Rapport Sécurité Juridique Et Initiative Économique
Rapport Sécurité Juridique Et Initiative Économique
Rapport Sécurité Juridique Et Initiative Économique
SCURIT JURIDIQUE
ET INITIATIVE CONOMIQUE
Scurit juridique
et initiative conomique
Mai 2015
Scurit juridique
et initiative conomique
Mai 2015
Rapport du groupe de travail prsid par
Henri de Castries
Nicolas Molfessis
Composition de la Commission
Prsidents
Henri de Castries
Prsident Directeur Gnral dAXA
Nicolas Molfessis
Professeur lUniversit Panthon-Assas
Secrtaire gnral du Club des juristes
Membres
Stphane Austry
Avocat la Cour, CMS Bureau Francis Lefebvre
Denys de Bchillon
Professeur lUniversit de Pau et des Pays de lAdour
Membre du Club des juristes
Odile de Brosses
Directrice du service juridique, Association franaise des entreprises prives
(AFEP)
Francis Donnat
Directeur des politiques publiques, Google France
Expert du Club des juristes
Frdric Jenny
Professeur dconomie, ESSEC
Membre du Club des juristes
Matthieu Quyollet
Conseiller du Prsident de lAssemble nationale charg des affaires juridiques
et institutionnelles
Expert du Club des juristes
Jean-Emmanuel Ray
Professeur lcole de droit de la Sorbonne et Sciences Po
Membre du Club des juristes
7
Isabelle Seillier
Directeur Gnral Europe, Moyen-Orient, Afrique pour les Institutions
Financires de J.P. Morgan
George Stansfield
Directeur des Ressources Humaines et Directeur juridique du Groupe AXA
Renaud Streichenberger
Avocat la Cour, Bredin Prat
Patrick Suet
Secrtaire gnral de la Socit Gnrale
Membre du Club des juristes
Franois Sureau
Avocat au Conseil dtat et la Cour de cassation, SCP Spinosi & Sureau
Membre du Club des juristes
Jean-Paul Valuet
Secrtaire gnral de lAssociation Nationale des Socits par Actions (ANSA)
Personnalits extrieures
Jean-Denis Combrexelle
En qualit de Directeur gnral du Travail
Alain Lambert
Prsident du Conseil gnral de lOrne et de la Commission Consultative
dvaluation des Normes
Marc Guillaume
En qualit de Secrtaire gnral du Conseil constitutionnel
Marie-Christine Lepetit
Chef du service de lInspection Gnrale des Finances
*
*
Secrtaire de la Commission
Maxime Cormier
Doctorant contractuel lUniversit Panthon-Assas
Organisation des runions
Jrmy Heymann
Matre de confrences lUniversit Panthon-Sorbonne
Marie-Laure Layus
Avocat la Cour, Charge de recherches en droit allemand auprs de la
Cellule de droit compar du Conseil dtat
Sommaire
Composition de la Commission.................................................................
Remerciements ...........................................................................................
13
Introduction ...............................................................................................
15
PREMIRE PARTIE
LA LGISLATION
I Prfrer les rformes globales aux toilettages rptition .....................
59
69
97
DEUXIME PARTIE
LA COUR DE CASSATION
I Permettre lvolution du rle de la Cour de cassation
sous linfluence de la CEDH ..................................................................... 143
II Amliorer la rationalit et lefficacit de la jurisprudence .................... 159
III Favoriser les avis de la Cour de cassation ........................................... 193
TROISIME PARTIE
LE DROIT FISCAL
I Concentrer les rgles porte fiscale au sein des seules lois
de finances ................................................................................................. 207
II Abroger larticle 40 de la Constitution................................................ 213
III Systmatiser le recours la concertation publique
lors de llaboration des dispositifs fiscaux ................................................. 217
11
QUATRIME PARTIE
LE DROIT DU TRAVAIL
I Approche structurelle ........................................................................... 269
II Approche substantielle : trois causes dinscurit juridique
rcurrentes pour les groupes internationaux ............................................... 323
ANNEXES
Annexe 1 Liste des personnes auditionnes ............................................. 345
Annexe 2 Compilation des propositions ................................................. 347
12
Remerciements
La Commission entend remercier Caroline Coupet, Matre de confrences en droit
priv lUniversit Panthon-Assas, Garance Feldman, Doctorante en droit public
lUniversit Panthon-Assas, Amlie Bonardi, Doctorante contractuelle en droit priv
lUniversit Panthon-Assas, Dimitri Lrher, Docteur en droit public de lUniversit
de Pau et des Pays de lAdour, Antoine Touzain, Doctorant contractuel en droit priv
lUniversit Panthon-Assas et Maxime Cormier, Doctorant contractuel en droit priv
lUniversit Panthon-Assas, pour leur contribution llaboration du prsent rapport.
*
*
Introduction
1. La question de la scurit juridique tourne lobsession. Obsession des
oprateurs conomiques, des pouvoirs publics, des juristes. En moins de vingt
ans, les rflexions et initiatives de toutes sortes guides par une volont de lutter
contre linscurit juridique se sont multiplies. La liste des tudes et analyses
consacres la question est longue. Rapports publics1, thses2, articles et travaux
de tous genres sur la scurit juridique en gnral3 ou relatifs une matire en
1. Conseil dtat, Rapport public 1991 De la scurit juridique, La Documentation
franaise, 1991 ; Conseil dtat, Rapport public 2006 Scurit juridique et complexit
du droit, La Documentation franaise, 2006.
2. V. not. S. Calmes, Du principe de protection de la confiance lgitime en droits allemand, communautaire et franais, Dalloz, 2001 ; E. Ben Merzouk-Glon, La scurit
juridique en droit positif : une valeur irrductible la norme, thse dactyl., Paris II, 2003 ;
A.-L. Valembois, La constitutionnalisation de lexigence de scurit juridique en droit franais, LGDJ, 2005, prf. B. Mathieu ; Th. Piazzon, La scurit juridique, Defrnois, 2009,
prf. L. Leveneur. Et sur des matires spcifiques : v. F. Douet, Contribution ltude de
la scurit juridique en droit fiscal interne franais, LGDJ, 1997, avant-propos J. Schmidt
et prf. B. Nel ; G. Dufour, Scurit juridique et rgles de droit : illustration en droit des
contrats, thse Lille II, 2005 ; O. Debat, La rtroactivit et le droit fiscal, Defrnois, 2006,
avant-propos P. Serlooten et prf. M. Cozian ; P. Raimbault, Recherche sur la scurit
juridique en droit administratif franais, LGDJ, 2009, prf. J.-P. Thron ; P. Rrapi, Laccessibilit et lintelligence de la loi en droit constitutionnel : tude du discours sur la qualit de la
loi, Dalloz, 2014, prf. A. Roux ; J. van Meebeeck, De la certitude la confiance. Le Principe de scurit juridique dans la jurisprudence de la Cour de justice de lUnion europenne,
FUSL, 2014, prf. F. Ost ; G. Drouot, La rtroactivit de la jurisprudence. Recherche sur
la lutte contre linscurit juridique en droit civil, Universit Panthon-Assas, 2014.
3. V. not. M. Fromont, Le principe de scurit juridique, ADJA 1996, 178 ; X. Lagarde,
Jurisprudence et inscurit juridique, D. 2006, 678 ; B. Bonnet, Lanalyse des rapports
entre administration et administrs au travers du prisme des principes de scurit juridique et de confiance lgitime, RFDA 2013, 718 V. not. M. Heers, La scurit juridique
en droit administratif franais : vers une conscration du principe de confiance lgitime ?,
RFDA 1995, 963 ; B. Pacteau, La scurit juridique, un principe qui nous manque ?,
AJDA 1995, 151 ; J.-R. Pellas, Le principe de scurit juridique en droit fiscal, in
Mlanges G. Dupuis, LGDJ, 1997, p. 261 ; B. Mathieu, La scurit juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient, in Mlanges P. Glard. Droit constitutionnel,
Montchrestien, 1999, p. 301 ; N. Molfessis, Les avances de la scurit juridique,
RTD. civ. 2000, 660 La scurit juridique et laccs aux rgles de droit, RTD. civ.
2000, 662 La scurit juridique et la jurisprudence vue par elle-mme, RTD. civ. 2000,
666 La scurit juridique et la fonction normative de la loi, RTD. civ. 2000, 670 ;
15
dune mauvaise pratique. On le sait : les lois inutiles, prises sous la tyrannie de
linstantan, tuent les lois utiles. Au lieu de sinterroger sur ces dysfonctionnements, on veut remettre en question nos institutions 1. Cest ainsi la pratique
lgislative qui marque lemballement et la frnsie. Au fond, et le prsent rapport
devra bien souvent en faire le constat, tout se passe le plus souvent comme
si les bonnes intentions cdaient devant les contraintes supposes de la
situation luvre. Cest la tyrannie des faits contre le droit.
Dans cette mesure, on peut craindre que le systme en soit venu, progressivement, entretenir une inscurit quil veut pourtant combattre. Entre lobjectif
formul et sa ralisation, il semble y avoir des obstacles qui entravent la ralisation
du but poursuivi. La jurisprudence ny droge pas. ce titre, lexemple de la
modulation dans le temps des revirements de jurisprudence est particulirement
loquent. Sur cette question qui vise assurer la scurit juridique en matrisant
leffet rtroactif de la jurisprudence, la Cour de cassation avait sembl entreprendre une dmarche claire, initie par son Assemble plnire. Mais, elle sest
divise et les dcisions, loin de marquer un progrs dans la prise en compte des
anticipations des justiciables, et tout le moins une cohrence dans les solutions
retenues se sont caractrises par leur disparit et leur imprvisibilit.
La modulation dans le temps des revirements de jurisprudence
Ou comment la Cour de cassation cre lincertitude
sans rsorber linscurit
partir du milieu des annes 2000 et suivant un mouvement qui conduira une
volution remarquable des contentieux administratif et constitutionnel, la Cour de
cassation a entam une rflexion sur la modulation dans le temps des revirements
de jurisprudence. On connat bien la problmatique : en cas de changement de
jurisprudence, lapplication rtroactive du revirement des faits qui lui sont antrieurs
peut porter atteinte limpratif de prvisibilit du droit et donc la scurit juridique.
Faut-il, ds lors, admettre que le juge puisse, dans certaines circonstances, moduler
dans le temps les effets du revirement ?
Dans le dbat sur la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence, les
arguments se mlent, se mlangent et sopposent. Pouvoir du juge, articles 4 et 5 du
Code civil, intrts respectifs des parties en prsence, place des droits fondamentaux dans
le choix de la solution les lments de la discussion ne manquent pas. Labondance
de la littrature juridique ces dernires annes na dailleurs pas ncessairement permis
de clarifier le dbat.
cette question, on pouvait esprer que la Cour de cassation apporte une solution
claire, qui vienne prcisment contribuer la scurit juridique et non ajouter
linstabilit jurisprudentielle limprvisibilit des revirements. LAssemble plnire
stait en ce sens rapidement prononce par un arrt du 21 dcembre 2006. Statuant
sur lobligation de ritrer tous les trois mois des actes interruptifs de prescription
1. J.-L. Debr, Il y a une crise de la loi, Le Point, 16 novembre 2014.
18
pour laction fonde sur une atteinte la prsomption dinnocence, elle fit obstacle
lapplication immdiate de cette rgle de prescription dans linstance en cours. Selon
elle, lapplication de la solution issue du revirement de jurisprudence aurait abouti
priver la victime dun procs quitable, au sens de larticle 6 1 de la Convention
de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales, en lui interdisant
laccs au juge . Dans un effort dexplication, le communiqu accompagnant la
dcision avait pris le parti de replacer la solution dans un contexte plus gnral, en
soulignant qu imposer aux justiciables lapplication dune rgle quils ignoraient et
dont ils ne pouvaient anticiper la survenue au moment o ils ont agi est de nature
porter atteinte au principe de scurit juridique et contredire illgitimement leurs
prvisions . On pouvait alors sattendre ce que limprvisibilit de la rgle nouvelle
appelle la modulation de son application dans le temps.
la suite de cette dcision pourtant, les diffrentes chambres de la Cour de cassation
ont renvoy des signaux discordants, dissemblables dune chambre lautre.
Certaines chambres sont ainsi venues exprimer une vidente rticence face au
principe mme de la modulation dans le temps des revirements. Tel fut notamment
le message dlivr par la Premire chambre civile travers deux arrts du 11 juin
2009 selon lesquels la scurit juridique, invoque sur le fondement du droit
un procs quitable, pour contester lapplication immdiate dune solution nouvelle
rsultant dune volution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis
une jurisprudence fige, ds lors que la partie qui sen prvaut nest pas prive du
droit laccs au juge . La Premire chambre civile incarne ici un courant rsolument
restrictif, rejoint par la Chambre sociale qui a rejet la modulation des revirements
au motif que la scurit juridique, invoque sur le fondement du droit un procs
quitable prvu par larticle 6 de la Convention europenne de sauvegarde des droits
de lhomme et des liberts fondamentales ne saurait consacrer un droit acquis une
jurisprudence immuable, lvolution de la jurisprudence relevant de loffice du juge
dans lapplication du droit 1. Mais dans le mme temps, la Chambre commerciale,
dans le sillage de larrt dAssemble plnire, na au contraire pas hsit recourir
la modulation pour carter lapplication dun revirement de jurisprudence portant
sur une rgle de recevabilit2, ou encore sur la conception de la notion de vanit des
poursuites3, se montrant plus accueillante lgard de la modulation. Ces hsitations
jurisprudentielles, entre hostilit et rception de la modulation, interdisent lmergence
dune politique jurisprudentielle lisible.
Plus encore, lhsitation ne se rduit pas ici une simple opposition entre les diffrentes
chambres de la Cour de cassation. Lincertitude se retrouve dsormais au sein de
chacune delles. Ainsi, la Chambre commerciale, suppose favorable la modulation,
1. Soc., 22 septembre 2010, n 09-40968 ; 18 mai 2011, n 09-72959 ; 10 avril 2013,
n 12-16225 ; 10 octobre 2013, n 12-21167; 8 avril 2014, n 13-11133. V. g. en ce
sens, la Deuxime chambre civile, cassant un arrt de cour dappel qui avait fait droit
la modulation : Civ. 2e, 19 novembre 2009, n 08-20528.
2. Com., 13 novembre 2007, Bull. civ. IV, n 243.
3. Com., 26 octobre 2010, Bull. civ. IV, n 159.
19
coupe en morceaux 1 ? Et le fait maison est admis pour les tablissements recevant
les produits pluchs, dcoups, ou hachs ? Le rsultat tonne : quun restaurant
italien serve des ptes industrielles, avec de la viande sous vide, et ce sera du fait
maison
Par consquent, tout restaurateur, ou presque, devra arborer le fait maison . Conu
en vue de mettre en avant certains restaurateurs refusant lutilisation de produits
industriels, le texte aboutit un label gnralis, bien loin de ses objectifs premiers.
Plus grave encore, la rglementation employe risque daboutir une confusion dans
lesprit des consommateurs2. Tous les restaurateurs doivent en effet rappeler la dfinition
du plat fait maison sur leur carte, quand bien mme ils nen cuisineraient pas3
Mais les consommateurs comprendront-ils que la mention nest quun rappel de la
dfinition lgale ? Ne risquent-ils pas den dduire que le restaurant en question ralise
des produits faits maison , alors mme quil nen est rien ? On peut lgitimement
le craindre.
4. Limpression qui prdomine est alors celle dun dcalage entre les intentions
et les ralisations. Limpression se renforce lorsque lon examine les dclarations
des acteurs et lvidente volont de lutter contre diverses formes dinscurit
juridique quelle traduit, et les pratiques des mmes lorsquils sont en situation.
Ainsi, ceux qui prconisent les changements les plus vertueux sont pourtant
les premiers faire le contraire de ce quils recommandent, comme si les
ncessits de lexercice du pouvoir impliquaient de sabstraire des contraintes
de scurit juridique. Faudrait-il pourtant rappeler que ce nest que lorsque
lon est en position de lgislateur que lon peut montrer comment doit se
faire la loi ? On voit aisment combien le pragmatisme prend alors le dessus :
sil est facile de dclarer quil faut mettre fin aux lois mmorielles, il lest moins
de ne pas promettre une loi concernant la pnalisation de la contestation du
gnocide armnien en pleine campagne lectorale (et la suite dune censure du
Conseil constitutionnel). De ces dcalages, une illustration est particulirement
rvlatrice, celle qui tient la dnonciation de la lgislation par voie dordonnances par ceux qui sont dans lopposition, compare leur pratique lorsquils
se trouvent au pouvoir. Ceux qui saccordent sur les mfaits dun recours excessif
aux ordonnances peuvent en avoir un usage immodr une fois quils accdent
aux plus hautes responsabilits.
27 juin 2013.
2. Confusion tout fait vidente la consultation du dossier de presse du 15 juillet 2014, sur lapplication de la mention fait maison en restauration, p. 10 :
les trois formules alternatives ne semblent gure videntes distinguer, sauf
connatre le logo fait maison impos
3. V. art. D. 121-13-3 C. conso, issu du dcret prc.
23
1. Id.
25
1. L. Boy, J.-B. Racine, F. Siriainen (dir.), Scurit juridique et droit conomique, Larcier,
2008, spec. p. 18.
2. Selon son intitul mme.
3. M. Prada, Rapport sur Certains facteurs de renforcement de la comptitivit juridique de
la place de Paris, Ministre de lconomie, des finances et de lindustrie : Ministre de
la justice, 2011, p. 4.
28
6. Prenant acte de lirrductible relation entre scurit juridique et initiative conomique, le prsent rapport entend formuler un certain nombre
de propositions visant favoriser la scurit juridique afin dencourager
linitiative conomique. Ces propositions ne rpondent pas une logique dexhaustivit. Outre limpossibilit dune telle ambition tant linscurit juridique
irrigue lensemble des matires juridiques , il a t jug prfrable dinsister sur
des points spcifiques, dans des domaines particuliers, spcialement concerns
par la ncessaire recherche de scurit juridique. Il sagira souvent, on le verra, de
pointer les dysfonctionnements, de contribuer une volution des esprits avec
toujours, au premier plan, cette volont que limpratif de scurit juridique
prime sur les raisons de lui porter atteinte.
Parmi les diffrents thmes qui devaient tre lobjet dune rflexion sur la scurit juridique et linitiative conomique, la Commission a dcid de porter son
attention sur la lgislation (Premire Partie), la Cour de cassation (Deuxime
Partie), le droit fiscal (Troisime Partie) et le droit du travail (Quatrime
partie). Les deux premiers thmes se caractrisent par leur transversalit : dans
toutes les matires, cest la qualit de la lgislation et laction du juge en loccurrence celle de la Cour de cassation qui contribuent la scurit juridique. Les
deux derniers thmes se sont eux imposs de faon vidente, tant le droit fiscal
et le droit du travail occupent une place importante dans le processus dcisionnel
des acteurs conomiques dj implants en France ou dsirant y dvelopper une
activit. Droit fiscal et droit social tant trs rgulirement dnoncs pour leur
inscurit, il ntait gure envisageable quune rflexion sur la scurit juridique
et linitiative conomique ne consacrt de trs substantiels dveloppements ces
deux matires.
Se droulant sur une priode denviron 18 mois, les travaux de la Commission ont permis la confrontation de points de vue varis, reprsentatifs de sa
composition. Outre les runions et changes qui ont ponctu ses travaux, la
Commission a eu loccasion de mener un certain nombre dauditions1 afin de
nourrir ses propositions. Celles-ci ont dailleurs volu au cours de la priode
en mme temps que lenvironnement juridique lui-mme. On croisera, chemin
faisant, des propositions qui sont dans lair du temps voire dj en chantier dans
notre lgislation.
Le prsent rapport sera, sous diffrents aspects, source de discussions et de
dbats. On voudrait encore, sur bien des points, pouvoir le parfaire et le complter. La discussion quil pourra nourrir sera, esprons-le, de nature remplir cet
office.
1. V. Annexe n 1, infra.
29
PREMIRE PARTIE
LA LGISLATION
7. Pour ceux qui sont ns aprs-guerre, il semble presque fatal de vivre dans
la crise de la loi, comme lon vit dsormais dans une priode de rchauffement climatique. Lhistoire moderne de la loi nous apparat comme celle dune
dcadence inexorable, quon ne sait enrayer, voire quon ne pourrait enrayer.
Depuis plus dun demi-sicle, la doctrine dnonce ce quil faut bien considrer
comme un drglement de la dmocratie. Mais aux cts dcrits innombrables
sajoutent dsormais des rapports officiels, des discours publics, des dclarations
de personnalits particulirement bien places pour valuer la situation, qui
dressent chacun un constat sans appel1.
En 1991, dans son rapport public consacr la Scurit juridique, le Conseil
dtat avait pris le parti dviter les euphmismes, pour retenir des formuleschoc destines marquer les esprits. Les formules sont restes : quand la loi
bavarde, le citoyen ne lui prte plus quune oreille distraite . Elles permettent
de se figurer, mieux que tout discours, les effets dune loi qui perd sa normativit
cest la dnonciation du dveloppement du droit mou , flou , ltat
gazeux , marque par linstabilit la loi dont on change chaque saison, la
loi jetable, nest pas respectable et linflation la multiplication des normes,
leurs raffinements byzantins, limpossibilit o lon se trouve de pntrer leurs
couches de sdiments successifs, engendrent un sentiment dangoisse diffuse ; le
droit napparat plus comme une protection mais comme une menace .
Quinze annes plus tard, le Rapport annuel du Conseil dtat sur Scurit juridique et complexit du droit devait souvrir sur une citation du rapport
de 1991, manire de montrer que rien navait vritablement chang. Et pour
cause, on retrouve le mme constat alarmant, la mme dnonciation de linflation normative, qui explique que le nombre de pages du Recueil des lois de
lAssemble nationale soit pass de 433 pages en 1973 3 721 pages en 20042.
Le changement est surtout dans les consquences que lon en dduit. Face au
phnomne de mondialisation qui se dveloppe alors et dont on tudie en tous
domaines les consquences, on commence considrer que la situation nuit
notre conomie et sa comptitivit : dans de telles conditions, il devient trs
difficile, parfois impossible, pour lusager, le citoyen ou lentreprise de connatre
1. V. not. Les Documents et Travaux du Snat, La qualit de la loi, n EJ 3, Snat,
2007 ; Mission dinformation commune de lAssemble nationale, Linsoutenable application de la loi, Assemble nationale, 1995 ; B. Lasserre, Pour une meilleure qualit de la
rglementation, La Documentation franaise, 2004 ; D. Mandelkern, Rapport du groupe
de travail interministriel sur la qualit de la rglementation, prc. ; OCDE, Mieux lgifrer en Europe : France, 2010, J.-L. Warsmann, La qualit et la simplification du droit,
Assemble nationale, 2008.
2. Conseil dtat, Rapport public 2006 Scurit juridique et complexit du droit, prc.,
p. 265 s.
33
concernant le problme essentiel du retard dans lapplication des lois, lamlioration semble notable : jusquen 2010, le taux dapplication des lois six mois
aprs leur promulgation se situait entre 10 et 35 %, contre environ 65 % pour
les annes 2011-2012 et 2012-2013. Concernant les lois adoptes au cours de
la lgislature actuelle et qui ont t promulgues il y a plus de six mois, le taux
dapplication stablit 80 %. Comme la soulign rcemment lancien prsident
de la Commission snatoriale pour le contrle de lapplication des lois, un
processus positif a donc t engag tant au niveau du Gouvernement, des ministres et du Secrtariat gnral du Gouvernement quau niveau du Parlement 1.
De mme, on verra plus loin que le travail dvaluation sest nettement
amlior depuis la loi organique du 15 avril 2009, qui oblige le Gouvernement
assortir la plupart des projets de loi dune tude dimpact.
Mais les progrs sont trs relatifs. Si le Conseil constitutionnel combat
labsence de normativit de la loi en censurant les textes manifestement
dpourvus de toute porte normative 2 ou encore son caractre inintelligible
et inaccessible, ses interventions restent assurment mesures. Pourrait-il en aller
autrement ? Le Conseil constitutionnel ne saurait faire obstacle la majeure
partie des textes, empcher la promulgation de la loi de finances, crer une
crise de la lgislation en rponse la crise de la loi Quant au Conseil dtat,
il nest pas encore possible de dterminer exactement linfluence quil a sur la
lgislation puisque ses avis, jusquici3, ntaient pas rendus publics. Sagissant
des tudes dimpact, on sait quil na jusqu prsent rejet quun seul texte pour
absence ou quasi-absence dtude. Il faut toutefois croire, selon ce quindique
son Vice-Prsident, que beaucoup plus souvent sur presque chaque texte,
dire vrai , le Conseil dtat soulve linsuffisance de ltude dimpact sur telle
ou telle mesure et il demande quelle soit complte avant le dpt du projet de
loi sur le bureau de lune ou lautre assemble. Le Gouvernement tient en rgle
1. D. Assouline, Contrler et valuer la loi, JCP G 2015, supp. n 14, 26. D. Assouline
ajoute : Je constate toutefois que le taux dapplication nest pas le mme pour les textes
dinitiative parlementaire, quil sagisse de propositions de loi ou damendements dposs
sur des projets de loi. Il est de 48 % pour les amendements de lAssemble nationale
et de 24 % pour ceux du Snat, alors quil se monte 67 % pour les amendements du
Gouvernement. On publie les dcrets dapplication pour des lois ou les amendements
du Gouvernement avec deux fois plus de diligence que pour ceux du Parlement, dont
linitiative est dj bride, puisquil ne produit quun texte sur cinq .
2. Cons. const., 21 avril 2005, n 2005-512 DC. On notera que le Conseil constitutionnel a galement fait usage de cette solution lors de la censure de la loi relative au
gnocide armnien (Cons. const., 28 fvrier 2012, n 2012-547 DC).
3. Lors de ses vux aux Corps constitus, le 20 janvier 2015, le Prsident de la Rpublique a annonc que les avis du Conseil dtat seraient lavenir publics. La partie de
lavis relative aux tudes dimpact viendra ainsi utilement clairer les confrences des
Prsidents des deux assembles, qui peuvent sopposer, en vertu de larticle 39 de la
Constitution, linscription dun texte lordre du jour lorsquil ne respecte pas les rgles
fixes par la loi organique du 15 avril 2009.
35
gnrale compte de nos observations, soit avant que le Conseil dtat ne rende
son avis final, soit entre cet avis et la dlibration du Conseil des ministres 1.
Aussi, les volutions luvre ces dernires annes ne remdient que lentement et faiblement aux maux biens connus de la loi inflation, instabilit,
manque de clart auxquels on ajoute aussi labsence de normativit2.
J.-M Sauv, Ouverture du colloque Lentreprise et la scurit juridique
Anne
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13 304 13 672 14 846 15 290 15 048 14 940 15 429 15 857 16 523 15 989
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1984
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17 128 15 285 16 334 16 126 17 477 17 324 17 245 18 304 19 300 19 881
de Pages
Anne
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1996
1997
1998
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2001
2002
2003
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19 763 22 436 21 058 21 686 25 383 22 668 24 438 25 048 26 091 26 206
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Anne
2004
2005
2006
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2009
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26 143 22 835 21 476 24 541 22 357 23 969 25 788 24 097 22 426 22 882
de Pages
Anne
20141
Nombre
10 813
de Pages
1. Au 30 juin 2014.
37
1990
1995
2000
2005
2009
Lois ordinaires
16
23
29
34
37
Lois de finances
73
51
74
102
61
Ensemble
22
31
33
39
41
Ainsi, ces dernires annes, le nombre darticles et le nombre de mots par loi
se sont accrus respectivement de 8 % et 6 % par an. Certains textes atteignent
plusieurs centaines darticles et de pages.
Le Prsident du Conseil constitutionnel, M. J.-L. Debr, dont linstitution
est particulirement bien place pour ressentir le phnomne de grossissement
son dlai pour statuer ne saccrot pas en fonction de la longueur des textes !
a ainsi stigmatis rcemment les lois qui peuvent atteindre 169 pages dans le
Journal Officiel et dont les trs nombreux dcrets et arrts ncessaires leur
application ne peuvent tre adopts rapidement3.
Lusage parfois irraisonn du droit damendement, notamment par le Gouvernement, conduit augmenter considrablement le volume des textes vots et
diminuer la cohrence des dispositions quils contiennent4. La loi du 23 fvrier
2005 sur le dveloppement des territoires ruraux semble ce titre dtenir un
record puisque le projet de loi qui comptait 76 articles a termin le parcours
lgislatif 240 articles ! De mme, la loi dite Grenelle II du 12 juillet 2010
comporte in fine 257 articles, soit 153 articles de plus que le texte initial ; la
loi du 24 mars 2014 pour laccs au logement et un urbanisme rnov compte
1. En moyenne 60 70 lois par an, en dehors des lois de ratification dengagements
internationaux.
2. Secrtariat gnral du Gouvernement, Lois et rglements en vigueur. Approche statistique,
janvier 2011 (rapport disponible en ligne :
http://archives.Gouvernement.fr/fillon_version2/sites/default/files/fichiers_joints/Lois_
et_reglements_en_vigueur__statistiques.pdf ).
3. J.-L. Debr, Il y a une crise de la loi, prc.
4. Le Secrtariat gnral du Gouvernement relevait dans son approche statistique de 2011
que pour lanne 2009, le volume de ces textes a environ doubl au cours de la phase
dadoption parlementaire par rapport au projet initial du Gouvernement (+ 109 % en
nombre darticles et + 87 % en nombre de mots).
38
177 articles, alors que le projet de loi ne dpassait gure les 85 articles1. Le projet
de loi pour la croissance, lactivit et lgalit des chances conomiques, dite Loi
Macron en cours de discussion, est galement un exemple loquent : le projet
de loi, qui comptait initialement 106 articles comptait plus de 200 articles aprs
son passage en commission ; de 88 pages, le projet de loi est pass 244 pages ;
en premire lecture lAssemble nationale, avant le recours larticle 49-3 de
la Constitution, 1 861 amendements ont t dposs en commission et plus de
3 000 amendements lont t lors de la sance publique.
Il nest pas besoin dinsister sur la difficult daccs au droit que posent
ces textes de longueur dmesure. Certains articles stalent sur plusieurs
pages du Journal officiel ; ils conduisent eux-seuls la cration ou la
modification de plusieurs articles de codes et peuvent ainsi avoir des rpercussions considrables et souvent difficiles mesurer sur le droit positif.
Ces articles, qui semblent avoir t nourris aux hormones, ont en outre des
effets multiplicateurs sur les modifications du droit lui-mme. Non seulement
parce que la loi rclame des textes dapplication, mais aussi, et de faon essentielle, parce que la tendance la plus moderne est la cration, par la loi, de
procdures et de processus de toutes sortes. Un seul article de loi lunit de
mesure en quelque sorte a vocation entraner la cration ou la mise en branle,
dans son sillage, de procdures formelles nombreuses et complexes.
Mieux que toute dmonstration, voici ainsi, pris parmi dautres, larticle 17 de
la loi n 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour lenvironnement, dite Grenelle II, dont on rappellera quelle a compt 257 articles :
Article 17 de la loi n 2010-788 du 12 juillet 2010
portant engagement national pour lenvironnement
I. Le chapitre II du titre II du livre Ier du mme code [de lurbanisme] est ainsi
modifi :
1 Larticle L. 122-1 est abrog ;
2 Aprs larticle L. 122-1, sont rtablis quatre articles L. 122-1-1 L. 122-1-4 et
sont insrs onze articles L. 122-1-5 L. 122-1-12 et L. 122-1-14 L. 122-1-16
ainsi rdigs :
Art. L. 122-1-1. Le schma de cohrence territoriale respecte les principes noncs
aux articles L. 110 et L. 121-1. Il comprend un rapport de prsentation, un projet
damnagement et de dveloppement durables et un document dorientation et
dobjectifs. Chacun de ces lments peut comprendre un ou plusieurs documents
graphiques.
Art. L. 122-1-2.-Le rapport de prsentation explique les choix retenus pour tablir le
projet damnagement et de dveloppement durables et le document dorientation et
dobjectifs en sappuyant sur un diagnostic tabli au regard des prvisions conomiques
et dmographiques et des besoins rpertoris en matire de dveloppement conomique,
1. J.-M. Sauv, Penser et voter la loi, prc.
39
40
IV. Pour la ralisation des objectifs dfinis larticle L. 122-1-4, il peut, en fonction
des circonstances locales, imposer pralablement toute ouverture lurbanisation
dun secteur nouveau :
1 Lutilisation de terrains situs en zone urbanise et desservis par les quipements
mentionns larticle L. 111-4 ;
2 La ralisation dune tude dimpact prvue par larticle L. 122-1 du code de
lenvironnement ;
3 La ralisation dune tude de densification des zones dj urbanises.
V. Il peut dfinir des secteurs dans lesquels louverture de nouvelles zones
lurbanisation est subordonne lobligation pour les constructions, travaux,
installations et amnagements de respecter :
1 Soit des performances nergtiques et environnementales renforces ;
2 Soit des critres de qualit renforcs en matire dinfrastructures et rseaux de
communications lectroniques.
VI.
41
1 Les objectifs doffre de nouveaux logements, rpartis, le cas chant, entre les
tablissements publics de coopration intercommunale ou par commune ;
2 Les objectifs de la politique damlioration et de la rhabilitation du parc de
logements existant public ou priv.
Art. L. 122-1-8.-Le document dorientation et dobjectifs dfinit les grandes
orientations de la politique des transports et de dplacements. Il dfinit les grands
projets dquipements et de dessertes par les transports collectifs.
Il peut prciser, en fonction de la desserte en transports publics rguliers et, le cas
chant, en tenant compte de la destination des btiments :
1 Les obligations minimales ou maximales de ralisation daires de stationnement
pour les vhicules motoriss que les plans locaux durbanisme et les documents
durbanisme en tenant lieu doivent imposer ;
2 Les obligations minimales de ralisation daires de stationnement pour les vhicules
non motoriss que les plans locaux durbanisme et les documents durbanisme en
tenant lieu doivent imposer.
Les trois alinas prcdents ne sont pas applicables dans les territoires couverts par
un plan local durbanisme comprenant un plan de dplacements urbains.
Art. L. 122-1-9.-Le document dorientation et dobjectifs prcise les objectifs
relatifs lquipement commercial et artisanal et aux localisations prfrentielles
des commerces afin de rpondre aux exigences damnagement du territoire,
notamment en matire de revitalisation des centres-villes, de cohrence entre
quipements commerciaux, desserte en transports, notamment collectifs, et matrise
des flux de marchandises, de consommation conome de lespace et de protection de
lenvironnement, des paysages, de larchitecture et du patrimoine bti. Il comprend
un document damnagement commercial dfini dans les conditions prvues au II
de larticle L. 752-1 du code de commerce, qui dlimite des zones damnagement
commercial en prenant en compte ces exigences damnagement du territoire.
Dans ces zones, il peut prvoir que limplantation dquipements commerciaux est
subordonne au respect de conditions quil fixe et qui portent, notamment, sur la
desserte par les transports collectifs, les conditions de stationnement, les conditions
de livraison des marchandises et le respect de normes environnementales, ds lors
que ces quipements, du fait de leur importance, sont susceptibles davoir un impact
significatif sur lorganisation du territoire.
Art. L. 122-1-10.-En zone de montagne, le document dorientation et dobjectifs
dfinit :
1 La localisation, la consistance et la capacit globale daccueil et dquipement des
units touristiques nouvelles mentionnes au I de larticle L. 145-11 ;
2 Les principes dimplantation et la nature des units touristiques nouvelles
mentionnes au II du mme article L. 145-11.
Art. L. 122-1-11.-Lorsquils comprennent une ou des communes littorales, les
schmas de cohrence territoriale peuvent comporter un chapitre individualis valant
schma de mise en valeur de la mer tel que dfini par larticle 57 de la loi n 83-8
du 7 janvier 1983 relative la rpartition de comptences entre les communes, les
dpartements, les rgions et ltat, condition que celui-ci ait t approuv selon les
modalits dfinies au prsent chapitre.
42
Si lon compte bien, ce seul article, dont on admettra aisment quil est
dune lecture parfaitement indigeste, abroge plusieurs dispositions existantes,
rtablit 4 articles, en cre 16 nouveaux et en modifie 15 existants. Avec un
article de loi, une quarantaine de dispositions se trouvent affectes. Combien de
milliers alors pour une loi qui compte plus de 250 articles ?
Surtout, cet article ceux qui lauront lu en entier pourront sen rendre
compte prvoit plusieurs procdures propres llaboration des divers documents durbanisme quil rgit, notamment les schmas de cohrence territoriale
(mais aussi les schmas de secteur), qui eux-mmes se composent dun rapport
de prsentation, dun projet damnagement et de dveloppement durables et
dun document dorientation et dobjectifs, lesquels sont ainsi dfinis et dtaills
par larticle 17 prcit. De mme, larticle prvoit lagencement de ces schmas et rapports avec des documents existants plan local durbanisme (PLU),
programme local de lhabitat ou dun plan de dplacements urbains, charte de
dveloppement du pays, etc. , il implique la rvision des statuts des syndicats
mixtes constitus des communes et tablissements publics de coopration intercommunale comptents compris dans le primtre du schma, il instaure une
procdure aprs avis de la Commission dpartementale de la coopration intercommunale, il accorde des prrogatives au prfet, qui pourra notamment prendre
des arrts (pour le projet de primtre vis au texte), il envisage la dlibration
de diffrents organismes, prvoit lavis dorganes dlibrants, etc. Bref, il est luiseul le dclencheur de dizaines de modifications et de procdures nouvelles.
Dans le mme temps, il prvoit des exceptions aux rgles quil pose, et par
suite des procdures spciales en cas de drogation, ainsi que lamnagement dans
le temps mais aussi dans lespace ici des rgles et procdures mises en place.
Par exemple, il nonce que :
3 Larticle L. 122-2 est ainsi modifi :
a) Le premier alina est remplac par deux alinas ainsi rdigs :
Dans les conditions prcises au prsent article, dans les communes qui
ne sont pas couvertes par un schma de cohrence territoriale applicable,
le plan local durbanisme ne peut tre modifi ou rvis en vue douvrir
lurbanisation une zone urbaniser dlimite aprs le 1er juillet 2002 ou
une zone naturelle.
Jusquau 31 dcembre 2012, le premier alina sapplique dans les communes
situes moins de quinze kilomtres du rivage de la mer ou moins de quinze
kilomtres de la priphrie dune agglomration de plus de 50 000 habitants
au sens du recensement gnral de la population. compter du 1er janvier
2013 et jusquau 31 dcembre 2016, il sapplique dans les communes situes
moins de quinze kilomtres du rivage de la mer ou moins de quinze
kilomtres de la priphrie dune agglomration de plus de 15 000 habitants
au sens du recensement gnral de la population. compter du 1er janvier
2017, il sapplique dans toutes les communes .
Une telle disposition reflte de faon assez caractristique elle na rien dexceptionnel , ce que signifie lallongement des articles de loi dans notre lgislation
48
Mais il y a aujourdhui plus. Trois sries de facteurs viennent montrer le drglement normatif et expliquer linterventionnisme lgislatif chronique.
Le premier tient lemprise du fait sur le droit. On rangera dans ce mouvement toutes les hypothses dans lesquelles le rflexe lgislatif se dclenche sous
lemprise des seules circonstances : ce sont les hypothses dans lesquelles la
conjoncture voire des vnements ponctuels guident la loi. Celle-ci est alors conue
comme une manire de rgler des problmes plus que de prvenir des situations.
Elle est un instrument de gestion des crises, une rponse lmotion et la colre,
un outil de navigation vue. Tout sujet au 20 heures est devenu virtuellement
une loi , dnonait de cette phrase fameuse Guy Carcassonne, qui ajoutait que la
loi est devenue une rponse, dfaut dtre une solution . On reviendra plus loin
sur cette croyance affiche dans les vertus de la loi. Quil suffise ici de comprendre
que la loi ractive, celle qui court aprs les faits, est ncessairement en retard.
Le deuxime tient lessor des revendications de toutes sortes, ce que lon
peut dnommer lappel la loi. Que cet appel soit le signe des revendications
communautaristes, quil exprime lessor sans prcdent des droits subjectifs et par
suite des demandes de droits et donc de bienfaits lgislatifs, ou quil revienne
montrer combien la rgle juridique est devenue le mode de rgulation par excellence des rapports sociaux, il consiste solliciter sans cesse davantage la loi. Pierre
Kropotkine, anarchiste libertaire, exprimait il y a plus dun sicle videmment
pour la dnoncer cette manire du citoyen de sen remettre la loi.
P. Kropotkine, La loi et lautorit (1892)
Quand lignorance est au sein des socits et le dsordre dans les esprits, les lois
deviennent nombreuses. Les hommes attendent tout de la lgislation, et chaque loi
nouvelle tant un nouveau mcompte, ils sont ports lui demander sans cesse ce qui
ne peut venir que deux-mmes, de leur ducation, de ltat de leurs murs . Ce
nest pourtant pas un rvolutionnaire qui dit cela, pas mme un rformateur. Cest
un jurisconsulte, Dalloz, lauteur du recueil des lois franaises, connu sous le nom de
Rpertoire de la Lgislation. Et cependant ces lignes, quoique crites par un homme
qui tait lui-mme un lgislateur et un admirateur des lois, reprsentent parfaitement
ltat anormal de nos socits.
Dans les tats actuels une loi nouvelle est considre comme un remde tous les
maux. Au lieu de changer soi-mme ce qui est mauvais, on commence par demander
une loi qui le change. La route entre deux villages est-elle impraticable, le paysan dit
quil faudrait une loi sur les routes vicinales. Le garde-champtre a-t-il insult quelquun,
en profitant de la platitude de ceux qui lentourent de leur respect : Il faudrait
une loi, dit linsult, qui prescrivt aux gardes-champtres dtre un peu plus polis .
Le commerce, lagriculture ne marchent pas ? Cest une loi protectrice quil nous
faut ! ainsi raisonnent le laboureur, lleveur de btail, le spculateur en bls, il ny a
pas jusquau revendeur de loques qui ne demande une loi pour son petit commerce. []
Bref, partout une loi ! une loi sur les rentes, une loi sur les modes, une loi sur les chiens
enrags, une loi sur la vertu, une loi pour opposer une digue tous les vices, tous les
maux qui ne sont que le rsultat de lindolence et de la lchet humaine.
50
En miroir, lui rpond un troisime facteur, sans doute encore plus grave, car
il rvle un mal plus profond, li un changement mme dans la prtention
de la loi. Dans la perspective universaliste des Lumires, lindividu est saisi de
faon abstraite, dsincarne. Ce ne sont pas ses besoins matriels, sa situation
personnelle, et donc sa vie quotidienne qui importent ; il est le sujet et lobjet
de la loi parce quil est homme et ses droits sont fonction de cette appartenance
lhumanit. Lapproche moderne, qui srige avec lmergence de ltat-providence, se proccupe de lhomme en situation. Ds lors, ltat se fait interventionniste. Comme lcrit si justement Mme D. Schnapper, ltat-providence
contemporain sinscrit dans lhistoire dun tat dintervention, dont la fonction
premire et la lgitimit taient dassurer la scurit des membres de la socit 1.
Dans cette approche subjectiviste, lpanouissement individuel passe par la
loi. Ce nest pas labsence de droit qui est rige en condition du bonheur ; cest
au contraire sa sollicitude sans cesse croissante. Lindividu a besoin dtre protg :
contre les dangers de la vie en socit, contre les autres, mais aussi contre lui-mme.
La loi prtend savoir plus que quiconque et plus que chacun, ce qui permet
lpanouissement individuel. Cest dans cette croyance quelle tire sa lgitimit
interventionniste. Le lgislateur croit en la loi, considre elle-mme comme un
bienfait. Ltat a choisi de prendre en main lindividu pour tre le garant de
son mancipation. En charge du dveloppement individuel, du bien-tre, de
la scurit et des aspirations les plus diverses des individus, il y puise une
lgitimit venir sintroduire jusque dans les replis de leur vie intime.
Cest ltat qui est ainsi en charge de dfinir ce qui est bien pour lindividu
et entend se substituer ses choix. Que lEurope se mle de ce qui la regarde ,
sest exclame lUnion des familles en Europe face au projet dinterdire la fesse :
les familles franaises souhaitent tre libres dlever leurs enfants leur ide. Et
ce quelles pratiquent ou non la fesse . Pourtant lducation est devenue, comme
la sant, une prrogative tatique faonne par le Welfare state. Lindividu ds
lors sefface, se standardise ; ses choix sont subordonns aux prceptes de ltatprovidence. Il faut dire que, nourri dune illusion scientiste de domination des
destines individuelles, le lgislateur prtend connatre les risques, leurs causes
et leurs consquences, savoir les traiter et les prvenir. Cest cette alchimie entre
science et lgislation qui ravale lindividu au rang dexcutant des prescriptions
lgales. cela sajoute linvasion du droit bureaucratique , dj dnonce par
Jean Carbonnier2, et la sous-exploitation du droit souple qui pourrait, dans
de nombreuses hypothses, constituer un palliatif efficace la loi.
1. D. Schnapper, La dmocratie providentielle, Gallimard, 2002, p. 40.
2. Dans Droit et Passion du droit sous la Vme Rpublique, lauteur relevait que les proccupations des bureaux deviennent par symbiose les proccupations du ministre. De l
dcoule un reproche plus grave : cest que chaque compartiment lgifre sur les problmes
de sa spcialit sans les intgrer dans une vision densemble du systme juridique
(J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve Rpublique, Flammarion, 1996, p. 31).
51
54
55
Article 17,
III
assurer notre bonheur, notre scurit, notre prosprit. La loi est ainsi conue, en
France, comme une rponse. Le rflexe franais est lgislatif. Imaginerait-on
quil puisse tre, linverse, de dgonfler la pression lgislative ? Cest pourtant
bien ce quil faut inculquer aux gouvernants et lensemble des acteurs de la
socit : gouverner en faisant des conomies de lois, comme on doit aussi faire des
coupes dans la dpense publique. Lconomie de lois est vertueuse : elle incite
porter attention la lgislation, comme une matire rare dont on ne peut
changer quand on le veut ; elle conduit galement modifier les modalits de
laction publique, qui ne se rsume videmment pas laction par la loi. Dans
cette approche, il faut lgifrer de faon conome, parce que la loi est prcieuse.
Un moratoire lgislatif, sauf urgence, voil ce quun gouvernement sage et
ambitieux devrait sengager faire. Au lieu de cela, les ministres annoncent
des lois sans savoir ce quils vont y mettre, car il est devenu vident tous que
pour exister il faut lgifrer.
Cette revalorisation de la loi ncessite une volution substantielle de la culture
lgislative contemporaine, laquelle est marque par linstrumentalisation politique de la loi, linfluence des groupes de pression et les embouteillages procduraux. Il importe de passer de lois trop nombreuses, instables et illisibles des
lois rares, stables et suffisamment claires pour que lon puisse les comprendre en
en faisant la lecture est-ce tant demander ?
Il serait nanmoins naf de croire en une volution spontane de la qualit de
la loi. Le discours doit ncessairement tre accompagn de mcanismes incitatifs,
autorisant le lgislateur travailler dans de meilleures conditions, et de sanctions
permettant de contenir tout dbordement.
Soyons ici plus humble et pratique, mme si cet appel un changement de
culture nous apparat vritablement indispensable.
Dans limpossibilit denvisager en dtails lensemble de ces mcanismes et
sanctions, la Commission a concentr son attention sur diverses propositions.
Tout dabord, il est apparu ncessaire que le lgislateur prfre les rformes globales
aux toilettages rptition (I). De plus, toujours pour lutter contre linstabilit
normative, un perfectionnement des tudes dimpact doit ncessairement intervenir (II). Dans le mme temps, une meilleure rgulation du droit damendement
doit galement tre mise en place (III). Enfin, lissue du processus lgislatif, il
est indispensable de favoriser la consolidation des textes normatifs (IV).
57
I
Prfrer les rformes globales
aux toilettages rptition
15. Loin de se conformer la prescription de Montesquieu selon lequel il
ne faut point faire de changement dans une loi sans une raison suffisante , on
sait combien la rformite aige frappe le lgislateur actuel. Nombreux sont
les textes qui font lobjet dune anne lautre de modifications dimportance
plus ou moins grande.
la rduction de lesprance de vie des textes de loi sajoute donc dsormais
le fait que nombre de modifications se font par voie de retouches ponctuelles.
La toilette est souvent prfre la rforme globale, comme sil sagissait
sans cesse damender, modifier, retoucher. La rvision permanente est lun
des travers actuels de la lgislation. Elle empche la loi de se fixer dans le
corps social et aux habitudes de sancrer dans la loi.
Cest un mal qui ne procde pas seulement du fait que la loi a perdu sa
ncessaire permanence ; le problme, ici, tient au fait que le lgislateur procde
par retouches constantes.
Le Prsident du Conseil constitutionnel a rcemment mis de nouveau en
vidence ce phnomne en prenant lexemple du dispositif de crdit dimpt
en faveur du dveloppement durable1. Cr par la loi de finances pour 2000, il
tait destin faire bnficier dun crdit dimpt sur le revenu les contribuables,
propritaires, locataires ou occupants titre gratuit de leur rsidence au titre des
dpenses ainsi supportes pour lamlioration de la qualit environnementale de
leur logement. M. J.-L. Debr relve les nombreuses cest un euphmisme
modifications du texte opres par le Parlement : le mcanisme a t profondment modifi par la loi de finances pour 2005, son assiette et son taux ont t
modifis par la loi de finances pour 2006, son assiette a de nouveau t modifie
par la loi sur leau et les milieux aquatiques du 30 dcembre 2006, son assiette
et son taux ont encore t modifis par la loi de finances pour 2009, puis par la
loi de finances pour 2011, et encore par celle pour 2012, puis enfin par la loi
de finances pour 2014 !
Un autre exemple loquent, cit par M. J.-L. Debr la mme occasion,
renvoie au rgime dimposition des plus-values immobilires de cessions de
terrain btir.
1. V. J.-L. Debr, Propos conclusifs, prc.
59
16. Les causes de cette forme dinstabilit sont bien connues : la technicit
de la loi, sa politisation et le dfaut dvaluation ex ante efficace de la lgislation
conduisent ladoption de dispositifs dont la dure de vie, sans tre modifis,
est trs courte. Au reste, la mthode lgislative actuelle favorise les modifications : une lgislation qui suit les situations et se justifie par les circonstances
doit voluer avec les faits auxquels elle entend sappliquer ; une lgislation
mal value doit tre corrige lorsque ses dfauts apparaissent. Sans dire
que la toilette appelle la toilette : la rvision permanente des textes est un
stimulant leur rvision et non un facteur de respect de leur lettre.
La consquence est vidente : la loi ne peut rpondre aux attentes des oprateurs conomiques qui intgrent leurs dcisions dans des perspectives de long
60
Une explication ces modifications incessantes peut en effet tre trouve dans la rdaction parfois dfectueuse des textes existants. Le sort des
actions nominatives en est une bonne illustration. Alors que la rglementation
des franchissements de seuils avait un champ dapplication gnral, lordonnance du 24 juin 2004 la restreint aux actions au porteur, en excluant ainsi les
actions nominatives. Pourtant, la modification ntait pas conforme lesprit de
la rforme et il a mme t soutenu que le changement de rdaction tait d
une pure maladresse 1. Il en est rsult une grande incertitude sur la manire
dont il convenait de traiter les actions nominatives. Trs rapidement, le lgislateur
est donc intervenu afin de lever ce doute. La loi du 9 dcembre 2004 a supprim
la rfrence aux titres au porteur, le texte sappliquant dsormais aux actions
inscrites en compte chez un intermdiaire habilit . Mais ceci restait encore
insuffisant pour viser toutes les actions nominatives. Tous les titres nominatifs ne
sont, en effet, pas inscrits chez un intermdiaire habilit, certains ltant directement chez lmetteur. Cest finalement la loi du 26 juillet 2005 qui a corrig
pleinement limprcision. Trois textes auront donc t ncessaires pour parvenir
la rforme escompte.
Une autre explication de cette instabilit, plus significative, rside dans
un certain suivisme lgislatif et la rsistance des groupes dintrts. Llargissement progressif du champ des instruments soumis dclaration par la prise
en compte des instruments financiers terme est cet gard particulirement
significatif. Il convient den rappeler le contexte, avant de sinterroger sur les
consquences et les causes de la dmarche lgislative adopte.
Depuis le dbut des annes 2000, plusieurs affaires ont montr que les
instruments drivs, quils soient dnouables physiquement ou en numraire,
pouvaient tre utiliss des fins de prise de contrle rampante2. La ncessit
den tenir compte dans le dispositif, au mme titre que les actions dtenues
en propre, sest donc rapidement impose. Deux questions devaient alors tre
tranches. La premire tenait la dfinition du champ des instruments viss.
Deux possibilits soffraient : intgrer au dispositif existant soit les seuls instruments drivs dnouables physiquement3, soit les instruments drivs dnouables
physiquement et ceux dnouables en numraire4. La premire solution tait la
moins ambitieuse et permettait de minimiser les contraintes pesant sur les acteurs
financiers. La seconde autorisait une meilleure apprhension des pratiques de
prise de contrle. Les exemples dutilisation de drivs des fins de ramassage
1. V. P.-H. Conac, Franchissements de seuils, Rp. Dalloz socits, 2013, n 7 ;
Th. Bonneau, La rforme 2005 des franchissements de seuils, Bull. Joly Bourse 2005,
694 ; M. Loy, La rforme du rgime juridique des franchissements de seuils, JCP E
2005, 1285.
2. Pour de nombreux exemples, V. F. Barrire, Les prises de participation rampantes
lheure des swaps, in Mlanges en lhonneur de Philippe Merle, Dalloz, 2012, p. 27.
3. Cest--dire donnant lieu terme, au transfert de proprit dactions.
4. Cest--dire donnant lieu terme, au paiement dun diffrentiel de cours.
63
discret dactions ont en effet trs rapidement montr quils taient utiliss indiffremment quils fussent dnouables montairement ou physiquement1. Une
seconde interrogation tenait aux modalits de dcompte des instruments drivs.
Les actions sous-jacentes devaient-elles tre assimiles aux actions dont on est
propritaire pour calculer le seuil de dtention ? Les actions dtenues en propre
et les actions sous-jacentes devaient-elles au contraire donner lieu au calcul de
deux seuils diffrents chacun engendrant distinctement une obligation de dclaration en cas de franchissement ? Partant du constat que les drivs autorisent des
prises de contrle au mme titre que les actions dtenues en propre, la premire
solution paraissait la plus cohrente. La seconde avait en revanche latout dtre
moins rigoureuse et moins coteuse pour les acteurs financiers.
Les autorits europennes se sont penches sur ces interrogations loccasion de ladoption de la directive Transparence. Pour rpondre la premire,
la solution minimale a t clairement choisie : seuls les instruments dnouables
physiquement ont t pris en compte. Sur la seconde interrogation, la premire
proposition de directive optait expressment pour un rgime dassimilation des
instruments drivs aux actions dtenues en propre. Mais le texte sest obscurci au
fil des ngociations et il semble que la formulation ait t laisse dlibrment
confuse2. De manire prvisible, le texte a ds lors fait lobjet dinterprtations
variables selon les tats.
Le lgislateur franais, aprs avoir dans un premier temps laiss subsister
une formulation ambigu dont il ntait pas sr quelle recouvre les instruments
drivs viss par la directive3 a, aprs publication du rapport prcit sur les franchissements de seuils, adopt une ordonnance en 20094. Celle-ci consacra alors
un systme dassimilation pour les seuls instruments dnouables physiquement,
accompagn dune obligation dinformation loccasion du franchissement dun
seuil. Le systme retenu tait ainsi moins ambitieux que les prconisations du
groupe de travail runi par lAMF. Les affaires Wendel et Saint-Gobain ou encore
LVMH et Herms dans lesquelles le ramassage dactions sest fait par le biais
1. Lorsquil est prvu que le dnouement sera montaire, il est en ralit ais pour le
souscripteur dacqurir les titres sous-jacents, puisque son cocontractant se couvre trs
gnralement en les acqurant. Inversement, lorsque le dnouement est physique, il
nest absolument pas certain que le souscripteur acquire effectivement les actions sousjacentes, puisque il est trs frquent quun contrat en sens oppos soit conclu, ce qui
conduit solder sa position. La distinction entre les instruments dnouables montairement et ceux dnouables physiquement est donc dune pertinence trs relative en ce qui
concerne la rglementation des franchissements de seuils.
2. Commission europenne, The review of the operation of Directive 2004/109/EC:
emerging issues, 27 mai 2010, n 7.1 s.
3. Ancien art. L. 233-9 4 C. com., visant les actions ou les droits de vote que cette
personne ou lune des personnes mentionnes aux 1 3 ci-dessus est en droit dacqurir
sa seule initiative en vertu dun accord .
4. Ordonnance n 2009-105 du 30 janvier 2009 relative aux rachats dactions, aux
dclarations de franchissement de seuils et aux dclarations dintentions.
64
jug dpass, alors que les grandes places financires avaient dj rform leur
rglementation1.
Il semble ainsi que la crainte de pnaliser les marchs franais en instaurant
des contraintes trop lourdes la charge des acteurs financiers ait conduit un
rsultat inverse de celui escompt. Cette longue suite de textes montre que le
lgislateur franais, comme dailleurs le lgislateur europen, a procd par
paliers, niant systmatiquement la ncessit dune intervention plus pousse.
La forte rsistance des groupes dintrts nest pas trangre cette situation.
La lecture des rponses aux consultations publiques menes par les autorits
franaises ou europennes est loquente : ce furent toujours les options minimales que les professionnels prconisrent. Citons par exemple la consultation
lance par lAutorit europenne des marchs financiers (CESR) avant ladoption de la directive dexcution de la directive Transparence2. Les rpondants
ont gnralement prn des solutions moins strictes que celles envisages par
le CESR, dont lapproche tait pourtant relativement librale3. Citons encore
la consultation lance par lAMF sur le choix dune comptabilisation des drivs dnouables montairement sur une base nominale ou selon la mthode du
delta. Sans surprise, les rpondants se sont prononcs majoritairement pour la
mthode du delta, qui conduit minorer le nombre dactions prises en compte
pour certains types dinstruments financiers4. Linfluence des groupes dintrts
et la crainte de pnaliser le march franais ont conduit des rformes curatives
ou ractives : il sest agi dintervenir a posteriori pour pallier les dfauts observs.
Les affaires Wendel et LVMH et la loi du 22 mars 2012 adopte subsquemment
en sont un bon exemple.
1. V. not. M. Curtin, LVMH Loophole Should Be Closed, Wall Street journal, 28 octobre
2010 ; F. Berthat, Donneurs de leon, LAgefi Hebdo, 4 novembre 2010 : Laffaire
LVMH-Herms est loccasion pour la presse financire anglo-saxonne de railler une
nouvelle fois les pratiques du monde des affaires la franaise ; Herms/LVMH : la
presse anglo-saxonne demande un changement de rgles, Le Monde, 29 dcembre 2010.
2. Directive 2007/14/CE de la Commission du 8 mars 2007 portant modalits dexcution de certaines dispositions de la directive 2004/109/CE sur lharmonisation des
obligations de transparence concernant linformation sur les metteurs dont les valeurs
mobilires sont admises la ngociation sur un march rglement.
3. CESR, Summary of comments by interested parties to the DG Internal Market and
Services working document ESC/34/2005 Rev.2 in relation to procedural arrangements
for the choice of the home Member State, the content of the half-yearly financial report,
the procedures for the notification and disclosure of acquisition or disposals of major
holdings of voting rights, the dissemination of regulated information and the equivalence of third country issuers, Under Directive 2004/109/EC on the harmonization of
transparency requirements in relation to information about issuers whose securities are
admitted to trading on a regulated market, 23 fvrier 2006.
4. Autorit des marchs financiers, Synthse des rponses la consultation publique du
19 juin 2012 portant sur des modifications de certaines dispositions du rglement gnral
relatives aux dclarations de franchissement de seuils et dintention, 13 septembre 2012.
66
1. V. en dernier lieu le renforcement de la lutte contre la corruption qui ne fait pas lobjet
dun seul mcanisme cohrent, mais dinitiatives disperses : aux lignes directrices du
Service central de prvention de la corruption (SCPC) qui ne sont pas contraignantes,
sajoutent des dispositions de la proposition de loi sur le devoir de vigilance des socits
mres et des entreprises donneuses dordre et ventuellement des dispositions issues du
projet de loi sur la transparence aujourdhui en prparation.
2. G. Carcassonne, Penser la loi, Pouvoirs n 114, septembre 2005, 39 s.
67
II
Perfectionner les tudes dimpact
21. En ayant pour objet daider le Parlement et le Gouvernement lgifrer bon escient en les clairant sur la porte et les incidences des textes quils
entendent adopter, les tudes dimpact, ds lors quelles permettent de vrifier
la pertinence du recours la lgislation 1, doivent contribuer endiguer la
prolifration des textes lgislatifs et rglementaires et matriser la complexit de
lordonnancement juridique 2. En cela, elles constituent un instrument dterminant de la lutte contre linscurit juridique3. Elles sont un Outil damlioration
de la qualit des textes normatifs 4. Nul ne peut nier, en effet, que linflation et
la dgradation de la qualit des normes sont en grande partie lies aux mauvaises
conditions de leur prparation, et notamment lvaluation insuffisante voire
inexistante de leur impact social, conomique, environnemental, etc. 5
Pour autant, en dpit de leur rle fondamental en matire de simplification
de la lgislation, les tudes dimpact sont longtemps demeures inefficaces. Initi
au milieu des annes 1990 par des circulaires successives du Premier ministre6, ce
dispositif na pas eu les rsultats escompts jusqu la rvision constitutionnelle
1. J.-J. Hyest, Rapport n 196 fait au nom de la Commission des lois sur le projet de loi
organique, relatif lapplication des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, Snat,
4 fvrier 2009, p. 16.
2. Circulaire du 26 janvier 1998 relative ltude dimpact des projets de loi et de dcret
en Conseil dtat, J.O. du 6 fvrier 1998, p. 1912.
3. En ce sens, v. par ex. J.-M. Sauv, La qualit de la loi, prc.
4. Id.
5. Rapport dinformation sur la simplification lgislative, Assemble nationale, 2014 (Mission
dinformation prside par Mme L. de la Raudire, le rapporteur tant M. R. Juanico),
p. 15. Pour un exemple de texte normatif dont la mauvaise qualit est due labsence
dtude dimpact, v. la loi du 11 fvrier 2005 pour lgalit des droits et des chances, la
participation et la citoyennet des personnes handicapes telle que prsente dans Rapport
dinformation sur la simplification lgislative, prc., p. 15 s.
6. Il sagit notamment de la circulaire du 26 juillet 1995, prescrivant, compter du
1er janvier 1996, la ralisation dtudes dimpact pour les projets de loi et les projets de
dcret les plus importants et de la circulaire du 21 novembre 1995, relative lexprimentation dune tude dimpact accompagnant les projets de loi et les projets de dcret
en Conseil dtat, complte par la circulaire du 26 janvier 1998 (sur ces questions, v.
Conseil dtat, Rapport public 2006 Scurit juridique et complexit du droit, prc.,
p. 303 s.).
69
du 23 juillet 20081. Perues par les administrations comme une contrainte procdurale supplmentaire, les tudes dimpact taient la plupart du temps labores
sans consultation formalise, ne comportaient pratiquement jamais danalyse
conomique de la lgislation envisage et, surtout, taient ralises aprs llaboration des textes, perdant ainsi tout effet utile2.
Conseil dtat, Scurit juridique et complexit du droit
(Rapport public 2006)
Quatre ans aprs, le groupe de travail sur la qualit de la rglementation prsid par
M. Dieudonn Mandelkern note que les tudes dimpact sont perues comme une
contrainte procdurale supplmentaire par les administrations et voient leur intrt
diminuer au fur et mesure du dcalage de ltude, ralise in fine aprs llaboration
des textes. Elles viennent alors justifier a posteriori et de faon sommaire les arbitrages
dj rendus.
Rdiges la plupart du temps sans vritables moyens, en tout cas sans consultation
formalise et restitue des milieux intresss sous forme par exemple de livres
verts ou de livres blancs , ne comportant presque jamais danalyse des consquences
conomiques de la nouvelle rglementation envisage, ces tudes dimpact nont pas
eu leffet espr de rationalisation des choix publics.
24. Aux termes de la loi organique du 15 avril 2009, ne sont pas soumis
lobligation dune tude dimpact les projets de rvision constitutionnelle, les
projets de loi de financement de la scurit sociale, les projets de loi de programmation des finances publiques ainsi que les projets de loi prorogeant les tats de
crise. Se trouvent par ailleurs exclus du champ dapplication de ce dispositif les
projets de loi visant ratifier une ordonnance2, les projets de loi de rglement et,
et les projets de loi tendant autoriser la ratification ou lapprobation dun trait sont
soumis une tude dimpact allge. V. Rapport dinformation sur la simplification lgislative, prc., p. 21 s.
1. P. Deumier, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 2, Assemble nationale, 23 janvier 2014, p. 17.
2. Exception faite toutefois lorsque de tels projets comportent des dispositions nouvelles
allant au-del de la rectification derreurs matrielles dans le texte de lordonnance ou
dajustements de cohrence juridique.
71
surtout, les propositions de loi. Par ailleurs, si les projets dactes rglementaires
relatifs aux entreprises ou aux collectivits territoriales doivent tre assortis dune
tude dimpact1, il nexiste pas lheure actuelle dobligation constitutionnelle
gnrale de raliser de telles tudes pour les actes rglementaires. Au-del, les
amendements dorigine gouvernementale ou parlementaire qui pourraient modifier substantiellement le texte initial ne rentrent pas dans le champ dapplication
de la loi organique du 15 avril 2009.
Une telle restriction du champ dapplication des tudes dimpact nest pas
sans effets. En effet, comme le montre le tableau reproduit ci-dessous et tir du
rcent rapport sur la simplification lgislative2, linitiative parlementaire dans la
production normative est loin dtre ngligeable.
PROJETS ET PROPOSITIONS DE LOI EXAMINS ET ADOPTS
DE LA XIe LA XIVe LGISLATURES
(du 1er octobre 1999 au 30 septembre 2013)
Projets de loi
examins (hors
conventions
internationales)
Projets de loi
Propositions
adopts (hors de loi examines
conventions
internationales)
Propositions
de loi adoptes
01/10/199901/10/2000
37
37
50
43
02/10/200030/09/2001
25
25
40
38
01/10/200118/06/2002
17
17
23
21
19/06/200230/09/2002
01/10/200230/09/2003
39
39
23
18
01/10/200330/09/2004
34
34
14
01/10/200430/09/2005
35
35
15
12
1. Aux termes de larticle L. 1211-4-2 du Code gnral des collectivits territoriales, tout
projet de texte rglementaire crant ou modifiant des normes caractre obligatoire
concernant les collectivits territoriales est soumis pour avis la Commission consultative dvaluation des normes qui doit se prononcer sur son impact financier, quil soit
positif, ngatif ou neutre . Elle reoit cet effet un rapport de prsentation et une fiche
dimpact financier faisant apparatre les incidences financires directes et indirectes des
mesures proposes pour les collectivits territoriales (article R. 1213-3 du mme Code).
2. Rapport dinformation sur la simplification lgislative, prc., Annexe n 10, p. 219.
72
Projets de loi
examins (hors
conventions
internationales)
Projets de loi
Propositions
adopts (hors de loi examines
conventions
internationales)
Propositions
de loi adoptes
01/10/200501/10/2006
33
33
17
12
02/10/200619/06/2007
30
29
14
10
20/06/200730/09/2007
01/10/200730/09/2008
42
42
21
14
01/10/200830/09/2009
32
32
19
11
01/10/200930/09/2010
35
35
38
22
01/10/201030/09/2011
43
43
43
24
01/10/201119/06/2012
19
19
33
19
26/06/201230/09/2012
01/10/201230/09/2013
34
34
39
19
25. Au-del du champ dapplication, la qualit des tudes dimpact est galement
insuffisante et htrogne. En effet, les tudes dimpact labores par le Gouvernement ne mentionnent bien souvent que les donnes de fait et dinformation allant
dans le sens de la loi, et vitant de mettre en avant les questions qui demeurent
en suspens. Ainsi, ltude dimpact de la loi n 2010-1192 du 11 octobre 2010
interdisant la dissimulation du visage dans lespace public ne comportait aucune
mention de la jurisprudence de la Cour europenne des droits de lhomme dans
sa premire version dpose au Parlement. Les tudes dimpact ne remplissent ds
lors pas leur rle, faute dun vritable travail dvaluation susceptible damliorer la
qualit des dbats lgislatifs, la rdaction et lapplication des textes ou encore dviter des erreurs1. Comme la relev M. J.-M. Le Guen, secrtaire dtat charg des
relations avec le Parlement, les tudes dimpact apparaissent aujourdhui comme
1. Les observateurs les plus autoriss sont unanimes sur ce point. Pour sen convaincre,
le lecteur pourra utilement se rfrer : S. Lasvignes, in Mission dinformation sur la
simplification de la lgislation, compte rendu n 4, Assemble nationale, 19 fvrier 2014,
p. 3 ; A. Richard, in Comptes rendus de la Commission pour le contrle de lapplication
73
un exercice impos et prennent parfois la forme dun expos des motifs bis , alors
quelles devraient permettre au Gouvernement de sassurer que la rforme quil veut
mettre en uvre est opportune, et au Parlement dtre correctement inform sur la
porte sociale, conomique, budgtaire ou environnementale des textes quon lui
demande dadopter 1. En somme, souffrant dinsuffisances qualitatives et quantitatives, les tudes dimpact prennent parfois la forme dune justification a posteriori
dun texte dj adopt.
Le rapport annuel 2012-2013 sur lapplication des lois souligne en ce sens que
les tudes dimpact labores depuis ladoption de la loi organique du 15 avril
2009 offrent des analyses de qualit ingale2. Le constat est partag par le rcent
rapport de la Mission dinformation sur la simplification lgislative, qui souligne
au surplus le manque dimpartialit de nombreuses tudes dimpact3. Le Conseil
dtat a galement, loccasion de diffrents rapports publics, mis en cause la
qualit des tudes dimpact transmises. Il a nanmoins reconnu, en 2012, que
des progrs notables [taient] mettre au crdit des administrations 4.
Certes, certaines tudes dimpact, spcialement en matire rglementaire5,
tendent mesurer de faon effective leffet des mesures proposes. Nanmoins,
nombre dtudes dimpact ne donnent en pratique pas lieu quantification
des effets attendus du texte, alors mme que la fonction premire de ltude
dimpact est de fournir une valuation pralable de la rforme envisage, aussi
complte, objective et factuelle que possible 6 et, par consquent, ne satisfont pas
aux prescriptions de la loi organique. Les exemples ne manquent pas. On songera,
ainsi, ltude dimpact sur la loi de programmation militaire pour 2014-2019
qui, outre labsence dvaluation des consquences environnementales, se trouve
dpourvue danalyse quantitative et dexpos de la mthode de calcul. Ou encore
ltude dimpact sur le projet de loi de sparation et de rgulation des activits
des lois, 16 avril 2013 ; J.-L. Tavernier, in Mission dinformation sur la simplification de
la lgislation, compte rendu n 10, Assemble nationale, 22 mai 2014, p. 15 s.
1. Cit par Rapport dinformation sur la simplification lgislative, prc., p. 17 s.
2. En ce sens, v. D. Assouline, Rapport dinformation n 623 fait au nom de la Commission snatoriale pour le contrle de lapplication des lois sur lapplication des lois Session
parlementaire 2012-2013, Snat, 17 juin 2014, p. 93.
3. V. Rapport dinformation sur la simplification lgislative, prc., p. 40 s.
4. Conseil dtat, Rapport public 2012, La Documentation franaise, 2012, p. 135.
5. Ainsi que le soulignait le Secrtaire gnral du Gouvernement S. Lasvignes, la gestion
des flux rglementaires est aujourdhui mieux matrise que la production lgislative.
Depuis le 1er septembre [2013], la mise en application du systme du un pour un
permet de quantifier limpact du nouveau texte sur une activit, le ministre devant
supprimer une charge au moins comparable dans un autre domaine de la rglementation.
Le solde est pour linstant positif, puisque la simplification de la charge rglementaire
est suprieure son accroissement (in Mission dinformation sur la simplification de
la lgislation, compte rendu n 4, prc., p. 4).
6. Id., p. 94.
74
27. Les tudes dimpact franaises sont, enfin, le plus souvent insuffisamment
exploites et, ce faisant, ne produisent pas pleinement leurs effets.
Elles sont sous-exploites, en premier lieu, par les parlementaires. Tout se passe
comme si elles rpondaient une exigence purement formelle4, en quelque sorte
procdurale. Les dbats en commission et en sance publique ne leur portent
gure attention5, quelques exceptions prs comme ce fut le cas lors du dbat
parlementaire sur la cration dun dfenseur des droits6 ou bien encore celui sur
le projet de loi du 27 janvier 2015 de modernisation de laction publique territoriale et daffirmation des mtropoles. Sous cet aspect, notre culture politique ne
parvient pas encore leur confrer la place qui simpose, tout se passant souvent
comme si elles constituaient une forme de concurrence la dcision politique,
touffant tout volontarisme politique et reprsentant en quelque sorte une
borne freinant la volont du lgislateur et laction politique 7.
En outre, elles ne servent pas suffisamment dans le cadre des valuations
a posteriori de la lgislation, l o elles ont pourtant vocation aider faire le
1. P. Deumier, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 2, prc., p. 18.
2. Conseil dtat, Rapport public 2006 Scurit juridique et complexit du droit, prc.,
p. 308.
3. V. Conseil dtat, Le droit souple tude annuelle 2013, La Documentation franaise,
2013.
4. R. Bouchez, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 2, prc., p. 4.
5. Rapport dinformation sur la simplification lgislative, prc., p. 44.
6. Ltude dimpact fut mentionne 15 fois.
7. D. Assouline, in Evaluation et qualit de la lgislation : quel rle pour les Parlements ?,
prc., p. 59.
77
bilan de la loi, et dterminer si les objectifs que se sont assignes les autorits
normatives ont t atteints1. En effet, mme si le Guide de lgistique tabli par
le secrtariat gnral du Gouvernement relve que ltude dimpact doit tre
labore dans une optique dvaluation ex post du dispositif, quelques annes
plus tard , la plupart ne prvoient pas de critres prcis permettant de vrifier
rtrospectivement si la loi a bien rempli les objectifs attendus.
29. Llaboration des tudes dimpact est ralise, en ltat actuel, par les diffrents ministres sous la direction du secrtaire gnral du Gouvernement en
charge de vrifier la qualit des tudes labores. Or, le Gouvernement ne recourt
en pratique que timidement lexpertise et la consultation dans le cadre des
valuations pralables quil entreprend.
Certes, louverture des experts extrieurs nest pas inexistante. Le Conseil
national dvaluation des normes (CNEN), notamment, est consult sur limpact
financier et technique des projets de textes, quils soient de nature lgislative ou
rglementaire, applicables aux collectivits territoriales et leurs tablissements
publics. On observera toutefois que cet organe na pas pris limportance que le
lgislateur souhaitait lui donner et quil ne jouit pas de moyens suffisants pour
mener bien sa mission2. De mme, si les tests PME , raliss par le Secrtariat gnral pour la modernisation de laction publique et dont lobjectif est de
raliser une tude qualitative de limpact de textes [] sur la conduite des affaires
de quelques entreprises 3 commencent faire leurs preuves, ils ne concernent que
les projets dactes rglementaires et nassocient quindirectement les entreprises.
Ils sappuient en effet sur le rseau des directions rgionales des entreprises, de
1. D. Assouline, Rapport dinformation n 623, prc., p. 100.
2. R. Bouchez, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 5, Assemble nationale, 20 fvrier 2014, p. 8.
3. N. Conso, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 8, prc., p. 14.
78
30. Le contrle et la sanction des tudes dimpact labores par le Gouvernement franais reposent sur des mcanismes peu efficaces.
Deux mcanismes permettent ce jour le contrle et la sanction des tudes
dimpact dfaillantes. Dune part, larticle 8 de la loi organique du 15 avril 2009
permet le contrle de la conformit des tudes dimpact aux exigences constitutionnelles par le Conseil dtat dans le cadre des avis quil rend sur les projets
de loi en prparation. Dautre part, le quatrime alina de larticle 39 de la
Constitution prvoit que les projets de loi ne peuvent tre inscrits lordre du
jour si la Confrence des prsidents de la premire assemble saisie constate que
les rgles fixes par la loi organique sont mconnues . Il sagit l dun vritable
mcanisme de sanction permettant au Parlement de sopposer lexamen dun
projet de loi ds lors quil considre que ltude dimpact ne respecte pas les
prescriptions de la loi organique4.
Toutefois, si le Conseil dtat et le Parlement semblent ainsi disposer des
moyens adquats pour faire respecter lobligation constitutionnelle de fournir
des tudes dimpact de qualit, lefficacit relle de ces dispositifs demeure insuffisante.
1. Id., p. 15. Le rcent rapport sur la simplification lgislative propose de rendre obligatoire, pour les textes lgislatives, la ralisation de tests entreprises, collectivits locales
et usagers de ladministration (v. Rapport dinformation sur la simplification lgislative,
prc., p. 16 s.)
2. En ce sens, v. D. Migaud, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte rendu n 8, prc., p. 3.
3. J.-M. Sauv, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 10, prc., p. 5.
4. tant entendu que, toujours aux termes de larticle 39 de la Constitution, en cas
de dsaccord entre la Confrence des prsidents et le Gouvernement, le prsident de
lassemble intresse ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui
statue dans un dlai de huit jours .
79
quil rend sur les projets de loi dont il est saisi, inviter le Gouvernement se
conformer ses obligations1. Ainsi, lorsquune tude dimpact soulve une difficult au regard des exigences constitutionnelles, le Conseil dtat indique quelle
devra tre complte par des informations de nature permettre dapprcier
correctement lincidence de certains aspects du projet de texte examin 2. Et
lorsque ltude nest rsolument pas conforme aux exigences constitutionnelles, la
Haute juridiction indique nettement au Gouvernement la ncessit de procder
une rgularisation avant le dpt du projet de loi 3.
Ces demandes de rgularisation sont cependant rendues dans le cadre davis
simples qui, dune part, ne lient pas le Gouvernement et, dautre part, ne sont
pas publis. Leur porte reste ds lors limite. La publication compter de 2015
des avis du Conseil dtat pourrait nanmoins changer la donne. Ainsi, lissue
du Conseil des ministres du 19 mars 2015, a t publi lavis du Conseil dtat
relatif au projet de loi relatif au renseignement ; ce dernier a t joint au projet
dpos au Parlement. Il en a t de mme pour le projet de loi modifiant la loi
n 2004-639 du 2 juillet 2004 relative loctroi de mer examin en Conseil
des ministres du 25 mars 2015. Lavis prcise ainsi que ltude dimpact
qui accompagne le projet de loi comporte les lments requis par larticle 8
de la loi organique n 2009-403 du 15 avril 2009 pris pour lapplication du
troisime alina de larticle 39 de la Constitution. En particulier, elle expose
le poids de loctroi de mer dans les ressources fiscales des collectivits territoriales doutre-mer et limpact financier des modifications proposes la loi du
2 juillet 2004 .
On rappellera pour autant que le Conseil dtat ne contrle pas le travail de
rectification des tudes dimpact qui peut tre fait la suite de ses avis4.
Le rle du Parlement
32. Le rle dvolu par larticle 39 de la Constitution au Parlement dans le
contrle des tudes dimpact demeure triplement limit.
Tout dabord, le phnomne majoritaire rend la mise en uvre du dispositif assez difficilement concevable, en particulier lAssemble nationale
compte tenu du contexte de forte solidarit entre le Gouvernement et sa
majorit politique5.
Partant, ce nest que trs rcemment quune Confrence des prsidents
dune assemble a inaugur cette procdure en refusant dinscrire un texte
1. Id., p. 4.
2. Id.
3. Id.
4. B. Pcheur, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 10, prc., p. 7.
5. Sur la question, v. en dernier lieu, Rapport dinformation sur la simplification lgislative,
prc., p. 25 s.
81
lordre du jour en raison de linsuffisance de ltude dimpact1. La Confrence des prsidents du Snat a en effet fait usage, pour la premire fois le
26 juin 2014, du quatrime alina de larticle 39 de la Constitution, en
estimant que ltude dimpact accompagnant un projet de loi prsentait de
graves lacunes au regard des exigences de larticle 8 de la loi organique du
15 avril 2009. Lopposition de la Confrence des prsidents na cependant
pas t suivie deffets puisque le Conseil constitutionnel, saisi la suite du
conflit existant entre le Premier ministre et la Confrence, estima que
ltude dimpact litigieuse tait conforme aux prescriptions de larticle 8
de la loi organique du 15 avril 20092.
Ensuite, le contrle exerc par les Confrences des prsidents comme par
le Conseil constitutionnel se limite vrifier que les items de la loi organique du 15 avril 2009 qui trouvent sappliquer au regard du contenu
du projet de loi en cause, ont bien t abords dans ltude dimpact.
Enfin, dans la mesure o lobligation constitutionnelle dune tude
dimpact ne concerne que les projets de loi, cette procdure peut tre
facilement contourne par le Gouvernement : il suffit quun parlementaire
de sa majorit dpose une proposition de loi reprenant le texte3.
3.Labsence de culture de lvaluation
contribue renforcer la scurit juridique et sa mise en uvre, les services ministriels et le Parlement ont encore un long chemin dapprentissage parcourir 1.
Il faut ds lors avoir bien conscience que les remdes envisageables aux
lacunes du dispositif des tudes dimpact ne pourront tre vritablement
efficaces que sils saccompagnent de lmergence dune culture de lvaluation, laquelle prendra ncessairement un certain temps.
35. Le champ dapplication des tudes dimpact gagnerait tre tendu aux
propositions de loi inscrites lordre du jour et aux amendements impliquant
une modification substantielle du texte lgislatif en discussion3. Cette extension
du champ dapplication (a) devrait saccompagner, pour tre efficace, dun
renforcement des moyens dexpertise (b).
1. D. Assouline, Rapport dinformation n 654, prc., p. 87.
2. R. Bouchez fait remarquer que la ralisation dtudes dimpact requiert des moyens
techniques et humains, un moment o les administrations centrales traversent une
priode de vaches maigres. Il ma souvent t rpondu quil tait actuellement difficile
pour les administrations de crer des cellules et de recruter du personnel pour que lon
puisse aller aussi loin quon le souhaiterait dans lvaluation pralable (in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte rendu n 5, prc., p. 5). Dans un
sens similaire, N. Conso, chef du service innovation et services aux usagers au Secrtariat
gnral pour la modernisation de laction publique, en appelle une augmentation des
moyens globaux actuellement consacrs la ralisation des tudes dimpact : dans le
cas contraire, il ne sera pas possible damliorer leur qualit (in Mission dinformation
sur la simplification de la lgislation, compte rendu n 8, prc., p. 15).
3. Cette proposition est avance par le prsident du MEDEF Rhne-Alpes et prsident
de la Commission Simplification du MEDEF B. Gaud, in Mission dinformation sur
la simplification de la lgislation, compte rendu n 9, prc., p. 21.
83
par le Conseil et le Parlement aux propositions de la Commission1. Plus largement, il convient de constater que le Parlement europen a rcemment dcid
dassumer pleinement son rle puisqu linstar des tats-Unis2, il a cr en
2012 un organe interne charg de surveiller la lgislation et de conduire des
valuations3. Une dizaine dtudes dimpact sur les amendements importants
ont ainsi t ralises entre 2012 et 20134.
Certes, le Rglement de lAssemble nationale prvoit dores et dj cette
possibilit ses articles 98-1 et 146-6, et confie la ralisation de telles tudes
son comit dvaluation et de contrle (CEC) organe interne lAssemble
nationale. Pour autant, le CEC ne dispose, en pratique, ni du temps ni des
moyens ncessaires pour raliser de telles tudes. Plus fondamentalement, il est
impossible au regard de la procdure parlementaire darrter les dbats au sein
de lhmicycle afin de renvoyer un amendement au CEC pour quil fasse lobjet
dune tude dimpact.
Ce constat nest pas propre la France. Ainsi en Allemagne, sil existe un
mcanisme dexamen des amendements substantiels, il trouve galement sa limite
dans les dlais de la procdure lgislative. Comme en France, il se rvle impossible outre-Rhin de chiffrer limpact dun amendement du jour au lendemain
ou en pleine nuit. linverse, si la procdure dexamen des amendements substantiels du Parlement europen semble avoir fait preuve de son efficacit, cest
notamment parce que lesdites tudes sont ralises entre le passage du texte en
commission et en sance, et quil se droule entre ces deux tapes au minimum
deux mois.
Au regard de cette situation, il pourrait tre envisag que ltude des amendements substantiels adopts intervienne avant la premire lecture du texte par
la seconde chambre.
Proposition n 2 : tendre le champ dapplication des tudes dimpact aux
propositions de loi mises lordre du jour et aux amendements apportant des
modifications substantielles au texte initialement examin.
1. Conseil dtat, Rapport public 2006 Scurit juridique et complexit du droit, prc.,
p. 312.
2. Le Bureau du budget du Congrs amricain (Congressional Budget Office) examine
limpact des dcisions budgtaires et limpact conomique de certains projets de loi
soumis la procdure lgislative (rapport par N. Malyshev, in Mission dinformation
sur la simplification de la lgislation, compte rendu n 7, prc., p. 4).
3. A. Andrea, in Evaluation et qualit de la lgislation : quel rle pour les Parlements ?,
prc., p. 27.
4. E. Ballon, in Evaluation et qualit de la lgislation : quel rle pour les Parlements ?,
prc., p. 49.
86
37. Comme voqu prcdemment, les systmes juridiques qui noprent pas
de distinction selon lorigine du texte lgislatif ont parfois recours des organes
internes chargs de raliser les tudes dimpact relatives aux propositions de loi.
Faut-il alors envisager la cration, au sein des hmicycles franais, dun organe
similaire, charg dvaluer les propositions de loi et les amendements dorigine
parlementaire ? Il est avr que les assembles ne disposent pas des instruments
ncessaires pour raliser leurs propres tudes1. Sil arrive que le Comit dvaluation et de contrle des politiques publiques (CEC) de lAssemble nationale
intervienne en amont du travail lgislatif pour enrichir les tudes dimpact2,
il ne semble pas capable de faire face leur essor. Le CEC, dans son rapport
pour lanne 2009, ne stait dailleurs gure montr enthousiaste au sujet dune
extension du dispositif des tudes dimpact aux textes dorigine parlementaire.
Les missions dinformation, en raison de leur caractre ponctuel, ne peuvent y
remdier3. Aussi faudrait-il ncessairement, sur cette voie, mettre en place
un organe dvaluation spcialement institu cet effet.
38. Toutefois, la cration dun tel organe prsenterait alors ses propres limites.
Les obstacles sont dabord procduraux toutes les fois quil y a urgence examiner les textes dposs. Au-del, lorsque des organes parlementaires dvaluation
existent, comme au sein de lUnion europenne, ces derniers souffrent bien
souvent dune pnurie de ressources matrielles et financires4. Au surplus, la
cration dun nouvel organisme risquerait de complexifier encore davantage
llaboration de la norme au lieu dapporter plus de scurit juridique.
Cest pourquoi il apparat plus judicieux de ne pas crer dorgane interne, et
de permettre plutt au Parlement franais, dans le cadre dun conventionnement
avec les administrations gouvernementales, de solliciter les moyens dexpertise
de lexcutif, avec des garanties suffisantes, notamment pour appuyer les propositions de loi de lopposition5. Le recours aux consultations dexperts indpendants propos par ailleurs (Proposition n 4, infra) devrait galement bnficier
aux propositions de loi. Par consquent, les parlementaires pourraient charger
1. Sur cette question, v. D. Assouline, in Evaluation et qualit de la lgislation : quel rle
pour les Parlements ?, prc., p. 11.
2. R. Juanico, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 11, prc., p. 6.
3. Rapport par P. Deumier, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte rendu n 2, prc., p. 18.
4. A. Renda, in Evaluation et qualit de la lgislation : quel rle pour les Parlements ?,
prc., p. 26.
5. En ce sens, v. S. Lasvignes, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte rendu n 4, prc., p. 9 ; J.-M. Sauv, in Mission dinformation sur la
simplification de la lgislation, compte rendu n 10, prc., p. 9.
87
40. Au Danemark, par exemple, les autorits tatiques en charge de la ralisation des tudes dimpact cherchent travailler directement avec les acteurs
concerns par la rforme envisage. Le projet Chasseurs de charges ( Burden
Hunters ) conduit ainsi les fonctionnaires rencontrer les professionnels afin de
les suivre dans leurs tches et de constater limpact de la rglementation sur leur
quotidien1. En France, un dispositif similaire pourrait tre envisag en associant
les chefs dentreprise la ralisation des tests-PME2. Linstauration dun droit
de regard du milieu entrepreneurial sur llaboration des tudes dimpact,
outre quelle renforcerait la confiance des entreprises dans les textes rglementaires et lgislatifs3, favoriserait lmergence dune culture de lexpertise
conomique au sein desdites tudes.
De mme, linitiative britannique Red Tape Challenge associe la publication
sur Internet de la lgislation propre chaque domaine et invite les acteurs
citoyens et entreprises donner leur avis sur les normes quils trouvent les plus
pesantes ou les plus exasprantes 4. Un tel dispositif de consultation publique,
que lon trouve galement lchelle de lUnion europenne5, a pu tre envisag
en France : larticle 8 de la loi organique prvoit en effet que les tudes dimpact
exposent avec prcision les consultations qui ont t menes avant la saisine
du Conseil dtat . Mais son utilisation, pour le moins pisodique, ne concerne
que certains projets de loi6. Aussi serait-il souhaitable, ainsi que lavait suggr le
secrtaire gnral du Gouvernement, M. S. Lasvignes, denrichir la consultation
publique par la mise en ligne du plus grand nombre possible dtudes
dimpact sur les projets de dcrets importants 7.
b.Lexpertise dorganes indpendants
41. Divers systmes prvoient des comits consultatifs indpendants, composs de reprsentants de la socit civile, en charge dassister les gouvernements
1. D. Trnka, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 7, prc., p. 5 s.
2. N. Conso, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 8, prc., p. 15 s.
3. Sur ce point, v. G. Huot, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte rendu n 8, prc., p. 17.
4. D. Trnka, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 7, prc., p. 5. Sur cette question, v. galement : J. Mulley, in Evaluation et
qualit de la lgislation : quel rle pour les Parlements ?, prc., p. 45.
5. Les tudes dimpact europennes sont effectivement co-construites avec les citoyens
dans le cadre dun forum Internet (rapport par C. Untermaier, in Mission dinformation
sur la simplification de la lgislation, compte rendu n 7, prc., p. 12).
6. D. Assouline, Rapport dinformation n 623, prc., p. 97.
7. Id.
89
dans la ralisation des tudes dimpact. Cest, par exemple, le cas au RoyaumeUni o a t mise en place en 1997 la Mission pour lamlioration de la qualit
de la rglementation (Better Regulation Task Force)1, remplace depuis 2006 par
la Better Regulation Executive. Compos de chefs dentreprise, de syndicalistes, de
reprsentants du secteur public, de consultants et dunions de consommateurs, ce
comit conseille le Gouvernement sur la rglementation et sa mise en uvre
au regard de principes fondamentaux tels que la transparence ou la simplicit
de la norme pour lutilisateur, la proportionnalit de la norme au risque qui
existerait en labsence de celle-ci, ou encore la cohrence du dispositif normatif densemble afin dcarter les risques ventuels de conflits de normes2.
La cration dune autorit similaire en France, qui ne saurait se confondre avec
la ncessit de mettre en place un organe de contrle et de validation extrieur
des tudes dimpact3, fait toutefois dbat. Tandis que certains, doutant de la
pertinence du systme en ce quil prvoit que les tudes dimpact sont ralises
par le ministre charg du texte4, militent activement en faveur de la mise en
place dune instance indpendante charge de leur rdaction5, dautres estiment
au contraire quun tel mcanisme ne serait pas exempt de dfaut. Cest notamment le cas de M. D. Assouline, snateur, qui considre quune telle dmarche
serait difficilement concevable avec la culture politique de notre pays, o chaque
ministre a la responsabilit premire de la prparation des textes quil prsente 6.
Dans la mesure o un projet de loi repose avant tout sur des considrations
1. Conseil dtat, Rapport public 2006 Scurit juridique et complexit du droit, prc.,
p. 307.
2. Id.
3. Sur ce point, v. infra.
4. En ce sens, v. L. de la Raudire, in Mission dinformation sur la simplification de la
lgislation, compte rendu n 2, prc., p. 11.
5. J.-P. Delevoye affirme en ce sens : Permettez-moi de dire un mot sur les statistiques.
Elles devraient tre labores par des instances indpendantes. Aujourdhui, certaines
tudes dimpact sont ralises par des inspections dpendant directement des ministres.
Pourquoi ne pas imaginer un organisme dpendant de la reprsentation nationale ? Le
citoyen nacceptera bientt plus que les corps de contrle ne soient pas indpendants du
pouvoir quils sont censs contrler, au risque de conflits dintrts . Selon le Prsident
du Conseil conomique, social et environnemental : Pour stabiliser lopinion, il faut
laisser le temps aux enjeux de mrir dans les esprits et, pour viter les heurts dans le
dbat lui-mme, sappuyer sur des expertises indpendantes et des donnes chiffres,
mme si elles sont inconfortables pour les dtenteurs du pouvoir ou remettent en question vos propres convictions. Mais cela, les gouvernements, quels quils soient, ont du
mal laccepter. Pensons aux dbats sur lducation et lchec scolaire, sur la sant
Cette indpendance de lexpertise est pourtant indispensable pour garantir la transparence et obtenir ladhsion de lopinion. Aucune dcision ne sera durable si elle suscite
sa mfiance (in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 9, prc., p. 16 s.).
6. D. Assouline, Rapport dinformation n 623, prc., p. 96.
90
43. Les mcanismes de contrle et de sanction des tudes dimpact actuellement existants gagneraient tre renforcs.
Sans doute pourrait-on envisager la mise en place dun organe indpendant
spcialement amnag pour contrler la qualit des tudes dimpact, linstar
du Regulatory Policy Committee britannique. Ce dernier est une structure lgre,
compose dune quinzaine de fonctionnaires et de huit membres indpendants
qui disposent dune entire libert de parole dans le cadre de leur fonction dvaluation de la qualit de ltude dimpact4. Des structures quivalentes existent
1. L. de la Raudire in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation,
compte rendu n 10, prc., p. 14, rappelait quau sein de lINSEE, une quipe denviron 80 personnes est ddie lanalyse de limpact des rformes envisages. Cette quipe
dfinit galement les rgles mthodologiques et techniques que doivent respecter les
ministres fdraux pour llaboration des tudes dimpact, et est tenue de rpondre aux
sollicitations du Conseil national de contrle des normes .
2. J.-L. Tavernier, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte
rendu n 10, prc., p. 16.
3. Id.
4. En ce sens, v. R. Juanico, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte rendu n 4, prc., p. 7 ; L. de la Raudire, in Mission dinformation sur la
simplification de la lgislation, compte rendu n 8, prc., p. 7.
92
45. Afin que les tudes dimpact franaises produisent pleinement leurs effets,
il apparat ncessaire que les dcideurs politiques semparent, linstar de leurs
homologues anglo-saxons, de ce dispositif dvaluation de la lgislation. Cest l
une affaire culturelle.
Il est, par exemple, intressant de constater quaux tats-Unis, le Prsident luimme recourt au mcanisme des tudes dimpact pour contrler que les agences
et les ministres travaillent de faon efficace lorsquils laborent la rglementation
fdrale1. On est surtout loin en France du rve, nourri par Guy Carcassonne,
dune discussion lgislative qui porterait dabord sur ltude dimpact, linstar de ce qui se passe au Royaume-Uni avec le systme des livres blancs et des
livres verts. Lon saccorderait sur les faits avant denvisager les remdes, et, sils
passent par la loi, lon sinterrogerait sur le type de loi ncessaire. Tout changerait alors dans la fabrication des normes. Un nombre substantiel de projets ne
verraient plus le jour ou bien seraient trs diffrents. Tout le reste sen dduit.
La performance normative y gagnerait en ce que les critres, contradictoirement
dtermins, faciliteraient lvaluation ex post de la loi 2.
Les autorits politiques franaises ont toutefois conscience de telles carences.
loccasion du forum des ides sur les institutions organis en fvrier 2011,
M. M. Valls proposait ainsi dorganiser un dbat parlementaire sur les tudes
dimpact en dbut de procdure lgislative3. Pour riger les tudes dimpact en
vritable instrument de dbat dmocratique, il conviendrait toutefois de rendre
publiques ces tudes en amont de la saisine du Conseil dtat4. Car, en ltat
actuel du droit positif franais, les parlementaires qui entendent mener un travail
de terrain ne disposent pas du temps ncessaire pour apprcier le contenu des
tudes dimpact qui leur sont transmises5. Lefficacit de cette publicit, en amont
de lavis du Conseil dtat, pourrait tre remise en cause par les ventuelles
1. En ce sens, v. A. Renda, in Evaluation et qualit de la lgislation : quel rle pour les
Parlements ?, prc., p. 25.
2. Cit par D. Assouline, Rapport dinformation n 623, prc., p. 88.
3. Id, p. 98 s.
4. Sur ce point, v. B. du Marais, in Mission dinformation sur la simplification de la
lgislation, compte rendu n 2, prc., p. 14.
5. V. en ce sens, C. Untermaier, in Mission dinformation sur la simplification de la
lgislation, compte rendu n 2, prc., p. 8.
94
46. Les tudes dimpact, on la vu, demeurent sous-exploites dans le cadre des
procdures dvaluation a posteriori des textes normatifs. Certes, la France nest
pas le seul pays accuser un certain retard en cette matire1. Mais les exemples
inverses existent. On songera, notamment, aux tats-Unis, o chaque anne le
pouvoir excutif est tenu de rendre compte au Congrs des effets de la lgislation observs sur le terrain par rapport ceux attendus2. En Allemagne, la Cour
constitutionnelle, de faon tout fait originale, impose au lgislateur, au titre
de la protection des droits fondamentaux de la personne, de modifier ses textes
lorsque les prvisions sur lesquelles ceux-ci sont fonds se rvlent inexactes3. En
Grande-Bretagne encore, le Gouvernement ralise, depuis un accord sign avec
la Chambre des communes en 2010, des valuations en interne afin de vrifier
si les projets de loi remplissent leurs objectifs. Evaluations dont les conclusions
peuvent, ensuite, tre examines par le Parlement4.
On notera nanmoins que lAssemble nationale vient dinscrire dans son
Rglement lobligation suivante : lissue dun dlai de trois ans suivant lentre
en vigueur dune loi, deux dputs, dont lun appartient un groupe dopposi1. D. Assouline (Rapport dinformation n 623, prc., p. 101) a ainsi pu souligner le fait
que si beaucoup de pays de lOCDE sont dots de mcanismes dvaluation a posteriori,
encore assez peu moins de la moiti, semble-t-il , procdent un rapprochement plus
ou moins mthodique entre les estimations prvisionnelles et les rsultats constats sur
la base des critres insrs dans ltude dimpact .
2. Rapport par N. Malyshev, in Mission dinformation sur la simplification de la lgislation, compte rendu n 7, prc., p. 4.
3. Sur ce point, v. Conseil dtat, Rapport public 2006 Scurit juridique et complexit
du droit, prc., p. 311.
4. J. Mulley, in Evaluation et qualit de la lgislation : quel rle pour les Parlements ?,
prc., p. 46.
95
tion, prsentent la Commission comptente un rapport dvaluation sur limpact de cette loi. Ce rapport fait notamment tat des consquences juridiques,
conomiques, financires, sociales et environnementales de la loi, le cas chant
au regard des critres dvaluation dfinis dans ltude dimpact pralable, ainsi
que des ventuelles difficults rencontres lors de la mise en uvre de ladite loi
(art. 145-7).
Pour que lvaluation ex post ainsi envisage soit effective, il apparat
impratif que nos tudes dimpact intgrent, linstar du Royaume-Uni,
des critres dvaluation ex post. Le Parlement disposerait ainsi de bases solides
pour vrifier, au terme dun dlai prdtermin, si les objectifs fixs dans ltude
dimpact ont t remplis. Dans cette optique, un rcent rapport a recommand
de faire de la dtermination des indicateurs sur lesquels on fondera lvaluation ex post des normes une rubrique part entire des tudes dimpact, que les
administrations devront imprativement renseigner (sic) 1.
Proposition n 8 : Systmatiser lintgration, dans les tudes dimpact, de critres
dvaluation ex post. En ce sens, modifier la loi organique du 15 avril 2009.
III
Rguler lusage du droit
damendement
47. Parmi les diverses pratiques parlementaires, le droit damendement est
souvent considr comme une cause de dnaturation du texte initialement
prsent, voire dincohrences entre les rgles adoptes par le Parlement. Aussi,
comme le relve M. J.-P. Camby, tout ce que lon reproche la loi est aussi
reproch lamendement : inflation, miettement, atteinte la scurit et la
clart de la norme () Lantiparlementarisme sest toujours nourri de lusage
jug abusif ou inadapt du droit damendement 1.
La critique la plus habituelle dont fait lobjet le droit damendement a
trait son exercice obstructif. La Constitution et les Rglements des assembles
parlementaires ne posent aucune limite numrique lexercice du droit damendement et nexigent pas de quorum de signatures pour en lgitimer le recours.
La perversion du droit damendement des fins de ralentissement et de gne du
travail parlementaire est donc relativement aise2. Effectivement, dans toutes les
grandes batailles obstructionnistes, les parlementaires ont pu prsenter des amendements par centaines, voire par milliers. Inaugure en France loccasion du
vote de la loi scurit-libert , il y a plus de 35 ans, la tactique de la prsentation
damendements en cascade sest poursuivie depuis. Les amendements dobstruction sont facilement identifiables : ce sont ceux qui sont massivement dposs en
mme temps, par le mme auteur, ceux qui sont dpourvus de contenu normatif
et enfin ceux qui sont rdigs de manire identique ou similaire une srie
dautres amendements. Ces amendements en cascade, qui ont pour objectif de
prolonger le dbat parlementaire, entament substantiellement sa qualit3.
1. Intervention lors de la journe dtudes du 13 janvier 2011 organise lAssemble
nationale par lAssociation franaise de droit constitutionnel, in J. Gicquel, A. Levade,
B. Mathieu et D. Rousseau (dir.), Un Parlement renforc ? Bilan et perspectives de la rforme
de 2008, Dalloz, 2012, p. 22.
2. Voir ce sujet X. Roques, La rvision constitutionnelle et les mthodes de travail
lAssemble nationale, LPA 10 novembre 1995, n 135, 18.
3. Il convient nanmoins de souligner que lAssemble nationale a adopt en 2009 une
nouvelle rglementation afin de limiter les effets des amendements dobstruction. Ainsi la
procdure dite du temps lgislatif programm permet dsormais la Confrence des
prsidents de fixer lavance la dure maximale de lexamen dun texte en sance. Sans
97
48. Toutefois, le thme de lobstruction nest pas le seul appeler lattention. cet effet, il faut se souvenir que lexercice du droit damendement reconnu
aux parlementaires et au Gouvernement est encadr, notamment travers le
contrle du Conseil constitutionnel. La prohibition des cavaliers lgislatifs et
la rgle de lentonnoir jouent cet gard un rle important.
La prohibition des cavaliers lgislatifs
49. Le Conseil constitutionnel veille ce que ladoption damendements,
expression dun droit constitutionnel de premire importance, ne conduise
pas linsertion de dispositions dpourvues de tout lien avec lobjet du texte
dpos sur le bureau de la premire assemble saisie. Le contrle ainsi exerc
porte sur le lien avec lamendement initial, mais pas sur limportance quantitative ou qualitative de lamendement.
En effet, le Conseil constitutionnel a abandonn depuis longtemps la jurisprudence dite Amendement Seguin 1, selon laquelle les adjonctions ou
modifications () apportes au texte en cours de discussion ne sauraient,
sans mconnatre les articles 39, alina 1, et 44, alina 1, de la Constitution,
ni tre sans lien avec ce dernier, ni dpasser, par leur objet et leur porte, les
limites inhrentes lexercice du droit damendement . partir de sa dcision n 2001-445 DC du 19 juin 2001, le Conseil ne fait plus rfrence ces
limites inhrentes et se contente de vrifier que les amendements ne sont
pas dpourvus de tout lien avec les autres dispositions du texte initial. Avant
faire obstacle au droit damendement, cette procdure empche aux dbats de sterniser,
et prive deffet les amendements dobstruction.
1. Cons. const., 23 janvier 1987, n 86-225 DC.
98
Dans un troisime temps, le Conseil a fait respecter la rgle dite de lentonnoir ds la deuxime lecture : les adjonctions ou modifications qui peuvent
tre apportes aprs la premire lecture par les membres du Parlement et par le
Gouvernement doivent tre en relation directe avec une disposition restant en
discussion ; que, toutefois, ne sont pas soumis cette dernire obligation les
amendements destins assurer le respect de la Constitution, oprer une coordination avec des textes en cours dexamen ou corriger une erreur matrielle 1.
La rvision constitutionnelle de 2008 a t sans incidence sur lapplication de
cette rgle de lentonnoir que le Conseil dduit de lconomie de larticle 45 de
la Constitution, et notamment de son premier alina aux termes duquel [t]out
projet ou proposition de loi est examin successivement dans les deux assembles
du Parlement en vue de ladoption dun texte identique .
Le contrle de la qualit de la loi
51. Le Conseil exerce enfin un certain contrle de la qualit de la loi
travers lobjectif de valeur constitutionnelle daccessibilit et dintelligibilit de
la loi en se fondant sur les articles 4, 5, 6 et 16 de la Dclaration de 17892. Il a
jug que lgalit devant la loi, nonce par larticle 6 de la Dclaration des droits
de lHomme et du citoyen, et la garantie des droits, requise par son article 16,
pourraient ne pas tre effectives si les citoyens ne disposaient dune connaissance
suffisante des normes qui leur sont applicables. Il a estim quune telle connaissance tait en outre ncessaire lexercice des droits et liberts garantis tant par
larticle 4 de la Dclaration, en vertu duquel cet exercice na de bornes que celles
dtermines par la loi, que par son article 5 aux termes duquel tout ce qui nest
pas dfendu par la loi ne peut tre empch et nul ne peut tre contraint faire
ce quelle nordonne pas .
Le Conseil constitutionnel a aujourdhui un considrant bien fix : considrant quil incombe au lgislateur dexercer pleinement la comptence que
lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que lobjectif de
valeur constitutionnelle dintelligibilit et daccessibilit de la loi, qui dcoule
des articles 4, 5, 6 et 16 de la Dclaration de 1789, lui impose dadopter des
dispositions suffisamment prcises et des formules non quivoques 3.
La mconnaissance de cet objectif de valeur constitutionnelle a donn lieu
diverses censures dans le cadre du contrle des lois a priori4. Parmi dautres,
le Conseil constitutionnel a ainsi notamment censur une disposition lgislative
relative au libell de certains bulletins de vote tant les dfectuosits dont elle
1. Cons. const., 19 janvier 2006, n 2005-532 DC, cons. 26.
2. Cons. const., 16 dcembre 1999, n 99-421 DC.
3. Cons. const., 29 dcembre 2009, n 2009-599 DC.
4. Cons const., 29 juillet 2004, n 2004-500 DC ; 29 dcembre 2005, n 2005-530 DC ;
24 juillet 2008, n 2008-567 DC ; 29 dcembre 2012, n 2012-662 DC ; 9 octobre
2013, n 2013-675 DC.
101
tait entache mconnaissaient cet objectif de valeur constitutionnelle : incertitude sur la porte normative dune partie du texte, enchanement peu clair
de ses alinas, vocabulaire imprcis, insertion dune disposition paraissant viser
llection des snateurs dans une partie du code lectoral non applicable llection de ces derniers1 ; ou encore, de faon loquente et bien connue, lintgralit
de larticle 78 de la loi de finances pour 2006 sur le plafonnement de niches
fiscales dans la mesure o la complexit du dispositif tait juge excessive eu gard
sa finalit pour ne pas dire parfaitement incomprhensible2.
52. En dfinitive donc, le Conseil constitutionnel agit contre lexercice inopportun du droit damendement, travers les censures des cavaliers lgislatifs et de
la mconnaissance de lentonnoir, comme travers celles des lois de pitre qualit.
Les censures sont nombreuses. Dans les lois de finances, le Conseil constitutionnel a censur, de nombreuses dispositions au titre des cavaliers ou de lentonnoir :
6 en 2009, 7 en 2010, 14 en 2011, 6 en 2012, 11 en 2013. Il en a t de mme
pour les lois de financement de la scurit sociale : 10 en 2009, 19 en 2010, 7
en 2011, 11 en 2012, 2 en 2013. Enfin, le Conseil exerce un contrle similaire
au sujet des lois ordinaires. Ainsi, dans la loi modifiant certaines dispositions de
la loi n 2009-879 du 21 juillet 2009 portant rforme de lhpital et relative
aux patients, la sant et aux territoires, le Conseil constitutionnel a censur
trente articles ou fractions darticles au titre de ses jurisprudences sur les cavaliers
lgislatifs et sur lentonnoir3. En dfinitive, sen tenir par exemple la seule
anne 2011, le Conseil constitutionnel a censur au total 48 cavaliers lgislatifs
(et entonnoirs) dans les diffrentes lois.
Une drive persistante
53. Malgr le contrle substantiel opr par le Conseil constitutionnel et les
rformes relatives au droit damendement, la drive du droit damendement 4
persiste. La consultation des tableaux reproduits ci-dessous, qui permet de dgager divers constats, illustre cette drive.
Statistiques relatives aux amendements en sance dposs et adopts au Snat sur 10 ans1
2003-2004
2004-2005
2005-2006
2006-2007
2007-2008
2008-2009
2009-2010
2010-2011
2011-2012
2012-2013
2013-201429
10398 3676 7686 2706 8652 2799 5672 2118 5988 1959 8746 2379 8521 1778 8377 1697 3192 1067 9085 1670 8345 2046
Taux
dadopt.
35,3 %
35,2 %
32,3 %
103
37,3 %
32,7%
26,5 %
20,9 %
20,2 %
33,4 %
18,8 %
24,5 %
104
Statistiques relatives aux amendements en sance dposs et adopts lAssemble nationale sur 10 ans1
2003-2004
2004-2005
2005-2006
2006-2007
2007-2008
2008-2009
2009-2010
2010-2011
2011-2012
2012-2013
2013-201430
27073 4186 26471 3059 10196 3317 14553131 3541 13778 2598 19704 3351 23776 2362 10147 2314 8472 2249 32645 3443 19662 3650
15,5 %
11,55 %
32,5 %
2,4 %
18,8 %
17%
9,9 %
22,8 %
26,5 %
10,5 %
18,6 %
Origine et sort des amendements dposs et adopts lAssemble nationale sur 10 ans en sance publique1
2003-2004
Gouvernement
D
701
Taux
dadoption
Commissions
Taux
dadoption
Groupes
de la majorit
Taux
dadoption
2004-2005
613 547
87,4 %
2005-2006
2006-2007
2008-2009
2009-2010
2010-2011
2011-2012
481
388
345
438
407
276
247
617
558
498
399
545
476
615
548
856
752
87,9 %
88,9 %
D
A
D
A
D
A
2780 2127 2140 1583 2040 1654
76,5 %
D
3909
A
874
74 %
81,1 %
D
A
D
A
2791 733 3553 1087
Tous groupes
confondus
Taux
dadoption
87,2 %
D
2490
26,3 %
30,6 %
30,4 %
2,9 %
1,2 %
0,4 %
D
A
D
A
D
A
D
A
23592 1440 23784 995 7768 1318 14321233 1320
6,1 %
4,2 %
16,7 %
105
0,9 %
D
1758
D
2348
D
9449
3,8 %
D
11797
8%
A
1255
71,4 %
A
383
76,4 %
87,3 %
D
586
A
431
73,5 %
89,1 %
D
741
A
554
74,8 %
A
311
69,6 %
22,1 %
29,8 %
51,7 %
36,5 %
48,1 %
D
A
D
A
D
A
4135 1233 3427 1171 2681 980
87,8 %
D
447
D
4207
357 13122
A
930
80,1 %
D
501
2012-2013
A
588
25 %
A
5,5 %
90,4 %
A
1406
82,5 %
A
758
22,3 %
A
89,5 %
A
D
1814 1705
Groupes
de lopposition 19683 572 20993 262 4215
Taux
dadoption
92,9 %
D
2081
2007-2008
D
A
3634 1750
4,6 %
1,9 %
4,4 %
4,2 %
2,3 %
A
D
A
D
A
D
A
D
A
D
A
945 17329 1538 22777 1580 9016 1417 7116 1165 31342 2380
8,9 %
6,9 %
15,7 %
16,4 %
7,6 %
106
Origine et sort des amendements dposs et adopts au Snat sur 10 ans en sance publique1
2003-2004
Gouv.
D
598
Taux
dadoption
2007-2008
2008-2009
2009-2010
2010-2011
2011-2012
2012-2013
341
497
364
242
130
475
299
453
285
90,5 %
88,4 %
95 %
D
90,5 %
D
543 431
86 %
D
79,1 %
D
2514 2224 1985 1697 1963 1685 1574 1325 1439 1236 1336 966 677
88,5 %
Groupes
541 433 392 398 352 280 266 263 238 631
90,5 %
D
Commissions
85,5 %
85,8 %
84,2 %
85,9 %
D
A
D
A
D
A
D
A
D
A
7267 911 5268 617 6291 762 3818 527 4286 485
12,5 %
11,7 %
12,1 %
13,8 %
11,3 %
72,3 %
73,2 %
53,7 %
62,9 %
2013-201434
62,9 %
541
792
596
400
342
699
457
915
698
79,9 %
75,2 %
D
A
D
A
D
A
6779 870 7413 896 7088 737
12,8 %
12,1 %
10,4 %
85,5 %
65,4 %
76,3 %
D
A
D
A D
A
2550 595 7911 914 6977 1063
23,3 %
11,5 %
15,2 %
Le premier constat tirer de ces donnes porte sur le fait que le nombre
damendements dposs demeure considrablement lev : plus de 9 000 amendements lont t au Snat en 2012-2013 contre plus de 32 000 sur la mme
priode lAssemble nationale. De la mme manire, le taux dadoption de
ces amendements reste faible puisque, de manire gnrale, seulement 18,8 %
des amendements dposs ont t adopts au Snat en 2012-2013 et seulement
10,5 % lAssemble nationale sur la mme priode. Toutefois, un tel taux
dadoption varie substantiellement selon lauteur de lamendement : alors que les
amendements dposs par les commissions et le Gouvernement bnficient dun
taux dadoption important, ceux dposs par les groupes parlementaires ont un
taux dadoption autrement plus faible.
54. De ces diffrentes donnes, celles voquant les amendements dposs
par le Gouvernement attirent le plus lattention. En effet, alors que le nombre
damendements de fond adopts chaque anne ne varie pas rellement, se situant
autour de 3 000, les amendements dorigine gouvernementale nont cess
daugmenter, marquant un record lors de la session 2012-2013 o ils reprsentent 742 des 3 043 amendements adopts lAssemble nationale. cela
sajoutent tous les amendements que le Gouvernement fait reprendre son
compte par le rapporteur du projet. Ainsi, il arrive que le Gouvernement dpose
des amendements puis les retire avant la discussion et que des amendements
identiques soient finalement dposs par le rapporteur. Il faut ds lors sinterroger sur les raisons qui poussent le Gouvernement amender ses propres
projets de manire massive, accroissant de manire significative le volume
final des projets de loi.
Tout dabord, il semble certain que laugmentation des amendements dorigine gouvernementale provient de linsuffisance de prparation des projets dposs en amont, ce qui pousse les ministres dposer par la suite des amendements
de dernire minute visant combler les lacunes du texte initial. Ainsi, lors de la
discussion du projet de loi Dcentralisation lAssemble nationale le 18 juillet
2014, le Gouvernement a dpos un amendement de dernire minute visant
faire lire au suffrage universel direct dici 2020 les conseillers des mtropoles.
M. J.-C. Lagarde, dput UDI, avait alors reproch au Gouvernement son degr
dimprparation pour avoir pris une dcision aussi importante et limposer
124 communes de faon si tardive .
En outre, au-del de la seule imprparation dont peuvent tre victimes les
projets de loi, il semble que la possibilit offerte au Gouvernement de dposer
de faon drogatoire1 des amendements de dernire minute , cest--dire sans
aucune exigence de dlai, lui permet dinstrumentaliser son droit damendement.
En effet, la voie de lamendement permet au Gouvernement de passer au
1. Larticle 13 de la loi organique du 15 avril 2009 prvoit que, sauf dcision contraire de
la Confrence des prsidents, les amendements des dputs doivent tre prsents au plus
tard le troisime jour ouvrable prcdant le dbut de la discussion du texte 17 heures,
soit le vendredi 17 heures pour un texte inscrit lordre du jour le mardi suivant.
107
Aussi faut-il autoriser un ou plusieurs dputs saisir la Confrence des prsidents afin quelle constate ce dtournement de procdure. Cela nempcherait
pas les amendements dtre examins mais cette dmarche ayant t faite, le
Conseil constitutionnel pourrait ensuite sur cette base formelle ainsi quil
le fait en matire dirrecevabilit financire o il nexerce son contrle que
si la question a t pralablement souleve lors des dbats parlementaires
considrer que la question de la validit de ces amendements est pose. Le
Conseil, sans pour autant renouer avec la jurisprudence dite de lAmendement
Sguin sur les limites inhrentes au droit damendement1 abandonne depuis,
pourrait ainsi tirer argument des modifications introduites dans la Constitution
lors de la rvision de 2008 pour exercer un droit de regard et sanctionner les abus
les plus criants qui sapparenteraient un dtournement de procdure.
Il serait videmment cohrent que ce mcanisme soit tendu aux amendements
dorigine parlementaire afin dviter que cette prohibition ne soit contourne par
le secours complaisant dun parlementaire de la majorit, qui viendrait, en lieu et
place du Gouvernement, dnaturer lexercice du droit damendement.
De nouveau, lacceptabilit de ces volutions Constitution constante peut
tre mise en dbat. Mais il faut ici rpter que lintroduction de dispositifs de
cet ordre dans des lois organiques ou des Rglements dassembles parlementaires prsente limmense mrite dassurer la saisine et le contrle du Conseil
constitutionnel, puisquil en est obligatoirement saisi. Le constat dune ventuelle
incompatibilit avec la Constitution aurait pour seul effet de mettre le constituant devant ses responsabilits : suivant la mtaphore bien connue du lit de
justice , il a toujours la possibilit de surmonter une dclaration dinconstitutionnalit en changeant la norme (constitutionnelle) de rfrence. Rappelons que
la plus grande partie de la construction institutionnelle europenne des dernires
dcennies sest faite de cette manire : on a rvis la Constitution pour la rendre
compatible avec une norme (europenne) qui avait initialement t juge ne lui
tre pas miscible.
Proposition n 14 : Organiser une procdure permettant aux parlementaires de
saisir la Confrence des prsidents afin quelle constate un ventuel dtournement
de la procdure damendement par le Gouvernement.
IV
Favoriser la consolidation
des textes normatifs
61. Linflation normative ne conduit pas seulement au dveloppement du
stock de normes applicables. Elle se manifeste, cest un truisme, par une
augmentation des modifications apportes aux diffrents instruments normatifs
en vigueur. Les statistiques mettent en vidence ce phnomne : le nombre de
modifications introduites dans les textes existants est pass denviron 5 000
6 000 par an la fin des annes 1990 environ 10 000 au dbut des annes
2000 puis 20 000 25 000 ces dernires annes, le pic ayant t atteint de
2005 2007 avant un reflux relatif qui semble se confirmer.
Nombre de modifications de textes reproduits
dans Codes et lois par annes
Annes
Total
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
4 803
6 498
11 839
8 880
9 074
15 785
19 530
1945
2114
2336
2612
3382
4589
nc
5929
513
336
587
2806
2839
3983
3070
5008
5044
10896
10818
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
26 923
21 094
25 211
19 355
16 459
20 551
17 768
Annes
Total
1243
240
4418
3680
4515
3472
3886
4497
4339
Ordonnances
2573
3237
3309
1213
1722
4495
2206
Dcrets
18749
12716
16355
13484
9474
10471
10145
117
Annes
Total
2012
2013
2014*
17 437
14 142
11 247
1891
3330
3956
2468
1159
1159
11653
5319
5319
* Au 26/09/2014
Cette situation a notamment pour consquence dentraver le travail de mise
jour des textes. Cette opration, communment dsigne sous le terme de
consolidation , concourt la scurit juridique puisquelle permet un accs direct
la version actualise des textes normatifs. Il nest pas besoin de souligner limportance de ce travail : lusager du droit magistrat, avocat ou justiciable utilise
les supports de maisons ddition le plus souvent, ou Lgifrance dans dautres
cas. Etre capable de savoir quelle est la rgle jour est une exigence lmentaire ;
aprs viennent logiquement les difficults comprhension, interprtation, application mais le mal se loge partout, et mme dans cette tape de base.
Bien plus quune technique de prsentation des textes 1, la consolidation
est une opration doctrinale parce quelle consiste intgrer dans un acte
dit de base (code, loi, dcret, en droit franais) des modifications de nature
diverse, provenant de types de donnes jugs scientifiquement pertinents, selon
une mthode pralablement dfinie, le cas chant en procdant des recherches
et en mettant en uvre des savoirs, des analyses et des interprtations 2.
Celui qui entend procder la consolidation dun texte doit ainsi intgrer
dans son entreprise de mise jour non seulement les modifications du texte
engendres par des dispositions expresses, explicites et directes, mais aussi les
modifications implicites. Il convient, par exemple, de ne pas rater ladoption
dune disposition balai qui abrogerait un texte sans le viser expressment. Il en
va de mme pour les lments de fait (premire runion ou renouvellement dun
organisme, nomination de son prsident etc.) qui peuvent influer sur lentre en
vigueur dun texte, ou encore pour une dcision du Conseil dtat ou du Conseil
constitutionnel qui priverait deffet un texte particulier. On comprend en quoi
la consolidation est une mcanique.
62. La complexit de lexercice, et la ncessit de procder des choix rflchis, expliquent limportance des divergences qui peuvent exister entre diffrents
fonds ditoriaux fournissant des versions consolides des textes.
1. Site Lgifrance, rubrique propos du droit , point 5.2.
2. H. Moysan, La consolidation des codes, lois, dcrets : positions doctrinales dditeurs
ou devoir de ltat ?, JCP G 2006, n 50, I, 196. V. galement H. Moysan, La nature
doctrinale de la consolidation de la loi, in R. Drago (dir.), La confection de la loi, PUF,
2005, p. 183.
118
Version Lgifrance
Sanction pcuniaire
de 0,75 1 200
Ne comprend pas
darticle 16-1
Comprend
un article 16-1
Article en vigueur
Article abrog
Loi entirement
en vigueur
Loi abroge
dans sa quasi-totalit
2) du Paragraphe II
de la Loi partiellement
en vigueur
64. Une premire voie emprunter serait donc celle dune consolidation ralise sous la forme dun monopole. Lexercice dune telle consolidation ne serait
concevable que dans le cadre dun systme de consolidation dite constitutive
o lautorit normative comptente pour prendre un texte ou le modifier serait,
de la mme manire, seule comptente pour le consolider. En pratique, le Parlement, en adoptant la loi, se prononcerait galement sur sa version consolide
reproduite en annexe, cette dernire faisant seule foi.
Les pouvoirs publics se sont dj essays cette technique de consolidation sans pour autant lui confrer une porte normative. Ainsi, lordonnance
n 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions dentre et de sjour des
trangers fut publie jour des modifications quelle a pu subir loccasion du
dcret n 91-902 du 6 septembre 1991, lannexe de ce dernier reprenant lintgralit de lordonnance amende. Ce mode de consolidation aurait le mrite de
scuriser en grande partie ltablissement du droit applicable, une seule version
faisant foi.
Toutefois, il emporterait galement de nombreuses difficults qui ont
conduit la Commission exclure son adoption. Dabord, la mise en place dune
consolidation tatique et monopolistique engendrerait une charge de travail
supplmentaire pour les pouvoirs publics : chaque article reproduit devrait tre
parfaitement actualis (dnominations, rfrences dautres dispositions etc.).
120
1. Cest le juge qui parat seul lgitime les tablir. Le Conseil dtat a ainsi jug que les
dispositions de larrt du 11 juillet 1977 fixant la liste des travaux ncessitant une surveillance mdicale spciale doivent tre regardes comme ayant t implicitement abroges
par le dcret n 2012-135 du 30 janvier 2012, qui dtermine les catgories de salaris qui
bnficient dune surveillance mdicale renforce et les modalits de cette surveillance
mdicale renforce (CE, 4 juin 2014, n 360829, Syndicats CGT NTR-SNR).
121
rendues plus aisment accessibles. Cette mesure doit tre rapproche de la Proposition n 211 qui vise introduire un avertissement sur le site de Lgifrance : la
prsence dune redirection vers le Journal officiel permettra ceux qui consultent
Lgifrance den saisir la porte exclusivement informative et non authentique.
dfaut dun accs la version authentifie du Journal Officiel sur Lgifrance,
il conviendrait de scuriser laccs et le contenu de la version fac-simile accessible sur ce dernier, afin de garantir la parfaite identit de cette version avec la
version authentifie disponible sur le site www.journal-officiel.gouv.fr ou,
pour les textes antrieurs juin 2004, avec la version imprime du Journal officiel.
En outre, pour ces derniers textes, il faudrait galement gnraliser laccs cette
version fac-simile , laquelle se heurte parfois des difficults techniques (liens
inactifs ou errons). Prenons un exemple : le lien pour accder au fac-simile du
dcret n 58-9 du 2 janvier 1958 relatif aux conditions de nationalit pour exercer
une activit minire renvoie une page de promotion dans la lgion dhonneur.
En somme, amliorer laccs au Journal Officiel, outil primordial la consolidation des textes normatifs, permettrait de faciliter cette dernire.
Proposition n 15 : Mettre disposition un accs efficace au Journal officiel avec
la plus grande antriorit possible.
Proposition n 16 : Donner accs, sur Lgifrance, texte par texte, la version
authentifie du Journal officiel.
Proposition n 17 : Scuriser laccs la version fac-simile des textes normatifs
sur Lgifrance.
69. Sil est ncessaire de rendre plus efficace laccs aux sources faisant foi,
il ne faut pas que cet effort se dilue dans la dmultiplication des canaux de
publication. Ce phnomne, qui touche les circulaires et instructions, entame
substantiellement lefficacit de la consolidation puisquil contraint ceux qui
en ont la charge surveiller lensemble des canaux possibles, ce qui est source
de cots supplmentaires et surtout derreurs ! Lexemple du Guide des bonnes
pratiques en matire de marchs publics, outil rfrent pour toute personne
souhaitant sinformer ou dsireuse de conclure un march public, est ce titre
loquent : outre le fait que ses modifications opres par voie de circulaires
ont t intgres tardivement sur Circulaires.gouv.fr, le Guide ne relve plus
aujourdhui de ce site Internet. Un tel changement complique lentreprise de
consolidation puisquil faudra dsormais scruter dultrieures modifications sur
ce nouveau canal de publication quest, en lespce, le site du ministre de
lconomie et des Finances.
1. V. infra.
123
73. Sil est indispensable de faciliter laccs aux sources faisant foi, il importe
galement dattirer lattention des usagers du droit sur le fait que le produit
fini de la consolidation les bases de donnes Lgifrance et des diteurs
privs ne fait pas foi. Trop nombreux sont ceux qui assimilent les textes consolids aux textes faisant foi. Cette confiance dans la consolidation peut entraner des consquences dommageables, si la version consolide du texte prsente
savre errone.
Pour viter cette situation, il conviendrait dindiquer sur chaque page ou
chaque texte des fonds documentaires de lgislation disponibles sur le site Internet Lgifrance que linformation diffuse lest titre strictement informatif et
que seul le Journal Officiel, dans son dition authentique, fait foi.
Cette mesure est dj adopte par de nombreux sites publics. Ainsi, le site
Internet du Conseil constitutionnel comporte une page, facilement accessible,
intitule Statut de linformation qui indique que sagissant des textes
normatifs reproduits sur le site, seule la version publie au Journal Officiel de
la Rpublique franaise fait foi et que les autres documents sont prsents
titre informatif . De mme, le site Internet de lUnion europenne contient
un avertissement selon lequel seules les versions des documents publies au
Recueil de la jurisprudence ou au Journal officiel de lUnion europenne constituent
des sources officielles et que les autres documents disponibles sur le site de
linstitution sont affichs des fins dinformation du public et sont susceptibles
dtre modifis .
Intgrer un avertissement similaire sur le site Lgifrance permettrait ses trs
nombreux visiteurs, quils soient juristes ou profanes, didentifier les textes diffuss comme ltant titre strictement informatif. Peu coteuse, la mise en uvre
de cette proposition empcherait certaines mauvaises surprises.
Proposition n 21 : Introduire un avertissement systmatique sur le statut de
linformation diffuse sur Lgifrance.
75. La modification des dispositions existantes dans la lgislation ou la rglementation recouvre bien souvent des modalits dun formalisme excessif1. Par
exemple, il nest pas rare que les textes procdant la codification ou recodification
du droit existant procdent des abrogations extrmement ciseles ou pointillistes
de dispositions pour rserver le cas darticles, dalinas ou mme de membres de
phrases destins intgrer ultrieurement la partie rglementaire dun code. Cette
technique a notamment t utilise lors de la recodification du Code du travail. En
effet, une partie du Code du travail de 1973 a vu son abrogation diffre lentre
en vigueur de la partie rglementaire du nouveau Code, un tel report figurant dans
lAnnexe II de lordonnance n 2007-329 du 12 mars 2007 relative au Code du
travail. Lannexe tait alors constitue dun tableau denviron 500 lignes envisageant de manire indiffrencie le maintien darticles, dalinas ou simplement de certaines phrases ! Lextrait de ce tableau, reproduit ci-dessous, montre
quel point le travail de consolidation ncessite une prcision dhorloger.
ARTICLE
du code
du travail
L. 311-7
ARTICLE OU FRACTION
DARTICLE maintenus
en vigueur
ARTICLE
du code
du travail
ARTICLE OU FRACTION
DARTICLE maintenus
en vigueur
L. 311-8
Troisime et quatrime
alinas.
L. 311-10
L. 311-10-1
L. 323-2
Deuxime alina.
L. 311-10-3
Intgralit de larticle
L. 323-8-3
Quatrime et cinquime
phrases du quatrime alina.
L. 312-1
L. 323-8-6-1
L. 323-9
L. 323-10-1
L. 323-11
L. 322-2
L. 323-11-1
Troisime alina.
L. 320
Premier alina.
2 0 ter, les mots : dernier alina sont remplacs par les mots : quatrime
alina .
128
III.-Le
129
78. Pour lutter contre cette pratique rdactionnelle, deux voies sont envisageables. On peut dune part prvoir quun avertissement soit systmatiquement
insr au dbut de la notice explicative afin de prciser que celle-ci est dpourvue
de toute porte normative et que seul le dispositif jouit de cette prrogative. On
peut dautre part envisager que la notice explicative ne soit plus place en tte
du texte normatif mais dans un document annexe dont laccs, notamment sous
forme dmatrialise, se ferait par le biais dun lien.
Si linsertion dun simple avertissement a le mrite de ne pas bouleverser la
pratique, on peut justement redouter que les rdacteurs continuent de ngliger
la diffrence entre notice et dispositif en estimant que ce qui a t voqu dans
la premire ne doit pas ncessairement tre repris dans le second. linverse, la
sparation physique de la notice et du dispositif dans deux documents distincts
130
Nombre
dordonnances
Nombre
de dcrets
10 500
nc
120 000
9 000
nc
23 883
2 314
519
23 883
8 000
nc
14 000
10 500
nc
120 000
2 016
600
26 198
10 000
nc
125 000
R. Piastra, De lintelligibilit et de
laccessibilit des lois en France , Revue
adm. 2012, p. 462
10 000
nc
125 000
2 000
nc
26 000
1 500-1 700
nc
18 000-20 000
tudes et Travaux
Ces divergences, que lon peut rapprocher de celles qui existent entre les
fonds de textes consolids, sexpliquent par le statut incertain de certaines
dispositions.
Outre les exemples dj voqus, quelle porte accorder la dizaine darticles de la Constitution du 4 novembre 1848 reproduits comme en vigueur
sur Lgifrance, bien quaucune de ces dispositions ne soit vise par le prambule
de la Constitution de 1958 ? La question se pose galement pour les quelques
dispositions de la Constitution de lAn VIII toujours reproduites dans le fonds
Codes et lois de lditeur priv LexisNexis. De la mme manire, comment
saccorder sur les articles en vigueur issus de la loi du 16 avril 1930 portant
fixation du budget gnral de lexercice 1930-1931 dont Lgifrance reproduit
le seul article 7 et LexisNexis les articles 43, 44, 123, 139, 148 et 152 (mais
non le 7) ?
132
1. NOR : MENG0922729A.
134
DEUXIME PARTIE
LA COUR DE CASSATION
137
Le stock daffaires a certes diminu depuis une dizaine dannes, mais il reste
toutefois comme bloqu des niveaux extrmement importants.
Tableau 1.2. volution du stock global, civil et pnal (hors QPC)
Ces chiffres sont dailleurs loin dtre en rupture avec ceux enregistrs une
quinzaine dannes plus tt, lorsque la Cour de cassation semblait crouler sous
les pourvois. En 2000, le Rapport annuel pointait ainsi le fait que :
la Cour de cassation avait reu 30 345 affaires nouvelles ;
30 108 affaires avaient t juges dans le mme temps ;
le nombre daffaires restant juger slevait au 31 dcembre 2000 40 824
dossiers.
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
+ affaires reues
= volume daffaires
affaires juges
= affaires restant
juger au 31/12
138
En nombre
1993
Affaires retires
du rle civil
=Affaires restant juger
au 31.12 dduction
faite des retraits du rle
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2 633
2 846
3 185
2000
3 446
Linflation des dcisions et la ncessit pour la Cour dy faire face sous peine
de sombrer sous le contentieux ont ainsi chang sinon sa nature du moins sa
fonction premire.
G. Canivet, Vision prospective de la Cour de cassation
(ASMP, sance du 13 novembre 2006)
Si radical fut le phnomne de banalisation du recours en cassation quil modifia
profondment les mthodes et la structure de la Cour et provoqua une drive
institutionnelle de plus dun demi-sicle. Par un enchanement perturbateur, la
croissance incontrle du contentieux de cassation fut tout la fois la consquence
dune dnaturation de la Cour et la cause de graves dsordres dans ses pratiques.
Le dveloppement simultan dune jurisprudence interprtative foisonnante, variable
dans le temps et dun contrle pointilleux de la mthode de jugement, a peu peu
provoqu un nombre considrable de pourvois, dautant plus quun taux de cassation
important, plus de 20 % des arrts examins en matire civile, et, en certains domaines,
le caractre alatoire des solutions, ajout un effet dilatoire des dlais de jugement,
incitaient les plaideurs tenter leur chance. Participant au mcanisme contentieux, la
Cour de cassation en a subi les avatars : une progression spectaculaire dans la seconde
moiti du XXe sicle suivie dune lente rcession dans les dix dernires annes.
[]
Ainsi provoqu, le phnomne inflationniste sest de lui-mme renforc, le nombre
de dcisions rendues a brouill la jurisprudence, la multiplication des formations de
jugement accru les risques dincohrence, le processus de production de masse et
lallgement des mthodes dexamen fragilis les dcisions, lensemble entranant tout
la fois une perte dautorit et une incertitude juridique propices la multiplication
des recours. Sans quon lait spcialement voulu, rflchi ni programm, dorgane
vocation limite plac auprs du corps lgislatif dans le seul but dunifier linterprtation
de la loi, la Cour de cassation, sest transforme en une juridiction traitant dun
contentieux considrable, selon des mthodes de production de masse plus ou moins
rationalises. Elle a de ce fait perdu de vue sa mission principale dinterprtation
unificatrice de la loi.
I
Permettre lvolution
du rle de la Cour de cassation
sous linfluence de la CEDH
89. Lessor de la Convention europenne des droits de lhomme et de la Cour
europenne des droits de lhomme bouleverse la rpartition des rles entre les
diffrentes juridictions suprmes franaises. La chose est vidente pour le Conseil
constitutionnel, dont on sait quil tente daligner ses dcisions sur celles de la
CEDH et de favoriser un dialogue des juges constitutionnel et europen propice
viter les conflits de solutions. La similarit des normes constitutionnelles et
conventionnelles justifie, dans la perspective dfendue par le Conseil constitutionnel, cette recherche dunit. Le cinquime anniversaire de la QPC en mars
2015 a ainsi donn loccasion de discours croiss au Conseil constitutionnel
entre le prsident du Conseil et celui de la CEDH, sur cette problmatique
qui apparat essentielle, du moins pour le Conseil constitutionnel : Jaimerais
[] dire combien les contrles de constitutionnalit et de conventionnalit sont
devenus mes yeux, dune part, cohrents et, dautre part, complmentaires , a
ainsi dclar le M. J.-L. Debr, soulignant qu en cas de dcision de conformit
la Constitution, une disposition lgislative bnficie dune prsomption de
conventionnalit. Seules de trs srieuses raisons peuvent conduire sinscrire
dans un sens diffrent. La Cour de Strasbourg est mme den dcider 1. Une
telle prsomption de conventionnalit constitue surtout un vu, mme sil nest
pas douteux que sa ralisation permettrait de renforcer la cohrence des contrles
de la loi. Son souhait ne saurait dailleurs masquer le fait que les jurisprudences ne
sont pas toujours convergentes et que le Conseil constitutionnel lui-mme refuse
dintgrer purement et simplement dans son interprtation de la Constitution
les raisonnements et les solutions conventionnelles2.
1. J.-L. Debr, 5e anniversaire de la Question prioritaire de constitutionnalit, JCP G
2015, 354.
2. Sur le fait que les garanties des ordres constitutionnel et conventionnel ne constituent
pas un ensemble indissociable (par comparaison avec lapproche belge), v. G. Canivet,
Lhypothse dune fraternit gmellaire, Convergences et divergences des jurisprudences
de la Cour constitutionnelle belge et du Conseil constitutionnel franais, 1er avril 2015,
spc. n24 et 25.
143
La Cour de cassation procde en effet, en diffrentes hypothses, une apprciation de la violation des droits et liberts au regard des donnes factuelles, en
invitant souvent expressment un contrle de proportionnalit, directement
calqu sur le contrle opr par la CEDH.
Ainsi a-t-on en ce sens mis en exergue le contrle opr par la Premire
chambre civile dans son arrt du 4 dcembre 20131 dont on rappellera les termes
pour mettre en exergue la dmarche suivie :
Vu larticle 8 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et
des liberts fondamentales ;
Attendu, selon larrt attaqu, que Mme X et M. Claude Y se
sont maris le 6 septembre 1969 et quune fille, ne le 15 aot 1973, est
issue de leur union ; quaprs leur divorce, prononc le 7 octobre 1980,
Mme X a pous le pre de son ex-mari, Raymond Y, le 17 septembre
1983 ; quaprs avoir consenti sa petite-fille une donation le 31 octobre
1990, ce dernier est dcd le 24 mars 2005 en laissant pour lui succder
son fils unique et en ltat dun testament instituant son pouse lgataire
universelle ; quen 2006, M. Claude Y a, sur le fondement de larticle
161 du code civil, assign Mme X en annulation du mariage contract
avec Raymond Y ;
Attendu que, pour accueillir cette demande, larrt, par motifs propres
et adopts, aprs avoir relev quainsi que la rappel la Cour europenne
des droits de lhomme dans un arrt rcent, les limitations apportes au
droit au mariage par les lois nationales des tats signataires ne doivent
pas restreindre ou rduire ce droit dune manire telle que lon porte
atteinte lessence mme du droit, retient que la prohibition prvue par
larticle 161 du code civil subsiste lorsque lunion avec la personne qui
a cr lalliance est dissoute par divorce, que lempchement mariage
entre un beau-pre et sa bru qui, aux termes de larticle 164 du mme
code, peut tre lev par le Prsident de la Rpublique en cas de dcs de
la personne qui a cr lalliance, est justifi en ce quil rpond des finalits lgitimes de sauvegarde de lhomognit de la famille en maintenant
des relations saines et stables lintrieur du cercle familial, que cette
interdiction permet galement de prserver les enfants, qui peuvent tre
affects, voire perturbs, par le changement de statut et des liens entre les
adultes autour deux, que, contrairement ce que soutient Mme X, il
ressort des conclusions de sa fille que le mariage clbr le 17 septembre
1983, alors quelle ntait ge que de dix ans, a opr dans son esprit une
regrettable confusion entre son pre et son grand-pre, que larticle 187
1. Civ. 1e, 4 dcembre 2013, n 12-26066, D. 2014, 179, note F. Chned, 153, pt de
vue H. Fulchiron, 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ Fam. 2014, 124, obs.
S. Thouret, et 2013, 663, pt de vue F. Chned ; RTD civ. 2014, 88, obs. J. Hauser et
307, obs. J.-P. Marguenaud.
147
dudit code interdit laction en nullit aux parents collatraux et aux enfants
ns dun autre mariage non pas aprs le dcs de lun des poux, mais
du vivant des deux poux, quenfin, la prsence dun conjoint survivant,
mme si lunion a t contracte sous le rgime de la sparation de biens,
entrane ncessairement pour M. Claude Y, unique enfant et hritier
rservataire de Raymond Y, des consquences prjudiciables quant ses
droits successoraux, la donation consentie Mme Fleur Y et la qualit
de Mme Denise X en vertu du testament du dfunt tant sans incidence
sur cette situation, de sorte que M. Claude Y a un intrt n et actuel
agir en nullit du mariage contract par son pre ;
Quen statuant ainsi, alors que le prononc de la nullit du mariage
de Raymond Y avec Mme Denise X revtait, lgard de cette
dernire, le caractre dune ingrence injustifie dans lexercice de son
droit au respect de sa vie prive et familiale ds lors que cette union,
clbre sans opposition, avait dur plus de vingt ans, la cour dappel
a viol le texte susvis .
Ce sont bien des considrations factuelles qui ont ici conduit la Cour de
cassation considrer quil y avait eu violation de larticle 8 de la CEDH au cas
despce do lon pourrait dailleurs se demander si lon nest pas davantage en
prsence dun grief de manque de base lgale. Ce qui permet de comprendre que
XXIe
sicle
Les dernires dcennies ont mis rude preuve le modle de cassation lgaliste. Cest
que la Cour europenne des droits de lhomme (CEDH) est entre en scne pour
exercer, aprs la Cour de cassation, un contrle faisant appel la notion dquit venue
de la Common Law. L o le juge franais tait habitu user de laphorisme la
loi, toute la loi, rien que la loi , la CEDH rpond : oui, condition que le rsultat
soit quitable, cest--dire que lapplication de la loi soit adapte aux circonstances de
lespce, ncessaire en raison de ces circonstances, et proportionne ces circonstances.
Jus id quod justum est : le droit, cest ce qui est juste , dit la doctrine naturaliste.
Nous sommes au cur de notre sujet.
1. Civ. 1e, 20 mars 2014, n 13-16829, D. 2014, 776 ; AJ Fam. 2014, 380, obs. A. Le
Gouvello ; RTD civ. 2014, 334, obs. J. Hauser. Larrt est cit par S. Guinchard, F.
Ferrand, T. Moussa, Une chance pour la France et le droit continental : la technique de
cassation, vecteur particulirement appropri au contrle de conventionnalit, D. 2015,
278, spc. note 39.
150
En troisime lieu, un tel contrle trouve encore une raison dtre dans le
Protocole 16 prcit qui prvoit la procdure davis facultatif la CEDH. La
Cour qui saisit la CEDH doit alors motiver sa demande davis et produire les
lments pertinents du contexte juridique et factuel de laffaire pendante . Il ne
sagira en effet pas pour la Cour deffectuer un contrle abstrait de la lgislation
et de sa conformit avec la CEDH.
Lavis rendu par la CEDH prend en considration les circonstances telles
que celles de laffaire en cause , selon les explications donnes par la CEDH
elle-mme1 :
1. Document de rflexion sur la proposition dlargissement de la comptence consultative de la Cour, n 30, p. 7.
151
ratifie par la France, et tait donc non valable et prive deffet juridique 1.
En consquence, le tribunal avait requalifi le CNE en contrat dure indtermine (CDI) et condamn lemployeur au versement de dommages et intrts.
On ne saurait perdre de vue que le progrs de ltat de droit, et singulirement
du contrle de sa constitutionnalit, na pu avoir lieu et ne peut continuer se
dployer quau prix dune certaine fragilisation de lacte lgislatif. Le statut de
la loi, sous ce rapport, a subi une volution historique comparable celle quont
subi les dcrets et autres actes du Gouvernement avec le dveloppement de la
justice administrative. La protection accrue des droits fondamentaux passe par
l. Mais, pour autant, cela ne signifie pas que ce mouvement doive ne supporter
aucun temprament. Le fait que chaque juge puisse carter la loi comme contraire
une norme supra-lgislative est dans certains cas facteur dune inscurit qui
confine au dsordre juridique : ainsi lorsque la mise lcart de la loi rsulte
de stratgies rflchies de plaideurs qui tentent leur chance en multipliant les
contentieux, ou linverse ciblent leur juge. Il convient donc dy rflchir.
Dans cette perspective, il est judicieux de se demander si lintervention rapide,
voire exclusive, de la Cour de cassation ne pourrait pas constituer une manire
de contenir le risque de cette instrumentalisation du contrle de la loi.
Dans la version la plus radicale de cette ide, on pourrait ainsi souhaiter
que la question de la conformit de la loi des traits internationaux relatifs
aux droits et liberts fondamentaux relve exclusivement de la comptence de
chaque Cour place au sommet de son ordre. La Cour de cassation devrait
alors tre saisie de toute question de conventionnalit. Il va de soi quune telle
hypothse supposerait un filtre, opr par le juge du fond initialement saisi
de la question.
96. Plusieurs obstacles une telle concentration doivent toutefois tre souligns. En premier lieu, une telle centralisation ne saurait valoir pour le contrle
de la loi aux exigences communautaires : chaque juge national est en effet juge
de droit commun du droit de lUnion europenne (jurisprudence Simmenthal)
et lexigence deffectivit du droit de lUnion impose que le juge national soit en
mesure dappliquer immdiatement le droit de lUnion. Il en rsulte que linvocation de la Charte europenne des droits fondamentaux, qui est communautaire,
chapperait cette centralisation. Or, elle est, pour une part importante, tout
fait redondante avec la CEDH, ce qui pourrait donc priver deffet pratique la
centralisation du contrle de conformit la CEDH entre les mains de la Cour
de cassation, sans mme voquer la complexit dun systme qui verrait coexister
une procdure propre la QPC, une autre pour le droit communautaire et une
troisime pour la CEDH et les autres Traits. quoi on peut ajouter quil nest
pas certain que la CJUE, arguant de lintgration du droit de la CEDH au droit
1. Cette convention prvoit quun salari ne peut tre licenci sans quil existe un motif
valable de licenciement et avant quon lui ait offert la possibilit de se dfendre .
Or, le CNE exonre lemployeur de lobligation deffectuer un entretien pralable au
licenciement et de motiver la lettre de licenciement, rappelle le tribunal.
154
157
II
Amliorer la rationalit et lefficacit
de la jurisprudence
A. Affirmer le pouvoir normatif de la Cour de cassation
et rduire drastiquement le nombre de dcisions
98. Le Club des juristes, dans un rcent Rapport de sa Commission Constitution et Institutions1 sous lgide de MM. M. Guillaume et D. de Bchillon,
a expos la ncessit de rguler les contentieux des cours suprmes, aussi bien
celui du Conseil dtat que celui de la Cour de cassation. Son tude mrite, dans
le prsent contexte, dtre reprise pour une large part. Ses conclusions doivent
surtout servir, ici, comprendre comment la Cour de cassation doit dsormais
rorienter son rle et ses mthodes afin de mettre au premier plan de son
action la mise en valeur de son pouvoir normatif.
99. La problmatique ne doit pas tre saisie par le nombre des dcisions
rendues ce qui ne signifie aucunement quun tel nombre ne soit pas parfaitement excessif mais par le rle qui constitue lessence mme de la Cour de
cassation, son identit au sein de nos institutions. Elle est et doit tre la Cour
suprme de lordre judiciaire, ce qui suppose que son activit soit oriente par son
pouvoir normatif. ce titre, la rduction du nombre de dcisions est ncessaire
parce que la soumission une production de masse produit des effets ngatifs
trs marqus qui prcisment lempchent de remplir ce rle.
De faon gnrale, la faible slection des pourvois et la ncessit pour
la Cour de juger des dizaines de milliers daffaires lempchent en effet de
remplir sa mission premire, celle de dire le droit en assurant son unit. ce
titre, la Cour de cassation traite de trs nombreux contentieux qui, ltranger, sont
videmment carts de loffice dune Cour suprme rgulatrice. Dans la plupart des
grandes dmocraties occidentales, une telle juridiction ne connat que des questions
de principe, dvolution du droit ou dunification de la jurisprudence. Happe par
la ncessaire matrise du nombre et de la masse, la Cour de cassation ne parvient
plus dlivrer une jurisprudence lisible, comprhensible et efficace2.
1. Commission Constitution et Institutions du Club des juristes, prc.
2. G Canivet, Lorganisation interne de la Cour de cassation favorise-t-elle llaboration de sa jurisprudence ?, prc. : Le nombre darrts rendus trouble la lisibilit de la
jurisprudence. La production de masse des dcisions brouille le message doctrinal de la
Cour, dautant plus que les arrts de seconde importance, motivs selon la technique du
159
pourvoi en rponse dobscurs moyens, sont difficilement lisibles. Ce qui empche les
professionnels concerns de tout lire et de tout comprendre .
160
rfrendaires et de membres du parquet gnral, auquel il faut ajouter 276 fonctionnaires et greffiers, pour un total de 553 emplois.
La qualit se dissout dans la quantit. La multiplication des formations
de jugement vient favoriser la diversit au dtriment de lunit. La cration de
formations restreintes rend la collgialit et ses avantages souvent illusoires.
Elle favorise la personnification de la jurisprudence et le rattachement de
certains secteurs du droit deux voire un seul magistrat, avec les risques
inhrents une telle domination dun individu isol sur une matire. Dans
un tel contexte, la jurisprudence ne doit souvent sa permanence qu celle du
magistrat qui la labore et nourrie. La Cour de cassation ne saurait juger
juge unique, ce qui nest pas loin dtre le cas dans certains domaines.
100. Alors que la trs grande majorit des dmocraties occidentales ont mis
en uvre des rformes profondes pour rguler les contentieux devant leurs Cours
suprmes, la France laisse ses Cours suprmes faire face dnormes masses
contentieuses.
Cette situation des Cours suprmes franaises est, lexception de lItalie, sans
comparaison en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Espagne ou aux tats-Unis
dAmrique. Aucune des grandes dmocraties occidentales ne laisse ses Cours
suprmes face de telles masses contentieuses. En Italie seulement, la Cour de
cassation et le Conseil dtat ont des stocks daffaires analogues ou suprieurs.
En Espagne, deux profondes rformes ont t menes en 2007 et en 2011
pour modifier laccs respectivement au Tribunal constitutionnel et la troisime
Chambre administrative du Tribunal suprme. Avant la rforme, le Tribunal
constitutionnel connaissait en 2007 prs de 10 000 recours damparo par an ;
en 2009 seuls 128 recours sur 7 000 ont t dclars recevables. La mme rgulation volontariste a t dveloppe devant la Troisime Chambre du Tribunal
suprme, juridiction administrative suprme. Cette dernire a vu, entre 2005 et
2013, les affaires pendantes devant elle rduites de prs de 70 % et les requtes
dposes et les requtes traites rduites de moiti ; le nombre de jugements
rendus en 2013 sest mont moins de 4 000. Devant les premire et seconde
Chambres du Tribunal suprme, lvolution est analogue ce qui a conduit cette
juridiction suprme rendre en 2013 moins de 1 000 jugements civils et moins
de 1 000 jugements criminels.
En Allemagne, la rforme du 27 juillet 2001 a profondment modifi les
critres du pourvoi en cassation devant la Cour fdrale de justice (BGH) en
matire civile. Les pourvois en cassation, autoriss par les juges dappel, se
montent dsormais moins de 800 (737 en 2012, 715 en 2013) alors que le
BGH connaissait plus de 4 000 pourvois avant la rforme (4 440 en 2000 et
4 265 en 2001). Les recours contre les refus dautorisation de pourvoi par la
juridiction dappel (3 633 en 2013) ne sont, quant eux, accueillis qu 8 %
(soit moins de 300 affaires). Pour sa part, de manire tout aussi stricte, la Cour
constitutionnelle ne juge dsormais que 154 affaires aprs filtrage.
162
Ce rle nimplique pas de juger une troisime fois une affaire. Il nimplique notamment pas, sous couvert de manque de base lgale, de remettre
ou non en cause les apprciations de fait des juges du fond. La Cour suprme
doit tre saisie des seules questions de principe, dvolution du droit ou de contrarit de jurisprudences et de solutions entre juridictions.
Elle doit aussi, de manire plus gnrale, savoir allouer du temps et des
moyens aux affaires qui le rclament. Il convient ainsi de mettre fin une attitude passive de la Cour, traitant les affaires les unes aprs les autres et de manire
gale, au profit dune slection claire de ses champs dintervention prioritaires
et des affaires qui justifient une tude approfondie 1.
1. G. Canivet, Vision prospective de la Cour de cassation, prc.
163
En Allemagne la loi du 27 juillet 2001 a accompagn le mcanisme dautorisation du pourvoi en cassation par la Cour dappel dune possibilit de contester
ce refus devant la Cour fdrale de justice (BGH). Celle-ci apprcie ce recours
au vu des mmes critres que la Cour dappel (question de principe, volution
du droit, garantie dune jurisprudence unitaire). ce critre unique, sajoute
titre transitoire mais qui demeure depuis 2001, un critre financier applicable
au recours contre le refus dautorisation de pourvoi : un tel recours ne peut
tre form que si le grief subi par le requrant dpasse 20 000 euros. Ce critre
financier transitoire semble devoir tre nouveau prolong au-del de 2014. La
dcision de la Cour fdrale de justice (BGH) est brivement motive, voire pas
du tout.
Il en va de mme en Grande-Bretagne o le refus de la Cour dappel de
donner la permission de faire appel peut tre contest devant la Cour suprme
elle-mme.
Dans une seconde option, dautres rformes se sont fondes sur des
procdures de rgulation des contentieux au niveau des Cours suprmes.
En Espagne, la rforme de 2007 a radicalement transform la recevabilit des
recours damparo devant le Tribunal constitutionnel. Dsormais il appartient au
requrant de dmontrer que son recours prsente une particulire importance
constitutionnelle. Lintrt du recours doit tre objectif et non li la situation
du requrant. La dclaration dirrecevabilit pour dfaut de particulire importance constitutionnelle est prise sous forme dune ordonnance non motive. Le
justiciable ne peut pas la contester.
Toujours, en Espagne, la rforme de 2011 a pos des conditions strictes de
recevabilit des recours en cassation devant la troisime Chambre administrative
du Tribunal suprme. Le recours nest recevable que selon deux critres : pour
certaines matires, notamment la matire lectorale, et pour un objet de litige
dpassant un montant de 600 000 euros.
En Allemagne, la slection des recours devant la Cour constitutionnelle fdrale est galement trs stricte. Ainsi en 2012, il y a eu plus de 5 300 recours
individuels dont seulement 154 ont fait lobjet dun examen au fond. Une moiti
des recours a t carte au stade de lenregistrement du recours. Une seconde
moiti a t carte par une des sections de trois juges notamment parce que le
recours ne posait pas une question de principe pour le droit constitutionnel. La
dcision de rejet de la section na pas tre motive.
En Italie, la Cour constitutionnelle a dgag de manire prtorienne des
critres trs stricts pour restreindre la recevabilit des questions incidentes de
constitutionalit. Elle retient que le juge a quo a lobligation dessayer de dgager
une interprtation de la loi conforme la Constitution et quil ne peut saisir la
Cour constitutionnelle que si une telle interprtation est impossible. Elle contrle
galement strictement lapplicabilit au litige et le caractre fond des dcisions,
nhsitant pas restituer des questions aux juges du fond.
165
Aux tats-Unis, les recours que va juger la Cour suprme sont prslectionns
par les juges. La loi du 27 juin 1988 a entirement transform la comptence
de la Cour en comptence discrtionnaire. Un recours nest retenu que sur la
base de critres, indicatifs, dune grande svrit. Parmi ceux-ci, on peut relever
les contrarits de dcisions entre Cours fdrales dappel ou avec une Cour
dtat de dernier ressort, ainsi que toute importante question de droit fdral
non encore tranche. Ce systme conduit ce que 73 des 7 509 ptitions pour
un writ of certiorari aient donn lieu un jugement de la Cour suprme. 99 %
des recours ont t carts.
103. On nignore videmment pas que les exemples trangers ne sont pas tous
parfaitement comparables, quune cour suprme qui est juge de la constitutionnalit a dautres traits et que notre tradition comme les particularismes de notre
systme juridique ne peuvent tre ngligs.
Jusqu prsent, la France a mis en uvre, comme en Belgique, des techniques
de filtrage interne au sein des Cours suprmes qui nont pas produit les effets
escompts. Dune part, la charge de travail consacre ladmission des pourvois en cassation napparat pas radicalement moindre que pour les autres
contentieux. Dautre part, le dispositif a t critiqu. Certains avancent quil
laisse place la subjectivit voire des approximations pour aboutir des taux
levs de non-admission. En tout tat de cause, ce systme a atteint aujourdhui
ses limites.
Il ne semble pas possible de transposer en France un systme de cherry
picking propre au droit amricain. Labsence de tout critre de recevabilit
des pourvois fix dans la loi revient donner toute libert au juge. Ce systme
fonctionne trs bien aux tats-Unis o, sur la base de critres juridiques et de
critres dopportunit, la slection des recours est dcide par les juges. Dans
notre pays, les traditions et les comportements, comme lattachement au principe
dgalit, paraissent sopposer cette technique contentieuse. Une telle orientation ne semble pas une voie possible de rforme susceptible daboutir dans des
conditions satisfaisantes.
Les rformes engager en France doivent tre conues laune de la situation
et des spcificits de chaque ordre de juridiction et de sa Cour suprme.
La situation de la justice judiciaire nest pas analogue. Les taux de cassation
avec ou sans renvoi ont en 2013 t de 33 % devant les trois chambres civiles,
27 % devant la Chambre commerciale, 46 % devant la Chambre sociale et 6 %
devant la Chambre criminelle pour laquelle la reprsentation par un avocat aux
conseils nest pas obligatoire. La Cour de cassation connait ainsi de nombreux
litiges caractre disciplinaire lgard des cours dappel. Il en va par exemple
ainsi de tous les pourvois portant sur une mconnaissance des termes du litige ou
sur un dfaut de rponse conclusions. Une partie essentielle des cassations se
justifie par le contentieux disciplinaire et on voit difficilement comment, en ltat
actuel, la Cour de cassation pourrait sen dcharger. Le nombre de cours dappel,
labsence dune culture de lautorit qui permettrait une bien meilleure diffusion
166
167
doit exercer la Cour soit mieux compris et imprgne davantage les dcisions des
juridictions du second degr, la cration dun stage pralable la Cour de cassation
des nouveaux prsidents de Chambre des cours dappel ainsi que, pourquoi pas, la
possibilit pour deux premiers prsidents de siger tour de rle dans les assembles
plnires de la Cour de cassation.
Avancer de telles propositions peut sembler utopique. Mais il est aussi utopique
de croire que lon amliorera le fonctionnement de la justice en saupoudrant des
rformes. Ne faut-il pas, comme vous lannoncez, Monsieur le Garde des Sceaux, dans
une circulaire sur le projet de loi quinquennale pour la justice avoir une politique
ambitieuse pour adapter les institutions judiciaires aux exigences de la socit du
vingt et unime sicle ? Le temps presse puisque cest la session de printemps du
Parlement que ce projet devrait tre soumis. Je demande instamment au nom du
Parquet gnral que la Cour de cassation soit inscrite dans cette rforme.
tre la Cour de cassation aide mettre lensemble dune institution en perspective.
Nous sommes loin en matire civile de la naissance dun procs de telle sorte que
lon peut dcouvrir tout le cheminement dune procdure et donc reprer pourquoi a
t saisie la juridiction la plus leve. Or le justiciable est en droit davoir le plus tt
possible une dcision irrprochable en droit. En 1993, 36,4 % des affaires examines
au fond par les chambres civiles ont t casses, ce qui signifie que, dans une affaire sur
trois, il faudra attendre de nouveaux dlais pour obtenir, enfin, une dcision dfinitive.
Le recours en cassation doit tre une voie exceptionnelle autorise seulement si lon
a des moyens srieux de droit faire valoir et toujours aprs un double examen au
fond, les litiges de peu dintrt financier ny ayant accs que trs exceptionnellement
au vu dune autorisation spciale.
Laffirmer, cest rendre service au justiciable quil ne faut pas entretenir dans des
illusions. Mais cest aussi se donner les moyens de lui garantir plus tt une justice de
qualit, ce qui implique un effort significatif en direction des cours dappel. Face la
crue des affaires, il faut aujourdhui consolider les digues en amont et lon verra que
notre Cour, dbarrasse daffaires quelle na pas examiner, tiendra le rle minent
qui est le sien.
tre possible, il ne saurait tre admis que le juge, sous prtexte dindpendance,
ignore sciemment la jurisprudence de la Cour de cassation, au mpris des rgles
lmentaires de la justice civile .
La Cour de cassation pourrait ainsi porter attention aux mcanismes par
lesquels le Conseil dtat impose son autorit sur lordre administratif, mme si
la diffrence culturelle, politique et organisationnelle reste assurment irrductible avec lordre judiciaire. Il faut ainsi sans doute favoriser la remonte
dinformation entre les juges du fond et la Cour de cassation. On signalera
alors lapport que peut reprsenter, spcialement dans la gestion des litiges sriels
qui apparaissent dans une mme priode devant plusieurs juridictions, linnovation que constitue dans lordre administratif Juradinfo1.
Mais la remonte dinformation doit aussi correspondre une volont
de la Cour de cassation de mieux diffuser ses solutions auprs des juges du
fond. Le Service de documentation, des tudes et du Rapport a ainsi un rle
pdagogique jouer. Diffrents moyens devraient ainsi contribuer au dveloppement dune pdagogie ladresse des juges du fond, qui permette la Cour de
cassation de ne pas rester confine en quelque sorte en bout de chane . Ainsi
la Cour de cassation gagnerait-elle expliciter sa jurisprudence, par dcoupage
thmatique, dans des lignes directrices lattention des juges du fond.
105. Dans la slection des pourvois, deux critres sont possibles, lun de
nature financire, lautre relatif limportance de la question de droit juger.
Le critre financier est actuellement mis en uvre en Allemagne et en
Espagne. En Allemagne, une disposition transitoire, valable initialement jusquen
2006 et encore proroge jusquau 31 dcembre 2014, prvoit que le recours contestant le refus de la Cour dappel dautoriser un pourvoi ne peut tre form que si le
grief subi par le requrant dpasse 20 000 euros. Ce critre est cumulatif avec celui
de limportance de la question de droit trancher. En Espagne, devant la troisime
1. V. B. Stirn, Croissance du contentieux : les rponses jurisprudentielles, RFDA 2011,
67 : Cr linitiative du prsident Labetoulle, Juradinfo est un rseau dchanges qui
repose sur un secrtariat central, des correspondants dans les juridictions et un comit
de pilotage. Prsid par le prsident de la section du contentieux, le comit de pilotage
runit chaque trimestre des chefs de juridiction et des greffiers en chef. Juradinfo permet
de mettre en place des alertes, de dsigner un pilote et de diffuser des informations.
[] Lorsquune srie est identifie dans le cadre de Juradinfo, souvent la suite dune
alerte diffuse par une ou plusieurs juridictions, une juridiction pilote est dsigne et
les autres sont invites attendre quelle ait statu par une dcision dfinitive. Si des
voies de recours sont exerces, une cour administrative dappel ou le Conseil dtat peut
succder un tribunal administratif comme juridiction pilote. Mme si il y a parfois eu
des affaires qui nont pas t compltement apprhendes par ce dispositif, telles que les
taxes sur les achats de viande, Juradinfo a t trs utile pour coordonner le travail des
diffrentes juridictions administratives sur des dossiers similaires et rptitifs. Il permet
aussi des changes rapides de jurisprudence sur des questions nouvelles qui peuvent se
poser simultanment dans nombre de juridictions .
169
Chambre du Tribunal suprme, le critre financier est le plus important car le seul
autre critre alternatif dadmission est celui, restreint, li certaines matires des
arrts de Cour dappel1. Ce seuil financier tait de 150 000 euros jusquen 2011. Il
est de 600 000 euros depuis lors. Un tel montant est trs lev. Il a puissamment
contribu limiter les contentieux devant le Tribunal suprme espagnol.
Mme si il a pu tre dfendu par de hauts magistrats2, il ne parat pas souhaitable de retenir en France un tel critre financier. Ce critre limite la saisine de la
Cour suprme sans lien avec son office de Cour rgulatrice. Il encadre les droits
des requrants alors que pour chacun dentre eux lapprciation de la valeur dun
contentieux peut varier. Un tel critre est trs critiqu en Espagne. La rgulation
du contentieux dpend de limportance de la question de droit et non de limportance financire du litige mme si le critre financier nest pas ignor dans la
rpartition des contentieux comme dans le taux dappel. La mission unificatrice
de la Cour de cassation, qui est son origine et justifie jusqu son existence
mme, est dcorrle du montant des litiges quelle juge. Certains des arrts
les plus emblmatiques de la Cour de cassation ont dailleurs t rendus dans des
affaires aux faibles enjeux financiers.
Le critre de limportance de la question de droit trancher apparat bien prfrable au critre financier. Il est partag dans tous les systmes
occidentaux. Il figure dans la recommandation du Conseil de lEurope. Dans ce
cadre, limportance des questions de droit trancher conditionne la possibilit
de se pourvoir en cassation. Cette importance regroupe les questions de principe,
dvolution du droit ou dunification de la jurisprudence.
Une telle orientation nest pas inconnue dans notre systme juridictionnel.
Larticle L. 441-1 du Code de lorganisation judiciaire et larticle L. 113-1
du Code de justice administrative dterminent les cas de demande davis
respectivement devant la Cour de cassation et le Conseil dtat. Ces procdures sont parfois insuffisamment utilises on y reviendra mais posent
deux critres, qui lexception de celui de sries, peuvent tre repris ici ds
lors quils sont alternatifs et non plus cumulatifs : question de droit nouvelle
ou question prsentant une difficult srieuse.
Ces critres rejoignent ceux de la Cour fdrale de justice allemande qui prend
en compte le fait que laffaire soulve une question de principe ou que lvolution
du droit ou lunification de la jurisprudence impose lintervention de la Cour.
En effet, la notion de question prsentant une difficult srieuse
permet de traiter les questions de principe non rsolues, les questions qui
sont lobjet de contestations par les juges du fond, comme par la doctrine
et de divergences de jurisprudence entre chambres.
1. Les arrts de cours dappel relatifs des questions de validit dune disposition rglementaire peuvent ainsi toujours faire lobjet dun recours devant le Tribunal suprme.
2. V. supra, le discours de P. Truche.
170
On sait que le filtrage ne permet gure une conomie de temps par rapport
au travail que requiert une affaire admise . Il est difficile dallger ce travail
car le filtrage est une opration aussi essentielle que sensible. En revanche, il est
important de faire comprendre que la Cour de cassation ne rend pas des dcisions
sur les cas qui ne relvent pas de son office.
Au reste, la procdure de non-admission a prcisment t conue pour allger
le travail de la Cour. Dans sa version dorigine, en quelque sorte, la proposition
de non-admission devait tre justifie par une brve note, selon une proposition
normalise. Cest sont des proccupations dune autre nature qui ont conduit
lalourdissement de la procdure et ltablissement de rapports, au risque de
lui retirer son intrt premier.
Aussi, ds lors quil ny a pas matire intervention de la Cour de cassation
parce que lon est hors du contrle de la loi au regard des droits et liberts
fondamentaux, hors du disciplinaire et surtout hors du contrle normatif, tel
que dfini ici , la Cour ne doit pas communiquer de rapport ni rendre de
dcision. Concrtement, les affaires qui ne rpondent pas aux trois cas rappels
prcdemment doivent uniquement donner lieu une ordonnance dirrecevabilit du Prsident de la chambre concerne.
La Commission estime que devraient tre mises en place des formations
spciales lesquelles existent en ralit dj (formations de non-admission,
lexception de la chambre sociale) au sein de chaque Chambre de la Cour de
cassation destines procder au filtrage des pourvois, aprs que le Rapporteur
dsign aura examin le pourvoi.
Les parties auraient pour ce faire lobligation de justifier en quoi le litige pose
une telle question de principe justifiant que la Cour de cassation sen saisisse dans
un mmoire sur la recevabilit de leur pourvoi.
Proposition n 29 : Outre le contrle opr dans le cadre des droits et liberts
fondamentaux et le contrle disciplinaire, limiter la recevabilit des pourvois aux
questions de droit nouvelles ou prsentant une difficult srieuse.
Proposition n 29 bis : Affecter des lettres aux arrts en fonction de la nature du
contrle opr par la Cour : D pour le contrle disciplinaire, DLF pour le contrle
de la loi aux droits et liberts fondamentaux, N pour le contrle normatif.
Proposition n 29 ter : Mettre fin la pratique du rapport en cas de non-admission.
Les pourvois irrecevables doivent faire lobjet dune ordonnance dirrecevabilit
du Prsident de la chambre concerne, dpourvue de motivation.
la fois plus tardive et plus dtaille caractristiques qui peuvent tre source
de confusion1.
Proposition n 30 : Systmatiser le recours au communiqu de presse pour les
arrts porte normative.
par la Cour de cassation, celle-ci ntait ici pas douteuse. Un couple avait conclu avec
une socit un contrat de location de cassettes vido, en vue dexploiter un vido-club
dans un village de 1314 habitants. Lobligation quil avait souscrite de payer la location
des cassettes avait bien pour contrepartie lobligation de la socit de mettre les cassettes
disposition. Mais le Point-Club vido, dans un si petit village, ne pouvait tre rentable.
La Cour de cassation va accepter den tirer les consquences, pour reconnatre le dfaut
de toute contrepartie relle lobligation de payer le prix de location des cassettes .
Elle juge ainsi que lexcution du contrat selon lconomie voulue par les parties tait
impossible de sorte que le contrat tait dpourvu de cause .
Il nest pas besoin de montrer limportance dune solution qui conduit prendre
en compte la rentabilit de lopration conomique et donc lutilit du contrat,
pour apprcier lexistence dune cause objective. La cause objective, instrument de
contrle de lexistence dune contrepartie, sapprcierait ainsi en fonction du but de
lopration conomique que soutient le contrat. Nouvelle, la solution pouvait soulever
des interrogations quant sa dlimitation. Quelles sont les conditions dune telle
subjectivisation de la cause objective , pour reprendre une formule doctrinale qui
marque bien la complexit de la solution ? La Cour de cassation utilise dailleurs ici une
notion indite en se rfrant lconomie voulue par les parties et en voquant le
dfaut de toute contrepartie relle lengagement des poux, alors mme que la mise
disposition des cassettes leur profit ntait pas discute. Larrt fait ds lors peser les
risques dune opration conomique non sur celui qui lentreprend mais sur celui qui
fournit les moyens ncessaires cette entreprise.
Mais cest surtout la porte de cette jurisprudence qui est incertaine : larrt du
3 juillet 1996 constitue-t-il un arrt de principe, inaugurant une nouvelle approche
de la cause ; ne faut-il y voir quun arrt despce, limit certaines hypothses
mais alors auxquelles ? La Cour de cassation a nourri lincertitude. Non seulement la
Premire Chambre civile na ultrieurement pas pris de position permettant de lever
les interrogations, mais la Chambre commerciale est venue brouiller les pistes.
Dans un arrt du 27 mars 2007, cette dernire se retranche derrire lapprciation
faite par les juges dappel pour rejeter la nullit du contrat de location de cassettes
vido pour absence de cause. Pour autant, son arrt ne constitue pas un dsaveu de
lapproche largie consacre en 1996. La Chambre commerciale rappelle ainsi que
larrt dappel avait retenu que labsence de cause ne se conoit que si lexcution
du contrat selon lconomie voulue par les parties est impossible en labsence de
contrepartie relle . Pour rejeter le pourvoi, elle ne condamne pas la formule employe
mais sen tient une approche purement factuelle, soulignant le fait que la preuve,
par le commerant, de limpossibilit de raliser lopration voulue, sur des objectifs
quil a lui-mme fixs dans un contexte que sa situation de commerant install lui
permettait de dfinir , ntait pas suffisamment rapporte. La Chambre commerciale
pourrait ainsi avoir retenu une conception en quelque sorte intermdiaire, entre la
cause objective classique et lapproche finaliste consacre en 1996. Elle naccepterait
la prise en compte de lconomie du contrat dans lapprciation de la cause que si le
commerant montre bien quil na pas t ngligent ou incomptent dans lapprciation
des risques lis son activit conomique.
Mais un second arrt rendu le 9 juin 2009 montre que la Chambre commerciale
entend sen tenir une approche parfaitement classique de la cause, qui condamne
180
sans discussion possible la solution de 1996. Toujours dans une affaire de location de
cassettes vido (et DVD), elle va rappeler, au visa de larticle 1131 du Code civil, dune
formule nette que la cause de lobligation dune partie un contrat synallagmatique
rside dans lobligation contracte par lautre , ce qui justifie la cassation de larrt
dappel qui avait admis la nullit du contrat au motif qu en labsence de contrepartie
relle , il ne pouvait tre excut selon lconomie voulue par les parties .
Malgr limportance dune telle solution, la Chambre commerciale dcide de ne
pas publier sa dcision, pas plus quelle navait publi le prcdent de 2007. Elle va
ritrer dans un arrt du 18 mars 2014 dans lequel elle juge que la cause de lobligation
constituant une condition de la formation du contrat, la cour dappel, apprciant
souverainement la volont des parties, a considr que celle-ci rsidait dans la mise
disposition de la marque et non dans la rentabilit du contrat ; que par ce seul motif,
la cour dappel a justifi sa dcision . Larrt nest pour autant pas davantage publi.
O en est-on de la jurisprudence Point-Club vido de 1996 ? Est-elle abandonne
par lensemble de la Cour de cassation ; reflte-t-elle encore la position de la
Premire Chambre civile ? Pourquoi la Chambre commerciale ne publie pas les
dcisions par lesquelles elle condamne sans ambages lapproche largie de la cause ;
comment expliquer quaucune chambre mixte ne soit venue mettre fin au flou qui
entoure lapprciation de la cause et ses relations avec la rentabilit de lopration
conomique poursuivie par le contrat ?
son domicile, contre avis mdical, que, son tat stant aggrav, il a t
admis, au mois de mai suivant, dans un autre tablissement, o une septicmie par streptocoque a t diagnostique, avec des atteintes secondaires
lpaule, au foie et au cur qui ont ncessit plusieurs traitements, que
M. X a assign en responsabilit la socit Clinique chirurgicale []
(la clinique) et M. Y ;
Sur le second moyen, ci-aprs annex :
Attendu que ce moyen nest manifestement pas de nature entraner la
cassation ;
Mais sur le premier moyen pris en sa troisime branche :
Vu larticle 16-3 du code civil, ensemble les articles L. 1142-1 et L. 1111-4
du code de la sant publique ;
Attendu que le refus dune personne, victime dune infection nosocomiale
dont un tablissement de sant a t reconnu responsable en vertu du
deuxime de ces textes, de se soumettre des traitements mdicaux, qui,
selon le troisime, ne peuvent tre pratiqus sans son consentement, ne
peut entraner la perte ou la diminution de son droit indemnisation de
lintgralit des prjudices rsultant de linfection ;
Attendu que pour limiter la responsabilit de la clinique aux consquences
de linfection nosocomiale contracte par M. X si elle avait t normalement traite , larrt relve dabord que si, selon lexpert, le patient,
dpourvu de mdecin traitant, navait pas refus un transfert vers un autre
tablissement, quitt la clinique contre avis mdical et, de retour chez lui,
omis de consulter un autre mdecin, une antibiothrapie adapte au germe
qui aurait pu tre identifi par la poursuite des examens et analyses engags
lors de son sjour la clinique et interrompus avant davoir abouti, aurait
permis, dans un dlai de quinze trente jours, de rsorber linfection et
dviter laggravation de son tat ; que larrt retient ensuite, distinguant
entre rduction du dommage et vitement dune situation daggravation,
que les complications de linfection initiale sont la consquence du refus par
ce patient, pendant plus dun mois et en raison de ses convictions personnelles, de traitements qui ne revtaient pas un caractre lourd et pnible ;
Quen statuant ainsi, en imputant laggravation de ltat de M. X son
refus des traitements proposs, alors que ceux-ci navaient t rendus ncessaires que parce quil avait contract une infection nosocomiale engageant
la responsabilit de la clinique, la cour dappel a viol les textes susviss ;
PAR CES MOTIFS et sans quil y ait lieu de statuer sur les autres branches
du premier moyen :
Met M. Y hors de cause, sur sa demande ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce quil limite la condamnation
de la Clinique aux souffrances endures, au dficit fonctionnel temporaire
182
Sur ce fondement, les Bulletins des arrts des Chambres civiles et de la Chambre
criminelle rassemblent les arrts dAssemble plnire, ceux de chambres mixtes,
les avis de la Cour et les dcisions du Tribunal des conflits, ainsi que les arrts
dont la publication est dcide par les prsidents des chambres lissue des
dlibrs. Ainsi, 1 450 arrts ont t publis en 2013. Selon les statistiques de la
Cour de cassation, les taux de publication stablissent 10,4 % pour lensemble
des chambres civiles et 4 % pour la Chambre criminelle. Les dcisions publies
font lobjet dun enrichissement par le service, qui en assure le titrage et procde
des rapprochements.
De mme, la Cour a recours au Bulletin dinformation de la Cour de cassation
(BICC) qui est une publication bimensuelle au contenu plus ditorial et qui a
184
13-17.392
FS-P+B+I
Conflit de
juridictions
Cassation
partielle
Arrt n 169
du 18 fvrier 2015
(13-28.278)
Bail rural
Arrt n 97
du 28 janvier 2015
(13-20.701)
Annulation
partielle
Conflit de Loi
Rejet
Arrt n 96
du 28 janvier 2015
(13-50.059)
Partage
Rejet
Arrt n 95
du 28 janvier 2015
(13-50.049)
Union
europenne
Conflit de
juridictions
Cassation
Arrt n 203
du 28 janvier 2015
(13-24.742)
Sant publique
Cassation
partielle
Arrt n 26
du 15 janvier 2015
(13-21.180)
18 dcembre
2014
13-21.019
FS-P+B+I
Sant publique
Rejet
Arrt n 1491
du 18 dcembre 2014
(13-21.019)
18 dcembre
2014
13-24.377
FS-P+B+I
Sant publique
Rejet
Arrt n 1492
du 18 dcembre 2014
(13-24.377)
FS-P+B+R+I
26 mars 2015
14-15.013
FS-P+B+R+I
13 juin 2013
12-22.170
FS-P+B+R+I
Sant publique
Cassation
28 mars 2013
11-18.025
FS-P+B+R+I
Indemnisation
des victimes
dinfraction
Rejet
28 fvrier 2013
11-21.015
FP-P+B+R+I
Scurit sociale,
Cassation
accident du travail partielle
Arrt n 338 du 28
fvrier 2013 (11-21.015)
28 juin 2012
11-15.055
FS-P+B+I
Procdure civile
dexcution
Cassation
7 juin 2012
11-15.439 ;
11-18.085
FS-P+B+I+R
Officier public
et ministriel
Rejet
7 juin 2012
11-15.112
FS-P+B+I+R
Officier public
et ministriel
Rejet
186
7 juin 2012
11-16.107
FS-P+B+I+R
Officier public
et ministriel
Rejet
7 juin 2012
11-15.440
FS-P+B+I+R
Officier public
et ministriel
Rejet
13-25.974
FS-P+B+I
28 janvier 2015
13-27.397
FS-P+B+R+I
28 janvier 2015
14-10.013
FS-P+B+R+I
14 janvier 2015
13-28.030
FS-P+B+I
14 janvier 2015
13-23.490
FS-P+B+I
8 octobre 2014
13-21.014 ;
13-21.329 ;
13-22.192 ;
13-22.383 ;
13-23.624 ;
13-25.099
FS-P+B+R+I
13-20.294
FS-P+B+I
13-16.806
FS-P+B+I
Coproprit
Rejet
Arrt n 215
du 18 fvrier 2015
(13-25.974)
Vente immobilire Rejet
Arrt n 101
du 28 janvier 2015
(13-27.397)
Proprit
Cassation
Arrt n 94
immobilire
du 28 janvier 2015
(14-10.013)
Coproprit
Cassation
Arrt n 23
partielle
du 14 janvier 2015
(13-28.030)
Bail commercial
Rejet
Arrt n 24
du 14 janvier 2015
(13-23.490)
Contrat
Rejet
Arrt n 1478
dentreprise
du 10 dcembre 2014
(13-24.892)
Construction
Rejet
Arrt n 1404
immobilire
du 26 novembre 2014
(13-25.534)
Association
Irrecevabilit Arrt n 1314
syndicale
et Cassation du 5 novembre 2014
partielle
(13-21.014)
Construction
immobilire
Cassation
Bail commercial
Rejet
Arrt n 1166
du 8 octobre 2014
(13-20.294)
Arrt n 1131
du 1er octobre 2014
(13-16.806)
187
Chambre commerciale
8 avril 2015
8 avril 2015
8 avril 2015
14-10.058
F-P+B+I
13-28.061
F-P+B+I
14-10.172
F-P+B+I
8 avril 2015
13-14.447
FS-P+B+I
16 dcembre 2014 13-19.402
FP-P+B+R+I
4 novembre 2014
13-23.070
FS-P+B+R+I
13-13.284
FS-P+B+R+I
11-26.915
FS-P+B+R+I
13-11.509
FS-P+B+R+I
Bourse
Rejet
Entreprise en
Rejet
difficult (loi
du 25 janvier 1985)
Entreprise
Cassation Arrt n 366 du 8 avril
en difficult (loi
2015 (14-10.172)
du 26 juillet 2005)
Cautionnement
Rejet
Arrt n 377 du 8 avril
2015 (13-14.447)
Entreprise
Cassation Arrt n 1141 du
en difficult
16 dcembre 2014
(13-19.402)
Entreprise
Cassation Arrt n 960 du
en difficult
4 novembre 2014
(13-23.070)
Transports maritimes Rejet
Arrt n 728 du
16 septembre 2014
(13-13.880)
Entreprise
Rejet
Arrt n 491 du 13 mai
en difficult
2014 (13-13.284)
Socit (Rgles
Cassation Arrt n 263 du 11
gnrales)
partielle
mars 2014 (11-26.915)
Entreprise
Rejet
Arrt n 137 du
en difficult (loi
28 janvier 2014
du 26 juillet 2005)
(13-11.509)
Chambre sociale
9 avril 2015
13-19.855
FS-P+B+I
27 janvier 2015
13-22.179
FS-P+B+R+I
24 avril 2013
19 mars 2013
12-11.690
FS-P+B+R+I
19 mars 2013
11-28.845
FS-P+B+R+I
188
Arrt n 630
du 9 avril 2015
(13-19.855)
Arrt n 120
du 27 janvier 2015
(13-22.179)
Arrt n 847
du 24 avril 2013
(12-10.196/1210.219)
Arrt n 537
du 19 mars 2013
(12-11.690)
Arrt n 536
du 19 mars 2013
(11-28.845))
13 fvrier 2013
Syndicat
professionnel
Cassation
Syndicat
professionnel
Rejet
Elections
professionnelles
Cassation
3 mai 2012
28 mars 2012
FS-P+B+R+I
12-18.098
11-20.741
FS-P+B+R+I
11-61.180
FS-P+B+I
Arrt n 194
du 13 fvrier 2013
(12-18.098)
Arrt n 2675
du 15 novembre 2012
(12-27.315)
Arrt n 1855
du 26 septembre
2012 (11-60.231)
Arrt n 1299 du 3
mai 2012 (11-20.741)
Arrt n 1074
du 28 mars 2012
(11-61.180)
Chambre criminelle
1er avril 2015
14-87.647
F-P+B+I
Coopration
Rejet
pnale europenne
et internationale
Peines ;
Cassation
Urbanisme
24 mars 2015
14-84.300
F-P+B+I
24 mars 2015
14-84.836
F-P+B+I
Peines
Cassation
24 mars 2015
13-86.327
F-P+B+I
Urbanisme
Cassation
17 mars 2015
13-87.873
F-P+B+I
Restitution ;
Instruction
Rejet
17 mars 2015
13-87.358
FS-P+B+I
Presse ; Action
civile
10 mars 2015
14-88.326
FS-P+B+I
Contrle
judiciaire
Cassation
partielle sans
renvoi
Rejet
4 mars 2015
13-87.185
FS-P+B+I
Cassation
partielle
Etranger ;
Juridictions
correctionnelles
Enqute
prliminaire
Presse ;
Prescription
Cassation
Rejet
Arrt n 1381
du 1er avril 2015
(14-87.647)
Arrt n 895
du 24 mars 2015
(14-84.300)
Arrt n 898
du 24 mars 2015
(14-84.836)
Arrt n 907
du 24 mars 2015
(13-86.327)
Arrt n 737
du 17 mars 2015
(13-87.873)
Arrt n 787
du 17 mars 2015
(13-87.358)
Arrt n 1269
du 10 mars 2015
(14-88.326)
Arrt n 597 du 4 mars
2015 (13-87.185)
Arrt n 362
du 25 fvrier 2015
(14-88.447)
Arrt n 74
du 17 fvrier 2015
(13-88.129)
189
113. Surtout, on peut se demander si cette stratgie de publication est parfaitement cohrente.
En premier lieu, de nombreux arrts indits sont loin dtre sans importance. Chacun a lesprit, selon sa matire, des arrts non publis qui semblent
venir droger la jurisprudence constante. Il est loin dtre inhabituel que
des arrts indits incarnent des solutions en rupture avec la jurisprudence
dominante, que ce soit celle de la chambre dont ils manent ou celle dune autre
chambre. Ce droit positif en quelque sorte officieux, puisque la Cour de
cassation choisit de ne pas lui donner son plein retentissement et le prive de
lofficialisation que reprsente la publication au bulletin, finit trs souvent
par tre diffus, souvent dautant plus largement quil est drogatoire.
Larrt Soffimat connu par son nom, ce qui est videmment le comble pour
un arrt non publi par la Cour de cassation est sans nul doute celui qui a pu
illustrer le plus nettement le trouble sinon le dsordre que peuvent causer des
arrts indits, lorsquils ne sont pas mineurs. La doctrine la ainsi abondamment
comment, au point parfois dy voir les prmisses de labandon de la solution
plus que centenaire du refus de la rvision pour imprvision1.
Mais lexemple est loin dtre isol. sen tenir au seul droit des contrats, la
priode rcente comporte de nombreux exemples de jurisprudences constantes
auxquelles des arrts indits semblent venir droger : ainsi, un arrt du 6 septembre
2011 de la Troisme Chambre civile a-t-il jug quune vente pouvait tre forme
en dpit de la rtractation qui avait prcd la leve de loption, alors mme que la
thse du pourvoi se prvalait de la solution constante depuis 1993, en invoquant
le fait que la leve de loption postrieure la rtractation du promettant exclut
toute rencontre des volonts rciproques de vendre et dacqurir 2. Aussi, peuton sinterroger sur le point de savoir si la dcision constituait un revirement
petits pas feutrs 3. La solution devait dailleurs susciter la perplexit dun
auteur, sinterrogeant sur le mystre de la publication des arrts de la Cour
de cassation 4, concluant que ce nest pas la scurit juridique qui y gagne .
Il faut dire quil pouvait invoquer galement un arrt du 15 dcembre 2011,
non publi, de la Premire Chambre civile, qui cassait la dcision des juges du
fond ayant condamn un contractant pour le dommage caus un tiers selon
1. Com., 29 juin 2010, n 09-37369. V. ainsi : Vers la conscration de la thorie de
limprvision ? La Cour de cassation engage dans une politique des petits pas, LPA
24 dcembre 2010, 7, note A.S. Chon. V. gal. la note de D. Mazeaud, D. 2010, 2481,
qui voque une fissure dans le Canal de Craponne et une solution pour le moins
audacieuse et innovante . V. encore, parmi dautres, S. Le Gac-Pech, JCP E 2010, 2108 ;
JCP G 2010, 1056, note Th. Favario. V. P. Deumier, Un arrt non publi peut-il faire
jurisprudence ?, RTD civ. 2011, 87.
2. Civ. 3e, 6 septembre 2001, n 10-20362.
3. L. Perdrix, JCP G 2011, 1316
4. M. Latina, Blog Dalloz, 30 janvier 2012.
190
192
III
Favoriser les avis
de la Cour de cassation
114. Scuriser linterprtation de la loi, a pu crire le Premier Prsident de
la Cour, M. G. Canivet, cest encore veiller ce que, ds leur promulgation ou
leur publication, les textes soient immdiatement appliqus de manire uniforme
par lensemble des juridictions 1.
Dans nombre de domaines, le temps de la jurisprudence nest plus adapt
aux exigences de la scurit juridique. Lune des priorits est ainsi dacclrer le processus de dcision. Les oprateurs conomiques rclament non
pas un droit mri mais des solutions auxquelles croire pour adapter leurs
comportements. Le rythme de la vie conomique nest pas celui de la jurisprudence. Le Premier Prsident de la Cour, M. P. Bellet laffirmait dj il y
a plus de quarante ans : les hommes daujourdhui, submergs de textes et
menacs de responsabilits de toutes sortes, ont besoin de savoir lavance
la signification des lois et ils sont gravement victimes de nos traditions
procdurales qui les contraignent attendre une contestation prcise pour
tre enfin fixs sur leurs droits et leurs devoirs 2.
lorigine de ce besoin, il y a une double cause. La premire est lie linstabilit lgislative. Les oprateurs doivent pouvoir matriser un droit sans cesse
changeant. La loi, par ses changements incessants, contribue inciter la
Cour de cassation se rapprocher delle et statuer ainsi au plus vite. Il
sagit dattnuer les mfaits de linstabilit lgislative, en levant nombre des
incertitudes que toute loi nouvelle porte en elle.
La seconde est lie la dissmination du pouvoir dinterprter la loi. On
se trouve lvidence dans une priode de surenchre interprtative : des
ministres chargs, eux aussi, de fournir des rponses , aux administrations
promptes dlivrer des circulaires, en passant par le Conseil constitutionnel, dont les rserves dinterprtation constituent les premires directives du
sens quil faut prter la loi, les interprtes de la loi sont dsormais lgion.
1. G. Canivet, Vision prospective de la Cour de cassation, prc.
2. P. Bellet, Justice civile et dsaffection des justiciables, in Projet, n 65, mai 1972,
p. 590 et s., spc. p. 596, cit par B. Oppetit, Les rponses ministrielles aux questions
crites des parlementaires et linterprtation des lois, D. 1974, 107, reproduit in Droit
et modernit, PUF, 1998, p. 137 et s., spc. p. 149.
193
toutefois jusqualors pas fait ses preuves1. Entre 1992 et 2005, la Cour de cassation a ainsi t saisie 174 reprises, pour 95 avis seulement. Certains millsimes traduisent mme une dsaffection loquente (deux demandes davis en
2003, 4 en 2004). En 2014, seuls 12 avis ont t rendus, ce qui tmoigne sans
doute quand mme dun essor. quoi il faut ajouter la spcificit des domaines
concerns, telles les procdures civiles dexcution, la procdure civile, ou encore
la protection des consommateurs et le surendettement2.
Il en ressort ainsi que les juges du fond ne ressentent gure le besoin dutiliser
cette procdure, et ce malgr quelques appels explicites de hauts magistrats3.
118. Face cette dsaffection, la Cour de cassation a pu mettre en place
une procdure davis dits spontans , car dclenchs de sa propre initiative.
Cette procdure sest mise en place de faon informelle sous lgide du service
de documentation et dtudes de la Cour.
Ainsi, loccasion de lentre en vigueur de la loi du 26 juillet 2005 de
sauvegarde des entreprises et de son dcret dapplication n 2005-1677 du 28
dcembre 2005, le service de documentation et dtudes sest charg de rpondre
diverses questions souleves par les nouvelles dispositions. Prs de 30 rponses
ont t fournies4, sur de nombreux problmes : entre en vigueur du texte,
pouvoirs du juge dans le cadre de la nouvelle procdure, mise en place de laction
nouvelle et de lobligation aux dettes sociales, intervention de lAGS, porte du
privilge attribu aux nouveaux capitaux, effet de louverture dune procdure
de sauvegarde sur une saisie conservatoire du stock, pouvoirs du Prsident du
Tribunal de grande instance, prescription de laction visant la mise en uvre
des sanctions prvues par la loi, agencement des procdures de vente aux enchres
et de vente de gr gr, etc.
Linitiative nest pas reste isole : ce jeu des questions-rponses a nouveau t
mis en place pour faciliter lapplication du dcret n 2005-1678 du 28 dcembre
2005 relatif la procdure civile, certaines procdures dexcution et la procdure de changement de nom5.
1. Alors que lon avait pu, lpoque, redouter que la Cour soit assaillie de demandes
dinterprtation et que le systme ne vienne tre paralys comme au plus beau temps
du funeste rfr lgislatif : F. Znati, La saisine pour avis de la Cour de cassation,
prc., spc. 248. Aj, C. Pelletier, Quinze ans aprs : lefficacit des avis de la Cour de
cassation, prc.
2. C. Pelletier, Quinze ans aprs : lefficacit des avis de la Cour de cassation, prc.
3. V. J. Buffet, prc. : Jespre avoir dmontr que la Cour de cassation est attache
cette procdure davis []. Il ne faut donc pas hsiter y recourir [], et je pense que
les Chefs de cour, les premiers prsidents peuvent avoir cet gard un rle trs utile, car
ils sont mme de faire passer le message .
4. http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_publications_documentation_2/actualite_
jurisprudence_21/chambre_commerciale_financiere_economique_574/loi_sauvegarde_
entreprises_8802.html
5. http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_publications_documentation_2/actualite_jurisprudence_21/2005_1678_8701.html. V. g. JCP G 2006, act. 347, 443.
195
Dans cette revendication dune nouvelle forme dexpression, la Cour de cassation exprime en effet le besoin de sortir du cadre habituel qui enserre son pouvoir.
Ces lments de rponse nont videmment aucune valeur contraignante : ils
nengagent pas plus les juges auxquels ils sont destins que la Cour de cassation
elle-mme.
La Cour na pas us du terme davis pour prfrer voquer des rponses aux
magistrats professionnels et juges consulaires en charge du contentieux de la
sauvegarde des entreprises . Ce nest dailleurs pas la Cour de cassation qui
sengageait, mais son seul service de documentation et dtudes. La procdure
nouvelle se prsentait comme un simple dispositif de veille juridique de nature
administrative et de porte limite. Le service de documentation et dtudes a
ainsi lui-mme soulign quil rpondait aux premires difficults dapplication
des nouveaux textes .
En sarrogeant le pouvoir dmettre une opinion sans devoir attendre dtre
saisie par une demande formule dans le cadre dun litige, la Cour de cassation
manifestait nettement son souhait de sexprimer hors de tout cadre contentieux,
de faon plus souple et plus rapide que dans le cadre de son office naturel.
L encore, il sagit de rgler les difficults sans attendre que le contentieux
suive les tapes longues de la procdure judiciaire et des voies de recours. Le
Premier Prsident de la Cour, M. G. Canivet, la dailleurs exprim en prsentant
les rponses rendues par le service de documentation et dtudes : contribuer,
dans cet esprit, la pleine effectivit de la loi, cest faire merger les premires
difficults dinterprtation, et si possible les rsoudre, pour que les oprateurs
puissent sinscrire dans une dynamique dappropriation du rgime juridique en
cause. Cette appropriation suppose quils le comprennent, quils en mesurent les
avantages et les inconvnients, la porte, les consquences .
119. Cette forme davis ne saurait toutefois se substituer aux avis de larticle
L. 441-1 du Code de lorganisation judiciaire. Llaboration du droit prtorien
en bureaux et non en salles daudience nest pas lgitime. Linterprtation de la
loi ne doit pas tre dtache du contentieux. Les rponses sont orphelines de
tout change darguments, sans plaideurs ni contradicteurs1.
1. Rapport. F. Znati, propos des supposes vertus de linterprtation abstraite sur
laquelle reposent les avis. Lauteur (prc., 248) sexplique ainsi : le droit du juge se
nourrit de procs et de dbats, sans lesquels il ne peut y avoir de prudence. Le juge
nest pas prudent de manire inne : cest la mcanique processuelle et les garanties de
forme qui le contraignent une dlibration prudente et lui permettent de rendre une
dcision juste, et, par suite, gnralisable. La jurisprudence suprme ne sort pas toute
arme du cerveau des magistrats de la Cour de cassation et du Conseil dtat . V. les
riches analyses de G. Rouhette, Une fonction consultative pour la Cour de cassation ?, in
Mlanges Breton-Derrida, prc., p. 343, spc. n 5, p. 347, o lauteur voque, propos du
dveloppement des avis consultatifs, labaissement de la Cour en tant que juridiction
et la dqualification dune attribution juridictionnelle essentielle .
196
198
TROISIME PARTIE
LE DROIT FISCAL
121. Parmi les domaines frapps par linscurit juridique, chacun sait que le
droit fiscal arrive au premier rang. Le taux dimposition, et plus gnralement la
pression fiscale, ne sont pas les seuls facteurs dattractivit dun systme juridique.
Il sy ajoute de faon essentielle le climat de scurit qui le caractrise.
En matire fiscale, la scurit juridique renvoie diffrentes exigences. Elle
consiste videmment garantir aux contribuables le montant des impositions
mises leur charge, de telle manire quils puissent prvoir et compter sur cette
donne essentielle1. Mais elle renvoie aussi la ncessit pour les contribuables
dtre informs de faon certaine et sans quivoque des consquences fiscales de
leurs actions2. La scurit fiscale est un droit au non-bouleversement 3.
122. Diverses manifestations de linscurit fiscale renvoient une approche
qualitative de la norme. Complexit, caractre abscons4, dfauts et lacunes sont
les traits dune norme fiscale dfaillante. Le Conseil des impts, lui-mme, a
soulign la difficile lisibilit des articles du Code gnral des impts. ce titre,
lusage nvrotique des renvois entre dispositions en constitue lune des causes
principales5. La rcriture du Code gnral des impts est, dit-on, une ncessit6.
Mais cest surtout linstabilit des dispositifs qui constitue la source la plus
importante dangoisse face au droit fiscal. La rotation permanente des textes,
les changements imprvus de la rglementation fiscale, la prcarit des effets
dannonces sont autant de raisons de perdre confiance dans la lgislation fiscale.
cette instabilit sajoute souvent une rtroactivit qui finit de ruiner les prvisions des contribuables et les plonge dfinitivement dans un tat dincertitude
face au droit. Le Rapport Fouquet dnonait dj ces travers de notre droit
fiscal7. Linstabilit se nourrit de la mauvaise qualit des textes qui appelle
alors des corrections selon un mcanisme deffets pervers autant que des
changements incessants d orientation de la politique fiscale, quand il ne
conviendrait pas davantage de parler de pilotage vue de cette politique.
Elle obre la visibilit, le calcul et les anticipations qui sont indispensables au
1. F. Douet, Les Paradoxes de la scurit juridique en matire fiscale, Dr. fam. 2003,
chron. 19, n 2.
2. OCDE, Droits et obligations des contribuables. Description de la situation lgale dans les
pays de lOCDE, 1990, p. 14.
3. G. Nol, JurisClasseur Procdures fiscales, Fasc. 216-30 : Relations entre ladministration fiscale et les contribuables, 2012 (dernire mise jour : 1er fvrier 2014), n 1.
4. M.-C. Bergeres, Un principe valeur constitutionnelle paradoxalement ignor du droit
fiscal : lintelligibilit de la loi, Dr. fisc. 2003, 24.
5. Conseil des impts, prc., p. 60.
6. V. en dernier lieu D. Labetoulle, Refondre le Code gnral des impts, Rev. jur. de
lconomie publique 2011, rep. 4.
7. Rapport O. Fouquet, prc. p. 5.
201
sappliquent aux entreprises avec pour consquence dengendrer des cots, des
dlais et de lincertitude prjudiciables linvestissement1.
124. La question est devenue un enjeu majeur. De nombreux travaux et
rapports se succdent depuis une dizaine dannes afin de dnoncer linscurit
fiscale et y porter remde
Fruits dinitiatives prives2 ou raliss sous lgide des pouvoirs publics3, ils
sont tous daccord sur les formes varies que linscurit revt et la ncessit de
la combattre4.
125. La rflexion mene a sans doute permis des amliorations : la rsurgence du rescrit5, dans le prolongement des articles L. 80 A et L. 80 B du Livre
des procdures fiscales, le dveloppement du rescrit interprtatif assorti de
la publication, par ladministration fiscale et aprs anonymisation, des rponses
quelle a pu fournir dautres contribuables, en sont lillustration. De mme,
dans la suite du Rapport Fouquet qui devait dplorer linexistence dune documentation jour depuis 2002 et proposer de reconstituer une documentation administrative consolide opposable [et] publie sur internet 6, le projet
PERGAM sest fix pour ambition dactualiser et de refondre en totalit
1. Pacte national pour la croissance, la comptitivit et lemploi, novembre 2012,
Levier 7, p. 5.
2. A. dHautefeuille, Amliorer la scurit juridique et fiscale des entreprises, Rapports et
tudes de la CCI de Paris Ile-de-France, 2009 ; Rapport O. Fouquet, prc. ; C. Bouvier,
G. Carrez, O. Fouquet et B. Gibert, Instructions fiscales : propositions pour amliorer la
scurit juridique en matire fiscale, prc.; DGFiP, Rapport sur les conditions de mise en
uvre des procdures du rescrit fiscal, de promotion du dispositif et de publication des avis
de rescrit Anne 2010, 2010 ; G. Mestrallet, M. Taly et J. Samson, La rforme de la
gouvernance fiscale, LGDJ, 2005 ; J. Buisson (dir.), La scurit fiscale, LHarmattan, 2011.
3. V. not. M. Charzat, P. Hanotaux et C. Wendling, Rapport au Premier ministre sur lattractivit du territoire franais, La Documentation franaise, 2001 ; Conseil des Impts,
prc. ; Rapport B. Gibert, prc. ; Cour des comptes, Les relations de ladministration
fiscale avec les particuliers et les entreprises, prc.. Au-del des rapports, v. les constats
et prconisations des tudes sur lattractivit et la comptitivit de la France. Ainsi, le
Baromtre AmCham-Bain 2014 relatif au moral des investisseurs amricains en France
recommande dassurer une plus grande stabilit et prvisibilit de lenvironnement fiscal :
lenvironnement fiscal reste peru aujourdhui comme trop complexe et instable, donc
incompatible avec la mcanique dinvestissement. Il convient notamment dinstitutionnaliser le principe de non-rtroactivit fiscale et de sanctuariser des dispositifs fiscaux
favorables lattractivit de la France tels que le Crdit dimpt recherche (p. 16).
4. Au-del de ces travaux traitant de la seule scurit fiscale, il importe de noter que ceux
qui entendent envisager la scurit juridique de manire gnrale rservent systmatiquement des dveloppements la matire fiscale. V. ainsi les rapports prcits du Conseil
dtat consacrs la scurit juridique ou la rcente tude relative au rescrit (Conseil
dtat, Le rescrit : scuriser les initiatives et les projets, La Documentation franaise, 2014).
V. plus gnralement la bibliographie la suite de G. Nol, prc.
5. B. Oppetit, La rsurgence du rescrit, D. 1991, 105.
6. Rapport O. Fouquet, prc., p. 19 (Proposition 8).
203
205
I
Concentrer les rgles porte fiscale
au sein des seules lois de finances
127. La situation actuelle diverge substantiellement de cet idal de concentration puisque les lois ordinaires et de financement de la scurit sociale peuvent
contenir des dispositions fiscales. En dautres termes, les lois de finances nont
pas lapanage des rgles porte fiscale.
Une telle situation prsente plusieurs inconvnients qui concourent tous
linstabilit et la complexit du droit fiscal. La dispersion rend plus difficile le
suivi des discussions en matire fiscale. Labsence de concentration des dbats
entrave son tour la participation effective des contribuables et acteurs publics
la production des lois fiscales. Plus gnralement, elle complique substantiellement lapprciation de la cohrence des diffrents dispositifs fiscaux. En outre, la
dissmination oblige les contribuables et agents de ladministration faire preuve
dune attention continue pour suivre lvolution des rgles et consolider leur
propre situation. En dautres termes, la situation actuelle ncessite la mobilisation
permanente de moyens humains et financiers.
linverse, la concentration des rgles fiscales au sein des lois de
finances est facteur defficacit conomique. En effet, comme les rapports
Doing Business de la Banque mondiale le laissent entendre, lefficacit dun
systme fiscal est, parmi dautres paramtres, fonction du nombre dheures
consacres par les entreprises remplir leurs obligations fiscales1. En permettant aux acteurs de se concentrer sur une priode dtermine et connue
lavance, la concentration rduit le temps consacr lidentification des obligations fiscales et permet galement un suivi plus efficace des dbats relatifs
ladoptions de telles rgles. Les normes fiscales gagneraient ainsi en stabilit
et en comprhension.
128. Un tel constat nest pas nouveau. Le Rapport Fouquet indiquait dj que
la dispersion des textes dans des projets de loi divers ne facilite pas llaboration
dune politique fiscale cohrente 2. Pour y remdier, il envisageait plusieurs
propositions :
1. Ainsi, pour le rapport 2014, une socit implante en France consacrera 132 heures
annuellement remplir ses obligations fiscales, contre 93 en Finlande, 80 en Irlande,
123 aux Pays-Bas et 110 en Grande-Bretagne.
2. Rapport O. Fouquet, prc., p. 12.
207
Lide a fait flors. Lors de son allocution concluant la 2e session de la Confrence du dficit en mai 20101, M. N. Sarkozy, alors Prsident de la Rpublique,
devait ainsi proposer une rforme constitutionnelle2 pour permettre, notamment, de confier la loi de finances la comptence exclusive sur les dispositions fiscales 3. Avant toute rforme constitutionnelle, une circulaire du Premier
ministre relative ldiction de mesures fiscales et de mesures affectant les recettes
de la scurit sociale4 tenta de concrtiser ces attentes. Souhaitant mettre un
terme la dispersion des dispositions rgissant ces prlvements entre lois de
finances, lois de financement de la scurit sociale et lois ordinaires qui est
gnratrice dinstabilit et de complexit pour les acteurs conomiques , la
circulaire invitait les membres du Gouvernement ne plus insrer de dispositions fiscales ou qui affectent les recettes de la scurit sociale dans les projets de
lois ordinaires [par eux] prpars .
129. Pour autant, en dpit de ces diffrentes prconisations qui convergent
toutes vers un mme objectif de concentration des dispositifs fiscaux, la situation na pas volu. Aussi, il apparait indispensable la Commission que les rgles
fiscales soient concentres au sein des seules lois de finances. Une telle mesure, si
elle a vocation concerner en premier lieu les lois ordinaires, doit ncessairement
sappliquer aux lois de financement de la Scurit sociale (LFSS) qui tendent
contenir de trs nombreuses rgles porte fiscale. Aussi, lobjectif de cohrence
en matire fiscale dicte quelles soient galement vides de telles rgles.
La question est donc de savoir comment raliser un tel objectif. Sil importe
denvisager un dispositif aussi efficace que raliste, il faut ici privilgier un
mcanisme qui empche le lgislateur de succomber la tentation fiscale
tout au long de lanne.
Deux voies peuvent tre empruntes. La premire est celle prconise par le
Rapport Fouquet qui, dans sa Proposition 3 prcite, adopte une position
relativement flexible en ne censurant pas systmatiquement les rgles fiscales
prvues dans des lois ordinaires. La seconde est celle du Rapport Camdessus qui,
plus strict , ne laisse pas de place une validation ultrieure des rgles fiscales
contenues dans des lois ordinaires.
Le Rapport Fouquet avait jug lhypothse dun monopole strict difficile
imposer pour des raisons pratiques car il ne paraissait gure raliste de brider
linitiative du lgislateur5.
1. N. Sarkozy, Conclusion de la 2e session de la Confrence sur le dficit, allocution du
20 mai 2010.
2. E. Royer, Une rforme constitutionnelle pour lquilibre des finances publiques ?,
AJDA 2010, 1050 ; S. Brondel, Equilibre des finances publiques : vers la Constitutionnalisation dune loi-cadre quinquennale ?, Dalloz actualit, 6 juillet 2010.
3. N. Sarkozy, prc.
4. Circulaire du 4 juin 2010 relative ldiction de mesures fiscales et de mesures affectant
les recettes de la scurit sociale (NOR : PRMX1015484C).
5. Rapport O. Fouquet, prc., p. 12.
209
211
II
Abroger larticle40 de la Constitution
132. Sil est ncessaire de concentrer les rgles fiscales au sein des seules lois
de finances afin de leur confrer une certaine cohrence, cette mesure ne doit pas
conduire la disparition pure et simple de linitiative parlementaire en matire
budgtaire. Celle-ci est dailleurs dj substantiellement entame par larticle 40
de la Constitution, lun des symboles du parlementarisme rationalis, qui prvoit
que Les propositions et amendements formuls par les membres du Parlement
ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour consquence soit une
diminution des ressources publiques, soit la cration ou laggravation dune charge
publique . Cette disposition pose en effet une interdiction relative de diminuer
les ressources publiques et une interdiction absolue de crer ou daugmenter une
charge publique1. Ainsi, alors quun parlementaire peut proposer la diminution
dune recette publique la condition de proposer corrlativement laugmentation dune autre recette2, il est strictement prohib de proposer la cration ou
laggravation dune charge publique existante, peu importe la compensation qui
pourrait rsulter dune augmentation des recettes ou encore de la diminution
dune autre charge.
Ce principe dirrecevabilit financire qui sapplique aux propositions et
amendements formuls par les dputs et snateurs prvient toute initiative parlementaire en matire budgtaire ou, lorsque cette dernire sexerce, fait peu de
cas des propositions manifestement incompatibles avec la trajectoire des finances
publiques. Ainsi, lors de lexamen du projet de loi sur la Modernisation de
laction publique territoriale et daffirmation des mtropoles, cest une centaine
damendements qui na pas pass le test de la recevabilit financire, ce qui na
pas manqu de susciter les critiques de certains parlementaires3.
1. On retrouve peu ou prou ce principe dans le Rglement de la Chambre des dputs
de 1920, larticle 17 de la Constitution de 1946 ou via la rgle des maxima contenue
dans bon nombre de lois budgtaires de la IVe Rpublique.
2. Cette compensation est communment dsigne sous le terme de gage . Ce gage est
en pratique largement fictif puisque lorsque lamendement ou la proposition de loi est
adopt, le Gouvernement lve le gage dans la plupart des hypothses. En consquence,
seule la baisse des recettes voit le jour.
3. V. le Communiqu de Presse rdig par M.-F. Bechtel, C. da Silva, P. Doucet,
P. Mennucci et S. Travert du 16 juillet 2013 qui rclamait que le Prsident de la
213
Il nest donc gure surprenant que les initiatives visant remettre en cause
larticle 40 de la Constitution fleurissent. Le Comit Balladur avait ainsi propos
une modification de cette disposition afin quelle soit rdige en ces termes : Les
propositions et amendements formuls par les membres du Parlement ne sont
pas recevables lorsque leur adoption aurait pour consquence soit une diminution des ressources publiques, soit une aggravation des charges publiques 1. La
modification souligne conduisait autoriser, pour les dpenses budgtaires, le
principe de compensation, ce qui aurait permis aux parlementaires de proposer
laggravation dune charge publique existante dans la mesure o une autre serait
diminue. Cette proposition, revalorisant linitiative parlementaire en matire
fiscale, ne fut pas adopte lors de la rforme constitutionnelle de 2008. Pourtant,
dans une tribune ayant fait date, les prsidents des Commissions des Finances
de lAssemble nationale et du Snat, MM. D. Migaud et J. Arthuis, avaient
lanc un message clair au constituant : Supprimons larticle 40 2. Les deux
parlementaires avaient alors mis en lumire les effets pervers de lapplication de
larticle 40 de la Constitution : outre son efficacit douteuse la dette publique
nest gure contrle par lapplication de larticle 40 puisque seulement 4 %
8 % des amendements parlementaires sont dclars recevables, il transforme
les dputs et snateurs en spcialistes de larithmtique : ils sont systmatiquement la recherche de compensations lorsquils entendent modifier une recette
publique et sont pieds et poings lis lorsquils souhaitent crer une nouvelle
dpense publique. Cest cette dmission force que MM. D. Migaud et J. Arthuis
stigmatisaient en notant que loin de responsabiliser les parlementaires en les
rendant attentifs la dpense publique, larticle 40 les a tenus en marge de leurs
obligations 3, observant ainsi quon ne peut aujourdhui sans hypocrisie parler
de revalorisation des droits du Parlement tout en conservant intact larticle 40
de la Constitution 4.
Faisant cho aux attentes exprimes par les parlementaires des deux Chambres,
une proposition de loi constitutionnelle enregistre la Prsidence du Snat le
29 mai 2012 prvoyait, dans un article unique, que Larticle 40 de la Constitution est abrog 5. Alors mme que lexpos des motifs mentionnait que cette
commission des Finances sexplique devant lensemble des dputs quant aux mthodes
quil applique pour procder au contrle de la recevabilit financire.
1. Comit de rflexion et de proposition sur la modernisation et le rquilibrage des
institutions de la Ve Rpublique, prc., p. 43 (on souligne).
2. D. Migaud et J. Arthuis, Rforme de la Constitution : supprimons larticle 40, Le
Monde, 16 mai 2008.
3. Id.
4. Id.
5. Proposition de loi constitutionnelle n 569 portant abrogation de larticle 40 de la
Constitution, enregistre la Prsidence du Snat le 29 mai 2012, prsente par Mmes
Nicole Borvo-Cohen-Seat, Marie-France Beaufils, liane Assassi, MM. Christian Favier,
ric Bocquet, Thierry Foucaud, Michel Billout, Mmes Laurence Cohen, Ccile Cukierman,
214
Annie David, Michelle Demessine, velyne Didier, M. Guy Fische, Mme Brigitte GonthierMaurin, MM. Robert Hue, Grard Le Cam, Michel Le Scouarnec, Mmes Isabelle Pasquet,
Mireille Schurch, MM. Paul Vergs et Dominique Watrin.
1. Id., p. 4.
2. La solution prconise par le Comit Balladur, qui favorisait davantage linitiative
parlementaire en autorisant laggravation dune charge publique en cas de compensation,
ne fut pas retenue car elle aurait pu conduire les parlementaires imaginer des montages
budgtaires complexes et pas ncessairement efficaces.
3. J.-F. Kerlo, Plaidoyer en faveur dune rforme de larticle 40 de la Constitution,
RFDC 2014, n 99, 507, spc. 523 s.
215
III
Systmatiser le recours
la concertation publique
lors de llaboration
des dispositifs fiscaux
134. Louverture du processus dlaboration de la norme fiscale aux contribuables, entreprises comme particuliers, fait partie des propositions rcurrentes
formules ces dernires annes.
Le Conseil des Impts, aprs avoir relev que la faible association des contribuables llaboration des rgles fiscales pouvait tre considre comme la cause
ou la consquence de la faiblesse du dbat public sur les sujets fiscaux dans notre
pays 1, prconisait ainsi une meilleure organisation de leur consultation en sinspirant notamment des systmes anglais et amricain. Ces derniers bnficient en
effet du concours dorganismes indpendants chargs de produire des analyses sur
les questions fiscales2. De manire encore plus dterminante, le Rapport Fouquet
envisageait de dvelopper la concertation publique travers lengagement du
Gouvernement de procder une consultation ouverte, dbutant trois mois avant
son dpt au Parlement, sur tout texte fiscal figurant dans une loi de finances,
assortie de la prsentation dune tude dimpact 3. De mme, il prconisait
dinscrire dans la LOLF que les dispositions de nature fiscale qui nauraient pas
t annonces au plus tard trois mois avant le dpt au Parlement de la loi de
finances les contenant (cest--dire en pratique dbut juin) ne seraient applicables
qu compter de lanne suivante, sauf motif dintrt gnral suffisant, urgence
ou contrainte budgtaire 4.
135.-. La concertation publique a des effets bnfiques sur la lgislation
fiscale. Elle constitue ainsi une aide prcieuse pour ceux qui prparent les textes
fiscaux car elle permet didentifier avant ladoption de la loi les ventuelles
difficults dapplication et les consquences aujourdhui non prvues dun projet
1. Conseil des Impts, prc., p. 97.
2. Le rapport prconisait en dfinitive de renforcer dans notre pays les moyens dtude
et de rflexion en matire de fiscalit (p. 98).
3. Rapport O. Fouquet, prc., p. 16 (Proposition 5).
4. Id.
217
pouvant reprer les ventuels dfauts des dispositifs proposs. Au surplus, une
concertation partielle est souvent une concertation partiale. Elle contribue au
dveloppement du lobbying fiscal qui, privilgiant certains intrts, engendre une
complexification de la matire et lmiettement du droit fiscal 1.
137. Ds lors, parce que la concertation permet une meilleure adaptation
des entreprises et particuliers aux nouvelles normes fiscales, une mise en uvre
efficace des dispositifs adopts et une rdaction plus aise des instructions fiscales,
il est indispensable daboutir une concertation plus gnrale et transparente.
138. Cette volont douverture fut dj formule au sujet de ces instructions
fiscales.
Louverture la concertation publique de llaboration des instructions fiscales
Les instructions fiscales sont indispensables la scurit juridique. Elles contribuent
une application prvisible et homogne des dispositions votes en fournissant
aux agents de ladministration fiscale et aux contribuables dutiles prcisions sur
linterprtation des textes fiscaux2.
Toutefois, on reprochait aux instructions le manque de transparence de leur
procdure dlaboration. Comme le notait un rapport relatif aux instructions fiscales,
ladministration nannonce pas quelles seront les dispositions [lgales] qui feront
lobjet de commentaires3 et le processus dlaboration des instructions conserve une
certaine opacit4 . De mme, les dlais parfois excessifs entre lentre en vigueur de la
loi et la publication de linstruction taient critiqus. Ce retard, caus par le nombre
croissant de dispositions commenter et le manque de qualit de la norme initiale,
tait videmment prjudiciable pour les contribuables et les agents de ladministration
En consquence, le rapport prcit devait recommander la communication en amont
des dispositions qui seront et ne seront pas commentes5 et lorganisation de
consultations publiques portant sur les projets dinstructions. Sil admettait que cette
concertation impliquerait pour les services un lourd travail de traitement et de prise
en compte des contributions, avec un risque de frustration rsultant de labsence de
rponse individuelle6 , le rapport retenait surtout que cet effort permettrait de limiter
les risques de retouches ultrieures de linstruction.
Au lendemain de sa publication, le ministre des Finances annonait la mise en uvre
immdiate de ses principales recommandations. Outre la publication immdiate de
la liste des articles de la loi de finances pour 2010 et de la troisime loi de finances
rectificative pour 2009 qui feront lobjet dun commentaire, ainsi que du calendrier
prvisionnel de publication des instructions correspondantes , le communiqu
IV
Rguler la rtroactivit
des rgles fiscales
142. La rtroactivit en matire fiscale peut prendre diverses formes. En tout
premier lieu, la notion renvoie ce que lon a pu dnommer la rtrospectivit
des lois de finances car ces dernires, bien que non rtroactives en principe,
peuvent tre ressenties comme telles en ce quelles rgissent lanne dj coule.
Le fait gnrateur de limpt tant, en principe, en ce qui concerne limpt sur
le revenu et limpt sur les socits, le 31 dcembre de lanne dimposition et
la loi de finances disposant pour cette mme anne, une disposition fiscale peut
tre applicable une situation ne antrieurement. Cette rtroactivit de fait,
galement appele petite rtroactivit 1, est prjudiciable pour le contribuable
qui pensait, toute lanne durant, tre soumis au rgime antrieur. On y voit un
tour de passe-passe lgislatif 2.
En second lieu, il convient dvoquer lhypothse de la rtroactivit conomique3. Ici encore, sans tre juridiquement rtroactives, certaines mesures peuvent
venir modifier le rgime fiscal de situations dj nes. Par exemple, labrogation
dun rgime fiscal favorable qui navait pas encore atteint son chance nest pas
juridiquement rtroactive, certes, mais remet en cause les calculs sur lesquels les
contribuables ont fond leurs dcisions conomiques.
En dernier lieu, la rtroactivit des dispositions fiscales peut tre, cette fois-ci,
juridique4. Des objectifs ponctuels peuvent, sous un strict contrle du Conseil
constitutionnel, appeler ladoption dun dispositif juridique rtroactif : attnuation des effets du dlai sparant lannonce dune mesure et son adoption effective, corrections dventuelles malfaons du texte initial ou encore validation
dimpositions passes dont la lgalit est remise en cause devant les juridictions5.
1. O. Fouquet, La rtroactivit des lois fiscales, Rev. admin. 1994, 140.
2. F. Douet, prc., n 8.
3. Rapport B. Gibert, prc., p. 74 s.
4. Comme le rappelle le rapport Gibert, la loi fiscale rtroactive se caractrise () par
le fait quelle dispose non seulement pour lavenir, mais galement pour le pass : elle
sapplique des faits gnrateurs dimposition qui sont dj intervenus quand elle est
adopte (p. 66).
5. La validation permet alors dviter la situation o lillgalit dune imposition donne
conduirait des dcharges massives.
225
Cette avance a t favorablement accueillie : elle est, a-t-on dit, particulirement bienvenue du point de vue des entreprises et notamment des entreprises trangres envisageant dinvestir en France qui trouveront l une certaine
garantie de stabilit de ltat du droit fiscal 5.
Il nest ds lors pas surprenant de la voir reprise dans une rcente dcision
du Conseil constitutionnel en date du 5 dcembre 20146, qui souligne expressment que le lgislateur ne saurait, sans motif dintrt gnral suffisant, ni
porter atteinte aux situations lgalement acquises ni remettre en cause les effets
qui peuvent lgitimement tre attendus de telles situations .
En lespce, la loi n 2011-1977 du 28 dcembre 2011 de finances pour 2012
avait institu une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, une telle contribution tant applicable compter de limposition des revenus de lanne 2011.
Le Conseil constitutionnel a relev que les contribuables ayant peru en 2011 des
revenus soumis prlvement libratoire pouvaient lgitimement attendre dtre
librs de limpt au titre de ces revenus. En appliquant la nouvelle contribution
aux revenus ayant fait lobjet de prlvements libratoires, les dispositions contestes remettaient donc en cause les effets qui pouvaient lgitimement tre attendus
par les contribuables. Partant, le Conseil a jug que les dispositions contestes ne
pouvaient, sans porter une atteinte injustifie la garantie des droits proclame
par larticle 16 de la Dclaration de 1789, tre interprtes comme permettant
dinclure dans lassiette de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus due
au titre des revenus de lanne 2011 les revenus de capitaux mobiliers soumis aux
prlvements libratoires de limpt sur le revenu.
Dcision du Conseil constitutionnel
(Cons. const., 5 dc. 2014, n 2014-435 QPC)
Vu la Constitution ;
Vu lordonnance n 58-1067 du 7 novembre 1958 modifie portant loi organique
sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code gnral des impts ;
Vu la loi n 2011-1977 du 28 dcembre 2011 de finances pour 2012, notamment
son article 2 ;
Vu le rglement du 4 fvrier 2010 sur la procdure suivie devant le Conseil
constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalit ;
Vu les observations produites par le requrant, enregistres les 7 octobre et 8 novembre
2014 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistres le 24 octobre 2014 ;
Vu les pices produites et jointes au dossier ; M. Xavier Pottier, dsign par le Premier
ministre, ayant t entendu laudience publique du 25 novembre 2014 ;
Le rapporteur ayant t entendu ;
1. Considrant que le paragraphe I de larticle 2 de la loi du 28 dcembre 2011 de
finances pour 2012 susvise a ajout au code gnral des impts une section intitule
Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ; que lunique article 223 sexies
de cette section institue la charge des contribuables passibles de limpt sur le revenu
une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ; quaux termes du paragraphe III
de larticle 2 de la loi du 28 dcembre 2011 : A. Le I est applicable compter de
limposition des revenus de lanne 2011 et jusqu limposition des revenus de lanne
au titre de laquelle le dficit public des administrations publiques est nul. Ce dficit
est constat dans les conditions prvues au deuxime alina de larticle 3 du rglement
(CE) n 479/2009 du Conseil, du 25 mai 2009, relatif lapplication du protocole sur
231
maintien dun avantage lorsque la disposition modifiant cet avantage dispose pour
lavenir. linverse, la modification en fin danne de dispositions applicables au
cours de cette anne est susceptible de porter atteinte au droit au respect des biens au
sens de larticle 1er du Premier protocole additionnel. Enfin, la protection rsultant
de cet article ne vise quun dispositif incitatif dont le lgislateur a garanti la stabilit
en limitant dans le temps sa validit.
La non-rtroactivit des lois est un des fondements de la confiance qui doit unir les
citoyens ltat. Garantie en matire de droit pnal, ce principe na toujours pas de
garantie constitutionnelle.
Pourtant, dans un monde ouvert o circulent librement les capitaux, les biens et les
personnes, il est indispensable, pour conserver et attirer les crateurs de richesse, de
garantir une certaine stabilit politique et fiscale.
Larticle 2 du code civil prvoit dailleurs que la loi ne dispose que pour lavenir,
elle na point deffet rtroactif . Ce principe na hlas pas, pour le moment, de valeur
constitutionnelle. Le lgislateur peut donc y droger. La jurisprudence du Conseil
constitutionnel prvoit quelques limites au regard de la loi fiscale mais elle est trop
restreinte pour abolir toute inscurit juridique.
Les paramtres fiscaux conditionnent largement les dcisions dinvestissement,
influent sur la rentabilit et peuvent jouer sur lquilibre financier des entreprises.
Aujourdhui, linscurit juridique est devenue une donne consubstantielle dans la
gestion de lentreprise qui freine les investissements et les prises de risque, pourtant
indispensables la cration de richesse. La norme fiscale se trouve tre lune des
donnes les plus difficiles apprhender.
Dans la perspective damliorer lattractivit de notre pays et de simplifier la gestion
des entreprises dj prsentes sur notre territoire, cette non-rtroactivit fiscale,
valeur constitutionnelle, serait un gage trs apprciable dans linstauration dun climat
de confiance entre les entreprises et ltat.
Au-del, cette non-rtroactivit constituerait aussi une garantie lgitime pour
le contribuable afin de lui permettre deffectuer ses choix conomiques en pleine
connaissance de cause et sans tre expos au risque dun changement rtroactif des
rgles du jeu.
1. Proposition de loi organique n 568 tendant encadrer la rtroactivit des lois fiscales,
19 dcembre 2012.
2. Proposition de loi constitutionnelle n 2321 tendant encadrer la rtroactivit des
lois fiscales, 23 octobre 2014.
236
cette anne. Pour limpt sur les socits, la rgle qui sapplique est celle qui est en
vigueur la clture de lexercice.
Compte tenu des faits gnrateurs particuliers de ces deux impts, une disposition
lgislative peut, sans tre rtroactive, tre adopte jusqu la fin dune anne
civile et sappliquer, limpt sur le revenu, aux revenus perus depuis la clture
de lexercice prcdent dans le cas dune entreprise clturant son exercice au
31 dcembre.
Cette rgle tant source dinscurit pour les entreprises, dans la mesure o elles
nont pas la certitude du traitement fiscal rserv une opration au moment o
celle-ci est effectue, les projets darticles lgislatifs ou amendements gouvernementaux
ne devront plus sappliquer quaux exercices ouverts compter de la publication de
celle-ci, sauf mesures favorables au contribuable.
Sil constitue indiscutablement une avance politique, cet engagement gouvernemental ne prsente quun intrt limit. Dune part, certaines des affirmations
de la Charte sont dabord contestables : contrairement ce que laisse entendre
la Charte, les dispositions prtendument interprtatives sont considres comme
rtroactives par le juge depuis un certain temps1. Dautre part, le Conseil constitutionnel ne saurait lutiliser afin de sanctionner une disposition contrevenant
la Charte.
147. Aussi, la Commission entend formuler des propositions visant rguler
la rtroactivit en matire fiscale. Pour amliorer ici la scurit juridique, il est
indispensable dintroduire de manire beaucoup plus systmatique des mesures
transitoires permettant de stabiliser lapplication de la loi fiscale (A) et de mieux
encadrer par des rgles de nature supra-lgislatives lapplication de la rtroactivit (B). Enfin, il convient de prvoir un rgime particulier aux revenus exceptionnels (C).
considration les situations en cours. Les solutions techniques pour prserver ces
dernires sont connues mais insuffisamment appliques :
clauses de grand-pre permettant de maintenir le rgime fiscal existant aux situations en cours soit de manire dfinitive1 ou pour une dure
dtermine2 ;
applications limites aux oprations (et non aux faits gnrateurs dimposition) intervenues compter dune certaine date3 ;
applications diffres des modifications du rgime fiscal de manire
laisser aux acteurs conomiques la possibilit de sadapter ces modifications4.
Certes, la Charte de non-rtroactivit semble sinspirer de cette proccupation, mais elle reste bien souvent en de des attentes des acteurs conomiques :
cest ainsi que, sil est prcis que les dispositions peuvent entrer en vigueur la
date de la dcision du Conseil des ministres, il aurait t ncessaire, pour justifier
cette recommandation, de faire tat tout autant de la proccupation de stabilit
des situations fiscales que de celle de la lutte contre loptimisation fiscale. Cette
prcision est importante car se rfrer une date prcise na pas du tout la
mme porte suivant lopration qui sert de rfrence cette date : cest
ainsi que les modifications en matire de fiscalit des plus-values immobilires
sappliquent gnralement aux promesses de vente signes compter de la date
dannonce de la mesure et non aux actes de vente. Il est indispensable de prserver
les oprations dj dcides la date dannonce de la mesure, ce quomet souvent
de faire le lgislateur.
Il convient donc de manire systmatique dintroduire des mcanismes dentre en vigueur spcifiques ayant pour objet de prserver la stabilit des situations
en cours. Le Conseil dtat pourrait ainsi refuser dexaminer les mesures
fiscales figurant dans un projet de loi lorsquelles comportent, dans leur
valuation pralable, une analyse insuffisante de leur application dans le
temps ne permettant pas de prserver la stabilit des situations en cours.
1. Par exemple la modification du rgime fiscal des contrats dassurance-vie par larticle
21 de la loi de finances pour 1998, qui a dailleurs inspir la solution rendue par le
Conseil constitutionnel dans sa dcision n 2013-682 DC du 19 dcembre 2013.
2. Par exemple la modification du rgime de larticle 209 B par larticle 107 de la loi
de finances pour 1993 (qui a donn lieu une intressante application par le Conseil
dtat : CE, Pln. fisc., 4 juillet 2014 n 357264 et 359924, St Bollor).
3. Limitation par larticle 18 de la loi de finances rectificative pour 2012 du 30 dcembre
2012 dune mesure anti-abus aux apports raliss compter du 14 novembre 2012 v.
Cons. const., 29 dcembre 2012, n 2012-661 DC.
4. Par exemple rforme de lavoir fiscal et du prcompte par larticle 93 de la loi de finances
pour 2004 du 30 dcembre 2003 qui ne sest applique qu compter du 1er janvier 2005
ce qui a conduit le Conseil dtat juger cette disposition conforme larticle 1er du
Premier protocole de la CEDH (CE, 2 juin 2010, n 318 014, Fondation de France)
240
244
V
Dvelopper le mcanisme
du rescrit en matire fiscale
152. La complexit des dispositifs fiscaux constitue, on le sait, un frein
linitiative conomique. Comme le Conseil dtat la rcemment relev, le
porteur de projet est aujourdhui confront des difficults importantes pour
identifier lensemble des normes qui lui sont applicables, comprendre quelles
en sont les implications sur sa situation personnelle, prvoir les volutions
possibles des rgles, valuer la faisabilit de son projet 1. Un tel constat ne
surprend gure au regard du nombre darticles que contient le Code gnral
des impts ou encore le nombre de modifications dont il fait lobjet chaque
anne. Le graphique et le tableau reproduits ci-dessous permettent de raliser
que les prconisations de prcdents rapports qui appelaient de leurs vux une
plus grande stabilit des normes fiscales nont pas t suivies : outre le fait
que le Code gnral des impts est toujours extrmement volumineux,
entamant ainsi la comprhension de la matire par les contribuables, le
nombre de modifications quon lui apporte chaque anne rend phmre
toute connaissance de la matire.
1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
Articles
5351 5504 5566 5611 5625 5552 5379 5288 5283 5292
Variations
Articles modifis
29
153
62
45
14
796
992
741
891
662
73 173
877
91
458
Annes
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Articles
5331 5298 5262 5319 5325 5375 5452 5513 5530 5477
Variations
Articles modifis
39
33
36
57
50
77
61
17
53
886 1105
Dispositions lgales
du LPF
Tout impt
L. 80 B-1
66,06
OSBL (lucrativit)
L. 80 B-1
99,42
Amortissements exceptionnels
L. 80 B-2
95,51
Entreprises nouvelles
L. 80 B-2
62,70
CIR
L. 80 B-3
98,81
JEI
L. 80 B-4
91,27
Ple de comptitivit
L. 80 B-5
90,90
L. 80 B-8
57,17
L. 80 B-8
67,62
L. 80 C
135,93
Rescrit gnral
Rescrits spcifiques :
Mcnat (OIG)
Auskunft ) doit ainsi acquitter une somme proportionnelle au gain quil espre
raliser la suite de linformation dlivre par ladministration1.
Daucuns soutiennent que la transposition au sein du systme fiscal franais
de lexemple allemand serait envisageable. Au regard de la scurit juridique
quoffre le rescrit, dune part, et lacclration des dlais de traitement quune
telle mesure pourrait engendrer, dautre part, les contribuables, surtout les entreprises, seraient prts sacquitter dune certaine somme. En dautres termes, si
le rescrit constitue, aujourdhui une consultation juridique sre et gratuite 2,
il serait peu probable quil connaisse un certain ralentissement sil devient une
consultation juridique sre, rapide mme payante. En outre, le caractre payant
du rescrit contribuerait lamlioration des relations entre ladministration fiscale
et les contribuables en accentuant laspect service de cette relation.
Nanmoins, une telle modification du mcanisme actuel risque de ne pas
emporter ladhsion de tous. Les travaux mens par la Commission ont ainsi
fait apparatre que le caractre payant du rescrit pourrait dcourager une
partie des contribuables, notamment ceux dont les moyens peuvent tre
limits, tels que les particuliers, les PME et TPE, dutiliser ce mcanisme.
De mme, on peut craindre que ladministration fiscale concentre son attention
et ses moyens sur les demandes de rescrit les plus rmunratrices et, par consquent, dlaisse les demandes plus raisonnables. De la mme manire que lon
imagine mal les juges judiciaire et administratif conditionner leurs dcisions ou
leur choix de traiter les affaires lintrt financier quelles reprsentent, on voit
difficilement ladministration fiscale oprer un choix parmi les demandes de
rescrits qui lui sont adresses.
Par ailleurs, la mise en place dun rgime mixte visant rendre payant le
rescrit seulement pour les entreprises et/ou seulement pour les demandes ncessitant des recherches importantes parat galement inopportune. Les demandes
de rescrit tant dj handicapes par un vritable formalisme, il serait regrettable
dajouter encore davantage de raffinements aux dmarches que doivent suivre les
contribuables en amont. Plus encore, la dtermination du caractre payant ou
gratuit du rescrit pourrait alors prendre du temps, ce qui est paradoxal pour une
mesure visant rduire les dlais de rponse de ladministration.
La mobilisation accrue de moyens humains et financiers quengendrerait la
rduction des dlais de rponse de ladministration ne pouvant pas raisonnablement peser sur les contribuables, cest ladministration fiscale dinvestir
1. Conseil dtat, Le rescrit : scuriser les initiatives et les projets, prc., p. 163 s. Par exemple,
lorsque linformation permet au contribuable de dgager un gain de 250 000 euros, il
devra verser ladministration fiscale 1 756 euros, soit environ 0,7 % du gain ralis.
Cet exemple chiffr est tir de laffaire loccasion de laquelle le contribuable avait fait
valoir linconstitutionnalit du caractre payant du rescrit. Le tribunal des finances de
Basse-Saxe le dbouta de sa demande dans la mesure o la scurit juridique apporte
par linformation fournie justifiait lonrosit du rescrit.
2. M. Collet, Droit fiscal, prc., p. 185.
252
160. Outre la rduction des dlais, il importe de favoriser les recours dirigs
contre les rponses fournies par ladministration fiscale. Si une procdure administrative de recours existe depuis 2008, celle-ci demeure peu utilise et napparat pas suffisante pour tirer toutes les consquences de lobjectif poursuivi par le
dveloppement de la procdure de rescrit, qui est de garantir la scurit juridique
du contribuable en vitant lincertitude lie au traitement fiscal dune opration.
Il conviendrait donc dinstituer comme le proposait le Rapport Fouquet,
une procdure contentieuse spcifique permettant la contestation par la voie
dun rfr devant le tribunal comptent, en sinspirant du dispositif existant
devant les juridictions administratives en matire de rfr prcontractuel.
Proposition n 47 : Instituer un recours contre les rescrits sur le modle du
rfr prcontractuel.
161. Au-del des modalits pratiques du rescrit, son champ dapplication doit
tre largi. Il convient que le mcanisme trouve sappliquer loccasion dun
contrle fiscal. Il est en effet trs prjudiciable que le contribuable ne puisse
opposer ladministration fiscale une prise de position formelle sur des points
vrifis et non redresss par ses agents lors dun contrle antrieur.
Labsence de rescrit-contrle a dj t critique par le Rapport Gibert
selon lequel une demande forte des entreprises est que les points qui nont pas
fait lobjet dobservations de la part dun vrificateur lors dun contrle fiscal ne
puissent tre remis en cause lors dun contrle ultrieur 1. Il est en effet incomprhensible quun contribuable soit sanctionn sur le fondement dune pratique
1. Rapport B. Gibert, prc., p. 27.
253
165. Constatant que les entreprises attendaient avec toujours plus dimpatience la mise en place du rescrit-contrle et que les initiatives internes
ladministration fiscale staient rvles inefficaces, la Commission entend
proposer lorganisation dun vritable rescrit-contrle . Comme le prconisait
le Rapport Fouquet, le vrificateur dresserait une liste des points examins
de manire approfondie pour prendre position, de tels points ne pouvant
tre remis en cause par ladministration fiscale loccasion dun contrle
ultrieur. Au-del de cette initiative administrative, il est indispensable que
le contribuable puisse galement adresser ladministration fiscale des questions sur certains points voqus lors du contrle, et non pas son terme,
les rponses fournies tant alors galement opposables ladministration.
166. Une difficult pourrait remettre en question lefficacit du dispositif
propos. En effet, il est craindre que les vrificateurs nadhrent pas au nouveau
rescrit-contrle pour les raisons qui ont dj t voques. Il convient par
consquent de ne pas ritrer lerreur de linstruction de 2005 en ne consacrant
pas ce dispositif au sein du Livre des procdures fiscales. La modification larticle
L. 80 A du LPF afin que la liste des points examins par le vrificateur soit assimilable une prise de position formelle de ladministration simposerait donc.
Proposition n 48 : tablir un vritable rescrit-contrle consacr larticle
L. 80 A du LPF.
256
VI
Rduire les dlais du contentieux
en matire fiscale
167. Si la lenteur de la justice nest pas lapanage de la matire fiscale, il
demeure que celle-ci freine particulirement linitiative conomique des contribuables, particuliers comme entreprises. Le problme est dailleurs priodiquement dnonc. Le Rapport Fouquet stigmatisait dj les dlais de la procdure
fiscale devant les juridictions administratives, lesquels sont dissuasifs, notamment en ce qui concerne le premier degr (), ce qui amne souvent le contribuable prfrer une mauvaise transaction un bon procs 1. Le tableau
figurant dans le Rapport faisait apparatre des statistiques difiantes pour lanne
2007 : le dlai moyen constat pour obtenir le jugement des affaires fiscales tait
de trois ans, un mois et douze jours2 ; larrt dappel nintervenait, quant lui,
que deux ans, trois mois et trois jours en moyenne aprs le recours.
La situation a heureusement volu. Aujourdhui, il faut gnralement
attendre 18 mois pour obtenir un jugement devant le Tribunal administratif
de Montreuil, comptent en de nombreuses occasions pour les litiges relatifs
aux grandes entreprises, et environ le mme dlai devant la Cour administrative
dappel de Versailles. La dcision du Conseil dtat intervient, elle, en gnral
deux ans aprs le recours, portant environ 5 ans la dure totale du contentieux.
168. Si cette volution doit tre salue, la qute dune justice plus rapide en
matire fiscale ne peut tre abandonne. En effet, outre lincertitude engendre,
tout contentieux implique la mobilisation de moyens humains et financiers qui
ne seront pas autrement employs.
169. La Commission entend formuler diverses propositions visant acclrer lobtention des dcisions par les contribuables. Si cet objectif pourrait tre
atteint par laccroissement des moyens dont disposent les juridictions3, ltat
1. Rapport O. Fouquet, prc., p. 55.
2. Le dlai de jugement tait, pour le Tribunal administratif de Paris, de 5 ans, 7 mois
et 11 jours.
3. Le Rapport Fouquet avait dailleurs propos de Programmer pour lavenir une
augmentation des moyens des juridictions cohrente avec la charge contentieuse fiscale
prvisionnelle (Proposition 49). En pratique, le rapport prconisait la cration dun
nouveau Tribunal administratif en rgion parisienne afin de traiter plus rapidement les
contentieux en matire fiscale (Rapport O. Fouquet, prc., p. 56).
257
des finances publiques ne permet sans doute pas lheure actuelle de consacrer
davantage de moyens au contentieux fiscal. Devant limpossibilit daccrotre la
capacit de traitement du stock existant, il est indispensable de faire dcrotre ce
dernier. Les propositions qui vont tre voques ici sont formules sous forme de
lignes directrices, la Commission souhaitant essentiellement ce stade nourrir la
rflexion sur les volutions souhaitables.
170. Avant mme de rguler le stock de contentieux devant les juridictions, il
est indispensable dencadrer la dure des contrles fiscaux visant les grandes entreprises. Ces dernires signalent en effet lexistence de contrles pouvant stendre
sur plusieurs annes avec, durant cette priode, des interruptions significatives.
Entamant substantiellement linitiative conomique des grandes entreprises qui
mobilisent des moyens pour faire face au contrle et provisionnent les sommes qui
pourraient potentiellement tre rclames son issue, la dure du contrle fiscal
doit tre matrise. En agissant sur la dure de cette phase prcontentieuse, le diffrend entre le contribuable et ladministration fiscale se terminera plus rapidement.
En pratique, il est ncessaire de limiter la dure des contrles fiscaux 9 mois
et dinterdire les interruptions des contrles suprieures 2 mois.
Proposition n 49 : Limiter la dure des contrles fiscaux et rguler les
interruptions intervenant lors de ces contrles.
171. Ensuite, il convient de faire respecter les dlais accords aux parties
pour produire leurs mmoires. En ce sens, larticle R. 611-10 du Code de
justice administrative prvoit que Sous lautorit du prsident de la chambre
laquelle il appartient, le rapporteur fixe, eu gard aux circonstances de laffaire,
le dlai accord aux parties pour produire leurs mmoires . Si les contribuables
respectent scrupuleusement ces dlais qui sont variables en fonction du stade de
la procdure1, ladministration fiscale tarde souvent soumettre ses crits2. Il est
regrettable qu la lenteur inhrente de la justice sajoute linertie de ladministration fiscale qui nest pas suffisamment sanctionne pour son comportement.
En consquence, la Commission recommande que les juridictions tirent, plus
strictement quelles ne le font prsent, les consquences de cette inertie en
prvoyant un dgrvement doffice en cas dabsence de rponse de ladministration fiscale la suite dune mise en demeure de produire ses observations par la
juridiction. Cette mise en demeure serait automatique lorsque ladministration
1. Gnralement entre 1 et 6 mois.
2. Fut ainsi voqu devant la Commission lexemple dun contentieux en cours devant
une Cour administrative dappel : le dernier mmoire dpos par le contribuable, datant
de novembre 2013, na pas encore reu de rponse de la part de ladministration fiscale.
En lespce, limpt sur lequel porte le contentieux date de 2006 ; la dcision de la
CAA interviendra srement en 2015 et la dcision du Conseil dtat en 2017, soit onze
annes aprs les faits.
258
ne rpond pas deux mois aprs le dlai qui lui avait t imparti pour produire
ses observations.
Proposition n 50 : Sanctionner plus strictement linertie de ladministration
fiscale lors de la procdure contentieuse en prvoyant un dgrvement doffice
en cas dabsence de rponse de ladministration fiscale la suite dune mise en
demeure de produire ses observations par la juridiction.
172. De mme, les dlais du contentieux fiscal pourraient tre substantiellement rduits en ayant recours la procdure de demande davis au Conseil
dtat et la Cour de cassation. Le Rapport Fouquet prconisait dj de faciliter
la procdure de demande davis au Conseil dtat et la Cour de cassation 1.
Comme le prvoient les articles L. 113-1 du Code de justice administrative et
L. 151-1 du Code de lorganisation judiciaire, les juges du fond ont la possibilit
de saisir pour avis le Conseil dtat et la Cour de cassation lorsquune question de droit nouvelle, prsentant une difficult srieuse et se posant dans de
nombreux litiges est souleve par lune des parties. La matire fiscale est particulirement propice lapparition dun contentieux de masse, lequel se caractrise par un nombre important de litiges dont la solution dpend dune mme
question de droit. Partant, le recours la procdure davis permettra de rduire
les dlais contentieux : les parties, ayant connaissance de la position des cours
rgulatrices, auront tendance viter le recours au contentieux (dgrvement de
limposition, abandon de la procdure contentieuse ou encore non-exercice des
recours disponibles).
Malgr les avantages que prsente la procdure de demande davis, et comme
le relevait dj le Rapport Fouquet2, les juges du fond sont peu disposs transmettre aux juridictions suprmes les questions de droit fiscal poses similairement
devant plusieurs juridictions. La Commission entend donc encourager les juges
du fond transmettre les questions poses par les parties loccasion dun litige.
La Commission prconise galement la cration dune procdure de demande
davis propre la matire fiscale. Si, lheure actuelle, les juges du fond manifestent une certaine discrtion quant la transmission des demandes davis, il
serait logique que les Cours suprmes puissent galement apprcier lopportunit
de cette demande. Dotes dun point de vue plus gnral, les Cours suprmes
sont plus mme de dtecter les questions qui mriteraient leur attention. En
pratique donc, le Conseil dtat ou la Cour de cassation pourraient, la demande
des parties, se saisir eux-mmes des questions de droit susceptibles de se poser
dans de nombreux litiges fiscaux afin de se prononcer sur la question prjudicielle
ainsi pose.
1. Rapport O. Fouquet, prc., p. 57 (Proposition n 50).
2. Id.
259
173. La gestion du contentieux par ladministration fiscale contribue galement sa lenteur. La volont affiche dpuiser lensemble des voies de recours
alors que la cause nest manifestement pas favorable est dilatoire : le contentieux
sternise, le contribuable y mobilise des moyens financiers, ladministration et les
juridictions galement. Il serait particulirement opportun que ladministration
fiscale rserve ses ressources pour les contentieux dont lissue demeure incertaine.
En dautres termes, il importe de rationaliser le management du contentieux de la part de ladministration fiscale.
Si cette rationalisation peut intervenir spontanment, la situation actuelle
perdurera sans doute si aucun arbitrage extrieur nintervient. Certes, le contribuable qui fait lobjet dun contrle fiscal est parfois en mesure de soumettre le
litige aux commissions dpartementales des impts directs ou, en ce qui concerne
les grandes entreprises, la Commission nationale prside par un membre du
Conseil dtat ; mais la comptence de ces commissions est pour lessentiel
limite aux questions de fait1. De mme, lexpertise du Comit de labus de
droit fiscal2, lequel est prvu larticle L. 64 du Livre des procdures fiscales qui
dispose quen cas de dsaccord sur les rectifications notifies sur le fondement
[de labus de droit], le litige est soumis, la demande du contribuable, lavis
du comit de labus de droit fiscal , est circonscrite.
Il importe de sinspirer de ces diffrentes hypothses dexternalisation qui sont
trs utiles si ladministration se rallie aux avis qui lui sont donns. La Commission ne peut donc que saluer la trs rcente cration du Comit National dexperts 3, lequel a vocation fournir un clairage externe ladministration fiscale
pour les dossiers les plus complexes. Le Comit, prsid par M. P.-F. Racine,
Prsident honoraire de la Section des finances du Conseil dtat, et compos par
des fiscalistes venus des entreprises et des universits, aura ainsi donner un avis
en droit sur le bien-fond des rappels et pnalits.
Si la Commission estime la cration de ce Comit particulirement opportune puisquil permettra ladministration fiscale, si elle abonde dans le sens
1. Art. L. 59 du LPF.
2. Le comit, compos dun conseiller dtat, dun conseiller la Cour de cassation,
dun avocat ayant une comptence en droit fiscal, dun conseiller matre la Cour des
comptes, dun notaire, dun expert-comptable et dun professeur des universits (agrg
de droit ou de sciences conomiques) met un avis sur le bien-fond des rectifications
litigieuses envisages.
3. Annonce de M. Sapin et Ch. Eckert lors dune confrence de presse sur lamlioration
des relations entre ladministration fiscale et les entreprises (1er avril 2015).
260
de lavis quil pourra rendre, de mieux grer les contentieux les plus complexes,
des doutes subsistent quant au mode de saisine du Comit. En effet, alors que
seule ladministration semble tre a priori habilite saisir le Comit, il
serait avis de prvoir, afin que la dmarche dexternalisation soit effective,
quil puisse galement sautosaisir des problmes de droit poss par certains
redressements de place lorsquil estimera que son avis pourra utilement
clairer ladministration dans lapprciation de leur bien-fond. Une telle
mesure ne doit pas faire craindre une activit trop importante du Comit, lequel
sera ncessairement limit par ses moyens et donc amen choisir minutieusement les problmes de droit dont il entend se saisir.
Proposition n 52 : Autoriser le Comit National dexperts sautosaisir des
problmes de droit poss par certains redressements de place lorsquil estimera
que son avis pourra utilement clairer ladministration dans lapprciation de
leur bien-fond.
261
VII
Encadrer toute nouvelle interprtation
administrative de la norme fiscale
174. Cr en 2012 la suite du projet PERGAM , le BOFiP constitue un
outil essentiel la scurit fiscale en compilant lensemble de la doctrine administrative dans une seule et unique base de donnes. Comme le tableau reproduit ci-dessous le montre, contribuables et agents de ladministration consultent
activement le BOFiP.
Donnes statistiques de frquentation
de BOFiP-Impts
du 12/09/2012
au 31/12/2012
du 01/01/2013
au 31/12/2013
215 989
en moyenne par mois
en zone Internet
939 590
53 997
418 451
en moyenne par mois
78 299
5 204 330
104 613
433 694
74 501
en moyenne par mois
en zone Internet
258 455
18 625
206 219
en moyenne par mois
21 538
2 813 343
51 555
234 445
620,5 s
375
526 s
412 s
donne
non disponible
donne
non disponible
donne
non disponible
donne
non disponible
4 514
4 618
de type annexe
599
582
de type actualit
66
276
263
175. Toutefois, les entreprises ont pu constater que la mise en place de cette
base de donnes stait accompagne dune multiplication des modifications rdactionnelles de la doctrine administrative existante. Aux modifications rgulires ,
rendues ncessaires par ladoption dune nouvelle mesure fiscale ou encore par une
dcision judiciaire, sajoutent ainsi des modifications irrgulires sanalysant
en des modifications substantielles de linterprtation des textes. Sous couvert
dapporter des prcisions, ladministration fiscale introduit des modifications
intempestives nayant pas fait lobjet dune concertation.
Exemples de modifications irrgulires du BOFiP
Fichiers des crits comptables (FEC) et succursales franaises de socits
trangres :
En dcembre 2013, une doctrine administrative indiquait que les succursales franaises
de socits trangres ntaient pas soumises la nouvelle obligation de remise des
comptabilits informatises ds lors que le Code de commerce ne leur impose pas la
tenue dune comptabilit.
En fvrier 2014, cette position doctrinale volue sans quintervienne un vnement
spcifique imposant aux succursales le respect de cette obligation et en labsence totale
de consultation pralable.
Crdit dimpt recherche et sous-traitance agre :
Dans le cadre des commentaires de larticle 71 de la loi de finances pour 2014,
lequel est relatif aux dpenses des jeunes docteurs , une modification tenant la
sous-traitance agre fut intgre. Cette modification tait en contradiction avec une
pratique tablie depuis de nombreuses annes selon laquelle les dpenses de recherches
ralises en France donnent lieu un Crdit dimpt recherche, peu importe le mode
dorganisation de ces recherches.
Dispositif stock-options pour tous :
Six ans aprs la mise en place du dispositif stock-options pour tous , et allant
lencontre dune position de la Direction gnrale du travail datant de 2010, une
prcision doctrinale est venue ltendre aux attributions ralises par les socits
trangres cotes au profit des mandataires sociaux de filiales tablies en France.
Contrevenant indniablement la scurit juridique, une telle pratique administrative doit imprativement tre rgule. Pour que le BOFiP continue de
constituer un outil de scurit juridique, il faut faire en sorte que ladministration
ne le modifie que lorsque cela est justifi par une erreur de rdaction manifeste,
une jurisprudence contraire linterprtation de ladministration, ou encore par
ladoption dun nouveau dispositif lgal. Dans le cas contraire, si aucun vnement ne vient justifier la modification de la doctrine existante, il importe que
la modification soit prcde dune consultation publique et quelle fasse lobjet,
lors de sa publication, dune diffusion particulire, notamment par lintermdiaire dun onglet particulier sur le BOFiP.
264
265
QUATRIME PARTIE
LE DROIT DU TRAVAIL
I
Approche structurelle
176. Un droit plus expos Linscurit juridique prsente en droit du travail
des caractristiques plus marques que dans les autres matires. La matire se
distingue tout dabord par des sources nombreuses et diversifies, dont limbrication est devenue un facteur de complexit. Aux cts des sources traditionnelles
que sont la loi, le rglement, la convention et laccord collectif, dclin plusieurs
niveaux interprofessionnel, branche, entreprise, tablissement , sajoutent ainsi les
sources professionnelles unilatrales usages dentreprise, engagements unilatraux
de lemployeur, et rglement intrieur. Ce mille-feuille des sources en fait un droit
naturellement expos linscurit juridique, a fortiori lorsque cette construction,
conue pour une usine mtallurgique se dveloppant rgulirement grce aux Trente
Glorieuses, doit voluer vers plus de flexibilit face la monte du secteur tertiaire
et de la socit de limmatriel, avec une croissance beaucoup plus faible voire nulle.
Amplifiant le mouvement, les clefs de rsolution classiques des conflits de
normes sont devenues ces dernires annes de moins en moins efficaces et intelligibles. La supriorit de la loi est conteste de tous cts par la profusion
des sources supra lgislatives, comme par la multiplication des accords drogatoires1 , le principe de faveur cde face au dveloppement des drogations
entre loi et convention, ou entre conventions suprieure et infrieure2. Ainsi,
1. Pour permettre davantage de flexibilit, le lgislateur de 1982 a autoris les partenaires sociaux droger dans certains domaines la loi, mais exclusivement par accord
collectif. Cette possibilit de drogation ne vaut que pour les conventions collectives,
et non pour le contrat de travail. lorigine rserve aux accords de branche, elle a t
de plus en plus ouverte aux accords dentreprise. La liste lgale de ces drogations a t
augmente anne aprs anne : du forfait-jours de janvier 2000 aux 6 nouvelles entres
de la loi du 4 mars 2004.
2. V. F. Bocquillon, Que reste-t-il du principe de faveur ?, Dr. soc. 2001, 255. Pour un
exemple de drogation, v. lart. L. 5125-1 C. trav. (instaur par la loi du 14 juin 2013),
269
curit des textes, la difficile articulation des sources de droit, lusage grandissant
de rgles issues du seul milieu professionnel (guides, recommandations, normes
techniques) contribuent un sentiment dinscurit. La place centrale du juge,
la rfrence croissante aux conventions internationales assorties dun contrle de
conventionalit sont autant de facteurs dinstabilit du droit 1.
177. Une lgislation considre comme illisible Si lon tente de dtailler
les maux dont souffre le droit du travail, on est immdiatement renvoy une
masse de rgles crites, que lon a pris lhabitude de mesurer, de peser voire de
soupeser, et dont on se plat souvent rappeler le caractre confus et complexe.
Un Code du travail de prs de 10 000 articles et dont on mesure lpaisseur
pour figurer latrophie normative 2 000 3 000 pages selon les ditions et
en dnoncer le caractre indigeste. Mme si comparaison nest pas raison ,
particulirement en droit du travail o lhistoire et la culture sociales sont souvent
diffrentes, lexemple suisse sert ici de mtre talon de la vertu 54 articles2 ! ,
l o notre droit crit serait affubl de la plupart des tares quune lgislation
peut souffrir. Cest un strotype3, mais il a la vie dure. Do le fait, pour le dire
rapidement, que la lgislation du travail atteint de tels niveaux de complexit,
de contradiction et de flou que la possibilit pour le justiciable de connatre ses
droits et devoirs est devenue dans certains cas purement chimrique 4. La recodification droit constant, sous cet aspect, na pu simplifier le droit5. Il faudrait
une loi, pense-t-on navement, pour simplifier dun coup de baguette lgislative.
Proposition de loi visant simplifier le Code du travail
afin que ses dispositions deviennent lisibles, applicables et comprhensibles
par les entreprises et notamment les plus petites
(Ass. nationale, 14e lgislature, n 628)
Montesquieu avait pour habitude de dire que les lois inutiles affaiblissent les lois
ncessaires . Cette citation est parfaitement applicable au Code du travail, tant sa
complexit empite sur son effectivit et sa perspicacit.
Quand on se place du ct du droit compar, ce constat ne fait que stendre. En
effet, la comparaison est peu flatteuse pour le pays du Code civil. Ainsi, le Code du
travail suisse ne compte que 54 articles, face aux 10 000 du Code du travail franais.
Quant nos voisins anglo-saxons, ceux-ci peuvent tre heureux de voir leur fiche
de paie simplifie au maximum, avec 4 lignes, tandis que les fiches de paie franaise
1. F. Favennec-Hry (dir.), La scurit juridique en droit du travail, LexisNexis, 2013, p. 2.
2. Il faut y ajouter des dispositions du Code suisse des obligations ainsi que la loi fdrale
sur le travail dans lindustrie, lartisanat et le commerce.
3. Outre les spcificits des tats fdraux, ce pdagogique exemple ne doit pas non plus
faire oublier le fait que dans nombre de pays, si le Code est effectivement nettement
moins volumineux car nentrant pas dans le moindre dtail, il ne faut pas oublier les
conventions collectives applicables elles aussi fort longues et/ou complexes.
4. Pour la loi, v. G. Auzero et E. Docks, Droit du travail, Dalloz, 29e d., 2015, n 47.
5. B. Teyssi, Sur la scurit juridique en droit du travail, Dr. soc. 2006, 703.
271
Dans cette recherche des causes de blocage, il faut galement voquer le rle
quune partie de la doctrine joue face aux innovations ncessaires pour lutter
contre les licenciements conomiques et linexorable monte du chmage, avec
une vision juridico-contentieuse traduisant une aversion au risque. En mettant
dabord en avant loccasion des lois nouvelles les problmes juridiques qui
pourraient se poser, voire les nids de contentieux futurs , elle trouble par
avance DRH ou dlgus chargs de mettre en place des accords dj socialement difficiles. Associe une posture de rsistance de la part de certains
syndicats conduisant parfois au dpt de bilan (v. Goodyear Amiens-Nord fin
2014), lchec des accords de maintien dans lemploi conditionns la signature daccords dentreprise majoritaires y trouve, au-del de leur complexit,
une partie de son explication. Or, avec 3,5 millions de chmeurs, mieux vaut
une flexibilit interne collectivement ngocie, quune flexibilit externe faite
de licenciements conomiques voire de PSE. O lon en appellera alors un
discours de responsabilit qui permette dinverser la tendance, et remette en
place le cercle vertueux de la scurit juridique.
Plus gnralement, et malgr lheureux revirement jurisprudentiel du
27 janvier 2015, la monte en puissance de la ngociation collective est encore
parfois regarde avec mfiance sinon dfiance. Sa progression loi aprs loi depuis
1982, afin de crer du consensus pour trouver des solutions adaptes, oblige
une volution de notre mode de pense.
Directeur gnral du Travail de 2002 2014, M. J.-D. Combrexelle, constatait en 2010 quil reste du chemin parcourir : En France, la ngociation, le
dialogue social ne relvent jamais de lvidence. Il faut, par exemple, dire au juge
quil est important de laisser une marge aux partenaires sociaux et que, sans faire
de laccord collectif une zone de non droit, cela suppose de sa part une dose de
self restraint ; au juriste que le droit de la ngociation nest pas un simple
exercice intellectuel raliser sur telle ou telle partie dun accord, mais quil
forme un tout et quil y a derrire des enjeux essentiels pour les salaris et les
entreprises ; au fonctionnaire que tout ne passe pas par la loi et le dcret, et que
le renvoi la ngociation peut tre un moyen dassurer une politique publique ;
aux partenaires sociaux enfin, que la ngociation est encore plus pertinente,
mme si elle est plus difficile, en priode de crise 1.
180. Fondamentalisation du droit du travail et incertitude sur les normes
applicables Dans le mme temps, la prolifration de normes dorigine internationale et europenne, jointe lessor des droits et liberts fondamentaux
valeur constitutionnelle dans lordre interne, a confr aux juges un pouvoir de
remise en cause de la loi dont limprvisibilit est la mesure de la mallabilit
de ces textes aux fondements et logiques souvent diffrents.
Larticulation de textes internationaux nombreux et souvent redondants devient elle-mme source de contentieux. Conventions de lOIT, Pacte
1. J.-D. Combrexelle, La carte et le territoire, Dr. soc. 2010, 543.
275
ce titre, la seule question de lapplicabilit directe des diffrents instruments internationaux est en soi une source dincertitudes et donc de contentieux.
Il en va ainsi du Pacte international relatif aux droits conomiques, sociaux et
culturels, dont la Chambre criminelle a pu reconnatre leffet direct de certaines
1. La distinction des droits et des principes est invoque dans le dbat sur lapplicabilit
directe de la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne (articles 51, paragraphe 1, et 52, paragraphe 5). V. les explications de lAvocat gnral Cruz Villallon dans
ses conclusions sur larrt C-176/12 du 15 janvier 2014.
276
applicable faute dapplication directe, dans le cadre dun litige entre particuliers,
de larticle 27 de la Charte des droits fondamentaux relatif au droit dinformation
et de consultation1.
La CJUE a ainsi rejet lanalyse dfendue par lAvocat gnral, M. Cruz Villallon,
selon lequel rien, dans larticle 51 1, de la Charte, ne permettait dexclure la
pertinence des droits fondamentaux pour les relations de droit priv (pt 32)2. Soluaudit article. Partant, larticle 27 de la charte ne saurait, en tant que tel, tre invoqu dans
un litige entre particuliers afin de conclure que la disposition nationale non conforme la
directive 2002/14 est carter. Cette constatation nest pas susceptible dtre infirme par
la combinaison de larticle 27 de la charte avec les dispositions de la directive 2002/14,
tant donn que, dans la mesure o ledit article ne se suffit pas lui-mme pour confrer
aux particuliers un droit invocable en tant que tel, il ne saurait en tre autrement dans le
cas dune combinaison de cet article avec les dispositions de ladite directive.
Toutefois, la partie lse par la non-conformit du droit national au droit de lUnion
pourrait se prvaloir de la jurisprudence issue de larrt du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C6/90 et C9/90, pour obtenir, le cas chant, rparation du dommage subi .
1. Soc., 9 juillet 2014, n 11-21609 : lapplication de larticle L. 1111-3 du Code du
travail, quoique incompatible avec le droit de lUnion, ne pouvait tre carte par le juge
judiciaire dans un litige entre particuliers au titre de larticle 27 de la Charte des droits
fondamentaux de lUnion europenne et des articles 2 et 3 1 de la Directive 2002/14/
CE du Parlement Europen et du Conseil du 11 mars 2002, et quil lui appartenait de
vrifier si leffectif de lentreprise permettait la dsignation dun reprsentant de section
syndicale en tenant compte des exclusions prvues par larticle L. 1111-3, le Tribunal
dinstance a viol le texte susvis . Comp. CJUE, gde ch., 19 janvier 2010, aff. C-555/07
Kckdeveci, qui admet leffet horizontal de larticle 21 de la Charte relatif au principe de
non-discrimination fond sur lge pour carter un texte interne contraire une directive
qui concrtise le principe de non-discrimination. Comp., en droit interne, avec Soc.,
17 mai 2011, Bull. civ. V, n 108.
2. Le sens de cette disposition, poursuit-il, est dintroduire, en premier lieu, la summa
divisio entre les droits et les principes . Il serait alors possible dinvoquer un principe
dans un litige entre particuliers, chaque fois que le dispositif n du TFUE ou dune charte
est concrtis par une directive, ce qui est le cas en lespce. La consquence devrait
tre quen pareil cas, la CJUE devrait consacrer lapplication directe du texte et laisser
inapplique une disposition nationale contraire au droit de lUnion. Ce qui a entran un
dbat en termes de scurit juridique : 78. Il convient dajouter une dernire prcision
importante. La solution propose ne doit pas se traduire par une situation dinscurit
juridique. Bien au contraire, cest la possibilit que le lgislateur dnature unilatralement
leffet des dispositions gnrales de la Charte qui pourrait provoquer une telle situation.
Le processus de concrtisation du contenu des principes fait partie dun premier cycle
de consolidation de la Charte et un tel processus se produit tout fait naturellement
durant les premires annes de la vie dune dclaration de droits dans un ordre constitutionnel. Avec le temps, ce contenu se consolidera et dlimitera la justiciabilit des
principes de la Charte, en indiquant tant aux pouvoirs publics quaux citoyens le type de
contrle que peuvent exercer les tribunaux, et dans quelles limites. Ce rsultat ne peut que
contribuer renforcer la scurit juridique quant lapplication dun instrument central
280
De mme, la Chambre sociale vise dans ses nombreux arrts censurant des
conventions collectives de branche crant des forfaits-jours pour les cadres autonomes, larticle 151 du Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne
se rfrant la Charte sociale europenne et la Charte communautaire des
droits sociaux fondamentaux des travailleurs, larticle L. 212-15-3 ancien du
Code du travail, dans sa rdaction applicable au litige, interprt la lumire
de larticle 17, paragraphes 1 et 4 de la directive 1993-104 CE du Conseil du
23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003-88
CE du Parlement europen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de larticle 31
de la Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne , pour noncer
que dabord le droit la sant et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles ; [] ensuite, quil rsulte des articles susviss des directives de
lUnion europenne que les tats membres ne peuvent droger aux dispositions
relatives la dure du temps de travail que dans le respect des principes gnraux
de la protection de la scurit et de la sant du travailleur ; [] enfin, que toute
convention de forfait en jours doit tre prvue par un accord collectif dont les
stipulations assurent la garantie du respect des dures maximales de travail ainsi
que des repos, journaliers et hebdomadaires 1.
Les visas illustrent ainsi, comme par dcalque, la fondamentalisation en
quelque sorte dbride, de la matire :
Vu lalina 11 du Prambule de la Constitution du 27 octobre 1946,
larticle 151 du Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne se
rfrant la Charte sociale europenne et la Charte communautaire
des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, larticle L. 3121-45
du code du travail, dans sa rdaction antrieure la loi n 2008-789
du droit de fonder des syndicats et de saffilier des syndicats, pour la dfense de ses
intrts, nonc larticle 11 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de
lhomme et des liberts fondamentales, les tats demeurent libres de rserver ce droit
aux syndicats reprsentatifs, ce que ne prohibent ni les articles 5 et 6 de la Charte
sociale europenne ni larticle 28 de la Charte des droits fondamentaux de lUnion
europenne, ni les conventions n 98 et 135 de lOIT ; que le fait pour les salaris,
loccasion des lections professionnelles, de participer la dtermination des syndicats
aptes les reprsenter dans les ngociations collectives na pas pour effet daffaiblir les
reprsentants syndicaux au profit des reprsentants lus, chacun conservant les attributions qui lui sont propres ;
Attendu, ensuite, que lobligation faite aux syndicats reprsentatifs de choisir, en priorit,
le dlgu syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix ne heurte
aucune prrogative inhrente la libert syndicale et que, tendant assurer la dtermination par les salaris eux-mmes des personnes les plus aptes dfendre leurs intrts
dans lentreprise et conduire les ngociations pour leur compte, elle ne constitue pas
une ingrence arbitraire dans le fonctionnement syndical ;
Quen statuant comme il a fait, le tribunal a viol les textes susviss .
1. Soc., 31 janvier 2012, n 10-19807. V. infra, sur la question des forfaits en jours.
282
composent la matire : les Conseils de prudhommes pour les litiges individuels du travail, les Tribunaux de grande instance pour les relations collectives
du travail et les actions en annulation ou en interprtation des accords collectifs (sur lesquels peuvent se prononcer les Conseils de prudhommes par voie
dexception), les Tribunaux dinstance pour les litiges lis la dsignation des
reprsentants syndicaux et les lections professionnelles, les juridictions administratives notamment en cas de licenciement de salaris protgs1 ou, depuis la
loi du 14 juin 2013, pour les plans de sauvegarde de lemploi. Les questions se
croisent2. En ajoutant les juridictions pnales et le Tribunal de commerce, on aura
compris quaux risques de conflits de comptences sajoutent des risques de
conflits dinterprtation de mmes textes. Linscurit juridique se double alors
de dlais draisonnables3, lclatement du contentieux faisant galement obstacle
la spcialisation des juges4.
183. Instrumentalisation du contentieux social et accroissement de la
litigiosit Nul nignore que le droit du travail est aussi un droit de rapport de
forces, entre des protagonistes la fois organiss et actifs. Dans cette lutte pour un
droit qui rende compte des aspirations de chacun, la loi et a fortiori la convention
collective ne sont pas les seuls terrains daction. Le contentieux est galement
propice la lutte des acteurs du droit social et donc des stratgies et tactiques
permettant de faire advenir les solutions recherches selon les intrts en jeu, sans
doute plus que dans tout autre secteur professionnel. Le recours au contentieux
peut tre, de la part des organisations syndicales, une manire de prolonger
1. V. L. Pcaut-Rivolier, Le paradoxe dun contentieux clat, in Treize paradoxes en
droit du travail, Lamy, 2012, p. 383 s. ; A. Lacabarats, La jurisprudence en droit social,
BICC, 15 septembre 2013, 5, spc. 7. Lclatement nest videmment pas la seule cause
de retard : v. lanalyse dE. Serverin, Le procs des dlais de procdure prudhomale,
RDT 2012, 471.
2. D. Marshall, Les juridictions du XXIe sicle Une institution qui, en amliorant qualit
et proximit, sadapte lattente des citoyens, et aux mtiers de la justice, Ministre de la
justice, dcembre 2013 (ci-aprs, Rapport Marshall ), p. 49.
3. V. affaire Delgago c/ France, CEDH, 3e sect. 14 nov. 2000, n 38437/97. Une salarie
dlgue au CHSCT avait fait lobjet, pour le mme contrat de travail, de deux licenciements et deux rintgrations tardives avant dtre licencie dfinitivement. Comme on la
soulign (J.-P. Margunaud et J. Mouly, Le respect du dlai raisonnable : une exigence
renforce par la Cour europenne des droits de lhomme dans les litiges du travail,
D. 2001, 2787), ses demandes en rintgration et rappel de salaires stait longuement
enlises en raison du chass-crois entre les juridictions judiciaires et les juridictions
administratives . Lune des procdures avait dur pas moins de quinze ans ! Cela avait
conduit la CEDH condamner la France pour violation du dlai raisonnable garanti par
larticle 61 de la Convention europenne des droits de lhomme. Ces condamnations
sont, on le sait, nombreuses et coteuses.
4. En ce sens, Rapport Lacabarats, Lavenir des juridictions du travail : vers un tribunal
prudhomal du XXIe sicle, Ministre de la justice, juillet 2014, (ci-aprs, Rapport Lacabarats ), p. 52.
285
qui a cr, en 1976, le secteur Liberts, Droit et Action Juridique , pour une
conception offensive de lactivit juridique ayant sa juste place dans laction
syndicale .
Les stratgies juridictionnelles ont donc dabord t le fait de syndicats de
salaris, estimant avant lalternance de 1981 quen labsence de relai politique tant
du ct du lgislateur que du pouvoir excutif, seule la Justice, o le Syndicat de
la Magistrature tait alors trs actif, pouvait faire avancer leur cause.
Exploitant le rle crateur du juge, les syndicats de salaris ont longtemps us
de tactiques judiciaires, voire de stratgies collectives et concertes pour tenter
dobtenir une volution positive du droit du travail, qui avance coups
darrts.
Tactiques et stratgies judiciaires
Choisir son juge Cest en quelque sorte la prcaution lmentaire, ou du moins
premire. On suppose que certains juges ou certaines juridictions sont plus favorables
que dautres certaines prtentions, et plus sensibles certains protagonistes. La direction
des entreprises publiques prfre ainsi plaider devant la juridiction administrative le
statut plutt que devant un juge judiciaire la sanction individuelle Nest-ce pas
naturel ? La Chambre sociale tant considre comme peu favorable aux salaris avant
1988, la Chambre criminelle a alors fait lobjet de toutes les attentions de la CGT
et de la CFDT, non sans succs ainsi de la cration dun statut exceptionnel et
exorbitant du droit commun des reprsentants du personnel, qui leur a permis de
quitter le terrain contractuel et par exemple dchapper la rsolution judiciaire , et
efficacit lautorit de la chose juge au criminel permettant dexporter les solutions
dans le contentieux prudhomal.
Le choix est aussi gographique. En matire de conflit dans les transports ariens,
nombre de TGI de la rgion parisienne ont t successivement saisis, les syndicats
dfendeurs changeant rgulirement la domiciliation de leur sige social dans lespoir
de trouver un juge plus comprhensif . Plus probant encore, dans lexplosive affaire
du CNE, le Conseil des prudhommes de Longjumeau fut le fer de lance de loffensive
syndicale. Concidence ? Son prsident tait alors non pas un militant CGT ou FO
mais un employeur issu de lconomie sociale : videmment excellent en termes de
communication.
Mdiatiser son procs : le procs-phare La tactique est connue : le demandeur
choisit une affaire symbolique pour initier les contentieux et la met en pleine lumire
mdiatique. Le procs se droule alors hors les murs et lobjectif est dattirer au
maximum lattention dans notre monde de la rputation. Ainsi, pour les syndicats
de salaris, il sagira de mettre en exergue des affaires, supposes rvlatrices, de
discrimination de militants, a fortiori touchant des licenciements de dlgus.
Ct employeur, on prfrera un litige portant sur lexercice du pouvoir par
exemple, une rintgration force suite lannulation judiciaire dun licenciement
(art. L. 1132-1). On choisira dans tous les cas une affaire vise pdagogique et
surtout forte lgitimit sociale, puisquil faut pouvoir y associer les mdias et
lopinion publique.
287
largement diffuse et encense. Si le jugement est inspir par lquit ou mal motiv,
daviss commentateurs sauront proposer une motivation plus solide, condition
essentielle sa reprise par dautres juridictions. Puis, ce jugement souvent unique
deviendra procs-phare et bnficiera dun suivi
185. Contentieux social et volution des sources du droit du travail : lincertitude et linadaptation des solutions jurisprudentielles Dans le mme
temps, linterventionnisme du juge affecte aussi les accords collectifs, tout se
passant comme si, en diffrentes hypothses, il avait la tentation de se substituer
aux partenaires sociaux. La dcision Pain et ses suites, dont il sera question plus
loin, montrent ainsi comment la jurisprudence a pu, un temps au moins mais
un temps important (six ans), ne pas percevoir le sens de lvolution du droit
du travail au risque de dstabiliser lentreprise et les partenaires sociaux.
Le contrle de fond, extrmement intrusif, opr par la jurisprudence sur les
avantages catgoriels conventionnels, au nom dun principe gnral invent par
la Chambre sociale lgalit de traitement ( ne pas confondre avec la discrimination, ncessairement pourchasse) en porte la marque.
Il nest pas exagr de penser que les volutions du droit du travail et prcisment le reflux de la loi au profit des partenaires sociaux, qui sest opr
progressivement depuis 1982, nont pour partie pas t comprises ou du
moins admises par la jurisprudence.
procder des arbitrages conomiques un autre niveau que celui de lensemble de
lactivit de lentreprise ;
20. Considrant, dautre part, que les dispositions contestes imposent lentreprise qui
envisage de fermer un tablissement daccepter une offre de reprise srieuse ; que si le
lgislateur prcise que ce caractre srieux des offres de reprise sapprcie notamment
au regard de la capacit de leur auteur garantir la prennit de lactivit et de lemploi
de ltablissement, ces dispositions confient au tribunal de commerce saisi dans les
conditions prvues larticle L. 771-1 le pouvoir dapprcier ce caractre srieux ; que les
dispositions contestes permettent galement un tribunal de commerce de juger quune
entreprise a refus sans motif lgitime une offre de reprise srieuse et de prononcer une
pnalit pouvant atteindre vingt fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprim ; que les dispositions contestes conduisent
ainsi le juge substituer son apprciation celle du chef dune entreprise, qui nest pas
en difficult, pour des choix conomiques relatifs la conduite et au dveloppement de
cette entreprise ;
21. Considrant que lobligation daccepter une offre de reprise srieuse en labsence
de motif lgitime et la comptence confie la juridiction commerciale pour rprimer
la violation de cette obligation font peser sur les choix conomiques de lentreprise,
notamment relatifs lalination de certains biens, et sur sa gestion des contraintes qui
portent tant au droit de proprit qu la libert dentreprendre une atteinte manifestement disproportionne au regard de lobjectif poursuivi ; que, par suite, les dispositions
des 2 et 3 de larticle L. 772-2 du code de commerce doivent tre dclares contraires
la Constitution ; quil en va de mme, par voie de consquence, des mots ou quelle
a refus une offre de reprise srieuse sans motif lgitime de refus figurant au premier
alina de larticle L. 773-1 du mme code et des mots : ou quelle a refus une offre
de reprise juge srieuse en application du 2 du mme article en labsence dun motif
lgitime de refus de cession au titre du 3 dudit article figurant larticle L. 773-2
du mme code .
290
garanti dans les services de transports terrestres (loi du 21 aot 2007), la gestion
prvisionnelle des emplois et des comptences (lois du 26 juillet 2005 et du 21 aot
2013), lgalit hommes/femmes en entreprise (loi du 26 octobre 2012), le contrat de
gnration (loi du 3 mars 2013), la formation professionnelle (loi du 5 mars 2014),
les accords de maintien dans lemploi (loi du 5 mars 2014), les Plans de Sauvegarde
de lEmploi PSE (loi du 5 mars 2014).
Le juge lui-mme a accompagn ce mouvement. Dans une dcision du 29 dcembre
20041, le Conseil constitutionnel a jug quil tait loisible au lgislateur aprs avoir
dfini les droits et obligations touchant aux conditions et relations du travail de
laisser aux employeurs et aux salaris ou leurs organisations reprsentatives le soin
de prciser notamment par la voie de la ngociation collective les modalits concrtes
dapplication des normes quil dicte 2. Plus largement, le Conseil constitutionnel
fait une application exigeante du 8e alina du Prambule de la Constitution de 1946
aux termes duquel tout travailleur participe par lintermdiaire de ses dlgus
la dtermination collective des conditions de travail 3. Mme au niveau de lUnion
europenne, la ngociation collective a t reconnue comme un droit fondamental
par la CJUE4.
Lvolution de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est, de
ce point de vue, particulirement intressante. Dans un premier temps, il a sembl
que le juge judiciaire simmisait, sur le fondement des principes gnraux du droit
et notamment du principe dgalit, dans la marge dapprciation volontairement
laisse aux partenaires sociaux par le lgislateur5. Dans un second temps, en mme
temps que la Cour de cassation confortait par sa jurisprudence la rforme de la
reprsentativit syndicale, elle reconnaissait la spcificit de lacte ngoci par rapport
lacte unilatral6, volution confirme avec larrt du 27 janvier 20157.
1. Cons. const., 29 dcembre 2004, n 2004-494 DC.
2. O. Dutheillet de Lamothe, Les normes constitutionnelles en matire sociale, Nouv.
cah. Cons. const. octobre 2010, n 29.
3. Cons. const., 7 octobre 2010, n 2010-42 QPC ; 11 avril 2014, n 2014-388 QPC.
4. CJUE, 8 septembre 2011, aff. n C297/10, Hennigs.
5. Soc., 1er juillet 2009, Pain, Semaine sociale Lamy 2009, n 1414.
6. Soc., 8 juin 2014, Novartis-Pharma. V. Y. Struillou, La place de la ngociation collective dans la hirarchie des normes, Semaine sociale Lamy, 15 octobre 2012, n 1555 ;
P. Bailly, Avantages catgoriels de prvoyance, Liaisons sociales quotidien du 15 mai
2013. Il reste toutefois une difficult tenant la prminence jurisprudentielle du contrat
de travail sur laccord collectif (Soc., 28 septembre 2010, F. Favennec-Hry, Une mort
annonce des accords collectifs dannualisation du temps de travail, Semaine sociale Lamy
2010, n 1464 et la raction lgislative qua suscite cette jurisprudence par larticle 45
de la loi du 22 mars 2012).
7. Soc., 27 janvier 2015, n 13-22179. Le communiqu de presse de la dcision nonce
que dans le domaine du droit ngoci, lexprience a montr que cette exigence de
justification se heurtait des difficults tenant notamment au fait quelle pesait le plus
souvent sur un employeur pris individuellement alors qutait en cause une convention
ou un accord conclus au plan national. Indpendamment de ces difficults, il pouvait tre
soutenu que les ngociateurs sociaux, agissant par dlgation de la loi, devaient disposer
292
Devant cette volution1 donnant une place sans cesse plus large la ngociation
collective, la question qui se posait tait de savoir si les organisations en charge de la
ngociation et de la signature de ces accords collectifs faisaient lobjet dun processus
de dsignation garantissant leur lgitimit.
Cest sans doute ce qui explique que, de manire plus gnrale, le contentieux
social soit souvent dnonc comme tant inadapt au monde du travail.
Tendue vers un objectif certes louable de protection des salaris, la Chambre
sociale adopte en effet parfois des positions trs dogmatiques qui menacent en
pratique des difices conventionnels patiemment construits par les partenaires
sociaux. Les initiatives prtoriennes ont des cots sociaux.
Le contentieux des forfaits en jours illustre ainsi la manire dont la jurisprudence de la Chambre sociale peut annihiler le travail des partenaires sociaux, et
dstabiliser des secteurs entiers de lconomie.
Le contentieux des forfaits en jours
Par la loi du 19 janvier 2000 dite des 35 h le lgislateur a mis en place des
conventions de forfaits en jours, et sur lanne pour les cadres autonomes, dont le
calcul du temps de travail la minute prs est impossible, a fortiori avec lirruption
des portables (art. L. 3121-43 et suivants du Code du travail). De tels forfaits,
dans la mise en uvre du principe dgalit de traitement dune marge dapprciation
comparable celle que le Conseil constitutionnel reconnat au lgislateur. Aussi par
plusieurs arrts du 27 janvier 2015, la chambre sociale a modifi sa position en jugeant
que les diffrences de traitement entre catgories professionnelles opres par voie de
conventions ou daccords collectifs, ngocis et signs par des organisations syndicales
reprsentatives, investies de la dfense des droits et intrts des salaris et lhabilitation
desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont prsumes justifies
de sorte quil appartient celui qui les conteste de dmontrer quelles sont trangres
toute considration de nature professionnelle. Le principe dgalit de traitement reste
donc applicable aux conventions et accords collectifs de travail, mais les diffrences de
traitement entre catgories professionnelles, tout le moins entre les catgories qui ont
un support lgal et entre lesquelles le lgislateur lui-mme opre des diffrences, sont
prsumes justifies. La charge de la preuve est donc inverse. Cest celui qui conteste
le bien-fond des diffrences de traitement de dmontrer quelles sont trangres toute
considration de nature professionnelle .
1. Cette volution au bnfice dun largissement du champ de la ngociation collective et du rle des partenaires sociaux nest toutefois pas consensuelle. Une partie de la
doctrine salue cette volution et demande au juge de laccompagner (J.-E. Ray, Droit du
travail, droit vivant, Liaisons sociales, 2014, voir not. n 1245 sur lvolution du dialogue
social en France). Une autre partie de la doctrine la conteste en y voyant une forme de
no-corporatisme (v. A. Lyon-Caen, Edito, Dr. soc. mai 2013), certains allant jusqu
dnoncer la loyaut des oprations de mise en uvre de la rforme de la reprsentativit
syndicale (D. Boulmier, La loi du 20 aot 2008 et la reprsentativit arithmtique
trange et autres singularits, JCP S n 21, 27 mai 2014).
293
1. Y. Barou, Le forfait en jours a trouv sa place, Semaine sociale Lamy 2011, n 1500.
2. T. Vallat, Attaques en rgle contre le forfait-jours : rsistera-t-il au temps qui passe ?,
Cahiers Lamy du CE 2014, n 138 ; J.-P. Bouchet, secrtaire gnral de la CDFT-Cadres,
n spc. Dr. soc. fvrier 2015, Droit du travail et qualit de vie au travail : Le Forfait
jours ou lhistoire de plusieurs drives.
3. Rsolution du 23 juin 2010, RDT 2011, 233 note J.-F. Akandji-Komb ; 298 note
S. Laulom.
4. Soc., 29 juin 2011, n 09-71.107, Gaz. Pal. 2011, n 244, 11, note D. Baugard,
RDT 2011, 481, note M.-F. Mazars et C. Dejours, JCP G 2011, n 37, 970, note N.
Billon et Z. Baki ; Semain sociale Lamy 2011, n 304, note M. Hautefort ; n 1499,
note M.-F. Mazars et Ph. Flores.
5. Soc., 17 dcembre 2014, n 13-22890.
294
dfaut, ces conventions sont prives deffet, avec des consquences considrables
pour les entreprises, puisque lon retourne alors lexigence des 35 heures. Car une
fois ces forfaits annuls, reste lemployeur prouver que le cadre concern a bien
travaill 35 h par semaine ! Preuve par labsurde (puisque ce nest videmment pas
la ralit) donc impossible rapporter et qui condamne mcaniquement lemployeur
au paiement dheures supplmentaires, majorations, cotisations sociales, etc sur
les 5 dernires annes (3 ans aujourdhui) sans dfense possible 1. quoi il faut
ajouter dventuelles mais lourdes sanctions pnales en rpression du dlit de travail
dissimul2.
Le risque nest malheureusement pas rest thorique. L o lon pouvait esprer une
application mesure du principe dgag par larrt du 29 juin 2011, la Cour de
cassation a au contraire men une politique dasphyxie des conventions de forfaits en
jours, dstabilisant dimportants secteurs dactivit. Ont ainsi t remises en cause les
conventions de forfaits en jours conclues en application de la convention collective
nationale des industries chimiques3, du commerce de gros4, de la convention Syntec5,
des cabinets dexperts comptables6 et enfin du notariat7.
Linscurit juridique en la matire est depuis lors particulirement forte, puisqu
lexception de la convention nationale de la mtallurgie (faisant lobjet de larrt du
29 juin 2011) et de celle des Banques fin 2014, toutes les clauses conventionnelles
concernant les forfaits en jours soumises la Chambre sociale ont t invalides. Ni
la stipulation de laccord collectif prcisant que le contrat de travail devait laisser
aux salaris concerns la libert dans lorganisation dune partie de leur temps de
travail8, ni lexistence de mcanismes permettant aux salaris dorganiser leurs actions
pour tenir compte des limites journalires et hebdomadaires9, ni lexistence dun suivi
trimestriel, ft-il la charge de lemployeur10 nont t juges de nature sauver les
forfaits jours. La Cour de cassation affirme que les conventions peuvent tre valables,
mais ne prcise pas les lments que doit comporter laccord collectif pour chapper
la remise en cause. Il convient de noter toutefois que dans son arrt du 17 dcembre
201411, la Chambre sociale a admis la validit des forfaits jours conclus en application
de la convention collective des banques, prcisant que les conventions de forfaits
doivent imposer le respect dune dure maximale raisonnable de travail journalire
1. L. Renard, Annulation des forfaits-jours : la fin des RTT pour les cadres ?, Les Echos,
22 juil. 2013.
2. T. Vallat, prc.
3. Soc., 31 janvier 2012, n 10-19.807, JCP S 2012, n 12, 1120, comm. M. Morand.
4. Soc., 26 septembre 2012, n 11-14.540, JCP S 2012, n 44, 1461, comm. D. Blanc,
Semaine sociale Lamy 2012, n 1558, note D. Chenu.
5. Soc., 24 avril 2013, n 11-28.398, D. 2013, 1768, chron. Ph. Flores.
6. Soc., 14 mai 2014, n 12-35.033, JCP E 2014, n 40, 1495, comm. G. Vachet.
7. Soc., 13 nov. 2014, n 13-14.206.
8. Soc., 17 dcembre 2014, n 13-23230.
9. Soc., 11 juin 2014, n 11-20985.
10. Soc., 26 septembre 2012 n 11-14540.
11. Soc., 17 dcembre 2014, n 13-22890.
295
Aussi, dfaut danticipation des effets de ces solutions, les acteurs conomiques vont subir les consquences de la jurisprudence litigieuse. Avec les
consquences lies au caractre rtroactif des revirements de jurisprudence, qui
nest pas propre la matire sociale, mais dont lamplification est vidente dans
ce domaine o les conventions collectives peuvent sappliquer des centaines de
milliers de salaris.
Les affres du principe travail gal, salaire gal et la saga jurisprudentielle
initie par larrt Pain et ses suites illustrent ainsi les mfaits considrables dune
jurisprudence qui ne prend pas la mesure des volutions luvre.
Discriminations, ingalits de traitement et incertitudes jurisprudentielles
Lgalit de traitement des salaris au sein des entreprises est au centre des proccupations
du lgislateur contemporain. Problme : en droit communautaire comme dans le Code
du travail, le principe vise en ralit les seules discriminations illgales, car portant
atteinte au pacte rpublicain et lnumration de larticle L. 1132-1. Ainsi larticle
L. 2261-22 dispose que les conventions de branche doivent comporter des clauses
relatives lgalit de traitement pour tre tendues, larticle L. 2271-1 assigne la
Commission nationale de la ngociation collective le suivi de lapplication du principe
travail gal, salaire gal , et larticle L. 3221-2 dispose que tout employeur assure,
pour un mme travail ou pour un travail de valeur gale, lgalit de rmunration
entre les femmes et les hommes . De cette confusion smantique est ne une grave
drive jurisprudentielle.
Car la Cour de cassation a induit de ces dispositions lexistence dune rgle gnrale
travail gal, salaire gal quelle a peu peu dote de la porte la plus large possible.
Ainsi, dans un arrt Ponsolle4, la Cour de cassation a confr une valeur normative
1. L. Renard, prc.
2. D. Blanc, prc.
3. V. par ex. Convention nationale Syntec, modifie par un avenant du 1er avril 2014.
4. Soc., 29 oct. 1996, GADT, Dalloz, 4e d., 2008, n 71 ; D. 1998, 259, note
M.-T. Lanquetin ; Dr. Soc. 1996, 1013, note A. Lyon-Caen, LPA 22 novembre 1996,
note G. Picca.
296
la pertinence , pour en dduire que le statut de cadre ne justifie pas lui seul loctroi
de congs supplmentaires ou davantages financiers1.
Que la diffrence de traitement trouve sa source dans une dcision unilatrale de
lemployeur ou dans une convention ou un accord collectif, la solution jurisprudentielle
sappliquait lidentique. Lapprciation jurisprudentielle du principe travail gal,
salaire gal allait ainsi lencontre du fondement du droit du travail (lgalit collective
travers la ngociation du mme nom vs le pouvoir unilatral de lemployeur) et des
pratiques les plus tablies des partenaires sociaux, faisant craindre la remise en cause des
conventions collectives accordant de multiples avantages aux cadres du seul fait de ce statut,
alors mme que la distinction cadres/non-cadres avait toujours t perue comme un
lment structurant du tissu conventionnel franais. Lensemble de ldifice conventionnel
minutieusement tabli au fil des ans, et tous les niveaux (interprofessionnel, branche,
entreprise, tablissement) menaait de scrouler par leffet dune formule lapidaire de
la Cour de cassation. Comme la bien rsum M. G. Couturier, avec larrt Pain, on
atteignait le degr zro de la libert contractuelle : que le juge de laccord collectif ait
dire si la rpartition des avantages conventionnels est conforme la justice distributive,
cest un peu comme si le juge du contrat avait dire si les obligations contractuelles sont
suffisamment quilibres au regard de la justice commutative .
Certes, les rgimes de retraite complmentaire ARRCO et AGIRC2 comme la
prvoyance3 ont par la suite t sortis du champ du principe dgalit de traitement
au prix dattendus alambiqus (la diffrence de traitement tant suppose trouver sa
cause dans la diversit et lautonomie des rgimes de retraite complmentaire relevant
dorganismes distincts et lvolution de la norme juridique applicable , ou encore dans
les particularits des rgimes de prvoyance ). Mais le principe pos par larrt Pain
demeurait, continuant son uvre de dstabilisation.
Une volution pouvait tre espre depuis que le doyen de la Chambre sociale, P. Bailly,
avait, dans sa synthse sur lgalit dans les relations individuelles de travail , pris
la mesure du problme en sinterrogeant sur le point de savoir si cet instrument
de protection et de mesure [devait] tre appliqu avec la mme intensit lorsque la
diffrence de traitement trouve son origine dans un accord collectif, compte tenu de
limportance que prend actuellement la ngociation collective dans la construction
du droit du travail ? 4.
Suite cette prise de conscience tardive des effets nfastes de la jurisprudence Pain
le communiqu accompagnant les dcisions du 27 janvier 2015 souligne dailleurs
que dans le domaine du droit ngoci, lexprience a montr que cette exigence
de justification se heurtait des difficults tenant notamment au fait quelle pesait
le plus souvent sur un employeur pris individuellement alors qutait en cause une
convention ou un accord conclus au plan national la Chambre sociale vient
1. Soc., 1er juil. 2009, n 07-42675, JSL 2009, n 260, note M. Hautefort ; Dr. soc.
2009, 1002, obs. C. Rad ; JCP E 2009, 2198, note T. Aubert-Monpeyssen, confirm
par Soc., 8 juin 2011, n 10-14725, Bull. n 155 et n 10-11.933, Bull. n 143.
2. Soc., 11 janvier 2012, Bull. civ. V, n 13.
3. Soc., 13 mars 2013, n 10-28022.
4. P. Bailly, Synthse, RJS 2014, 299.
298
et pertinente justifie une ingalit salariale, sont tenus selon la jurisprudence daligner
par le haut tous les salaires.
Ces incertitudes entourant la mise en uvre du principe travail gal, salaire
gal illustrent parfaitement linscurit juridique qui affecte le droit du travail.
Poursuivant un objectif louable viter toute ingalit de traitement entre salaris
placs dans une situation identique , la Chambre sociale na pas su laborer des
directives dinterprtation prvisibles, laissant place une jurisprudence casuistique,
et longtemps contre-courant des pratiques ngocies tablies de longue date par les
partenaires sociaux qui le lgislateur a confi ce rle comme le remarque la Cour
elle-mme1. Elle a alors abouti, en exposant les entreprises, mme de bonne foi, des
rvisions salariales quelles ne sont pas forcment en mesure de supporter, porter
atteinte leur comptitivit conomique.
Aprs avoir mis en moi les partenaires sociaux et les acteurs de lentreprise
pendant prs de six ans, la Chambre sociale vient donc de revenir plus dorthodoxie en posant le principe dune prsomption de conformit au principe
dgalit des diffrences de traitement entre catgories professionnelles prvues
par un accord collectif, qui ne peut tre renverse quen apportant la preuve
que cette diffrence de traitement est trangre toute considration de nature
professionnelle2. Il apparat ainsi que la Chambre sociale ne reste pas toujours
insensible aux critiques qui lui sont adresses. Confronte aux effets pervers de
ses solutions, elle peut donc faire voluer sa jurisprudence. La tendance actuelle,
en bien des points, marque dailleurs une prise de conscience et une volont de
faire voluer des solutions largement critiques en termes de scurit juridique
et donc dattractivit conomique.
186. Inefficacit de la justice prudhomale et dfiance dans la justice
sociale Aprs Pierre Laroque il y a soixante ans3, puis M. A. Supiot traitant
il y a plus de vingt ans de Limpossible rforme des juridictions sociales 4, les
juridictions du droit du travail font aujourdhui lobjet de toutes les attentions5.
18 millions de salaris, couverts par le droit du travail, ont vocation tre jugs
par les 14 500 conseillers prudhomaux paritairement lus (mais dsigns par les
1. Les diffrences de traitement entre catgories professionnelles opres par accords
collectifs, ngocis et signs par des syndicats reprsentatifs, investis de la dfense des
droits et des intrts des salaris et lhabilitation desquels ces derniers participent
directement par leur vote, sont prsumes justifies au regard du principe dgalit de
traitement.
2. Soc., 27 janvier 2015, n 13-22.179.
3. P. Laroque, Contentieux social et juridictions sociales, Dr. soc. 1954, 271.
4. A. Supiot, Limpossible rforme des juridictions sociales, Revue franaise des affaires
sociales 1992, 97.
5. Rapport Lacabarats, prc. ; Rapport Marshall, prc. V. galement lanalyse de la Direction Gnrale du Trsor, Trsor-Eco n 137 sur le traitement des litiges en droit du travail,
octobre 2014 : v. http://www.tresor.economie.gouv.fr/10299_tresor-eco-n-137-le-traitement-des-litiges-en-droit-du-travail-constats-et-perspectives-economiques.
300
XXIe
sicle
CPH
TI
TGI
TGI,
en droit du travail
5,2 mois
7,6 mois
11,7 mois
13,9 mois
64,5 %
5,9 %
18,3 %
16 %
Taux de confirmation
totale en appel
28,3 %
46,4 %
46 %
52,3 %
Taux dinfirmation
partielle en appel
50,5 %
29,5 %
34,1 %
26,7 %
21,2 %
24,1 %
19,9 %
21 %
* Ce tableau ne porte que sur les affaires faisant lobjet dun jugement sur le fond,
cest--dire autres que les dsistements, radiations, etc.
92 %, cest un contentieux de la rupture et plus prcisment du licenciement (le contentieux de la rupture constituait 50 % du contentieux en 1990).
90 % des parties sont reprsentes, ou assistes par un dfenseur syndical
(mais de moins en moins) devant le bureau de jugement, et 98 % lors dun
dpartage. Face des juges non professionnels, 82 % des demandeurs font
appel un avocat (pourtant non obligatoire).
Depuis lanne 2000, les dlais moyens de jugement ont augment de
6,3 mois.
Le taux de conciliation baisse rgulirement1 : en moyenne nationale,
8,8 % en 2000, 5,8 % en 2012, 5,5 % en 2013 : donc 94,5 % sans conciliation,
avec de trs fort carts (5 % Paris, 35 % Toulouse). Ce qui nest l encore
gure tonnant vu le degr de complexit atteint par le droit du travail. Sans
oublier un taux de dsistement pouvant faire penser une conciliation ou une
transaction extra-judiciaires2.
En cas de partage des voix (21 % des cas en moyenne nationale ; mais
de 1 % Cherbourg et 3 % Aix-les-Bains, 43 % Bobigny voire 62 %
Calais), il est fait appel au juge dpartiteur, magistrat professionnel juge au tribunal dinstance. Mais le dlai moyen du jugement au fond double presque,
passant alors de 15,9 29,7 mois en 2013 (contre 22,1 mois en 20043).
1. Rapport Lacabarats : Si la conciliation constitue toujours une mission essentielle du
Conseil des prudhommes, le dfaut de comparution des parties, labsence de volont
commune daccord, la complexit des affaires, et le nombre trop important de dossiers
fixs chaque audience au regard du temps que ncessiterait la recherche dun accord
amiable, empcheraient un exercice efficace de cette mission .
2. V. Ph. Clment, A. Jeammaud, E. Serverin et F. Vennin, Les rglements non-juridictionnels des litiges prudhomaux, Dr. soc. 1987, pp. 55-69. Voir aussi Rapport Lacabaratsn
prc., p. 66 : Lors des auditions auxquelles la mission a procd, il a t soutenu que
le taux de conciliation constat par les statistiques ne tiendrait pas compte dun certain
nombre daffaires pour lesquelles une solution amiable est dgage pendant le cours de la
procdure, solution laquelle la comparution devant le bureau de conciliation aurait pu
participer. Il apparat effectivement que devant les conseils de prudhommes, un grand
nombre de procdures sachvent sans quintervienne un jugement sur le fond (dsistements, radiations, etc.). Mais, un tel taux de fin de procdure sans jugement au fond
nest pas propre aux conseils de prudhommes et est constat devant dautres juridictions,
y compris dans des procdures dpourvues de pralable de conciliation .
3. Rapport Lacabarats, prc., p. 60 : Il est frappant de constater que des dlais excessifs
de jugement de dpartage peuvent saccompagner dun taux de dpartition particulirement important, suprieur la moyenne nationale (18 20 %). Cest ainsi qu Paris,
le taux de dpartage stablit environ 32 %, alors que le dlai moyen de traitement des
dossiers hors dpartage est dj de lordre de 15 mois et quune dpartition implique un
allongement des dlais de 15 mois galement. Bordeaux, le taux de dpartage est de
lordre de 24 % en moyenne, alors que le dlai de traitement des dossiers renvoys devant
le juge dpartiteur est de 16 18 mois . Id., p. 77 : Le recours, mme important,
au juge dpartiteur, nest pas en soi condamnable. En revanche, ce sont les raisons qui
303
Anne
Sociale
Commerciale
Premire
chambre civile
Criminelle
Taux de cassation :
sans renvoi
+ avec renvoi
2012
2013
35 + 4 :
39 %
27 + 2 :
29 %
26 + 5 :
31 %
16 + 4 :
20 %
46 + 5 :
51 %
27 + 1 :
26 %
30 + 3 :
33 %
15 + 2 :
16 %
Taux de rejet
Non
admission
Dure
moyenne
(en jours)
2012
2013
2012
2013
2012
2013
30 %
23 %
21 %
18 %
509
491
38,5 %
39 %
31 %
26 %
449
457
31 %
36 %
39 %
27 %
454
464
46 %
48 %
34 %
34 %
156
163
*
*
Cette lgitimit assure au texte de loi, comme aux dcrets et circulaires euxaussi troitement concerts avec les partenaires sociaux (signataires et non signataires), une meilleure stabilit qui le protge son tour de modifications en cas
dalternance.
Cette rgulation apaise peut enfin contribuer relancer la machine conomique. Un dialogue social moins rugueux est globalement mieux ressenti1, y
compris par les investisseurs trangers.
O. Dutheillet de Lamothe, Laccord collectif, une source constitutionnelle
du droit du travail
(Semaine sociale Lamy 2012, n 1533)
Du programme du Conseil national de la Rsistance au Prambule de la Constitution
de 1946, de la dcision du Conseil constitutionnel du 29 avril 2004 larrt de la Cour
de cassation du 29 juin 2011, la norme ngocie saffirme progressivement comme
une norme autonome en droit du travail.
Il faut sen fliciter car la norme ngocie prsente quatre atouts dcisifs par
rapport la norme unilatrale, quelle soit lgale ou rglementaire : parce quelle
mane des acteurs, mmes de lentreprise, elle est dabord mieux adapte la
ralit des entreprises : titre dexemple, les rgles dfinies par laccord national
interprofessionnel du 20 octobre 1986 sur lemploi rgissent toujours aujourdhui
les procdures de licenciement ; parce quelle mane des partenaires sociaux, elle
est souvent plus novatrice : on peut citer titre dexemples laccord national
interprofessionnel du 9 juillet 1970 sur la formation professionnelle, laccord du
11 janvier 2008 sur la modernisation du march du travail et la position commune
du 9 avril 2008 sur la reprsentativit, le dveloppement du dialogue social et le
financement du syndicalisme ; dans la mesure o les acteurs de la ngociation
sapproprient la norme quils dictent, elle est souvent mieux applique que la norme
lgale : un garagiste connat le plus souvent mal le Code du travail, en revanche, il
connat souvent bien, grce sa fdration professionnelle, la convention collective
de la rparation automobile ; enfin, et surtout, la norme ngocie est beaucoup
plus stable que la norme lgale qui, tant dans notre pays trs politise, change avec
chaque changement de majorit : alors que la lgislation relative aux CDD et aux
contrats de travail temporaires avait t modifie quatre fois en dix ans en 1979,
en 1982, en 1985 et en 1986 , laccord national interprofessionnel du 24 mars
1990 sur lemploi prcaire na pas t modifi, sauf sur deux points techniques,
depuis cette date. Cest un atout essentiel quand on sait que le principal reproche
fait par les investisseurs notre droit du travail est moins sa complexit, et mme
sa rigidit, que son instabilit et son imprvisibilit.
Sur le plan des relations collectives, cest encore une fois le consensus qui
est la meilleure source du droit du travail. Ainsi, sagissant des PSE, le principal succs de la loi de scurisation de lemploi tient au fait que, dans les deux
tiers des cas de licenciement collectif de plus de dix salaris dans une entreprise
de plus de 50 salaris, une ngociation sengage. Hors procdures collectives,
61 % des PSE font ainsi lobjet dun accord ncessairement majoritaire avec
les partenaires sociaux et sont donc simplement valids par la DIRECCTE.
Par voie de consquence, le taux de recours contentieux a considrablement
baiss : devant le juge administratif qui confirme dans deux cas sur trois, il est
aujourdhui de 5 % sagissant des PSE ngocis, contre 20 % 30 % auparavant
devant le juge judiciaire. Tout ce qui peut aller dans ce sens doit tre encourag
et dvelopp.
1. Supra, n 115.
312
En rduisant le cot daccs aux recours pour les parties, la rduction des dlais
est aussi susceptible dentraner une augmentation du nombre daffaires qui ne
seraient pas portes devant la justice prudhomale par crainte de dlais trop longs. La
contribution rcente de Fraisse, Kramarz et Prost (2015) suggre quune amlioration
de la procdure de conciliation observe Grenoble a pu accrotre le nombre de
recours. Ceci a de fait entran une augmentation globale des cots de licenciements
pour les entreprises.
ce titre, les rapports Marshall et surtout Lacabarats ont formul dintressantes propositions, de nature permettre dimportantes volutions. Reprises
par le projet de loi Macron, qui vise amliorer le fonctionnement de la
juridiction prudhomale en agissant sur la formation, la dontologie, la discipline, le contrle et le traitement du contentieux prudhomal, certaines de ces
propositions doivent tre approuves. La Commission considre toutefois que
diverses propositions mnagent trop les structures existantes et devraient, ce
titre, tre revues.
1. Supra, n 115.
313
194. Du point de vue du justiciable (un salari, plus de 98 %), tre face des
juges non professionnels, rpartis en section spcialises (Industrie , Commerce..),
travaillant souvent en entreprise et connaissant donc beaucoup mieux ses alas et
ses contraintes que les magistrats de formation, anciens lves de lENM1, est certes
peru comme un avantage, et tenu pour garant dune justice de proximit plus
accessible et davantage en phase avec les ralits du monde de lentreprise.
En outre, la critique de la justice prudhomale doit sans doute tre relativise, en prenant en compte les pitres conditions de travail des conseillers
prudhommes insuffisance de la documentation disponible y compris sur
la simple possibilit pour les juges de disposer dun Code du travail jour ,
absence daccs lintranet Justice, et la base Jurica pour la jurisprudence des
arrts dappel.
Mais ltat des lieux est aujourdhui si dsastreux quil nuit aux justiciables2 et
porte en lui une dfiance telle que lembauche comme lattractivit mme de la
France en subissent les effets.
Malgr des situations extrmement diversifies dun Conseil lautre, cest
bien la justice prudhomale qui est elle-mme en cause. Sans in fine prner sa
remise en cause, le Prsident Lacabarats voquait clairement la question de savoir
sil y a lieu de conserver cette forme de justice non professionnelle : tous les
acteurs de la justice prudhomale entendus lors de la prparation du rapport
souhaitent le maintien du systme paritaire, malgr son caractre isol en Europe.
Les opinions sont plus partages chez les magistrats professionnels. Le paradoxe
de la situation actuelle est que, avec les taux de dpartage et dappel dj
voqus, la majeure partie du contentieux prudhomal est en dfinitive traite par des juges professionnels 3.
Ainsi, selon le Rapport Lacabarats, le systme paritaire ne peut tre maintenu
que sil est clairement intgr par tous les acteurs que la juridiction prudhomale
est une juridiction judiciaire et que ses membres sont des juges part entire,
dont le seul objectif doit tre, comme cela a dj t soulign, de satisfaire aux
exigences de larticle 6 1 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme
et des liberts fondamentales : garantir au justiciable laccs un tribunal ind1. Si cette cole recrute certainement les meilleurs techniciens du droit, la technique
juridique quun magistrat doit videmment parfaitement matriser nest pas lalpha
et lomega de la fonction de juge. Sous cet aspect, les magistrats non professionnels
apparaissent souvent beaucoup plus en phase avec la vie quotidienne du justiciable. Aussi
les jeunes auditeurs de justice, dont les connaissances techniques sont incontestables,
auraient beaucoup gagner aller confronter leurs connaissances lpreuve de la vie
de lentreprise, et en particulier des PME.
2. E. Serverin, Le procs des dlais de procdure prudhomale, RDT 2012, 471.
3. Interview Semaine Sociale Lamy, 20 octobre 2014, 7.
314
Une magistrature professionnelle formation sociale, telle est sans grande discussion
possible la meilleure solution pour la constitution dune juridiction sociale autonome.
[]
Lon pourrait et devrait donc envisager la constitution dun cadre spcial de magistrats
sociaux se recrutant parmi de jeunes gens forms spcialement cette fin, et unissant
des connaissances juridiques solides, des connaissances thoriques des sciences sociales,
une exprience sociale acquise au cours des stages dans des entreprises et des services
sociaux. Ce cadre devrait, bien entendu, tre assez large pour offrir les perspectives dune
carrire normale. Il devrait tre compltement indpendant tant de la magistrature
judiciaire normale que de la magistrature administrative, sauf bien entendu pour la
premire formation du corps, et jouir des mmes garanties dindpendance que les
magistrats du sige.
Ce qui est peut-tre plus important encore cest que les juridictions sociales envisages,
composes de ces magistrats spcialiss, forment un ordre juridictionnel autonome,
avec des tribunaux locaux, des Cours rgionales et une Cour suprme, celles-ci se
situant au mme niveau que la Cour de Cassation dans lordre judiciaire ou le Conseil
dtat dans lordre administratif.
La participation automatique dun juge dpartiteur la formation de jugement viendrait tout simplement retirer une tape procdurale. Elle aurait galement lavantage de retirer la pression qui pse souvent sur le juge dpartiteur,
aprs que les conseillers se sont neutraliss.
Certes, cette solution est trs majoritairement rejete par les partenaires
sociaux et leurs conseillers craignant dtre ainsi privs du droit de statuer seuls,
au profit dun (jeune) magistrat loign des ralits conomiques et sociales1.
Si la mesure a un cot important en ce quelle repose sur lembauche dun
nombre important de magistrats, il faut compter avec les conomies faites sur le
budget aujourdhui consacr aux Conseils des prudhommes redploiement des
1 240 agents des greffes, et les 60 et 65 ETPT de juges dpartiteurs existants.
La solution prsenterait en outre lassurance de jugements mieux rdigs ce
qui devrait entraner une baisse des recours et un raccourcissement des dlais
lis la disparition du dpartage.
Le projet de loi Macron sapproche dun tel systme en prvoyant un
chevinage optionnel. Cest le cas lorsquil permet aux parties, en cas dchec
de la conciliation, de demander que laffaire soit renvoye devant la formation
prside par un juge professionnel, notamment lorsquelles considrent que leur
litige ncessite une analyse juridique plus approfondie ou encore en donnant le
pouvoir au bureau de conciliation et dorientation, mme doffice, de procder
au renvoi devant la formation de dpartage. De mme, si lune des parties le
demande et que le bureau de conciliation est partag, laffaire serait de plein droit
renvoye devant la formation de dpartage.
La Commission considre ces dernires propositions inutilement
complexes.
En premier lieu, parce quelles favorisent les calculs et stratgies procdurales, ce que reconnat dailleurs ltude dimpact : Des questions de stratgie
importantes peuvent guider les choix de lune ou lautre des parties : le dfendeur
peut avoir tout intrt ce que laffaire ne soit pas juge trop vite et refusera
le renvoi direct en dpartage. Le demandeur peut galement prfrer dabord
un renvoi en bureau de jugement pour accentuer la pression dans le cadre des
ngociations en cours avec son adversaire (p. 38).
En deuxime lieu, il est prfrable pour les parties dtre juges par le
juge dpartiteur, ce que ltude dimpact souligne galement en observant que
l on peut envisager que les parties prfreront souvent recourir au juge dpartiteur plutt que de voir leur affaire appele devant le bureau de jugement afin
1. V. le rapport Marshall constatant une opposition partage des membres du Conseil
Suprieur de la Prudhomie sur le choix de lchevinage peru comme inutile et nfaste
en premire instance, et inutile en appel ou en cassation () Les acteurs concerns par
le fonctionnement des CPH privilgient le maintien des fondements de cette juridiction,
ne formulent gure de solutions efficaces pour rduire significativement les dlais de
procdure qui sont inacceptables pour les justiciables, et ninvoquent que rarement la
situation de ces derniers .
318
On peut galement envisager de dvelopper, au niveau de la Cour de cassation, le recrutement au tour extrieur, comme conseillers en service extraordinaire, de praticiens dentreprise et de syndicalistes de haut niveau. Dores et dj,
la Chambre sociale a accueilli en son sein un professeur de droit du travail, un
administrateur civil du ministre du travail et un conseiller dtat. Il convient de
favoriser une mixit de formation au sein mme de la magistrature.
Une telle mixit doit permettre de renforcer linformation de la Chambre sur
les ventuelles consquences conomiques et sociales des arrts. ce titre, les
avocats gnraux pourraient, comme ils le font dj, participer davantage des
rencontres avec les partenaires sociaux sur les questions aux enjeux conomiques
ou sociaux les plus importantes afin de mieux les relayer au sein de la Cour.
Dans le mme temps, il faut encourager la formation, comme le souhaite le
projet de loi Macron. Elle doit tre obligatoire, et devrait tre gre entirement
par la Chancellerie, et non tre la source de crdits attribus aux syndicats. Elle
devrait unir conjointement les conseillers prudhomaux des deux bords pour
acqurir une culture juridique commune et les juges de mtier chargs de prsider
les formations.
2.La structuration de la procdure prudhomale
aux parties de saisir le Conseil de prudhommes dune demande dhomologation judiciaire daccords portant galement sur des litiges internes, en abrogeant
larticle 24 de la loi n 95-125 du 8 fvrier 1995 relative lorganisation des
juridictions et la procdure civile, pnale et administrative1. Il entend galement
supprimer le second alina de larticle 2064 du Code civil qui exclut le recours
la convention de procdure participative pour les diffrents slevant loccasion
de tout contrat de travail, entre employeur et salari.
La Commission estime que ces mesures qui visent favoriser le recours
la conciliation ou la mdiation sous des formes diverses sont parfaitement
justifies.
En revanche, elle prconise la suppression de la phase de conciliation obligatoire, considrant que, comme le montrent les diffrentes donnes prcites, la
conciliation doit tre voulue par les parties.
Proposition n 58 : Supprimer la phase de conciliation obligatoire en modifiant
larticle L. 1411-1 du Code du travail.
Cette suppression aura pour effet de rendre caduque la solution par laquelle
la Cour de cassation considre facultatives les clauses de conciliation dans les
contrats de travail.
Il faut, en second lieu, instaurer une formation spciale la conciliation des
juges du Conseil des prudhommes. Ltude dimpact du projet de loi Macron se
rfre la ncessit de moderniser la formation des conseillers et le texte nonce le
caractre obligatoire de la formation. Celle-ci doit notamment permettre dapprofondir la technique de conciliation . Il est vident que la conciliation rclame
un temps important de formation, distinct de celle qui porte sur lactivit de juge.
Au demeurant, ladoption de la Proposition n 56 et de la Proposition n 57
relatives lintgration du juge dpartiteur au sein de la formation de jugement
aurait pour effet ncessaire de supprimer la phase dune ventuelle dpartition,
raccourcissant dautant les dlais.
conseiller salari et dun seul conseiller employeur. En ce cas, laffaire est juge dans un
dlai de 3 mois, sauf tre renvoye devant la formation de dpartage ou encore dtre
renvoye une formation plus solennelle par les conseillers eux-mmes. De mme, en cas
dchec de la conciliation, les parties peuvent demander que laffaire soit renvoye devant
la formation prside par un juge professionnel, notamment lorsquelles considrent que
leur litige ncessite une analyse juridique plus approfondie, selon les termes de ltude
dimpact. Le projet de loi Macron prvoit qu en cas dchec de la conciliation, le bureau
de conciliation et dorientation peut, doffice, en raison de la nature de laffaire, renvoyer
celle-ci devant la formation de jugement prside par le juge dsign en application de
larticle L. 1454-2 .
1. Actuellement seuls les accords de mdiation portant sur des litiges transfrontaliers
peuvent faire lobjet dune demande dhomologation judiciaire devant le Conseil des
prudhommes.
321
1. Il tait ainsi soulign que ses bases statistiques (dcisions judiciaires et transactionnelles) lui garantissent un caractre volutif : il ne doit tre ni fig, ni sclros, mais
constamment adapt lvolution des concepts et du cot de la vie.
322
II
Approche substantielle: trois causes
dinscurit juridique rcurrentes
pour les groupes internationaux
197. Les rgles mmes du droit du travail soulvent naturellement des questions de comptitivit1 : les lgislations du travail sont lobjet de comparaisons
internationales, comme le sont les lgislations fiscales. La France a sur diffrents
points une lgislation du moins telle quelle est interprte par la Cour de
cassation que lon peut qualifier de rigide et souvent trs contraignante sans
que le but fix soit nanmoins atteint. Cest notamment le cas en matire de
licenciements individuels.
Le traitement des litiges en droit du travail :
constats et perspectives conomiques
(La lettre Trsor-Eco, n 137, octobre 2014)
La France se caractrise par des rigidits relativement fortes en matire de
licenciements individuels daprs lindicateur de lgislation de protection de
lemploi (LPE) dvelopp par lOCDE.
Le licenciement dun salari entrane indubitablement des cots conomiques : en
premier lieu la perte de revenu pour le salari, mais aussi la dprciation du capital
humain et les effets ngatifs sur la sant qui peuvent rsulter du chmage (notamment
de longue dure). Une partie de ces cots sont pris en charge par la collectivit via les
indemnits chmage, les prestations sociales ou laction des services publics de lemploi.
La Lgislation sur la Protection de lEmploi (LPE) i.e. lensemble des rgles applicables
en matire de recrutement et de licenciement se justifie par la ncessit de conduire
les entreprises internaliser une partie des cots sociaux de la rotation de la main
duvre et de protger les travailleurs contre les dcisions arbitraires de leur employeur.
Cette lgislation entrane des cots lis aux indemnits de licenciement (cots
montaires) mais aussi aux obligations procdurales et aux incertitudes affrentes aux
dcisions des diffrentes tapes de rglement du contentieux (cots non montaires).
1. V. not. P. Cahuc et S. Carcillo, Les juges et lconomie : une dfiance franaise, Institut
Montaigne, 2012 qui montrent que la jurisprudence franaise fait peser sur le licenciement conomique un contrle exceptionnellement fort par rapport ce qui est
pratiqu ailleurs en Europe.
323
Lanalyse conomique a montr les effets dfavorables quexercent de telles rigidits sur
la productivit et le fonctionnement du march du travail. Son impact sur lemploi est
plus difficile mesurer mais les tudes existantes concluent cependant un effet plutt
ngatif, dun niveau de protection de lemploi trop bas ou trop lev (v. graphique 2.3).
Au-del des aspects lgislatifs encadrant le licenciement, le processus de rglement des
litiges, et notamment lexistence de mcanismes de rglement prcontentieux, influe
sur la dtermination des cots montaires et non montaires tant pour le salari que
pour lemployeur.
Graphique 2.3. Protection des travailleurs permanents contre le licencement individuel :
difficult licencier
324
Les diffrents problmes ne sont bien sr pas tous lis la scurit juridique. Toutefois, alors que le droit du travail est le thtre dincessantes
rformes visant la modernisation , la comptitivit ou la scurisation , cest bien linscurit qui entoure certaines questions, et qui continue
nuire la comptitivit du droit franais.
ce titre, la Commission estime que trois questions relatives au rgime du
licenciement conomique illustrent parfaitement cette inscurit et doivent tre
rsolues : lobligation de reclassement linternational en cas de projet de licenciement conomique (A), la dtermination de lordre des licenciements (B) et
enfin lapprciation au sein du groupe, y compris international, de la cause relle
et srieuse du licenciement (C).
fait de ne pas avoir propos ses salaris des postes en Roumanie rmunrs
110 euros par mois1 !
La jurisprudence aboutit un rsultat ubuesque : ainsi quon la soulign
propos de ces offres indcentes, si on ne les propose pas, on est condamn
par les Conseils de prudhommes ; si on les propose, on est condamn dans
les mdias 2. Prises entre le marteau et lenclume, les entreprises franaises3 se
trouvent dans une situation pour le moins inconfortable, source dinscurit. Il
faut dire qu tendre sans limite la porte de lobligation de reclassement, on
empche de fait les entreprises concernes de la remplir
Caricature du Systme : laffaire Bosch
Laffaire repose sur une rorganisation de la division Chassis Sytems Brakes du
Groupe Bosch justifie par les difficults conomiques de la division, rorganisation
qui sest notamment traduite par la fermeture dun tablissement de la socit
Beauvais. Les 356 salaris concerns staient alors vu proposer, au titre de lobligation
de reclassement, 17 postes situs dans plusieurs tablissements franais.
Insuffisant, a jug la Cour dappel dAmiens. Aprs avoir rappel la rigueur de
lobligation de reclassement pour lemployeur qui tenu lgard de chaque employ
dont le licenciement est envisag dune obligation de reclassement individuelle qui
lui impose dexplorer pour chacun et au regard de chaque situation particulire
toutes les possibilits envisageables en interne ou au sein des entreprises du groupe
doit justifier par des lments objectifs des recherches entreprises en ce sens et de
limpossibilit dans laquelle il sest trouv de procder au reclassement du salari ,
elle a considr quappartenant un groupe de dimension mondiale, employant
plus de 200 000 salaris dans ses filiales ou tablissements rpartis dans 56 pays au
travers le monde, dont 14 000 sur 33 sites (dont 8 situs en France), pour la seule
division Chassis Systems Brakes , groupe constituant le primtre de son obligation
lgale de reclassement ds lors quil nest ni soutenu ni dmontr que lorganisation
1. Reims, 13 mai 2009, n 08/01098, SAS Olympia c. Adam.
2. Propos de S. Brousse (MEDEF), cits in Les offres de reclassement humiliantes
vont tre brides, Le Monde, 29 avril 2010, conomie, p. 12 ; v. aussi les remarques de
J-F. Poisson, Rapport n 1729 de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
Assemble nationale, 2009, p. 7.
3. Pour des entreprises trangres appartenant au mme groupe, il est tout simplement
impensable de stopper toute embauche et de se voir imposer des salaris franais, alors
que le chmage local est au moins aussi important. Or, non seulement le droit franais
impose une obligation de reclassement au sein des groupes, mais il se montre encore
particulirement exigeant sur la fermet des offres proposes, comme la rappel un
arrt de la Chambre sociale du 28 janvier 2015 (n 13-23.440), dans une hypothse
o les offres de reclassement adresses aux salaris prcisaient que le recrutement devait
tre valid par le responsable recrutement pour la France du groupe et le manager du
dpartement concern. La Cour a en effet considr que de telles offres ntaient pas
fermes et ne garantissaient pas le reclassement effectif du salari en cas demploi disponible dans le groupe .
327
201. Ainsi que le montre laffaire Bosch, les juges ne sont quasiment
jamais amens considrer que lemployeur, lorsquil appartient un groupe
de dimension mondiale , avec parfois des centaines voire des milliers de filiales,
sest trouv dans limpossibilit de procder au reclassement. Cest alors le
licenciement conomique qui devient impossible pour les groupes internationaux : ils ne pourront y recourir sans risquer dtre lourdement sanctionns
et ce, quelle que soit la ralit des difficults conomiques auxquelles ils seraient
confronts O lon voit la comptitivit des entreprises sacrifie au profit
dune obligation de reclassement la porte purement symbolique. Les groupes
internationaux nont qu bien se tenir ou qu partir.
Pour les acteurs internationaux connaissant des difficults conomiques
majeures, une telle jurisprudence napparat gure comprhensible, dautant plus
que la sanction est inadapte absence de cause relle et srieuse du licenciement et que lincertitude sur le montant des dommages-intrts (au minimum
six mois de salaire brut si le salari a plus de deux ans danciennet) est une
source dinscurit.
202. On pouvait esprer que la loi du 18 mai 2010 mette fin cette inscurit. Elle avait en effet cherch remdier cette situation aberrante 2, en
modifiant larticle L. 1233-4 du Code du travail pour prciser que lemploi
quivalent devait tre assorti dune rmunration quivalente et en ajoutant
un article L. 1233-4-1 pour encadrer la procdure de reclassement ltranger3.
1. Amiens, 30 avril 2013, n 13/00589.
2. Intervention de J. Lyre, JO AN, 26 juin 2009, Sances du 25 juin 2009, p. 5650.
V. aussi, lintervention de Ph. Folliot (rapporteur), JO AN, 26 juin 2009, Sances du
25 juin 2009, p. 5647 : les deux objectifs affichs de cette intervention taient de faire
en sorte que jamais, plus jamais, un salari ne puisse recevoir une proposition de reclassement indcente et de scuriser les procdures de reclassement, tant pour lemployeur
que pour ses salaris .
3. Article L. 1233-4-1 du Code du travail : Lorsque lentreprise ou le groupe auquel elle
appartient est implant hors du territoire national, lemployeur demande au salari, pra328
Toutefois, la loi devait ici souffrir elle-mme dun mal bien connu : adopte
dans lurgence pour tarir le dbat suscit par quelques cas symboliques fortement
mdiatiss, cette nouvelle toilette de lobligation de reclassement a finalement
conduit obscurcir le systme et ajouter linscurit juridique et judiciaire
qui lentoure1.
203. Parmi les nombreux vices qui affectent la loi, on relvera notamment :
Le choix du terme quivalent suppos plus flexible que celui didentique2 constitue, par son imprcision3, une source intarissable de contentieux : comment apprcier lquivalence : Par rapport au salaire actuel ? Ou par
rapport au pouvoir dachat local ? Mais alors comment dterminer le rapport
dquivalence entre un salaire Paris et Saint-tienne ? Entre Annecy et Lille ?
Loin de tarir le contentieux, lintervention lgislative tend plutt lalimenter,
en le renouvelant 4.
Il faut y ajouter les crations de la loi, sources dune inscurit nouvelle.
Le salari est ainsi dsormais destinataire dun questionnaire de mobilit
pralable , source de complexit pour les groupes internationaux que la
loi tentait de scuriser. Le systme, dune rare obscurit, impose lemployeur
de connatre chaque instant lensemble des postes vacants, y compris sagissant de contrats dure dtermine, dans ses filiales et implantations de la
socit.
Ainsi quon la soulign, lexercice peut vite dgnrer en schizophrnie
que mme Internet aura du mal soigner. En tous cas, lemployeur devra-t-il sy
prendre tt et ne rien oublier 5.
lablement au licenciement, sil accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce
territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions ventuelles
quant aux caractristiques des emplois offerts, notamment en matire de rmunration
et de localisation. Le salari manifeste son accord, assorti le cas chant des restrictions
susmentionnes, pour recevoir de telles offres dans un dlai de six jours ouvrables
compter de la rception de la proposition de lemployeur. Labsence de rponse vaut
refus. Les offres de reclassement hors du territoire national, qui sont crites et prcises,
ne sont adresses quau salari ayant accept den recevoir et compte tenu des restrictions
quil a pu exprimer. Le salari reste libre de refuser ces offres. Le salari auquel aucune
offre nest adresse est inform de labsence doffres correspondant celles quil a accept
de recevoir .
1. V. les interrogations de J-R. Vanlerenberghe, Rapport n 412 de la Commission des
affaires sociales, Snat, 2010, spc., p. 9.
2. J. Crepin et D. Fabre, Le reclassement des salaris dans les groupes internationaux :
nouveaux aspects aprs la loi du 18 mai 2010, Cah. Dr. entr. 2011, tude 4.
3. V. A. Casado, prc., n 16 ; F. Favennec-Hry, Lextinction de le la relation de travail
dans les groupes, Dr. soc. 2010, 762 ; F. Ga, Le lgislateur face aux propositions indcentes, Rev. trav. 2011, 646.
4. F. Ga, prc.
5. J. Crepin et D. Fabre, prc.
329
208. Est-il possible de limiter lapplication des critres dordre de licenciements aux seuls tablissements ou services de lentreprise ayant vocation disparatre, ou lesdits critres doivent-ils ncessairement concerner lentreprise dans
son ensemble ? La Cour de cassation a choisi la seconde branche de lalternative et
pos le principe, dans un arrt du 24 mars 1993 : les critres relatifs lordre
des licenciements fixs en accord avec le comit dentreprise sappliquent
lensemble du personnel 1.
La solution apparat extrmement dstabilisante pour lentreprise qui se
trouve dj en difficult, mais aussi pour nombre de ses salaris : la fermeture
dun service peut en effet, en raison de lobligation dappliquer les critres
dordre des licenciements dgags au sein de lentreprise dans son ensemble,
et non au sein du seul service concern, aboutir dstructurer des services
parfaitement organiss. Elle peut surtout toucher et dsorganiser des tablissements situs des centaines de kilomtres de celui subissant les difficults
conomiques. la dsorganisation de lentreprise sajoute alors lobligation
de licencier par priorit des salaris travaillant pourtant dans des tablissements ou dpartements parfaitement viables conomiquement. On a
parfaitement rsum labsurdit des solutions auxquelles cette jurisprudence
peut conduire :
Si des difficults conomiques propres un tablissement conduisent, en
fonction dun ordre des licenciements dfini au niveau de lentreprise,
licencier, pour ces raisons, des salaris exerant leur activit dans un autre
tablissement, situ peut-tre des dizaines, voire des centaines de kilomtres de l, de tels licenciements pourront tre considrs comme dots
dun motif conomique rel dont, toutefois, compte tenu de labsurdit
dun tel rsultat, le caractre srieux pourrait tre discut 2.
La Cour de cassation a par la suite lgrement tempr sa position en limitant le primtre dapplication des critres la seule catgorie professionnelle
vise 3, puis en reconnaissant la possibilit de limiter gographiquement ce
primtre par accord collectif4, sans pour autant russir rduire linscurit
juridique inhrente la solution de principe retenue.
1. Soc., 24 mars 1993, Bull. V, n 97. La solution rejoint ici celle retenue pour apprcier les difficults conomiques qui justifient le recours un licenciement conomique.
Celles-ci doivent en effet sapprcier au niveau de lentreprise et non dun ou plusieurs
tablissements : Soc., 24 fvr. 1993, n 90-40403, Dr. soc. 1993, 379.
2. M. Despax, Lordre des licenciements dans les entreprises tablissements multiples,
Dr. soc. 1994, 245 ; v. aussi B. Teyssi, Propos iconoclastes sur le droit du licenciement pour motif conomique, JCP G 1996, 3902.
3. Soc., 3 mars. 1998, Dr. soc. 1998, 507, obs. P-Y. Verkindt.
4. Soc., 15 mai 2013, Bull. V, n 121 ; v. A. Fabre, Lapplication des critres dordre de licenciement au niveau de lentreprise : le choix de la solidarit, Rev. trav. 2014, 559.
332
210. Cette question de lordre des licenciements parat donc source dune
inscurit juridique renforce3 : les pripties de laffaire Mory Ducros ont rvl
la possibilit dinterprter les nouvelles dispositions lgislatives comme autorisant
1. F. Ga, Le plan de sauvegarde de lemploi sous lempire de la loi relative la scurisation
de lemploi, Rev. trav. 2014, 549.
2. F. Ga, prc., 549.
3. Alors que la combinaison des articles L. 1233-24-3 et L. 1233-24-2, 2 issue de la
loi du 14 juin 2013 est claire : Un document labor par lemployeur aprs la dernire
runion du comit dentreprise fixe le contenu du plan de sauvegarde de lemploi et
prcise (L. 1233-24-4) ; la pondration et le primtre dapplication des critres
dordre des licenciements (L. 1233-24-2, 2).
334
Sous cet aspect, les propositions contenues dans le projet de la loi Macron
pour la croissance et lactivit semblent aller dans le bon sens, en cherchant
rtablir une certaine scurit en la matire :
Le projet de loi propose ainsi de consacrer la facult pour lemployeur
de fixer unilatralement le primtre dapplication des critres dordre
un niveau infrieur celui de lentreprise .
335
Il envisage de modifier larticle L. 1235-16 du Code du travail en ajoutant une nouvelle exception loctroi automatique dune indemnit dau
moins six mois de salaire lorsque lannulation rsulte dune insuffisance
de motivation de la dcision du DIRECCTE.
Ces modifications ne rglent pas cependant le problme de la sanction de la
violation des critres dordre, dans le cadre des gros licenciements, par loctroi
dune indemnit au moins gale aux salaires des six derniers mois.
1. Ass. pln., 8 dc. 2000, Dr. soc., 2001, 133, obs. A Cristau ; D. 2001, 1125, note J.
Plissier ; JCP E 2001, 426, note F. Dusquenes.
337
en modifiant lancien article L. 321-1 (art. L. 1233-3 nouveau) afin de prciser les
diverses causes qui peuvent justifier le licenciement conomique. La sauvegarde de
la comptitivit de lentreprise se trouvait ainsi lgalement consacre comme cause
de licenciement conomique. Mais pour ce faire, le lgislateur a entendu, au passage,
dfinir plus restrictivement chacune des causes de licenciement. Il tait ainsi prvu
que les mesures devaient tre conscutives soit des difficults conomiques srieuses
nayant pu tre surmontes par tout autre moyen, soit des mutations technologiques
mettant en cause la prennit de lentreprise, soit des ncessits de rorganisation
indispensables la sauvegarde de lactivit de lentreprise . Autant dire que, sous
couvert de consacrer la sauvegarde de la comptitivit, le lgislateur avait en ralit
largement restreint la marge de manuvre de lemployeur : le licenciement ntait
possible que si les difficults navaient pas pu tre surmontes par tout autre moyen, ou
encore lorsque la prennit de lentreprise tait en cause. Cest dire que le licenciement
conomique ne pouvait plus tre envisag quen dsespoir de cause, et que les juges
saisis taient appels aller trs loin dans la gestion de lentreprise.
Le Conseil constitutionnel y a vu une atteinte excessive la libert dentreprendre,
et a en consquence censur la disposition litigieuse, dans une dcision du 12 janvier
200295 :
Considrant quen subordonnant les licenciements conomiques des difficults
conomiques srieuses nayant pu tre surmontes par tout autre moyen, la loi
conduit le juge non seulement contrler, comme cest le cas sous lempire de
lactuelle lgislation, la cause conomique des licenciements dcids par le chef
dentreprise lissue des procdures prvues par le Code du travail, mais encore
substituer son apprciation celle du chef dentreprise quant au choix entre les
diffrentes solutions possibles ;
Considrant que le cumul des contraintes que cette dfinition fait ainsi peser sur la
gestion de lentreprise a pour effet de ne permettre lentreprise de licencier que si
sa prennit est en cause ; quen dictant ces dispositions, le lgislateur a port la
libert dentreprendre une atteinte manifestement excessive au regard de lobjectif
poursuivi du maintien de lemploi 96.
Retour la case dpart
214. En labsence de dfinition lgale prcise de la sauvegarde de la comptitivit de lentreprise, toujours absente du Code du travail lui-mme, on se trouve
donc en prsence dune notion jurisprudentielle aux contours mal dfinis, et dont
le contrle par le juge judiciaire est source dincertitudes tant il apparat dlicat
de concilier contrle du motif de licenciement et libert dentreprendre.
La Cour de cassation exige ainsi des juges du fond quils contrlent le caractre
indispensable la sauvegarde de la comptitivit de lentreprise des licenciements
prononcs, mais, dans le mme temps, elle rappelle quils ne doivent pas se
substituer lemployeur dans ses choix de gestion1.
1. Il dailleurs t plus rcemment prcis cet gard que sil appartient au juge, tenu
de contrler le caractre srieux du motif conomique du licenciement, de vrifier ladquation entre la situation conomique de lentreprise et les mesures affectant lemploi
338
On sait pourtant que le contrle aboutit implicitement mais ncessairement une analyse de la gestion. La Cour a ainsi pris soin de prciser :
Quune simple rduction du chiffre daffaire ou des bnfices de lentreprise, mme si elle est tablie pendant plusieurs annes successives, ne
permet pas de recourir au licenciement conomique1.
Que des pertes, mmes importantes, nautorisent pas fermer un tablissement lorsque lentreprise dans son ensemble ralise des profits2.
Que des pertes ne peuvent pas justifier le licenciement dune partie
du personnel si le secteur dactivit du groupe auquel elle appartient ne
connat pas de difficults conomiques3.
Ny-a-t-il pas l ncessairement, au-del du contrle de lexistence dun motif
de licenciement, une immixtion excessive dans la gestion de lentreprise ?
215. lanalyse, les difficults et les incertitudes sur lintensit du contrle
que doivent oprer les juges du fond sont directement lies limprcision qui
entoure encore la notion mme de sauvegarde de la comptitivit , dont
on sait quelle justifie au surplus dsormais que la rorganisation soit mise
en uvre pour prvenir des difficults conomiques lies des volutions
technologiques et leurs consquences sur lemploi, sans tre subordonne
lexistence de difficults conomiques la date du licenciement , selon
la formule de la Cour de cassation dans des arrts du 11 janvier 20064. nen
pas douter la Cour de cassation na pas entendu donner un blanc-seing pour
les licenciements prventifs 5. Mais alors, que recouvre cette sauvegarde de la
comptitivit, par dfinition, non conditionne lexistence de difficults conomiques6 ? Dans le communiqu publi avec les dcisions7, la Cour de cassation a
ou le contrat de travail envisages par lemployeur, il ne peut se substituer ce dernier
quant aux choix quil effectue dans la mise en uvre de la rorganisation (Soc., 8 juil.
2009, Bull. V, n 173 ; JCP S 2009, 1479, note F. Dumont).
1. Soc., 6 juil. 1999, RJS 10/99, n 1236.
2. Soc. 15 oct. 1997, RJS 12/97, n 1349.
3. Soc., 5 avr. 1995, Dr. soc. 1995, 588, obs. P. Waquet.
4. Soc., 11 janv. 2006, Bull. V, n 10 (arrts n 1 et n 2) ; JCP S. 2006, 1076, note F.
Favennec-Hry ; pourvoi n 05-40976 (arrt n 3).
5. J-E. Ray, Un revirement ? Quel revirement, Dr. soc. 2006, 139.
6. La frontire tant parfois tnue : Ayant constat que le secteur dactivit du groupe
dont relevait lusine avait connu sur les neuf premiers mois de lanne 2009 un recul
de prs de 30 % et que les prvisions prsentes au comit central dentreprise runi le
5 mars 2009 faisaient tat dune perte de prs de 8 millions deuros alors quun rsultat
positif de prs de 7,5 millions avait t enregistr pour lanne 2008, la cour dappel a
pu dcider que la rorganisation invoque par lemployeur dans la lettre de licenciement
tait justifie par la ncessit de sauvegarder la comptitivit de lentreprise (Soc.,
19 novembre 2014, n 13-14688, F-D).
7. Disponible sur le site de la Cour de cassation : www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/communique_976.html
339
certes donn des pistes en ouvrant la voie une prise en compte significative des
mesures pralablement ngocies au titre de la gestion prvisionnelle des emplois
et des comptences dans lapprciation de la licit des licenciements. Autant dire
que leur bien-fond se retrouve tributaire de la manire dont lemployeur par
une super anticipation, se serait conform une politique ngocie de gestion
des comptences 1.
La tche des juges confine alors au numro dquilibriste : il leur faut vrifier
les efforts consentis par lemployeur et les actions menes en termes dadaptation
du personnel, de formation, de mobilit 2, tout en prenant garde, dans le mme
temps, ne pas se substituer lemployeur quant au choix quil prend dans la
mise en uvre de la rorganisation 3 !
216. Mais linscurit ne se limite pas ici seulement lintensit du contrle
du juge sur une notion floue. Linscurit tient aussi et peut tre mme surtout
la dtermination du niveau auquel la ncessit de sauvegarder la comptitivit, comme dailleurs celui des difficults conomiques , doivent
sapprcier.
ce titre, la Cour de cassation, suivie par le Conseil dtat4, considre que
les difficults conomiques ou la ncessit de sauvegarder la comptitivit de
lentreprise doivent ncessairement tre apprcies au niveau de lensemble de
lentreprise et non des tablissements. Mais, lorsque lentreprise appartient un
groupe, la Cour de cassation va encore plus loin en considrant que lapprciation
doit tre faite au niveau de lensemble des entreprises dans le mme secteur
dactivit du groupe 5.
Au-del de lincertitude de la notion de secteur dactivit , lapprciation de la cause de licenciement au niveau du secteur dactivit
dun groupe apparat en soi dpourvue de pertinence. Le Conseil des
prudhommes de Chlons saisi de la cause relle et srieuse des 12 licenciements conomiques prononcs en France par General Electric doit-t-il rellement exiger les comptes des 1 117 filiales du groupe, dont 785 hors territoire
amricain, afin dapprcier la ralit des difficults conomiques ? Comment,
plus gnralement, apprcier la situation dune filiale en difficult dans un
groupe en pleine sant ?
341
Annexes
Annexe 1
Liste des personnes auditionnes1
Pierre Cahuc
Professeur dconomie, cole Polytechnique
Jean-Franois Cesaro
Professeur de droit, Universit Panthon-Assas
Caroline Coupet
Matre de confrences, Universit Panthon-Assas
Olivier Dutheillet de Lamothe
Avocat la Cour, CMS Bureau Francis Lefebvre
Prsident honoraire de la Section sociale du Conseil dtat
Expert du Club des juristes
Hlne Farge
Avocat au Conseil dtat et la Cour de cassation
Prsidente de lOrdre des Avocats au Conseil dtat et la Cour de cassation
Natalie Fricro
Professeur de droit, Universit Nice-Sophia Antipolis
Alain Lacabarats
Prsident de la Chambre sociale de la Cour de cassation
Armand Limongi
Directeur Fiscal, Groupe AXA
Herv Moysan
Directeur de la Rdaction Lgislation de LexisNexis
Patrice Spinosi
Avocat au Conseil dtat et la Cour de cassation, Spinosi & Sureau
Expert du Club des juristes
Bernard Stirn
Prsident de la Section du contentieux du Conseil dtat
Membre du Club des juristes
1. Les fonctions indiques sont celles la date des auditions.
345
Frdric Sudre
Professeur de droit, Universit de Montpellier
Franck Terrier
Prsident de la Troisime chambre civile de la Cour de cassation
Membre du Club des juristes
Eric Thiers
Conseiller des services de lAssemble nationale, chercheur au CEVIPOF
(Sciences Po)
Clia Vrot
Directrice charge de la Simplification, Secrtariat gnral du Gouvernement
346
Annexe 2
Compilation des propositions
PREMIRE PARTIE: LA LGISLATION
Proposition n 1 : Prfrer les rformes globales aux toilettages rptition.
Proposition n 2 : tendre le champ dapplication des tudes dimpact aux
propositions de loi mises lordre du jour et aux amendements apportant des
modifications substantielles au texte initialement examin.
Proposition n 3 : Procder une rvision constitutionnelle afin dautoriser le
Parlement solliciter les moyens dexpertise de lAdministration et dautres
acteurs extrieurs pour raliser les tudes dimpact relatives aux propositions
de loi.
Proposition n 4 : Encourager le recours lexpertise du Conseil conomique,
social et environnemental (CESE), lINSEE et aux laboratoires universitaires
ou think tanks indpendants.
Proposition n 5 : Enrichir la partie consacre aux tudes dimpact dans les avis
publics du Conseil dtat.
Proposition n 6 : Systmatiser la publicit des tudes dimpact en amont de
la saisine du Conseil dtat et diffuser dans les meilleurs dlais les tudes
dimpact qui auraient t amendes la suite de cet avis.
Proposition n 7 : Organiser un dbat parlementaire sur ltude dimpact en
dbut de procdure lgislative. En ce sens, modifier larticle 86 du Rglement de lAssemble nationale afin que lintervention liminaire du rapporteur
dbute par une prsentation de ltude dimpact afin de susciter un dbat sur
ce point.
Proposition n 8 : Systmatiser lintgration, dans les tudes dimpact, de critres
dvaluation ex post. En ce sens, modifier la loi organique du 15 avril 2009.
Proposition n 9 : Exclure de la discussion, lors des sances publiques, les
amendements dj discuts en commission.
Proposition n 10 : Exclure le dpt damendements gouvernementaux sauf
coordination ncessaire pour les projets de loi.
347
tre attendus des dcisions prises par le contribuable pour empcher que la
fiscalit des plus-values puisse varier aprs la date de leur ralisation.
Proposition n 46 : Rduire de moiti les dlais de rponse de ladministration
fiscale en matire de rescrit.
Proposition n 47 : Instituer un recours contre les rescrits sur le modle du
rfr prcontractuel.
Proposition n 48 : tablir un vritable rescrit-contrle consacr larticle
L. 80 A du LPF.
Proposition n 49 : Limiter la dure des contrles fiscaux et rguler les interruptions intervenant lors de ces contrles.
Proposition n 50 : Sanctionner plus strictement linertie de ladministration
fiscale lors de la procdure contentieuse en prvoyant un dgrvement doffice
en cas dabsence de rponse de ladministration fiscale la suite dune mise
en demeure de produire ses observations par la juridiction.
Proposition n 51 : Encourager les juges du fond transmettre les demandes
davis formules par les parties.
Proposition n 51 bis : Crer une procdure de demande davis particulire
la matire fiscale permettant aux parties dinterroger directement les Cours
suprmes.
Proposition n 52 : Autoriser le Comit National dexperts sautosaisir
des problmes de droit poss par certains redressements de place lorsquil
estimera que son avis pourra utilement clairer ladministration dans lapprciation de leur bien-fond.
Proposition n 53 : Rguler les modifications injustifies du BOFiP par ladministration fiscale.
352
Remerciements..........................................................................................
13
Introduction .............................................................................................
15
PREMIRE PARTIE
LA LGISLATION
I Prfrer les rformes globales aux toilettages rptition ...............
59
69
71
71
73
77
78
83
78
79
82
83
88
92
94
95
353
97
109
111
112
114
DEUXIME PARTIE
LA COUR DE CASSATION
I Permettre lvolution du rle de la Cour de cassation
sous linfluence de la CEDH ................................................................... 143
A. La conscration du contrle de proportionnalit.............................. 146
B. Vers une centralisation du contrle de conventionnalit
entre les mains de la Cour de cassation ? .............................................. 153
II Amliorer la rationalit et lefficacit de la jurisprudence ............. 159
A. Affirmer le pouvoir normatif de la Cour de cassation
et rduire drastiquement le nombre de dcisions .................................. 159
B. Motivation et brivet des dcisions ................................................. 172
354
TROISIME PARTIE
LE DROIT FISCAL
I Concentrer les rgles porte fiscale au sein des seules lois
de finances ................................................................................................ 207
II Abroger larticle 40 de la Constitution ........................................... 213
III Systmatiser le recours la concertation publique
lors de llaboration des dispositifs fiscaux ............................................ 217
IV Rguler la rtroactivit des rgles fiscales ......................................
A. Systmatiser le recours aux mesures transitoires ...............................
B. Mieux encadrer lapplication des rtroactivits juridique
et conomique ......................................................................................
C. Rguler la petite rtroactivit relative
aux revenus exceptionnels et aux plus-values ...................................
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239
242
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QUATRIME PARTIE
LE DROIT DU TRAVAIL
I Approche structurelle .........................................................................
A. Accrotre le consensus dans llaboration de la norme
pour favoriser la stabilit du droit du travail .........................................
B. Encourager les mcanismes de djudiciarisation
du droit du travail.................................................................................
C. Permettre la Cour de cassation de statuer plus rapidement ...........
D. Eviter les effets dilatoires de linvocation
des normes supra-lgislatives .................................................................
E. Rformer la justice prudhomale ......................................................
1. Faut-il conserver les Conseils de prudhommes
dans leur forme actuelle ?........................................................................
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ANNEXES
Annexe 1 Liste des personnes auditionnes......................................... 345
Annexe 2 Compilation des propositions ............................................. 347
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