Monfreid Abdoulmalik Ibrahim Zeid
Monfreid Abdoulmalik Ibrahim Zeid
Monfreid Abdoulmalik Ibrahim Zeid
Thse de Doctorat
Prsente par
Sous la direction
du Professeur J. M. GRASSIN et de J.D. PENEL
REMERCIEMENTS
Introduction
Introduction
Introduction
Dictionnaire International des Termes Littraires par J.M. Moura, article : Imagologie ; Limoges, 1999.
Idem, par J.M Grassin, article : exotisme ; Limoges.
Introduction
Introduction
Goum (A.). - Djibouti, cration franaise, bastion de lEmpire - Paris : Comit de lAfrique franaise, 1939.
Introduction
Introduction
Cet auteur fait lobjet dtude dune thse soutenue par William Souny intitule Lcriture du dsir et du
dsert dans loeuvre de William Joseph Faraax Syad lUniversit de Limoges sous la direction du Professeur
Jean-Marie Grassin.
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Gary (Romain), (1914-1980), - Les racines du ciel - 1956. Prix Goncourt : - Les Trsors de la Mer Rouge (1971). Sous le pseudonyme dEmile Ajar, il obtient nouveau (et linsu de lacadmie) le prix Goncourt pour
La vie devant soi.
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Soupault (P.), Mer Rouge, Revue, Paris : mai-aot 1951.
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ou les coryphres pour reprendre le titre de la nouvelle dAbdourahman Waberi.
Introduction
C- Le corpus
Pour rpondre toutes ces questions, nous avons retenu les ouvrages de
quinze crivains voyageurs formant un corpus de vingt-trois ouvrages. Les
limites des uvres simposent par elles-mmes travers les repres
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Introduction
D- Lobjectif
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Introduction
dautre part dune tude spcifique comme celle de M. Kadar Ali Diraneh, qui
a consacr sa recherche (mmoire de matrise soutenu en 1993
lUniversit de Lille III) trois rcits crits en 1937 par Henry de Monfreid :
Abdi, lhomme la main coupe, Lenfant sauvage, Lesclave du batteur dor.
Notre tude porte sur un ensemble consquent de textes pendant une brve
priode.
Notre analyse repose sur ltude compare des textes du corpus ainsi
dfini sur un temps limit. A cette poque, la socit coloniale en possession
des pleins pouvoirs politiques et conomiques sur le pays entra-t-elle dans
une priode deffervescence et voyait-t-elle alors lavenir assur et radieux ?
Si cest le cas, cest cette assurance qui fut, peut-tre, lorigine de certaines
ambitions littraires puisque presque tous les crivains mirent alors leur
plume au service de la glorification de lentreprise coloniale et de son uvre
civilisatrice.
Pourtant, linquitude, provenant de lhostilit grandissante de la socit
colonise, jeta quand mme une ombre sur ce tableau, et ce malgr les
succs militaires, le pouvoir conomique, politique et les moyens de scurit
dcupls. Cette inquitude fut exprime dailleurs dans plusieurs des
ouvrages qui apparurent dans la priode trouble et menaante dentre les
deux guerres. A cette poque, les deux socits adverses sinterrogeaient
dj chacune sur son devenir- mais les populations locales ne pouvaient le
faire dans la mme langue crite que les colons.
La littrature coloniale tendance socio-politique comprend dailleurs bon
nombre duvres de circonstances prsentes toujours sous couvert de
proccupations nes des problmes humains touchant apparemment les
coloniss. Ayant dj inspir les crivains exotiques et polaris leurs
sentiments, le personnage de lindigne colonis, le regard, ne continua pas
moins, mme si les intentions taient parfois totalement opposes,
concentrer assez fortement lattention des voyageurs crivains. Lindigne
est en effet le premier personnage, la figure dominante des uvres tudies.
Ce thme fut dailleurs exploit pour la raison essentielle que lindigne tait
saisi comme figure symbolique de la socit colonise. Pour cette raison
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Introduction
Introduction
mais prolifique, nassuma-t-elle pas un rle aussi important dans lveil des
curiosits sur lindigne habitant la rgion de la Corne de lAfrique que dans
la vulgarisation et la dfense de luvre coloniale ?
Cette question a t saisie la base de notre interrogation dans la mesure
o le discours littraire, valorisant luvre civilisatrice, ne correspondait en
rien laction coloniale, injuste et destructrice dans son essence mme.
1930 1936, ce sont six ans tout fait tonnants pour labondance de la
production littraire et la notorit des auteurs : mais les ides nonces ne
feront peut-tre que reproduire les grands poncifs coloniaux et racistes qui
imprgnent toute la littrature coloniale, quels que soient les poques et les
lieux. Cest pourquoi, nous voudrions porter un jugement valuatif et notre
point de vue sera normatif, critique. Nous voudrions, en effet, nous interroger
sur ce que vaut cette littrature en 2004 et sur ce quon peut en garder.
E- Le plan dtude
groupe colonial ? Quelle tait donc cette socit qui, se ramassant sur ellemme, se retranchait derrire sa rsistance passive et ses valeurs socio-
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Introduction
pos sur elle ? Quel nouveau type de regards lunivers colonisant a-t-il
faonn?
Dans une quatrime partie, nous avons t amen tudier la nature de
lcriture travers des crits prtention raliste. Ceux-ci revendiquent
souvent une valeur de tmoignage. Il y a aussi les rcits de voyages
romancs valeur documentaire. Ils touchent parfois au reportage avec
leurs investigations sur les us et coutumes. Les auteurs taient-ils pousss
par cette trop nocive habitude de se plier aux ides prconues, aux
prjugs de leur poque ou par le dsir de satisfaire cote que cote le got
de lailleurs, de lexcentricit de leurs lecteurs ? Il tait donc utile de savoir si
cette production littraire stait distingue par un apport idologique ou une
nouveaut esthtique, en comparaison avec lensemble de la production
littraire de leurs prdcesseurs et contemporains.
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Introduction
F- La Mthodologie
Ainsi, nous allons tudier un certain nombre dauteurs pour montrer une
vision commune et propos desquels nous voudrions tablir pralablement
quelques remarques concernant la bibliographie, le corpus et notre lecture
des textes.
Une grande partie des crits tudis ne sont plus rdits et certains
dentre eux ne figurent plus dans les rayons des librairies : Lhomme des
Sables de Jean dEsme, La dsagrable partie de campagne et la voie sans
disque dAndr Armandy, Ethiopie moderne de la Comtesse de Jumilhac, La
croisire secrte dIta Treat ou encore Le passant dEthiopie de J.J. Tharaud.
Cest la BNF (La Bibliothque Nationale Franois Mitterand) que nous
avions pu consulter ces ouvrages.
Pour dautres crits, surtout des articles extraits de revues spcialises,
cest la Maison dOutre-Mer dAix-En-Provence, que nous avions pu les
consulter : il sagit des articles du gouverneur Angoulvant, Etapes asiatiques
ou encore de Delvert, Djibouti publi dans la Revue des Deux Mondes.
Nous aurions pu galement consulter dautres crits comme : Vers la
Dankalie et ses dserts de lave de M.E. Bonneuil, Poursuite vers le Nil blanc
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Introduction
De plus, la particularit des rcits que nous allons analyser est leur
htrognit tant dans lespace dcrit que dans limportance de la
production littraire elle-mme.
Il faut dabord comprendre que lorsquil sagit dtudier la Corne de
lAfrique, cela concerne trois pays (lEthiopie, le Ymen et Djibouti) et une
partie non ngligeable de la Mer Rouge. Or tous nos crivains nont pas
voqu les trois pays dans leurs crits : G. Angoulvant, R. Hachette, M.
Leiris, H. Huchon et C. Delvert dcrivent surtout Djibouti. Jean dEsme, A.
Armandy, la Comtesse de Jumilhac, H. Celarie et J.J. Tharaud nous font
dcouvrir Djibouti et lEthiopie. A. Londres, P. Nizan et A. Malraux dcrivent
beaucoup le Ymen et un peu Djibouti. Mais les crivains comme J. Kessel,
Ida Treat et Monfreid voquent LEthiopie, le Ymen, Djibouti et la Mer
Rouge. Et eux seuls, ils constituent neufs ouvrages du corpus tudi.
Certains thmes ou types de personnages ne sont pas envisags par tous
les auteurs et, en consquence, ne figurent pas de la mme manire dans
notre analyse par exemple, le personnage de lArabe est privilgi par
Monfreid et absent de presque tous les autres auteurs.
Ensuite, notre corpus manifeste dimportantes disparit dans le volume de
la production : certains ont crit six livres (Monfreid), ou deux (Armandy), la
plupart un seul ( Jean dEsme, J.J. Tharaud, Henriette Celarie, Ida Treat,
Joseph Kessel) ; dautres nont consacr quun petit texte (Nizan, Londres)
ou quelques lignes dun texte (Malraux). On ne peut donc sattendre ce que
nous consacrions chacun la mme place.
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Introduction
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Premire partie
Premire partie
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Premire partie
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A- La motivation
doit
se
dplacer
pour
retrouver
cette
partie
qui
manque.
Huchon (Dr Henry.). Mission dans les Monts Gouda- Paris : Revue des Troupes col ; n225, 1934.
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Premire partie
Voil donc la mission de ce voyageur jeune, entreprenant et risquetout . Dans ce cas-l, laventure raconte nest pas celle de lauteur mais du
protagoniste, cest donc laventure dun autre qui se trouve soumise
lobservation, linvestigation et aux commentaires de lauteur. Le lecteur a
galement droit lobservation des vastes panoramas, des scnes de
campagne, des villages, des quartiers indignes et europens, des difices
clbres du pays, des personnages locaux et des costumes rgionaux.
Les lecteurs redcouvrent dans ces rcits des paysages et des
personnages dj rencontrs dans des lectures prcdentes. Les ouvrages
se conforment donc limagologie tarditionnelle dveloppe dans des
ouvrages datant de lAntiquit. Toutefois, la nature du dplacement
professionnel peut se nuancer.
11
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p. 248.
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Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 36 et p. 40.
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Lexception de cette excursion, cest quelle soit mene par une femme.
Une femme qui nhsitera pas vivre dans un univers masculin et partager
le quotidien des marins de la Mer Rouge. Cest un merveilleux voyage
ou une collaboration qui mle dfi, duel et intrigue amoureuse. Cest
Monfreid prsent par Theilhard de Chardin qui permet Ida treat cette
croisire secrte . Monfreid toucha tant le cur et lesprit des voyageurs
quIda Treat et mme Joesph Kessel taient merveills de le voir.
Dans ce type de dplacement, les voyageurs rapportent ce quils voient et
ne disent pas plus que ce quils nont vu. LAilleurs est un monde si diffrent
quil devient objet de connaissance. Le voyageur se voit charger de deux
missions travers son rcit : essayer de faire un rcit objectif et utile. Mais
cette exprience permet aussi lauteur de se connatre. Il crit pour les
autres certes, pour leur transmettre un tmoignage sur le monde mais en
mme temps il se dvoile par sa surprise, sa joie, son tonnement, sa
dception, sa rvolte ou sa rsignation en fonction des circonstances qui se
prsentent. Kessel aurait sjourn encore plus longtemps, son dplacement
aurait t protiforme.
Il est vrai que lAfrique est dj connue, quil y a des voyageurs crivains
comme Loti, Rimbaud qui sont passs par l mais lhomme ne peut tout voir
et tout dire. Les choses voluent et chaque voyageur peut apporter de
nouvelles remarques, de nouveaux traits singuliers, des correctifs ce quon
a dj crit sur le mme pays. Tout voyageur met jour, ne sarrte pas au
dj dit, sapproche toujours plus prs du vrai et du rel de ce jour.
Seulement ce type de voyageurs doit tre capable de faire preuve dun
savoir dans plusieurs domaines diffrents en nous donnant par exemple des
rfrences prcises sur la gographie, lhistoire, lconomie ou la politique
par exemple. Et ce sont souvent des voyageurs difficiles caractriser car
ils sont la fois explorateurs, ngociants, touristes, journaliste ou espion.
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Monfreid (Henry de). - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 7-8.
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Monfreid (Henry de). Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 10.
Idem - La poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p. 9.
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Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. II-III-IV.
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Premire partie
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B- La carte
La carte joue un rle important et donne un sens au dpart. Cest dj la
reprsentation de lAilleurs, du lointain. Elle reste alatoire puisque les dtails
scientifiques qui la caractrisent ne sont pas toujours efficaces. Nanmoins,
la carte reste laccessoire incontournable du parcours et de la rencontre.
Pour certains crivains-voyageurs, elle est le prtexte du dpart. Pour
dautres, cest la reprsentation de litinraire qui mne vers lAutre. La carte
permet enfin de retrouver lAilleurs, lAutre et donne limpression au voyageur
davoir retrouv quelque chose qui lui manquait.
La carte est avant tout un point de repre dans lequel peuvent se situer
lIndividualit et lAltrit. Elle est le reflet de lAltrit quoique lIndividualit
ny trouve pas les lments les plus importants comme les murs et usages
de lAutre. En effet une carte offre juste un avant-got de lAltrit mais reste
silencieuse sur ses constituants physiques et moraux. Et cest ce non-dit qui
va intriguer lIndividualit tout en dveloppant en mme temps sa curiosit et
linciter partir. La carte comme facteur dincitation au dpart nous est
clairement rvl par Andr Armandy :
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Premire partie
en mme temps elle le laisse insatisfait. Ce manque suscite alors chez lui
une impatience et une excitation devant la carte.
Cette excitation et cette impatience viennent du fait que la carte laisse
prsager la rencontre entre lIndividualit et lAltrit. Mais avant le
dplacement elle nest que le modle rduit de lAltrit et ne la traduit que
vaguement. La carte va alors contribuer dvelopper le sens imaginatif de
lIndividualit qui va se rfrer aux tmoignages des poques prcdentes
propos de lAltrit. Cela lui permet de sassurer de lexistence de lAltrit.
Les attentes de lIndividualit sur lAltrit seront conditionnes par les
images de jadis. Henry de Monfreid considre les cartes de jadis comme
dnues de toute authenticit :
Cest tout fait lesprit des gographes de lAntiquit dont les cartes
reprsentaient une srie de petits paysages, des villes, des btes, et
des gens sans aucun souci de distances ou de position relative27.
Et lorsque la rencontre a lieu, diverses ractions peuvent se constater. Si
la dcouverte de lAltrit correspond aux attentes de lIndividualit, alors
cest la satisfaction. Si le cas contraire se prsente, lIndividualit attribue,
alors, lAltrit des strotypes dj connus ou tout simplement issus de sa
dception. De cette dception un troisime cas peut galement se prsenter,
cest celui de lindiffrence de lIndividualit. Laltrit devient alors une partie
intgrante du dcor et ne sollicite aucun regard de laventurier.
Et pourtant, avant le dpart, le voyageur procde une recherche
minutieuse et longue de cartes fiables. La fiabilit dune carte est la garantie,
mme si cela nest toujours pas le cas, darriver bon port. Lacquisition
dune carte est aussi synonyme de rencontre avec lAutre. Le voyageur se
reprsente lAltrit en fonction des nigmes suscites par la lecture de la
carte. La carte conditionne donc non seulement lAltrit mais aussi
lIndividualit, le parcours et la rencontre. Limpact de la carte sur
lIndividualit est quelle cre en lui un enthousiasme, une excitation et une
27
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Premire partie
curiosit lis un manque dinformation que peut donner une carte sur
lAltrit. Chez Malraux cet enthousiasme est suivi dun tonnement :
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Premire partie
Cest bien ainsi que jimaginais la Mer Rouge, un troit couloir aux
ctes arides et tous ceux qui ne lont jamais vue, je crois, ont une
semblable illusion. Les lgendes bibliques ont peut-tre mis dans nos
esprits denfants cette ide fabuleuse dune mer de contes de fes31.
Mais tout ceci reste le fruit dune curiosit suscite par un point prcis de
lAilleurs dj topographi. Cela veut dire que lAilleurs tait dj connu par
des lectures prcdentes depuis lge tendre de lenfance de lIndividualit.
Et lorsque le dplacement devient possible, tout devient accessoire ou prend
lallure de simples repres pour accder lAilleurs qui se trouve lorigine
30
31
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 39.
Idem - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p. 16.
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Premire partie
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Premire partie
Hachette (Ren) et Ginestou (Jo). Djibouti, au seuil de lorient- Paris : Ed. Revue Franaise ; 1932, p. 7.
Malraux (Andr). - La Reine de Saba- Paris : Gallimard ; 1993, p. 40.
37
Monfreid (Henry de). - La poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p. 16 -17.
38
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 252.
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Premire partie
Premire partie
Auteurs
Donnes
Lchelle des grandeurs
Les cours deau
Les itinraires suivis
Les localits traverses
Les localits non traverses
Lgende
Considrations particulires
R. Hachette
A. Malraux
H. Monfreid H. Monfreid
Djibouti,au seuil de
lOrient
La Reine de
Saba
La poursuite
du Kapan
Oui
Oui
Non
Non
Oui
Oui
Oui
Non
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Non
Oui
Oui
Oui
Oui
Non
Oui
La carte est un indice utile dans un rcit car elle permet dtablir un lien
direct entre lauteur et le lecteur. Elle fournit juste les informations quil faut
pour alimenter limagination du lecteur rest en mtropole. Mais cest en
mme temps un facteur stimulateur pour un dpart vers lAilleurs. Et son
incompltude contribue, du fait que lAltrit ne soit pas directement
reprsente, la rencontre. La carte reste donc malgr tout incomplte et
lIndividualit va chercher la complter en parcourant lAilleurs. Mais cest
en mme temps pour lui une tentative de se complter par cet Ailleurs et
reconstituer en quelque sorte un paradis originel. LAilleurs est alors le
fragment manquant que lIndividualit cherche reconstituer.
De plus les informations apportes par les cartes donnent juste une
ide de lAilleurs et jouent dabord un rle dexotisme car les dictiques
comme les noms des localits le long des ctes sont inconnues des
habitants de la mtropole. Et la place du grand espace laiss sans
indication sur la carte, lIndividualit imagine selon limage forme par ses
44
Premire partie
lectures
prcdentes
soit
la
mention
de
sauvage ,
primitif ,
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Premire partie
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Premire partie
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Premire partie
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Premire partie
Henry de Monfreid - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 252.
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Premire partie
de
lAutre.
Et
comme
disait
Bertrand
Westphal,
40
Vion-Dury (J.)., Grassin (J.M.)., Westphal (B.). Littrature et espace- in -Avant-propos- Limoges : Actes
du XXXe Congrs de la Socit Franaise de Littrature gnrale et Compare ; SFLGC, 20-22 septembre 2001.
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Premire partie
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Premire partie
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Premire partie
Mais ces espaces sans limite sont aussi limage de la libert totale de la
plnitude de soi dans lacceptation de sa condition dtre mortel : un paquet
de mer de plus et nous allons par le fond ! nous souffle Monfreid. Cest
dailleurs ce genre de circonstances qui ont favoris sa, soi-disant,
conversion lIslam. Il lavoue lui-mme :
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Monfreid (Henry de). Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 30.
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45
Idem
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 36.
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Premire partie
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Premire partie
La mer rythme enfin le regard, fait voyager et surtout fait crire. Cest
pourquoi Ida Treat a entrepris une croisire .
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Premire partie
Une fois en pleine mer, lhomme se sent isol, seul et doit confronter les
forces de locan pour survivre. Cest l que laventurier voit ltendue de son
esprit et entre lui et la mer stablit une relation bien particulire.
La mer devient alors le lieu dune preuve initiatique qui conduit
laventurier prouver sa capacit dadaptation. Kessel fait lloge de ce
genre dexprience.
Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ; voil
mme une petite brise suffisante pour remplacer la machine. Mais
loptimisme est toujours malvenu la mer et de courte dure. Aussitt
stopp, dans le silence succdant au bruit du moteur, jentends un
grondement profond, une voix immense comme un cho trs lointain,
50
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1933, p. 114.
57
Premire partie
un cho qui parlerait tout seul. Tous, nous prtons loreille : ce sont
bien, cette fois, les brisants. Aucun doute possible ; ils sont sur notre
avant et nous allions droit dessus, sans nous douter, cause du
vacarme de la machine qui nous empchait de les entendre.
Mais alors, o suis-je ? Ce ntait donc pas le cap Merbat que nous
avons doubl tout lheure ? Je nai dailleurs pas le temps de
rflchir : tout coup, vingt mtres peine sur tribord, un norme
remous suivi dune vague dferle et met fin mes conjectures : cest le
rcif ctier. Par bonheur la brise nous mne trs largue et me permet
en lofant de mettre le cap au large.
Voil comment les sinistres arrivent ; toujours au moment o lon
croit tre le plus tranquille. Si cette providentielle brise ne mavait pas
permis de stopper la machine, nous allions nous jeter sur le rcif avant
davoir rien vu ni entendu.51
Il va dcrire non seulement les faits mais aussi les motions suscites par
les faits. Et en crivant, lauteur rend la sensation immdiate et fait part de
ses tats dmes : charme de lespace, beaut des paysages, bonheur de
vivre et lenvie dcrire. Les deux points, les virgules et les points
dinterrogation crent un effet dacclration ; lauteur est tout simplement en
train daccoutumer le lecteur laction. Cest une confrontation du rel et de
limaginaire. Un rel que le voyageur est en train de vivre et quil fait vivre en
direct et un imaginaire n srement des lectures prcdentes. Lexpression
voil comment les sinistres arrivent ne peut que rapprocher encore plus
lauteur de son lecteur, avec qui Monfreid dialogue directement.
Cest ainsi que lhomme, en entreprenant un voyage, doit dsormais tenir
compte de la mer mais aussi du bateau
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Premire partie
. Entre lhomme, le bateau et la mer stablit ainsi une srie didentits. Ici
Monfreid en fait une partie de lui-mme. Cest son bateau, cest lui qui la
fabriqu, il en est le crateur. Il y a mis son gnie europen mais lui a donn
la forme indigne. Le nom quil donne son bateau (Altar*) est la fois local
et franais. Le mot dsigne loiseau en arabe mais sa transcription est
conforme la prononciation europenne. Cest comme si le concepteur a
voulu lui donner un caractre universel o tout le monde se retrouve sans
tre du. Lui-mme est universel et tout ce quil touche, tout ce quil produit
doit tre le reflet de ses profondes convictions. Les rapports de lhomme
avec le bateau se caractrisent de la manire suivante : lhomme commande
le bateau mais en mme temps il se confond avec lui, au point den paratre
le reflet. Lhomme aime le bateau comme la mre aime son enfant . Ainsi
le bateau sest li lhomme par tous les liens de la similarit et de la
contigut.
Monfreid fait exactement comme les Arabes de la cte ymnite : les
Zaranigs .
Idem, p. 10-11.
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 181.
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Premire partie
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 38-39.
60
Premire partie
Ainsi ce voyage permet lauteur de se rvler car le dcor lui est la fois
familier et tranger. Le voyageur devient indigne, Autre. Il sagit donc dune
rvlation du moi par le truchement dun espace dont le voyageur a
conscience de ltranget et de la familiarit mythique.
La mer a galement cette vertu de pouvoir purifier, daseptiser et de faire
gurir. Alors le voyageur entreprend une aventure en mer pour gurir et
connatre un dpaysement psychologique. Cest pourquoi la violence de la
mer ne suscite chez lui qumerveillement, jubilation et libert profonde
favorisant la connaissance de soi. Le dpaysement commence aussi
lespace lorsque lespace marin se rompt et surgit lespace ctier.
Lespace ctier nest pas un lieu mais une rupture de lespace marin. Cest
lAilleurs qui surgit de linfini. Alors la cte devient comme le symbole dune
communication. Le voyageur va enfin pouvoir raliser une tape importante
de sa dcouverte. Lidal quil cherche va peut-tre se raliser. Dans tous les
cas lespace ctier est la confirmation quil nest plus en Europe mais en
Afrique ou en Arabie. La cte est la matrialisation de lAilleurs comme
espace tranger. La distance gographique est abolie. Cest laboutissement
de lcart entre le lieu dorigine et lespace du voyage. Alors il ne reste plus
au voyageur que de dcrire minutieusement les lieux, les faits, les gens, les
traditions des indignes mais aussi les colons. Dans tous les cas, le projet
du voyageur en contact de lAilleurs est dabord dobserver puis de tout
rapporter par crit. Le petit point quil avait aperu de son bateau sest largi.
Alors le voyageur peut tre sous leffet de ltonnement car il est dpays par
cet Ailleurs compltement diffrent de lunivers europen. Et ce sont les
choses premire vue insolites qui vont attirer son attention. Leffet de
ltonnement dpass, le voyageur va chercher des rfrences et des
comparaisons qui lui permettraient de sapproprier cette nouvelle ralit. Une
ralit qui intrigue par sa nouveaut mais aussi par son tranget. Mais en
61
Premire partie
mme temps le voyageur se sent investi par un air de libert. Son sjour
dans la mer est termin et sur terre il se sent comme libre de lemprise de
locan infini.
Et son premier objet dinvestigation devient la ville ctire dans laquelle il
se trouve et pour mieux connatre cet objet, il faut faire un mouvement vers
lintrieur. Alors comment la ville se prsente-t-elle lui ?. Cette ville est
donc le dbut de la dcouverte de la description. Voici avec Monfreid le
rideau qui souvre pour laisser apparatre une scne :
55
56
62
Premire partie
apparatre aux frgates quand jadis, elles venaient par le Cap chercher
le caf fameux.57
Cest donc comme une apparition. Alors la ville peut paratre comme un
espace dapparence trompeuse. On a limpression que le dcor de lAilleurs
dans lequel volue le voyageur est un prisme o ne cesse de changer ce qui
est reflt. Et ce sont les verbes modaux comme sembler qui pourraient
mettre en vidence ce caractre trompeur. Par exemple, La ville semble
flotter crivait un peu plus haut Monfreid.
Toutefois cette description confre un caractre raliste et nous propose
une vision panoramique. Cest ainsi que sexclame Kessel en voquant les
ctes de lArabie :
57
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63
Premire partie
temps en temps des points de jais luisants : des bergers noirs. Un pays
vivant, aprs lhostilit catastrophique du ghubbet 59
La ville ctire devient un espace ambigu o cohabitent des aspects
antithtiques comme la vie et la mort.
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Premire partie
Delvert (Charles). - Djibouti- Paris : Revue des Deux Mondes ; 15 fvrier 1936, p. 671.
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 120.
64
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 172.
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Premire partie
Aden est un grand volcan lunaire dont un pan a saut avant que les
hommes fussent l pour inventer des lgendes sur lexplosion de cette
poudrire. Ils ont fait la lgende aprs : le rveil dAden qui conduit
lenfer annoncera la fin du monde.
Un tronc de pyramide recuit et violac dans un monde bleu,
couronn de forts turcs en ruines, une pierre entoure de vagues
concentriques lache par loiseau Roc au bord de lOcan Indien, un
65
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 127.
66
Premire partie
Nous arrivions Djibouti. Mais sur ce grand navire en route pour les
Indes et la Chine, Djibouti nintresse que quelques journalistes qui
viennent comme moi, en Ethiopie. Qui, en effet, aurait jamais lide de
sarrter ici par plaisir ! En moins dune heure, on a tout vu : la digue
inacheve ; la carcasse dun bateau naufrag il y a quelques annes, et
que la mer dtruit peu peu ; la place avec ses deux cafs ; le jardin
poussireux, dont les verdures sont aussi immobiles que le drapeau qui
pend sur le palais du Gouverneur ; les rues toutes droites, qui vont se
perdre dans un quartier pouilleux de masures, de paillotes, de toits de
zinc et de palissades faites de mille choses htroclites ; bref, un de
ces endroits qui nont rien pour sduire, mais o je trouve cette posie,
tout abstraite il est vrai, des choses que la volont dun homme a fait
sortir du nant.67
Nizan, quant lui et encore une fois, nous dcrit ainsi le village
indigne :
67
Premire partie
68
Premire partie
70
71
69
Premire partie
Premire partie
qui ne donne rien pour la vie de ses cratures. Seuls les Issas,
sauvages et cruels y vivent en nomade, la lance et le poignard toujours
prts pour achever le voyageur blanc que le soleil naurait pas tu72
Monfreid (Henry de). Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 8.
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 103-104.
71
Premire partie
74
72
Premire partie
Lespace tranger qui est devenu lobjet mme de la recherche est aussi
la brousse. Mais il ne faut pas confondre la fort et la brousse. La fort est le
lieu o habite lhomme mais aussi une vgtation anarchique, immense,
touffue camouflant divers piges. Les animaux y sont varis : lphants,
rhinocros, hippopotames, lions, tigres, gorilles, serpents, panthre,
crocodile. La pluie y est abondante et la couleur dominante est le vert. Mais
toute cette faune reste diffrente de la brousse.
La brousse a une vgtation clairseme, un climat sec et chaud. Cest un
espace qui a une dimension mythique : un espace o rgnent le flou, le
mystre et la peur. Les principales caractristiques de la brousse sont la
chaleur, des formes fantastiques, des cris bizarres, des chuchotements mais
aussi le silence. Cest un monde o linvisible peut tre redoutable. Leau y
est rare et la couleur dominante est le jaune. Cest donc un espace
inquitant, habite par des hommes mais aussi par des animaux : un espace
lugubre o la mort guette tout instant. Les auteurs de nos diffrentes
productions crites ont, chacun sa manire, voqu les animaux
rencontrs sur le parcours. Certains animaux reviennent comme lhyne, le
chacal ou les vautours dans la plupart des productions mais le nom dautres
animaux ne parvient au lecteur que par lintermdiaire dauteurs diffrents.
Ainsi, en visitant lintrieur du pays, Henri Huchon sexclame de la sorte et
met laccent sur le nom de certains animaux dont la singularit rside dabord
dans sonorit de leurs noms :
Parmi ces rares arbustes, dans les ravins et le chaos des boulis, vit
une faune plus abondante quon pourrait le croire : singes qui vont en
troupes savamment ordonnes, les femelles et les petits au centre ;
gazelles ; antilopes arkmonda ; grands koudous sara dont les
mles portent des cornes droites comme des banderilles, phacochres,
digs-digs, chacals, hynes et mme des gupards que craignent fort les
indignes.
73
Premire partie
Ida Treat insiste sur la prsence dun monde invisible mais menaant et
o le danger nest pas lanimal mais lhomme.
Et par son tranget, la brousse devient une altrit exotique. Les aspects
curieux tranges et piquants sont recherchs et mis en scne par lcrivain
crant ainsi un monde extraordinaire.
La prsence des animaux, des noms locaux, peut servir comme une
documentation exacte et vridique de la description.
75
Huchon (Dr Henry.). Mission dans les Monts Gouda- Paris : Revue des Troupes col ; n225, 1934, p. 13.
Monfreid (Henry de). - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 251.
77
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 10.
76
74
Premire partie
plante
qui
prsente
toutes
les
particularits
et
toutes
les
78
79
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 102.
Armandy (Andr.) - La voie sans disque- Paris : Lemerre ; 1931, p. 170.
75
Premire partie
lauteur de se dcouvrir et de
dcouvrir ce qui lentoure. Cest ainsi que lAltrit gographique devient une
composante essentielle de la construction identitaire. LAilleurs renvoie un
lieu lointain et extrieur pour devenir le vecteur dune construction identitaire
essentiellement collective.
Delvert ne manque pas de souligner que lexprience quil vit est un
exploit car seul lEuropen courageux, endurant et intrpide est en mesure
de le raliser.
76
Premire partie
Ceux-ci sont des nomades, des pasteurs. Depuis des sicles, ils vont
travers lespace, chercher un peu dherbe pour leurs chvres. Quand
le soleil est trop dur ou que, par hasard, il pleut, on les voit jeter
quelques peaux de buf sur des cerceaux de bois ; mais, bientt, ils se
lassent dun abri. Ce quils aiment, cest lair libre. Marcheurs que rien
ne lasse, ils repartent les tremblements de terre ont achev de
meurtrir ce pays. En maints endroits, le sol a craqu. Ce qui tait
dessus est tomb dans des fissures, des trous, a t englouti. Les
montagnes de lintrieur prsentent des lacs sans coulement et qui
sont les derniers vestiges des rivires. La nature, impitoyablement, a
faonn la race. Qui dira les vies sacrifies ?81
80
81
Delvert (Charles). - Djibouti- Paris : Revue des Deux Mondes ; 15 fvrier 1936, p. 677.
Celarie (Henriette) Ethiopie du XX sicle- Paris : Hachette ; 1934, p. 226.
77
Premire partie
Cest un moment de joie intrieure qui tend losmose. Lauteur finit par
se fondre dans le dcor. Lappel de la brousse est si intense que mme le
voyageur tranger sy retrouve. La description permet donc un auteur de
transmettre ses profondes sensations devant un dcor. Dans dautres livres,
cette description des lieux cre une illusion de visite guide. Lauteur sy fait
guide du lecteur, en prsentant point par point, les lieux choisis de la
brousse. Le lecteur a limpression dtre conduit par la main au cours de ces
promenades.
Cest ce qua fait Henry de Monfreid en faisant voir au lecteur un lieu dans
lobscurit de la nuit dabord puis dans la clart du jour ensuite
82
78
Premire partie
Il fait encore nuit, la lune haute claire bien. Nous suivons la piste
des caravanes, dserte cette heure, dans le grand silence de la
brousse immobile.
Le sentier sinsinue entre des buissons de cactus, les grandes
euphorbes candlabres dressent leurs rameaux nerveux dans la
lumire imprcise de la lune qui fait les ombres noires et fantastiques. A
droite et gauche, des tches blanches, parses sur le sol, jalonnent le
sentier. Ce sont des ossements, dnes et de chameaux.[] Lodeur
des fauves trane dans lair calme des chemins creux et alterne avec le
parfum des mimosas en fleur.
Le jour vient, la brousse sveille, les perdreaux jettent leurs appels
stridents et les digs-digs aux pattes grles bondissent tonns entre les
buissons. Les lourdes tortues surprises rentrent leurs grosses pattes et
saffaissent, inertes, au milieu du sentier. Mon mulet fait dincroyables
carts devant ces obstacles imprvus.
[] Ltendue de la fort pineuse sagite au loin, dchire de
mirages ; lhorizon ondule et flotte comme une vapeur incandescente.
Plus rien ne parat vivre ; le silence pse comme une chape de plomb.
La nature entire se replie sur elle-mme et subit lassaut de
limplacable chaleur.
Dans le calme angoiss de cette lutte silencieuse, la trombe de
poussire nat brusquement et monte trs haut dans le ciel. Elle ouvre
un sillage sur la cime de la fort inerte et passe en sifflant une rage de
reptile ; les arbres se tordent en convulsions dsordonnes, les hautes
branches arraches en tourbillons de brindilles et de feuilles, puis ils
reprennent leur immobilit de chrysalide ; le silence se referme derrire
le mtore fuyant vers on ne sait o, dans le crpitement des arbres
fracasss.
[] Cest alors que le voyageur se sent perdu au milieu dune nature
hostile, o rien nest fait pour sa vie.83
79
Premire partie
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 102.
Monfreid (Henry de). Aventures de mer- Paris: Grasset ; 1932, p. 184.
80
Premire partie
81
Premire partie
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82
Premire partie
90
91
83
Premire partie
Dans la Bible quatre sens lui sont en effet confrs car dsert
correspond, selon Jean-Paul Dufour93, quatre mots en hbreux :
horbhab signifie un espace qui fut peupl mais qui est maintenant
dtruit et abandonn.
arabe .
Et lun des motifs qui fascine le plus les aventuriers lorsquils se retrouvent
dans le dsert, cest la dimension religieuse qui sen dgage. Le dsert est le
lieu dans lequel se raconte lhistoire des trois religions qui dominent notre
monde : le Judasme, le Christianisme et lIslam. Le dsert est en quelque
sorte lespace mme des Terres saintes. Cest dans tous les cas lavis
dAndr Malraux qui confre au dsert dArabie une dimension religieuse qui
atteint son paroxysme.
92
Monfreid (Henry de). - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 39.
Dufour (Jean-Paul). Etude lexicographique des paysages bibliques , in Lire le paysage, lire les paysages,
Actes du colloque des 24 et 25 novembre 1983, CIEREC, Universit de Saint-tienne.
93
84
Premire partie
() Cest dans ces sables arabes que surgit pour la premire fois la
triade Dieu-Pre, Dieu-Mre, Dieu-fils. Ici faillit natre la trinit94.
Et les livres sacrs des trois religions monothistes insistent plus sur le
ct dramatique du dsert li la ruine, la strilit, la dsolation, au
dsespoir et laridit. Ce sont ces ruines que Malraux dcrira lors de son
survol du dsert, les ruines du royaume de la Reine de Saba. Cette femme
qui a marqu la Bible et le Coran, que les Ymnites appellent Balkis et les
Ethiopiens Makda.
Pour tous ceux qui sont venus comme pour nous qui survolons et ne
pourrons rien toucher, cette valle de Tantale demeure
mystrieusement garde, ne livre ni son esprit prcis, inscriptions et
documents, ni son cur de rves, la clef des lgendes dont elle est
gorge comme elle le fut jadis de sang96.
94
85
Premire partie
97
98
86
Premire partie
Ce nouveau paysage est renvers dans ses formes, ses couleurs, ses
mouvements et ses matires par rapport au paysage europen auquel lil
du voyageur y est habitu. Le voyageur y voit la limite de lhumanit en
dvoilant une figure hyperbolique de lhorreur. Delvert agonise de la sorte :
99
100
87
Premire partie
Les btes du dsert sont venus l chercher llment vital; elles lont
lap jusqu la dernire goutte, puis le soleil a durci cette vase jusqu
la dernire trace dhumidit Des ossements pars disent lagonie de
lanimal venu trop tard ; extnu par le suprme effort, il est mort au
bord de ce cloaque o il avait espr trouver la vie101.
Mais cest un silence qui nest pas ordinaire car il introduit une autre
dimension du rel. Le voyageur se voit confront un nouveau rapport la
ralit. Il est oblig de repenser lespace car le silence du dsert se
manifeste Autre et doit tre repens perturbant ainsi la logique essentielle
101
102
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Premire partie
103
104
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle revue critique ; 1930.
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p.102.
89
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Deuxime Partie
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Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La physionomie de LAutre
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Deuxime partie
La physionomie de lAutre
A- Le regard
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Deuxime partie
La physionomie de lAutre
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Deuxime partie
La physionomie de lAutre
3
4
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Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Ces gens sont sublimes, mais ils ne le savent pas et nous sommes
incapables de les comprendre
Jai la joie de retrouver au fond de ces tres simples, tout ce qui ma
jadis attach eux et je les retrouve inchangs, comme la mer ou le
dsert.
Devant ces mes on na pas lapprhension des profondeurs
obscures, lhorreur des sols mouvants, ou des eaux souterraines
comme en les ntres car tout y semble tre en surface comme
ltendue des plaines arides. Il y a parfois des horizons mystrieuses o
vibre linquitude dun mirage, il sy cache de perfides dangers, mais
tout est dans la lumire, cisel en formes immuables.
En retrouvant ici dans ces hommes nouveaux la mentalit toute
pareille celle des disparus, jai limpression de ne pas avoir vieilli.
Quelle douceur doublier lhumanit turbulente et sa course
labme, en ce coin dlaiss o vivent encore des hommes qui nont pas
got au fruit maudit de larbre de la science.
On pourrait vivre l mille ans sans lombre dun regret, tandis qu 50
ans, parmi notre monde civilis, toujours en marche, on se sent dj
isol, incompris, abandonn On nest plus la page Alors on se
sent vieilli, on pressent la mort et on laccepte comme un terme une
vie dsormais impossible, tant on est tranger au milieu nouveau.
Cette stabilit des races parvenues leur terme dvolution, dites
tort primitives, exerce sur nous et malgr nous, un charme puissant et
invincible.
5
95
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Mais, hlas, ces hommes qui vivent sans souci du temps dans ce bel
quilibre, bientt seront tous emports par la course folle de la race
insatiable et malheur celui qui voudra dire ces peuples quils doivent
rester ce quil sont ou disparatre.6
6
7
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p.14.
Duchenet (Edouard.) Histoires somalies- Paris : Larose ; 1936.
96
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Djibouti. Ville dlabre, mais tout compte fait moins laide que je
naurais cru. Quelques palmiers. Classiques coloniaux franais. Bistrots
pas gais.
Il fait humide et frais. Il a plu. Installation dans la maison mise notre
disposition, trs spacieuse. Visites diverses de Griaule, dont celle, de
rigueur, au gouverneur. Belles femmes arabes et somali, en gnral
assez haute.8
Le voyageur est heureux car il vient de raliser son dsir mais il est
surtout content car ses attentes sont en accord avec la ralit quil dcouvre
dans lAilleurs. Cette exclamation est peut-tre, comme il laffirme dans son
prambule, pour lui une occasion pour apporter un concours indirect mais
positif ceux qui, ressortissants de ce monde noir, luttaient contre
loppression et affirmaient sur plus dun point du globe leur particularisme
culturel 9. Il est en extase la vue des belles femmes arabes et somalis,
en gnral assez haute .
Chez dautres, cette joie et cette extase vont perdurer et se consolider
en fonction du contact du voyageur avec les diffrentes ralits de lAilleurs.
Cest le cas de Jean dEsme :
8
9
97
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p.8.
Celarie (Henriette.) Ethiopie du XX sicle- Paris : Hachette ; 1934, p.229.
98
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
navez pas honte de vous faire donner un nom indigne par les coolies
de la plus basse condition ?12
Le gouverneur sindigne des faits dont Monfreid est lauteur. Les deux
hommes ont deux conceptions diffrentes de lAutre. Lun (Monfreid) sest
converti lAutre, lautre veut convertir lAutre.
La conversion du regardant au regard atteint son apoge quand la
relation prend la tournure dune intrigue amoureuse. Mais laissons Ida Treat
nous raconter elle-mme la scne :
12
13
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p.7.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p.4.
99
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Delvert (Charles.) - Djibouti- Paris : Revue des Deux Mondes ; 15 fvrier 196, pp 677.
100
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 19, p.5.
Londres (Albert.) - Pcheurs de perles- Paris : Le Serpent Plumes ; 1994, p.20.
17
Malraux (Andr.) - La Reine de Saba- Paris : Gallimard ; 1993, p.115.
16
101
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
18
19
Huchon (Dr Henry.) Mission dans les Monts Gouda- Paris : Revue Troupes col ; n5, 1934, p.26.
Armandy (A.) - La dsagrable partie de campagne- Paris : A. Lemerre ; 1930, p.31.
102
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
20
21
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 40.
Idem - La croisire du hachisch- Paris : Grasset ; 1933, p. 272.
103
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
22
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Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Sans doute toutes les races sont noires sur le ct africain de la mer
Rouge, mais ni les Ethiopiens aux traits fermes, ni les Somalis pleins de
grce et de souplesse, ni les Danakil farouches, ni mme les paisibles
Gallas ne peuvent se confondre avec les misrables au nez camus, aux
lvres normes, nus o loqueteux, qui emplissent Harrar et ses
alentours.
Plus encore que les lignes de leurs visages, des stigmates moraux
dnoncent leur tat ; ils ne vont qu pas craintifs, sournois. Ils cdent
toujours la place dans les rues, et leur regard pie par-dessous le
passant, et leurs bras, dinstinct, bauchent une humble parade contre
le coup qui les peut frapper. On sent quaucune loi ne les protge. Leur
bouche entrouverte rvle une ternelle faim, leur regard une ternelle
peur.
Dans la ville soumise, ils forment le peuple dsespr, rsign, de la
servitude.
Comment pntrer dans leur vie grossire, dans leur me animale ?
Monfreid nous le permit24
23
24
105
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Qui me demande
Une ngresse.
Fais-la monter.25
Cette femme qui vient voir Carlier na pas de nom, cest seulement une
ngresse . Ce sont des retrouvailles entre un voyageur et un Ailleurs dans
lequel il ne se sent pas tranger : il en est le matre, le seigneur, le ghta .
(Ghta veut dire seigneur en Ethiopien).
Ainsi la nature de la rencontre varie en fonction du rcit. Certains
voyageurs jubilent, dautres sindignent et une autre catgorie se dsespre.
Et pour que tout se constate dun seul coup dil, il suffit de consulter la grille
suivante qui tablit une vue panoramique sur les diffrents aspects de la
rencontre dans les diffrents rcits classs par ordre de publication.
25
106
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
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22
23
Rcits
I. Treat, La croisire secrte
J. dEsme, Lhomme des sables
G.Angoulvant, Etapes Asiatiques
La Comtesse de Jumilhac, Ethiopie moderne
A. Armandy, La dsagrable partie de campagne
A. Londres, Pcheurs de perles
A. Armandy, La voie sans disque
P. Nizan, Aden Arabie
H. de Monfreid, Aventures de mer
R. Hachette & Ginestou, Djibouti, au seuil de
lorient
H. de Monfreid, Les secrets de la Mer Rouge
H. de Monfreid, Vers les terres hostiles de
lEthiopie
J. Kessel, Marchs desclaves
H. de Monfreid, la croisire du haschich
A. Malraux, La Reine de Saba
H. de Monfreid, La poursuite du Kapan
M. Leiris, LAfrique fantme
H. Celarie, Ethiopie du XX sicle
H. Huchon, Mission dans les Monts Gouda
H. de Monfreid, Le lpreux
H. Monfreid, Les derniers jours de lArabie
heureuse
J.J. Tharaud, Le passant dEthiopie
C. Delvert, Djibouti
E. Duchenet, Histoires somalies
TOTAL
Cas 1
Oui
Oui
Oui
Oui
Cas 2
Cas 3
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
11
107
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
formes, les odeurs, les sons et les couleurs de la nature, mais aussi les traits
physiques et moraux de lAltrit.
108
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
B- LAUTRE
LAltrit sapprhende dans son tre et son faire mais aussi dans ses
rapports avec lEuropen. Cest pourquoi la reprsentation stend ses
ractions face laction de ce dernier. Sur le plan de ltre et du paratre,
cette reprsentation insiste sur les traits physiques et les traits moraux ainsi
que les murs de lAltrit. Sur le plan des rapports, cette reprsentation fait
ressortir les rapports interpersonnels : entre ladministration et les indignes.
Les traits physiques se rapportent gnralement la morphologie, ltat
de sant et lhabillement du regard, et se prtent des jugements de
valeur qui se ramnent trs souvent lun des termes du couple
dichotomique : beau/laid.
Ltonnement du voyageur devant la beaut de lAutre est soulign avec
force. Dans le texte suivant de Monfreid, la fascination se traduit dans les
termes mlioratifs qui se succdent et des fois mmes se rptent.
109
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
non pas crpus, presque chtains, tant ils sont dcolors par le soleil et
leau sale.26
Ladjectif splendide est employ deux fois pour dsigner ces hommes,
pourtant tous esclaves . Ils ont donc une belle allure et sont en plus
athltiques , magnifiques . Une gradation qui place lAutre favorable au
regard. Cest parce quil a perdu le prognatisme ngre que lAutre devient
beau. Lnigmatique Monfreid se rvle ici redoutable car il a une faon
dtre logieux et de retirer lensemble des choses par cette manire de
penser.
Mais la description ci-dessus concernait un type humain issu dun
mlange de race : la race arabe et la race noire. Celle dun Arabe pur ne fait
pas lexception. Voici comment Joseph Kessel dcrit un Arabe.
110
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
pure. Les nazis ont utilis ce critre pour exterminer des milliers de juifs. Un
peu plus loin, Kessel parlera encore de race dune puret mouvante .
La vision de lAutre fascine tellement le voyageur que celui-ci ne peut
contenir ses motions. Kessel illustre nos propos.
La race tait dune puret mouvante. Les hommes avaient les traits
fins, la peau dune blancheur ambre, la barbe soyeuse. Leurs yeux
gris nuancs de vert nous regardaient en face avec fiert et douceur.
De taille moyenne, bien pris dans leurs vtements ondoyants et
bigarrs, ils avaient dans leur dmarche une cadence naturelle, pleine
de mesure et de souplesse.29
29
Idem, p. 111.
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p.133.
31
Idem, p. 83.
30
111
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Une beaut naturelle qui donne ces Arabes, les hakemis , habitant
les ctes du Ymen, et qui constituent aujourdhui la quasi totalit de la
communaut arabe vivant Djibouti, des attitudes nobles . Cette grce
impose le respect .
La grce est, en outre, une autre caractristique de lindigne. Cette grce
apparat dans la dmarche nous dit ci-dessous Delvert.
Monfreid montre lors dune partie de pche avec les pcheurs arabes que
la grce de lindigne se manifeste aussi dans le geste .
32
Delvert (Charles.) - Djibouti- Paris : Revue des Deux Mondes ; 15 fvrier 1936, p. 668.
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 23.
34
Idem, p.154.
33
112
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Quand ils ne sont pas splendides , ils sont trs beaux et aux
proportions admirables (cf. citation ci-dessous).
35
113
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Henriette Celarie insiste quant elle sur des jambes fuseles dans sa
description (cf. citation ci-dessous).
38
Idem, p. 154.
Idem, p. 150
40
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p.62.
41
Celarie (Henriette.) Ethiopie du XX sicle- Paris : Hachette ; 194, p.215.
39
114
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Et plus loin, elle assimile le Somali un prince du feu (cf. citation cidessous).
Nous fmes appeler celui des trois guides qui nous paraissait le plus
sr et qui tait beau comme un jeune roi mage.44
42
Idem, p. 220.
Idem, p. 222.
44
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p.111.
45
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p.113.
43
115
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Kassem a saisi le dauphin, une bte de deux mtres, bras-lecorps Il lutte avec lui dans leau et le tient enfourch, malgr les
coups de queue et les sursauts de la bte. Ils bondissent, disparaissent
dans un remous, reparaissent. Lutte de rve o lon sent Kassem dans
son lment autant que la bte. Il ne fait plus quun avec elle. Dieu
marin.46
De plus, Ida Treat montre que lindigne naime pas voler mais gagner sa
vie honntement.
Monfreid montre que malgr cette force et cette fiert, les indignes
restent simples (cf. citation ci-dessous).
46
Idem, p.114
Idem, p.189.
48
Monfreid (Henry de.) - La croisire du haschisch- Paris : Grasset ; 1933, p. 21.
47
116
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Ctait un gars bien dcoupl, le torse nu, les jambes nues, la tte
nue sous le soleil, et qui, appuy sur sa lance, nous regardait
paisiblement.50
encore
Armandy
traduit
lindiffrence
de
lindigne
avec
paisiblement .
Mais cest Monfreid qui connat mieux les Afars : il est de loin celui qui a le
plus ctoy les Afars car la quasi totalit de son quipage tait Afar. De plus
il a vcu Obock, une ville ctire afar.
117
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Un jour, nous fmes invits dner chez le fils dun dedjaz qui
guerroyait contre les rebelles du Tigr. Ce garon, dune noble
prestance dans ses voiles blancs et au sourire loyal, avait t lev par
des prtres franais. Il connaissait fort bien notre langue et, visiblement,
seffora de nous faire honneur. Ses vassaux nous attendaient sur le
seuil, fusil au poing. Ctait leur seul mtier. De sang abyssin, ils ne
pouvaient exercer, en pays de conqute, que celui de guerrier. Des
esclaves empresss nous conduisirent auprs de leur matre. Le repas
fut servi leuropenne, cest--dire dans des assiettes et avec des
couverts pas trop dpareills.54
52
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 67.
Celarie (Henriette.) Ethiopie du XX sicle- Paris : Hachette ; 1934, p.224.
54
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p.74.
53
118
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Cet homme dgage une force qui ne rside que chez les grands
hommes : une force qui vient de son subconscient .
Armandy montre que lAbyssin est galement un guerrier.
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p.239.
Armandy (A.) - La dsagrable partie de campagne- Paris : A. Lemerre ; 1930, p.217.
119
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Mais ce qui fait lintrt et lutilit de nos rcits, cest quils vont nous faire
part de lautre face de lindigne. Il est vrai que jusquici lindigne apparut
comme quelquun de beau et sa beaut recueillait toutes les louanges mais
certains voyageurs mettront laccent sur leur laideur.
57
58
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 240.
Idem Aventures de mer- Paris: Grasset ; 1932, p. 209.
120
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Sans doute toutes les races sont noires sur le ct africain de la mer
Rouge, mais ni les Ethiopiens aux traits fermes, ni les Somalis pleins de
grce et de souplesse, ni les Danakils farouches, ni mme les paisibles
Gallas ne peuvent se confondre avec les misrables au nez camus, aux
lvres normes, nus ou loqueteux, qui emplissent Harrar et ses
alentours. []
Dans la ville soumise, ils forment le peuple dsespr, rsign, de la
servitude.59
Kessel est interloqu devant la laideur dune catgorie dindignes qui ne
sont ni les Ethiopiens , ni les Somalis , ni les Danakils , ni les
Gallas . Cette nouvelle catgorie dindignes est destine la servitude
confirme-t-il.
Leurs lvres, leur nez, leur front bas, leur air bestial les marquaient
aussi srement que le fer jadis marquait les forats. De gnration en
gnration, les anctres de ces misrables avaient t razzis,
enlevs, vendus. Ils avaient servi de rserve btail humain ; les
hommes pour le labour, les femmes pour la jouissance des vainqueurs
qui, avec des cris de triomphe, incendient les villages et chassent
devant eux ple-mle les troupeaux et les habitants.
Monfreid leur dit quelques mots que nous ne comprmes pas. Une
lueur dune avidit presque inhumaine brilla brusquement dans tous les
regards. Les fivreux sarrtrent de grelotter, un rictus de fauve qui fit
tinceler les crocs du grand diable, la femelle gorille passa sur ses
lvres paisses et rouges une langue aussi rouge, aussi paisse
quelles, le petit grina des dents et la vieille elle-mme se dressa. 60
Leurs traits physiques rejoignent trs vite le type ngrode qui fut peint ds
lantiquit et illustr par les thories polygnistes, physiognomoniques,
phrnologiques. Ce type incarne la laideur avec des nez camus et des
lvres normes . Ils sont dshumaniss.
Albert Londres insiste, quant lui, sur le caractre patibulaire des soldats
arabes.
59
60
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p.59.
Idem, p. 64- 65.
121
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Jai vu des tigres, jai vu des lions ; ils mont fait peur, mais pas
autant que les ikouans de la porte royale!62
La laideur vient du fait quils sont atteints dune maladie comme la lpre :
le corps samenuise petit petit et les plaies ouvertes couvertes par des
insectes finissent un tableau rpulsant.
Monfreid mettra laccent mme sur la laideur dun Somali.
Cest un homme de vingt cinq ans environs, laid, dune laideur sans
appel, qui semble tre le reflet de penses troubles, une laideur
laquelle on ne saccoutume pas. Et puis, son regard trange, sans
expression, comme celui dun fou, gne et met mal laise.64
61
122
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Quils
soient
Europens ,
Somalis
et
Dankalis ,
Hindous ou Arabes .
Le mme constat est galement mis en vidence par lcrivain Jean
dEsme.
Delvert (Charles.) - Djibouti- Paris : Revue des Deux Mondes ; 15 fvrier 1936, p. 672.
123
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Dehors sous le feu du soleil, se pressait une foule dense. Elle ntait
plus noire comme toutes celles que nous avions vues de lautre ct de
la mer Rouge. Les visages et les torses avaient une couleur ocre terre
cuite, la couleur mme du sol du Tehama, cette bande ctire insalubre
et brlante qui stale jusquau pied de la chane arabique.67
Et un peu plus loin Kessel raffirme :
Ou encore :
66
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p.67.
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p.132.
68
Idem, p.159.
69
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p.184.
67
124
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Le ddain pour les ngres est encore plus fort lorsque ce sont des
indignes au type de ngre accentu . La dshumanisation devient
complte car ces ngres ne parlent pas mais jacassent . Dans cette
rgion les indignes qui rpondent ces descriptifs sont souvent des
esclaves.
Quoique ces esclaves retrouvent leur aspect humain lorsque le
voyageur prend la peine de les considrer. Monfreid donne la parole une
esclave et pour une premire fois les tendances sinversent.
Des esclaves qui retrouvent leur aspect humain lorsque Monfreid les
incite parler des conditions de leur captivit.
Je demande une femme qui me parat tre la plus ge, de nous
conter comment elle entra en esclavage.
Tous se taisent. Ma question vient de dchirer un voile que jamais ils
navaient pens soulever.
70
71
Idem, p.178.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 30.
125
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
72
73
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 203.
Idem Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p.114.
126
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
127
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Aussitt tous les yeux furent braqus sur nous. Je nen ai jamais
crois qui fussent les truchements dune pense aussi rudimentaire.
Seuls des yeux de ruminants doux, peureux et passifs, peuvent donner
une ide de lexpression quavaient les grosses prunelles roulant fleur
du visage.
Il y en avait de squelettiques et de trs gras, de trs jeunes, et de
trs gs. La vieille branlait du chef, lnorme ngresse caressait ses
lourds seins pendant avec une pouvantable sensualit de bte
obscne ; une autre, les cheveux ras, semblait une femelle de gorille.
Un grand diable, aux muscles splendides, ouvrait une bouche de
frocit et de navet la fois. Un autre tremblant de fivre, tchait de
sourire, et lon voyait grelotter ses gencives ples. Un enfant restait
immobile, contemplant nos visages blancs avec une sorte deffroi.
Tous, hommes et femmes, taient nus jusqu la ceinture, et la
structure de leurs corps accentuait encore les diffrences qui pouvaient
les distinguer.76
75
76
128
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La couleur noire ne peut crer dans lesprit que des images ngatives et
dvalorisantes si lon respecte les crits des poques anciennes sur
lAfrique. Mais dans les cas de nos rcits la couleur noire alimente une
attraction et la couleur noire senrichit, se diversifie et se dnoircit peu
peu. Nizan note fort justement ds son dbarquement un beau noir
reflets rouges (cf. citation ci-dessous).
Monfreid insiste sur des indignes trs nuancs, du brun clair au noir
(cf. citation ci-dessous).
Puis viennent les esclaves proprement dits, aux faces de brutes, les
membres longs et muscls, la poitrine puissante et le bassin troit,
comme les habitants de la fort quatoriale. Enfin une multitude de
gosses tout nus, de toutes les nuances, du brun clair au noir.79
77
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.236.
Nizan (Paul.) - Aden Arabie- Paris : Maspero; 1960, 1960, p.164.
79
Monfreid (Henry de.) - la poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p. 202.
78
129
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Le noir suscite une fascination, une admiration et fait mme lobjet dune
tentation : le dsir absurde demporter le plus beau avoue Henriette
Celarie.
Cest donc un phnomne dtonnement qui conduit une certaine
fascination chez le voyageur, Kessel par exemple.
comme
splendide .
Jean dEsme dit :
80
130
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Elle ntait plus noire comme toutes celles que nous avions vues de
lautre ct de la mer Rouge. Les visages et les torses avaient une
couleur ocre terre cuite, la couleur mme du sol du Tehama, cette
bande ctire insalubre et brlante qui stale jusquau pied de la
chane arabique.84
83
84
Kessel, p.72.
Idem, p.132.
131
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
85
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p.187.
Celarie (Henriette.) Ethiopie du XX sicle- Paris : Hachette ; 1934, p.215.
87
Monfreid (Henry de.) - la poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p.15.
86
132
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Les yeux des noirs prtent rire, ils sont toujours trs blancs, grands et
expriment tour tour effroi, gentillesse, soumissionLes yeux des asiatiques
inquitent avec le fameux regards impntrables . Ceux des Arabes
brlent, mais en mme temps trahissent une certaine fourberie. Si le colonis
regarde droit dans les yeux de son matre, cest que son orgueil va lentraner
vers quelque extrmisme ; sil baisse les yeux, cest quil a quelque chose
cacher.
Cest le cas des esclaves que Kessel a rencontrs en Ethiopie (cf. citation
ci-dessous).
Londres fait frmir les mots en voquant, lors dune audition avec le roi de
lArabie Saoudite, les yeux des Arabes gardant le roi Ibn Soud.
On et dit que leurs dents ntaient pas dans leur bouche, mais
autour de leurs yeux !89
Les yeux de ces derniers sont prts dvorer dans le vrai sens du terme.
Mais les yeux des Arabes restent voqus, en gnral, dans un registre
valuatif favorable. Monfreid le confirme en dcrivant un bel adolescent
(cf. citation ci-dessous).
88
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p.64.
Londres (Albert.) - Pcheurs de perles- Paris : Le Serpent Plumes ; 1994, p.42.
90
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p.76.
89
133
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Quand je lui parle, il plonge dans mes yeux son regard de diamant
qui sen va vers des choses lointaines. 92
Il est trs beau avec son type trange et sauvage aux pommettes
saillantes et aux yeux couleur noisette paillete dor.94
134
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Ou encore quand il sagit de parler des yeux du Ddjaz (cf. citation cidessous).
Aprs la couleur, les visages et les yeux, cest le nez de lindigne qui a
marqu la conscience du voyageur europen.
Le nez arabe est toujours fin, ce qui devrait plaider en sa faveur, selon les
critres europens : le nez de lArabe est aquilin (cf. citation ci-dessous).
Le nez aquilin spare deux beaux yeux noirs trs ardents qui
regardent en face et semblent pntrer, enfin un air de franchise qui
rend le personnage trs sympathique ds le premier abord.97
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p.239.
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.98.
97
Idem Aventures de mer- Paris: Grasset ; 1932, p. 20.
96
135
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
136
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Voici sous forme de tableaux une vision synthtique sur laspect physique
de lindigne. Les remarques qui vont dcouler de ces tableaux proviennent
dun chantillon de productions crites slectionnes. La liste nest donc pas
exhaustive et on pourrait nous reprocher des rsultats htifs et non
reprsentatifs. Mais nous sommes convaincus que le rsultat serait le mme
avec un chantillon plus exhaustif.
Ces tableaux seront suivis dun tableau synoptique qui permettra de
donner une vue panoramique sur les diffrentes caractristiques de laspect
physique de lindigne.
101
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p.64.
137
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Au cours de notre analyse, nous avons constat des catgories qui font
des variations sur le noir. Ce vocabulaire se situe lintrieur dune idologie
de race et ce sont des conceptions quon constate mais cela ne veut pas dire
que nous nous y souscrivons.
LEuropen
(la perfection)
Le Somali
(svelte, fin,
beau)
LAfar
(svelte,
lgant,
beau)
LArabe
(beau, fin,
splendide)
LEthiopien
(beau,
orgueilleux,
admirable)
LEsclave
(misrable, bestial,
inhumain)
Une hirarchie nest pas neutre : le sommet vaut mieux que la base
parce que la perfection y bat son plein. Cette ide morale a jou un
grand rle dans lHistoire Naturelle, elle a nom : chelle des tres102.
102
Penel (Jean Dominique) Homo Caudatus- Paris : Socit dEtudes Linguistiques et Anthropologiues de
France ; 198, p. 79.
138
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Cet chelle des tres se retrouve donc dans tous les ouvrages qui ont
constitu notre corpus. Cette idologie est la base mme de la colonisation.
Leuropen doit coloniser et dominer pour rendre le monde plus doux, plus
civilis et plus vivable. Jean Dominique Pnel nous permet de constater que
ce tableau a dj t illustr par les propos du naturaliste Virey, en 1835.
Voici les propos de Jean Dominique Pnel :
La couleur
103
et
les
esclaves
de
lautre)
Idem, p. 95.
139
vont
composer
notre
tableau.
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La couleur
Somali,
Afar,
Ethiopien
rouges
Les esclaves
Le visage
Le visage est la partie du corps la plus visible. Cest aussi le lieu de toutes
les expressions et de communications. Le visage dtermine lidentit.
Le visage
Somali,
Afar,
Ethiopien
Les esclaves
Face de brutes
L encore, ce sont les esclaves qui sont accabls par des adjectifs ou des
expressions dvalorisantes et dprciatives. Mais les auteurs ne se sont pas
attards sur les visages des indignes rencontrs car ils ny trouvaient pas
les lments horrifiants qui leur auraient permis de sinterroger sur la
descendance humaine. Ils sont au contraire bahis par la beaut inattendue
quils rencontrent. Commenons par les cheveux.
140
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Les cheveux
Afar
Arabe
Ethiopien
Les esclaves
Aucun signalement
Les yeux
Un regard de diamant
Afar
Arabe
Ethiopien
Les esclaves
Peureux et passifs
141
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Le nez
Le nez
Somali
Courb
Afar
Courb
Arabe
Aquilin
Ethiopien
Courb
Les esclaves
Camus
La bouche
La bouche
Les esclaves
142
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Rcapitulation :
Total
Somali
Afar
Arabe
Ethiopie
n
Esclave
Couleu
r
+
+
+
+
Visag
e
+
+
+
+
Cheveu
x
+/+
+
+
Yeux
Nez
Bouche
+
+
+
+
+
+
+
+
0
0
0
0
+
+
+
+
Africain :
104
143
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La douceur
Idem, p. 107.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 82.
144
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Lui est un vrai marin. Il avait cette poque environ trente ans. Cest un
homme doux, mais capable de devenir froce et implacable quand il sagit de
raliser ce quil a promis ou ce quil croit tre son devoir.107
La sympathie
107
145
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La prvenance
Lattachement
Ida Treat (cf. citation ci-dessous) insiste, quant elle, sur lenthousiasme
que manifeste les indignes pour laider chercher un silex. Les Danakils
sont des gens trs attachants.
146
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La gnrosit
Une gnrosit remarque par Monfreid, mme chez les Arabes (cf.
citation ci-dessous).
Son fils, Osman, est un jeune garon de vingt ans, en tous points
digne de son pre, autant par la beaut de son mle visage et la haute
stature, que par lesprit subtil et le cur gnreux.115
Lhospitalit
Lhospitalit est une autre qualit que lon trouve chez les Arabes. Ici
Monfreid saventure chez la tribu arabe : les Hakmis .
Au Ymen, chaque tribu a un chef : un Cheik. Ici le chef des Hakmis est
le Cheik Issa. Monfreid rend visite Cheik Osman, un ami de cheik Issa.
113
147
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La dfrence
La fidlit
148
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Pendant la guerre , 1000 volontaires ont servi dans nos rangs. Partis
en soutien lattaque du fort de Douaumont, ils y sont entrs les
premiers. Quand ils sont revenus au pays, leur fanion cravat de la
fourragre aux couleurs du ruban de la croix de guerre sornait des
noms glorieux de Douaumont, Mont de Choisy, Caisnes, Cernay, Ailles,
Long-pont, Parcy-Tigny, la Malmaison, Vailly, Noyon (cit par Adrien
Dariac, dput). 121
Le dvouement
Le dvouement chez les Ethiopiens est tout autre, crit Monfreid (cf.
citation ci-dessous). Le dvouement est louable, certes, mais combien
paradoxal.
Les Abyssins, par nature, ont besoin dun matre, pour peu quon
sache les prendre, ils deviennent des serviteurs dvous.
Jai dj parl dans plusieurs de mes livres, et notamment dans
Terres Hostiles de lEthiopie de cette fidlit admirable du soldat
thiopien qui, jamais, nabandonne son matre, mme sil doit le
dfendre contre ses propres compatriotes.
Ces hommes brutaux, souvent ivrognes, quelquefois mme voleurs
et prts escroquer leur matre europen la premire occasion, se
font hroquement tuer ses cts, sil doit combattre un danger ou un
ennemi.122
La bravoure et le courage
149
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Jembarque avec Abdi et Ali Omar, les seuls dont le sang froid et le
courage aient fait leurs preuves. Le premier, Abdi, parce quil ignore
toujours le danger et se croit invulnrable quand il est mes cts. Le
second, Ali Omar, parce quil est vraiment brave, et brave avec
intelligence.123
Le courage se manifeste dans les combats mais aussi dans la douleur. Ici
lindigne Kassem se fait soigner et reste digne dans la souffrance. Cela lui
vaut ladmiration de lEuropenne.
La rsignation
Les auteurs (par exemple Monfreid, cf. citation ci-dessous) mettent aussi
laccent sur la conception de la rsignation et du sacrifice chez l'indigne.
La capacit
123
150
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Quant aux Abyssins, exception faite des hobereaux qui vont mule,
le peuple va nu-pied, et cette chair pousant ces cailloux donne une
fire ide des facults dadaptation de la substance humaine.126
La solidarit
126
127
151
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La solidarit nat galement partir dun service mutuel (cf. citation cidessous). Lun aide lautre et cet autre trouve son compte dans une
contribution utilitaire.
La sagesse
128
129
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.100.
Idem Aventures de mer- Paris: Grasset ; 1932, p.46.
152
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La complicit
Les voyageurs ont galement mis laccent sur la complicit dont a fait
preuve lindigne. Ici, un Arabe apprend Monfreid le secret des perles.
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.75.
Idem, p.121.
153
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La fiert, lindpendance
Lintelligence
132
154
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Jai toujours t surpris de voir combien ces gens que nous croyons
barbares savent discerner exactement quelle classe sociale
appartient lEuropen auquel ils ont affaire.137
Lindigne est intelligent mais aussi rus. Ida Treat (cf. citation ci-dessous)
raconte comment Kassem a rus pour la sauver.
136
155
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
139
156
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Le partage
La peur
157
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
quipage face de fortes pluies. Le jeu de lumires donne cet univers une
dimension lectrique.
Les indignes ont peur mme quand ils sont en groupe. Ce comportement
trouve son explication chez Monfreid quand il parle dun de ses fidles
compagnons indignes : Abdi. Cest leur simplicit et leur incapacit
pouvoir sinterroger sur la mtaphysique qui alimente leur me peureuse.
143
158
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Lesclavage
LAutre a soumis lAutre pour lexploiter, et cela, bien avant et bien aprs
labolissement de lesclavage. Ce fut le cas en Ethiopie et cest pour
constater ce fait que Kessel a effectu le dplacement en Ethiopie. Les
indignes ont donc cre au sein de leur socit une classification o une
catgorie de lAutre se voit relgu un rang infrieur. Ce genre de
comportement
illustre
les
thories
monognistes,
polygnistes,
Puis viennent les esclaves proprement dits, aux faces de brutes, les
membres longs et muscls, la poitrine puissante et le bassin troit,
comme les habitants de la fort quatoriale.146
159
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Ces indignes sont dshumaniss tel point que Kessel nous relate une
scne qui peut outrer la sensibilit de chacun et encore plus celle de
lOccidental. Voici comment les esclaves se nourrissent aprs avoir servi
table la viande.
147
148
160
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La mendicit
Ces derniers excellent dans ce domaine comme lillustre bien Armandy (cf.
citation ci-dessous).
Mendier est, pour les indignes, plus quun mtier : cest un art. Ils
apportent venir bout des rsistances du touriste une telle ingniosit
dans le choix des moyens, une telle opinitret dans leur mise en
pratique, quavec le quart de lnergie quils y dpensent, ils seraient
capables de faire fortune en les employant utilement.149
161
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
lcole. Ils
le port, venir
requins pour
la bouche en
La superstition
150
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p.116-117.
Delvert (Charles.) - Djibouti- Paris : Revue Deux Mondes ; 15 fvrier 1936, p.678.
152
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p.235.
151
162
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Les Somalis font lobjet dun rite particulier lorsquils sont prts du
tombeau dun saint. Ici cest Cheik Issak, le plus grand anctre des
Somalis .
Monfreid fait remonter les pratiques superstitieuses thiopiennes et
europennes aux mmes origines (cf. citation ci-dessous).
La superstition fait des indignes des gens nafs. Mais cette navet est
inne comme le constate Monfreid.
Abdi veut revenir terre, disant que nous oublions lessentiel. Abdi
est un simple qui a quelquefois des ides surprenantes, comme
linstinct dun animal par ailleurs stupide.155
153
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.27.
Idem, p.185.
155
Idem Aventures de mer- Paris: Grasset ; 1932, p.57.
154
163
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La navet
Les indignes, les Issas, prenaient les rails pour un double serpent
fabuleux qui sallongeait chaque jour dans le but de piquer le cur du
pays.157
Ces rflexions prtent sourire quand il sagit des rails du train qui
relie Djibouti lEthiopie.
Lautomobile plus que le train suscite aussi un intrt particulier chez
lindigne. Voici ce que Monfreid dit.
Monfreid reprend :
156
164
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Lauto traverse des villages cotous surpris dans leur vie simple. Les
gamins nus courent sur nos traces, sans frayeur pour lauto cet animal,
car il a un cri que lon peut imiter, il a quatre jambes rondes quand on le
fait aller trop vite, et puis on lui donne de leau, il boit, donc il vit.
La seule question mystrieuse est de savoir comment ces btes
saccouplent. On a racont quelles venaient au monde toutes petites
mais parfaitement reconnaissables ; des marchandes dherbe affirment
en avoir vu Dire-Daoua, si petites que les enfants europens les
tenaient dans leurs mains et leur apprenaient marcher en les tenant
par une ficelle.159
Faire fuir une arme indigne en allumant un feu dartifice. Ici cest larme
thiopienne qui prend la fuite pensant des interventions diaboliques .
Et cest cette navet qui justifie la fatalit et qui donne un sens de vie
lindigne. Les Arabes en ont fait une volont divine. (cf. citation cidessous de Monfreid)
Idem, p.124.
Idem, p.16
161
Idem - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p.179.
160
165
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La fatalit
Monfreid est entour par une foule dindignes rsigns. Ils regardent
loutrageante intervention de lEuropen pour sauver ces hommes et aller
lencontre de lordre des choses.
Les Arabes acceptent religieusement leur destine et ce qui compte pour
eux, cest le prsent. Les pcheurs arabes sont stoques et dvous leur
sort (cf. citation ci-dessous de Monfreid).
166
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La corruption
167
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La cruaut
La cruaut fait partie du quotidien des indignes. Mme les chevaux aussi
sont dresss de telle manire quils puissent tre cruels et meurtriers. Le
tmoignage vient de Monfreid.
166
167
168
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Mais pour Monfreid les plus cruels de tous sont les Danakils et cest parmi
eux quil trouvera les plus fidles compagnons.
Les Arabes aussi sont prsents comme des gens cruels et sans piti. Et
cest Monfreid, lEuropen qui les a frquents le plus qui les dfinit dans
cette conversation avec un autre Europen.
168
169
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Mais quand il sagit dun viol la sentence est plus accentue. Le violeur
reste la merci de la famille de la victime. Cest Kessel qui crit.
Des askaris conduisent un homme dge mur, trs sec, trs droit. Il
est enduit de goudron. Entre ses paules est suspendu un tambourin
sur lequel un soldat frappe rgulirement. Soudain le cortge sarrte.
Lhomme est tendu. Un autre soldat lui donne dix coups de bton.
A travers la poix, gicle le sang. Le cortge repart
Lhomme a viol une petite fille. On le promne travers toute la
ville et, pour attirer le peuple on fait rsonner le tambourin. Quand il
sera bout de forces, on lenchanera, et il restera en prison jusqu ce
que le pre de la petite fille dcide de son sort.172
171
172
170
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Le voleur est puni dune autre manire. Il se fait couper la main, (cf.
citation ci-dessous de Monfreid).
173
174
171
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Livrognerie
Un autre aspect ngatif de lindigne est livrognerie mais elle nest pas
gnralise et concerne seulement les Ethiopiens. (cf. citation ci-dessous de
Monfreid)
() Livrognerie chez les Abyssins nest nullement mprisable ()176
Lindolence
Le nacouda et Salim Atoufa en sont des exemples concrets (cf. citation cidessous de Monfreid).
175
172
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La paresse
178
173
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Nizan (cf. citation ci-dessous) prcise que les cafs sont des lieux o
lon atteint le kief , leuphorie.
Le Dankali est, lui aussi, un homme qui cultive lart de la paresse comme
le dit trs justement Monfreid (cf. citation ci-dessous).
181
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p.63.
Nizan (Paul.) - Aden Arabie- Paris : Maspero; 1960, 19, p.108-109.
183
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p.47.
182
174
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Et lors dune discussion, Armandy dvoile cet attrait pour la paresse chez
lEthiopien (cf. citation ci-dessous). Cest donc labandon de toute volont de
produire qui le caractrise.
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p.80.
Armandy (A.) - La dsagrable partie de campagne- Paris : A. Lemerre ; 1930, p.193.
175
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La fourberie
La fourberie est un autre trait caractristique de lindigne (cf. citation cidessous de lindigne). Les Arabes en font une partie indiscernable de leur
tre.
Poltrons, lches, paresseux et tous les vices Que dis-je, tous les
vices ! Sils avaient encore des vices, ils auraient une personnalit
Non, mme pas cela. Ils se prtent tous les vices pour quelques sous.
Ils ne travaillent que sous la menace de la cadouille. Ce sont des btes
de somme. Oh ! En cela, les Anglais savent les mener.187
Le mensonge
Le mensonge est par contre un art partag par tous les indignes toutes
races et toutes distinctions sociales confondues (cf. citation ci-dessous de
Monfreid).
186
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.229.
Idem - La croisire du haschisch- Paris : Grasset ; 1933, p.168.
188
Idem Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p.160.
187
176
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Le vol
La stupidit
Il est voleur mais aussi stupide. Cest ainsi que Monfreid qualifie Abdi le
Somali (cf. citation ci-dessous).
Armandy, quant lui, rvle (cf. citation ci-dessous) une scne comique
dans laquelle un ministre franais aurait pu prir. Cela lui permet de suggrer
quil tait dangereux de se confier des gens (ici les Ethiopiens) trop
enthousiastes pour ne pas dire stupides.
La cupidit
189
177
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Par contre la cupidit est du ct des Arabes car ils sont avant tout des
contrebandiers. (cf. citation ci-dessous de Monfreid)
Jai compris, en voyant ces hommes rsolus, que leur mtier nest
pas une plaisanterie. Une fois engage dans leur entreprise, la vie de
nimporte qui, pour eux, ne compte plus : ce sont les barbares primitifs
prts tuer ladversaire sans le moindre scrupule. Ils sont ce que nous
devenons nous-mmes, nous les civiliss, duqus de morale, nourris
du respect de la vie du prochain, quand on nous force faire la guerre.
Aprs trs peu de temps, nous massacrons nos semblables sans
lombre dun scrupule, sans trace de remords, avec la mme passion
que le chasseur, quand il poursuit et tue son gibier. Tel est lhomme,
quel que soient sa race et les temps o il vit.192
Lindigne est un homme que rien ne peut faire voluer mme sil a vu
lEurope et y a fait des tudes. Il peut au contraire utiliser ses acquis pour
mieux servir le mal. Et Monfreid donne lexemple dAto Joseph, lenfant de la
mission (cf. citation ci-dessous).
Ces traits ngatifs attribus au regard ne sont pas toujours partags par
le narrateur. Et ce sont les ides reues que ce dernier cherche parfois
combattre. Ce dernier pourra mme aller jusqu les attribuer au regardant.
Les indignes et plus particulirement, selon Monfreid, vivent dans un monde
stable et que les Europens viennent dgrader (cf. citation ci-dessous).
Le langage de Monfreid est un langage de compromis, cest un raciste qui
dfend le Noir.
192
193
178
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p.44.
179
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
les
illusions
insenses
et
faire
autrement .
195
196
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.127.
Idem, p.59.
180
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Deuxime partie
La physionomie de lAutre
LArabe possde toutes les tares. Il est mesquin, il est tratre. LArabe
donc inquite mais sa fourberie est dune autre nature que celle du noir. Elle
manque de finesse, elle est plus animale. Elle est mprisable. La qualit de
voleur lui est gnralement, et quasi unanimement, accorde. Enfin lArabe
ment en permanence.
Ainsi il est temps de nous rfrer la fiche signaltique de Montabert
(mentionne au dbut de ltude de laspect moral de lindigne) et de
comparer nos analyses. Mais il serait judicieux de rcapituler nos remarques
dans un tableau. Ce tableau comportera deux colonnes qui vont distinguer
laspect moral positif de lindigne dun ct et laspect moral ngatif de
lindigne dun autre ct. Ces notes concerneront les indignes tout azimut
(Somalis, Afars, Arabes et Ethiopiens). Voyons dabord laspect moral positif.
197
Idem, p.59.
181
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Somalis
Afars
Douceur
Innocence
Sympathie
Prvenance
Attachement
Arabes
Ethiopiens
Gnrosit
Hospitalit
Dfrence
Fidlit
Dvouement
Courage
Rsignation
Sacrifice
Solidarit
X
X
Sagesse
Complicit
Fiert
Indpendance
Intelligence
TOTAL
10
18
182
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Somalis
Afars
Lesclavagisme
La mendicit
La superstition
La navet
La fatalit
Arabes
Ethiopiens
X
X
La corruption
X
X
Lhostilit
La cruaut
La sans piti
Linsensibilit
Livrognerie
Lindolence
La paresse
Lignorance
X
X
La fourberie
Le mensonge
Le vol
La cupidit
TOTAL
X
11
11
183
14
14
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Tableau rcapitulatif :
10
18
Ngatif
11
11
14
14
TOTAL
-1
+7
-5
-5
Lindigne est donc ngatif, le voyageur peut alors justifier son entreprise
coloniale qui consiste adoucir les murs. Il va dabord chercher
comprendre la mentalit de lindigne, le regard.
184
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Noubliez jamais que vous tes, que nous sommes, pour eux, non
seulement des trangers, mais des tres part avec lesquels ils ne
croient pas pouvoir partager de communs sentiments. Ils nont pas eu
lintention de vous cacher quoi que ce soit ; ils nont pas os vous en
parler, voil tout, ignorant tout de votre me.
Nous faisons devant eux tant de choses incomprhensibles quils
nous regardent commettre les plus videntes gaffes, croyant toujours
des raisons suprieures hors de leur entendement. Tant de petites
198
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p.164.
185
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
186
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
- Cest monstrueux !
Romancier que vous tes ! Mais non : cest abyssin.200
187
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
188
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Pendant les premiers jours, jai t trs incommod par les puces. A
certaines poques, au temps de lherbe, disent les indignes, elles
naissent on ne sait comment et envahissent les habitations. On en est
littralement couvert pendant la nuit. Le phnomne le plus
remarquable est la rapidit dadaptation ces parasites. Aprs huit
jours, ils avaient cess dexister pour moi, je ne sentais aucune piqre
et mon sommeil ntait plus troubl.
Mais vient-on changer de rsidence, cest--dire changer de puces,
on est nouveau dvor et faut recommencer sadapter. Il est vrai
que cest plus rapide, un jour ou deux suffisent, et si on renouvelle
frquemment ces dplacements, on finit par acqurir limmunit
absolue.
Les ressources pour la nourriture sont peu varies ; lait fum, tief ou
doura pour faire linjira,ou la boudena, beurre galement fum, miel et
des volailles profusion. Pas de lgumes ; cependant la terre est
fertile, mais lindigne nen a pas lhabitude et rien ne peut le dcider
rompre sa routine. Il ne connat que le pois, quil mange grill, la fve et
la lentille.201
Les animaux ont toujours cohabit avec les indignes (cf. citation cidessous de Monfreid).
201
202
189
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Dans la toucoul lair est lourd et chaud ; il y a dans cette hutte ronde,
de deux mtres de rayon, trois vaches, une douzaine de chvres, des
moutons, deux nes, nos mules, les matres du logis, hommes, femmes
et enfants et nous-mmes
Le feu, seul luminaire, steint. Les braises jettent une lueur rouge et
indcise. Les punaises nous dvorent ; elles nous envahissent par
myriades, sortant des murs par nappes continues. Les bouses de
vaches tombent lentement avec un bruit mat, des cataractes durine
semblent tout submerger ; les hommes ronflent, les nes se soulagent
bruyamment
Nous sortons dans la nuit froide. Ali sveille en se grattant et
comprend sans explication pourquoi nous prfrons tre dehors. Nous
passons le reste de la nuit rtir par fractions successives devant un
grand feu en plein air.203
Armandy nous donne plus de dtails sur cette pratique (cf. citation cidessous).
203
204
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.107.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p.100.
190
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
191
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Ces horribles petites mouches entrent dans les oreilles, dans le nez,
dans la bouche, on les crase en voulant les chasser, car elles sont
collantes et ne senvolent pas. On en mange avec les aliments o elles
tombent par centaines. Au dbut on crache, puis on finit par ne plus
ragir contre ce flau tenace ; on les avale, impuissant, rsign ; enfin
on shabitue, on sadapte, on ne les voit plus, tout comme on ne sent
plus lodeur infecte.208
Lors dun festin organis pour eux, les frres Tharaud nous rapportrent
non pas le contenu de la table mais la manire dont les indignes se
servaient (cf. citation ci-dessous).
Maintenant, serrs sur les bancs les uns contre les autres, ou bien
accroupis la turque sur les feuilles deucalyptus et les joncs devant les
corbeilles de roseaux, ils plongeaient leurs doigts dans les sauces pour y
pcher ce quils pouvaient, y trempaient leurs galettes, ou bien en faisaient
des cornets quils emplissaient de nourriture. La sauce diabolique irritait les
gosiers ; et les gobelets de cornes, emplis de bire dhydromel, passaient de
bouche en bouche. Sitt quil taient vides, tout poisss par les mains
gluantes, on les enfilait lun dans lautre, en hautes colonnes vacillantes, et
de mains en mains, ils allaient se faire remplir aux cuves, do ils repartaient
pleins vers de nouveaux gosiers. Tout cela se passait presque en silence. Il y
avait bien quelque part un ade qui chantait tue-tte, en saccompagnant
dun violon unicorde, et dans un autre coin, un bouffon qui dbitait des
facties, mais personne ne les coutait. On ntait occup qu manger et
boire, car la bombance ne dure quune demi-heure, trois quarts dheure tout
207
208
192
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
193
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Les superstitions peuvent aussi avoir des origines religieuses. Elles ont
alors une dimension un peu particulire. Monfreid nous donne ici un
exemple.
210
211
194
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Une natte de palmier couvre le sol, et, sous une vote obscure, un
rectangle de gravier blanc, bord dune range de pierres, marque le
sol o le cheik est enseveli. Dans un coin, une cassolette de terre est
encore pleine de braises refroidies.
De minuscules paquets, nous de chiffons dcolors, tous vtus de
la mme poussire, sont poss dans les asprits des murs. Ce sont
des offrandes : un peu dencens, des brindilles de bois aromatiques et
quelques grains de riz.
Ces tombeaux, levs de loin en loin sur ces plages inhabites, sont
des refuges pour le voyageur qui chemine dans ces solitudes. L, il fait
sa prire ou rcite une fatha en lhonneur du cheik, puis il se couche sur
la natte et il dort dun paisible sommeil, ct de ce mort inconnu, qui
veillera sur lui, comme il a veill depuis des sicles sur tous ceux qui
ont pass l, entre le dsert et la mer.
Dans cette brousse sauvage, balaye par le vent brlant qui siffle
dans les pines, au milieu de ces tourbillons de sable fuyant vers le
large, ces tombes solitaires, quand on y pntre, semblent poser sur
vous le calme apaisant de leur ombre.
Ces quatre murs de pierres vous isolent de la nature farouche et
hostile. Dans le calme de ce sanctuaire on se sent envahi dun
recueillement respectueux, comme si on entrait sous la protection dune
puissance mystrieuse.
Cette cassolette aux braises depuis longtemps teintes, ces
offrandes poudreuses au creux des pierres, toutes ces pauvres choses
qui disent la pit et la faiblesse des hommes isols, tout cela, ici
devient touchant comme la foi nave du bdouin qui prie, perdu dans le
dsert.212
Les marins sollicitent les cheiks lorsquils se retrouvent dans des les
dsertes et ces derniers comblent en quelque sorte le vide. Le marin ne se
sent plus seul. Monfreid dmontre que ces lieux sinistres dans la mentalit
europenne deviennent un espace de lumire et de rconfort moral dans la
mentalit indigne. La foi joue un rle important dans le quotidien de
lindigne et ce dernier a su concilier sa religion et son environnement pour
crer ce que les Europens appellent la mdecine indigne. La mouche peut
ainsi aider la gurison dune plaie. Cest ainsi que Monfreid voque une
plaie dun indigne.
212
195
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Les mouches avaient dpos leurs ufs et les petits vers blancs
pullulaient dj dans la plaie. En gnral, lindigne laisse toute cette
vermine qui, parat-il, aide la gurison213
Mais lindigne trouve dans le beurre, par exemple, une solution pour
gurir des maux comme nous laffirme Monfreid. Le beurre est utilis contre
la diarrhe verte ou autre maladie de lintestin et sert cicatriser les
blessures.
Mme la bosse du chameau sert gurir contre les maladies (cf. citation
ci-dessous).
Enfin la nuit, tout le monde rentre bord, le ventre plein. Ils ont
dvor la moiti du chameau. La graisse de la bosse a t fondue
213
214
196
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La crotte du chameau est galement utilise bon escient (cf. citation cidessous de Monfreid).
La manire de gurir contre les morsures des oursins (cf. citation cidessous de Monfreid).
Ils (les oursins) sont prs du bord sur les roches qui ne dcouvrent
jamais. Je les connais de rputation seulement. Leurs longues pines
font des blessures qui suppurent longtemps. Les noirs mordent la chair
autour de la piqre, pour briser lpine et traitent la plaie avec des
lavages durine217
215
197
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
dexorcisme relvent du domaine des femmes. Ici, ces sances ont pour nom
les zar . Ida Treat dcrit une scne du zar .
Chez nous Danakil ce nest pas comme a. Ce sont les sorciers qui
donnent les zar. On ne sait pas ce qui se passe parce que les hommes
ne peuvent y aller. Les jeunes femmes y dansent et on les ramne
aprs, moiti folles ou moiti mortes218
218
198
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
C- LAutre de lAutre
La femme regarde fascine par son corps expos aux regards de tous.
Aussi toutes les descriptions des femmes noires sattardent longuement et
positivement sur les poitrines et les fesses. Et la question leurs femmes
sont jolies? , Armandy voque dans la citation du dessous, une poitrine bien
ferme et bien plante .
Faut-il voir dans lexaltation quasi unanime des poitrines des femmes
noires une revanche des mles blancs sur le rgne quelque peu frustrant des
garonnets aux seins peu prominents de lentre-deux guerres ? Presque
toujours, du moins lorsquil sagit de descriptions de jeunes femmes, les
seins sont fermes, robustes et pointus.
Et le second triomphe de la plastique de la femme regarde, ce sont les
fesses et la cambrure des reins. La regarde est bien cambre .
Relvent de lrotisme la frivolit, ltranget, le dguisement, la
provocation, lexhibitionnisme, la soumission, le dvouement, la fidlit ou
encore laspect physique. Monfreid cite :
219
199
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
200
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Ici Kassem, lindigne chante tout en sachant que la fille qui il adresse
cette chanson lcoute de lautre ct du mur. En guise de rponse, la jeune
fille lui rplique par un grand clat de rire. Nous avons donc ici une image
dune femme dankalie coquette et sductrice.
Mais parfois, les images sont des clichs. Albert Londres dit :
201
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
connue de tous et rapporte par bien dauteurs des poques diffrents. Ici
les yeux de la femme arabe quexpose Albert Londres font peur et suscitent
l pouvante .
En outre, Albert Londres ira mme jusqu diffrencier deux formes de
cagoules : le voile cagoule et le masque nasal (cf. citation ci-dessous).
224
225
Idem, p.155.
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p.49.
202
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
mort. Depuis elle navait plus eu denfants malgr tous les gris-gris et
malgr toutes les recettes des sorcires.226
La fille qui a quinze ans, tresse un panier. Quinze ans, elle les a,
Halima ! Elle aurait pu dj se marier. On prtend quelle a eu des
amants et que si lhomme qui lpousera la trouve cousue, elle sera
cousue de frais Mais cela est indiffrent Kassem. Elle est belle,
Halima. Les filles gallas quil a vues dans la montagne sont belles mais
elles sont loin.
Tandis que Halima est l, ct, chaude et dsirable227
De plus la formation dun couple avec une femme Afar est souvent sans
avenir, avec des situations provisoires. Cest donc dans une espce
dinsouciance totale que la femme se laisse guider par lhomme. Ida Treat
parle de la femme cousue .
Cest que comme toutes celles de sa tribu, Halima est une fille
cousue , comme il convient, depuis lge de sept ans. La sorcire du
pays a rapproch et runi ses chairs tendres avec des pines de
mimosa.
Ce sera au mari de rompre la cicatrice vieille de huit ans pendant la
lune de miel : une semaine dans lobscurit dune case o lon enferme
le jeune couple comme dans une prison. Honte lhomme sil ne
parvient pas ses fins. Il ny a que les vieillards et les impuissants qui
ont recours au couteau.
Mais elle connatra encore les pines de mimosa, la jeune marie.
Si, du moins, elle chappe la maldiction de strilit qui frappe tant de
femmes dans cette tribu qui stiole. Enceinte, on la recoudra. Quand la
vieillesse enfin laura rendue inapte procrer on la fermera encore, et
cette fois dfinitivement.
Quelles peuvent tre les origines de cette curieuse coutume de
linfibulation ? Une garantie pour la vertu des filles et des pouses ?
- a empche lentre des ghinn,- mexplique Kassem.228
226
203
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Elle se fait coudre aussi chaque fois quelle change dhommes pour que
ce dernier soit persuad quil est son premier homme. Monfreid rvle cette
supercherie.
229
230
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p.113.
Idem - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p.90.
204
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Elle tient contre ses seins nus un tout petit enfant, indiffrent la
fume, et son geste harmonieux ne lveille point, quand elle se tourne
pour lancer derrire elle la crpe brlante dans le grand panier rond.
Puis elle rpand nouveau dun tour de main trs sr la pte liquide
qui stale et grsille sur le plat dargile pralablement frott dun grain
de ricin.
Tout cela est si gracieux, si rgulier, tous les gestes de cette femme
sont lis avec tant dharmonie quelle semble accomplir les rites dune
danse sacre, calme et lente, comme une nave offrande quelque
divinit paenne oublie dans lombre du vieux chaume o filtre la
fume.
Et chaque matin avant laube, et chaque soir la nuit close, dans
toutes les toukouls de toute lEthiopie, la mme scne se rpte depuis
des millnaires. Peut-tre exprime-t-elle dans son immuable simplicit
lancestral respect que les enfants chrtiens apprennent dans la Pater :
Donnez-nous aujourdhui notre pain quotidien 231
Lauteur insiste sur la grce de ses gestes, sur sa nudit mais aussi sur
ses relents maternels.
Elle inspire alors un respect, une motion ou encore dautres sentiments
de bien des auteurs coloniaux. La femme indigne se rvlera tantt une
femme vitrine, tantt une femme compagne, tantt une femme prostitue
tantt une femme tout simplement trange.
Et comme il est difficile au voyageur de rester insensible la tentation de
conqurir une femme qui pourrait gayer son sjour ; ce dernier qui vit seul
aux colonies se choisit alors une compagne. Il vit avec elle tout le temps de
son sjour et le moment venu de rentrer au mtropole, il ne lui vient pas
lesprit quil pourrait ramener avec lui cette femme. Seulement quelle est la
nature de cette femme indigne qui devient pendant un moment la
compagne de lEuropen ?
231
Idem, p.205.
205
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
232
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.172.
206
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
233
Idem, p.50.
207
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Idem, p.56.
208
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Idem, p.48.
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 19, p.130.
209
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
La femme indigne est aussi une femme qui sait provoquer et qui sait se
mettre en valeur. Paul Nizan fut sduit par les filles somalies.
Elles sont coquettes soit par les regards quelle lance, soit par le sourire
suggestif. Cest un geste digne dune Lolita, dune fille de joie.
Cest pourquoi, la prostitue occupe une place de choix. Il y a une
littrature du bordel colonial. Dans beaucoup de rcits de voyages, la
description du quartier rserv est un passage oblig. Le corps de la
femme prostitue est expos aux regards de tous. Nizan visite un de ces
quartiers, Djibouti.
De toutes les portes les filles sortent en courant comme des folles
dlivres des charmes qui les retenaient dans le noir ; elles sautent
devant le radiateur en se tenant les mains, elles crient de leurs voix
aigus de chanteuses, elles sappellent, ce sont des grandes filles trs
jeunes couvertes de gros bijoux. Leur peau ointe reluit faiblement la
237
210
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Idem, p.144.
211
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
Le paradoxe dans les portraits des femmes indignes tablis par les
voyageurs europens se trouve dans cette opposition de femme laide tout en
tant belle. La laideur et la beaut se conjuguent de telle manire que la
regarde donne limpression dappartenir un autre monde. Laissons la
parole aux frres Tharaud.
On est tellement fait lide dun Orient auquel lIslam a impos ses
habitudes, que dans ces promenades, au moins les premiers jours,
jtais tout tonn de voir les femmes circuler librement, le visage
dcouvert. Surprise dautant plus apprciable quelles ne manquent pas
dagrment, ces femmes abyssines, du moins quand elles sont encore
jeunes et que la graisse ne les a pas dformes. Plutt petites, rondes
et poteles ; une figure avenante et placide, qui garde longtemps un air
denfance ; un teint olivtre ou cuivr ; des lvres charnues sans
239
212
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
213
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
naturelle par des tatouages effectus sur les gencives ou mme sur le cou.
Cette faon dagir fait de la femme abyssine une femme trange.
Ces femmes si diffrentes de nous , dira Henriette Celarie dans la
citation du dessous, quelles appartiennent une autre humanit .
Les femmes indignes quil rencontre sont vertes . Albert Londres veut
voquer ici le masque sous forme de poudre que mettent les femmes pour
se protger contre le soleil. Cette pratique est dailleurs toujours dactualit.
241
242
214
Deuxime partie
La physionomie de lAutre
243
244
215
Troisime partie
216
I- Le Regard de soi
217
A. LE SUJET REGARDANT
218
Obock est donc juge insatisfaisante par Lagarde. Alors, il cre Djibouti
qui va devenir petit petit une ville part entire avec des maisons en dur,
des infrastructures modernes et laspect bruntre dun lieu dsertique se
transforme en un espace verdtre. Nizan parle de Djibouti :
Et cette ville sans aucun pass va prendre le visage dune cit civilise
o lEuropen y verra sa cit, son domaine, son monde, sa civilisation, sa
patrie. Nizan ritre :
219
4
5
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p.8.
Armandy (A.) - La dsagrable partie de campagne- Paris : A. Lemerre ; 1930, p.71.
220
Car cest en effet lEthiopie qui va susciter le dsir des Europens et cela
pour plusieurs raisons. Il y a dabord lintrt conomique puis il y aussi le fait
que LEthiopie soit un pays chrtien. Et enfin lEthiopie est, depuis en 1930,
le premier pays africain faire partie de la SDN (la Socit Des Nations).
Kessel dit :
221
10
222
223
Pour expdier le sel, le caf (plus de 10 000 tonnes que lon dirige
sur lEgypte, la France, la Norvge, lAngleterre et les colonies
anglaises), les peaux de bufs (4 7000 tonnes), les peaux de
moutons et de chvres (2000 tonnes et plus), le musc que scrtent les
civettes la peau tachete, la cire, et tout ce qui descend des plateaux
pour tre embarqu, nous avons construit un port.
Les deux lots du Serpent et du Marabout forment une sorte de
pdoncule prolong vers la haute mer par un autre lot appel le
plateau du Hron.
Ainsi se trouve protge une vaste surface deau. Lon a donc
entrepris de transformer ce havre naturel en un port outill o les plus
gros bateaux pourront aisment accoster, dcharger et prendre des
marchandises, et aussi faire du mazout.
Travail considrable et qui fait le plus grand honneur nos
ingnieurs. Nous les avons vus, jeunes gens sortant de Centrale ou des
Arts et Mtiers, devant les hautes planches dessin sappliquer sur leur
pure par 38 de chaleur comme sils taient dans l a mre-patrie. Et ils
le faisaient avec cette absolue simplicit des gens pour qui accomplir
son devoir est chose si naturelle que les contingences ne comptent
pas.12
Larrive de lEuropen contribuerait faire renatre lindigne et le faire
agir. Lhomme blanc dtiendrait la raison et sa mission serait de librer
lindigne de linertie dans laquelle il vit. Lauteur rend hommage au travail
considrable ralis par les franais en faisant de Djibouti, qui tait un
havre naturel , un port outill qui pourrait contribuer une croissance
conomique. Le port fait alors de Djibouti un lieu hautement stratgique.
Henry de Monfreid le confirme :
11
12
Idem, p.245.
Delvert (Charles.) - Djibouti- Paris : Revue Deux Mondes ; 15 fvrier 1936, p. 679.
224
225
15
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 253.
226
Cet lan est une occasion pour faire ressembler lindigne lhomme
blanc. Ici les franais sextasirent sur le progrs de lassimilation chez les
Danakil, sur les rsultats magnifiques obtenus dans tous les domaines .
Parmi ces domaines, cest surtout lcole qui devient le lieu de toute
assimilation. Mais cela suppose que lhomme blanc doit sinvestir
financirement et matriellement pour dtourner la pense de lindigne. Le
dtournement physique tant impossible ! Voici le constat de Monfreid.
Il faut des hommes trs cultivs, trs civiliss, pour devenir des
sauvages heureux17
Les indignes seront certes trs cultivs, trs civiliss mais ils
resteront toujours des sauvages quoique heureux . Monfreid serait alors
partisan de la thorie associationiste. Alors dfinissons dabord la thorie
associationiste.
Lassociationnisme, cest la thorie qui affirme la possibilit de
coexistence de peuples disparates. Seulement, cette affirmation enferme
lindigne dans des traditions et des structures politico-sociales non
reconnues ou non recherches par le colon. Cest marquer la diffrence de
16
17
227
Cest nous, Franais, qui lavons agence nos frais, nous qui avons
cre de toutes pices son rseau ferroviaire et routier ; nous qui lavons
civilise ; nous qui ladministrons en conciliant les intrts des
indignes et les ntres. Ltranger y peut circuler en toute libert, voire
sy tablir, y acqurir du bien, le grer, en bnficier, le lguer. Nous
nexigeons de lui en change quune chose : le respect de nos lois.19
18
19
Idem, p.58.
Armandy (A.) - La dsagrable partie de campagne- Paris : A. Lemerre ; 1930, p.136.
228
20
21
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.134.
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p.206.
229
Action
missionnaire
et
colonisation
se
trouvent
ainsi
230
231
lindigne, voire mme mythique. Ainsi le colon voit paratre des crits
critiques son gard, non seulement de Monfreid mais aussi de ses
sympathisants comme Ida Treat ou Joseph Kessel. Lamricaine Ida Treat,
auteur narratrice est sauve par lindigne Kassem. Cest ainsi quelle lui
exprime sa reconnaissance en faisant de lui une exception.
232
23
233
train qui mne en Ethiopie sarrte une station. Des enfants accourent vers
les voyageurs les plus repus .
Des blancs samusent Ils chantent une chanson idiote avec les
gestes pouet, pouet , quils font rpter aux enfants noirs en leur
montrant un morceau de pain quils ne jettent jamais Quand le train
part, ils balancent toujours leur morceau de pain devant les gosses qui
tendent leurs doigts les petits se mettent courir le long de la voie en
se bousculant. Alors certains blancs finissent par lancer leur croton.
Dautres trouvent plus spirituel de le garder Il resservira la
prochaine station. Ces gens repus ne sembtent pas une minute24
La narratrice dnonce la cruaut des blancs face des tres pour qui
un morceau de pain est synonyme de repas. La narratrice cherche ainsi
mettre en vidence les conditions dans lesquelles vivent des enfants
abandonns, sans aucune attache, qui sillonnent les rues.
Trs peu de
24
234
est pas ces religieux, mais la mentalit de ces races primitives pour
qui les pratiques de la religion chrtienne sont incomprhensibles.25
dun
de
ses
voyages,
Monfreid
rencontre
des
indignes
25
26
235
236
28
29
237
30
Huchon (Dr Henry.) Mission dans les Monts Gouda- Paris : Revue Troupes col ; n225, 1934, p. 13.
238
Il lui infligeait, par badinage mais avec un sadisme vident, une srie
de petits tourments, de niches cruelles, dont il se plaisait donner le
spectacle aux amis pour leur montrer les rsultats de son dressage .
La femme, habitue ds lenfance bien dautres preuves, criait,
parce que cela faisait rire cet homme blanc qui la payait. Ne
comprenant rien sa mentalit, elle acceptait tout sans discuter,
comme on accepte les mouches, les pines, les cailloux qui blessent
les pieds, le mal aux dents Mais elle tait femme, et si Delporte avait
une pingle pour lui piquer les seins, sa cigarette pour lui brler les
fesses et martinet pour menacer, elle avait son instinct de femelle :
aprs la naissance dune fillette, Delporte le terrible tyran tourna en
bourrique. Fatouma porta des robes de soie, sinitia aux crises de nerfs
tout comme les Madama et menaa deux ou trois fois par jour de
sen retourner chez sa mre.31
239
A peu prs de mon ge, trente ans, trs barbu, une tte doiseau
nez pointu, des lunettes et le crne ras.
Silencieux, ne riant jamais, il dissimulait une mentalit de primaire
sous une rserve o des sourires ferms rpondaient en profondeur
toutes les questions embarrassantes. Il parvenait donner ainsi
limpression den savoir long et, avec un art consomm, il tirait parti de
tout pour intriguer. A la moindre alerte, il plongeait dans le mystre et
laissait courir limagination des autres, car lui nen avait point. Il
mergeait quand la question avait pris forme et en prenait possession
sans avoir dit un mot.
Il tait converti lIslam, faisait ses dvotions la grande Mosque
dHamoudi en un point o, par la porte ouverte, on pouvait le voir. Il
appartenait, chuchotait-on, des socits secrtes, il avait un harem,
des esclaves
Je restai bant dadmiration.
Lieutenant de la brigade indigne, il tait arriv dEurope o il avait,
parat-il, femme et enfant -, quelques mois avant moi.
Tout de suite, il joua la comdie de lIslamisme ; il se travestissait,
aussitt la nuit tombe, et disparaissait au quartier rserv. Il plongeait
dans la stupeur les camarades de passage quil y conduisait, en leur
laissant croire que toutes ces jeunes Somalies accourant lappel de
son sifflet taient fascines par son ascendant. Tout cela ntait
quenfantillage et mme lui valut au dbut quelques consignes la
chambre, mais il eut le mrite de persvrer.
Il fit un dictionnaire de poche, avant de savoir larabe, avec un
Larousse et un Syrien nomm Ghaleb, qui traduisait chaque mot. Cet
ouvrage qui se vend encore Djibouti et qui ma rendu des services
classa son auteur arabisant distingu. Cette tiquette fit absoudre les
mascarades, leur donna un caractre officiel et conduisit Debuis vers
une magnifique carrire au 2me Bureau.
Le plus amusant, cest quil finit lui-mme par se prendre au srieux
et croire fermement que ctait arriv .
En voil un qui, aprs trente ans, joue fond le jeu engag par
caprice de jeunesse.32
240
Je suis fort simplement vtu dune toile autour des reins et nous partons le
long de la plage, le fusil en travers des paules, selon la mode indigne.33
attention,
cette
apparente
assimilation
de
Monfreid
est
33
241
Dieu merci, nous avons donn, ici mme, et dans bien dautres
points du globe la preuve de notre gnie colonisateur.37
36
37
Angoulvant (G.) Etapes asiatiques- Paris : Ed. du monde moderne ; 1930, p. 22.
Celarie (Henriette.) Ethiopie du XX sicle- Paris : Hachette ; 1934, p.225.
242
Idem, p.216.
243
39
40
244
colons, hormis les gains amasss le plus vite possible. Voici lobservation de
Monfreid.
Cette minorit tient conserver ses avantages, elle ne veut donc pas tre
incorpore aux indignes. Cest ce qui explique son attitude conservatrice.
Elle veut garder une supriorit matrielle qui assure et garantit sa
suprmatie, sa prdominance sur lAutre. Le colon nest ni rellement dcid
transformer Djibouti limage de la France, ni envisager un destin
commun avec les indignes.
Certes, la veille du Centenaire, il n y a aucun rapprochement des deux
communauts, lantagonisme persiste et saggrave. Sur ce point, tous les
romans de lpoque traduisent la ralit. Ainsi en 1930, rien ne semble avoir
41
245
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.131.
246
247
44
248
Delvert (Charles). - Djibouti- Paris : Revue des Deux Mondes ; 15 fvrier 1936, p.672.
249
mentionns dans dautres ouvrages car ils sont les plus nombreux aprs les
Franais. Les Armniens sont prsents dans les livres suivants : Henry de
Monfreid (Le Lpreux, p. 66 / Les Secrets de la Mer Rouge, p. 48 / Vers les
Terres hostiles de lEthiopie, p. 112), Andr Armandy (La dsagrable partie
de campagne, p. 47 et p. 83 / La voie sans disque, p. 6 et p. 109). Les Grecs,
quant eux, sont cits dans ces ouvrages : Henry de Monfreid (Les Secrets
de la Mer Rouge, p. 48), Andr Armandy (La dsagrable partie de
campagne, p. 60 et p. 107 / La voie sans disque, p. 28), J.J. Tharaud (Le
passant dEthiopie, p. 160). On retrouve aussi un Suisse (Henry de Monfreid,
Aventures de mer, p. 198), un allemand (Henry de Monfreid, Les secrets de
la Mer Rouge, p. 30), un anglais (Henry de Monfreid, Aventures de mer, p.
152), un Italien (Henry de Monfreid, Vers les Terres hostiles de lEthiopie,
p.138), un Russe (J.J. Tharaud, Le passant dEthiopie, p. 84). Ces auteurs
mettent, souvent, laccent sur la continuit des murs, de culture. Ils nous
renseignent ainsi sur leur propre communaut. Chez les Europens, il y a
toutes sortes de degrs dvolution et des origines sociales diverses. Voici
un exemple de Monfreid qui montre la tension qui pourrait exister entre deux
Europens.
251
252
B- LA FEMME DU REGARDANT
les
unes
des
autres,
comme
si
elles
taient
toutes
253
Ida Treat est la femme qui va marquer le plus notre corpus et cela pour
deux raisons. Dabord cest le fait quelle soit amricaine crivant en franais.
Ensuite cest la nature du projet quelle entreprend qui la distingue. Cest son
statut de femme qui fait dabord son originalit: une femme qui tente une
croisire en mer au milieu dun quipage entirement masculin. De plus elle
immortalise ces moments daventure par lcriture. Dans son livre intitul La
croisire secrte, on dcouvre, au fil des pages quelle eut le temps de
remplir, dune rare sensibilit, un extraordinaire sens de la perception du
dtail, qui lui ont fait, mieux peut-tre quaucune autre femme blanche,
dcrire la vie quotidienne des marins de la Mer Rouge. Elle a pris le large
pour connatre, pour comprendre, pour satisfaire un apptit de savoir. Elle
concrtise un rve, celui de faire partie de lquipage de celui qui a fait de la
mer rouge le thtre de son activit ; le navigateur franais Henry de
Monfreid ou encore communment appel par ses hommes indignes Abd el
Ha.
47
254
Mais cest cet Autre quelle est venue dcouvrir. Un Autre quelle peroit
autrement que tout le monde. En effet, elle ne considre pas lAutre comme
une altrit mais comme une spcificit. Par dfinition, laltrit met en valeur
ltranget de lAutre, ce qui fait de lui quil nest pas moi. La spcificit met
en valeur lexistence de traits caractristiques, elle incite les dfinir, les
analyser, les identifier et les reconnatre et ainsi les assimiler. La
narratrice se baigne avec les indignes, ces noirs hommes de leau ,
abolissant ainsi toute distanciation. Sa diffrence vidente nest pas un
avantage mais une aggravation au sein des marins noirs.
Cette reconnaissance de la spcificit nat de la confrontation entre une
exprience relle, sur le terrain, et les lectures prcdant le dpart. La
narratrice nous dcrit ainsi la manire dont vivent les marins dans le bateau,
au ras du sol, assis ou couch sur le plancher ainsi que leur moment de
dtente mais aussi sur terre. Combien de fois, a-t-elle fait des expditions sur
terre ? Des moments o la narratrice se contentait du confort dun mulet .
Elle nous fait galement pntrer lintrieur des maisons afar et nous fait
partager les jeux de sduction qui se manifestent derrire les murs en bois
48
49
Idem, p.119.
Idem, p.34.
255
qui sparent deux maisons. Ces jeux de sduction ont t analyss dans la
partie consacre la femme indigne.
Le roman dIda Treat peut tre lu trois niveaux : un premier niveau
comme un roman dapprentissage et un deuxime niveau comme un
roman damour et un troisime niveau comme un roman avec une teinte de
ngrier.
Cest un roman dapprentissage car la narratrice se trouve emportes
dans des pripties qui lui font risquer sa vie parfois.
50
51
Idem, p.163.
Idem, p.21.
256
52
Idem, p.25.
257
Idem, p.174.
Idem, p.69.
258
Il sagit pour elle de partir sur la mer, mais en mme temps revenir sur le
rivage pour rapporter lhistoire du clbre navigateur accommode au got
de son pays . Mais cest la mer qui la fascine et qui lappelle .
Laventure cest prendre la mer pour mieux servir les sentiments, le cur
et la pense. Son roman est un moment de dtente mais aussi un moment
de mditation. Son roman cest un moment de rencontre et du scandale avec
son penchant suspect pour un indigne. Kassem est dsormais son
confident puisquelle lui fait part de ses impressions profondes et secrtes. Et
tout se focalise sur Kassem, son nom est rpt cinq fois dans le peu de
lignes qui suivent.
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.194.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p.64.
259
Elle connat les diffrents tats dmes de Kassem. Sans aucun doute,
elle prouve quelque chose dintime pour lui et veut en quelque sorte le
lgitimer aux yeux des lecteurs en dvoilant que sa femme est vieille .
Cest comme si la narratrice voulait prparer les lecteurs accepter ce qui
pourrait faire figure de scandale : une idylle entre un noir et une femme
blanche. Cest comme si elle cherche faire merger de ce rcit la notion du
couple scandaleux mais sans le qualificatif. Elle est une femme et reste une
femme malgr son originalit et son mystre.
La narratrice est une femme et une femme qui crit doit oublier quelle est
une femme en crivant surtout quand elle est la fois narratrice, personnage
et auteur. Dans son texte, le masculin et le fminin ont part gale. Elle se
dguise en homme et son costume masculin lui vaut quelquefois des
mauvaises plaisanteries.
Son rcit est donc un rcit deux visages o lhomme qui est en elle
sexprime. Elle est celle qui protge , fonction attribue lhomme si lon
sen tient aux conventions sociales. Les rles ainsi que lordre logique sont
57
58
Idem, p.41.
Idem, p.30.
260
A deux cent mtres de la plage, je menfonce soudain jusqu mimollet. Les sables mouvants.
Deuxime panique. De tout mon corps je me rejette en arrire. Je
reviens sur mes pas en dcrivant un demi cercle prudent.
Al hamdullilah ! Lair, la brise et leau !
Je plonge dans la mer. Je my trempe longuement le corps et la tte.
Je me laisse rouler par le flot tide et me relve ruisselante.59
Elle devient Autre dans ses dires mais aussi dans son comportement. Elle
devient un membre part entire de lquipage. Tenir la barre dun bateau
est la plus haute distinction attribue un marin quand en plus la dcision
vient dun personnage lgendaire.
Lcriture de soi se place ainsi sous le signe de lAutre.
Elle choisit la forme classique du rcit avec un narrateur autodigtique
qui dit je et parle au prsent.
59
60
Idem, p.105.
Idem, p.147.
261
Je voudrais bien voir les pirates de prs. Jamais, je nai eu tant envie
de descendre terre Comme le houri tarde venir ! Kassem me
noue un turban autour de la tte
Par-dessus ma blouse et mes pantalons roux de pcheurs brhatin,
je serre un chamma. Je remplis mes poches de tabac, et jattends, les
yeux brls par le grossissement des jumelles Zeiss, en fixant la cte,
o se droule cette conversation que je suis sans lentendre 61
- Eh bien, ils causent. Cheikh Oudni leur a dit la vrit sur Abd el
Ha, quil est musulman et que Dieu lui-mme la choisi puisquil a fait
sa profession de foi aprs avoir t retir de la tempte par la main du
Misricordieux De toi il a dit que tu es une princesse parmi les
Blancs, quAbd el Ha est sous tes ordres et que Cheikh Oudni rpond
de ta vie sur sa tte
Il fallait vraiment que je vienne dans ce pays de pirates pour tre
princesse, possder un navire command par le plus clbre coureur
de mer de lOcan Indien et avoir un cheikh pour chapelain !62
61
62
Idem, p.181.
Idem, p.181.
262
Un juron bref et :
- Couchez-vous !
Jobis un peu brusquement. Si nous navons pas chavir, cest par
miracle.64
Idem, p.84.
Idem, p.70.
263
Il y a dans le bateau des lois propres, des lieux aux fonctions prcises et
une organisation sociale et humaine : voyageurs, matelots, mousse,
nakouda Le bateau devient un espace la fois rassurant et inquitant,
chaleureux et hostile. Et cest lunit communautaire qui permet doublier les
menaces.
La Mer Rouge constitue ainsi un terrain idal pour que spanouisse la
dualit humaine.
Ida Treat nest plus femme mais homme car dans la tradition des ctes de
la Mer Rouge, la djembia est signe de virilit et de lgitimit. Afin de
passer inaperue et de rduire les obstacles, la narratrice se dguise en
homme. Le dguisement sert flirter avec le danger en ctoyant de vrais
marins de la Mer Rouge et aussi provoquer ses lecteurs en laissant planer
le mystre sur sa personnalit. Dans la tradition arabe, la femme ne porte
jamais la djembia .
Idem, p.136.
Idem, p.198.
264
Ce qui me console cest le bon accueil qui mest rserv lhtel des
Arcades le meilleur de Djibouti par son propritaire, commerante
avise, femme intelligente et dbrouillarde, sefforant de tenir
merveille son htel, quoique si loin de toutes commodits. Jai conserv
delle le meilleur souvenir. On sent que, chez elle, les Franais, exils
de leur patrie, retrouvent un appui et une bont inpuisables.67
Ds son arrive, cette dernire est loge dans un espace qui lui rappelle
la France. Contrairement Ida Treat qui dormait mme le sol dans le
bateau, La Comtesse de Jumilhac ne peut se priver du confort le plus
lmentaire, celui qui consiste dormir dans un endroit sr et propre : un
htel, le meilleur de Djibouti . La nature de lexcursion est diffrente, on
est certes dans lailleurs mais laventure reste comme programme.
Henriette Celarie, quant elle, a un guide qui porte en lui les marques de
la civilisation : une veste, des souliers .
67
68
265
Ce sont des femmes qui ont lair dappartenir une autre humanit :
tout cela pour dire que ces femmes taient tout simplement pauvres. La
narratrice applique ici la logique du documentaire : rapporter des images
ltat brut sans se soucier des tats dmes de ceux qui font lobjet du regard.
Ces derniers ne servent que de figurine pour concrtiser un reportage. Il
sagit de rapporter des images telles quelles sont imagines au mtropole.
69
Idem, p.243.
266
au
milieu
de
son
quipage
Et
au
mpris
de
mes
recommandations, Mme Treat allait se promener seule tous les soirs sur les
montagnes des environs . Ici, La Comtesse nous fait dcouvrir un quartier
qui justifie laffirmation de Pierre Loti en arrivant Djibouti : Djibouti,
capitale de la prostitution . L encore, le but recherch est de se conformer
quelque chose qui a t dit.
Le dire est lautre indice qui caractrise le documentaire. Il est important
pour celui qui ralise le reportage de faire apparatre dans son rcit des
tmoignages, des remarques manant de personnes qui rsident en
permanence dans le pays. Ainsi, dans le texte qui suit, Henriette Celarie fait
preuve dune bonne connaissance scientifique et gographique tout en
terminant avec une phrase dune religieuse.
267
Lafflux des religieuses, est hautement dsir de tous. Leur prsence est
pour lAfrique un immense bienfait. De plus, non seulement elles font preuve
uvre dducation, non seulement elles soignent et rconfortent les
malades, mais elles donnent encore un exemple de charit bien plus
puissant sur lesprit du noir que tout autre enseignement. Elles vont le
rencontre de la mort : mais elles font davance, la civilisation chrtienne le
sacrifice dlibr de leur vie. Mais beaucoup de religieuses prolongent leur
sjour et viennent trop rarement se retremper au pays natal : elles ne se
plaignent pas, mais leur visage amaigri, leur teint terreux, leurs yeux
enfoncs dans lorbite tmoignent de lpuisement de leurs forces.
Le faire est le troisime indice qui caractrise le documentaire ou le
reportage. Henriette Celarie accorde une importance particulire aux femmes
blanches qui forment les femmes indignes pour en faire des futures
infirmires. Elles les prennent ds leur trs jeune ge et leur dispense le
savoir ncessaire pour soigner et leur donne ainsi une chance de se civiliser.
Au contact des gens civiliss, lindigne volue alors dans un cadre favorable
et se dbarrasse progressivement de sa primitivit. Cette action donne une
lgitimit la colonisation : la mission civilisatrice.
La Comtesse de Jumilhac, quant elle, insiste sur les tentatives
coloniales franaises Djibouti.
268
Il ma t souvent dit .
Je ne connais pas beaucoup lAfrique, sauf lEthiopie, mais il ma t
souvent dit par des voyageurs et explorateurs africains que le sel tait
pour les noirs non seulement une ncessit alimentaire mais encore
une friandise spciale qui attire toutes les convoitises.73
73
Idem, p.12.
Idem, p.13.
75
Idem, p.14.
74
269
parlons chasse
Parlons chasse, que jadore.77
on tudie lhomme
Chose curieuse ! en chassant le gibier, on tudie lhomme, car la
plupart de ces villages somalis qui clairsement les territoires de chasse
en question prsentent le plus gros intrt ethnographique qui soit.78
Un dernier mot
Un dernier mot sur notre Djibouti dont certains crivains coloniaux,
et non des moindres, ont pu dire quil tait un futur Singapour franais.81
76
Idem, p.15.
Idem, p.16.
78
Idem, p.17.
79
Idem, p.19.
80
Idem, p.21.
81
Idem, p.22.
77
270
82
83
Idem, p.23.
Idem, p.27.
271
Il ne faut pas favoriser mais plutt contrarier larrive de jeunes filles (en
dehors des religieuses). Aucun emploi rgulier ne souvre pour elles
Djibouti, et ds lors leur prsence ne peut tre, en rgle gnrale, quun
facteur de dmoralisation, de trouble, de dsordre et de scandale. La preuve
se trouve dans cette scne, Carlier le hros du roman de Jean dEsme,
intitul Lhomme des sables , remarque la prsence dune jeune fille
blanche assise toute seule une table dans un caf. Carlier oublie son
compagnon de table et se met contempler la jeune fille.
Fortes des droits quelles tenaient de la loi dAllah et des gards dus
leur haut lignage, les trois pouses dlaisses ne perdaient aucune
occasion de cracher lanathme sur cette fille de Shatan qui
84
272
Cest elle qui va au devant de ltreinte : elle lui tendit ses lvres . Elle
devient donc, aussi, landrogyne, ltre semi lgendaire, cible de tous les
fantasmes qui apaise la vertigineuse solitude des hommes. Cest la femme
fatale et Carlier, le solitaire, ne rsistera pas longtemps.
Elle est aussi le lieu de la dualit, limage de la face cache : elle est la
fois lquilibre et le dsordre. Elle devient alors llment moteur de la
subversion des valeurs occidentales. Elle est le symbole du renversement
complet des logiques tablies. Elle est le contraire de celle qui va constituer
le quatrime type de femmes : la femme europenne marie.
85
86
Idem, p.116.
Idem, p.133.
273
87
88
274
La femme blanche apporte aussi plus de confort, car son home, mieux
amnag, plus avenant, sert bientt de modle. Et le visiteur en devient
bahi . Cest le cas de Monfreid lors dune de ces visites un Franais
vivant avec sa femme une parisienne loin de la capitale, Djibouti.
Pour peu quelle ait du cur et de linitiative, la femme europenne marie
devient une petite providence pour les colons souffrants, pour les femmes et
les enfants indignes malheureux ou malades. Lexemple de madame
Chapon Bassac et de son dispensaire a dj t voqu.
Qui ne se rappelle lmotion des voyageurs dcrivant lhospitalit reue
dans une famille blanche isole au centre du continent noir ? Le livre dAndr
Armandy intitul La voie sans disque nous donne loccasion dvoquer le
cas de la femme europenne marie.
Louis Saulieu tombe amoureux dune jeune fille venue de Madagascar
soigner son pre mourant. Aprs la mort de celui-ci, Louis Saulieu lpouse.
Grce elle, ce coin perdu de lAfrique revt tous les attraits de la patrie.
Andre est dsormais la femme de Louis Saulieu. Elle a fait un choix difficile
en lpousant. Cela voulait dire une installation durable en Afrique et un
mode de vie compltement diffrent de celui de la France.
Mais le statut dAndre est bien particulier. Elle est venue Djibouti pour
sauver son pre. Elle ne sintresse nullement au pays et ses habitants.
Son mari comme tout colon rpond au clich du mle : mystrieux, tueur, viril
et insensible. Elle reprsente la femme au foyer et elle nexiste que par le
personnage de son mari : elle est sans arrt pose sous le regard des
hommes.
89
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p.137.
Idem, p.24.
91
Idem, p.39.
90
276
92
Idem, p.98.
277
C. LE REGARD REGARDANT
278
Il faut des hommes trs cultivs, trs civiliss, pour devenir des
sauvages heureux...93
Le sauvage heureux ou plutt lindigne volu fait alors montre des
meilleures qualits humaines possibles. Dsormais lindigne nouveau
nest plus nu, il est sympathique, il connat la bont, la tendresse, la
courtoisie. Il fait preuve de fidlit, de loyaut defficacit et dhonntet. Et
enfin il est patriote car il parle au nom de sa nouvelle patrie : la France. Il a
russi se librer des structures mentales obscures et primitives et il a
progressivement partag les valeurs europennes. Lacculturation se fait par
strate cause de lislam comme nous le verrons un peu plus tard. A la fin, il
est considr comme une preuve vivante de la russite coloniale et la
colonisation y trouve sa justification et sa lgitimit. Monfreid nous prsente
un indigne nouveau :
279
94
Idem, p.41.
280
pour saisir toutes les nuances de ses penses mais toujours par le biais de
lindigne nouveau . Armandy nous parle de M. Pques.
Ce sont eux qui ont occup les plus hautes fonctions du nouvel Etat issu
de la colonisation. Ils ont choisi de se mettre au service du colonisateur et de
dfendre exclusivement ses intrts et finissent par en adopter lidologie. Ils
en sont rcompenss de la belle manire, lindigne nouveau est
nomm ici ministre des travaux publics .
Dans tous les cas, ce projet dassimilation a prouv son ct bnfique
puisque lEuropen na pas cherch marquer une distanciation ternelle
lgard de lAutre. Monfreid voque aussi lindigne duqu :
95
96
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97
Monfreid (Henry de). - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.222.
282
98
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle revue critique ; 1930, p.13.
283
Un boy brassard C.F.E. fit clapoter ses pieds nus sur les dalles.
- Bon ! fit Carlier soucieux ; quest-ce quil y a de cass, Bigoudi ?
De son vrai nom, le boy de Carlier sappelait Hala Guiorguis, Biceps de Saint-Georges ,- ce dont Carlier, par abrviation
euphonique, avait fait Bigoudi. Elve des Missions, Bigoudi en avait
gard, avec un respect mitig des Franais, un rudiment imag de leur
langue :
- Y en a mossi le directeur te faire dire venir immdiatement,
mme chose gazelle.99
284
le
boy
est
presque
toujours
un
adolescent
qui
incarne,
100
285
conducteur du train. Le boy reste lautre lment qui occupe ses centres
dintrt.
102
103
286
Le boy est souvent prsent comme tant beau, propre, plaisant et habill
en costume de serviteur comme un personnage de ferie orientale , nous
prcise Delvert. Sa prsence est un signe dexotisme .
Et relativement ses traits physiques, ses traits moraux sont
essentiellement positifs. Il incarne la douceur, linnocence, la sympathie, la
prvenance,
lhonntet,
lattachement,
la
gnrosit,
la
gratitude,
Delvert (Charles). - Djibouti- Paris : Revue Deux Mondes ; 15 fvrier 1936, p.682.
Armandy (Andr.) - La voie sans disque- Paris : Lemerre ; 1931, p.66.
287
Jean dEsme veut nous montrer les bienfaits des blancs mme auprs des
gens quils soumettent des besognes peu valorisantes. Limpact est
encourageant car ils leur font refuser les institutions sociales et les normes
familiales, rejeter le pouvoir tribal au nom de la libert et du modernisme
incarns par les valeurs franaises. Et comme souvent ces adolescents
taient ambitieux, ils rpondaient positivement linfluence europenne et se
retrouvaient ainsi tiraills entre deux mondes antagonistes. Ils devaient faire
le choix entre leur monde misrable et opprim et celui de laisance, du
bonheur, du confort et de la libert. Mais des fois les comportements
contradictoires des Europens sous leffet de lalcool provoquent non plus
une apparente communion mais une distanciation entre le boy et son matre.
Monfreid illustre ce comportement du regardant :
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle revue critique ; 1930, p.163.
Monfreid (Henry de). - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p.27.
288
pousse les autres indignes sloigner du blanc. Ce dernier perd tout son
prestige, sa suprmatie et surtout sa crdibilit envers lindigne habitu
voir en lui la perfection.
Cest pourquoi le fait de servir lEuropen vaut au boy lhostilit des siens.
Pour eux, il reprsente lhumiliation humaine dans tout ce quelle a de plus
dgradant. Et cela contrairement lindigne volu qui sert de pont entre la
communaut blanche et la communaut noire malgr des carts dans son
comportement. Lun inspire la fiert puisquil dtient le savoir, lautre inspire
laversion car il excelle dans la soumission un tre qui nhsite pas
taler sans pudeur les faiblesses et souvent dabjectes turpitudes . Mais
cest surtout la soumission absolue jusqu recevoir une paire de gifles
sans se manifester qui dvalorise le boy. Armandy raconte cette scne :
289
109
290
Mais quels sont, en ralit, les indignes qui se retrouvent chez les
religieux ?
Ce sont dabord les enfants abandonns ds la naissance. Ils sont les
plus prfrs des religieux car leur ducation religieuse est garantie et ne
peut interfrer avec une autre religion. Ce sont des enfants trouvs comme le
dit si bien Monfreid propos dAto Samuel, le prcepteur de lempereur
thiopien quand il tait jeune.
110
111
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p.174.
Idem, p.177.
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Ce sont souvent les autres Europens ou encore les cousins des colons
franais (Italiens, Grecs) qui sont lorigine des mtissages Djibouti et non
pas les franais venus en tant que colonisateurs. Pourquoi ?
Ces europens ne bnficient de la colonisation que par cousinage mais
ils sont plus proches des coloniss que ne le sont les Franais. Et la
grande diffrence du Franais, lItalien ou le Grec parle souvent la langue de
lindigne et entretient avec lui des relations amicales et fraternelles brisant
ainsi toutes les diffrences. Or voil un facteur qui contribue la mixit et au
mtissage. Contrairement aux Italiens et aux Grecs, les Franais se
contentent de relations formelles et conventionnelles avec un ton qui rappelle
en permanence le dominateur sadressant au domin. Ainsi la mixit
engendre par un Italien ou un Grec donne naissance des enfants qui
porteront des traits qui rappelleront les deux races : blanche et noire. Voici
un exemple donn par Monfreid.
115
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p.124.
295
296
Sil veut obtenir un mtier, simposer et se faire une situation sociale pour
intgrer ladministration coloniale, il doit faire valoir la partie europenne qui
se trouve en lui. Il aura plus de chances quun indigne tout court. Et quand il
sagit daccder au monde indigne, il fait paratre lautre aspect de lui-mme
et son adoption est totale. Sa bivalence est donc plus un avantage quun
inconvnient. Mais attention, il suffit quil soit humili ou contraint par une
partie pour quil se mette cultiver une haine, un mpris et se rvolter
totalement contre lautre partie qui le constitue. Il sen carte et contribue
sa maltraitance. Il devient alors plus mchant, plus humiliant et plus cynique
quun colon blanc de souche ou plus violent, plus barbare, plus sauvage et
plus cruel quun indigne original. Ce sont uniquement les vices qui qualifient
lune ou lautre race qui vont se rveiller en lui et le guider pour servir plus le
mal que le bien. Cest pourquoi le mtis suscite la crainte, la peur et la terreur
car il est source de malheur. Ici Monfreid prsente Michal comme un
chenapan .
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Quatrime partie
Le discours de soi
Quatrime partie
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Quatrime partie
Le discours de soi
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Quatrime partie
Le discours de soi
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Quatrime partie
Le discours de soi
Cest une image dun autre ge, dun lointain pass de lhumanit et des
ges primitifs de la pierre et du fer mais qui trouve toute son authenticit
ici. Conditionn davance par ses prdispositions naturelles, la socit
observe, semble alors ne jamais pouvoir chapper son dterminisme
biologique, auquel sa passivit la soumet, limage du berger qui attend
patiemment et dans sa pose familire que les femmes terminent de
puiser leau du puits.
1
2
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 56.
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p. 175.
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Quatrime partie
Le discours de soi
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Quatrime partie
Le discours de soi
Bien que le soir vnt, la chaleur tait telle que leau fumante giclait du
radiateur ainsi que dun geyser. Prvenus par la trompe du prince, - il
tait seul possder une voiture, - purilement, curieux de ce monstre
quils voyaient rarement, les paysans de Tehama accouraient avec des
cruches en terre cuite pour apaiser la soif de la diabolique machine.5
Dans ce pays, cest la charrette qui fait figure de voiture. Ces derniers,
nous rapporte Kessel, accouraient avec des cruches en terre cuite pour
apaiser la soif de la diabolique machine . L encore, la scne prte au
sourire. Le comique se trouve dans lacte et dans la logique qui conduit cet
acte.
Lavion est aussi un autre objet de divertissement pour Kessel vis--vis de
son public mais aussi facteur de dgradation humaine.
4
305
Quatrime partie
Le discours de soi
Elle a une tte, des ailes et une queue. Je lai vu Djibouti, cet
oiseau. Il ne voulait pas partir et il sentait trs mauvais. Il ntait
pourtant pas bless Mais il ne voulait absolument pas quitter la terre
et il crachait des nuages noirs. Cest comme lautomobile. Elle est trs
souvent malade, elle mange un fourrage qui cote trs cher ; le cheval
vaut mieux et la voile beaucoup mieux.6
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Quatrime partie
Le discours de soi
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Quatrime partie
Le discours de soi
pas
moins
le
reflet
des
opinions
extrmistes
des
colonisateurs.
La psychologie de lindigne atteste alors aux yeux des observateurs de
sa soumission radicale aux valeurs mutilantes. Partant de points de vue
distincts, les auteurs arrivent toujours au mme constat de ngation de ltre
observ qui, caractris par la fixit, rassemble toutes les caractristiques de
primitivit. Certaines expressions sont loquentes par elles-mmes ce sujet
et ont dj servi nos analyses auparavant. Voici les propos de Kessel :
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 235.
308
Quatrime partie
Le discours de soi
Les crivains collent, donc, avec la plus grande aisance des pithtes
appartenant au vocabulaire anthropologique, quils les dpouillent de leur
sens scientifique et les chargent volontiers dune connotation pjorative rien
que pour mieux exprimer la primitivit de lAutre.
Lexemple de certains crivains peut expliquer, peut-tre, que la
recherche effrne de la primitivit chez lAutre rpond un besoin
imaginaire des auteurs. Ceci prouve que les crivains ne sont pas aussi
objectifs quils le prtendent, et que loin de dcrire la ralit, ils lui prfrent
leur propre vision des choses et leurs phantasmes. Adhrant la thorie
darwinienne de lvolution de lespce, les crivains semblent faire honneur
la slection des tres et la supriorit des races. La suite logique de leur
raisonnement situe alors la socit europenne au point le plus lev de
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 47.
Tharaud (J.J.) - Le passant dEthiopie- Paris : Plon ; 1936, p. 95.
10
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Quatrime partie
Le discours de soi
2. La mort
11
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 206.
310
Quatrime partie
Le discours de soi
Le thme de la mort est un thme rcurrent dans tous les crits des
voyageurs. Ces derniers savent quils vont partir dans un endroit inconnu ou
mal connu (lecture rapporte par des voyageurs qui ont effectu le
dplacement jadis).
Ce dpart vers lAilleurs suppose aussi un probable non retour. La mort
est suscite par le paysage comme cela a dj t dit auparavant. Voici un
exemple donn par Monfreid.
Ils sen vont sur les les lointaines, tentant des traverses de
plusieurs jours en pagayant sur la frle prissoire pour arriver au lieu
propice la pche.
Le plus souvent, ils disparaissent, emports par un coup de vent ou
bien au cours de leur plonge aux environs des les loignes, ils sont
happs par un requin. Celui qui reste ne peut plus, seul maintenant,
franchir la distance qui le spare du point deau, car une seule pagaye
ne suffit plus un tel voyage ; il prit son tour.
Jai trouv une fois, en mer, un houri en drive que des bandes
doiseaux de proie mavaient signal de loin. Un cadavre sans yeux, le
ventre ouvert coup de bec par les oiseaux de mer, y pourrissaient
ct dune tanika vide, qui disait le martyre de la soif et linsparable
tomboura, o, peut-tre, lagonisant avait une dernire fois voqu sa
fort natale, ballotait dans leau trouble de la sinistre pirogue.12
12
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 52.
311
Quatrime partie
Le discours de soi
Par un soir de brousse, Oubnche, une femme indigne qui vit avec
Monfreid vient dtre tue. Monfreid va clater en sanglots et dvoile
ainsi son chagrin :
LAfrique
est
un
continent
monstrueux
et
sanglant.
Le
corpus,
volontairement limit, sur lequel nous avons travaill englobe une srie
dcrits dans lesquels cette image est largement reprsente. LAfricain
rencontr Djibouti est un cruel pour qui guerroyer constitue loccupation
principale, nous rappelle Kessel.
13
14
312
Quatrime partie
Le discours de soi
313
Quatrime partie
Le discours de soi
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Quatrime partie
Le discours de soi
Les indignes rencontrs sont donc violents et cruels. Voil deux dfauts
humains mais qui dvoilent en mme temps le ct animal, brut de lhomme.
Ils sont dans tous les cas prsents comme le code de conduite de la socit
observe. Les indignes sont trs souvent considrs comme des tres
violents, cruels et barbares. Cest surtout la cruaut qui est prsente
comme un comportement des plus caractristiques et mme des plus
naturels au sein de lindigne observ. Elle rgit et domine les rapports
interindividuels. Elle est lexpression manifeste de la primitivit de lindividu
colonis. Do la ncessit de coloniser. Les exemples sur linsensibilit,
laffreuse cruaut, linhumanit impitoyable de ces indignes barbares sont
trs nombreux. La mort peut tre un facteur de promotion chez lindigne. La
mort a un statut honorifique comme le souligne Delvert dans cette citation :
18
Idem, p. 186.
315
Quatrime partie
Le discours de soi
Mais, dans la citation ci-dessous dArmandy, ils ne sont pas aussi perfides
que les Ethiopiens et cela limage de Lidj Yassou, le fugitif qui nhsite pas
massacrer ceux mmes qui lui avaient donn asile .
Delvert (Charles.) - Djibouti- Paris : Revue des Deux Mondes ; 15 fvrier 1936, p. 674.
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 158.
21
Armandy (Andr.) - La voie sans disque- Paris : Lemerre ; 1931, p. 229.
20
316
Quatrime partie
Le discours de soi
22
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p. 160.
317
Quatrime partie
Le discours de soi
Idem, p. 159.
318
Quatrime partie
Le discours de soi
coloniale
est
synonyme
dactes
individuels
incontrls,
24
Idem, p. 204.
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Quatrime partie
Le discours de soi
Le noir vit sur une terre de mystre et de mort, aride et hostile. Son
comportement est viscral, organique.
Le thme de la mort a toujours t li la mentalit primitive. Les murs
et les coutumes de lindigne suscitent ltonnement, linquitude et leffroi.
25
26
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Quatrime partie
Le discours de soi
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Quatrime partie
Le discours de soi
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Quatrime partie
Le discours de soi
3. Lrotisme
La danse a une fonction rotique car elle traduit les dsirs, lexaltation
sexuelle de la femme, perceptibles comme un appel lamour dans tout ce
quil a de prosaque. Jumilhac appelle cela des danses rythmiques la
fois gracieuses et voluptueuses . Limage de la danseuse prostitue est
spcifique la littrature de voyage. Elle a dabord constitu un sujet
dlection dans la littrature exotique, incarnant le charme de lAilleurs
enchanteur. Elle se transmet dun crivain lautre comme un lment
29
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Quatrime partie
Le discours de soi
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Quatrime partie
Le discours de soi
Il faut partir ou se laisser prendre nous dit Nizan dans la citation qui
suit.
De toutes les portes les filles sortent en courant comme des folles
dlivres des charmes qui les retenaient dans le noir ; elles sautent
devant le radiateur en se tenant les mains, elles crient de leurs voix
aigus de chanteuses, elles sappellent, ce sont de grandes filles trs
jeunes couvertes de gros bijoux. Leur peau ointe reluit faiblement la
lueur des phares et au reflet rouge de leurs cabanes. Des mains se
posent comme une patte danimal sur votre cou, il faut partir ou se
laisser prendre, se plonger dans les vagues dun amour enfonc dans
ltuve de la nuit.30
Cette danse des prostitues est donc dcrite chez certains crivains
comme un ensemble de dhanchements vulgaires, sans valeur artistique ni
grce, ni douceur. Prsente comme un ensemble de gestes irrespectueux
et provocateurs, elle devient lobjet de laversion de lcrivain qui sempresse
de la dnigrer au nom de la moralit et de la pudeur.
Enfin par sa recrudescence, le thme de la prostitution indigne simpose
ainsi au lecteur comme une ide fixe quasi obsessionnelle chez lensemble
des crivains. Elle constitue lcueil contre lequel tous butrent. La socit
colonise semble, par lintrt quelle suscite et malgr tous les prjugs,
exercer une immense attraction sur les crivains. Prtendant en tre les
interprtes fidles, les crivains ne purent sempcher de concentrer leurs
efforts en traduire les gestes et faits en comportements sexuels
pathologiques et pervers. Leur vision apparat alors sans indulgence
lgard de la prostitue dote aussi bien de caractristiques rotiques et
voluptueuses quobscnes et bestiales.
Le mythe de la prostitue perverse et dchue, incrust dans la conscience
collective coloniale, trouve dans certains passages sa pleine justification. Et
cest travers ces clichs que sest maintenu dans la littrature coloniale le
prjug tenace de la femelle obsde sexuelle, castratrice, de la mante
religieuse destine flatter les gots excentriques et les phantasmes sexuels
dun certain public.
30
325
Quatrime partie
Le discours de soi
31
326
Quatrime partie
Le discours de soi
seins durs et charnus, cause dun peu de sable coll par la moiteur de
la peau.32
Mais dans ces louanges , il faut voir une forme de perfidie car de tels
avantages sont plus du domaine de lanimalit, de la bestialit que de
lhumaine beaut. Les mots vocateurs comme mamelle ou croupe
courent dans toute la littrature coloniale. Ici cest une vieille femme
mamelue que dcrit Monfreid.
32
327
Quatrime partie
Le discours de soi
Une grosse esclave vend des dattes et des fleurs de khadi ; elle
invective un superbe Arabe, comme savent le faire toutes les
marchandes de la Halle ; le ton monte rapidement, tout se tait alentour
devant cette fureur ; la vieille Soudanaise domine lassistance de sa
voix perante, ses yeux lancent du feu, ses mamelles et son ventre
dferlent sous les hardes.36
36
37
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 218.
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 166.
328
Quatrime partie
Le discours de soi
nul
autre
domaine
que
celui-ci,
ltre
colonis
et
plus
38
39
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Quatrime partie
Le discours de soi
ce que lon croit toujours apercevoir un peu plus haut . Il n y a pas plus
suggestif.
Ici Monfreid se conforme lattente de son public. Lindigne est muscl et
naturellement bien constitu. Certaines ides reues vhiculaient mme que
lindigne ne savaient sabstenir quand le besoin se prsentait et certains
crivains le prsentaient comme quelquun qui tait capable de sattaquer
des femmes blanches innocentes et non consentantes. Les noirs taient
incapables de rprimer leur dsir de possder par le viol des femmes
blanches. Nos crits ne rapportent aucun moment ce genre de
reprsentation. Au contraire, cest la femme blanche qui va laisser paratre
ses penchants pour un noir.
Ida Treat laisse libre cours son imaginaire et une description connotant
lrotisme surgit peu peu avec courb sur la barre, le bateau qui se
balance sur la houle et tout finit par fix au fond . Tout cela voque
lacte sexuel. Mais cette vocation vient dune femme blanche et satisfait
quelque part limaginaire collectif du lectorat fminin europen. Mais cest le
seul exemple que le corpus tudi met notre disposition.
Nos crits vont par contre surtout insister sur la tendance homosexuelle
des indignes. Monfreid voque pour cela la ville de Chahar connu pour
son got homosexuel.
330
Quatrime partie
Le discours de soi
331
Quatrime partie
Le discours de soi
Cette noix est de la grosseur dun gros potiron ; elle est double et ses
deux hmisphres rappellent, sy mprendre, une paire de fesses
entre lesquelles la nature sest plue reproduire minutieusement
certains dtails anatomiques particulirement suggestifs.45
Le corps masculin, rvl dans les plus petits dtails, est alors dcrit avec
une telle libert dans le vocabulaire quelle touche la trivialit des tableaux
pornographiques
La mer devient un lieu paradisiaque o la libert du corps masculin trouve
son expression la plus totale travers sa nudit.
44
Idem, p. 88.
Idem - La poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p. 233.
46
Idem, p. 78.
45
332
Quatrime partie
Le discours de soi
Cela peut paratre comme un lieu de rve pour un public habitu un tel
spectacle de nudisme intgral. La constance reste la nudit de lhomme et
linsistance sur leur partie la plus virile. Monfreid ne cesse de le mentionner
travers ses diffrents uvres. L ce sont des matelots et ici cest des
Carayous, peuple thiopien.
Ainsi, lAutre est investi de tous les fantasmes, de toutes les peurs,
souvent de tous les dsirs. Voici le tmoignage de Kessel.
47
333
Quatrime partie
Le discours de soi
On connat les clichs. Pour la femme blanche, lhomme noir est souvent
le premier objet de dsir. Pour lhomme blanc le noir est le rival, plus grand,
plus fort, plus prs dun tat de nature mythique do la rvlation dune
tendance homosexuelle chez certains crivains europens. La femme noire
est aussi lobjet du dsir honteux, de la passion vite assouvie. Lambivalence
est
au
cur
de
ces
phantasmes
marqus
par
un
phnomne
4. Le voile
Les
crmonies
religieuses
fournissent
un
large
chantillon
de
Quatrime partie
Le discours de soi
Les voyageurs qui pntrrent pour la premire fois dans lAilleurs furent
frapps par un phnomne qui relevait de ltrange leurs yeux : cest la
vision gnralise des femmes invisibles derrire leurs fentres, les
moucharabiehs .
Dans la citation ci-dessous, les femmes arabes se distinguent par leur
voile et font valoir leur sentiment uniquement que par les yeux, de longs
yeux de velours qui ne laissent pas Armandy insensible, ctait Port Sad
avant darriver Djibouti.
Des femmes voiles portant entre leurs longs yeux de velours le petit
cylindre dor qui distingue les femmes maries, me dcochrent au
passage des marques dinsistante sympathie. Positivement, jaurais pu
me procurer de tout Port-Sad, de tout, oui sauf des munitions51
50
51
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 26.
Armandy (A.) - La dsagrable partie de campagne- Paris : A. Lemerre ; 1930, p. 14.
335
Quatrime partie
Le discours de soi
52
53
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Quatrime partie
Le discours de soi
337
Quatrime partie
Le discours de soi
Elles ne sont pas voiles et leur teint est trs noir. Ce sont des
Akdama, parias dont la condition sociale est infrieure celle des
esclaves. Le matre, par exemple, peut manger avec ses esclaves,
jamais avec un kadam.
Types sauvages trs tranges, o le mlange des races a mis, chez
certaines femmes, cette mystrieuse force, ce charme troublant quon a
baptis en Europe, le sex-appeal. Lune delles la plus vieille, chez qui,
bien entendu, la force en question sest depuis longtemps vapore,
savance vers nous en dcouvrant son ventre noir plus bas que le
nombril. Elle le frictionne nergiquement de sa main maigre pour nous
exprimer quelle a faim.
Une autre, beaucoup plus jeune, se tient prs delle, splendide et
fascinante sous ses haillons. Elle se contente dapprouver les
affirmations de la vieille en hochant la tte mais sans imiter son geste.
Je vois dans la nuit tombante briller les grands yeux de cette fille
noire, comme ceux dune bte aux aguets, anxieuse et craintive. Mon
regard ne les fait point ciller, je dois mme faire effort pour surmonter
un trouble ridicule et soutenir lclat un peu diabolique de ces prunelles
luisantes.55
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 133.
338
Quatrime partie
Le discours de soi
56
339
Quatrime partie
Le discours de soi
Il faut distinguer quatre thmes parmi tant dautres pour illustrer les
thmes lis aux conditions de vie dans la Corne de lAfrique : le soleil, le
casque, les animaux et le vocabulaire.
57
340
Quatrime partie
Le discours de soi
En outre, le soleil est mme compar un animal qui mord. L encore les
effets nfastes du soleil prennent des dimensions extraordinaires.
58
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 125.
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p. 246.
60
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 115.
59
341
Quatrime partie
Le discours de soi
Le soleil introduit ainsi dans un effroyable nulle part. Mme ceux qui sont
habitus au Sahara , limage de Delvert, expriment le caractre unique
et exceptionnel de la puissance du soleil de Djibouti.
Delvert (Charles.) - Djibouti- Paris : Revue Deux Mondes ; 15 fvrier 1936, p. 672.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 104.
342
Quatrime partie
Le discours de soi
Les pays visits sont donc des pays perus dans leur dimension tragique.
Le soleil est alors considr comme un principe de mort surtout quand il est
compar la sole dun four (cf. citation ci-dessous).
63
343
Quatrime partie
Le discours de soi
Ceux-ci sont des nomades, des pasteurs. Depuis des sicles, ils vont
travers lespace, chercher un peu dherbe pour leurs chvres. Quand
le soleil est trop dur ou que, par hasard, il pleut, on les voit jeter
quelques peaux de buf sur des cerceaux de bois ; mais, bientt, ils se
lassent dun abri. Ce quils aiment, cest lair libre. Marcheurs que rien
ne lasse, ils repartentLes tremblements de terre ont achev de
meurtrir ce pays. En maints endroits, le sol a craqu. Ce qui tait
dessus est tomb dans des fissures, des trous, a t englouti. Les
montagnes de lintrieur prsentent des lacs sans coulement et qui
sont les derniers vestiges des rivires. La nature, impitoyablement, a
faonn la race. Qui dira les vies sacrifies ? A limage de leur roc, les
Somalis, les Dankalis sont inhospitaliers. Actifs, intelligents, ils ont
longtemps mpris toute occupation.67
344
Quatrime partie
Le discours de soi
68
345
Quatrime partie
Le discours de soi
72
73
346
Quatrime partie
Le discours de soi
74
347
Quatrime partie
Le discours de soi
A la question :
- Il ny a donc pas de mdecin ici ?
Mon bourreau ricana :
- Dans la brousse ? si : le soleil ! Il sacquitte dailleurs pas mal de
ses fonctions, car les pidmies sont rares relativement.77
Cest cet Ailleurs qui est si horrible et si effrayant qui fascine pourtant, et
paradoxalement, certains voyageurs. Monfreid clbre ici le lever du soleil et
lui donne une dimension potique.
77
348
Quatrime partie
Le discours de soi
Le cheik parle des blancs, des koufris et voici ce quil dit dun ton
grave, rpt par la voix frache des enfants :
- Comme les larves qui vivent au sein de la pourriture, leur peau
est blme et sans couleur.
Comme les btes immondes, ils mangent la viande morte et
redoutent le soleil, car ce flambeau de Dieu les tuerait sils osaient
dcouvrir leur tte avant lheure o lhyne cherche les cadavres. 81
349
Quatrime partie
Le discours de soi
Les colons non protgs sont en effet abrutis, engourdis, tourdis par la
chaleur qui tombe droit sur le crne. Ceci nous est rvl par Ida Treat dans
la citation ci-dessous.
350
Quatrime partie
Le discours de soi
84
351
Quatrime partie
Le discours de soi
Lironie rside dans la prsence massive du mot casque rien que dans
cette citation o il est employ neuf fois. Le casque devient le premier
lment caractristique du folklore colonial djiboutien. Le casque confre
celui qui le porte une impression de supriorit et une sensation daventurier
mais rien quune sensation nous laisse suggrer Ida Treat.
Les Europens reconnaissent les impacts ngatifs du soleil mais ne
comprennent pas souvent le prolongement des ses effets nfastes. Alors que
les indignes ne souponnent aucun moment le soleil comme la cause
principale du malaise de leur matre dans la mesure o eux-mmes passent
des heures interminables sous le soleil, la tte dcouverte, sans en subir des
consquences graves comme celles qui affectent le colon. Pourtant
linfluence europenne finit par inciter des indignes, des djiboutiens
imiter lEuropen et porter le casque le jour pour lenlever le soir. Pourtant
cette pratique est celle de un europen digne de ce nom fait comprendre
Monfreid. (cf. citation ci-dessous)
85
86
352
Quatrime partie
Le discours de soi
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 7.
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 42.
89
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 10.
88
353
Quatrime partie
Le discours de soi
Alors le casque ntant plus efficace pour protger et le mal ayant t fait,
le colon victime trouve alors refuge dans lalcool, ( boit un coup toutes les
calebasses nous dit Paul Nizan), et dans la dbauche sexuelle avec des
histoires de femmes . Cest loccasion pour certains crivains (la catgorie
ci-dessus, ceux qui critiquent les habitudes coloniales) de cadrer ces
attitudes dans la rubrique des scandales coloniaux.
Dans tous les cas, nous voyons ici que le casque est un lment qui
intgre directement ou indirectement le thme du soleil qui est un des
lments principaux caractrisant ce mythe. Les Europens non casqus
tonnent comme le montre Ida treat :
90
91
354
Quatrime partie
Le discours de soi
Les Europens non casqus paraissent alors des btes curieuses quon
regarde de loin avec la jumelle tant la stupeur est grande.
Au fil du temps le casque va prendre dautres significations surtout une
fois que les conditions de vie ont quelque peu chang. Le voyage se fait,
avec les nouvelles inventions scientifiques, moins long et plus confortable.
Les murs se sont adoucies et la vie en communaut dans sa diversit
symbolise dsormais la vie quotidienne Djibouti, tmoigne Delvert.
De plus lendroit o lon se rend est scuris. Donc, il nest plus question
de conqute mais de valoriser et dexploiter. Le casque colonial reste
toujours un moyen de protection mme en Ethiopie. Armandy le confirme lors
de sa visite la lgation de France en Ethiopie.
92
355
Quatrime partie
Le discours de soi
95
Idem, p. 234.
Tharaud (J.J.) - Le passant dEthiopie- Paris : Plon ; 1936, p. 127.
97
Monfreid (Henry de.) - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p. 77.
96
356
Quatrime partie
Le discours de soi
Cest aussi le signe distinctif du voyageur qui opre des parcours difficiles
et cahotiques qui lobligent enfoncer le casque jusquaux yeux.
Un voyage, dans ces contres, est signe dpuisement physique et de
dnaturation. Le casque est de rigueur, nous montre Jean dEsme :
Il affirme un peu plus loin que Djibouti est le seul pays o il ne pleut
jamais . Le foss par rapport la ralit est donc profond.
98
357
Quatrime partie
Le discours de soi
Le casque tait port par le colon car il tait amen travailler pendant
des heures sur un terrain brl par le soleil et pour cela le casque lui tait
indispensable sans quoi il encourait toutes les consquences dj prcises.
Mais lorsquil est port mme pour parcourir quelques mtres, il devient
alors un mode vestimentaire caractristique dune catgorie sociale. Cest au
tour dAlbert Londres(cf. citation ci-dessous) de nous faire vivre la tentative
de deux Europens qui embarquent dans une barque indigne : le houri .
Cela nous introduit dans un monde donquichottesque.
358
Quatrime partie
Le discours de soi
Le casque suscit par le soleil est devenu donc un signe distinctif alors
quau tout dbut il tait destin protger du soleil qui est symbole de lenfer
et de la mort. Chez certains crivains le casque traduit le respect dune
idologie, pour dautres, cest une erreur dinterprtation o lon est
dconnect de la ralit. Cependant la mort reste prsente dans toutes les
tendances confondues. De plus elle est symbolise par les animaux qui
arrivent survivre dans ces rgions de la Corne dAfrique. Les animaux
occupent, en effet, une place importante dans le mythe de lAfrique.
104
105
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 128.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 45.
359
Quatrime partie
Le discours de soi
3. Les animaux
Ils vont faire entendre et faire voir ces animaux qui rdent le jour dabord
comme les charognards, les vautours, et ceux qui rdent la nuit comme
lhyne par exemple. Ces trois animaux expriment eux seuls le mythe de la
brousse. La monopolisation du ciel djiboutien par des vautours permet
Jean dEsme de nous offrir un spectacle sduisant et inquitant la fois.
106
107
360
Quatrime partie
Le discours de soi
Tous les fourrs de la brousse sont inquitants et tranges car ils peuvent
cacher des chacals, des hynes. Le dcor nocturne est anim par des
yeux phosphorescents .
Les chacals et les hynes sont les animaux qui vont le plus dominer les
livres qui composent notre corpus. De plus ces animaux ne sattaquent pas
seulement aux cadavres mais au voyageur lui-mme. Voici le rcit dune
msaventure dIda Treat ; elle est attaque par une hyne.
108
109
Idem, p. 144.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 62.
361
Quatrime partie
Le discours de soi
Les frres Tharaud reconnaissent que les grands fauves ont disparu .
Un autre exemple de sincrit nous est galement donn par la Comtesse
Jumilhac.
110
111
Idem, p. 23.
Tharaud (J.J.) - Le passant dEthiopie- Paris : Plon ; 1936, p. 72.
362
Quatrime partie
Le discours de soi
Parmi ces rares arbustes, dans les ravins et la chaos des boulis, vit
une faune plus abondante quon pourrait le croire : singes qui vont en
troupes savamment ordonnes, les femelles et les petits au centre ;
gazelles ; antilopes arkmonda ; grands koudous sara dont les
mles portent des cornes droites comme des banderilles, phacochres,
112
113
363
Quatrime partie
Le discours de soi
digs-digs, chacals, hynes et mme des gupards que craignent fort les
indignes.
Parmi les peuples des oiseaux, petits aigles plumes fauves,
vautours tte rousse, corbeaux, francolins, toucans, merles, pigeons
jaunes, pigeons bleus et tourterelles.114
114
Huchon (Dr Henry.) Mission dans les Monts Gouda- Paris : Revue Troupes col ; n225, 1934, p. 13.
364
Quatrime partie
Le discours de soi
Les vautours arrachent les yeux des blesss qui agonisent encore et qui
tentent de se dfendre vainement puis vient le tour de lhyne pour broyer les
os des membres encore frmissants. Ainsi grce aux crits qui composent
notre corpus, nous avons loccasion dassister parfois en direct une
besogne cruelle certes mais authentique.
Dautres animaux, eux aussi dsagrables et dgradants, surgissent dans
le dcor de la brousse : ce sont les insectes. Ils occupent une bonne place
dans les crits tudis car ils constituent un lment incontournable de la
brousse. Des insectes qui font tous rfrence au surnombre. Il faut alors
distinguer par ordre dimportance les mouches. Elles cohabitent avec les
marins et la manire du moucheron de La Fontaine, le harclement
incessant finit par faire de ces insectes un assaisonnement oblig dans les
repas. Tout est question dhabitude nous rassure Monfreid.
115
365
Quatrime partie
Le discours de soi
Quant aux termites, aux fourmis et aux abeilles, les indignes ont fini par
adopter leurs instincts ; do ladmiration des frres Tharaud.
116
366
Quatrime partie
Le discours de soi
Monfreid parle aussi des crabes mais cette fois-ci il dsigne les
holothuries et le cri doiseaux.
A notre passage, de gros crabes bruns courent sur les troncs tordus
et se laissent choir dans leau noire, avec un floc lourd. Des bruits
tranges, comme de petits claquements, sortent des trous dombre
entre les arceaux des racines ariennes : cest le mystrieux travail des
holothuries creusant le sable humide aux heures o la mer se retire.
A un dtour, une sorte de clairire, comme un miroir deau, se
dcouvre brusquement et une bande daigrettes blanches senvole
dans un grand bruit dailes et de cris stridents.120
Mais ce sont les animaux de la brousse qui vont le plus dominer les
productions crites constituant notre corpus. Il y a ceux qui sont classs
parmi les plus agrables (par opposition aux animaux sinistres voqus
longuement auparavant) mais eux ne jouent rellement aucun rle dans les
rcits et pourtant ils font acte de prsence. Ce sont les chameaux, les singes
et les chiens. Alors comment ces animaux nous sont-ils prsents?
119
120
367
Quatrime partie
Le discours de soi
121
368
Quatrime partie
Le discours de soi
122
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 163.
Tharaud (J.J.) - Le passant dEthiopie- Paris : Plon ; 1936, p. 73.
124
Idem, p. 199.
123
369
Quatrime partie
Le discours de soi
4. Le vocabulaire
Dans les uvres qui composent notre corpus, le vocabulaire a une place
prdominante. En effet, la prsentation de tableaux exotiques riches en
couleurs, dimages symboliques, de figures mtaphoriques ncessite un
vocabulaire spcifique.
Les crivains doivent convaincre les lecteurs que leur exprience relate
est authentique, et dans cette tentative de persuasion ils doivent faire
merger dans leurs rcits des mots appartenant au monde indigne suscitant
ainsi une forte impression sur leurs lecteurs. Le vocabulaire de lAutre
devient alors un des moyens les plus efficaces pour mieux dpayser et pour
mieux traduire la couleur locale.
Le choix dun vocabulaire rfrant un autre monde, un monde
diffrent, une culture totalement inconnue et renvoyant une psychologie
qui na rien de commun avec les schmas de la pense occidentale, donne
une forte note exotique aux crits. Il sert aussi, et cest le but principal des
crivains, tmoigner sur leurs connaissances du monde observ. Cela lui
permet galement de mieux faire pntrer le lecteur dans les mandres de la
psychologie autochtone. Nous distinguerons un lexique abondant et vari
illustrant plusieurs domaines : les lieux, les groupes ethniques, les objets
usuels, ladministration, le commerce, les expressions dialectales, la religion,
la tenue vestimentaire,Nous allons commencer par rpertorier les noms des
lieux car lexotisme commence dabord par le changement de lieux. Certains
370
Quatrime partie
Le discours de soi
Mais cest surtout chez Monfreid que les noms de lieux permettent un
voyage dans la Corne dAfrique du Ymen Djibouti.
Pour lEthiopie, cest surtout les villes ctires qui constituent maintenant
lErythre mais aussi lintrieur du pays:
125
371
Quatrime partie
Le discours de soi
Massaouah,140 Asmara141, Addis-Abba142 (la Fleur nouvelle), DirDaoua143, Harrar144, Haoussa145, Assab146
140
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 67.
Idem, p. 77.
142
Tharaud (J.J.) - Le passant dEthiopie- Paris : Plon ; 1936, p. 79.
143
Idem, p. 152.
144
Idem, p. 156.
145
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 97.
146
Idem, p. 119.
147
Idem, p. 73.
148
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 235.
149
Idem, p. 233.
150
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 42.
151
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 97.
152
Idem, p. 102.
153
Idem, p. 158.
154
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 39.
155
Idem, p. 202.
156
Armandy (Andr.) - La voie sans disque- Paris : Lemerre ; 1931, p. 99.
157
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 143.
158
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 11.
159
Idem , p. 45.
160
Idem, p. 235.
161
Monfreid (Henry de.) - la croisire du haschisch- Paris : Grasset ; 1933, p. 26.
141
372
Quatrime partie
Le discours de soi
168
169
Ethiopiens)
170
171
, Gallas,
Les Europens :
175
avait galement un nom musulman : Abd el Ha.), les Anglais lont surnomm
le loup des Mers .176
179
373
Quatrime partie
Le discours de soi
Les moucharabiehs
188
nattes.
Djembia 189 et 190 : le poignard courb que porte les ymnites.
Angareb 191 ( 192,
198
puits.
Ouba199 : calebasse
Kababa (plat en terre o cuit la boudena) 200 : plat en terre.
178
374
Quatrime partie
Le discours de soi
Les spcificits vestimentaires ne sont pas ngliges non plus ainsi que
les produits de toilette.
200
375
Quatrime partie
Le discours de soi
Taube (fouta) 214 : pagne nou autour des reins utilis par les indignes.
Orod : 215 masque de beaut pour femme de couleur jauntre.
Boukour : 216 encens.
Le lexique de ladministration
Le lexique du commerce
214
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p. 184.
Londres (Albert.) - Pcheurs de perles- Paris : Le Serpent Plumes ; 1994, p. 135.
216
Monfreid (Henry de.) - la croisire du haschisch- Paris : Grasset ; 1933, p. 90.
217
Idem, p. 26.
218
Monfreid (Henry de.) Aventures de mer- Paris: Grasset ; 1932, p. 93.
219
Idem Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 29.
220
Idem - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p. 115.
221
Idem - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p. 116.
222
Idem, p. 187.
223
Idem, p. 169.
224
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 134.
225
Idem, p. 158.
226
Idem, p. 84.
215
376
Quatrime partie
Le discours de soi
Monfreid.
Kessel :
Ainsi sappelle une plante stupfiante dont tout le monde, depuis
limam et les princes jusquau plus pauvre paysan, use au Ymen.
Mahomet, dans sa haute sagesse, navait point prvu cette trange
drogue qui pousse abondamment en Arabie Heureuse.
Cest elle qui anmie le travail du peuple, qui assoupit la vigilance
des guerriers, qui fait tous les hommes de la ville, ds que les heures
humides de laprs-midi commencent couler avec une puisante
lenteur, les yeux vagues et calmes et profonds, cerns de
meurtrissures bleues.
227
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 25.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 86.
229
Idem, p. 45.
230
Idem, p. 67.
231
Monfreid (Henry de.) - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p. 116.
232
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 137.
233
Armandy (Andr.) - La voie sans disque- Paris : Lemerre ; 1931, p. 121.
234
Monfreid (Henry de.) - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 72.
235
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 32.
236
Londres (Albert.) - Pcheurs de perles- Paris : Le Serpent Plumes ; 1931, p. 69.
237
Idem, p. 19.
238
Idem, p. 32.
239
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 100.
228
377
Quatrime partie
Le discours de soi
Le lexique religieux
250
: honneur.
253
: cest crit.
240
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p. 43.
Monfreid (Henry de.) - la croisire du haschisch- Paris : Grasset ; 1933, p. 156.
242
Idem Aventures de mer- Paris: Grasset ; 1932, p. 81.
243
Armandy (A.) - La dsagrable partie de campagne- Paris : A. Lemerre ; 1930, p. 168.
244
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 48.
245
Idem - la croisire du haschisch- Paris : Grasset ; 1933, p. 112.
246
Idem Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 28.
247
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 31.
248
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 135.
249
Idem, p. 106.
250
Idem - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 212.
251
Londres (Albert.) - Pcheurs de perles- Paris : Le Serpent Plumes ; 1994, p. 179.
252
Idem, p. 194.
253
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 39.
254
Londres (Albert.) - Pcheurs de perles- Paris : Le Serpent Plumes ; 1994, p. 82.
241
378
Quatrime partie
Le discours de soi
Les chants
Chant afar :
Gunieh odeissi
Adari godo guenieh. (Ida Treat traduit : Je conduis le troupeau
sur la route dHarrar .)
255
Idem, p. 162.
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p.155.
257
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p. 11.
258
Monfreid (Henry de.) - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p. 205.
259
Idem Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 45.
260
Idem - la poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p. 57.
261
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 85.
262
Idem, p. 192.
263
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p. 162.
264
Idem, p. 212.
265
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 86.
266
Londres (Albert.) - Pcheurs de perles- Paris : Le Serpent Plumes ; 1994, p. 48.
256
379
Quatrime partie
Le discours de soi
Les insultes
Les animaux
267
380
Quatrime partie
Le discours de soi
Min anta : une note de bas de page indique277 : qui es-tu ? ou qui va l ?
Min 278 : qui ?
Arde y ban 279 : on voit de la terre.
Illa fat mat 280: ce qui est pass est mort.
Ouafi 281 : il est mort
Ya mal 282 : fortune !
Sobah el-rheir 283 : bonjour
Dabi dabi 284 : une gazelle, une gazelle !
Boukra 285 : demain.
Karman 286 : envie.
Kalas 287 : cest fini !
Nocib 288 : la chance!
Tamam 289 : parfait !
Chebbana 290 : rassasi.
277
Idem, p. 22.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 70.
279
Idem, p. 41.
280
Idem, p. 128.
281
Idem, p. 125.
282
Idem, p. 47.
283
Idem, p. 160.
284
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 58.
285
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p. 176.
286
Idem, p. 50.
287
Idem, p. 99.
288
Idem, p. 106.
289
Monfreid (Henry de.) - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p. 149.
290
Monfreid (Henry de.) - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 65.
278
381
Quatrime partie
Le discours de soi
Le lexique de la mer
296
, Sambouc
297
bois.
Un zaroug
298
291
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 133.
Idem, p. 211.
293
Monfreid (Henry de.) - la poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p. 21.
294
Idem, p. 35.
295
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 56.
296
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 13.
297
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 217.
298
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 21.
299
Idem, p. 167.
300
Idem, p. 51.
301
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 85.
302
Idem, p. 151.
303
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 16.
304
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 85.
305
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 17.
292
382
Quatrime partie
Le khamsin
Le discours de soi
306
et
307
Le terra : note de bas de page (Sorte doiseau de mer qui se pose la nuit
sur larrire des navires et que les indignes disent tre lincarnation de lme
errante dun noy.) 318
306
Idem, p. 37.
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 107.
308
Idem, p. 28.
309
Monfreid (Henry de.) - Le lpreux- Paris : Grasset ; 1935, p. 133.
310
Idem Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 50.
311
Idem - La poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p. 27.
312
Idem Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 67.
313
Idem - La poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p. 27.
314
Idem Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 50.
315
Idem - La poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p. 27.
316
Treat (Ida.) - La croisire secrte- Paris : Gallimard ; 1930, p. 42.
317
Monfreid (Henry de.) Les secrets de la Mer Rouge- Paris : Grasset ; 1932, p. 67.
318
Idem, p. 130.
319
Idem, p. 161.
320
Idem Aventures de mer- Paris: Grasset ; 1932, p. 25.
321
Idem, p. 33.
307
383
Quatrime partie
Le discours de soi
Les poissons : (abou seyaf, lor-ma, your-your328), (Les rhecs, la sftam, les
radifs, les tabahs, les aghiars 329).
322
Kessel (Joseph.) Marchs desclaves- Paris : Srie Grands Reporters ; 1984, p. 116.
Monfreid (Henry de.) - la poursuite du Kapan- Paris : Grasset ; 1934, p. 11.
324
Idem, p. 24.
325
Idem, p. 58.
326
Londres (Albert.) - Pcheurs de perles- Paris : Le Serpent Plumes ; 1994, p. 174.
327
Idem, p. 169.
328
Idem, p. 170.
329
Idem, p. 178.
323
384
Quatrime partie
Le discours de soi
385
Quatrime partie
Le discours de soi
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
46
47
48
49
50
51
52
53
54
55
Vocabulaire
Abech
Abou seyaf
Achmour
Afars
Aghiars
Al Allah
Altar
Amieneh
Angareb
Anta chatane
Arabi (le poisson)
Arde y ban
Askaris
Asmara
Bab el Mandeb
Bakchiche
Bando
Bassas
Bdoui
Bender Djedid
Bilbil
Bilqis
Bism illah
Boukour
Boukra
Boutre
Chama
Chankallas
Chati
Chebbana
Cheik Sad
Chermout
Corani
Courbache
coutou
Dabi, Dabi
Dagna
Dahlak, lle des perles
Dallal
Danakils
Daoua
Derak
Djaria nel melbach
Djaria nel sarir
Djembia
Djinns
Doma
Doubaba
Doukakin
Dourah
Down
Fanous
Fat el rahman
Fatha
Fouta
Somali
Afar
Arabe
X
X
X
Ethiopien
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
386
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
Quatrime partie
56
57
58
59
60
61
62
63
64
65
66
67
68
69
70
71
72
73
74
75
76
77
78
79
80
81
82
83
84
85
86
87
88
89
90
91
92
93
94
95
96
97
98
99
100
101
102
103
104
105
106
107
108
109
110
111
112
113
Le discours de soi
Frenjis
Gallas
Goguera
Gouragus
Guerba
Habibi ia rassoul Allah
Hafa
Has
Hakim
Hakmis
Handoul
Harba
Hatab
Hs
Houri
Illa fat mat
Issaks
Issas
Kababa
Kalas
Kam
Karman
Kat
Kauka
Kawaga
Kawassin
Kecher
Khamsin
Lor-ma
Loul
Madamas
Mafish
Magala
Magnoun
Makeda
Maklama
Massaouah
Maya
Mdaha
Mektoub
Meskins
Min
Min anata
Moka
Mont Gudda
Moucharabieh
Moufa
Mourailla
Nacouda
Nagadis
Nl bouk
Namous
Naserani
Nocib
Obock
Okil
Omma- Namous (Lle)
Orod
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
387
Quatrime partie
114
115
116
117
118
119
120
121
122
123
124
125
126
127
128
129
130
131
132
133
134
135
136
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138
139
140
141
142
143
144
145
146
147
148
149
150
151
152
153
154
155
156
157
158
Le discours de soi
Ouafi
Ouallamos
Ouaraba
Ouba
Plus kachim des kawagas
Rdeidah
Radda
Radifs
Rakaa
Rhanchiyah
Rhec
Rss
Rouban
Sadaf
Sahala
Sakranine
Sambouc
Sangar
Serinj
Sftam
sidhamos
Sifa
Sobah el rheir
Somalis
Sultan el Bahar
Tabahs
Tadjourah
Tafi
Tamam
Tanika
Tarbouche
Tareg
Taube
Toboguels
Toucoule
Wali
Warsangalis
Ya Allah
Ya mal
Your-your
Zabid
Zar
Zaranigs
Zaroug
Zriba
TOTAL
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
14
16
X
X
X
X
X
X
X
X
111
17
Ce tableau nous permet constater que ce sont les mots arabes qui
constituent le plus grand nombre du lexique exotique . Ainsi, dans le choix
du vocabulaire, on passe par lintermdiaire de lArabe. Sur les 158 mots ou
expressions releves, 14 sont Somalis, 16 sont Afars, 17 sont thiopiens et
111 mots sont Arabes.
388
Quatrime partie
Le discours de soi
Enfin ces rfrences linguistiques peuvent tre saisies, au mme titre que
la race, la religion comme des lments de distanciation historico-culturelles
accentuant les diffrences entre les deux socits et nencourageant pas les
rapprochements. En effet, les appellatifs spcifiques sont trs souvent
voqus : on les retrouve trs frquemment travers les ouvrages et
dsignent respectivement le Franais et la Franaise ou ltranger en rgle
gnrale. Ils tiennent marquer une certaine distanciation entre les deux
communauts.
Lemploi de cette technique (emploi de mots locaux), considre par les
auteurs comme un tmoignage de leur connaissance profonde du monde
observ, nest pas particulirement rvlateur nos yeux dune approche
authentique de la ralit observe. Le dernier des touristes pris de couleur
locale et dsirant sinformer sur ce quil observe pourrait obtenir ces
notations lmentaires. Cependant ils manifestent une coloration locale et
cela est suffisant pour caractriser une littrature de voyage et une socit
coloniale.
389
Quatrime partie
Le discours de soi
330
Todorov (Tzvetan). Les Morales de lhistoire- Paris : Grasset, 1991 ; rd. HachettePluriel, p. 133.
Pageaux (Daniel-Henri). De limagerie culturelle limaginaire , in Brunel (P.) et Chevrel (Y.) (dir),
Prcis de littrature compare, Paris : PUF, 1989 ; p. 151.
331
390
Quatrime partie
Le discours de soi
prises
mticuleusement
sur
le
champ,
une
fresque
391
Quatrime partie
Le discours de soi
Ce sont donc des voyages qui font pntrer dans lintrieur indigne et
qui plongent profondment le lecteur dans la psychologie du regard. Alors
les petits dtails et les actes qui caractrisent les dfauts de lAutre
deviennent prtextes gnralisation. Le profil du regard se dgage ainsi.
Seulement, quoique les ouvrages prsentent une valeur documentaire
certaine, ils recouvrent quand mme une profusion de prjugs et dides
reues. En effet, les visites des auteurs voyageurs chez lAutre ont toujours
un cachet protocolaire puisquils appartiennent la race conqurante et
dominante. Alors leurs tmoignages peuvent ne pas tre toujours
concluantes car ceux qui les accueillent ne leur dvoilent que les aspects
extrieurs de la vie collective comme les rapports sociaux, les crmonies
religieuses, les traditions. Cest dj de la simulation car on sait que le
voyageur va rapporter ce quil observe. Alors il demeure toujours une
mfiance lgard du conqurant qui interdit de livrer les secrets profonds
qui nouent le regard lui-mme.
De plus les crits des crivains voyageurs sont aussi fonds sur diverses
informations recueillies et l, au cours de rencontres avec des membres
de ladministration coloniale mais aussi des membres indignes nouveaux ou
encore des lectures prcdentes ainsi que des rapports et tudes faits sur
les mcanismes internes caractrisant la socit indigne colonise pour
mieux les dominer et exploiter la colonie. La sincrit de ces sources ne fait
pas souvent lunanimit. Il est vrai que tous ces sources confrent un
caractre de reportage aux rcits mais lessentiel de la psychologie du
colonis est demeur impntrable : en traitant des questions qui semblent
matrises, les crivains voyageurs nont pas toujours respect leur contexte
socio-culturel. Ainsi les informations quils apportent deviennent pure
abstraction et leur sens chappe au regardant non imprgn de la culture et
de la philosophie animiste et surtout arabo-musulmane.
Ces crits se considrent aussi comme une interprtation dsintresse
et une rflexion objective sur les murs et les coutumes de la socit du
regard. Ils abordent divers thmes socio-religieux traduisant des situations
392
Quatrime partie
Le discours de soi
393
Quatrime partie
Le discours de soi
394
Quatrime partie
Le discours de soi
395
Quatrime partie
Le discours de soi
par lesquels ils saffirment, les personnages deviennent ainsi les porte-parole
authentiques des auteurs.
Le narrateur guide toujours ses conversations dans le sens de ses
opinions personnelles. Il fait condamner par ses personnages ce qui ne
cadre pas avec son idologie. Il termine toujours le dbat par un
commentaire personnel quand il sagit de donner au discours son sens
dfinitif, celui quil a assign au regard. Lexemple nous est donn par
Albert Londres, il est Djeddah et il assiste au plerinage la Mecque
quand un noir, un Soudanais* lui adresse la parole :
Les dialogues ont donc une fonction prcise. Ils donnent dabord, et ceci
est leur rle principal, un lien aux thses de lauteur. Pour conforter leffet de
ses assertions et lui donner un pouvoir de conviction, lcrivain voyageur
place les condamnations de la socit observe dans la bouche de ses
personnages dont parfois lauteur constitue le principal interlocuteur.
Par les questions-rponses, les dialogues, dgageant en partie la
responsabilit de lcrivain sur ce quil crit, donnent aussi un cachet
dauthenticit au discours. Le parler petit-ngre accentue encore plus cette
authenticit.
332
396
Quatrime partie
Le discours de soi
vendus.
Pour donner plus de poids ses ides, lcrivain pousse ses personnages
reconnatre leurs dfauts et les dnoncer. Le docteur Huchon nous
donne un exemple rvlateur. Ces tmoignages confortent ainsi les auteurs
dans leurs assertions idologiques, savoir le primitivisme de ces tres
abrutis par les structures socio-religieuses. Sans la prsence de lEuropen,
la boucherie ( le combat ) aurait eu lieu.
397
Quatrime partie
Le discours de soi
Huchon (Dr Henry.). Mission dans les Monts Gouda- Paris : Revue des Troupes col ; n225, 1934, p. 37.
Celarie (Henriette.) Ethiopie du XX sicle- Paris : Hachette ; 1934, p.225.
398
Quatrime partie
Le discours de soi
Il en fut de mme pour Ida Treat, laventurire blanche qui entrepris une
croisire avec Monfreid et son quipage noir :
399
Quatrime partie
Le discours de soi
338
Esme (Jean d.) - Lhomme des sables- Paris : la Nouvelle Revue critique ; 1930, p. 183.
400
Quatrime partie
Le discours de soi
Ce sont les ides qui ont servi dshumaniser lindigne afin de rassurer
le colonisateur. Cest une dshumanisation par analogie avec les animaux
afin de donner une reprsentation ngative sur lindigne observ. Ils se
basent sur des critres anthropologiques. Des exemples ont dj t donns
dans la partie consacre ltude du regard et les mentionner serait se
rpter. Nous allons plutt essayer de cerner les motivations qui ont
contribu de tels procds.
Dans leur rencontre avec les indignes, les crivains conservent des
prjugs et mme des ides quasi-obsessionnelles sur la primitivit et les
dfauts du regard. Ils vont chercher prsenter limage dtres attards,
401
Quatrime partie
Le discours de soi
402
Quatrime partie
Le discours de soi
403
Quatrime partie
Le discours de soi
toujours
par
ses
manques,
lindigne
infantilis,
Quatrime partie
Le discours de soi
405
Quatrime partie
Le discours de soi
Quatrime partie
Le discours de soi
les
ralits
coloniales
pour
ne
prsenter
quun
monde
monde
africain,
irrationnel,
quasi-primitif,
envotant
par
son
407
Quatrime partie
Constituant
Le discours de soi
un
loignement
dans
le
temps
et
dans
lespace,
339
340
Monfreid (Henry de). - Vers les terres hostiles de lEthiopie : Paris : Grasset ; 1933, p. 1.
Idem - Les derniers jours de lArabie heureuse- Paris : N.R.F ; 1935, p. 7.
408
Quatrime partie
Le discours de soi
Dans dautres livres, lauteur nous dvoile ses motivations dans les
premires pages du rcit. Armandy a voyag car il devait trouver un sujet
pour crire une fiction et satisfaire ainsi un lectorat fidle :
341
342
409
Quatrime partie
Le discours de soi
410
Quatrime partie
Le discours de soi
alors tout son sens et sa force dans son intention tre rceptionn par un
lectorat. Lcriture du voyage sert alors distraire, enseigner et surtout
faire vader dans son sens le plus large. Lcriture du voyage fait du lecteur
un futur voyageur en le formant psychologiquement. La formation physique
se fera sur le terrain et ds le dpart.
La prparation psychologique se fait par le biais dune dualit : les
descriptions dun dcor fascinant se jumellent un univers hostile o seule
la verve aventurire pourrait lemporter. Des exemples amplement suffisants
ont dj t donns lors de lanalyse de lAilleurs pour illustrer ces propos.
Ainsi le lecteur sait ce qui lattend sil prend le large. Sil dcide de partir,
cest parce que lappel de lAilleurs et de lAutre est devenu une
proccupation sa vie. Chaque lecteur qui voyage est une russite de
lcrivain voyageur. Cela veut dire quun lien invisible mais solide et sr sest
tabli entre le lecteur et lcrivain. Cest la naissance dune sduction
indlbile.
411
Conclusion
Conclusion
412
Conclusion
Conclusion
polygnistes,
physionomiques
et
phrnologiques
sont
prononcs par des auteurs de grande notorit comme Kessel par exemple.
Enfin les crivains soulignent par ailleurs et exagrent les causes de
retard de la socit en oubliant den citer les plus importantes. Ce sont celles
qui relvent du fait colonial. Et ils ne manquent pas alors de dresser un large
rpertoire daccusations dlibrment choisies et signales comme zones de
retard.
414
Conclusion
couleur locale, une tenue vestimentaire sans got, aux gestes pervers
associs habilement aux pratiques superstitieuses.
Enfin, dans la qualit du regard, dans le matriel strotypique apparat
une hostilit certaine lgard des regards. Les prtentions dobjectivit
nliminent certes pas le facteur personnel de lcrivain. Il surgit alors
travers le jugement moral, le procs dintention ou la petite note de
polmique.
Le tableau de fond idologique sur lequel les crivains ont essay de
greffer chacun sa manire, leur propre conception du monde observ se
base sur des prjugs sculaires et des ides prconues. En ce qui
concerne par exemple lorigine pour laquelle le regard apparat souvent
sous le signe de lagressivit ds quil est confront la moindre contrarit,
il faut interroger le Moyen ge. En effet, cette reprsentation ngative du
regard est une crainte ou une aversion tout dabord envers lislam. Cest
peut-tre la vision mdivale qui dforma et alimenta limage dun Islam
ngativ : violent, cruel, intolrant, latent sous chaque geste du colonis.
Cest donc la mauvaise interprtation de lIslam et lincomprhension de la
culture africano-arabo-musulmane profonde qui est la base des jugements
errons des crivains qui tombent dans le pige des strotypes.
Par ailleurs, dans le domaine de la sensualit les prjugs accablant les
regardes sont encore plus tenaces. Ainsi, dans le choix des exemples
illustrant la mentalit et la moralit de la regarde, apparat une intention
manifeste de confrer un caractre de trivialit tout ce qui touche laspect
socio-culturel du groupe observ.
Cette tude nous a donc mis en scne les regards africains ou arabes
mais aussi les regardants cest--dire les Europens en gnral et le colon
en particulier. Et dans cette tude, Lhomme colonial nous est prsent
comme quelquun de conservateur et dantifministe, il imposait la femme,
du moins la sienne, une moralit stricte, rigoureuse. Toutefois, il soctroyait
tous les privilges, les conqutes fminines et les liberts sexuelles.
415
Conclusion
Et il serait quand mme utile de signaler que quand les crivains semblent
sattendrir sur les tares des regards, les prsentant quelquefois avec
complaisance, ils cherchent aussi et surtout donner sur eux-mmes une
impression de supriorit afin datteindre la transcendance, face des
tres ignorants, faibles, purils et pervers la fois.
Si on prend le cas de la reprsentation dune certaine catgorie des
regardes africaines pour mieux illustrer nos propos, on constate que leurs
prtendues laideurs morales et physiques, les valeurs ngatives incarnes
servent alors de repoussoir aux qualits de la femme franaise de la colonie,
image fidle de la culture franaise, raffine et universelle.
Cest ce dogmatisme des crivains voyageurs qui cherche dmontrer
son lecteur que seul son monde est authentique, sr et universel. Ainsi il
rejette la diversit des cultures et les structures mentales propre lAilleurs.
Ceci nest autre quune attitude rductrice et purement colonialiste. Encore
plus, quand ils attribuent aux valeurs franaises une suprmatie qui prit
limportance dun mythe collectif.
Ainsi, la littrature coloniale ltude a continu rpandre et maintenir
pendant longtemps le mythe dun Autre irresponsable, inconscient, instable.
Un tre qui accumulait tous les dfauts exotiques, ceux de lAutre, vulgariss
travers les rcits de voyage qui dataient dj de lAntiquit, et plus
rcemment des expositions, des photos, des cartes postales, etc.
Toute la production crite, contribua la singularisation de lhomme noir
en insistant sur son tranget tout simplement pour rpondre un horizon
dattente. Le lecteur occidental avait besoin de plonger dans un monde qui lui
faisait oublier le sien mme pour un temps trs court. Un monde dont il a
dj une ide et quil cherche retrouver pendant ses moments de
rcration, de dtente : la lecture des rcits de voyage o il se retrouve, par
procuration, face face avec lAutre. Un Autre que le voyageur a rencontr
aprs tant de pripties et defforts ; cest le mrite de tout voyageur quon ne
peut nier.
416
Conclusion
lAutre
largement
rpandue
dans
lopinion
publique
coloniale.
417
Conclusion
ractions instinctives et surtout inattendues dont il est dot, cet Autre fait
peur. Et le paradoxe, il provoque certaines apprhensions mais il intresse.
En effet, les crivains sy sont intresss et en ont montr tous les travers
dans le seul but de le rejeter en bloc.
Ainsi, le rapprochement tait refus. Seul le rapport de domination existait.
Ceci est bien illustr par le lexique zoologique qui traduit alors un refus de
communication, du dialogue sincre, objectif avec lobjet de leur tude.
Cette aversion lgard du groupe observ explique en partie labsence
de contact profond et rel, dune approche vritable avec lobjet de leur
curiosit, lAutre.
Le mpris que les crivains ne peuvent cacher, d cette hostilit
transmise par les gnrations lgard de cet Autre, ne facilite pas une
vision saine, un regard lucide, une recherche objective. Le sentiment collectif
colonial de rejet du monde colonis est exprim travers tant daccusations
injustes.
Les images ngatives, dfauts humains et analogies animales, ne sont en
fin de compte quun processus psychique ngateur reniant lidentit humaine
des gens observs. Ce qui revient leur refuser mme une existence.
Le choix du rpertoire animalier nest donc pas si innocent. Il savre tre
une lame double tranchant. Utilis afin de nous renseigner sur les carences
dune socit juge attarde, il rvle par contrecoup lagressivit du
colonisateur et sa psychologie gocentrique.
Ainsi on voit que lhritage de lexotisme du sicle pse lourdement sur les
vues des crivains voyageurs et il a conditionn autant leur vision du monde
observ que leur sens esthtique. Mais leur russite littraire consiste surtout
dans leur pouvoir de dpaysement, de fascination et deffroi du lecteur par le
mirage de lArabie et de lAfrique. Et il faut quand mme un tour de force
habile pour concilier les images contradictoires sur lindigne colonis. Le
faste, les richesses, les parfums, les fleurs voisinent avec la misre, le vice,
la dchance et tant de caractristiques dprciatives.
418
Conclusion
Ainsi, les ouvrages tudis ne sont pas seulement lexpression du dit mais
du non-dit aussi. Ils dvoilent la fois lidentit souvent dforme du colonis
que la psychologie complexe, les dsirs non formuls du colonisateur
reprsent par lcrivain. Monfreid est lexemple mme dune psychologie
complexe.
Cependant, nous ne pouvons nier le fait que les ouvrages sont quand
mme assez toffs dobservations justes, de rflexions senses sur
certaines coutumes rtrogrades. Mais les crivains ont aussi t victimes de
fausses apparences et ont abouti trs souvent des vrits dtournes.
Les portraits physiques tant plus ou moins mlioratif et les portraits
moraux tant rellement peu flatteurs, le choix ngatif de tant de
personnages caricaturaux dvoile tout simplement la conception vritable de
la socit coloniale lgard de la socit observe.
Le regard est presque toujours apparu comme un tre emport par la
dmesure de ses sentiments, lerreur, la duplicit, les mauvais instincts. Le
personnage colonis caractris par la fixit, rassemblant toutes les
caractristiques de la primitivit, est ainsi rejet en dehors de toute culture et
de toute civilisation.
Les auteurs, que nous avons slectionns semblent accrditer lide de
linfriorit de la socit colonise. Ils approuvrent travers la peinture de
leurs personnages la thorie de la slection des tres et de la supriorit
des races . Beaucoup de nos crivains voyageurs hommes comme femmes
ont rendu hommage la suppose race de ceux qui ont contribu ldifice
de Djibouti : un pays sans ombre au dpart qui devient une position
gostratgique convoite. Dautres comme Nizan ou Londres ont critiqu les
colons mais cela ne veut pas dire, pour autant, quils ont compris le colonis.
Des crivains comme Monfreid marquent lexception car il sest insurg
contre les colons mais cest lui qui a fait le plus mal aux indignes. Il a
gagn la confiance des indignes en faisant semblant de sassimiler eux
mais cest lui qui les a le plus exploits et maltraits. Na-t-il pas t ngrier ?
Ses propos nillustrent-ils pas la thorie de lchellement des tres ? Et le
comble, cest quil sest autoglorifi dans les textes. Cette glorification a t
mme cautionne par des hommes illustres comme Joseph Kessel. Ainsi
419
Conclusion
Monfreid se dmarque de tous les autres crivains par le fait quil soit le seul
crivain tre cit par dautres crivains : Joseph Kessel, Ida Treat et la
Comtesse de Jumilhac ou encore Theilhard de Chardin. De plus il est le seul
crivain de second rang qui soit encore connu du public : tous les autres
crivains, part ceux qui ont un prix de littrature, sont oublis. Si son image
de pirate et de contrebandier a pu se retourner en sa faveur, il nen
reste pas moins vrai que ses choix envers Mussolini et le fascisme sont
inadmissibles.
Si la francophonie est reprsente par ces crivains qui ont constitu
notre corpus, alors, nous Djiboutiens, africains mais francophones, nous
sommes amens faire le choix entre : les ignorer ou les critiquer. Il nest
pas possible dtre solidaire de tels textes et la premire tche dun
francophone djiboutien est, en consquence, de prendre ses distances avec
de tels auteurs et de constituer soi-mme une littrature francophone dun
autre ordre exprimant ce que les Djiboutiens ressentent commencer par le
refus de la colonisation tant sous sa forme historique que dans son mode de
reprsentation littraire. Il nen reste pas moins que la dception est dautant
plus grande que bon nombre des crivains tudis sont considrs, dans
lHexagone, comme des phares de la littrature contemporaine
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BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
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BIBLIOGRAPHIE
I- Ouvrages du corpus
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BIBLIOGRAPHIE
III- Ouvrages sur Djibouti aprs 1936 crits par les non Djiboutiens
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IV- Ouvrages sur Djibouti aprs 1936 crits par les Djiboutiens
(Classs selon le systme djiboutien de dsignation)
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Lagarde(Lonce) : 94.
Leiris (Michel): 11, 27, 98
Londres (Albert): 11, 17, 28, 55, 69, 86, 87, 102, 106, 123, 134, 165, 169, 202, 215, 219,
286, 334, 337, 338, 344, 359, 364, 367, 368, 377-379, 381, 385, 396.
Loti (Pierre) : 10.
Malraux (Andr):10, 17, 24, 31, 39, 41, 42, 47, 85, 86, 102, 374.
Mitterand (Franois):16.
Monfreid (Henry de) : 10, 11, 31-35, 38, 39, 40, 42, 48, 49, 52-55, 58-64, 71, 74, 79-81, 84,
88, 94-97, 100, 102, 104, 105, 111-115, 117-121, 123, 128-130, 133-137, 146-161, 163, 165168, 170-175, 177-182, 186, 187, 190-193, 196, 197, 198, 201 ,203, 205-210, 213 ,221 ,223,
226-230, 236, 240-242, 245, 247-249, 252, 275, 280, 281, 283, 289, 291, 292, 294, 295, 296,
299, 304-306, 309, 311-316, 323, 328-330, 332-334, 336, 339, 340, 342, 347-350, 353, 354,
357, 358, 360, 366-369, 372-378, 380, 383, 384, 385, 391, 393, 408.
Morin (Didier): 371.
Nizan (Paul): 9, 10, 11, 17, 26, 52, 67, 68, 130, 175, 211, 212, 220, 237, 326, 337, 348, 355,
372, 391.
Omar Osman Rabeh : 9
Pageaux (Daniel-Henri) : 389
Penel (Jean-Dominique) : 139, 140.
Tharaud (Jrme et Jean): 10, 11, 176, 82, 94, 174, 195, 201, 214, 222, 238, 298, 310, 341,
351, 358, 363, 367, 370, 373, 374.
Treat (Ida): 11, 17, 29, 56, 64, 65, 74, 83, 100, 116, 117, 126, 146-149, 151, 156, 165, 192,
199, 202, 204, 228, 233, 235, 255-260, 262-265, 307, 321, 331, 343, 346, 348, 352, 353, 355,
356, 359, 360, 362, 363, 372-378, 379, 381, 382-384, 391, 397, 399.
Todorov Tzvetan : 389
Sartre (Jean-Paul) : 10.
Senghor (L.S.): 9
Soupault (P.): 9
Souny William: 9
Vion Dury: 50.
Westphal (Bertrand): 50.
William (Joesph Farah) Siad: 9.
436
437
Introduction..4
Premire partie..19
Construction dun horizon dattente20
A- La motivation.21
1. Le dplacement professionnel ou la conformit une tradition...21
2. Le dplacement professionnel ou la qute spirituelle24
3. Le dplacement excursion ou la satisfaction dun dsir27
4. Le dplacement protiforme ou lambigut dun homme.30
B- La carte..37
438
Deuxime partie90
La physionomie de lAutre.91
A. Le regard92
B. LAutre109
C. LAutre de lAutre199
439
Troisime partie216
Le regard de soi217
A- Le sujet regardant218
440
Quatrime partie
Le discours de soi...302
441
Conclusion411
Bibliographie.420
Index434
Table de matire..437
442