces pays seraient
conduites rechercher des marchs leur permettant de valoriser le
travail qualifi et des processus de production liminant le travail non
qualifi, ce qui orienterait lvolution technologique 45. Concrtement,
on observe que, face un environnement technologique de plus en
plus incertain, les entreprises se protgent en embauchant de prfrence des personnels surqualifis et (relativement) bon march.
Finalement, la technologie nest probablement pas la cause ultime du
biais observ en faveur des travailleurs qualifis. Elle y concourt
cependant en tant que moyen mis au service de la rorganisation du
travail et de la substitution entre facteurs de production. En permettant
dadapter plus finement les produits (ou les services) proposs la
clientle et de les renouveler plus souvent moindre cot, le dveloppement des TIC conduit accrotre la partie conceptuelle des tches
qui mobilise la capacit manier des reprsentations abstraites. Le
rle du capital humain, et donc de la formation, sen trouve accru.
Lenjeu de la redfinition des mtiers est donc crucial.
(44) Thoenig (M.), Trade Induced Technical Biase and Wage Inequalities : a Theory
of Defensive Innovation", in World Conference Econometric Society, Seattle, 2000.
Ouvrage disponible sur le site
http://www.nuff.ox.ac.uk/users/doornik/eswc2000/a/1931.html
(45) L'une de ces rigidits est l'existence d'un salaire minimum institu en vue de
protger le revenu des travailleurs pauvres. Cette considration a sous-tendu la
politique de baisses de charges sur les bas salaires mene en France pendant la
seconde moiti des annes quatre-vingt-dix.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences Les transformations des qualifications et des comptences requises
impliquent la capacit de manipuler les outils, et la possibilit de les
utiliser dans un cadre professionnel pour rsoudre des problmes
dans lexercice de mtier. Lapprentissage suppose que les salaris
aient la fois les dispositions et les capacits ncessaires pour utiliser
ces outils tels quils sont conus, cest--dire pas ncessairement en
vue de leur utilisation par les moins qualifis. Il suppose aussi que les
entreprises soutiennent activement les utilisateurs ou, du moins, leur
laissent une certaine libert dans lutilisation des TIC. Or, il est galement rare que ces conditions soient runies pour les moins qualifis 46.
La rpartition des comptences dans le collectif de travail est souvent
modifie dans les rorganisations lies lintroduction des TIC. Dans
un centre dappel, pour les liaisons informatiques des entreprises, les
oprateurs avaient initialement une comptence technique limite et
devaient renvoyer 80 % des appels des experts 47. Une base de
donnes collective a t cre pour capitaliser lexprience des diffrents oprateurs et incorporer les rponses des experts. Au bout de
deux ans, les oprateurs pouvaient rpondre directement 64 % des
appels. Ce transfert de comptences sest fait la satisfaction des
deux parties. Les oprateurs avaient beaucoup moins dappels
transfrer et taient satisfaits de ne plus passer pour des incomptents. De leur ct, les experts navaient plus besoin dintervenir pour
des problmes simples.
Quand il ny a pas daussi fortes ingalits de comptences au sein du
collectif de travail, une concurrence peut apparatre entre les membres
de lquipe. Lorsque la coopration au travail est peu organise, il est
possible de distinguer les usagers qui font essentiellement appel des
comptences de routine et ceux qui sont plus innovants. Les premiers
sont ceux qui se dbrouillent le moins bien. Ils ont une stratgie dusage qui consiste reconstituer quelques routines de base ncessaires
leur travail et se font aider par ceux qui sont un peu plus acculturs
queux. Les plus innovants associent leurs comptences de mtier,
leur savoir-faire et pas mal de curiosit. Ils explorent plus, trouvent des
astuces diverses et inventent des usages nouveaux.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences Les choix technologiques et organisationnels faits en France
au cours des annes quatre-vingt-dix ont t,
dans lensemble, favorables aux emplois qualifis
et dfavorables aux emplois non qualifis
Au dbut des annes quatre-vingt-dix, les entreprises qui ont fait le plus
appel aux innovations technologiques se sont informatises avant tout
pour rpondre la pression de leurs clients comme de leurs actionnaires. La recherche de diffrenciation, de cration de produits et
damlioration de la qualit sont des lments importants de leur stratgie. Telles sont du moins les rponses quelle ont apportes lenqute COI 48. Ces entreprises font un usage trs important des dispositifs
de qualit. Sur la priode 1994-1997, les entreprises mettaient en avant
les contraintes dictes par la concurrence et le client mais ne citaient
pas la cration de produits. En revanche, la mise au point de procds
nouveaux faisait partie de leurs priorits. Les oprations de fusion et
dacquisition se sont substitues la pression des actionnaires. Les
changements organisationnels sont devenus intenses. Ils taient
orients vers le dveloppement du juste temps, de lexternalisation
des activits et de la sous-traitance. Cest le schma dimitation et dinnovation de procd, de restructurations lintrieur des groupes, avec
dveloppement de dispositifs de marchs et de pseudo-marchs et
dveloppement de linformatisation, qui tait lpoque dominant.
(48) En 1997, le Centre d'tudes de l'emploi a coordonn un dispositif d'enqutes
deux volets sur les changements organisationnels et sur l'organisation (COI).
Une premire enqute auprs d'environ 5 000 entreprises a t ralise par le
SESSI ou l'INSEE, selon le secteur concern, tandis qu'une seconde tude, auprs
de 9 000 salaris de ces entreprises tait ralise par la DARES. L'objectif du
dispositif tait de reprer les changements organisationnels intervenus dans les
entreprises entre 1994 et 1997 et les consquences de ces changements sur les
conditions de travail des salaris. Les questions poses aux entreprises dpendent
du secteur d'activit. Les entreprises de l'industrie et des IAA ont t interroges
sur leur stratgie (baisse des cots, diffrenciation, innovation), sur les
contraintes ressenties (concurrence, rglementation...), sur les fonctions
d'encadrement, sur les dispositifs organisationnels, le nombre de niveaux
hirarchiques, l'organisation des ventes et de l'approvisionnement, les horaires de
travail, les moyens employs pour ajuster la production la demande,
l'quipement informatique et Internet et leur utilisation, les difficults rencontres.
Les entreprises du commerce et des services ont t interroges sur l'organisation
des rseaux entre entreprises ou tablissements dont l'informatique constitue un
support. Le volet salari s'intresse aux caractristiques du poste, aux marges
d'initiatives dont bnficie le salari, ses capacits de communication, son
rythme de travail et l'valuation de son travail.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences Plusieurs auteurs tudient lexistence de liens entre (r)organisation et
structure des emplois. Pour ve Caroli et alii, les dispositifs flexibles
prsents dans les entreprises franaises ont biais lvolution de la
structure de lemploi entre 1992 et 1996 en faveur des plus qualifis 49.
Il sagit l dun biais organisationnel et non directement technologique.
Nathalie Greenan a tudi les liens entre les rorganisations des entreprises et les comptences requises en utilisant lenqute
Changements organisationnels ralise par le SESSI en 1993 50.
Dune faon gnrale, les rorganisations mises en uvre saccompagnent dun accroissement des comptences requises qui concerne
selon les cas toutes les catgories de main-duvre ou seulement les
ingnieurs et les cadres. Ils proposent une typologie des formes de
rorganisations :
certaines entreprises sorientent vers un modle dentreprise flexible
(groupes de travail, cercle de qualit) ;
dautres se technicisent en approfondissant la division du travail ;
enfin, dautres approfondissent leur logique hirarchique en organisant la comptition entre les ingnieurs et les cadres.
Dans les deux premiers cas, laccroissement des comptences
requises stend toutes les catgories et la rorganisation induit des
liens nouveaux entre les salaris qui accroissent leurs comptences.
Dans les entreprises qui approfondissent leur logique hirarchique,
notamment dans les services, les rorganisations sont plutt favorables aux cadres et dfavorables aux employs et aux ouvriers.
Quelle que soit la nature de la rorganisation mise en uvre, linformatisation et la rorganisation vont de pair. Finalement, dans tous les
cas de figure, les rorganisations ont conduit informatiser davantage
et accrotre le niveau de comptence requis. Les salaris informatiss se trouvent ainsi plus autonomes dans leur travail, mais ce travail
est rgi par des rgles plus strictes, plus formalises et plus intenses.
Nathalie Greenan, Jacques Mairesse et Agns Topiol-Bensaid ont tudi les consquences du dveloppement des fonctions R & D et des
(49) Aghion (P.) et Caroli (E.), "Inequality and Economic Growth : the Perspective
of the New Growth Theories", Journal of Economic Litterature, n 37, 1999.
(50) Greenan (N.), Innovation technologique, changements organisationnels et
volution des comptences", conomie et Statistiques, n 298, 1999.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences tudes informatiques sur la structure de la main-duvre partir des
donnes BIC 51 et ESE 52. Globalement, ils constatent que les emplois
douvriers sont dautant moins importants dans les entreprises o ces
fonctions nouvelles ont t dveloppes. Le constat est inverse pour
les emplois de cadres.
Alain Duguet et Nathalie Greenan ont tudi les liens entre les facteurs de production des entreprises et le type dinnovation mis en
place 53. Les donnes mobilises leur permettent de distinguer deux
facteurs de production - le capital et le travail -, et au sein du travail,
de faire la distinction entre les emplois dexcution et les emplois de
conception. Elles leur permettent en outre de raliser une typologie
fine de linnovation (incrmentale ou radicale, de produit ou de
procd) 54.
Dans un premier temps, ils constatent que, pour innover, lentreprise
doit disposer de capital et de main-duvre de conception. La mainduvre de conception est ncessaire pour raliser un produit nouveau alors que pour faire de lamlioration de procd, il est surtout
important davoir du capital.
Dans un second temps, ils trouvent que la politique dinnovation de lentreprise se traduit, cinq ans plus tard, par une modification de la structure des emplois qui dpend de la nature de linnovation ; linnovation
radicale de produit saccompagne le plus souvent dun biais en faveur
du travail (qualifi) de conception alors que linnovation incrmentale de
produit est favorable aux emplois dexcution. Ceci corrobore la consta(51) Les entreprises remplissent chaque anne une dclaration fiscale dite des
bnfices industriels et commerciaux" (BIC) dans laquelle elles transmettent des
donnes comptables. Ces donnes donnent lieu par la suite des exploitations
statistiques, notamment par l'INSEE.
(52) Dans le cadre de la lgislation en faveur de l'emploi des handicaps, tout
tablissement du secteur priv ou tout tablissement public caractre industriel
ou commercial de 20 salaris ou plus devait, jusqu'en 1997, remplir chaque anne
une dclaration dans laquelle figurait entre autre des informations sur la rpartition
des effectifs salaris au 31 dcembre, selon la nature des emplois occups un
niveau fin (PCS 4 chiffres). Cette partie de la dclaration, appele enqute
structure des emplois (ESE), faisait ensuite l'objet d'une exploitation statistique.
(53) Duguet (E.) et Greenan (N.), Le biais technologique : une analyse
conomtrique sur donnes individuelles ", Revue conomique, vol. 48, n 5,
1997.
(54) Ils mobilisent l'enqute Innovation du SESSI, les BIC et l'ESE de 1984 et de
1991.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences tation faite par Stphane Beaud et Michel Pialoux dans une tude
rcente sur lindustrie automobile : lors de la mise ltude de nouveaux modles, les constructeurs embauchent davantage de titulaires
de baccalaurats professionnels au dtriment de personnes moins
qualifies 55. La mise en place de nouveaux modles est, en effet, loccasion pour lentreprise de dvelopper des innovations. Cela se traduit
par des disparitions de fonctions et par le remplacement des agents de
matrise par des moniteurs. Lembauche de jeunes plus qualifis que
les anciens entrane de part et dautre des sentiments de malaise.
Nathalie Greenan propose une interprtation de ces rsultats. Ltude
Duguet-Greenan, prcdemment voque, et les rponses des entreprises aux enqutes COI sur ce qui motive les rorganisations et linformatisation suggrent que linnovation obirait un cycle de vie induit
par les jeux de la concurrence qui irait de linnovation de produit linnovation incrmentale et de procd. On aurait connu en France une
phase dinnovation de produit importante au dbut des annes quatrevint-dix, suivie dune phase dinnovation de procds o linformatique
a t mobilise. Si linnovation radicale de produit favorise plutt la
main-duvre de conception, lamlioration incrmentale a tendance
favoriser la main-duvre dexcution. Or depuis 1994, la mainduvre dexcution cesse de dcliner dans la main-duvre productive. Il serait utile de disposer dune radioscopie de lorientation de linnovation en France.
Thomas Coutrot croise les dclarations mensuelles de mouvements
de main-duvre des entreprises (DMMO) et leurs rponses lenqute Rponse de la DARES de 1992 et 1998 56 57. Lenqute
Rponse permet de disposer, pour chaque tablissement, de plu(55) Pialoux (M.) et Beaud (S.), Retour sur la condition ouvrire, enqute aux
usines Peugeot-Sochaux, Fayard,1999.
(56) Coutrot (T.), Innovation et gestion de l'emploi, Premires Informations et
Premires Synthses, n 12.1, 2000. Cette tude a t prsente l'Atelier le 17
janvier 2002.
(57) Les enqutes Rponse 92 et Rponse 98 ont t ralises par BVA sur
commande de la DARES au dbut de 1993 et au dbut de 1999. 3 000
responsables d'tablissement et 1 700 reprsentants du personnel dans les
mmes tablissements ont t interrogs en face face. En 1999, 10 000 salaris
ont t interviews par voie postale. Ces enqutes analysent les relations
professionnelles et les ngociations d'entreprises. Elles contiennent des
informations sur la structure de la main-d'uvre, les relations professionnelles, la
situation conomique de l'entreprise, son organisation et les technologies mises en
uvre et la gestion de la main-d'uvre.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences sieurs indicateurs de lintensit du recours linnovation technologique
ou organisationnelle, laide desquels Thomas Coutrot construit un
indicateur global de lintensit du recours linnovation 58. Il observe
que les tablissements les plus innovants emploient davantage de
salaris trs qualifis. partir dun modle explicatif de lvolution de
lemploi par niveau de qualification, il trouve que, toutes choses gales
par ailleurs, plus un tablissement est innovant, plus il est probable
quil cre des emplois qualifis au dtriment demplois non qualifis.
Thomas Coutrot et Jennifer Siroteau ont examin lexistence et la
nature ventuelle du lien entre la dynamique de croissance des effectifs dans les professions et la diffusion de lusage de linformatique en
France, entre 1991 et 1998 59. Les statistiques mobilises sont lvolution des effectifs des familles professionnelles (FAP) retraces par les
enqutes Emploi de lINSEE, le taux dutilisation de linformatique et
lintensit dutilisation (nombre de minutes/jour) pour ces mmes
familles professionnelles, issues des enqutes "Conditions de travail"
1991 et 1998 de la DARES. Cette approche ne fait apparatre aucune
corrlation globale entre la croissance des effectifs dune profession et
lintensit de son recours linformatique. En 1991, dans tous les
mtiers, la part des utilisateurs de linformatique augmente. Parmi les
(58) Concrtement, l'indicateur global est construit en comptant le nombre de
conditions que runit l'tablissement parmi les suivantes :
1. Plus de 20 % des salaris participent des groupes de qualit, des groupes
de projets ou des quipes de production autonome,
2. L'tablissement pratique au moins deux des trois dispositifs suivants : le juste
temps, la norme ISO, la suppression d'un niveau hirarchique au cours des trois
dernires annes,
3. L'tablissement signale un changement organisationnel important au cours des
trois dernires annes,
4. L'tablissement signale un changement technologique important au cours des
trois dernires annes,
5. Plus de 50 % des salaris utilisent un micro-ordinateur, ou il existe des robots
ou des systmes assists par ordinateur,
6. Plus de 20 % des salaris sont connects un rseau interne ou plus de 5 %
Internet.
(59) Coutrot (T.) et Siroteau (J.), Dynamique des mtiers et usage de
l'informatique : une approche descriptive", Premires Informations et Premires
Synthses, n 16.1, 2002 et Dynamique des mtiers et usage de l'informatique :
une approche descriptive", tude ralise la demande du Commissariat gnral
du Plan dans le cadre des travaux du groupe Prospective des mtiers et des
qualifications et prsente le 13 dcembre 2001.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences professions les plus cratrices demploi, on trouve aussi bien des professions fortement utilisatrices de linformatique ou dveloppant fortement son usage, que des professions peu utilisatrices ou utilisant peu
linformatique. Seules les professions en net dclin, celles o le plus
demploi ont t dtruits, ont eu tendance sinformatiser moins que
les autres. Diffrencier lanalyse par niveau de qualification, ne permet
pas de faire apparatre de lien robuste entre vitesse dinformatisation
et volution de lemploi dune profession et, ceci aucun niveau de
qualification. Il est probable que linformatisation nest pas le facteur
principal de lvolution de lemploi au sein des professions. En
revanche, les salaris des professions les plus qualifies sont ceux qui
ont le plus accs linformatique. Il sagit l dune relation robuste et
les carts ont augment au cours des annes quatre-vingt-dix.
Le biais technologique est li labondance
des ressources en main-duvre qualifie
Tandis que le nombre de jeunes diplms sest considrablement
accru en France, au cours des dix dernires annes, une proportion
de plus en plus grande dentre eux a subi un dclassement. En effet,
un investissement ducatif particulirement important en France
depuis dix ans, sest traduit par le fait que les jeunes actifs y sont de
plus en plus diplms. Ils sont aussi de plus en plus nombreux occuper un emploi qui nest pas en rapport avec leur niveau de diplme se
trouvant ainsi "dclasss sur le march du travail" 60.
Le phnomne de dclassement peut sinterprter comme la consquence dun comportement dassurance des entreprises face aux
risques de toutes sortes. Ce mcanisme a t favoris pendant les
annes quatre-vingt-dix par limportance du chmage et par le cot
relativement lev du travail non qualifi par rapport au travail qualifi,
du moins jusqu la mise en place des politiques de baisses de
charges cibles sur les emplois non qualifis. Ainsi, les entreprises
franaise ont-elles pu, par effet daubaine, se rorganiser pour
employer en priorit une main-duvre qualifie relativement abondante et bon march. Toutefois, le phnomne de dclassement
(60) Voir ce sujet, Giret (J.-F.), Pour une conomie de l'insertion professionnelle
des jeunes, tude CNRS, ditions 2001 et Nauze-Fichet (E.) et Tomasini (M.),
Diplme et insertion sur le march du travail", sminaire du CREST, sance du 31
janvier 2002 :
http://www.crest.fr/seminaires/recherche/20012002/diplomeinsertion.pdf
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences touche de faon trs ingale les diffrentes filires : les diplms des
filires scientifiques et techniques, tant les plus recherchs, se trouvent trs rarement dclasss. Dautre part, la mobilit en dbut de vie
active favorise pour les plus qualifis la construction de parcours professionnels rmunrateurs par la suite.
Tableau 1
volution de 1990 2000 du nombre dactifs de 18 29 ans
et de leur taux de dclassement selon le diplme
Diplme
Grandes coles
Second cycle universitaire
Premier cycle, BTS, DUT
Bacs gnraux et brevets de techniciens
Bacs techniques et professionnels
CAP, BEP
BEPC
Aucun diplme
Ensemble
Nombre dactifs
Variation en %
Taux de dclassement
Variation relative en % (*)
+ 68 %
+ 74 %
+ 77 %
+ 10 %
+ 387 %
40 %
30 %
+7%
+ 78 %
+ 44 %
+ 97 %
+ 132 %
+ 120 %
49 %
13 %
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences te, conduisent une baisse sensible du taux de chmage (6,7 % en
2005 et 5,5 % en 2010). Selon cette projection, les effectifs des cadres
(+ 25 % entre 2000 et 2010) et des professions intermdiaires (+
15 %) continueront voluer plus rapidement que lensemble, de
mme que ceux des employs de commerce et de services au particulier (+ 25 %), tandis que ceux des ouvriers non qualifis (+ 6 %) et
des autres employs (+ 6 %) crotraient plus lentement. Avec une
hypothse de croissance moins favorable, les emplois douvriers non
qualifis et demploys, autres que ceux du commerce et des services
aux particuliers, pourraient dcrotre.
Par domaines professionnels, les volutions les plus dynamiques sobserveraient dans les tudes et la recherche (+ 66 % soit 170 000
emplois crs) et dans linformatique (+ 53 % soit 204 000 emplois
crs). Les crations demplois dans les domaines professionnels
directement lis aux TIC seraient donc importantes 62. Toutefois, en
volutions absolues, les crations demplois seraient nettement plus
importantes dans les services aux particulier, la gestion et ladministration, le commerce, le tourisme et le transport (voir tableau 2).
Tableau 2
Perspectives de lemploi par grands domaines professionnels :
les domaines les plus dynamiques
Domaine professionnel
Service aux particuliers
Gestion administration
Commerce
Tourisme et transport
Sant, action sociale, culturelle et sportive
Informatique
Industrie de process
tude et recherche
Enseignement
Communication, information, spectacle
Emploi en 2010
3 668
3 007
2 541
2 042
2 094
590
1 255
427
1 385
458
volution 2000-2010
En milliers
En %
793
480
306
303
239
204
176
170
167
105
27,6
19,0
13,7
17,4
12,9
53,0
16,3
66,3
13,7
29,9
(62) Ces rsultats ne peuvent tre compars ceux de l'tude du BIPE (op. cit.)
qui value l'impact des TIC sur l'emploi par secteur d'activit et non par profession.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences Dautre part, les dparts en retraite crent des besoins de renouvellement qui dpendent de la pyramide des ges de chaque profession et
du calendrier des dparts. La prise en compte des dparts en retraite
et des emplois crs permet dvaluer les besoins de recrutement
annuel par profession hors mobilit interprofessionnelle. Sur la priode 1995-2000, les taux de recrutement annuels les plus importants ont
t observs pour les ouvriers des industries de process (8 %), les
assistantes maternelles et les personnes ges (7 %) comme les professionnels de laction sociale, culturelle et sportive (+ 6 %). Entre
2000 et 2010, les taux de recrutement les plus importants concerneraient les assistantes maternelles (13 %), les personnels dtudes et
de recherche (+ 12 %), les informaticiens (+ 8,5 %). Ces travaux mettent en vidence que les besoins les plus importants ne concernent
pas uniquement des emplois lis aux TIC et ne correspondent pas
tous des emplois qualifis. Ils permettent de relativiser le discours
normatif sur le fait que les TIC entraneraient les crations demplois.
Aux tats-Unis, o les travaux du BLS ont cibl les besoins en formation depuis dix ans, les TIC ont peu particip la croissance de lemploi 63. Les tats-Unis ont une avance denviron cinq ans sur la France
et lEurope dans le dveloppement des TIC. Il est donc possible de
penser que la dformation de la structure des emplois aux tats-Unis
prfigure la dformation de la structure des emplois en France avec un
dcalage du mme ordre. Naturellement, cette prfiguration est partielle car elle ne tient pas compte de facteurs spcifiques chaque
pays, comme par exemple, la structure des populations actives et les
besoins de renouvellement lis aux dparts en retraite ou les dispositifs de gestion du march du travail et des qualifications (cf. supra).
Au cours des annes 1989 1997, les tats-Unis ont surtout dvelopp des emplois correspondant des filires de formation de niveau
Bac + 2 Bac + 5 mais galement des emplois peu qualifis. En
revanche, les emplois ncessitant des formations de niveau doctorat
ont baiss. Les mtiers spcifiques aux TIC ont peu particip la
croissance de lemploi, mme parmi ceux demandant une qualification
leve. Les juristes, les ingnieurs, les biologistes, les professeurs
font partie des professions qui se sont le plus dveloppes. Les services de sant, les services juridiques, lindustrie du mdicament et les
administrations (y compris lducation) sont les branches qui ont le
plus particip la croissance de ces emplois.
(63) Les effets de l'introduction des TIC sur le travail et les qualifications, op. cit.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences nisationnels. Le tltravailleur doit matriser suffisamment bien les TIC
pour tre autonome dans leur usage et leur maintenance courante. Le
suprieur hirarchique ne peut pas contrler les moyens quil met en
uvre, en particulier son temps de travail. Sauf mettre en place des
moyens dassistance et de contrle particuliers, coteux et inquisitoriaux, les personnes les mieux adaptes au tltravail sont celles qui
ont galement dans lensemble de leur travail une autonomie permettant de les grer par objectifs. Les mthodes actuelles de management de nombreuses entreprises, surtout parmi les PME, bases sur
la proximit, sont mal adaptes au tltravail. Leur remise en cause
supposerait une motivation forte. Enfin, le tltravail, dans ses versions les plus extrmes, pourrait bien tre un frein la coopration. La
communication comporte une composante affective qui ne sexprime
aisment sans un minimum de contacts directs 65. Dautre part, certaines formes de travail collectif exigent dtre prsent en un mme
lieu. Enfin, la cohabitation donne des occasions de contact, donc dchange dinformation et de coopration ventuelle, qui ne se produiraient pas autrement. De fait, si par tltravail, on entend le fait de travailler exclusivement, ou mme principalement, en dehors de son
entreprise, grce une connexion avec celle-ci, cette pratique demeure marginale. En revanche, raliser une petite partie de son travail
dans de telles conditions concerne une fraction non ngligeable, et
croissante, des travailleurs.
Plusieurs tudes ont tent dvaluer la diffusion du tltravail. Selon
lEurobaromtre, il y avait 10 millions de tltravailleurs en Europe en
2000, soit 6 % des actifs et un million de plus que lanne prcdente.
Les cadres suprieurs, les plus familiers de lusage des TIC, sont
aussi les plus concerns par le tltravail (15 %). Toutefois, ces rsultats ne sinterprtent pas aisment car le tltravail recouvre des situations diversifies aux contours souvent flous que lon ne peut apprhender laide dune simple question. Selon Denis Brard "Le tltravail se pratique de plus en plus de faon souterraine et informelle, le
salari demandant travailler occasionnellement un ou deux jours
chez lui" 66.
(65) La part des nombreux colloques sur le tltravail qui sont des
tlconfrences est minime.
(66) Voir Le tltravail en question : analyse critique partir de 10 cas
d'entreprises, coodonn par Denis Brard, ANACT, 2002 :
http://www.anact.fr/pdf/teletravail.pdf
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences Ltude du SIBIS 67 sattache dfinir ces diffrentes situations et en
valuer la diffusion 68.
Le tltravail salari domicile (travail sur un ordinateur connect
lentreprise) concerne 7,4 % des actifs en Europe. Pour 5,3 % des
actifs, il sagit dun travail "additionnel", le salari continuant se
rendre quotidiennement dans lentreprise. Inversement, 2,1 % des
actifs travaillent domicile au moins un jour complet par semaine ;
dans ce cas, le tltravail se substitue au moins partiellement au travail en entreprise. Parmi ceux-ci, seuls 0,2 % des actifs pratiquent le
tltravail temps complet en tant que salaris, les autres (1,9 %) pratiquant le tltravail "pendulaire 69".
Le tltravail mobile (ou nomade) consiste ne pas avoir de lieu de
travail principal et utiliser des connexions internet mobiles ou
variables selon ses dplacements. Il concerne 4 % des emplois en
Europe. Mais plus de 80 % des personnes concernes passent moins
de 10 heures par semaine lextrieur de lentreprise.
Enfin, on considre comme tltravail le travail domicile (partiellement ou totalement) de travailleurs indpendants, ds lors quil existe
une connexion avec un autre lieu de travail ou avec des clients. Cette
situation concerne 3,4 % des actifs en Europe.
Compte tenu des recouvrements entre certaines de ces situations (par
exemple des tltravailleurs nomades qui travaillent galement
domicile), le tltravail concerne 13 % des actifs en Europe.
Il semble que le tltravail domicile cre marginalement des
emplois : dans ltude SIBIS, 17 % des tltravailleurs salaris domicile ont rpondu que, sils ntaient pas autorises pratiquer le tltravail, il est probable quils ne pourraient pas avoir un emploi
rmunr ; autant pensent quils seraient amenes rechercher un
employeur plus proche de leur domicile, et plus dun quart considrent
quils devraient probablement rduire leurs horaires de travail. Pour la
(67) Le SIBIS Statistical Indicators Benchmarking the Information Society est l'un
des projets du programme pour la socit de l'information de la Commission
europenne courant janvier 2001 juin 2003
(68) Les chiffres qui suivent sont tirs de l'tude du SIBIS : The Intensity of
Telework in EU, Switzerland, and the USA", Karsten Gareis, empirica Gesellschaft
fr Kommunications oud Technologieforschung mbH, Bonn, www.sibis-eu.org
(rubriques publications" puis articles"), septembre 2002.
(69) Selon la terminologie de l'ANACT, cf. note.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences majorit des personnes qui le pratiquent, le tltravail domicile amliore lefficacit du travail. Cette amlioration tient grandement la
souplesse que permet le fait de pouvoir travailler aussi domicile, et
de ce fait, de mieux amnager ses horaires de travail. Malgr ces
avantages, 2,5 % des salaris ont cess le tltravail domicile, aprs
lavoir un temps pratiqu, soit un tiers de leffectif des tltravailleurs
salaris actuels. Car le tltravail a aussi ses exigences : une forte discipline et une forte autonomie personnelle. De laveu mme des personnes concernes, il se traduit souvent par un allongement des
horaires de travail. Le contrle par lencadrement du travail effectu
est aussi plus difficile 70.
Toutes formes confondues, la pratique du tltravail se diffuse parmi
les actifs en Europe : selon ltude du SIBIS, la proportion des actifs
concerns a plus que doubl depuis 1999. Le lieu de travail est de plus
en plus mobile et le domicile du salari est de plus en plus souvent un
point de contact avec lentreprise. Toutefois, lentreprise reste le principal lieu de travail et, depuis 1999, la diffusion du tltravail na pas
permis aux salaris, sauf exceptionnellement, de rduire leurs transports domicile-travail : la proportion de salaris tltravaillant au moins
une journe par semaine domicile stagne autour de 2 % des actifs
et le tltravail domicile plein temps reste trs marginal.
Le tltravail sous toutes ses formes (y compris donc celles o il ne
concerne quune faible part du temps de travail) est nettement plus
dvelopp aux tats-Unis (25 % des actifs) quen Europe (13 %). Le
dveloppement du tltravail dans les pays nordiques est cependant
comparable celui observ aux tats-Unis. Le tltravail est particulirement peu rpandu en France o il ne concerne que 6,3 % des actifs.
Linnovation et la flexibilit de lemploi sont souvent associes
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences Une autre stratgie consiste sassurer par des innovations rptes,
une suite de monopoles temporaires sur des qualits de produits que
lentreprise sera seule produire. ce titre, les innovations constituent
un mode dajustement par la qualit. Lorsquune entreprise souhaite
faire de linnovation un axe stratgique de dveloppement, elle doit
dvelopper la polyvalence, le travail en groupe, la communication horizontale, lautonomie des salaris.
partir de l, les approches thoriques divergent selon quelles privilgient la complmentarit ou la substituabilit entre ces deux formes
de flexibilit.
Thomas Atkinson puis Robert Boyer dfendent lhypothse dune substituabilit entre flexibilit fonctionnelle (polyvalence des salaris, par
exemple) et flexibilit numrique (variation du nombre de salaris),
entre flexibilit interne et externe. Leurs principaux arguments sont :
limportance de linnovation incrmentale impliquant un systme de
suggestions permanentes par les salaris (kaizen) et faisant appel
leur mobilisation et leur implication ;
lexistence dune main-duvre qualifie et polyvalente ;
lexistence de qualifications spcifiques, de comptences tacites
"portes par les individus".
Linnovation dans ce cadre conduit une plus grande stabilit des
emplois : moins de dmissions, moins de licenciements, moins de
recours lintrim et aux CDD.
Un autre courant de la littrature, que prsentent notamment Peter
Cappelli et David Neumark soutient lhypothse de complmentarit,
sur la base des arguments suivants 72:
linnovation radicale domine : les salaris en place risquent de freiner linnovation car elle rend leurs comptences spcifiques inutiles ;
les mcanismes de flexibilit ont des rendements dcroissants, ce
qui ncessite de les mobiliser tous ;
(72) Cappelli (P.) er Neumark (D.), External Job Churning and Internal Job
Flexibility", document de travail du NBER n 81-11, 2001.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences les TIC permettent dautomatiser les contrles et de codifier les
savoirs et les comptences spcifiques des salaris afin quils soient
"ports par lorganisation". Les salaris deviennent alors substituables 73.
Linnovation entrane alors une plus grande prcarit des emplois :
licenciements plus nombreux et plus frquents, voir dmissions plus
frquentes, recours accru lintrim et aux CDD.
Quen est-il en France actuellement ? Thomas Coutrot propose, pour
la premire fois, une analyse statistique approfondie de cette question,
en rapprochant des donnes issues de lenqute COI, de lenqute
Rponse de 1999 et des dclarations de mouvements de mainduvre (1998-1999) 74. Il distingue limpact des innovations technologiques et celui des innovations organisationnelles, dans lindustrie
comme dans les services. Dans un premier temps, Thomas Coutrot
ralise une typologie des tablissements innovants, puis il modlise le
recours aux diffrentes formes demploi (intrim, CDD) et les variables
de gestion de la main-duvre en tenant compte notamment du
caractre innovant ou non des tablissements observs. Ses principaux rsultats montrent que :
les tablissements innovants crent et dtruisent plus demploi que
les autres tablissements. Linnovation se traduit en particulier par la
cration demplois de cadres. Si lvolution de lemploi peut dpendre
du caractre innovant ou non de ltablissement, elle dpend de nombreuses autres variables, et en premier lieu du dynamisme de la
demande. Pour tudier linfluence de linnovation sur lemploi, Thomas
Coutrot, en mobilisant lanalyse conomtrique, prend en compte lensemble de ces variables. Ainsi, toutes choses gales par ailleurs, la
probabilit dune augmentation de lemploi qualifi dans ltablissement saccrot avec le degr dinnovation, tandis que la probabilit
dune hausse de lemploi non qualifi dcrot avec ce degr dinnovation ;
les tablissements innovants pratiquent plus que les autres une gestion individualise et slective de la main-duvre. Plus un tablisse(73) Caroli (E.), Flexibilit interne versus flexibilit externe du travail : quels
lments peut-on tirer de la firme en termes de comptences", Rapport INRA-LEA,
1999.
(74) Innovation et stabilit des emplois", op. cit.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences ment est innovant, plus sa gestion des ressources humaines se base
sur des hausses de salaires individualises, des primes individuelles,
des procdures formalises de notation, des stock-options ainsi que
des entretiens annuels dvaluation. Plus un tablissement est innovant, plus il est frquent que lvaluation des salaris ait une influence
sur leur formation et sur la scurit de leur emploi. Plus un tablissement est innovant, plus il est frquent quil licencie et embauche simultanment dans les mmes catgories de personnels, tant parmi les
ouvriers et employs que parmi les ingnieurs, les cadres ou les techniciens ;
globalement, les tablissements innovants ont davantage recours
que les autres lintrim et par consquent moins aux CDD mais le
recours lintrim et aux CDD dpend de nombreuses autres
variables que linnovation.
laide de modles conomtriques, Thomas Coutrot value linfluence propre de chacune de ces formes dinnovation sur les diffrentes
formes demploi, et obtient les rsultats suivants :
les liens entre innovation et instabilit de lemploi sont plus marqus
dans lindustrie que dans les services ;
linnovation organisationnelle saccompagne dune plus grande prcarit de lemploi. En particulier, elle saccompagne dun accroissement des taux de licenciements quels quen soient les motifs. Cette
conclusion mrite toutefois dtre vrifie car, dans lenqute
Rponse, on mesure les rorganisations par les rponses des entreprises des questions comme "avez-vous pratiqu tel type de rorganisation ?", qui ne permettent pas de vrifier la nature relle des innovations. La solution passe par une description fine des changements
rels de lorganisation du travail. Cependant les rsultats de Thomas
Coutrot confirment ceux obtenus par Nathalie Greenan partir de lenqute COI : dans lindustrie, ce sont les innovations organisationnelles
qui dtruisent des emplois et non les innovations technologiques ;
linnovation technologique favorise la dualisation de lemploi : prennisation de lemploi pour les insiders et dveloppement dun volant de
main-duvre flexible. niveau de croissance donn, la mise en place
dune innovation cre une incertitude qui peut motiver un recours
accru lintrim et aux CDD ; globalement, innovation et prcarit
(flexibilit) de lemploi apparaissent comme souvent associes. Les
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences donnes disponibles ne permettent pas de savoir si elles sont rellement complmentaires, cest--dire si leur combinaison est efficace en
termes de productivit ou si leur association est sous-optimale. A fortiori, il nest pas possible de mettre en rapport un ventuel surcrot de
productivit avec les cots sociaux de la prcarit.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences mergence" ralise dans le cadre de ce travail, le LENTIC propose
une discussion de cette thse que nous reprenons ci-dessous 75.
Pour les tenants de la thse de la pnurie, reprsents principalement
par les associations professionnelles, lcart entre les besoins des
entreprises et les capacits de formation dinformaticiens ne cesse de
se creuser. Aux tats-Unis, le dpartement du Commerce a estim
quentre 1994 et 2005, au moins un million de nouveaux informaticiens, ingnieurs, analystes systmes et programmeurs seraient
ncessaires, soit 95 000 nouveaux entrants par an. Face un flux
annuel de 24 500 diplms en informatique dans les tablissements
denseignement suprieur, le foss paraissait suffisamment important
pour demander que lon augmente le nombre de visas dmigration
pour ce groupe professionnel particulier. En Europe, lEuropean
Information Technology Observatory (EITO) estime 1,2 million ltat
de la pnurie en 2000, tous secteurs confondus. Ce chiffre devrait progresser 1,69 million en 2003. En France, cette pnurie serait de
180 000 travailleurs en 2000 et denviron 220 000 en 2003. Dans une
tude effectue pour Microsoft France en 1999, le cabinet Pierre
Audoin Conseil a valu que 500 000 emplois nouveaux seraient
crs lhorizon 2005, alors que seuls 11 000 12 000 nouveaux
entrants seraient issus des filires spcialises en informatique de
type Bac + 4 Bac + 6 et de 6 000 7 000 des filires Bac + 2 Bac
+ 3. En novembre 2000, lors dune confrence de presse, le Syntec
Informatique estima la pnurie 30 000 personnes. La forte mobilit
de la main-duvre informatique en serait un indicateur supplmentaire. Pour les tenants de cette thse, le constat est clair : "il existe une
demande structurelle dinformaticiens que le systme ducatif spcialis ne parvient pas satisfaire. Il convient ds lors de mettre en place
diffrentes stratgies pour pallier ce manque de ressources, que ce
soit en sensibilisant les jeunes aux disciplines scientifiques, en allgeant la fiscalit des entreprises du secteur afin de faire face la croissance salariale induite par ce phnomne, ou encore en ouvrant plus
largement les frontires aux travailleurs trangers".
(75) Pichault (F.), Zune (M.) et Rorive (B.), TIC et mtiers en mergence",
ministre de l'conomie, des Finances et de l'Industrie, DIGITIP, Collection Chiffres
Cls - Analyse. Cette tude a t commandite par la DIGITIP dans le cadre des
travaux du groupe Prospective des mtiers et des qualifications" ; elle est
disponible sur le site http://www.industrie.gouv.fr/accueil.htm, rubrique " tudes et
bilans ", 2002.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences Le LENTIC conteste la possibilit de quantifier le dsquilibre ventuel
du march du travail en matire de TIC, et donc de valider la thse de
la pnurie de comptences TIC, faute de donnes aisment interprtables 76. Selon le LENTIC, cette situation donne prise des manipulations du march (et de linformation) par des acteurs qui ont intrt
accrditer la thse de la pnurie (ou attiser la pnurie).
Des chercheurs scientifiques tiennent lvaluation quantitative de la
pnurie pour impossible et ds lors ne valident pas les rsultats et les
estimations qui prcdent. Face ces divers arguments et lhtrognit des rsultats et des estimations obtenus, des statisticiens et
des conomistes ont mis en vidence les nombreux problmes mthodologiques lis ces tentatives dvaluation. Ils argumentent quaucune source de donnes existante ne permet de mesurer prcisment
les pnuries de main-duvre et que, derrire lapparente simplicit de
cette notion et de son valuation un niveau macro-conomique, se
cachent de nombreux cueils de nature micro-conomique qui en
empchent le calcul. Linadquation des nomenclatures professionnelles face lextrme htrognit des appellations et des fonctions
dans linformatique est un premier argument. Des conomistes ont
montr que comparer des prvisions de crations demploi et de
nombres de diplms ne pouvait suffire mesurer une pnurie. Ils proposent de recourir des indicateurs multiples : croissance du niveau
de lemploi, diminution des taux de chmage, augmentation des
salaires, augmentation des offres demploi. En sagrgeant et en se
recoupant, ces indicateurs peuvent mener des indices dventuelles
tensions. Toutefois, aucun dentre eux ne permet, de manire non
ambigu, de conclure un tat de pnurie.
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- Limpact des TIC sur les mtiers et les comptences En revanche, quelques caractristiques du secteur des TIC concourent aux difficults de recrutement :
rythmes dinnovation soutenus ncessitant lengagement de travailleurs directement oprationnels sans effort de formation particulier ;
discrimination lencontre des travailleurs gs jugs moins adaptables linnovation ;
intervention intresse des cabinets de recrutement pour favoriser
les mouvements de main-duvre
Face ces incertitudes, le LENTIC considre quil nest pas possible
de se prononcer sur la thse de la pnurie de comptences TIC. Pour
ce qui est des informaticiens, les projections par familles professionnelles de la DARES conduisent anticiper 20 000 emplois nouveaux
par an lhorizon 2010, et compte tenu des dparts, un besoin annuel
de recrutement compris entre 55 000 et 70 000. Dautre part, la
DARES et lUNEDIC publient, par famille professionnelle, des indicateurs de tension, qui, bien quimparfaits, permettent nanmoins de
suivre lvolution de la situation.
Pendant quelques annes, le nombre dinformaticiens en activit a
augment rapidement et les difficults de recrutement ont t leves.
Mais, depuis lt 2001, les recrutements ont t trs fortement ralentis. la faveur du retournement de conjoncture, le march du travail
dans ce secteur se banalise rapidement : au second semestre 2001 le
flux des nouvelles offres demploi est devenu infrieur au flux des
demandes. Le taux de chmage est en augmentation et son niveau
actuel (6% en juin 2002) est comparable, voire suprieur ceux
dautres familles professionnelles qualifies 77. Toutefois, les informaticiens ne correspondent qu une partie des emplois lis aux TIC et lon
ne dispose pas dinformation sur dautres domaines professionnels
fins pertinents (ingnieurs lectroniciens par exemple).
(77) Selon la DARES, le nombre d'informaticiens a augment de 27 % entre 1995
2000, puis au rythme de 15 % l'an jusqu' l't 2001. Le ratio des nouvelles offres
d'emploi aux nouvelles demandes, qui fluctuait entre 1,1 et 1,4 jusqu'en mars 2001
est descendu 0,5 en mars 2002 tandis que le taux de chmage de la profession
remontait de 4 % 6 %. D'autres familles professionnelles telles les cadres de la
banque et des assurances connaissaient encore un taux de chmage de 3 % en
mars 2002. Voir : Atelier 1 : sance du 14 novembre 2000, contribution d'Agns
Topiol-Bensad (DARES) ; Les tensions sur le march du travail en juin 2002",
UNEDIC et DARES, Premires Informations et Premires Synthses, n 41.1,
octobre 2002, et publications antrieures.
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Les risques dexclusion
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(78) Fvrier (P.) et Heitzmann (R.), L'industrie franaise l'heure des TIC", Le 4
pages des statistiques industrielles", SESSI, n 135, aot 2000.
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Des ingalits
dans lutilisation des TIC
Tandis que les personnes ont des capacits d'appropriation ingales des TIC, chaque innovation est de fait diffuse en priorit
vers les plus diplms, tant au sein de l'entreprise que pour les
usages privs.
La proportion des salaris qui utilisent l'informatique a considrablement augment en France au cours des quinze dernires annes. En
1998, un peu plus de 50 % des salaris utilisaient un ordinateur dans
le cadre de leur travail ; ils n'taient que 39 % en 1993 et 26 % en
1987 79.
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- Des ingalits dans lutilisation des TIC Le lien troit entre le mode d'usage de l'informatique d'une part, le
diplme et la situation professionnelle d'autre part permet de penser
que l'utilisation de l'informatique ne bouleverse pas les hirarchies professionnelles. En effet, en 1998 comme dans les annes antrieures,
les cadres et les professions intellectuelles suprieures ont le plus
accs ces outils, suivis de prs par les professions intermdiaires,
tandis que les ouvriers, surtout les non qualifis, y ont le moins accs.
Entre ces deux catgories extrmes, l'cart des taux d'accs a mme
augment entre les deux dates (tableau 3).
Tableau 3
Proportion de salaris utilisant l'informatique
selon la catgorie socioprofessionnelle
Cadres et
professions
intellectuelles
suprieures
Professions intermdiaires
Employs
Ouvriers qualifis
Ouvriers non qualifis
1987
1991
1993
1998
51,0
38,8
30,5
7,4
3,3
62,8
49,4
39,8
10,2
5,3
70,5
54,2
43,3
13,8
6,5
85,0
70,9
51,4
23,9
10,9
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- Des ingalits dans lutilisation des TIC socioprofessionnelles sont celles qui dclarent s'en servir aussi
domicile, leur travail dbordant ainsi dans la sphre domestique. Prs
de 45 % des cadres administratifs d'entreprise et des ingnieurs utilisateurs prcisent qu'en fait ils s'en servent partout, aussi bien chez
eux qu'au travail ou en dplacement professionnel.
La diffusion d'Internet est encore plus litiste selon le diplme et la profession. Les mtiers les plus utilisateurs sont les ingnieurs technicocommerciaux en informatique (90 %), les chercheurs de la recherche
publique (85 %), les ingnieurs et les techniciens de l'informatique,
enfin les enseignants du suprieur. Pour les grandes catgories socioprofessionnelles, les cadres sont ceux qui se servent le plus d'Internet
(29 %) suivi des professions intermdiaires (8 %). Les employs ne
sont que 3 % et moins de 1 % des ouvriers ont accs Internet.
De plus, le degr de matrise des TIC s'avre trs diffrenci. Les
cadres, les enseignants, les techniciens, les professions intermdiaires et les employs administratifs sont plus nombreux les utiliser
et ceci sans qu'on leur ait l'avance indiqu l'ensemble des oprations
raliser. Ils ont la possibilit de choisir leurs programmes et leurs
logiciels. Les dures d'utilisation sont assez contrastes. Les ingnieurs, les techniciens, les cadres, les professions intermdiaires et
les employs font un usage quasi permanent des ordinateurs. Les
cadres et les intermdiaires commerciaux, les vendeurs, les ouvriers
du magasinage et de la manutention se servent des TIC de faon
moins systmatique, dans leurs relations avec les clients et les fournisseurs. Les ouvriers industriels, qualifis ou non, les personnels des
services mdicaux et sociaux, les agents de matrise, les utilisent
encore moins longtemps. D'autre part, l'adoption d'Internet domicile
est fortement corrle son utilisation au travail : plus on utilise
Internet au travail, plus il est frquent que l'on en dispose aussi domicile.
L'utilisation de l'informatique ne dpend pas uniquement de la place
occupe dans l'entreprise. Elle crot aussi en fonction du capital culturel de la personne, dont le niveau de diplme constitue un bon indicateur. Ainsi, les taux d'utilisation selon le niveau de diplme rvlent des
carts considrables (voir tableau 4) : en 2001, alors que 78 % des
diplms du suprieur utilisent un micro-ordinateur, seuls 11 % des
sans diplmes le font.
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Oui
Non
Total
Aucun, Cep
BEPC
Bac
Diplme du suprieur
11
31
61
78
89
69
31
22
100
100
100
100
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Source : CREDOC, enqute sur les Conditions de vie et aspirations des franais",
juin 2001
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- Des ingalits dans lutilisation des TIC L'ingalit dans l'accs aux TIC recouvre l'ingalit d'accs la formation continue au sein des entreprises : en 1999, 55 % des techniciens et des agents de matrise et 53 % des ingnieurs ont bnfici
d'un stage dans le cadre du plan de formation continue de leur entreprise ou de leur administration contre seulement 19 % des ouvriers
non qualifis 84. En effet, les salaris doivent apprendre se servir des
nouveaux outils et l'accs ces outils mobilise une part importante des
actions de formation : plus du quart des stages concernent l'informatique et la bureautique selon l'enqute complmentaire l'enqute
emploi sur la formation continue (tableau 5). Toutefois, s'ils sont les
plus nombreux, les stages informatiques sont galement les plus
courts : 9 sur 10 durent moins d'une semaine. La moiti des utilisateurs de l'informatique ne reoivent pas de formation spcifique. Ces
actions de formation concernent essentiellement les cadres et les
employs et sont presque inexistantes pour les ouvriers.
Tableau 5
Les formations informatiques et bureautiques en 2000
en pourcentage
Spcialit de la formation
1999-2000
1992-1993
25,3
22,0
Techniques industrielles
14,2
15,8
10,5
4,7
10,4
11,5
8,9
9,3
7,9
9,7
Formations mdico-sociales
5,9
5,0
4,2
5,5
3,9
3,1
Langues
Autres formations
Total
2,6
6,3
100,0
3,9
9,5
100,0
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- Des ingalits dans lutilisation des TIC L'accs ingal constat ne doit pas tre assimil l'inaptitude de certains salaris. L'accs aux TIC est notamment trs slectif en fonction
du diplme. Les causes de la slection sont multiples et de natures
diffrentes :
manque de convivialit des outils qui peut souvent tre corrige,
surcot de l'introduction des TIC pour les moins forms ou les moins
qualifis,
comportements de prcaution de la part des entreprises qui ont du
mal valuer les comptences vraiment ncessaires, notamment,
mais sans doute pas seulement, dans les priodes o le cot de la
(sur)qualification est bas.
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- Des ingalits dans lutilisation des TIC d'un ct, les trois quarts des cadres suprieurs et des titulaires de
revenus suprieurs 3 000 euros par mois sont quips domicile,
de mme que 67 % des diplms du suprieur et 58 % des tudiants
et de l'autre, seulement 5 % des plus de 70 ans, 12 % des retraits,
13 % des non diplms et 20 % des titulaires de moins de 1 500 euros
par mois en disposent.
Les disparits entre les individus sont donc considrables. Plusieurs
facteurs expliquent le sous-quipement de certains groupes :
tout d'abord un effet de revenu : le micro-ordinateur est encore un
produit coteux. Tout le monde ne peut investir 1500 euros dans ce
type d'quipement. Les mnages les plus dmunis ont d'autres priorits. La contrainte financire explique notamment le succs des offres
promotionnelles d'ordinateurs entre 900 et 1 200 euros, vendus par les
grands distributeurs depuis 1998 ;
intervient aussi un effet d'ge : au-del de l'ge, il s'agit sans doute
aussi d'un effet de gnration. Les personnes ges n'ont pas eu l'occasion de se familiariser avec cet outil lorsqu'elles taient en activit ;
le niveau scolaire est une autre explication : le micro-ordinateur est
un produit complexe. Il faut savoir brancher correctement les quipements, installer les logiciels, puis savoir utiliser l'outil et donc tre familiaris avec lui ou pouvoir disposer de l'aide d'un proche. Sans un
apprentissage particulier, les diplms sont donc ceux qui rencontrent
moins de difficults utiliser un micro-ordinateur.
Au mois de juin 2001, prs d'un Franais sur cinq disposait chez lui,
d'un accs Internet contre un sur douze en 1999 86. Depuis cette
date, le rythme de diffusion est particulirement soutenu ; il n'est
certes pas aussi important que le taux de croissance du tlphone
mobile, mais il est indubitablement plus lev que celui du micro-ordinateur.
L'accs Internet domicile est avant tout une question de diplme,
de revenus et de profession. Ce constat est partag par Raymond
Heitzmann et Jean-Franois Lou : "La connexion domicile
Internet reste rserve aux catgories sociales suprieures, aux plus
diplms et aux moins de 50 ans. Ainsi 53 % des cadres suprieurs
(86) Heitzmann (R.) et Lou (J.-F.), Internet : les Franais se htent lentement",
Le 4 pages des statistiques industrielles", SESSI, n 152, aot 2001.
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- Des ingalits dans lutilisation des TIC sont connects, de mme que 48 % des personnes vivant dans un
foyer dont le revenu excde 3 000 euros, 43 % des diplms de l'enseignement suprieur, 32 % des tudiants ou lycens et 30 %
d'hommes de moins de 15 35 ans mais que 13 % d'ouvriers". l'oppos, 87 % des non diplms, 77 % des mnages dont le revenu est
infrieur 1 100 euros n'ont jamais fait usage de la Toile.
Ces personnes expliquent leur non-utilisation par :
la non-possession d'un ordinateur (55 % des non connects) ;
l'absence d'utilit (70 % parmi les plus de 6 ans, 62 % pour les non
diplms) ;
la complexit de l'usage (33 % des non diplms, 31 % des
retraits).
L'accs Internet s'avre difficile pour les personnes qui n'ont pas de
culture informatique et n'en ont pas l'exprience dans leur vie professionnelle. Les carts entre les groupes sont donc importants. Ils refltent grosso modo ceux constats propos du micro-ordinateur en les
amplifiant toutefois. Les nouveaux internautes, recenss en 2001, se
retrouvent tre des diplms du suprieur ou de professions intermdiaires, des jeunes de moins de 25 ans ou des tudiants. Lorsqu'une
innovation est lance sur le march, ce sont souvent les individus les
plus favoriss qui l'exprimentent en premier.
La "fracture numrique" qui spare les classes suprieures des
classes populaires peut-elle tre comble, et dans quels dlais ? Le
prix relatif des biens et services TIC baisse rgulirement mais cette
baisse provient essentiellement d'un enrichissement permanent de
l'offre : augmentation des performances lie de nouvelles gnrations de matriel, diversification des services offerts, tandis que le
cot d'entre reste lev. Tant que le micro-ordinateur restera un prix
lev, et tant qu'il ne se dveloppera pas de terminal bon march pour
l'accs l'Internet, il est probable que la "fracture numrique" ne se
comblera pas rapidement. En outre, de nombreuses personnes ne disposent pas de capacits d'appropriation suffisantes d'un progrs technique de plus en plus rapide et se trouvent de ce fait incapables d'utiliser les TIC dans la sphre de la consommation prive comme dans
la sphre du travail. Ces deux facteurs d'exclusion se combinent. Si on
n'a pas l'occasion de se familiariser avec les TIC sur son lieu de travail, on hsitera dbourser une somme assez importante pour ins82
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- Des ingalits dans lutilisation des TIC taller chez soi des outils informatiques dont on ne connat ni les possibilits ni le mode d'utilisation. Inversement, ne pas avoir d'ordinateur
chez soi fait perdre des occasions de se perfectionner, de bnficier
de l'aide des membres de sa famille ou d'amis et d'acqurir ainsi des
savoirs qui pourront amliorer la matrise des TIC au travail. Le fait
qu'une large partie de la population risque de se trouver durablement
l'cart d'un progrs technologique majeur ne peut laisser indiffrent
le responsable politique.
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Les processus
menant l'exclusion
L'individualisation des responsabilits et des processus d'valuation amne une surexposition de la personne car le jugement
se dplace de la tche la personne. De fait, les plus faibles sont
moins protgs et plus souvent exclus.
Les changements qui bouleversent les activits professionnelles sont
le rsultat non seulement des innovations technologiques, mais aussi
des innovations organisationnelles, commerciales et sociales. Dans
cette priode de mutation intense, il est possible toutefois de reprer
de grandes volutions lies l'utilisation massive des TIC 87. Le travail
devient de plus en plus abstrait, interactif et ncessite de savoir grer
de mieux en mieux l'abondance de l'information. Face cette volution du travail, tous les salaris ne sont pas au mme niveau et la difficult s'adapter ces changements est donc source d'exclusion
pour certains d'entre eux ; le dplacement de l'espace de jugement de
la tche la personne accrot le risque de sanction en cas d'chec.
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- Les processus menant lexclusion premiers terminaux informatiques de la fin des annes soixante, mais
la nouveaut est que ce type de travail concerne de plus en plus de
salaris : actuellement, plus de 60 % des salaris utilisent un systme
cran/clavier au moins une fois par jour. 45 % des utilisateurs de
micro-ordinateurs restent plus de 4 heures par jour devant un cran.
Cette gnralisation du travail sur cran correspond aussi un passage massif de l'oral l'crit. Nous reviendrons sur cette consquence dans le paragraphe consacr aux difficults d'appropriation.
Une forme de travail la fois abstrait, machinique et interactif se
rpand. Le "dialogue homme/machine" apparat sur beaucoup de
postes de travail (crans, automates programmables, salles de contrle). Dans la pratique, la plupart des systmes informatiques sont
la fois abstraits et interactifs.
Le nombre de donnes numrises mises la disposition des utilisateurs augmente chaque jour. Les salaris sont amens par consquent grer l'abondance de l'information, attitude nouvelle pour
eux qui avaient surtout l'habitude de grer la pnurie. Le problme de
la gestion de l'abondance se pose aussi avec la messagerie lectronique et le cumul des nombreux outils de communication.
Enfin, le travail exige une gestion du temps de plus en plus dlicate.
En effet, l'utilisation des TIC est trs chronophage : les temps d'apprentissage, de mise au point, d'attente, de dpannage des systmes
sont trop longs par rapport au temps de traitement toujours plus rapide. Les TIC sont dvoreuses de temps que ce soit pour l'apprentissage, pour l'exploitation ou le dpannage
Ce temps n'est bien souvent, ni prvu, ni reconnu par l'entreprise.
Selon l'enqute "Conditions de travail" de 1998, un salari sur quatre
dclare manquer de temps 88. Les cadres et les professions intermdiaires d'entreprise sont les catgories qui estiment le plus souvent
manquer de temps pour faire correctement leur travail, comme devoir
se dbrouiller seuls dans des situations difficiles. Les cadres de la
Fonction publique les rejoignent sur ces deux points. Dans la sant et
dans les banques, prs du tiers des employs considrent galement
qu'ils manquent de temps. Il faut toutefois noter que cette impression
de "manquer de temps" n'est pas due uniquement aux TIC mais ga(88) Czard (M.) et Hamon-Cholet (S.), Travail et charge mentale", Premires
Informations et Premires Synthses", n 27-1, DARES-MES, 1999.
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- Les processus menant lexclusion lement aux nouvelles organisations qui sont introduites dans les univers de travail et qui se caractrisent par une intensification du travail.
Paralllement, le travail en rseau induit une gestion de l'espace de
plus en plus difficile car il faut savoir choisir entre les activits distance et celles qui ne peuvent tre efficaces qu' proximit. Il faut galement accepter de grer la vulnrabilit des systmes, dont la fragilit est lie une complexit croissante. Il s'agit alors de savoir grer
les nombreux alas (pannes, intrusions, virus, attaques frauduleuses).
Face des systmes de plus en plus abstraits et interactifs, les personnes sont de plus en plus vulnrables, avec des consquences
variables selon les individus. Ces nouvelles caractristiques du travail
sont source d'insertion et de qualification pour certains et source d'exclusion ou de dqualification pour d'autres. Il est craindre que la
gnralisation des TIC dans tous les secteurs d'activit renforce le
processus d'exclusion de ceux qui ne peuvent s'adapter la dmatrialisation des objets numriss, la difficult de comprendre le nouvel environnement du travail et qui ne supportent pas le rapport un
nouveau langage, l'interactivit et la panne.
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- Les processus menant lexclusion 1 - Il faut savoir lire (ou dcoder) les informations qui sont affiches l'cran. Alors que la prsence d'icnes (petites images
senses reprsenter la ralit) devait permettre de se passer de la lecture d'un texte crit, la plupart des icnes sont en fait accompagnes
d'un texte crit qui en prcise le sens. Il s'avre que les messages
crits sont beaucoup plus performants et, de ce fait, matriser la lecture devient de plus en plus une ncessit absolue. Or, d'aprs
Vronique Esprandieu, secrtaire gnrale du Groupe permanent de
lutte contre l'illettrisme (GPLI), 10 % des adultes ont des problmes de
base en lecture.
2 - Il faut comprendre le vocabulaire (ou le code) et les concepts
utiliss. Beaucoup de programmes sont d'origine amricaine, il n'est
pas facile pour les Franais de comprendre les indications qu'ils donnent car ils sont confronts au barrage de la langue. La traduction ou
l'utilisation du franais technique n'arrange pas grand-chose. Ainsi,
des termes comme "sauvegarder" ("to save" signifiant enregistrer un
fichier) ou "quitter" ("to quit" signifiant arrter un traitement en cours)
sont souvent difficiles comprendre. Dans un traitement de texte, la
diffrence entre "quitter" et "fermer" est loin d'tre vidente assimiler. Il est galement difficile de se reprsenter la hirarchie des diffrents "dossiers". De ce fait, les illettrs comme les personnes qui n'arrivent pas voir et dcoder la ralit que cherche reprsenter le
systme abstrait et interactif auxquels ils doivent faire face, les "technopathes" comme les appellent Yves Lasfargue, se trouvent en grande difficult dans la manipulation de ces outils 90. Passer d'un signifiant
en partie arbitraire ce qu'il dsigne fait partie de la culture de l'criture et de la lecture, de la culture scolaire. Les salaris dots d'un
faible bagage scolaire sont donc exposs des situations qu'ils ne
sont pas prts matriser.
Nous sommes donc confronts un changement culturel au travail.
De plus, les volutions organisationnelles des entreprises les conduisent dvelopper la culture de l'crit. Selon les enqutes
"Techniques et organisation du travail" de 1987 et de 1993, l'oral de
vive voix est en rgression et tous les changes utilisant un support
technique sont en progression. La plus marque est celle de l'crit : la
(90) Pour Yves Lasfargue, en France il est recens 3 5 millions d'illettrs au sens
d'impossibilit de lire un cran et 15 20 % de la population seraient des
technopathes".
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- Les processus menant lexclusion part des salaris recevant des instructions importantes par crit est
passe de 47 % en 1987 55 % en 1993, soit huit points d'cart. Cette
progression de l'crit a pour consquence que les instructions de travail de vive voix chute de 38 % en 1987 29 % en 1993. Aux salaris
ne pouvant disposer que du mode de communication oral s'opposent
les salaris qui reoivent des instructions via une machine, et qui sont
pour 81 % d'entre eux, des utilisateurs des TIC. Plus les qualifications,
le niveau scolaire ou les responsabilits hirarchiques s'lvent, plus
la proportion de salaris recevant des instructions par l'intermdiaire
d'un support s'accrot. Pour Frdric Moatty, cette diminution massive
de la sphre de l'oralit de proximit est en partie due au renouvellement naturel des gnrations : arrive de jeunes plus forms scolairement et dpart en retraite des travailleurs gs 91. Les salaris ont largi leur ventail de communication en utilisant leurs comptences scripturales, en les ractualisant ou en se formant. Le progrs de l'crit sur
l'oral a pour consquence l'viction des salaris les moins lettrs du
march du travail.
3 - Il faut accepter les rgles du jeu, accepter d'obir aux instructions du systme. Nous sommes devant des changes d'informations. Le salari donne des ordres l'ordinateur (imprimez, effacez,
enregistrez) et ce dernier lui en donne galement (donnez votre
code d'identification, mettez du papier dans l'imprimante, dmarrez
l'ordinateur). Tout fonctionne si le salari obit sans se poser trop de
questions. Ceux qui sont l'aise sur ce systme sont ceux qui acceptent les rgles du jeu. En revanche, si on commence se demander
"comment ?", "pourquoi ?", l'interactivit se trouve perturbe.
L'interactivit exige aussi parfois des rponses rapides car le systme
est souvent programm avec un temps d'attente limit. Cette obligation de rapidit est un facteur de stress qui peut tre insupportable.
Inversement, les temps d'attente que l'ordinateur impose des utilisateurs presss ou impatients peuvent tre trs mal vcus la longue.
Indpendamment de leur ge ou de leur niveau scolaire, certains salaris sont peu adapts l'interactivit et l'action en temps contraint.
4 - Il faut dcouvrir le mode d'emploi au fur et mesure de l'utilisation. Le mode d'emploi d'un systme abstrait et interactif n'est pas
linaire mais est toujours en arborescence. Le chemin de cette arbo(91) Moatty (F.), Instructions de travail crites et bas niveaux de qualification", in
L'illettrisme et le monde du travail", La Documentation franaise, 2000.
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- Les processus menant lexclusion rescence ne peut donc tre expliqu dans un livre squentiel. Par
consquent, il faut dcouvrir le mode d'emploi en utilisant le systme.
C'est pourquoi l'apprentissage est toujours long. Celui-ci peut tre mal
support par ceux qui ont des dlais tenir ou ceux qui prfrent le
plaisir de l'utilisation au plaisir de la dcouverte.
Le renouvellement incessant des matriels informatiques et des logiciels entrane un effacement de la frontire entre apprentissage et utilisation. "C'est au moment o il tait enfin possible de bien connatre
l'outil qu'il change et il faut se radapter une nouvelle logique de
fonctionnement. Le renouvellement permanent des outils fait du savoir
technique un savoir minemment prissable et condamne ceux qui ne
disposent que de ce savoir une perptuelle fuite en avant" constate
Claude Sprandio. La comptence technique est donc un savoir fragile. Les mutations perptuelles des matriels et des logiciels la vouent
une obsolescence rapide si elle n'est pas constamment renouvele.
Il faut alors mettre jour ses connaissances et surtout les exprimenter. Or, il faut avoir le temps pour l'exprimentation ou avoir la possibilit de le faire. En effet, comme le soulignent Michel Gollac et Francis
Kramarz la part des salaris qui "font des choses avec l'ordinateur
juste pour voir" ou qui "ralisent des travaux entirement leur propre
initiative" dpend du niveau de diplme qu'ils dtiennent 92. Plus les utilisateurs occupent une place leve dans la hirarchie, plus ils sont
libres dans le choix des tches qu'ils ralisent sur ordinateur. Ils peuvent viter de faire ce qui ne leur plat pas ou qu'ils ne savent pas faire.
Alors que les utilisateurs les moins qualifis risquent d'tre mal jugs
en raison de leurs dficiences dans l'utilisation de l'outil. Situation d'autant difficile accepter et facteur de tension qu'ils sont le plus souvent
ceux qui bnficient le moins d'actions de formation et qu'ils n'ont pas
toujours la possibilit de dcouvrir l'outil par eux-mmes. Leur libert
est limite par les contraintes de l'organisation. Le mode d'usage de
l'ordinateur est impos d'en haut. Les tches raliser sur informatique sont fixes l'oprateur : celui-ci ne ralise jamais des travaux
son initiative personnelle. Apprendre matriser les TIC exige de la
confiance (en soi et dans la machine). Cette confiance est facilite par
leur niveau scolaire lev, une qualification reconnue. Mais, elle peut
(92) Gollac (M.) et Kramarz (F.), L'informatique comme pratique et comme
croyance", in L'informatique au travail", revue Actes de la recherche en sciences
sociales", n 134, septembre 2000.
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- Les processus menant lexclusion aussi se forger au cours de l'apprentissage si celui-ci bnficie d'un
soutien actif de l'organisation : accompagnement, aide et aussi temps
disponible.
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- Les processus menant lexclusion L'espace de jugement se dplace de la tche la personne. Ce mode
de reconnaissance aujourd'hui comporte des risques :
le concept tant mal dfini, il y a un risque de dsobjectivation ;
il est difficile de saisir le rfrentiel objectif puisqu'il dpend de la
capacit de ngociation du salari ;
les performances sont de plus en plus collectives alors que la
comptence valuer renvoie un individu particulier ; l'espace de
reconnaissance de la comptence risque d'tre trs local.
Ceci conduit une surexposition des personnes qui engendre des
risques d'exclusion. Lors de l'laboration des plans de licenciements,
les comptences non dtenues par les salaris, et qui sont pourtant
requises par l'entreprise, sont trs souvent mises en avant comme facteur d'explication des licenciements.
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- La matrise des TIC ; lments de lefficacit Dans les phases d'apprentissage, ce sont les comptences "issues de
la pratique" bien plus que celles "issues du savoir" qui dominent. Il
s'agit de matriser les outils lis aux TIC et leurs diffrents champs
d'application : connaissances gnrales du poste de travail, traitement
de texte, tableur, bases de donnes, prsentation assiste par ordinateur. Il faut savoir communiquer au moyen d'une messagerie, crer et
exploiter un document comportant du texte, des tableaux, des images.
Les comptences professionnelles
La seule matrise de l'outil informatique ne suffit pas pour utiliser au
mieux les possibilits qui sont offertes par les machines. Les comptences requises combinent alors des comptences d'usage de la technique et des comptences professionnelles du mtier. L'exprience y
jour un rle important du moins lorsque les TIC ont t intgres dans
l'activit relle de travail.
Les dmarches intellectuelles mises en uvre par les utilisateurs sont
essentiellement de type "application-modle" et "adaptation-formalisation". Il s'agit de savoir par exemple interprter et finaliser un cahier
des charges, hirarchiser les actions entreprendre pour en dgager
les priorits, savoir grer l'abondance de l'information. Le salari doit
mobiliser de nouvelles comptences lorsqu'il se trouve devant une
interface homme-machine. Ne contrlant plus directement le systme,
il lui faut des qualits de reprsentation et d'abstraction plus grandes
pour anticiper les consquences de ses actes et interprter la faon
dont le systme ragit 94. Il doit savoir travailler sur des reprsentations
de la ralit, sur des informations. Il doit dvelopper une ouverture
d'esprit, de la curiosit, de la prise d'initiative. Les TIC permettent d'entrer en contact avec d'autres salaris, ce qui ncessite que les salaris
dveloppent galement des aptitudes relationnelles.
Il faut toutefois noter que ces comptences ne sont pas uniquement
lies aux TIC mais galement aux nouvelles formes d'organisations.
Ces dernires sont trs exigeantes vis--vis des salaris et demandent une implication des salaris dans leur travail.
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- La matrise des TIC : lments de lefficacit comptences construites par les acteurs pour permettre au "travail
rel" de se faire.
Tel est le cas des rorganisations qui visent, grce l'introduction de
technologies (TIC ou autres), faire l'conomie de certaines comptences et des travailleurs qui les portent. Tel est aussi le cas d'outils
techniques qui gnent les travailleurs dans la ralisation d'une partie
de leur travail 97, comme le dmontre l'exemple suivant 98.
Quand l'cran masque l'exprience
dans un organisme de service
L'exprience prsente a pour cadre un tablissement relevant d'un organisme de services, qui gre des prestations financires fournies des usagers. En 1998-1999, un nouveau logiciel a t mis en place dans le but d'homogniser les procdures et les traitements des dossiers au niveau de l'ensemble des tablissements de l'organisme.
Les employes, dans un souci de conformit entre les droits des usagers et
les prestations qu'elles peroivent, ont l'habitude de consulter ou de modifier
les donnes, selon les demandes d'explication manant des usagers, ou
selon les informations et les documents que ces derniers fournissent. Si les
rgles d'attribution sont prcises, les tches mme les plus routinires ne
sont pas l'abri d'exceptions et d'anomalies. Les employes ont besoin
d'une vue d'ensemble des dossiers qu'elles ont a trait : situation actuelle de
l'usager, informations sur sa situation antrieure, dmarches dj effectues
et rponses apportes. Des prcisions d'informations peuvent arriver au fil
du temps qu'il faut introduire ; informations d'autant plus ncessaire que le
suivi d'une personne peut tre effectu par plusieurs salaries.
Alors que l'ancien logiciel permettait de "naviguer vue" d'une page d'cran
l'autre, avec la possibilit en cas de besoin de revenir en arrire, d'examiner rgulirement les modifications apportes, d'interroger tout instant un
point quelconque du systme, le nouveau logiciel impose l'agent de respecter un ordre de consultation et de traitement annonc au dpart. Le passage d'une page d'cran la suivante est la fois prdtermin et subordonn au remplissage intgral de certaines zones qu'il est interdit de "sauter". En cas d'erreur dans le choix du parcours, il faut aller au bout du parcours, puis le reprendre au dpart pour rectifier.
(97) Gaudart (C.) et Volkoff (S.), Les obstacles l'appropriation de l'outil Cristal par
les personnels de la CAF de l'Essonne", rapport d'tude (diffusion restreinte),
Centre d'tudes de l'emploi, 2000.
(98) Idem.
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- La matrise des TIC ; lments de lefficacit Cet exemple illustre parfaitement le fait que l'activit relle de travail des utilisateurs n'est pas pris en compte et dmontre la mconnaissance de son
importance par rapport aux logiques techniques et gestionnaires. En fait, les
exigences croissantes de polyvalence demandes aux opratrices se fondent sur des comptences prescrites et non pas sur les comptences relles
de ces dernires, sur leurs stratgies d'expriences qui participent pourtant
la fiabilit du travail. Or, ce sont elles qui permettent d'assurer la production et la qualit tout en laissant aux salaris la possibilit de se prserver
de certaines situations contraignantes, parce qu'elles auront pu anticiper et
s'organiser.
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- La matrise des TIC ; lments de lefficacit remettent en cause leurs comptences de base sans apporter de solution pertinente leurs problmes concrets.
L'organisation du travail doit librer du temps pour la formation (formelle et informelle) ; elle doit autoriser l'exploration, l'anticipation et
l'invention.
En France, on dcide plus souvent d'implanter les TIC pour rduire
des cots visibles que pour diversifier les produits ou les services. Or,
l'implantation des TIC se caractrise par de faibles cots matriels
d'installation et des cots importants d'accompagnement et de formation lors de la mise en uvre. En calculant les budgets au plus juste,
on sous-estime souvent dans ce cas les besoins de formation, le volume horaire que le personnel devra consacrer l'apprentissage, et la
dure totale de cet apprentissage.
On sous-estime aussi le temps pendant lequel l'apprentissage se
poursuivra "sur le tas", et la perte de performance qu'il faudra accepter pour que ce perfectionnement des comptences puisse se faire. La
tension rsulte pour les salaris de ces attentes excessives, engendre
un surcrot de stress qui peut avoir court terme un effet mobilisateur,
mais qui, la longue, fatigue et angoisse, voir dmobilise.
Par exemple, les TIC modifient en profondeur la faon d'archiver des
documents. Or, il s'agit d'une tche essentielle dans de nombreuses
fonctions (tudes, secrtariats, services comptables). La matrise de
l'archivage est d'autant plus ncessaire que la masse d'information
traite ne cesse de crotre. Dans un contexte o l'information circule
en masse, il s'agit de retrouver rapidement l'information pertinente. Le
mode d'archivage pertinent dpend de l'organisation, des tches que
l'on doit raliser, et des solutions techniques et s'apprend le plus souvent par la pratique. Organiser son archivage pour l'adapter une nouvelle possibilit technique (par exemple, le courrier lectronique) ou
une nouvelle organisation du travail ncessite un peu de temps et de
rflexion, ce que ne facilite pas une intensification du travail.
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- La matrise des TIC ; lments de lefficacit Les TIC augmentent les possibilits techniques de coopration, et sont
bien souvent mises en place cet effet. Elles ne seront employes efficacement que si cette possibilit est judicieusement exploite. Tandis
qu'ils apprennent matriser la technologie, les salaris devront donc
apprendre cooprer. Cet apprentissage est par nature collectif. Il se
fera d'autant mieux que le management aura mis en place les incitations ncessaires. Il faut que chacun ait du temps donner.
Mais la capacit d'apprentissage collectif aussi d'autres caractristiques de l'organisation. Cette dernire peut plus ou moins faciliter l'change collectif et l'inclusion de tous dans des rseaux d'apprentissage. Il faut que chacun ait du temps donner ou encore que les quipes
de travail puissent combiner diversit et proximit culturelle. Tandis
que la proximit facilite la communication, la diversit permet ceux
qui sont les plus familiers des TIC de faire bnficier de leurs savoirs
des collgues plus loigns de cette culture technique.
L'mergence de la "socit du savoir" appuye sur les TIC, induit la
ncessit de l'apprentissage tout au long de la vie. Pour faire face
un monde devenu instable, l'organisation doit pouvoir adapter en permanence ses modes de rgulation et de gestion aux variations de son
environnement.
L'ide de faire reposer cette rgulation de "deuxime niveau" sur l'apprentissage collectif, c'est--dire sur l'exprience de la base organise
en groupes de travail, a donn naissance au concept d'organisation
apprenante. Tout un courant de littrature souligne que, si la capacit
d'apprentissage collectif dpend des comptences individuelles, elle
dpend aussi de l'organisation. Il montre l'importance de l'exprimentation et de l'inclusion de tous dans un rseau d'change collectif.
Dans ce contexte une direction qui sait prendre des risques, couter
et dialoguer, exprimenter et se remettre en cause, a les meilleures
chances de donner naissance une organisation apprenante.
Le temps disponible pour aider les autres est aussi un facteur limitant :
l'intensification du travail peut rduire les capacits d'apprentissage.
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Contenir
les risques d'exclusion
L'implantation des TIC doit s'appuyer sur les comptences professionnelles des personnes afin d'aider ces dernires dans
l'exercice de leur activit. Des processus d'apprentissage individuels et collectifs doivent accompagner la diffusion des TIC afin
de permettre leur appropriation. L'approche ergonomique combine une approche sociologique peut aider comprendre les
conditions d'acquisition, par l'exprience ou par la formation, de
la comptence individuelle et collective.
Le mouvement vers la numrisation va se poursuivre. La slection
dans l'accs aux TIC est donc gnratrice de risques d'exclusion.
C'est pourquoi il convient d'uvrer ce que celles et ceux qui ont le
plus de difficults matriser le monde virtuel puissent nanmoins y
trouver leur place. Les travaux de l'atelier ont permis d'identifier des
conditions favorables l'appropriation des TIC. Sur cette base, il est
possible de formuler des recommandations.
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- Contenir les risques dexclusion timent de voir reconnues sa valeur professionnelle et ses faons de
faire est source de motivation.
Il est donc important que l'implantation des TIC, sauf dans les cas
exceptionnels o elle correspond une activit radicalement nouvelle,
s'appuie sur ces comptences professionnelles : il s'agit en effet d'aider l'activit des personnes et non de l'entraver. Ceci suppose que
cette activit soit connue : les TIC doivent en effet s'insrer dans le travail rel et non dans les schmas de travail thoriques. Les reprsentations que les personnes se font de leur travail font partie de leur activit. Mme lorsqu'elles ne correspondent pas la faon de voir spontane des concepteurs des TIC, elles doivent tre respectes ds lors
qu'elles sont efficaces. Ceci suppose que ces reprsentations galement soient connues.
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- Contenir les risques dexclusion lutifs et les moyens ncessaires leur amlioration tre disponibles.
Mme les logiciels du commerce ne sont pas galement faciles
d'accs pour tous leurs utilisateurs. Un effort doit tre fait, lors de l'implantation de ces logiciels et lors des formations, pour dfinir et transmettre des modes d'utilisation adapts aux besoins et aptitudes de
chacun, sachant qu'il n'est trs gnralement pas ncessaire de matriser la totalit des fonctions du logiciel.
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- Contenir les risques dexclusion trouver l'information pertinente parmi de multiples donnes, grer les
communications distance, accepter les pannes et les grer, voire
grer le stress que ces nouveaux outils occasionnent. Il n'est pas toujours ais d'identifier ces problmes fondamentaux, ni de les rsoudre.
Les efforts actuels de l'tat pour encourager les recherches dans ce
domaine doivent tre poursuivis.
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- Contenir les risques dexclusion Les besoins d'apprentissage individuels et collectifs sont presque
systmatiquement sous-valus lorsque l'on met en place un nouveau
logiciel informatique. Il en rsulte une charge de travail accrue pour les
oprateurs, qui est source de tensions, d'inefficacit et, finalement de
surcot pour l'entreprise. L'organisation de l'usage se dfinit par la
cration de pratiques professionnelles, en fonction des problmes que
le personnel doit rsoudre. Trop d'utilisateurs se cantonnent dans des
"usages courants" car ils sont sous la pression des vnements qui les
obligent s'adapter pour pouvoir suivre le mouvement.
Il faut du temps pour s'approprier ces nouveaux outils. Les personnes
doivent apprendre et se prparer aux mutations futures. Une intensification excessive du travail (qui survient, de surcrot, souvent au
moment des changements techniques les plus importants) est cet
gard trs nfaste. Elle peut conduire un usage dgrad des nouvelles technologies et se rvler contre-productive. Un cercle vicieux
peut s'enclencher car un usage dgrad des TIC est source d'inefficacit, ce qui conduit intensifier davantage le travail pour maintenir une
performance conomique acceptable. Les entreprises doivent pouvoir
faire une estimation raliste de la charge de travail en situation de
changement organisationnel et technique (ce qui peut ncessiter le
recours des ressources extrieures de conseil) et en tenir compte.
Les entreprises peuvent mettre au point des dispositifs de valorisation,
d'autoformation et de mentorat par le biais de mcanismes comme le
crdit-temps par exemple.
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- Contenir les risques dexclusion vant avoir des contacts fructueux avec des spcialistes ou des personnes extrieures l'entreprise.
Ceci ne se ralise pas spontanment mais peut tre atteint par diffrents moyens. Lorsque les changements technologiques sont majeurs
ou permanents, la formation d'quipes de travail aux comptences
gradues est la solution la plus adapte. La reconnaissance de la
fonction d'aide est un stimulant. Notamment, il convient de tenir compte du temps ncessaire au soutien mutuel, tant pour celui qui est aid
que pour celui qui aide. Lorsque l'usage des TIC est peu intense, la
formation de clubs d'utilisateurs est une solution adapte aux besoins
de salaris suffisamment qualifis et forms pour y participer activement. La cration de "personnes-ressource", jouant un rle de pivot
dans les rseaux d'entraide et dont la fonction est reconnue, peut
s'avrer efficace. Par exemple, dans une entreprise, une secrtaire,
qui avait ressenti l'inadaptation des stages proposs l'extrieur, a t
choisie comme coordinatrice de la formation au traitement de texte.
Cette femme, qui possde un CAP d'employe de bureau, exerce
cette nouvelle fonction temps plein. Plus qu'une comptence technique, la force de son savoir-faire s'appuie avant tout sur sa connaissance pratique des besoins des utilisateurs. Sa proximit et sa bonne
connaissance des problmes de travail constituent les principales ressources de sa pdagogie 99.
On peut aussi crer un lieu de ressources (atelier d'apprentissage)
extrieur au service. Ce lieu de ressource doit avoir deux caractristiques : lieu de convivialit, de soutien et en mme temps lieu d'espace protg, o il est possible de faire des "essais-erreurs" sans la
pression du temps rel, sans la pression immdiate de l'objectif de
performance. Ceci est important non seulement pour le salari mais
surtout pour le soutien des personnes dans l'accompagnement de leur
apprentissage.
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- Contenir les risques dexclusion La slection actuelle parat au contraire correspondre surtout aux performances d'apprentissage court terme, souvent dans le cadre de
formations de type scolaire, en tout cas en l'absence d'un vritable
soutien organisationnel. Sans aller jusqu' parler de prjug, il apparat que cette slection est excessive et conduit des exclusions
inutiles conomiquement et nuisibles socialement.
Par exemple, comme le souligne Paul Santelmann, les travailleurs de
plus de 40 ans, issus d'un systme de formation initiale traditionnel
vont se trouver confronts la ncessit d'intgrer les TIC dans leur
rapport quotidien au travail. On met souvent en exergue les difficults
que rencontrent ces gnrations. En fait, des travaux comme ceux
d'Yvon Quinnec ont montr que les travailleurs les plus gs aboutissaient une efficacit analogue celle des plus jeunes, mais par
d'autres voies et au bout d'un temps d'apprentissage plus long. Le
dlai d'adaptation supplmentaire peut toutefois tre considr
comme ngligeable en regard de la dure de validit des acquis. De
tels rsultats peuvent probablement tre tendus d'autres variables
que l'ge.
Les entreprises n'ont donc pas ncessairement intrt accorder une
importance excessive l'ge ou au diplme comme indicateur de la
capacit matriser les TIC.
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- Contenir les risques dexclusion compte tous les moments du processus d'innovation : lors de la
conception des logiciels, lors de leur mise en place, lors de leur utilisation courante et pour prparer aux changements ultrieurs.
Pour tre efficace, ce dialogue doit s'appuyer sur un corps de connaissances communes. Il importe notamment de rpandre la culture ergonomique dans les entreprises. L'approche ergonomique ne doit pas
tre rabattue sur sa seule dimension technique, bien que celle-ci soit
importante. Elle doit tre utilise dans son acception la plus large
d'adaptation du travail aux hommes, en tenant compte de leur diversit, en vue d'une performance conomique et sociale optimale. La
formation des cadres amens concevoir les TIC ou en diriger l'implantation ou l'utilisation comporte de plus en plus souvent (c'est le cas
dans plusieurs coles d'ingnieurs) une formation l'ergonomie, au
sens dfini ci-dessus, et aux autres sciences de l'homme au travail.
Cette volution doit tre trs vivement encourage. Des formations
spcifiques pourraient tre mises en place systmatiquement pour les
cadres qui n'ont pas bnfici de tels enseignements lors de leur formation initiale.
Il est souhaitable de favoriser l'intervention d'experts susceptibles d'aider les directions (des ergonomes mais aussi, par exemple, des sociologues d'entreprise...). Les organismes publics (ARACT notamment)
ont vocation assurer de telles missions d'expertise et il est souhaitable que leurs moyens d'intervention voluent d'une manire adapte
l'acclration des mutations technologiques et organisationnelles.
Mais le recours d'autres organismes de conseil peut galement tre
facilit, notamment par des mesures de soutien financier.
tendre le droit des instances reprsentatives solliciter une telle
expertise, au-del des seuls cas de changement technologique
majeur, est galement une voie envisager, sous rserve que puisse
en tre assur le financement : de telles interventions peuvent tre
particulirement efficaces pour des changements de porte limite,
moins susceptibles de cristalliser des oppositions de point de vue.
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Troisime partie
Recomposition
des mtiers
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- Les nouveaux mtiers L'implantation des TIC appuie le plus souvent une redfinition des processus de production (organisation du travail, flux, contrle de gestion...). Ces transformations organisationnelles sont susceptibles de bouleverser les logiques de mtiers pr-existantes, en les forant voluer.
D'un ct, on assiste l'mergence de nouveaux mtiers, de nouvelles
comptences et de nouvelles fonctions autour de la mise en uvre des
TIC : c'est le cas des tches lies l'animation et la maintenance des
sites et des applications, telles que celles de webmestre. Mais les vieux
mtiers" rsistent dans leurs identits l'arrive de nouveaux outils qui
viennent, certes, modifier les pratiques de professionnels concerns,
mais qui ne priment pas ncessairement les savoirs de base.
Les tentatives de classification
Il n'existe pas de nomenclature unique et reconnue pour tous les
mtiers lis aux TIC dont le suivi au cours du temps permettrait de
reprer et de classer les nouveaux mtiers. Les tudes qualitatives
disponibles font tat d'une multitude de fonctions et de mtiers. Les
mtiers de la nouvelle conomie sont peu dfinis et les fonctions et les
libells varient selon les entreprises. Dans les petites structures, les
tches de dveloppeur, animateur, webmestre, peuvent tre confondues La hirarchisation implicite est lie aux comptences et au
niveau de responsabilit 100.
Plusieurs tentatives de classification des "mtiers TIC" ont pourtant t
faites, en France comme l'tranger. Elles manent de grandes entreprises, de syndicats professionnels, d'acteurs ou d'intermdiaires du
march de l'emploi, ou sont issues de recherches bibliographiques
Les approches diffrent en fonction de la source observe et selon le
champ retenu. Certaines tudes s'intressent aux seules fonctions
informatiques et tlcommunication, d'autres tendent la dfinition des
mtiers TIC des domaines o ces technologies servent essentiellement de support. Rares sont celles qui prennent en compte les mtiers
des constructeurs de matriels, qui, s'ils sont rarement nouveaux,
connaissent souvent des difficults de recrutement (cas des lectroniciens 101).
(100) Les effets de l'introduction des TIC sur le travail, les professions et les
qualifications", op. cit.
(101) Telles est du moins l'une des conclusions du groupe de travail entre les
reprsentants de l'administration et les professionnels de l'informatique anim par
la DIGITIP, op. cit.
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LINA a initi une rflexion sur les mtiers en mergence, Elle a donc tudi
les offres demploi dposes sur son site Web La bourse lemploi 1. Cela
lui a permis de dresser un tableau du march de lemploi pour six mtiers :
dveloppeur, ingnieur, graphiste, infographiste, chef de projet, webmaster.
En 1999, lInstitut des mtiers de France-Tlcom a ralis une tude sur
Les mtiers de lInternet et du multimdia. Ltude cite par domaine les
mtiers suivants, qui, sappliquant tous un champ nouveau, pourraient tre
nouveaux :
marketing et dfinition de contenu : producteur/intgrateur de service de
contenu, chef de produit multimdia, chef de publicit online ;
conception : concepteur de site, assembleur pour le site, concepteur de
charte, graphiste multimdia, conseiller en commerce lectronique
animation : animateur de forum et de chat, cyberjournaliste, cybercrivain ;
dveloppement, hbergement : dveloppeur applicatif multimdia, testeur,
intgrateur, administrateur de serveur, exploitant de serveur ;
commercial clients : vendeur-animateur multimdia, ingnieur daffaires
TIC, hotliner, charg dintervention multimdia, gestionnaire commercial
Internet et multimdia ;
formation : charg dingnierie de formation ;
rseau : planificateur rseau IP, constructeur rseau, exploitant rseau IP.
Le CIGREF, Club informatique des grandes entreprises franaises, anime
pour sa part un groupe de rflexion comprenant des reprsentants des
grandes entreprises adhrentes et de lUNEDIC et publie une
Nomenclature : les emplois-mtiers du systme dinformation des grandes
entreprises. La version 2000 de cette nomenclature classe une trentaine de
mtiers autour de six familles :
les mtiers du conseil en systme dinformation et de la matrise douvrage,
les mtiers du support et de lassistance aux utilisateurs,
les mtiers de la production et de lexploitation,
les mtiers des tudes, du dveloppement et de lintgration,
les mtiers du support et de lassistance technique interne,
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- Les nouveaux mtiers difficile, car les dnominations correspondent rarement. Linitiative Career &
Space est par ailleurs trop rcente pour que lvolution des fiches puisse
donner une ide de la naissance de nouveaux mtiers.
ces liste de mtiers potentiellement nouveaux, il faudrait ajouter, par
exemple, les mtiers lis au dveloppement, limplantation et la maintenance des ERP dans les entreprises (chef de projet ERP, responsable de
base de donnes ERP), ou dautres (bio-informaticiens).
Aux tats-Unis, le Bureau of Labor Statistics (BLS) effectue toutes les
dcennies un travail prospectif approfondi pour 500 professions. Chaque
profession y est dcrite : contenu, qualification ncessaire, formation. Une
extraction et une comparaison des fiches relatives aux mtiers TIC des versions successives de cet annuaire aurait pu permettre de constituer a posteriori une liste de mtiers TIC ventuellement nouveaux. Cette mthode,
outre son manque dapproche prospective, aurait prsent linconvnient de
sen remettre lanalyse du BLS et au march amricain du travail pour la
dtection de nouveaux mtiers. Le groupe lui a prfr lapproche analytique du LENTIC qui est reprise dans ce chapitre.
(1) 1998/2000 : les mtiers du numrique en France, tat des lieux et
perspectives", INA, fvrier 2000, accessible depuis sur le site www.ina.fr
(2) Voir le site www.career-space.com
Bien que profondment transforms par les TIC, une bonne part des
mtiers cits comme potentiellement nouveaux ne le sont pas totalement. Certains d'entre eux existaient dj sur un autre support ou s'appliquaient d'autres domaines. Dans quelle mesure un administrateur
de serveur Web est-il vraiment diffrent d'un administrateur de
rseau ? Un journaliste, cyber ou non, n'est-il pas avant tout un journaliste ? La mme question se pose pour un commercial, un ingnieur
d'affaires, voire un animateur.
Les tudes lances par les acteurs se fondent sur des listes de "nouveaux mtiers" diffrentes, fondes sur des principes diffrents. Cela
n'a rien d'tonnant. La dfinition et la dlimitation d'une profession
rsulte d'un long travail, men par des acteurs divers, aux intrts souvent contradictoires. Ce travail est toujours susceptible d'tre remis en
cause, particulirement l o les changements techniques, organisationnels ou socio-dmographiques sont rapides. L'identit des mtiers
tant une construction sociale, leur caractre "nouveau" dpend des
changements oprs par les acteurs. Ce sont eux qui feront que telle
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- Les nouveaux mtiers activit, effectivement nouvelle, sera intgre dans une profession
existante ou isole dans une profession nouvelle. Le jeu des acteurs
porte sur la division du travail : les nouvelles fonctions sont-elles
exerces par les mmes acteurs que les anciennes ? Il porte aussi sur
la mise en vidence ou non de ce qui est nouveau dans le travail.
Nous proposons ci-aprs un rsum d'une tude du LENTIC 102. Elle
vise dgager les "logiques professionnelles", plus ou moins nouvelles, que suscite la diffusion des TIC dans l'conomie. Cette tude
est un regard d'expert qui ne doit pas tre confondu avec celui des
acteurs. Une nouvelle logique professionnelle ne se cristallise pas
forcment en une nouvelle profession dont la dfinition et les limites
fasse l'objet d'un consensus large et durable. Inversement, une nouvelle profession peut tre constitue par le jeu des acteurs mme l o
un regard extrieur dtach des enjeux du domaine ne distingue,
selon des critres "objectifs", aucune nouvelle logique professionnelle
l'uvre.
Les processus d'mergence
En premire analyse, le LENTIC considre que les nouveaux mtiers
lis aux TIC mobilisent des combinaisons nouvelles de deux grands
ensembles de comptences, les comptences TIC et non-TIC, ce qui
l'amne distinguer quatre situations.
Comptences TIC
Autres comptences
(102) Pichault (F.), Zune (M.) et Rorive (B.), TIC et mtiers en mergence", op. cit
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- Les nouveaux mtiers Situation (1) : un "cur" de comptence bti sur les TIC est complt, en priphrie, par des comptences non-TIC. Il s'agit l essentiellement des logiques professionnelles traditionnelles de l'informatique.
Situation (2) : des curs de mtiers autrefois distincts se rencontrent. La convergence entre des comptences TIC et non-TIC constitue un nouveau "cur de comptences" original. Cette situation, centrale pour notre propos, caractrise proprement parler des nouveaux
mtiers lis aux dveloppements des TIC.
Situation (3) : l'importance de la comptence TIC s'accrot progressivement mais reste secondaire par rapport une comptence spcifique non-TIC, sans mener de vritables "nouveaux mtiers".
Situation (4) : les TIC renforcent des comptences spcifiques non
TIC. Elles librent le travailleur de tches rptitives et lui permettent
de se centrer sur l'essence mme de son mtier, ou encore lui ouvrent
de nouveaux horizons de dploiement de comptences spcifiques
non-TIC.
L'environnement organisationnel de l'emploi TIC est, selon le LENTIC,
de plus en plus marqu par des phnomnes de "brouillage" des frontires traditionnelles, par l'externalisation de services, par le recours
des travailleurs "mis disposition". Le cas de l'informatique est souvent cit en exemple pour illustrer une volution plus gnrale : un rapport nouveau l'employeur distant pousse le travailleur prendre en
charge la gestion de son employabilit, notamment par l'auto-formation et par l'initiative de la mobilit. Le modle "bureaucratique" traditionnel de la carrire, caractris par une progression le long d'une
voie hirarchique de postes et de responsabilits, est dsormais
concurrenc par le modle du "nomadisme", dans lequel l'autogestion
et la mobilit inter-organisationnelle forgent les parcours professionnels. Ainsi, la mobilit des informaticiens sur le march du travail ne
rsulterait pas principalement d'une situation de pnurie, mais surtout
d'un nouveau rapport l'entreprise et au travail qui valoriserait la
varit d'exprience, l'indpendance organisationnelle et le changement 103.
(103) Cf. galement Alexandre (H.), Gestion prvisionnelle de l'emploi dans
l'informatique", in Entre chmage et difficults de recrutement : se souvenir pour
prvoir, col. Qualifications & prospective", La Documentation franaise, 2001 ;
rapport complet disponible l'adresse http://www.plan.gouv.fr
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- Les nouveaux mtiers Afin de mieux comprendre les conditions et les processus d'mergence de ces nouveaux mtiers, le LENTIC a tudi en France quatre
contextes organisationnels particulirement propices, et en leur sein,
les parcours professionnels d'une quarantaine de personnes :
une maison d'dition proposant des produits sous forme exclusivement lectronique ;
l'implantation d'un progiciel de gestion intgre (PGI) dans une
entreprise pharmaceutique ;
une filiale d'un grand groupe bancaire offrant en ligne des services
de courtage en Bourse ;
la collaboration entre un centre de recherche public et une start-up
dans le domaine des biotechnologies.
Dans chacun de ces contextes, le LENTIC a observ des externalisations d'activit, du travail distance, des situations de prestation de
services, du travail en rgie, et (ou) des mises disposition de travailleurs chez le client. L'apprentissage et la mise jour des connaissances en matire de TIC passe le plus souvent par l'auto-formation et
le mentorat des collgues ou de rseaux de pairs (Internet). Nombre
de personnes rencontres ne disposent d'aucun diplme initial dans
une matire lie aux TIC. Le plus souvent, leur apprentissage s'effectue galement durant les temps libres, et rvle une indiffrenciation
entre vie professionnelle et vie prive. Les entreprises tudies ont
une politique de formation inexistante. Une part importante des
connaissances acquises est lie la dure de vie d'un produit, ce qui
ne fait pas de l'exprience un atout.
Les personnes rencontres se disent incapables de prvoir leur carrire un horizon de plus d'un ou deux ans. Dans les faits, la mobilit
ou le nomadisme inter-entreprises marquent la plupart des parcours
professionnels. Les acteurs dcrivent ces phnomnes comme relevant d'une sorte d'autogestion personnelle. Si certains voquent la hirarchie traditionnelle des mtiers de l'informatique, la majorit d'entre
eux considrent cette chelle de carrire comme inoprante. Face aux
crations et aux fermetures des entreprises, la diversit d'employeurs
offre le sentiment d'une plus grande scurit que l'implication au sein
d'une seule entreprise. Lors des recrutements est valorise la diversit
des expriences acquises et des environnements organisationnels
pratiqus. Les personnes rencontres mettent en avant leur intrt
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- Les nouveaux mtiers pour un travail vari et l'aspect ludique de l'apprentissage des TIC.
Le LENTIC dfinit le concept de "nouvelles logiques professionnelles"
entendu comme "de nouvelles combinaisons de connaissances, de
comptences et de caractristiques de champs professionnels autrefois considrs comme distincts, exprimant de nouveaux rapports
l'organisation et au march du travail". Cette dfinition lui permet de
considrer les traits organisationnels et de dynamique du march du
travail comme aussi importants que les seules caractristiques techniques.
Sur la base des tudes de cas, le LENTIC propose de reprer l'mergence de nouvelles logiques professionnelles en observant une batterie de 13 indicateurs. Si aucun de ces indicateurs ne peut caractriser
lui seul la naissance d'une nouvelle profession, la combinaison de
plusieurs d'entre eux est un indice fort de l'mergence d'une nouvelle
logique professionnelle, dans les TIC ou ailleurs.
A. Variable professionnelle
q
q
q
q
Hybridation de comptences
Incertitude sur le champ professionnel de rfrence
Diversit des parcours de formation
Dveloppement de certifications prives
B. Variable organisationnelle
q
q
q
q
q
q
q
q
q
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- Les nouveaux mtiers professionnel de rfrence. Lorsqu'aucun champ professionnel existant ne fournit plus un cadre de rfrence suffisamment pertinent pour
structurer la logique professionnelle considre et pour fonder sa lgitimit, il y a mergence d'une nouvelle logique professionnelle. Les
nouvelles logiques professionnelles mnent la cration de fonctions
d'interface entre des fonctions spcifiquement axes sur les TIC et
d'autres fonctions. Enfin, du fait de l'absence de rfrents lgitimes
susceptibles d'encadrer leur action, les personnes actives dans ces
fonctions, affichent souvent des parcours professionnels marqus par
la mobilit et par l'auto-dfinition des balises qui les canalisent. Le
LENTIC observe que la forte mobilit constate ne dpend pas uniquement d'une conjoncture conomique favorable lors de la recherche
empirique, mais galement de caractristiques sectorielles fortes qui
ont institu la mobilit comme un trait marquant de la culture professionnelle TIC.
Sur la base de ces indicateurs, le LENTIC propose de classer les
logiques professionnelles en cinq catgories, auxquelles il conviendrait d'ajouter une catgorie pour les logiques non concernes par les
TIC :
les logiques professionnelles existantes renforces par les TIC,
soit par le recentrage qu'elles permettent au sein de champs professionnels dj existants (cas de l'dition lectronique, situation n 1),
soit par le renforcement de comptences techniques du personnel
informatique lui-mme. En effet, la plupart des informaticiens interviews ont tendance se centrer sur les comptences TIC (situation
n 4) ;
les logiques professionnelles existantes impactes par les TIC
ou des situations de travail qu'elles impliquent. Ce type est caractris
par l'ajout de comptences principalement TIC des logiques professionnelles existantes, sans que leurs caractristiques de base en
soient radicalement modifies pour autant (situation n 3). Se retrouvent dans cette logique, les consultants ERP, les dveloppeurs, les
agents de marketing en ligne, les chargs de clientle ;
les nouvelles logiques professionnelles un stade d'mergence, caractrises par une incertitude des acteurs sur leur champ professionnel d'appartenance, par l'absence de dnomination organisationnelle prcise pour cerner la fonction occupe, ce qui laisse aux
acteurs un pouvoir d'auto-dfinition relativement fort, et par une diffi120
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- Les nouveaux mtiers cult s'intgrer dans les catgories existantes sur le march du travail en vue d'y trouver notamment des rfrents salariaux. Dans ce
cas, nous trouvons les chefs de projet SI (socit de l'information) et
les analystes fonctionnels ERP ;
les nouvelles logiques professionnelles en dveloppement,
presque tous les indicateurs sont positifs : diversit des parcours
menant ces fonctions, rle d'interface entre fonctions TIC et autres,
importance de l'auto-formation et du mentorat, nomadisme de projet,
nomadisme inter-organisationnel, autogestion des parcours professionnels...C'est le cas des animateurs Web. Ces logiques correspondent pleinement la dfinition initiale d'une hybridation de connaissances, de comptences et de caractristiques de champs professionnels autrefois considrs comme distincts. La diffusion de ces
logiques professionnelles se trouve un stade plus avanc que celui
des nouvelles logiques professionnelles en mergence : une certaine
objectivation de la situation se dveloppe, du fait de la cration de
filires d'tude ddies ou encore de leur reconnaissance progressive
par diverses instances officielles ;
les nouvelles logiques professionnelles en maturation : il existe
des filires de formation reconnues qui prennent en compte l'hybridation des comptences et tentent d'instituer les caractristiques d'un
nouveau champ. C'est le cas des bio-informaticiens. Ds lors, les parcours de formation deviennent moins varis, les fonctions organisationnelles correspondantes sont plus clairement circonscrites, et les
parcours professionnels sont dsormais baliss par des repres
objectifs de carrire.
Seules les trois dernires catgories correspondent des logiques
professionnelles vraiment nouvelles. La distinction entre ces trois catgories suggre qu'il existerait un cycle de vie de ces nouvelles
logiques allant de l'mergence la maturation en passant par le dveloppement.
L'mergence de nouvelles logiques professionnelles n'est pas spcifique aux TIC. Elle caractrise des situations de transition, d'o l'instabilit des situations et leur caractre hybride. Les nouveaux collectifs
de travail s'approprient les fonctions de transmission de savoir. Pour
favoriser l'mergence de ces nouvelles logiques, on peut, comme le
propose le LENTIC, demander que les formations initiales favorisent
l'hybridation des comptences et l'auto-formation. On s'appuie dans ce
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- Les nouveaux mtiers cas sur la responsabilit personnelle de l'individu dans l'entretien de
ses comptences. Mais on est conduit s'intresser la formalisation
des comptences acquises, car l'instabilit n'est pas appele perdurer.
Dans le cas des TIC, les facteurs socio-organisationnels apparaissent
cruciaux. Les nouvelles logiques professionnelles se construisent par
l'interaction de l'ensemble des acteurs. Les personnes se situant dans
le cadre de nouvelles logiques professionnelles se positionnent souvent comme acteurs de leur propre devenir et elles n'ont d'ailleurs pas
le choix. Mais ces personnes ne sont videmment pas les seules
construire leur trajectoire professionnelle. Le DRH, les clients et les
fournisseurs jouent galement un rle. L'organisation-projet qui favorise l'mergence des nouvelles logiques professionnelles se construit
par l'interaction de l'ensemble de ces jeux d'acteurs. Il s'agit de va-etvient permanent et non d'un dterminisme strict.
Exemple d'mergence d'un nouveau mtier
L'exemple qui suit, tir de l'tude du LENTIC, illustre le cas d'un nouveau mtier qui merge sans tre reli une trajectoire homologue.
Pharmo 104, entreprise pharmaceutique de 600 personnes qui vient de
fusionner en rachetant un concurrent, souhaite mettre en place un progiciel ERP. Ayant fait une premire tentative malheureuse avant la
fusion, elle fait appel une socit de conseil qui doit participer la
rdaction du cahier des charges et s'entoure d'un intgrateur et d'un
cabinet de conseil en validation de systme automatis. L'intgrateur
s'engage sur les dlais et les rsultats. Le projet consiste implmenter le logiciel sur les trois sites de production en France. Sept
modules du progiciel sont considrs : contrle de gestion, achats,
gestion commerciale, gestion des stocks, production, planification et
mthodes. Dans la phase de mise en place du projet, l'intgrateur
externe propose une mthode de travail et de gestion du projet, ce qui
l'amne tenir, de facto, le leadership du projet, en collaboration avec
un chef de projet interne Pharmo. Car Pharmo, entreprise fonctionnant habituellement sur un mode hirarchique, met en place pour ce
projet une quipe transversale spcifique.
(104) Pseudonyme.
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Isabelle est ingnieure en mcanique mais revendique un profil trs gnraliste. Aprs un premier emploi dans une entreprise de mcanique au
dpartement du planning, elle a rejoint Pharmo en 1996 comme responsable de lordonnancement-planning, avec un projet de GPAO. Dj familiarise avec la GPAO dans son entreprise prcdente, elle a particip aux
diffrentes expriences dimplmentation du premier projet ERP. lannonce de la fusion avec le principal concurrent de Pharmo, son homologue
prend la place de responsable de lordonnancement et elle-mme prend en
charge le projet Delta (implantation dun ERP chez Pharmo). Une fois le
projet termin, elle dcide de quitter lentreprise pour diverses raisons, mais
notamment en raison des contours flous de la fonction danalyste fonctionnel qui lui est propose. Elle recherche actuellement une position de chef de
projet dans une autre entreprise. La consultance pourrait lattirer galement.
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- Les nouveaux mtiers Doit-on pour autant en conclure que les mtiers de documentalistes et
de bibliothcaires sont amens disparatre ? Rien n'est moins sr.
partir de considrations similaires, des chercheurs pensaient, il y a dix
ans, que le mtier de secrtaire disparatrait sous la pression de l'informatique. Mais, libres de l'essentiel de leurs travaux traditionnel
de frappe, les secrtaires deviennent des collaboratrices, voire des
conseillres puisqu'elles font des recherches documentaires, sont des
forces de proposition sur la prsentation des documents, relisent de
faon critique, rpondent au tlphone, orientent l'appel des clients.
Leurs responsabilits se sont dveloppes, leurs comptences se
sont enrichies. Finalement, le mtier a t totalement transform.
Les TIC entranent une forte remise en cause de l'encadrement intermdiaire dont le rle consistait dans le pass transmettre des
consignes en les interprtant. Dans le cas de La Poste, qui est tudi
par Denis Bayart, la direction a utilis les TIC et le reporting pour
rendre plus ractive la circulation verticale de l'information et pour
jouer la concurrence entre les bureaux de poste, ce qui a pour consquence de dstabiliser le management intermdiaire, en particulier les
chefs de bureau 106. Ces derniers doivent se reposer sur la base mais
sont mis en cause en cas de dysfonctionnement. Le reporting en
temps rel pousse alors au "management panique". Compte tenu du
temps qu'il consomme, et parce que la direction s'en sert pour mettre
les bureaux de poste en concurrence, le reporting rduit les changes
transversaux. La situation a t aggrave par l'instauration des directions comptences nationales. Les bureaux ont besoin de constituer
des connaissances managriales, d'changer, d'avoir des repres. Le
reporting ne permet pas cela : "On fait circuler de l'information mais on
n'change pas". Un site intranet a t construit pour apporter de tels
lments repres et pour permettre un partage d'informations en
transversal. Certains usages de l'intranet dans les mtiers instaurent
de nouvelles liaisons : le suivi des campagnes de distribution, le suivi
commercial des services financiers. La circulation d'informations entre
des units jusque-l cloisonnes remet en cause des situations
acquises. La hirarchie exerce de fortes pressions pour rduire le
nombre de postes de travail et met les bureaux de poste en concurrence les uns avec les autres. La normalisation des informations et
(106) Denis Bayart ralise actuellement une recherche La Poste sur Les enjeux,
les modes d'appropriation et les nouveaux comportements induits par la mise en
uvre des NTIC".
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- Les nouveaux mtiers des mesures de l'efficacit, fait apparatre des diffrences de traitement, ce qui remet en cause des arrangements tablis dans les faits.
De nombreux mtiers se transforment
et ces transformations sont trs diverses
Les transformations de mtiers dans les entreprises sous l'impulsion
des TIC recouvrent de nombreux cas de figure.
Lorsque, dans la fabrique de chaussures Imbert 107, on procde l'intgration partielle des activits de production et de gestion en dotant la
chef d'quipe d'un micro-ordinateur reli un ordinateur central, celleci voit sa fonction considrablement enrichie (cf. premire partie). Elle
enregistre dsormais les ordres de lancement, d'approvisionnement,
d'ordonnancement et mesure les temps de production et les rendements individuels des ouvrires. En informatisant, la direction lui a
(107) Pseudonyme.
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- Les nouveaux mtiers Pour une grande part, les changements du travail se produisent au
sein des mtiers existants. Nanmoins, l'utilisation des TIC et les
transformations du travail qui accompagnent leur diffusion entranent
le plus souvent une augmentation des comptences requises.
L'identification et la reconnaissance de ces comptences ne va pas de
soi. Le fait de faire du traage du courrier ne permet pas au postier de
revendiquer un accroissement de ses comptences. L o les comptences sont accrues ou diversifies, comme dans le cas des secrtaires, le faire reconnatre ne va pas de soi.
Dveloppement et bouleversements
des mtiers de linformatique 1
Les mtiers de linformatique sont intimement lis la diffusion des TIC.
Quel que soit le secteur o il exerce, un informaticien est un spcialiste de
la diffusion et de la mise en uvre des TIC. En mars 2002, on compte 448
000 informaticiens ; 242 000 dentre eux travaillent dans le secteur des TIC
dont ils occupent un quart des emplois.
Une forte croissance et des bouleversements professionnels
En 20 ans, la population des informaticiens sest accrue de 150 %, soit une
croissance annuelle de 5 %, nettement plus rapide que celle de la population active. Laccroissement du nombre dinformaticiens a t trs li la
croissance conomique globale, mais la priode rcente a connu un taux de
croissance exceptionnel : + 13,5 % lan de 1998 2001.
Catgories socio-professionnelles des informations
1983
Ingnieurs et cadres
Techniciens
Employs
Total
35 %
45 %
20 %
100 %
1993
55 %
40 %
5%
100 %
2002
65 %
30 %
5%
100 %
Sources : DARES
La famille professionnelle des informaticiens regroupe des mtiers correspondant des niveaux de qualification diffrents qui ont connu des volutions divergeantes. Tandis que le nombre de pupitreurs et doprateurs dexploitation connaissait un dclin marqu (33 000 personnes en 2002 contre
44 000 en 1983), le nombre dingnieurs de linformatique a t multipli par
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- Les nouveaux mtiers 4,5 (de 66 000 300 000). Sur lensemble de la priode, le nombre de programmeurs a presque doubl, mais il a connu un recul de 12 % de 1993
1998. En 2002, la profession compte 65 % dingnieurs et cadres, 30 % de
techniciens, et 5 % demploys. En 1983, il ny avait que 35 % de cadres et
65 % de techniciens et employs 2.
Des hommes jeunes, de plus en plus diplms et qualifis
Lge moyen des informaticiens est de 36 ans en 2002, soit 3 ans de moins
que lge moyen des professions intermdiaires et 6 ans de moins que lge
moyen des cadres. Les plus de 50 ans, qui partiront la retraite dans les
prochaines dcennies, ne reprsentent que 12 % de la profession. Les
femmes sont de plus en plus minoritaires au sein de la profession (20 % en
2002 contre 25 % en 1990).
Le niveau de formation initiale des informaticiens monte, comme cest le cas
dans beaucoup de professions. En vingt ans, la proportion dinformaticiens
ayant au moins le niveau Bac + 2 est passe de 39 % 73 %. Chez les
moins de 30 ans, 80 % ont atteint ce niveau, et parmi les entrants de lanne
2002, cette proportion est de 90 %. Ce mouvement traduit en partie le poids
grandissant des ingnieurs et des cadres, mais, qualification donne, le
niveau dtude requis augmente aussi. Aujourdhui, prs de la moiti des
recrutements soprent encore sur des postes de technicien, mais 48 % des
techniciens dbutants ont un BTS ou un DUT, et 30 % dentre eux sont encore plus diplms. Avoir au moins une matrise ou un diplme de grande
cole est une condition requise chez les jeunes pour atteindre rapidement le
niveau dingnieur, car le niveau augmente trs fortement parmi les ingnieurs sortis du rang.
En revanche, avoir une formation initiale spcialise dans linformatique
nest pas une condition indispensable pour exercer la profession. Parmi les
informaticiens de moins de 30 ans, seuls 25 % ont obtenu leur diplme le
plus lev dans une spcialit informatique. 18 % ont un diplme qui relve
de la robotique de la productique, de llectricit ou de llectronique, et
14 % un diplme de secrtariat bureautique. Les autres formations sont
diversifies : commerce, gestion, mathmatiques, physique, chimie
Une forte mobilit volontaire en priode de haute conjoncture
De 1992 1997, la mobilit des informaticiens, mesure par le rapport,
lemploi total de la profession, des embauches et des dparts annuels, tait
comparable celle de lensemble des professions de mmes niveaux de
qualification. Tout au plus, le taux dembauche tait-il un peu plus lev au
niveau des techniciens. De 1998 2002, la mobilit est devenue beaucoup
plus forte parmi les informaticiens que dans les autres professions. Pourtant,
la prcarit de lemploi y est reste trs faible : en 1997, les CDD ne repr-
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- Les nouveaux mtiers sentaient que 24 % des embauches dinformaticiens contre 70 % pour lensemble des mtiers. Inversement, 39 % des dparts sont des dmissions
contre 15 % pour lensemble des professions. La mobilit observe tait
donc largement volontaire.
Entre 1998 et 2001, cette situation refltait un march particulirement
tendu. Tandis que les effectifs augmentaient un rythme historiquement
lev, la profession connaissait un taux de chmage 3 trs faible, tant historiquement quen comparaison dautres professions, et les offres demploi
taient nettement suprieures aux demandes. En 2001, le taux de chmage
des ingnieurs et des cadres de linformatique tait descendu 3 % et celui
des techniciens 5,5 %. Depuis le dbut 2001, le march se dtend progressivement : tandis que la progression de lemploi ralentit, le taux de chmage se redresse. Actuellement, les flux doffres demplois sont infrieurs
aux flux de demandes.
(1) Cet encadr reprend des lments donns par la DARES qui actualisent la
communication de Michel Amar la journe du 12 janvier 1999 du groupe
consacre aux informaticiens. Ces lments seront publis dans un article de
Xavier Viney paratre en 2003 dans Premires Informations et Premires
Synthses". Les donnes sont issues de lenqute Emploi de lINSEE et pour le
chmage, de lANPE.
(2) Lvolution de la nomenclature du CIGREF tmoigne des transformations des
mtiers de linformatique un niveau plus fin.
(3) Pour apprcier le taux de chmage dune profession, lUNEDIC calcule le
rapport
:
Taux de demandes demploi = DEFM de catgories 1 et 6 / (actifs occups +
DEFM de catgories 1 et 6).
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- Les nouveaux mtiers On donne aux lves des informations et on leur demande d'obtenir
un rsultat. L'outil informatique modifie la nature de la tche et, de plus
en plus souvent, le processus mental conduisant la rsolution. Les
enseignants doivent dgager de nouveaux objectifs : rechercher, trier,
hirarchiser une information ; classer et mettre en perspective une
information ; circuler dans une arborescence, lire un hypertexte.
Aujourd'hui, lorsqu'on travaille sur des bases de donnes, on a accs
des quantits d'informations. Dans la formation d'un lve, il est vident que la manire dont il stocke, recherche et gre des informations
devient aussi importante que la dtention de ces dernires. Il y a donc
de nouvelles comptences obtenir.
L'usage des TIC stimule la motivation des lves, dveloppe leur autonomie et leur sens des responsabilits, encourage la crativit et la
communication. L'enseignant ne transmet plus seulement un savoir
mais accompagne les lves dans son appropriation ; il devient un
guide et un mdiateur dans les processus d'apprentissage.
Les TIC sont utilises comme un outil la ralisation d'un projet en privilgiant une dmarche d'exprimentation, comme un instrument d'tudes (recherche, traitement, mise en forme) et galement comme
un objet d'tudes ancr dans les apprentissages fondamentaux faisant
l'objet de contrles en cours de formation.
Internet permet d'ouvrir la classe sur le monde, les lves l'utilisant
ds le collge pour accder la connaissance. Moins encore qu'auparavant, l'enseignant n'est l'unique source de savoir. Son rle d'accompagnateur critique s'en trouve renforc.
Les aides multimdia interactives permettent de donner trs tt un
sens aux apprentissages et rendent ludiques et attrayantes certaines
tches associes des situations-problmes. Elles permettent de prsenter trs tt le comment et le pourquoi des choses. Elles imposent
ensuite une approche selon plusieurs points de vues (le point de vue
du commercial, du concepteur) des problmes techniques dans des
environnements de plus en plus intgrs. Elles offrent aux enseignants
des aides pdagogiques de plus en plus simples construire et enfin,
pour chacune des situations d'exploration qu'elles offrent, elles permettent des choix lucides de modles pdagogiques.
Les TIC, en entranant des changements dans le contenu des disciplines, contribuent l'volution du mtier. Le rapport l'information
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- Les nouveaux mtiers devenant un lment de transformation du rapport au savoir fait voluer le mtier d'enseignant (intgration des TIC dans les pratiques traditionnelles d'enseignement) et illustre ainsi bien l'volution des
mtiers qui se structurent autour de l'information.
L'introduction des TIC dans le systme scolaire cre le besoin d'une
fonction de support technique. Cette fonction, nouvelle dans ce milieu,
a souvent t assume par des jeunes dans le cadre des Contrats
Jeunes. Le besoin persiste, quels que soient les personnels qui seront
amens le satisfaire .
Malgr ces avantages, les enseignants qui ont intgr les TIC dans
leurs pratiques sont encore trs minoritaires, car il existe des freins
la diffusion des TIC dans l'enseignement :
la matrise des nouvelles comptences des enseignants fait apparatre des besoins de formation ;
l'quipement des enseignants leur domicile est support titre personnel par les enseignants eux-mmes ;
l'introduction des TIC dans les pratiques pdagogiques exige de la
part de l'enseignant un gros investissement personnel qui mriterait
d'tre reconnu. Or cette reconnaissance ne peut tre obtenue spontanment.
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volution et reconnaissance
des comptences
Les modalits optimales de la reconnaissance des comptences
lies aux TIC restent dterminer : faut-il certifier les comptences TIC, et dans l'affirmative, qui doit le faire, selon quelles
procdures ?
Cette question doit tre dbattue avec les acteurs conomiques,
les partenaires sociaux et les institutions publiques. Ces acteurs
doivent tre associs la conception et au suivi des dispositifs
existants dans ce domaine.
Le systme ducatif prend en compte progressivement dans les formations et dans les examens qu'il propose des comptences redfinies par les TIC et l'apparition de nouveaux mtiers. La transformation
des emplois et des comptences implique aussi une rflexion sur la
formation tout au long de la vie.
Dans ce cadre, les entreprises ont un rle jouer. S'il est reconnu de
plus en plus que la bonne efficacit de ces technologies dpend de la
matrise de ses usages et qu'il faut dvelopper des actions de formation tous ges, il faut galement ouvrir une rflexion sur la ncessaire certification des nouvelles comptences qui sont attendues,
qu'elles rsultent d'une formation ou de l'exprience.
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- volution et reconnaissance des comptences La formation tout au long de la vie doit permettre d'actualiser les
comptences et ceci pour tous les ges, pour toutes les gnrations
et tout niveau de qualification en s'appuyant sur les acquis de l'exprience et en vitant de renouveler les situations d'chec.
Des TIC l'cole l'cole des TIC
Le gouvernement franais a engag un effort particulier pour favoriser
la matrise des nouveaux outils de production, de transformation et de
diffusion de l'information par l'ensemble de la socit. L'ducation
nationale contribue ce projet. Le plan d'introduction des nouvelles
technologies dans l'enseignement annonc par le ministre de l'ducation nationale, de la Recherche et de la Technologie la rentre 1997
ainsi que la prsentation du programme d'action gouvernemental
"Prparer l'entre de la France dans la socit de l'information" en janvier 1998 constituent deux temps forts de ce volontarisme politique.
Dans le cadre de la prsentation de ces plans d'action, l'objectif assign au systme ducatif est "de dispenser chaque futur citoyen la
formation qui, terme, le mettra mme de faire des TIC une utilisation raisonne, de percevoir les possibilits et les limites des traitements informatiss, de faire preuve d'esprit critique face aux rsultats
de ces traitements, et d'identifier les contraintes juridiques et sociales
dans lesquelles s'inscrivent ces utilisations" 111. Cet objectif assign au
systme ducatif s'est accompagn de moyens pour y parvenir : quipements, nouveaux programmes, formation des enseignants, assistance technique
Les niveaux d'enseignement privilgis pour l'introduction des TIC sont
l'cole primaire et le collge, mme si le lyce constitue galement un
lieu de dveloppement des TIC et de rattrapage pour certains lves.
Le choix de privilgier l'outil informatique et, par l-mme, de former les
lves l'usage de l'informatique est une spcificit franaise.
Ainsi, l'cole lmentaire est privilgie l'intgration des outils dans
les pratiques traditionnelles d'enseignement. Dans ce cadre, trois
champs d'utilisation sont possibles :
le champ de la production d'crits et d'images, comme par exemple
la production d'un journal d'cole ;
(111) Brevet informatique et Internet (B2i) cole-collge, Bulletin Officiel de
l'ducation", n 2000-206 du 16 novembre 2000.
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- volution et reconnaissance des comptences le champ de la communication entre les classes. Internet donne en
effet une nouvelle ouverture la communication et au travail commun ;
le champ de la recherche documentaire en utilisant les outils de
recherche d'informations.
En ce qui concerne le collge, deux nouveauts sont introduites :
un cours spcifique l'intrieur de l'enseignement de la technologie.
Un tiers du programme de cette discipline est consacr dsormais la
structuration des comptences acquises l'cole primaire. Le professeur de technologie doit mettre de l'ordre dans ces comptences
acquises : les siximes travaillent sur le traitement de texte, les cinquimes sur le tableur, les quatrimes sur le multimdia et le pilotage
des machines. Quant aux troisimes, elles planchent sur la gestion
des rseaux. Le volume horaire est, chaque niveau, d'une dizaine
d'heures par anne ;
l'outil multimdia dans les programmes des diffrentes disciplines se
dveloppe.
Ces comptences, en thorie, doivent tre acquises par les lves lorsqu'ils entrent au lyce. Pour les lves qui ne les matrisent pas, une
remise niveau informatique leur est propose (module de 18 heures).
Au lyce, l'lve, en thorie, est suppos manier aisment l'outil multimdia. On lui demande d'entrer dans une logique de traitement d'un
problme. Il devra rendre compte de son autonomie dans la recherche
documentaire, dans le traitement des donnes et dans la production
d'un texte.
Dans cette logique, les nouveaux programmes ont tous t conus
avec une mention explicite de la place du multimdia dans l'enseignement de ces disciplines. En ce qui concerne les diffrentes disciplines,
on peut envisager cinq usages diffrents de l'outil multimdia :
1. La simulation de phnomnes (en chimie, en physique, en sciences
de la vie...) ;
2. Le traitement automatis de donnes (mathmatiques, statistiques,
conomie, sciences exprimentales...) ;
3. La visualisation de phnomnes (en mathmatiques, en gographie
par la cartographie, en langues, en musique...) ;
4. L'accs aux bases de donnes ;
5. La cration.
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- volution et reconnaissance des comptences Dans les filires technologiques et professionnelles, les TIC ont galement t introduites dans toutes les spcialits 112. Cette intgration
massive dans les formations se situe dans une logique d'adaptation
l'emploi mais galement d'anticipation. Les TIC sont donc ancres
dans les apprentissages fondamentaux et font notamment l'objet de
contrle en cours de formation. Elles sont galement mobilises
comme instruments d'tudes (recherche, traitement, mise en forme)
dans le cadre de projets pluridisciplinaires caractre professionnel.
Ce modle d'enseignement repose sur de nouveaux objectifs qui
sont : rechercher, trier, hirarchiser une information ; classer et mettre
en perspective une information ; circuler dans une arborescence ; lire
un hypertexte. Lorsque l'lve travaille sur une base de donnes, il a
accs des quantits d'informations. Il est important par consquent
que sa formation lui permette d'apprendre rechercher l'information ;
stocker et la grer, autant de comptences qui sont aussi importantes que la dtention d'informations.
Certaines formations professionnelles impliquent le recours des
applications logicielles spcifiques orientes mtiers ; c'est notamment
le cas de l'htellerie-restauration, le tourisme, les transports, la comptabilit, l'informatique de gestion Il est noter que l'introduction des
TIC change les pratiques pdagogiques car elles encouragent la crativit et la communication, favorisent l'autonomie des lves tout en
les responsabilisant. L'enseignant devient un guide et un mdiateur
dans les processus d'apprentissage.
La formation tout au long de la vie
Le consensus qui se dgage aujourd'hui, tant au niveau europen
qu'au niveau franais, quant l'importance de "la formation tout au
long de la vie" dcoule du sentiment partag qu'on assiste une profonde mutation du contexte socio-conomique qui ncessite de concevoir autrement la place et les objectifs de la formation.
En effet, les progrs et la diffusion trs rapides des connaissances
conduisent s'interroger sur les conditions dans lesquelles doivent
s'organiser leur transmission, leur utilisation et leur renouvellement. La
notion de formation tout au long de la vie traduit une remise en cause
de la vision traditionnelle d'une spcialisation des ges de la vie parti(112) Comme Alain Sr et Michel Aublin l'ont indiqu lors de la sance intitule
Dispositifs de reconnaissance des comptences et des qualifications" du 18
octobre 2001.
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- volution et reconnaissance des comptences culirement marque en France : se former, puis travailler et enfin se
reposer. Ce mouvement, combin aux aspirations une plus forte
diversification des modes de vie, amne repenser l'articulation entre
les diffrents temps sociaux et, en particulier la faon dont travail et
formation peuvent s'imbriquer.
Le concept de formation tout au long de la vie devrait alors mieux fdrer deux dimensions :
l'intgration par la formation initiale des dmarches favorisant la capacit des individus intgrer des univers en mouvement interactif ; la
capacit des systmes de formation des adultes accompagner les
travailleurs insuffisamment prpars s'emparer des nouveaux outils
gnrs par les TIC.
La formation professionnelle, en tant que prparation l'exercice des
mtiers de base doit s'ouvrir la matrise d'univers complexes et prparer l'acquisition permanente de nouveaux savoirs. Aussi le
concept "d'ducation" tout au long de la vie est en train de se substituer au concept de formation. Ce concept d'ducation inclut les
apprentissages formels et informels acquis avec ou sans formateur
(auto-formation). Cette notion reconnat de fait les comptences
acquises par un autodidacte, qui peuvent tre particulirement importantes dans le domaine des TIC.
L'ducation tout au long de la vie doit en effet prparer les individus
des contenus et des contextes d'emploi en mutation rapide ; leur permettre des dmarches d'appropriation permanente de nouveaux
savoirs et des postures de dveloppement personnel ; leur ouvrir des
trajectoires ou des mobilits professionnelles (si possible ascendantes) et leur permettre, pour ceux qui le souhaitent, de raliser des
mobilits gographiques, y compris transfrontalires. L'volution et la
reconnaissance des TIC ne peut s'inscrire que dans la rflexion autour
de l'ducation tout au long de la vie.
La Commission europenne considre que, comme l'ensemble de l'effort national d'ducation, l'ducation tout au long de la vie s'inscrit dans
le cadre de la construction d'un grand march europen du travail
dans lequel les frontires nationales ne constitueront plus des obstacles la circulation des personnes. Dans la mesure o un tel march se constitue, l'intrt des travailleurs franais est de s'y intgrer.
Pour progresser dans cette direction, il est souhaitable qu'une
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- volution et reconnaissance des comptences rflexion soit lance sur les quivalences de description de qualification et donc de comptences, en particulier en matire de TIC.
D'autre part, les actions de formation proposes aux salaris, dont le
niveau de formation n'est pas trs lev, doivent pouvoir favoriser des
volutions de carrire ascendante, d'autant que les dparts en retraite
qui vont s'acclrer d'ici 2005 provoqueront des exigences de la part
des entreprises d'lvation des comptences pour leurs salaris en
activit. Actions de formation qui doivent tre penses en s'appuyant
sur l'exprience professionnelle de ces populations afin d'viter que
ces dernires connaissent de nouveaux checs.
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- volution et reconnaissance des comptences anne un Brevet informatique et Internet (B2i) 113 . L'objectif de ce brevet est de spcifier un ensemble de comptences significatives dans
le domaine des TIC et d'attester leur matrise par les lves
concerns. Afin de tenir compte des quipements des coles et des
collges, il sera mis en place progressivement. Il a t dcid que pour
l'anne scolaire 2000-2001, le Brevet informatique et Internet peut
concerner l'ensemble des collges tandis qu'il sera mis en uvre de
manire facultative dans les coles. En 2002-2003, il sera gnralis
l'ensemble des coles. Le B2i n'est pas un diplme mais une attestation dlivre dans les coles et les collges.
Le B2i comporte deux niveaux de matrise des TIC. Le niveau 1 a pour
objet de vrifier l'acquisition de comptences que les lves peuvent
matriser l'issue de l'cole primaire. Le niveau 2 permet de vrifier
l'acquisition des comptences que les lves doivent matriser l'issue de leur scolarit au collge.
Comptences requises pour le B2i de niveau 1
ce niveau, l'lve utilise de manire autonome et raisonne les TIC
disponibles l'cole pour lire et produire des documents, pour rechercher des informations qui lui sont utiles et pour communiquer au
moyen d'une messagerie. Le rfrentiel des apprentissages pour ce
niveau est organis en cinq domaines.
Matriser les premires bases de la technologie informatique
L'lve doit tre capable d'utiliser bon escient le vocabulaire spcifique ncessaire la dsignation des composants matriels et des
logiciels utiliss pour permettre la saisie, le traitement, la sortie, la
mmorisation et la transmission de l'information ; de recourir l'utilisation de la souris et d'effectuer quelques commandes clavier lmentaires ; d'ouvrir un fichier existant, d'enregistrer un document cr,
d'ouvrir et de fermer un dossier.
Adopter une attitude citoyenne face aux informations vhicules par
les outils informatiques
L'lve doit pouvoir dmontrer qu'il est capable de vrifier la pertinence et l'exactitude des donnes qu'il a saisies. Il doit pouvoir tmoigner
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- volution et reconnaissance des comptences d'une approche critique des donnes disponibles et reconnatre et respecter la proprit intellectuelle.
Produire, crer, modifier et exploiter un document l'aide d'un logiciel
de traitement de texte
L'lve doit pouvoir consulter un document existant, saisir ou modifier
un texte, le mettre en forme en utilisant bon escient les minuscules
et les majuscules, les formats de caractres, les polices disponibles,
les marques de changement de paragraphe, l'alignement des paragraphes, les fonctions d'dition, copier, coller, couper ; d'organiser
dans un mme document, texte et images issues d'une bibliothque
d'images existantes ou de sa propre composition ; d'utiliser de faon
raisonne le correcteur d'orthographe.
Chercher se documenter au moyen d'un produit multimdia
L'lve doit mettre en uvre une consultation du support d'information
et conduire une recherche selon les modalits les plus adaptes et
exploiter l'information recueillie ; comparer pour choisir bon escient
et faire preuve d'esprit critique face aux documents, en recherchant
quelques critres propres valuer leur validit.
Communiquer au moyen d'une messagerie lectronique
L'lve doit pouvoir adresser un ou plusieurs destinataires, recevoir,
imprimer un message lectronique, y rpondre ou le faire suivre ; utiliser les rgles de correspondance d'Internet ; recevoir et exploiter un
fichier comme pice jointe ; comparer, pour choisir bon escient, le
service apport par Internet aux autres services de communication.
Comptences requises pour le B2i de niveau 2
ce niveau l'lve matrise l'ensemble des comptences fixes par le
niveau 1. En outre, il domine l'utilisation des outils informatiques
usuels pour produire, communiquer, s'informer et ordonner sa propre
documentation. Il organise notamment des documents complexes
comportant des tableaux, des formules et des liens avec d'autres
documents. Le rfrentiel des apprentissages pour le niveau 2 se
dcompose galement en cinq domaines.
Organiser des traitements numriques l'aide d'un tableur
L'lve doit pouvoir interprter les rsultats fournis partir de donnes
saisies par lui grce une feuille de calcul labore par l'enseignant ;
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- volution et reconnaissance des comptences crer une feuille de calcul simple qui rponde un problme en utilisant bon escient les formules et en vrifier la validit.
Produire, crer et exploiter un document
L'lve doit pouvoir crer un tableau pour faire une prsentation synthtique ; organiser, dans un mme document, textes, tableaux,
images ; crer un document avec des liens hypertextuels pour organiser la prsentation de ses arguments.
S'informer et se documenter
L'lve doit pouvoir utiliser les principales fonctions d'un navigateur ;
au moyen d'un moteur de recherche, trouver l'adresse d'un site
Internet et y accder ; tlcharger un fichier.
Organiser des informations
L'lve doit pouvoir sauvegarder ou chercher une information un
endroit qui lui est indiqu ; localiser une information donne ; organiser son espace de travail en crant des dossiers appropris.
Communiquer au moyen d'une messagerie lectronique
L'lve doit pouvoir adresser un fichier comme pice jointe au moyen
du logiciel de messagerie habituel.
Certifications des diteurs et des constructeurs informatiques
Clifford Adelman propose un panorama des certifications prives dont
nous reprenons ci-dessous les principaux lments en les compltant
par des informations apportes par le service formation continue de
Syntec Informatique 114.
Le systme de certification prive en technologies de l'information a
dbut en 1989 avec la mise en place de la premire certification
Novel (Certified Novel Engineer). En octobre 2000, il existait environ
300 certifications diffrentes. De par le monde, environ 1,6 million de
personnes taient certifies et dtenaient environ 2,4 millions de certificats. La plupart de ces certificats avaient t acquis depuis 1997.
Environ la moiti des personnes certifies avaient acquis leurs certificats aux tats-Unis. Par recoupements, l'auteur estime que les per(114) Clifford (A.), A Parallet Postsecondary Universe : The Certification System in
Information Technology" , rapport de l'Office of Educational Research and
Improvement, US, Department of Education, octobre 2000.
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- volution et reconnaissance des comptences sonnes certifies en dehors des tats-Unis sont de plus en plus jeunes
et qu'une proportion de plus en plus faible d'entre eux possde un
diplme universitaire.
Les certificats privs sont dlivrs l'issue d'examens organiss par
des organismes privs, qui, pour la plupart, dpendent des constructeurs de logiciels. Aucune formation formelle n'est demande pour se
prsenter un examen. En 1999, trois organismes certificateurs administraient environ 3 millions d'examens dans 140 pays. Les examens
sont rgulirement mis jour afin de reflter l'tat actuel de la technologie et des bonnes pratiques. En effet, la dure de ces certificats professionnels est mesurer l'aune de l'volution des versions successives des produits dont la dure de vie est en gnral limite 18
mois. Pour que leurs certificats restent valides, les personnes certifies doivent repasser rgulirement les examens. Nanmoins, en
fonction de la nature du produit, il n'est pas toujours ncessaire de
rviser entirement ses classiques. Il suffit d'acqurir quelques
modules supplmentaires. Le cot d'un examen varie entre 50 et
1 000 dollars, et certains certificats requirent plus de cinq examens.
Ces cots sont pris en charge par les employeurs pour plus de la moiti des candidats, ce qui signifie que prs de la moiti des candidats
financent leur formation.
Une industrie importante s'est cre pour prparer les candidats ces
certificats : elle comprend des coles traditionnelles, des universits et
des coles prives ddies la prparation de certifications prives.
Ces organismes organisent des cours, leurs sites Web proposent des
outils pour l'auto-apprentisage (CD-ROM, documentation), des enseignements distance, des exercices pratiques Les organismes de
formation sont accrdits par les constructeurs qui sponsorisent les
certifications (Microsoft, Cisco et autres). Les constructeurs garantissent la qualit et le contenu des formations et leur conformit leurs
standards. Les enseignants doivent eux-mmes tre certifis sur le
plan technique et sur le plan pdagogique. Aux tats-Unis, de nombreux organismes d'enseignement traditionnel (coles, universits)
ont inclus la prparation aux certifications prives dans leurs cursus.
Un mouvement similaire se dveloppe actuellement en Europe, et il
serait utile d'en apprcier l'ampleur. En outre, de nombreux organismes privs oprant en dehors du cadre formel de l'enseignement
suprieur prparent aux certifications au premier rang desquels on
trouve les constructeurs qui, non seulement dcident des spcifica142
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- volution et reconnaissance des comptences tions des examens, mais interviennent directement en tant que formateurs.
L'approche de l'quipementier rseaux Cisco peut tre considre
comme reprsentative de l'organisation des certifications prives.
Deux canaux de formation existent. D'une part, la "Cisco Networks
Academy" dsigne l'ensemble de ses partenariats avec 150 tablissements en France (universits, coles d'ingnieurs, AFPA). Dans ce
cadre sont dlivrs des modules de cours en offrant aussi la possibilit aux tudiants (des Bacs professionnels aux DESS) de se forger
des pratiques applicables d'autres produits concurrents, voire complmentaires. Ainsi Cisco propose avec HP-Compaq un contenu
connexe au module "rseau". Ces cours, qui intgrent nombre d'tudes de cas, s'avrent galement une bonne prparation aux certifications, lesquelles valident uniquement les formations spcifiquement
ddies aux producteurs de l'quipementier.
D'autre part, un rseau de centres CLP (Cisco Learning Partner) dont
cinq d'entre eux sont habilits dlivrer leurs cours en France (Azlan,
GFI Informatique, Global Knowledge, IBM Learning Services et
Westcon). S'ils sont libres de fixer le montant du cot de la formation,
le tarif pour l'examen est unique. Il s'lve 150 euros. Le programme, qui se dcline en quatre niveaux, est toff selon les besoins du
march (rseau optique, tlphonie sur IP) 115.
Le contrle de la qualit de la formation Cisco passe par le contrle
des conditions matrielles d'enseignement, par l'analyse des rsultats
et le contrle de la satisfaction des tudiants et des enseignants. Ce
contrle s'effectue par le biais d'observations in situ et par voie administrative (questionnaires de satisfaction).
Quelle est la valeur des certifications prives sur le march du travail ?
Aux tats-Unis, selon Clifford Adelman, parmi les offres d'emploi de
niveau intermdiaire (mid-level) en technologie de l'information, une
sur huit mentionne que la possession de tel ou tel certificat priv
constituerait un avantage pour les candidats. Par comparaison, une
offre d'emploi sur cinq (aux tats-Unis) exige du candidat un diplme
universitaire, mais la plupart de ces offres concernent des emplois qui
(115) Le lecteur, pour de plus amples informations sur les certifications prives,
peut consulter les sites suivants : http://.novell.com/education/certinfo ;
http:/www.oracle.com/education/lang/fr/certification/index.htlm
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- volution et reconnaissance des comptences ncessitent galement des comptences dans des domaines autres
que les TIC. Le plus souvent les offres d'emploi prcisent la fois des
comptences et une exprience dans des logiciels particuliers. En
France, les offres d'emploi en informatique mentionnent presque toujours le niveau d'tudes (Bac + x) et le plus souvent une exprience
dans des logiciels prcis. La mention explicite de certifications prives
dans les offres d'emploi est plus rare 116 ; nanmoins, la dtention d'une
certification permet au candidat de faire valoir sa connaissance d'un
logiciel particulier.
Le mode d'administration de la certification qui vient d'tre dcrit
conduit accrotre la mainmise des constructeurs sur les choix technologiques. Ds qu'il contrle le contenu de sa certification (donc de la
formation), chaque constructeur a un intrt fort enfermer ses tudiants dans un corpus de connaissances correspondant ses propres
choix techniques afin que ceux-ci deviennent ensuite des prescripteurs fidles de ses logiciels. Ainsi, la valeur de la certification prive
est base sur la stricte complmentarit des logiciels et des personnes
certifies pour les utiliser. Afin d'accrotre leur pouvoir de march, les
constructeurs tentent de fidliser les entreprises en proposant des
"partenariats" celles qui emploient les personnes qu'ils ont certifies.
Lorsqu'elle existe dans ce systme, la concurrence entre constructeurs conduit certes diversifier les formations, mais ne conduit pas
spontanment dvelopper une offre de connaissances gnrales et
transposables. la transposabilit des connaissances entre logiciels,
les grands constructeurs, qui appliquent une stratgie mondiale, opposent les avantages d'une transposabilit gographique de leurs certifications.
Il existe une communaut d'informaticiens qui, s'opposant la domination de Microsoft et de son modle conomique (le systme propritaire), a permis de dvelopper un logiciel concurrent sur la base
d'un modle conomique alternatif. Le logiciel (Linux) est libre d'accs,
ce qui signifie que toute personne a le droit d'accder au code source,
de le modifier, et de transmettre le logiciel modifi, gratuitement ou
non, sous rserve que le logiciel modifi soit lui-mme soumis aux
mmes rgles. Concrtement, cela signifie que si chacun peut se faire
(116) Le 17 juin 2002, 1 471 offres concernant l'informatique le multimdia ou
Internet taient diffuses sur le site www.cadremploi.fr . Parmi ces offres, une
vingtaine mentionnaient des certifications prives, les plus souvent comme un plus.
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- volution et connaissance des comptences rmunrer pour amliorer un programme, personne ne peut protger
les amliorations qu'il a apportes, et celles-ci bnficient de fait
tous les utilisateurs. L'objectif est de construire un bien public accessible tous 117. Dans les faits, ce logiciel progresse rapidement et ses
applications s'tendent. Il existe aussi depuis peu des certifications
Linux, et, aux tats-Unis, des centres privs de formation Linux.
Finalement, le dveloppement des certifications prives rduit la capacit des pouvoirs publics peser sur les choix technologiques, surtout
s'il se fait au dtriment des diplmes publics. Au niveau national, cette
capacit est limite car, compte tenu des conomies d'chelle du secteur, les standards ont tendance se dfinir au niveau mondial. En
matire de formation, le rle des pouvoirs publics est de dvelopper
les connaissances gnrales et transposables. En matire de certification, ces derniers peuvent soutenir les initiatives visant produire
des logiciels ayant la nature de biens publics, par exemple en dveloppant des actions de formation Linux ou en encourageant ces formations, et participer aux initiatives qui se prennent au niveau transnational (europen). Cependant, il faut prciser qu'estampilles de la
marque d'un diteur de logiciels (Microsoft, SAP) ou encore d'un
fabricant de matriels informatiques (IBM, HP, Cisco), ces certifications valident la reconnaissance d'un savoir-faire technique sur un produit donn. Elles ne sont ni un diplme, ni une qualification.
Certification europenne
Une dmarche europenne existe aussi en matire de certification de
comptences ; mais elle diffre des traditions franaises car elle
mane d'initiatives prives, la reconnaissance publique ne venant
qu'ultrieurement. Ainsi, en matire de certification des comptences
TIC de base, l'organisme le plus influent en Europe, le Conseil
europen des associations de professionnels des technologies de l'information (CEPIS), mane d'une fondation prive, la Fondation
European Computer Driving Licence (EDCL). Le CEPIS fdre 21
associations et regroupe plus de 250 000 professionnels. En 1996, le
CEPIS a dmarr une rflexion sur le type de comptences ncessaires pour les utilisateurs, sur les moyens de les dvelopper et des
(117) Pour plus d'information sur le modle conomique de Linux, voir Flichy (P.),
La gense de la nouvelle conomie, de l'Internet libre et non-marchand au
commerce lectronique", et le site www.linux.org.
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- volution et connaissance des comptences les faire reconnatre, rflexion qui a abouti la cration du "passeport
de comptences informatiques europen" (PCIE). Le PCIE a pour but
d'valuer et de valider les connaissances de bases ncessaires
toute personne travaillant sur micro-ordinateur. Il s'adresse toute
personne qui souhaite valider ses aptitudes crer, organiser et communiquer des documents et des informations. Le PCIE connat un
succs rapide :
en 1996, 6 pays adoptent le PCIE,
en 1999, le PCIE est dploy dans 25 pays,
en mars 2002, le PCIE offre une certification reconnue sur le plan
international. Il est dvelopp et reconnu dans 56 pays, dont tous les
pays europens, et traduit en 20 langues. Prs de deux millions de
personnes se sont portes candidates.
Le PCIE a reu le soutient public de l'Union europenne : en 2000, le
sommet de Lisbonne prne la mise en place d'un certificat europen
de type PCIE ; en 2001, le groupe d'experts ESDIS mandat par la
Commission europenne, recommande d'adopter le PCIE comme un
schma possible d'accrditation europen en technologies de l'information 118.
Le PCIE est une rponse un besoin de validation des comptences.
Il est issu d'une concertation avec d'une part des responsables informatiques et de ressources humaines d'entreprises, et d'autre part des
responsables de la formation professionnelle. Il est devenu un standard de validation mondial reconnu auprs des organismes de formation. En France, il est soutenu par la DIGITIP et gr par l'Association
franaise des Sciences et Technologies de l'Information (ASTI). Il peut
tre obtenu auprs de 250 centres agrs dont les centres de formation des Chambres de commerce et d'industrie, les grandes coles de
commerce, des coles d'ingnieurs, des centres AFPA, des centres de
formation privs, des grandes entreprises
C'est un dispositif modulaire et progressif permettant chacun de valider ses comptences de base en technologie de l'information. C'est un
outil de mesure des comptences en bureautique large et transverse.
Il teste les comptences soit sous la forme de questions/rponses, soit
(118) http://europa.eu.int/comm/employment_social/socdial/info_soc/esdis/bench_fr.pdf
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- volution et connaissance des comptences par l'excution de manipulations lies des fonctions identifies. Sept
modules sont proposs aux candidats : connaissances gnrales sur
le poste de travail et la socit de l'information, gestion des documents, traitement de texte, tableur, base de donnes, prsentation
assiste par ordinateur et courrier lectronique et navigation sur le
Web. Il se compose d'un ensemble de sept modules de tests (connaissances gnrales sur le poste de travail et la socit de l'information,
gestion des documents, traitement de textes, tableur, base de
donnes, prsentation assiste par ordinateur, courrier lectronique et
navigation sur le Web). Ds l'obtention de 4 modules, un premier certificat, le PCIE Start, est dlivr et constitue la premire tape de la
certification. Le certificat PCIE complet est obtenu avec sept modules.
Le rfrentiel du PCIE (Syllabus) dfinit les connaissances acquises
119
. Plus de deux millions de personnes sont en formation et plus de
170 000 personnes ont obtenu le diplme.
Il est intressant de noter que le CEDIS vient de lancer une nouvelle
initiative de certification europenne des professionnels de l'informatique (EUCIP) qui consiste crer un systme de formation professionnelle harmonis pour les praticiens des technologies de l'information et de la communication. Ainsi, les comptences en technologies
de l'information acquises seront certifies. Un programme de dveloppement sera lanc prochainement afin d'aider les professionnels
aller vers l'tablissement d'une qualification professionnelle.
Dans le domaines de la certification de comptences TIC plus pointues, l'initiative en Europe est galement venue du secteur priv. Ainsi,
le consortium Career & Space, cr l'initiative d'entreprises multinationales du secteur des TIC, regroupe des universits et des entreprises europennes. Il a construit un rfrentiel de mtiers et de formations qui se veut unificateur et qui recouvre largement le champ des
certifications prives. Le message politique est clair : la dfinition par
les grandes entreprises europennes d'un rfrentiel de comptences
TIC qu'elles s'accorderaient reconnatre pourrait aboutir un standard incontournable par les gouvernements et les partenaires sociaux
des diffrents pays.
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- volution et connaissance des comptences Ncessit d'un dialogue social sur la certification
Il existe ce jour trois types de certifications : les certifications
publiques dlivres par l'tat, les certifications prives dlivres par
des organismes (offices professionnels) ou entreprises comme
Microsoft 120 et les certifications europennes 121. Les entreprises
recherchent des salaris "comptents", d'o l'mergence d'un vritable march de la certification. Or, nos travaux montrent que les
comptences nouvelles que les salaris doivent dsormais mobiliser
se situent tant sur le plan technique que social. Cet ensemble multiforme n'est pas aisment "certifiable".
La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 porte cration d'un
droit la validation des acquis de l'exprience (VAE), tendue tous
les diplmes, les titres finalit professionnelle ou les certificats, qu'ils
soient dlivrs par l'tat, les branches professionnelles ou des organismes privs. Ces derniers devront tre enregistrs dans le rpertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Toutes les personnes installes dans la vie professionnelle depuis au moins 3 ans,
ont dsormais la possibilit de faire valider les acquis de l'exprience
(VAE) en vue d'acqurir un titre ou d'un diplme finalit professionnelle ou d'un CQP 122. Ce nouveau droit la VAE et le dispositif qui l'accompagne constituent un nouveau pas dans la reconnaissance des
savoirs issus de l'exprience au mme titre que ceux issus de la formation. Il s'agit d'une logique d'valuation de comptences et non de
dispenses d'preuves. Les salaris, qui sont en poste aujourd'hui,
n'ont pas tous reu une formation l'utilisation des TIC et ont souvent
t amens savoir les utiliser par une formation informelle et par la
(120) Les certifications" que certaines entreprises dveloppent, quant l'utilisation
de leurs propres outils ou procds, ne reconnaissent pas la capacit exercer un
mtier mais seulement la capacit comprendre et utiliser des outils ou des
procds clairement identifis. Elles ne doivent dont pas tre confondues avec les
certifications publiques ou celles dfinies par les commissions professionnelles
consultatives (CPC).
(121) Les certifications europennes sont soit mises directement en uvre pour le
compte de l'Union, soit dveloppes en conformit avec la norme EN 45013 sur la
certification de personnes. Dans ce dernier cas, les organismes qui les mettent en
uvre peuvent tre soumis l'accrditation de l'organisme national (en France le
COFRAC - Comit franais d'accrditation).
(122) Certificat de qualification professionnelle, dlivr par les partenaires sociaux,
et rfrenc dans les conventions collectives. Il n'existe que quelques dizaines de
CQP rellement actifs dont aucun sur des comptences TIC.
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- volution et connaissance des comptences pratique quotidienne. Il est donc important pour cette catgorie de
salaris que soit valide rapidement leur exprience dans ce domaine.
Ceci permettra de renforcer leur employabilit tout en assurant une
meilleure fluidit du march du travail, notamment dans un contexte o
des dparts la retraite sont attendus en nombre important.
Le ministre de l'ducation nationale a fait le choix de former les
lves, et ceci sur l'ensemble du cursus de la formation initiale, aux
comptences de base dans le domaine des TIC. Il est donc probable
que les jeunes, qui vont entrer dans les annes qui viennent sur le
march du travail, dtiendront des comptences TIC communes qui
pourront tre accompagnes de complments spcifiques en lien avec
le poste occup.
Quant aux certifications prives, il faut bien reconnatre que, bien
qu'elle soient utilises par les entreprises, elles ne bnficient aujourd'hui d'aucune reconnaissance officielle : n'tant pas prises en compte dans les conventions collectives, elles ne crent pas de droit, ni en
terme de rmunration, ni en terme de carrire. Il n'est pas certain
qu'elles soient retenues dans le rpertoire national des certification en
cours d'laboration. Cette non-reconnaissance met en cause la possibilit de mobilit pour tout salari dsirant exercer une autre activit en
dehors de la branche informatique car il ne peut pas faire reconnatre
ses comptences dans le domaine des TIC.
Une fraction des salaris dveloppe vis--vis des TIC des attentes
irralistes. Ils voient dans leur utilisation un moyen de compenser un
chec professionnel antrieur ou un chec scolaire. Ils s'investissent
fortement dans l'usage des TIC, ce qui est souvent profitable leurs
employeurs. Mais les bnfices qu'ils retirent sont rarement la hauteur de leurs esprances 123. Cette situation pose deux problmes.
Le premier est un problme d'quit. Des personnes prodiguent des
efforts qui ne sont pas suffisamment rcompenss (ce qui peut tre
ultrieurement source de dmotivation). Le second est un problme
d'efficacit. Ces personnes ne sont pas suffisamment guides dans
leur effort d'apprentissage. Elles s'investissent souvent dans des
savoirs qui deviennent rapidement obsoltes. Les deux problmes
sont lis : l'obsolescence des comptences acquises est une des raisons de leur non-rmunration.
(123) Gollac (M.) et Kramarz (F.), op. cit.
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- volution et connaissance des comptences Il faut bien avoir l'esprit que les comptences TIC n'tant que rarement intgres dans les rfrentiels de nombreux mtiers, leur diffusion dans les univers de travail risque, au regard des certifications
dominantes, tre sous-estimes, occultes ou mal interprtes. La
certification des comptences TIC est un moyen de guider les efforts
des salaris et de rpondre leurs attentes. Les entreprises n'ont pas
toujours la possibilit de le faire : les PME, et mme nombre d'entreprises de grande taille ont une capacit de prospective limite en ce
qui concerne l'volution moyen terme des comptences TIC. La certification est un moyen, travers les processus qui conduisent sa
dfinition, de crer une synergie entre des capacits de prospective
partielles et parses.
D'autre part, la certification permettrait de mettre l'accent sur les
comptences portables d'une entreprise l'autre plutt que sur celles
qui n'ont de sens que dans le cadre d'une entreprise dtermine. La
situation serait donc amliore en termes de maintien de l'employabilit des salaris (et donc d'quit) comme de fluidit du march de
l'emploi.
Enfin les phases de concertation entre les partenaires sociaux permettraient de mieux s'accorder sur la valeur des diffrentes comptences TIC. Ceci permettrait de limiter les comportements de surinvestissement ou, du moins, d'apporter chacun une information
ncessaire la poursuite d'une compensation quitable des efforts
fournis.
En rsum, d'un ct la certification contribuera presque certainement
accrotre des attentes qui existent dj de toutes faons. En contrepartie, d'une faon moins certaine mais trs plausible, elle canalisera
ces attentes, amliorera l'ajustement entre attentes, comportements et
rtributions et augmentera l'efficacit des efforts consentis.
L'tat actuel des connaissances ne permet pas d'affirmer avec certitude que dvelopper la certification des comptences TIC sera conomiquement et socialement bnfique. Une telle issue ne peut d'ailleurs
tre atteinte que si la certification est convenablement conduite, faute
de quoi les effets pervers l'emporteraient sur les effets vertueux. Elle
est toutefois suffisamment plausible pour qu'on puisse recommander
que s'ouvre sur la question un dbat entre les partenaires concerns.
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- volution et connaissance des comptences Toutefois, sur la base d'lments communs, qui peuvent tre inspirs
du PCIE comme de l'initiative rcente "EUCIP" et (ou) utiliser les
acquis reconnus par le B2i, les branches professionnelles pourraient
tablir des rfrentiels prcisant les comptences TIC complmentaires en lien avec leurs activits spcifiques. La Commission nationale des certifications professionnelles (CNCP), cre par la loi de
modernisation sociale, serait en charge de suivre les travaux raliss
par les branches professionnelles afin de donner un avis sur le complment de certification TIC ; l'ensemble "lments communs" et "complments spcifiques" serait alors enregistr dans le nouveau rpertoire. Il faut pour cela favoriser le dveloppement d'un partenariat entre
les branches, les entreprises et les pouvoirs publics.
l'avenir, il faut offrir aux salaris la possibilit de diminuer la mobilit
contrainte et de favoriser leurs mobilits volontaires afin de valoriser
au mieux leurs comptences. Cela suppose de plus en plus qu'ils
dtiennent des comptences mobilises par les TIC. Il semble aujourd'hui ncessaire en s'appuyant sur la loi du 17 janvier 2002 qui leur
permet de valoriser par le biais de la certification ce qu'ils ont appris
par l'usage ou la formation, de dvelopper une rflexion sur l'laboration d'un certificat de qualification professionnel (CQP) TIC.
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Conclusion
La diffusion des TIC : un phnomne durable
Les espoirs excessifs dans la "nouvelle conomie" se sont dissips ;
mais il faudrait se garder de croire, par raction, que tout n'tait qu'illusion dans l'ide d'une nouvelle conomie. Cette nouvelle conomie ne
se rduit pas de nouveaux secteurs, mme si, bien entendu, de nouveaux secteurs mergent. Elle ne s'identifie pas non plus l'conomie
de l'information. Elle rsulte de la transformation de l'ancienne conomie, transformation dans laquelle les technologies de l'information et
de la communication jouent un rle essentiel.
Le potentiel d'innovation des TIC n'est pas puis. Les matriels continuent s'amliorer. De nouveaux logiciels voient le jour : ils apportent
de nouvelles fonctionnalits ou des surcrots d'efficacit considrables. Mais, d'un point de vue conomique et social, la diffusion des
technologies existantes, lie au dveloppement d'usages innovants de
ces techniques, est un phnomne aussi important que l'apparition de
technologies nouvelles. Sur ce plan, le potentiel des TIC reste trs
important.
Si aujourd'hui, presque toutes les entreprises sont informatises, leurs
utilisations des TIC sont trs diffrencies. Il en est de mme pour les
travailleurs. Or le pass le montre : la forte slectivit de la diffusion
des TIC n'est pas le signe de l'existence de barrires infranchissables.
La baisse du prix des matriels et des logiciels aujourd'hui nouveaux,
les mettront demain entre les mains d'entreprises ou de salaris qui
n'y ont pas encore accs. Ainsi, et aussi spectaculaires que soient les
innovations, l'informatisation doit tre considre comme un phnomne progressif, dont les dbuts remontent d'ailleurs deux gnrations.
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- Conclusion des emplois venir se trouvera ailleurs : dans des mtiers qui ne doivent pas leur existence aux TIC, mais que celles-ci sont susceptibles
de transformer. L'enjeu fondamental est donc celui de l'insertion des
TIC dans l'activit des personnes et des organisations, du lien entre
innovation et exprience.
TIC et organisation du travail : une interaction forte
Les TIC n'imposent pas une forme d'organisation du travail nouvelle et
unique.
L'absence de dterminisme technologique est un des rsultats les plus
assurs des recherches sur les TIC. Selon les cas, la diffusion des TIC
permet une centralisation ou une dcentralisation, une plus grande
autonomie ou une plus grande prescription, un resserrement ou un
relchement du contrle...
Pour autant, les technologies ne sont pas neutres. Elles rendent possibles de nouveaux choix d'organisation. Bien des formes nouvelles
d'organisation ne seraient pas envisageables sans le secours des
TIC : quand bien mme elles ne seraient pas impossibles mettre en
place, elles seraient trop coteuses.
En fait, technologie et organisation interagissent peu prs constamment. La diffusion des TIC et les rorganisations d'entreprises sont
intimement lies : pour l'essentiel, l'efficacit des TIC rsulte des choix
organisationnels qu'ils rendent possibles. La technologie facilite certains changements organisationnels. Et, inversement, la volont de
promouvoir certaines formes nouvelles d'organisation oriente l'innovation technologique en lui procurant des commandes ou un march.
L'innovation technologique modifie l'espace de dcision des dirigeants, mais la responsabilit de ceux-ci n'est nullement amoindrie, au
contraire.
Si aucune forme d'organisation n'est une consquence oblige de l'informatisation, certaines transformations apparaissent lies de faon
privilgie la diffusion des TIC. Celles-ci permettent de rechercher
simultanment plusieurs formes d'efficacit, de combiner par exemple
rgularit et flexibilit, principes d'organisation bureaucratiques et principes d'organisation marchands. Elles permettent aussi de stabiliser
les relations entre des personnes autonomes, de dvelopper simultanment l'initiative des travailleurs et le contrle de leur activit, de
dvelopper des formes collectives d'efficacit.
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- Conclusion Du point de vue des mtiers, du travail et des personnes qui le font,
certains de ces changements organisationnels comportent des
risques, qu'il faut tenter de matriser. A contrario, ces risques peuvent
tre vits lorsque les changements d'organisation sont discuts et
ngocis entre les managers, l'encadrement et les oprateurs.
Les TIC rendent possibles des organisations plus complexes, dans
leurs finalits comme dans leurs modalits. Cette complexit tant souvent mal matrise, les travailleurs doivent grer eux-mmes une partie
des contradictions nes de la poursuite d'objectifs multiples. L'initiative
plus grande qui leur est en gnral reconnue ne leur suffit pas forcment pour faire face. Ils vivent une intensification de leur travail.
Cette intensification rend plus difficile l'appropriation du changement
technologique. Matriser les TIC est bien plus facile quand on a le
temps d'anticiper, de se prparer puis d'explorer, de procder par
essais et erreurs, de capitaliser ses expriences. Un contexte d'urgence rend impossible cette familiarisation douce.
Des risques d'exclusion rductibles ou vitables
L'association entre innovation technologique et innovation organisationnelle cre davantage encore de risques d'exclusion que chacune
de ces volutions prise sparment.
Par elle-mme, la matrise des TIC est exigeante en termes de
connaissances et de comptences cognitives. C'est d'autant plus vrai
que les logiciels sont souvent conus en prenant insuffisamment en
compte les spcificits des utilisateurs. Parfois, mais, heureusement,
de moins en moins souvent, les concepteurs se rfrent un utilisateur qui leur ressemble. Beaucoup plus souvent ils se rfrent un utilisateur non informaticien mais ayant des caractristiques socio-culturelles proches des leurs ou bien proches du modle culturel lgitime.
Les utilisateurs qui s'en cartent se trouvent pnaliss et connaissent
d'importantes difficults d'apprentissage.
Comme on vient de le dire, l'apprentissage est encore plus difficile
lorsque l'organisation met le travail sous pression. L'organisation est
un point d'appui lorsqu'elle facilite la coopration dans l'apprentissage
et l'exploration des techniques, mais ce n'est pas le cas lorsqu'elle
intensifie l'excs le travail : cooprer est difficile quand personne
n'est disponible parce que chacun est entirement accapar par ses
propres tches.
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Page 6
- Conclusion Par ailleurs, les formes d'organisation que les TIC servent promouvoir sont elles-mmes exigeantes. Elles rclament initiative, capital
social, mobilisation de soi. La slection qu'elles engendrent constitue
une large part de celle attribue tort aux technologies en ellesmmes. Disposer des comptences permettant de s'insrer dans ces
organisations est encore plus ncessaire en situation de changement
technologique. Il faut disposer de la marge ncessaire pour dgager le
temps et l'nergie ncessaire l'apprentissage des techniques. Plus
encore, il faut comprendre le fonctionnement de l'organisation pour
reprer les modes d'usage des techniques qui, du point de vue de l'entreprise, sont efficaces.
On comprend ds lors que la diffusion des TIC cre, et recre au fil
des innovations, une forte slection au sein du salariat. Cette slection
conforte les rsultats antrieurs : non seulement les utilisateurs ont
une qualification qui est reconnue comme suprieure, mais encore,
toutes choses gales par ailleurs, ils taient, avant mme d'accder
aux nouvelles technologies, des salaris bien rmunrs et plus
diplms. L'accs aux TIC conforte encore la position des salaris
concerns dans l'entreprise, diminue leur risque de chmage. Les
formes d'organisation associes aux TIC comportent aussi des innovations dans la gestion des ressources humaines : une valuation plus
serre, une gestion plus individuelle. Les consquences de la russite ou de l'chec sont plus nettes. tre exclu des TIC ne signifie pas
forcment tre exclu du march du travail, mais augmente ce risque.
L'origine du risque ne rside pas uniquement dans les insuffisances de
certains salaris, ni dans celles de certains logiciels, ni certaines organisations. C'est le mauvais ajustement entre les salaris, les organisations et les techniques qui est en cause. Ne considrer que les uns
ou les autres conduit des actions coteuses et peu efficaces.
Les insuffisances des salaris sont celles qui ont le moins de chances
de passer inaperues. Pourtant, elles font rarement l'objet d'analyses
fines et approfondies. Considrer a priori comme inaptes l'usage des
TIC les salaris les moins forms et les plus gs conduit rejeter
sans ncessit une fraction de la main-d'uvre et aussi ngliger les
problmes des autres salaris.
Le rapport des travailleurs vieillissants l'innovation technologique
comme organisationnelle est un enjeu considrable dans les annes
venir. Il est bien tabli que les travailleurs gs sont tout fait en
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- Conclusion Les organismes publics (l'ANACT et les ARACT notamment) ont vocation assurer de telles missions d'expertise et il est souhaitable que
leurs moyens d'intervention voluent d'une manire adapte
l'acclration des mutations technologiques et organisationnelles. Le
recours d'autres organismes de conseil peut galement tre facilit,
notamment par des mesures de soutien financier. Un tel soutien est
particulirement souhaitable dans le cas des petites et moyennes
entreprises. La nature et les modalits de cette intervention des pouvoirs publics devraient faire l'objet d'une concertation avec les partenaires sociaux.
La culture ergonomique doit tre diffuse non seulement vers les dirigeants et les cadres ou les intermdiaires, mais aussi vers les salaris
et en priorit leurs reprsentants. Encourager la ralisation d'expertises l'initiative des organisations syndicales permettrait de fonder un
consensus quant aux mutations technologiques et organisationnelles
sur un dbat contradictoire argument et favoriserait une vision de
long terme du capital humain au sein de l'entreprise. Les profonds
changements en cours rsultent le plus souvent d'une srie d'innovations incrmentales. Une voie envisager consiste tendre le droit
des instances reprsentatives solliciter une expertise au-del du seul
cas de changement technologique majeur. Ces expertises peuvent
tre particulirement efficaces pour des changements de porte
limite, o les oppositions de point de vue peuvent se rsoudre de
faon pragmatique. La mesure suppose de ngocier des modalits de
financement.
La ngociation ne doit pas seulement tre vue comme une contrainte
pour les entreprises, mais aussi comme une ressource, un moyen de
faire remonter des informations fiables sur ce que les salaris peuvent
faire et sur la faon dont ils peuvent affronter les changements. Cette
ngociation doit tre un moyen de matriser les aspects contre-productifs des changements, tels les excs de l'intensification du travail,
qui s'opposent l'apprentissage. Elle permet aussi de favoriser la
coopration dans l'usage des TIC, par exemple travers la cration de
formes de tutorat ou le soutien des rseaux d'entraide. Le processus
de ngociation doit prendre en compte la diversit des emplois mais
aussi des personnes : cet gard, la conclusion d'un accord "minoritaire" avec les reprsentants d'une fraction du personnel a peu d'efficacit sur les formes et les consquences concrtes du changement.
Cet apprentissage par la ngociation ne peut tre efficace que s'il est
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- Conclusion les comptences TIC ? La question doit tre dbattue car le risque de
faire natre de faux espoirs existe. Dans l'affirmative, qui doit certifier,
selon quelles procdures ? Comment prendre en compte les liens
entre les TIC et les autres aspects du travail ? Comment anticiper l'obsolescence des connaissances ?
Dans le cadre d'un partenariat entre les branches, les entreprises et
les pouvoirs publics, les branches professionnelles pourraient tablir
des rfrentiels prcisant les comptences TIC complmentaires avec
leurs activits spcifiques. La Commission nationale des certifications
professionnelles (CNCP), suivrait les travaux sur le complment de
certification TIC. L'ensemble "lments communs" et "complments
spcifiques" serait alors enregistr dans le nouveau Rpertoire.
Par ailleurs, il semble aujourd'hui ncessaire de dvelopper une
rflexion sur l'laboration d'un certificat de qualification professionnel
(CQP) TIC. Cela peut se faire en s'appuyant sur la loi du 17 janvier
2002 qui permet aux travailleurs de valoriser par le biais de la certification ce qu'ils ont appris par l'usage ou la formation.
Toutes ces questions doivent tre dbattues entre les acteurs conomiques, les partenaires sociaux et les institutions publiques. Ces
acteurs doivent tre associs la conception et au suivi des dispositifs existants dans ce domaine.
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- Liste des membres des relations professionnelles, DARES, ministre des Affaires
sociales, du Travail et de la Solidarit
Valrie DEFAUQUET, Dpartement des formations en alternance et de
l'insertion des jeunes, DGEFP, ministre des Affaires sociales, du
Travail et de la Solidarit
Alain FERRAGU, en retraite depuis mai 2002, Dpartement Emploi,
INSEE
Patrice FLICHY, LATTS, universit de Marne-la-Valle
Bernard HUVET, directeur de BULL Formation, BULL
Jean-Pierre KOECHLIN, CFCT
Pierre MANSAT, chef du bureau de la formation des personnels,
ministre de la Jeunesse, de l'ducation nationale et de la Recherche
Fabienne MAILLARD, Direction de l'enseignement scolaire, ministre de
la Jeunesse, de l'ducation nationale et de la Recherche
Jacques MAIRESSE, INSEE
Alain OSMONT, conseiller technique au Dpartement Synthses,
DGEFP, ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarti
Patrick PICARD, FSU
Odette PILLET, Mission l'Emploi, Direction de l'enseignement suprieur, ministre de la Jeunesse, de 'ducation nationale et de la
Recherche
Roland RASKOPF, FO, PTT
Rgis REGNAULT, collaborateur de l'activit Formation initiale et continue, CGT
Alain SR, Inspection gnrale de l'ducation, ministre de l'ducation nationale et de la Recherche
Paul SANTELMANN, chef du service Prospective, Emploi, Formation,
AFPA
Pierre VEILL, directeur de la Formation, du Dveloppement des ressources humaines, CRCI Pays de Loire
Michel VIALLE, ministre de l'Agriculture et de la Pche, Direction gnrale de l'enseignement suprieur
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