No.

Solstice d't 1994

MYSTERIA
MITHRAE
Priodique rrimestriel -juin 1994
Bureau de Dpt 1050 Bruxelles 5

300 FB
60 FF

Revue trimestrielle dite par l'association ANTAJOS

168 rue Washington bte 2, B 1050 Hruxelles, Belgique.
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Tout anicle n'engage que son auteur.
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BRUXtLLES
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ANTAIOS

99

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ANTAIOS 1 L'esprit du Paganisme

ANTAIOS 2 Les Dieux des crivains
ANTAIOS 3 La Mtamorphose des Dieux

ANTAlOS, 168 rue Washington, 1050 Bruxelles

Solstice d't 1994

SOMMAIRE
Entretien avec le Professeur Turcan ................................................. 5
Mithra, un dieu indo-europen? ........ J. HAUDRY ....................... 11
Mysteria Mithrae, une mystique ..................................................... 13
au service de l'lmperium ................... C. GERARD ......................... .
Bibliotheca mithriaca ......................... C. GERARD ...................... 23
Le Culte du Soleil Rome ................ J-C MATHELIN ................ 25
Entretien avec Corax ......................... ANTAlOS .......................... 35
Reportage mithriaque ........................ D. ARANJO ....................... 39
La suette de rn uerte
et le soleil noir des Tarahumaras ....... M. KLUGKIST ................. 45
Dies sanguinis .................................... J-L BASTrAN ................... 57
Miles Mithrae .................................... J. BENOTST-MECHIN ...... 61
Pomes paens ............ ..................................................................... 64
Proclus: hymnes et prires ................. C. GERARD ...................... 69
Portrait d'un Fils du Soleil ................ Marc CELS ........................ 73
Hlios-Roi.. ........................................ J-C MATHELIN ................ 77
Le sixime Soleil ............................... P. VERBAANDERT .......... 79
Le mystrieux troisime
terme de la dialectique ....................... B. DIETS CH ..................... 81
Les Kermesses de l'Etrange ......... ..... P. VERBAANDERT .......... 87
Dumzil en Autriche .......................... C. GERARD ...................... 89
Les Prraphalites .............................. P. VERBAANDERT ......... . 89
Lectures paennes .............................. J. VERTEMONT .............. . 90
Faits et Gestes .................................... ANTAIOS .......................... 91

ISSN 0779-8180

No. 4

Solsrice d't 1994

MYSTERIA
MITHRAE
Priodique trimestriel - Juin 1994
Bureau de Dpt 1050 Bruxelles 5

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Tout article n'engage que ~on auteur.
La rtproduction de textes pu blis par A.'ITAlOS est str ictement interdite
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(;ft/erie Cyble 65bis Rue (~llllule, 1~75005 Itms

ANTAIOS

DEO SOLI INVICTO MITHRAE

EX PROVINCIA BEl(jiCA SODALITAS
VOl\JM SOlVIT liBENS MERITO

NVMINI NVICTO
SOtJ.M ITHRAE.
M .AVRELIVSAV&I.

EVPREPES.YNACIA~
. FIUSSVIS DD
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IANVAR.!ODtofO\Tj!
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Solstice d't 1994

ANTAIOS

ENTRETIEN
AVEC l E PROFESSEUR R. TVRCAN,
DE l'l NSTITVT.
Nous sommes trs heureux d'accueillir dam nos colonnes le professeur Robert TURCAlV, qui lest
impos comme le meilleur connaisseur europen du mithriacisme ancien. N en 1929, ancien /t;e
de L'Ecole Normale Suprieure, ancien membre de l'Ecole Franaise tie Rome, il a. clabord enseign la
langue et la littrature latines L'Universit de lyon, avant d'y devenir prr~fsseur d'antiquitls
nationales. Membre de !'lnstitut (Acadmie des lmcriptms et Belles lettres), il est actuellement
professeur d:,mhologie rom.aine et gallo-romaine bt Sorbonne (Universit cie Paris IV). Depuis
quarante ans, i! mmacre ses recherches !'archoUJgie et aux religions de !'Fmpire romain, en tudiant
notamment les sarcophages, la numismatique, l'iconographie des rlieux et des cultes du monde
mditerranen durant les quatre premiers sicles de l're chrtienne, Tl a publi, entre autres, Les
sarcophages romains reprsentations dionysiaques (Paris, De Boccard, 1966), des religions de
l'Asie dans l1 Ml!e du Rhne (Leyde, Bri/L 1972), J'v!ithras pklfonicw (Leyde, Bril!, 1975)
ouvrage qui renouvelle le re,'(ard port sur le dieu ptrogne. C/.toriS aussi Numismatique romaine du
wlte mtroaque" (Lqde, Brill, 1983), Hliogabale et le .tacre du Soleil (Pmis, iJ.bin Michel,
1985), etc .. JI a igalement dit, tm duit et comment, dans !tl. prestigieuse collection Budl, aux
Presses UniversiMires de France, Firmieus Maternus, le <<De errore profonarum religionmm, et trois
Vm de !Histoire Auguste dans la mme collection. Mais RoiJert TURCAN est aussi le digne sucsseur
de Franz CUMONT, gr.md rudit be('t.e tlisparu en 1941 Celui-ci prpara tWec un autre Belge,
jules BIDEZ, l'dition et la traduction des oeuvres de l'empmur julien pour la collection Bud. !~fut
aussi l'auteur des premires tudes d'envergure, toujoursfondamenfflles, sur Mithm. On pense ses
Monuments figurs publis la fin de l'autre sicle et abr~'(s en 1913 en un petit manuel toujours
utile: "s Mystns de lvfithra (rdit il y a quelques annes par /Yfonfort). Cumont rdigea a1~Ji
une sornme sur <
<Les religions orientales dans le paganisme romain (Paris 1929, 4l., rimpression
!966), ainsi des t1uiesmr les ma'[es hellniss, l'akhimie 6.vrecaue,
la S)o?nboliaue funmire, la tho/o~Yie

c')'
solaire du Paganisme romain,... Un trs grand esprit, proche de ceti.X de la Renaissance, dont le
projsseur 7rcan est assurment l'hritier direct. Nos lecteurs consulteront donc twec prof. t lesOIIYrtlges
suivants du professeur TURCAN
t,;.'>

J.

Solstice d't 1994

6
Mithra et le Mithriacisme>, Belles Lettres 1993.
Les cultes orientaux dans le monde romain, Belles Lettres 1989, rd. 1992.
Hliogabale et le sacre dtt Soleil, Albin Michel 1985.

CHER M. TURCAN, ETES-VOUS GALLO-ROMAIN?

En tout cas, je me sens plus Romain que Celte ou Gaulois. Il y a peut-tre
l une part d'atavisme, car par mes ascendants paternels, j'appartiens la
PROVINCIA NARBONENSIS, la plus anciennement romanise des provinces
gauloises.
ROMAIN ET FIER DE I.:ETRE. COMMENT RESTER ROMAIN DANS
LES EMBOUTEILLAGES DE LYON OU DE PARIS? IL EST VRAI QUE CES
EMBOUTEILLAGES LONGENT LES THERMES DE LUTECE, ET QU'IL Y
EN AVAIT DEJA DU TEMPS D'HORACE A ROME...
On peut rester Romain dans les embouteillages, qui ne sont pas pires, aprs
tout, que dans les rues troites de la Rome impriale, au temps de Juvnal. Mais les
rues de nos villes sentent videmment plus mauvais! On peut rester Romain en
tant disciplin, mme si l'on conduit une grosse cylindre. La btise de l'homme
moderne, quand il se croit libre et fort parce qu'il appuie sur l'acclrateur ou fait
ptarader son moteur, m'irrite frquemment, je l'avoue, contre les consquences du
progrs mcanique ...
AVEZ-VOUS DES DIEUX PREFERES?
- des dieux prfrs? Oui, peut-tre. Apollon et Dionysos indissolublement;
Artmis aussi, la desse des bois er des fauves qui s'y ~:achent pour vivre libres; les
dieux orientaux de l'orage et du taureau, le Zeus ou Ba'ah de Do lich et
naturellemem Mithra, un dieu de la lum ire cleste (comme Apollon), de la
fructification et du banquet (comme Dionysos), de la chasse et de l'arbre (comme
Artmis), qui matrise le taureau ferrilisam (comme l'orage).
MITHRA, JUSTEMENT. .. COMMENT ETES-VOUS VENU A LUI?
Par Franz Cumont, mais aussi parce que depuis longtemps je m'intresse l'Orient
iranien en mme temps qu' Rome, o Mithra a fait une coune, mais foudroyante
carrire, assez paradoxale premire vue, puisque ce dieu venait des pays de l'ennemi
hrditaire ou tout au moins de rgions avoisinant une priphrie rfractaire la
romanisation (Caucase, Armnie, Mdie).
LE PETIT ,,QUE SAIS-JE SUR MITHRA (8000 EXEMPLAIRES) A ETE
TRES VITE EPUISE; j'Al MOI-MEME EGARE LE MIEN, ET PUIS EN Al
CHERCHE UN AUTRE EN VAIN DURANT DES ANNEES...
COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CE... SUCCES DE LIBRAIRIE,

ANTAIOS

D'AU'fANT QUE CET OPUSCULE \1ENT D'ET'RE REPRiS, SOUS UNE

FORME UN PEU DIFFERENTE, AUX BELLES I. ETTHES, SIEGE DE
rASSOCJATION CUILLAUME BUDE?
Je ne sais pas si l'on peut vrai.ment parler d' un succs de librairie. Mais je
pense que la crise de la conscience er des valeurs religieuses incite les esprits inquiet~
ou simplement curieux s'informer sur les croyances passes ou trangres l'Europe
chrtienne, surtout une poque o l'on a souvent l'impression que les religions ou
gliseS>> institutionnelles se videnr de rome rfrence au surnaturel, l'au-del ou
la transcendance. En pareil cas, les gens -des gens- prouvent le besoin d'chapper
au matrialisme ambiilt, de sortir de leur univers quotidien, mme traditionnel, si
celui-ci s'est dvalu.

MITHRA PEUT-IL APPOIUER QUELQUE CHOSE A NOTRE MONDE?

Notre monde technicis, lacis et drnythis a besoin des religions, comme
tout homme ne vir intensment gue dans la perspecve d'un dpassement de son
mOi>> individuel ou collectif, si j'ose dire, car l'exaltation de l'espce humaine n'a
rien voir avec la tr~mscendance dont elle a besoin.
Cet gosme de l'espce est une aberration que nous tenons des prtendus
philosophes>> du XV1IIme sicle.
Le mithriacisme lir valoir un dieu qui sc dvoue pour toute la cration animale
et vgtale, que menacent les tnbres, la scheresse et la mort. Mithra incarne la
vaillance et 1{ vi rali ~~ctive qui sauve la vie, cre l'origine pour faire pice aux
puissances du mal, ennemies de .la. lumire.

QUAND REDE'v1ENDRONS-NOVS J'v1ITHRIASTES?

ET D'AILLEURS AYONS-NOUS jAJv1ATS CESSE DE LETRE? COMMENT
CONCEVEZ-VOUS UNE EVENTUELLE REACTIVATION, AUJOURD'HUI,
DU THEME 1v1ITHR1AQUE?
Il y a dans le prologue de l'Evangile de Jean, qu'on lisait jadis la fin de chaque
messe, ce thme t)miamental du conflit enrre les tnbres et la lumire, qui pourrait
avoir la mme hrdit que l'imagerie mithriaque du Soleil Invincible et surtout
du dieu foudroyant les gants anguipdes, ces monstres de la nuit. Mais on ne
<<ractive>> pas un culte mort depuis longtemps et li un tout autre contexte humain.
En fair, quand on resserre les liens d'une famille ou d'une association locale ott tout
le monde se connat par le partage d'un repas, on reste fidle une rradirion assez
typique du mithriacisme romain, mais qui ne lui est pas propre. Le souci cologique
de l'eau rejoint aussi, mais loinraincmcnt, celui des mirhriastes ainsi qu'une attention
la prservation de toutes les espces...

UNE RESTAURATION DU RITUEL (ET DANS QUELLE MESUI

Solstice d't 1994

8
SERAIT~ ELLE

POSSIBLE?) PRESENTEHAIT-ET .LE QUELQUE SENS?

Une restaurarion>> relve toujours de la fiction. On ne refait pas un culte, sauf

se contenter de folklore ou de nostalgies idologiques. Je n'y crois pas.

VOTRE PASSION EST A l:EVIDENCE FILTREE, ET PRUDEMMENT

SUBLIMEE PAR LA RIGUEUR SCIENTIHQUE DE CARCHEOLOGUE...
Mon dessein est d'apprendre et de comprendre, en analysant er comparant les
donnes textuelles ou matrielles, mais en m'efforant aussi, grce l'archologie
figure, d'entrer dans l'imaginaire des croyant5, trop souvent nglig, car on a une
vieille tendance <<clricale faire de la thologie, l o il s'agir de mythes et de
sentJ.men ts.
]'AI MEME LA QUASI-CERTITUDE QUE LA PASSION DIVlNATOIRE,

VOUS NOUS LA LAISSEZ A NOUS, LECTEURS...

Je respecte le lecteur en ce sens que je m' interdis de surinterprter la
documentation. Je lui fournis les lments d'une rflexion, qu'il peur ventuellement
pousser plus loin.
On peut toujours rver sur les aventures mentales de l'humanit. Mais je laisse
d'autres le risque d'affirmations que rien ne m'autorise formuler noir sur blanc.
Un universitaire a ce strict devoir de lacit, mme en ce qui regarde le paganisme
grco-romain. \11ais je conois que la passion puisse germer sur les religions
mystres de l'Antiquit. A Mozart, Nerval er. Louis Mnard, entre autres, cette
passion a inspir des chefs-d'oeuvre. Personnellement, je ne suis qu' un Savant,
comme on dit.

Q VOUS A APPOR1E A VOUS, PERSONNELLEMENT,

EXISTENT!ELLEMENT, MITHRA? VOUS A-T-IL AIDE A MIEUX VOUS
CONNATTRE? A REGARDER AUTREMENT LE MONDE AUTOUR DE
VOUS?
Personnellemenr, e~istentiellement, non.
Mais Mithra n1a aid mieux apprhender certains aspects d'une socit qui sc
recompose par les relations de proximit en mme temps que par les quelques valeurs
fortes d'une confraternit troite, celle des petits groupes souds par la pratique
d'un rituel la fois trs concret ct rigoureusement symbolique .

QUEL TYPE DE MONUMENT MITH RIAQUE (SANCTUAIRE, RELIEF,

AUTEL) PREFEHEZ-VOUS?
C'est le panneau cultuel qui me parat le plus significatif, qu' il soit peint ou
sculpt, car c'est souvent un condens de la bible mithriaque, alors que les autels
ont une forme commune d'autres culres (quoiqu'une autre fonctio n) et que les
banquettes du Mirhraeum se recrouvent en somme dans d'au tres salles de runion

ANTAIOS

9
sans rapport direct avec Mithra.
Les reliefs taient gnralement peints. Mais comme ils ont perdu leur
polychromie, je suis l'occasion plutt impressionn par ce qui reste des panneaux
peints (Capoue, Marino, Rome: Palano Barberini, S. Stefano Rotondo), car les
couleurs y ont souvent une valeur symbolique. Le visage de Mithra dans l'ancre de
Marino respire une ardeur communicative laquelle les fidles ne devaient pas
demeurer insensibles.

QUEL EST LE MONUMENT MITHRIAQUE LE PLUS POIGNANT?

run des plus beaux visages que je connaisse est celui d'un relief conserv
Rome, sauf la tte de Mithra qui est au Muse de Karlsruhe. Voyez mes Cultes
orientatL'< dans le monde romain, planche XVIII.

LE PLUS MY~'TER1 EUX?

Il y en a beaucoup... Mais le plus nigmatique, mon sens, reste celui d'Octaviano
Zeno sur le Clius, qu'on connat surtout par des dessins anciens (j'en ai reproduit
un dans la dernire dition de Mithra et le mithriacisme>>, p.66).
RENAN A ECRIT QUE, SI LE CHRISTIANISME AVAIT ETE FRAPPE

PAR QUELQUE MALADIE MORTELI.E EN SES DEBUTS, LE MONDE EUT

ETE MITHRIASH:. JE SAIS QUE VOUS CONTESTEZ CETTE VISION DES
CHOSES ...
Oui, je crois que Renan a un peu rv sur le succs du mithriacisme qu'il avait
une tendance romantique idaliser, tour en abusant des parallles avec le
christianisme. Je l'ai dit souvenr: il Faut com parer pour distinguer.

ET Sl LE MITHRIACISME AVAIT OPERE UNE CONVERSION, UNE

MUTATION EN TEMPS UI'ILE (DEVENIR UN CUITE PVBL1C, S'OUVRIR
AUX FEMMES)?
Si le mithriacisme avait opr cette mutation)) (nous dirions aujourd'hui son
aggiornamento), en devenant public et en s'ouvrant aux femmes , il sc serait reni,
il aurait perdu son me et sa raison d'tre. l:n s'ouvrant au monde, comme on
dir, le christianisme a sans doute perdu quelque chose, sinon le meilleur de son
tonus spiituel.
QUET. ESl ' VOl'RE EMPEREUR FAVO!U?
Marc Aurle.

POURQUOI AVOlR CONSACRE UN LIVI A HELIOGABALE?

Parce qu'Hliogahale me parat tre l'image la fois exemplaire et grossie de la
crise morale et rel igieuse qui fermente dans l'Empire romain depuis le Ile sicle de
notre re. A certains gards, c'est un caS. Mais les conditions de son avnement et
les scandales de son rgne correspondent aussi un certain tat de la socit impriale.

Solsthe d't 1994

JO

Il existe des <<dfoulements rvlareurs.

COM\ItENT CONCEVEZ-VOUS LE ROLE DES IDEES (OU DES IDEES

AU SENS PLATONICIEN DU TERME) DANS LE T RAVAIL DE
r ARCHEOLOGUE?
Q.UAND INTERVIENNENT-ELLES? AU DEBUT? A LA FIN?
CONSTAMMENT? IL Y A DANS VOS EXPOSES UN CARRE CONCEPTUEL
TOUT AFAITSALUBREETREVIGORANT: IL YADURO\ItAINAU .V10TNS
AUTANT QUE DU PLATONICIEN EN VOUS (STTANT EST QU'IL FAILLE
CANTONNER PLATON A LA GRECE) ...
Le <<Carr conceptuel dont vous parlez a sans doute, effectivement, une relation
profonde avec mon esprit romain en mme temps qu'avec ma frquentation de
Platon, presque constante depuis plus de quarante ans (le Pre A.-]. Fesrugire et
\1adame J. de Romilly m'onr appris le lire dans le texte). Mais, la diffrence des
Ides platoniciennes, celles que je m'efforce de cerner ne sont pas innes dans un
monde intelligible d'OLI - force de contemplation - je les aurais tires pour en
rpercurer verbalement la substance.
Elles procdent d'une longue interrogation des textes et des monuments. Pour
un jour de synthse, il faut des annes d'analyse, crivait fustel de Coulanges.
Naturellement aussi, mon mtier de professeur m'intime l'obligation d'tre aussi
clair, aussi explicite que possible, mais sans jamais rien simplifier des dossiers les
plus difficiles ou les plus composites.

QUEL EST VOTRE PLUS

QU'ARCHEOLOGUE?

BEAU SOUVEN IR

EN

TANT

Le dchiffrement de peintures o j'ai reconnu des scnes cultuelles du cycle

dionysiaque l o les commentateurs prtendaient ne rien pouvoir identifier. Il
s'agir de fresques trouves Boscoreale ct conserves au Merropoliran Museum de
New York.

VOTRE PLUS I3EAU SOUVENIR Ml'HRIAQUE?

La contemplation du relief cultuel de Sarrebourg, si remarguablemenr prsent
au Muse de Metz, ou la visite du Mithraeum fouill sous l'glise de S. Prisca,
Rome, sur l'Aventin .

.J::rttretim ralispar Daniel Aranjo le 9 mai 1994.

ANTAIOS

Il

MITHRA:
VN DIEU INDO-EVROPEEN? (*)
On sait que le nombre des dieux dont il est possible de reconstruire le nom en
inde-europen est trs rduit, et qu'il s'agit uniquement d'entits cosmiques tels
que le Ciel du jour *Dyew-, ses deux fils les Jumeaux divins, sa fille l'Aurore.
Il est donc a priori peu probable que le dieu indo-iranien *Mirra qui reprsente
le contrat divinis remonte la priode commune des Inde-Europens. Contrat
est prendre au sens large: il peut s'agir d'accord pass entre chefs des cercles
d'appartenance de la socit, familles, villages, lignages, etc., comme dans l'hymne
avestique Mithra, Yast 10, aussi bien que de la loi du milieu qui unit les bandits:
le vieux-perse hamiiya-, driv du nom perse du contrat, signifie rebelle; dtail
clairant pour l'origine du mirhrasmc grco-romain, introduit par des pirates
ciliciens.
Assurmen t, ce nom du contrat est probablement hrit, encore que
l'tymologie en soit incertaine: on hsite entre tm driv en x-tro- d'une racine
"'mey- ou *meH- ou un driv en "'-ro- d'une racine *mcyt- ou *meHt-, ce qui
aboutit un assez grand nombre de possibilits. Mais de toute faon il ne s'ensuit
pas que le dieu soit aussi ancien que le nom du contrat: l'existence d'un nom du
feu divinis en Inde (Agni) n'implique pas celle d'un dieu correspondant l'poque
commune: il n'y a pas de dieu Ignis Rome. La divinisation du contrat s'est ralise
l'poque inde-iranienne, dans le cadre de la religion de la vrit, quand s'est
constitu un groupe de dieux nouveaux dont la particularit commune est d'exiger
d'abord un culte ngatif: ce sont les dieux qu'on honore>> (sens de la racine indeiranienne *yaz-) en vitant de les offenser (sens originel de la racine, conserv dans
le grec hag- ne pas offenser), car ils reprsentent un engagement, une obligation,
un lien social. C'est le cas de *Mirra ct de son associ "'Varuna qui, en Iran, sera
nomm Ahura :vtazda Seigneur sagesse et qui peut reprsenter la parole vraie
ou le serment.

Solstice d't 1994

12
Pourtant, ils forment un couple contrast de dielLX souverains d'un rype connu
par ailleurs dans le monde indo-europen: un souverain amical, paisible et diurne,
l'autre terrible, violent ct nocturne (c'est en ce sens figur qu' il faut interprter la
formule brahmanique Mitra est le jour, Varuna la nuit). Mitra a donc pu prendre
la place d'un Ciel du jour, dont Zeus, Jupiter, le *Tiwaz germanique, le "Deivas
balque portent le nom. Ce Ciel du jour s'est dissoci du Ciel de la nuit (reprsent
par exemple par l'Ouranos toil d'Homre) et a chang de nature lorsque la notion
de ciel a t spare de celle de jour (le latin dies ne conserve plus que cette
valeur, alors que le vieil-indien div- prsente encore les deux); un ciel unique a
remplac les cieux alternants de l'ancienne cosmologie.
C'est dans ce sens que Mitra reprsente un dieu cosmique indo-europen,
bien que sa nature soit toute diffrente: il occupe la mme place dans le nouveau
couple souverain. Et, en Perse, il a mme fini par s'en rapprocher, quand il a t
identifi au soleil.

jeanHAUDRY

*jaan PUHVEL, Mitm as an lndo-European divinity, in <tudes Mithriaques,

AC711 IRAN/CA, 17, 1978, p.335-343. La formule n'est pas teprise dans
Gomparafiz,e Mythology, The john Hopkins University Press, 1981

<<

jean HAUDRY, agrg de grammaire, docteur s lettres, pmfsseur de sanskrit, ancien

doyen de la facult des lettres et civilisation de l'universit jean-Moulin (Lyon),
directeur d'tudes l'Ecole pratique des hautes tudes, est un des gtands spcialistes
contempomins du monde indo-europen. Il a fond en 1981 l'Institut d'Etudes
Inch-Europennes de l'Universit de Lyon. Il est l'auteur, ent-re autres, de deux ouvrages
fondamentaux et accdsibles sur les lndo-Europens: Les Indo-Europens, Que
Sais-je no 19650, PUF 1985 (2d.j; et de La religion cosmique des IndoEunJpens>>, Arch/Les Belles Lettres 1987

ANTAIOS

MYSTERIA MITHRAE
Vne mystique au service de rlmperium
ln memoriam Alain Danilou

En guise d'introduction
A l'issue d'un sminaire international, nu au printemps 1978 Rome et Ostie,
capitales du Mithriacisme ancien, les chercheurs runis publirent un document
final que nous considrons comme une base de travail commode:
"Le mithrasme romain est une religion de type mystique, une structure
mystres, fonde sur un dieu qui traverse une "histoire" et une vicissitude, bien que
non conu comme mourant mais comme lNVICTUS, divinit qui ~tablit pour
l'homme une perspective intra-cosmique et une (perspective) exrra-cosmique,
exprimes par un symbolisme reli au rhme de la fertilit, l'intrieur d'une structure
initiatique fonctionnant dans une espce particulire de sanctuaire, sur la base du
principe sotrique.
Cette structure mystres se dploie dans une perspective plus proprement
myst~riosophique, fonde sur l'ide d'une carrire de l'me, l'intrieur d'un cosmos
conu non comme une prison, mais comme un escalier que l'me doit gravir et
dpasser, pour accder, au-del des sept sphres plantaires, au niveau transcendant
d'AETERNITAS (des toiles fixes) auquel renvoie la huitime porte mentionne
dans le texte fameux de Celse.
C'est donc une myst~riosophie qualifie, non pas d'anti-cosmique, mais au
comraire de cosmosophique, c'est--dire une mystriosophie impliquam une vue
positive du cosmos, bien que, comme dans routes les espces de mystriosophic,
dans le contexte d'une carrire ou histoire de l'me. La manire de vivre du mirhriaste

Solstice d't 1994

14
s'exerce daJlS ce monde-ci, lequel son tour se situe par rapport un autre monde,
de relie Faon que le mithrasme, sans tre un culte public, ni officiel, sans tre en
continuir avec les vieux cultes naturistes (Osiris, Attis, etc ...) qui ont volu vers le
mysticisme, peur remplir, paradoxalement, une fonction publique cr officielle, crant
une sympathie rciproque avec le pouvoir imprial ct le culte officiel du Soleil." {1)
Tous les termes utiliss dans ce texte sonr importants, commencer par "mysriqu'
(du grec musrikos: "qui concerne les mystres". Musterion tant le mystre, la chose
secrte, la crmonie religieuse secrte. Les Chrtiens utiliseront ce terme paen
pour dsigner leurs mystres: Incarnation, sacrement du baptme, etc ...), que l'on
pourrait dfinir, pour l'Antiquit, comme une "exprience d'une interfrence
participe ct gradue des trois niveaux, humain, cosmique er divin". (2)
\1ysrre est galemen t fondamental dans le cadre de notre tude ca r le
Mithriacisme comporte un rire iniriariquc, volontairement subi, et donc rsultat
d'un choix strictement individuel, ayant pour but d'atteindre, par l'exprience du
Sacr, une transformation intrieure. Le Mithriacisme peur donc tre quali fi de
"mystriq ue". En effet, il faut faire la distinction, dans l'Antiquir paenne, entre les
simples mystiques pisodiques er institutionnelles (Oionysisme, Mnadisrm:) ott la
personne est "enrheos", c'est--dire possde par le Dieu, ct les cultes mysrriques,
comporranr une initiation personnelle, un rituel sotrique, concernant un Dieu
qui disparat er revient, le rout donnant lieu des esprances de salut post mortcm
(sotriologie) . (3)
Pour tre encore plus prcis, nous dfinirons le \1irhriacisrne comme une
mystriosophie, c'est--dire qu'aux vicissiwdes connues par Mithra correspondent
celles vcues par l'me divine ou cleste (le pncuma des Gnostiques) . Alors que chez
les Or ph iqucs, chez Platon, l'me subit une ch me dans la matire - c'est le fame ux
sma/sma (le corps est un tombeau pour l'me)-, dans le Mithriacisme, celle-ci
doit gravir une chelle: cosmique de sept porres (sept plantes, sept grades) . Le
Mithriacisme est une cosmosophie puiS<JUC la doctrine conoit le cosmos comme
cr ct rgnr par l'acte salvareur de Mirhra, la Taurocronie, ct qu'il existe une
possibilit de salut (ascension dans l'aeterniras). La pense mithriaque n'est par
consquent ni ami-cosmique, ni anri-somarique.

Un Dieu venu d'Orient...

Mithra esr un Dieu indo-ira.nien, reprsentant l'amiti, l'accord ranr social que
cosmique, le contrat. En indien vdique, Mi rra signifie "ami, alliance", en persan
avcstique ~lirhra est le contrat. Notre Mithra est donc une divinir. cosmiyue
provenant tle l'aire orientale du domaine indo-europen. Il semble peu probable

ANTAIOS

qu'il remonte la priode commune des !mio-Europens: voir ce sujer la note de

Jean Haudry (cf.infra).
Dieu dfenseur de la Bona Fides, de la vrit et du matin lumineux, Mithra est
attentif aux cratures, veille sur les fidles. Il est le garant de l'ordre social et cosmique,
il soutient le ciel et la terre. En Inde, Mitra est associ Varuna, face antithtique et
complmentaire de la souverainet.
Mitra reprsente l'aspect juridico-sacerdotal, bienveillam er conciliant, lumineux,
proche de tous: c'est le Dieu-ami. En Iran, Mithra est sauveur et solaire, Dieu du
Bien, de l'accord et du serment. Il est la divinit tutlaire des rois achmnides,
associ Ahura-Mazda.(4) Ce cul syncrtique se rpand en Asie Mineure l'poque
hellnistique. Il fait son entre dans l'Empire romain grce aux 20.000 pirates ciliciens
faits prisonniers par Pompe en 67 AC er rpartis en Italie. Nous savons par Plutarque
que ces pirates vaincus pratiquaient un culte secret, d'o driveraiem nos mystres.
Le culte mirhriaq ue est donc n dans un milieu hosrile Rome, chez des "terroristes"
organiss en groupes clandestins. La premire allusion au culte constitu - et donc
distinct de celui des pirates comme de celui d'Asie Mineure- remonte au rgne de
Domitien (81-96PC), o\1 des adeptes sont dj dans l'entourage imprial.
La transmission du culte (ct sa mutation) en Occident est donc mal connue et
controverse. R. TURCAN a publi un ouvrage fondamental sur l'hellnisation
philosophique de Mithra: il semble en effet qu'il y ait cu intgration, par des milieux
platoniciens, de docrrines iraniennes. Il esr vrai que Zoroastre et les .\1ages jouissaient
d'un prestige certain auprs de l'Acadmie et il est mme possible que Platon ait t
influenc par la Perse. (5)

le mythe
Le mythe de Mithra, fruit d'un syncrtisme grco-persan, est abondammanr
reprsent sous diverse formes: sculpture, gravure, peinture. Il est mieux connu par
les reprsentations figures que par la littrature, d'o un certain nombre de lacunes.
(6) On peut nanmoins le rsumer comme suie. A l'origine, merge du Chaos le
Dieu Saturne, puis apparaissent le Ciel ct la Terre, ports par Atlas. Jupiter succde
son pre Saturne et il reoit pour ce faire le foudre, arme qu'il utilise pour terrasser
les Gams anguipdes, les agents du Mal qui veulent s'emparer du monde. Malgr
la victoire de la Lumire, l'esprit mauvais continue meme le cosmos en danger en
le menaant de scheresse et de soif. Apparat alors un Dieu sauveur: Mithra,
miraculeusement surgi d'un rocher (prrogne).
Mithra est le responsable du cosmos qui, d'un jet de flche, fair jaillir la source
pour les bergers. Le monde est menac par l'absence d'humidit - myrhe agraire~ -;

SoLstice d't 1994

16

passe dans la Lune, qui la transmet son tour dans un taureau, dsormais dtenteur
de la substance virale (sang ct sperme) . Mithra doit poursuivre le taureau, qui
commence par lui chapper. Enfin, il parvient le faire sortir d'une maison ct le
capture.
Taurophore, Mithra vainqueur entrane sa victime dans une grotte pour la meme
mort, sur l'ordre des Dieux, ordre transmis par le corbeau, messager du Soleil. Il
immobilise l'animal en le nant par les naseaux, enfonce le couteau sacrificiel (arpex)
dans sa gorge et fait jaillir le sang, qui asperge l'univers et le revivifie. Un serpent et
un chien se jettem sur le liquide vital, un scorpion ou un crabe s'attaque aux testicules

de la bte. Des pis de bl sortent Je la plaie et de la queue; la vgtation, les

animaux alentour renaissent...
Durant la tauroctonie, Mithra fixe le Soleil, qui coopre l'action, par le
truchemenc d'un rayon solaire. Les Olympiens assistent au sacrifice, qu'ils ont inspir,
ct qui est donc approuv par etLx. Ensuite, il y a "adoubement" par Sol de Mithra:
ils se serrent la main droite au-dessus de l'autel ott grillent les viandes du repas
partag sur les dpouilles du taureau. C'est la "dexisis", signe ternel d'alliance, de
conrrar (en latin: dextrarum iunctio). (7)

L'image
Image centrale et constante du culte, la taurocronie, immolation du raureau par
Mithra, est l'aboutissement d'une "gesce". Franz CUMONT dcrit l'icne rnithriaq ue
la perfection: "Un jeune homme appte le genou gauche sur le garrot d'un taureau
abattu sur le sol, tandis que du pied droit, pos sur le paturon, il maintient tendue
en arrire la jambe droite postrieure de la victime. De la main gauche, il lui saisit
une corne ou plus souvent les naseaux, et lui relve la tte, et de la droite, il lui
enfonce un large coutelas au dfaut de l'paule." (8)
Mithra porre le CO$Wme asiatique (pantalon perse, bonnet phrygien), il est
souvent nimb ou radi (solaire!). Le pli de son manteau constell d'toiles est
arrondi pour figurer le firman1ent. Caere salvareur et rgnrateur du cosmos est
observ par So l et Luna (principe humide dont le taureau est dtenteur). Sont
galement figurs les quarre vents (quatre points cardinaux), les bustes plantaires
et l'orbe des constellations zodiacales. De part et d'autre de Mithra, les dadophorcs
Cauts et Cautopats. Cauts porte la torche leve, il reprsente le Soleil ascendant,
la saison chaude et le solscice d't. Le coq et le buste solaire lui sont parfois joints.
Cauropats porte la torche baisse, il reprsente le Soleil descendant, la saison froide
et le solstice d'hiver. La chouette ct le buste lunaire lui sont parfois joints. Entre
levant et coucham, entre Cauts er Cautopats, Mithra le Mdiareur t!xe Sol Inviecus,

ANTAIOS

le regard arden t voire pathtique, dans la plus pure rradirion hellnistique ct

orien rai isan re.
Aln, Dieu lomocphalc ail, enlac par un serpent reprsente le Temps cyclique,
l'Eremit cosmique.
Cette imagerie cohrente, cette "dogmatique illusrre" (R. Turcan) est identique
de l'Ecosse l'Inde, dans tous les mirhraea.

la doctrine:
Le propre des mystres, outre le syncrtisme, la notion de salut individuel accord
par un Dieu sauveur, l' universal isme, est leur caractre sotrique. Le nophyte
prte un serment (sacramenrum) et sub it l'i nitiation, prcde de jefme, de
purifications. Au cours de son entre dans la communaut des mystcs (ceux qui
savent), lui esr rvl le hiros logos, l'histoire sacre, le mythe originel er fondateur
dans ses deux interprtarions, l'sotrique et l'exotrique. Le rituel comporte une
imiratio dei, une mise mort du viei l homme avec rsurrectio n, renaissance
spirituelle: l'ini ti est deux fois n.
Le secret est fondamental dans ce contexte ... ct il a t bien gard: nous ne
possdons aucun texte complet de premire main sur l'initiation mithriaque.
Religion initiatique " temporalit cyclique et sensibilit panthiste" (D.Aranjo),
le M ithriacisme a pour point central le sacrifice magique, dans une grotte symbolisant
le cosmos, de passage des ~aisons, du passage de l'quinoxe de primemps (21 mars
dans le calendrier solaire) . La nature, menace par l'esprit mauvais, est rgnre,
sauve par un Dieu mand par les forces cosmiques: le sang du taureau, comparable
au pneuma des Stociens, la vic divi ne qui irrigue rout, fconde la terre. Comme
le proclame une clbre devise mithriaque: "er nos servas ti aetcrnali sanguine fuso".
r:r nous, w nous as sauvs en rpandant le s;mg ternel...
Il s'agit donc d'une religion optimiste er dynamique, o justice concide avec
ncessit, er la base de laquelle on trouve, sous l'influence de courants stociens,
de l'astrologie et de doctrines indiennes er iraniennes, l'Eternel retour au rgne de
Sarurne. Contraircmcm l'Orphisme, au Gnosticisme, la doctrine mithriaque a eu
une conception positive du cosmos, cr ct/ou rgnr par le Deus salutaris,
transcend par l'iniri. S'il existe un dualisme mithriaque, il s'agit en fait d'tre DU
monde et HORS du monde. On peut parler d'un duali~me "social", opposant les
privilgis {les iniris) aux autres. (9) A cerre opposition horizontale, il faut en ajouter
une verticale, entre ce monde sublunaire du ml;mge et du changement er l'aeremiras,
auquel mne l'chelle mithriaque. Cer.tc t:chelle sept portes permet l'me de
l'iniri de rintgrer graduellement la lumire cleste, de redevenir feu divin aprs

Solstice d't 1994

18
avoir refait le cycle complet des ges du monde partir de Sarurnc. Le dualisme
mithriaque n' esr qu'une opposition vercicale entre le niveau de la terre ct des plantes
d'une part er celui d'aeternitas d'autre part. Il ne faur y voir aucune opposition
entre le ciel ct la terre, aucune condamnation du cosmos ou de la matire.
On pourrait dfinir le _\;1ithriacisme comme un monisme vitaliste, comme un
panthisme initiatique: Mithra est solidaire de ce monde, en harmonie avec ses
l<:':tnct1ts ct en immolant le taureau, il anime le cosmos.

Le rite
Le Mithriacisme est une religion de la crypte: son culte se pratique dans ce
que le farouche crtullien ("Quoi de commun emre AJhnes et Jrusalem?")
nommait plaisammenr "castra tenebrarum" pour les opposer aux "castra lucis" des
Chrtiens. La grotte symbolise le cosmos (cf. Porphyre). (10) Le temple de Mithra

est d'ailleurs appel spelaeum: la tanire. Il s'agira donc d'une grotte naturelle ou
reconstitue, qui servira de lieu de runion ct de salle manger aux initis. Le
mithraeum ou spelaeum se diffrencie par-l des temples paens: il est enterr alors
gue ces dern iers sont surlevs (podium), l'autel sc trouve l'intrieur et non devant
le temple, le sacrifice a lieu l'intrieur et non l'extrieur et enfin, l'office et le
repas se pratiquent inttra muros et non extra muros. C'est une vritable rvolution
sur le plan spirituel dans le monde antique.
La liturgie consiste en sacrifices d'animaux (mais pas de taurocronie),
en la conscration de pain, de viande, d'eau er de vin. Le repas sacrificiel
couronne la crmonie, il est prcd d'une sance d'instruction, d'explication du
mythe: catchse et cne, cc que '[rcullien appelait des imitations blasphmatoires,
des "ingenia diaboli"! Le sacrifice a lieu le di manche, jour du Soleil. Les ftes les
plus impo rtantes sont videmment les quinoxes ct les solstices.

Les degrs d'initiation

Ils sont au nombre de sept, trois infrieurs (serviteurs) et quarre suprieurs
(participants), en sphres croissantes de responsabilit. Cet orrc est identique dans
tout l'Empire: Corax, Nymphus, Miles, J.eo. Perses, Heliodromos, Pater. Ce dernier
est le plus ha ur dignitaire, reprsentant de Mithra sur rcrre. Il dfend la communaut,
veille sur ses frres, recrute er initie.

L'thique
Mirhra esr le Dieu de la fidlir, de l'amiti ct du contrat.

ANTAIOS

Il symbolise l'harmonie personnelle, sociale er cosmique. La morale mithriaque

est une morale solaire, une thique de la lumire: amour de la vrit, fidlit la
parole don ne sont centrales. Il s'agit aussi d'une religion de l'nergie car Mithra
vainc le taureau grce sa volont inflexible ct la force de ses bras. Ce qui lui
permet de restaurer l'ordre cosmique Ln instant menac par les forces du chaos, du
non-tre et de la mort Par la dexisis, l'treinte des mains droites, Mithra scelle son
alliance avec Sol. La main droite symbolise dans de nombreuses traditions la puissance
et la volont. Il s'agit aussi ici d' un engagcmenr, d' une parole donne, laquelle une
fidlit sans faille est de mise. Le succs du Mithriacisme dans les milieux militaires
surtout, mais galement dans la haute administration ct les milieux d'affaires peut
s'expliquer par cette sacralisation du lien fraternel ct indissoluble, garanti par un
serment et gage de salut. La loyaut, la fides romaine, source de bonheur et de salut
dans un monde difficile, ne pouvait que sduire l'esprir juridique et moral des
cadres de l' Empire romain. Il y aurair d'ailleurs des recherches faire quam aux
liens entre thique mithriaque et thique fodale etlou chevaleresque. Les points
communs sont nombreux: exaltation de la notion de service, morale de l'acrion ct
de l'nergie, lut.te contre le mal, ncessit de l'obissance ct d'une discipline librement
consentie au sein d'une hirarchie stricte, exaltation de l' honneur ct de l'amiri,
non point l'amour abstrait et universel des Chrtiens (et qui a pour corollaire oblig
l'ingrence dans la vie de l'autre et la "correction fraternelle") mais solidarit concrte
l'gard des membres de la phratrie ....
En fln, la dexisis est aussi la garantie du secret, indispensable au sein des "loges"
mithriaques.(! 1)

Mithra et l'lmperium
Un rudit a pu crire que le Mithriacisme a jou un rle comparable celui de
la Franc Maonnerie sous la Illme Rpublique. En e.ffer, les "loges" mithriaques
ont t trs influences dans l'arme, la finance, l'administration jusque dans
l'entourage imprial. (12) Si Nron semble bien avoir t initi des ri tes mazdens
lors de la visite du roi l i ridate d'Armnie, si Commode a "particip" des rituels
mirhriaques ... mais sa manire, les ~culs cas certains d'empereurs adeptes sont
ceux d'Aurlien, de Dioclen-(;a[re-Licinius (inscription de 307PC) ct de Julien .
(13) Mais il est vrai qu'il fam viter de rombcr, comme le fit Renan en son temps,
dans un "panrnithriacisme" caus par la confusion avec Sol lnvicws. Mithra, comme
Apollon, Srapis ou Jupiter, est un avatar de Sol dans ce Paganisme en mutation,
caractris par une tendance l'hnothisme plutt qu'au monothisme. Toutes les
inscriptions ddies Sollnvictus ne sont pas ncessairement mithriaques ... mais

Solstice d't 1994

2f)

les mithriasces sont adorateurs de Sol lnvictus! En fait si Mithra est assimil Sol,
l'inverse n'est pas toujours vrai. Il existe donc plusieurs niveaux dans le culte solaire.
En outre, l'origine perse du Mithriacisme- et la Perse est l'ennemi gopolitique de
Rome-, son caractre individualiste et iniriatiq ue (voire son absence d'oecumnisme),
son sotrisme- Mithra a toujours t un Dieu secret-, ont fait que les empereurs,
s'ils ont discrtement appuy les loges, s'ils ont fait preuve leur gard d'tme neurralir
bienveillante, ne lui ont accord qu'une reconnaissance officieuse. Mais les mithriastes
en demandaient-ils davantage, eux qui clbraient leurs rites jusque dans le camp
de la garde prtorienne, au centre de l'Urbs?
Le destin des mithriastes dans rimperium semble bien d'tre la fois partout et
nulle parc, au cenne er la priphrie.

La survie
Mithra est toujours honor de nos jours, du Rhin l'Indus. Un prince russe de
la Belle Epoque ne fit-il pas construire un mithraeum Lugano? Le marquis Folco
de Baroncelli-Javon, pote camarguais, flibre et ami de Montherlant ne voulut-il
pas clbrer un taurobole sur la plage des Saintes-Maries-de-la-:\1er, au grand scandale
des Catholiques locaux?
Une Anglaise a mme publi une tude fouille sur les rfrences mithriaques
de blkien, qui aurait voulu faire du "Seigneur des Anneaux" une sorte d'Ancien
Testament mithriague destin sa propre religion... (14)
Et puis le culte est pratiqu, sans interruption depuis I'Anquit, par des
Zoroastriens , notamment les KSH NUM , socit initiatique zoroastrienne de
Bombay... (15)
Clbr par les crivains, notamment par Alain Danilou dom les "Contes du
Labyrinthe" sont un vritable brviaire (!) mithriaque, le Dieu ptrogne demeure

fidle sa mission, sou~ le Soleil d'un ternel prsent.

Quand redeviendrons-nous mithriasres?

Christopher GERARD
Sofstice ri 't 1994

21
Notes:
(1) U. BIANCHI (d.), "Mysttria Mithrae': Bril~ Leiden 1979, p.XVI-XVT/.
Dsormais cit M. M. A Mithrasme, mithraque et mithraste, nous prfrons
Mithriacisme, mithriaque et mithriaste.
(2) M.M., p. 873-879.
(3) Sur ce passionnant sujet, lire W BURKERT, "Les Cultes mystres dans
L'Antiquit': Belles Lettres, Paris 1992, p. 13-22 et 81-103.
(4) R. TURC"'.AJV, "Mithra et le mithriacisme': Beiles Lettres, Paris 1993, p.l 123. 01mrage dso rmais cit TURCAN.
(5) R. TURCAN, "lv!ithras platonicus. Recherches sur L'hellnisation
philosophique de Mithra'~ Bril4 leiden 1975.
Lire aussi la discussion gnrale qui ci!Jt les M. M., p.849-870, o l'rudit
Gortkn parle mme de "bricolage" myrhico-religieux.
{6) L.AJ CAMPBELL, "Mithraic Iconography and ldeology': BriLL, Leiden
1968.
(7) R. TURCAN, "Les Cultes orientaux dans le monde romain': Belles Lettr-es,
Paris 198.9, p.217-227.
(8) TURCANp.47.
(9) M.M. p.873-884.
{10)H. LAVAGNE, ''importance de La grotte dans le Mithriacisme en Occident':
in Etudes Mithriaques, Actes du !!me congrs international dr Thlran
(septembre 1975), Bril/, Leiden 1978,p.271-278. Ouvrage dsormais cit
EM.
Cf aussi lagrotte de /.oroastre et celle o Mithra attire le taureau avant de le
tuer.
(IJ)M. U.' GLAY, "La Dexisis dans les Mystres de Mithta': in hM, p. 279302.
(12)M. CIAUSS, "Cu/tores Mithrae. Die Anhiingerschaft des Mithras-Kultes~
Stuttgart 1992.
(13)Nous ne ruivons pas R. Tttrcan, qui nous semble hypercritique. ~ir ce sujet
W BELARD!, '/Mithraismo occidentale e i Sttoi rapporti con il potere
politico': in lvfNf, p-385-387. Et M. SIMON, 'ii1ithra et les empereurs': in
MM, p.411-428. Et enfin PA'HANASSIAD!-FOWDEN, 'Julian and
He!lenisrn': Oxford 1981, p.52-8H.
( 14)E. ALLEN, "Persian Influences in ]. R. TOikien's The Lord ofthe Rings': in
The 'transcendant Aventur-e. Studies of Religion in Science Fiction/Fantasy\
Westport, Londres 1.98.5.
(15)E. ZOLLA, "Le Soleil dans la crypre': in FMR 14, 1988, p.58.

Solstice d'h 1994

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ANTAIOS

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Bibliotheca mithriaca
U. BIANCHI d., "Mysteria Mithrae", Brill, Leiden 1979. Une somme de 900
pages. Fondamental.
N. BURRASCANO, "I Misteri di Mithr', Basilisco, Gnes 1979.
W I3URKERT, "Les Cultes mystres dans l'Antiquit", Belles Lettres, Paris
1992. Une approche rsolument paenne des mystres antiques, de l'aveu de l'auteur.
A.L. CAMPBELL, "Mithraic lconography and Ideology", Brill, Leiden 1968.
M. CLAUSS, "Mithra.c;. Kult und Mysterien", Munich 1990.
Du mme, "Cultores Mithrae. DieAnhangerschaft des Mithras-Kultes", Stuttgart
1992.
F. CUMONT, "Textes et Monuments figurs relatifs aux Mystres de Mithr',
I-ll, Bruxelles, 1896-1899. Fondamental. Condens dans "Les Mystres de Mithr',
Bruxelles 1913 (3d.). Rd. anastatique collection "Les Intro uvab les", Ed.
d'Aujourd'hui, Plan de la Tour 1985.
Du mme, "Les Religions orientales dans le Paganisme romain", Geuthner, Paris
1963 (rd. anastatique de l'dition de 1929).
A. DANIELOU, "Les Contes du Labyrinthe", Rocher, Monaco 1990.
A lire absolument!!!
R. MERKELBACH, Mirra, ECIG, Gnes 1988. Fondamental. Traduit de
l'allemand (d. orig. Mithras, 1984).
T. OSSANA, "La stretta di mano. Il contenuto ctico della Religione di Mitr',
Borda, Naples 1988.
C. PAVIA, "Roma mitraicall, Lorenzini, Udine 1986. Photographies superbes.
R. RIGON, "Il Culto di Mithra tra mita e stori', Quaderno I, Barbarossa,
Saluzzo 1983.
R. TURCAN, "Mithra et le mithriacisme)), Belles Lettres, Paris 1993. Rdition
refondue du QSJ publi en 1981. A lire absolument.
Du mme, "\1ithras plaronicus. recherches sur l'hellnisation philosophique de

Solstice d't 1994

24
Mithra", Brill, Leiden 1975. rondamental.
Du mme, "Les Cultes orientaux dans le monde romain", Belles Lettres, Paris
1989. Fondamemal: "notre" Cumont.
M.j. VERMASEREN, "Corpus inscriptionum et monumentorum rdigionis
Mirhriacae", I-II, La Haye 1956-1960.
Du mme, "Mithra ce dieu mystrieux", Sequoia, Bruxelles 1960.
Synthse pratique mais vieillie.
Numro de revue: FMR 14, 1988, Ricci, Milan 1988.

Bib!i<Jgraphie nullement exhaustive!

NABARZE
DEO
PROSAI:.AMPU
AVONDISP.Er
SVA-SVOI\.VMQ
OMN!VM
PR.OTAS:YL~<AR
E~VS

ANTAIOS

lE CULTE SOlAIRE A ROME

Le Dieu-Soleil SOL (<JUvalent du grec Hlios) tait une vieille divinit du
Latium, reste longtemps l'arrire-plan (1). Elle tait supplanre par Jupiter, le
Dieu indo-europen du ciel diurne, ainsi que par Apollon, Dieu solaire gurisseur
(quivalent du Blnos celte) qt prit plus tard les attributs de l'Apollon grec. Ds le
VIme sicle A.C. , un culte solaire public tait rendu prs de l.a.vin.iurn (20 km au
Sud de Rome) .
Dans l'Urbs mme, partir de la ftn du llme sicle A.C., un culte Sol [ndiges
est attest (Le Boeuffle). sa fre avait lieu les 8 et 9 aot.
[ide impriale romaine a, ds ses dbuts, pris une con nnotatio.n solaire. Cicron
en avait dj fourni les prmisses dans la Rpublique en dsignant. le Soleil comme
chef, prince er rgulateur des autres corps lumineux, me ordonnatrice du monde,
si grand qu'il claire tour de ses rayons. A la suite de sa vicroire d'Aerium (31 A.C.)
sur son rival Antoine, Octave, futur Auguste, se place lui-mme ainsi que l'Empire,
sous la protection d'Apollon, cens lui avoir manifest sa faveur au cours de la
bataille. Il lui lve en 26 A.C. tul magnifique temple sur le Palatin , proximit de
sa demeure. En 9 A.C., Auguste fait raliser au Champ de .Mars un gigantesque
cadran solaire servant aussi de calendrier. Son gnomon est un oblis<JUe (2) amen
d'Hliopolis, sur lequel on grave une ddicace au Soleil: ((Soli donum dedif>>. Ce
cadran solaire indiquait en outre, par sa position avec d'autres monuments augustens,
rel l'Autel de la Paix, les quinoxes et le solstice d'hiver.
C'est la mme poque qu'Ovide compose ses Mtamorphoses, rcits
mythologiques menant en scne le Soleil plusieurs reprises, et en particulier dans
le clbre mythe de Phaton, ainsi que dans ses aventures avec la nymphe Clyti.
Mais c'est Horace qui traduit le mieux l'aspiration solaire impriale dans le Chant
Sculaire:
Soleil nourricier, qui sur ton char brillant his surgir le jour et le cache, qt renais
nouveau er pareil, puisses-tu ne rien visiter de plus grand que la ville de Rom>.

Solstice d't 1994

26
Au Ier sicle P.C., Nron dtourne son profit le culte solaire. Apparaissant sur
ses monnaies en Apollon, Dieu de la musique, il s'identifie l'Astre du jour, auquel
le comparent Snque er Lucain. JI fait lever prs de l'actuel Colise une statue
colossale- d'o le nom amib u cet amphithtre- le reprsentant sous les traits
du Dieu-Soleil la couro1111c radie. A proximit, sa clbre Domus Aurea se veur
un palais solaire comporranr une salle octogonale dont la coupole rournan reproduit
le mouvemenr de l'Asue.
En 125, l'empereur Hadrien fait construire l'extraordinaire coupole du Panthon,
sans doure le plu~ h-au temple paen encore conserv. Cerre coupole, d'un diamtre de
43 mtres, est perce en son centre d'un oculus de 9 mtres, par Oll la lumire solaire
joue sur les caissons imernes, crant m1e harmonie incomparable. Ddi tous les
Dieux, ce chef-d'oeuvre absolu de l'architecture romaine semble bien traduire la
prminence de Sol, rgnant sur la vore du Cosmos. La tradition prtend que l'empereur
aimait se placer au centre de ce puits de lumire pour y rendre la justice.
Illiogabalc, au dbut du Illme sicle, s'idenrifie lui aussi au Soleil; mais en
voulant imposer celui-ci sous sa forme syrienne, le Baal d'Ernse, ainsi que par ses
dbauches, il choguc les Romai ns. Sa tentative cho ue, mais comme celle de Nron,
elle prpare les esprits l'ide d'une thocratie solaire. Cette volution est trs sensible
au cours dulllme sicle. Une symbolique asrrale s'exprime alors sur les monnaies:
l'avers, les empereurs portent la couronne solaire radie, les imprarrices le croissanr
lunaire. Au revers, Sol apparat tenant le globe dans une main ct saluant de l'autre;
sur d'autres pices, il conduit son quadrige bondissant. !.cs devises de ces monnaies
sont loqucnres: SOU INVICTO (Au Soleil Invaincu), ORIENS AUGUSTUS
(Soleil l.evant Auguste), LUX AETERNA (lumire Eternelle) .
Nous retrouvons cette volution dans la littrature, reflet de la socit. Ainsi
Philosrrare l'Athnien fait du Soleil la divinit suprme, dans sa Vic d'Apollonius
de Tyane, qui passior.ne les milieux littraires du temps. Au IVme sicle, un
roman succs, Les Erh iopiq ues d'Hliodore d'Emse, correspond lui aussi aux
ides de l'poque par les allusions solaires maillant le rcit. Certaines familles s'taient
voues au culte solaire. C'rair le cas de la gens Aurelia, dont desendair Aurlien, fils
d'une prtresse du Soleil. li revenait cet empereur militaire d'officialiser ce culte
tour en lui rcdonnanr une puret romaine>>. En 274, Aurlien fait de son protecteur
tutlaire celui de l'Empire er il lui consacre un temple magnifique Rome. C'..eluici, dot d' un riche trsor, est desservi par un collge particulier de prtres recruts
parmi l'lite des snateurs. Aurlien institue des jeux quadriennaux en l'honneur
du Dieu er le 25 dcembre est dsormais ft son anniversaire (Natalis Solis lnvicti).
C'esr l'origine de Nol. (3)

ANTAIOS

Les monnaies d'Aurlien portent au revers Sol triomphant, tandis que les devises
clbrent le Dieu: PAC'\TOR ORBIS (Pacificateur du Monde), qui rappelle les
victoires de l'empereur; FIDES ET SOL (Fidlit et Soleil), sur une monnaie de
son pouse Sverine. :Lapothose est atteinte avec cette dernire inscription: SOL
DOM INUS IMPFRII ROMANI (Soleil Matre de l'Empire Romain) ...
Dans le chef d'Aurlien, l'empereur occupe sur Terre le mme rang minent
que le Soleil dans le ciel; il participe Je sa nature divine et ternelle. (4)
Cette conception du Soleil en tant que garant de l'autorit impriale se
maintiendra jusqu' Consranrin compris. En 313 en effet, anne Ot1le Christianisme
est officiellement admis dans l'Empire, certaines de ses monnaies portent encore la
lgende SOLI I.!'.TVICTO COMITI (Au Soleil Invaincu Compagnon).

le culte de Mithra
Paralllement au culte solaire officiel que nous venons d'voquer, se dveloppait
un culte solaire sotrique: celui de Mithra. Ces deux cultes entretenaient des liens
troits, mais alors que le premier tait centr sur la personne de l'empereur et de ses
proches, le second recrutaic ses adeptes dans toutes les classes sociales, au terme
d'une slection svre. Mithra est identifi au Soleil Invaincu par les nombreuses
ddicaces des monumenrs: DEO SOLI INVICTO MITHRAE (Au Dieu Invaincu
Mithra). Le Mithrasme clbrait la lumire dans des temples souterrains, car nulle
part mieux que dans un endroit obscur on ne mesure la valeur de ce miracle
permanent qu'est la lumire solaire. Il exigeait de ses initis une svre discipline
morale dont les termes ne nous sont pas directement connus. Mais, dans son discours
Con tre Hracleios,, l'empereur Julien, adepte de Mithra (dont il avait le grade
d'Hliodromos, courrier du Soleil,), rapporte le code moral qu'Hlios lui aurait
donn, et qui semble bien reflter certains commandements de Mithra:
1o Erre pieux envers les Dieux.
2 Etre fidle en amiti.
3 Etre bienveillant l'gard de ses subordonns.
4 Bien se gouverner, sans cder ses passions.

l a thologie solaire de l'empereur Julien

Julien, dernier empereur paen (361-363), descendait lui aussi d'une illustre
famille d'adorateurs du Soleil. (5)
Mais le Christian isme avait dj t admis dans l'Empire sous le rgne de
Constantin, ct surtout sous celui de son fils Constance If, qui perscute les Paiens.
Julien rtablit le Paganisme ct s'efforce de le rnover: on pourrair parler de

Solstice d't 1994

2B

<<nopaganisme. Son assassinat en 363 fait avorter ces audacieuses rformes. (6)
Se dfinissant lui-mme comme adepte d'Hlios-Roi, cet empereur mystique
rendait un culte son Dieu dans le sanctuaire paarticulier de son palais de
Constanrinople. Egalement initi aux principaux cultes mystres de son temps,
Julien fut en outre un homme d'tat et un soldat remarquable. Il reste l'w1e des plus
hautes figures du culte solaire europen et l' une des plus attachantes de son poque.
C'est en partie d au fait que sa personnalit nous est bien connue grce aux quatre
volumes de textes publis par les Belles Lemes. Julien se situe dans la ligne des
philosophes noplatonicicns. C-eux-ci considrent chaque divinit comme un aspect
d'un<: Divinit suprme unique, dont le Soleil apparat comme le meilleur
reprsentant. Zeus-Hlios-Hads est un des noms de ce Dieu syncrtique. (7)
Cette ide avait djtt illustre par Platon dans la Rpublique, avec la clbre
comparaison entre le Bien et le Soleil. Elle est reprise au Illme sicle par Plotin,
qui place l'Un au sommet du Cosmos: foyer inextinguible fisant ruisseler une
cataracte ininterrompue d'tincelles sur le monde (Benoist-Mchin). Chacune d'elles
est une me qui, aprs ;tvoir sjourn sur terre, retourne au foyer dont elle est issue.
Cette thorie est perfectionne par ses disciples Porphyre er ensuite Jamblique. Au
sicle suivant, Julien, dans son <<Discours sur Hlios-Roi, en propose une synrhse
originale sous forme d'une trinit solaire.
Cette thorie aurait-elle une origine naturaliste, comme d'autres thologies
paennes? Les ;Ulnales romaines mentionnent plusieurs reprises, ds le llme sicle
A.C., la prsence de trois soleils d;Uls le ciel. Les chroni(lues mdivales rapportent
des apparitions de mme type. (8)
Nous savons aujourd'hui <Ju'il s'agit d'un phnomne mtorologique rare,
nomme parhlie, et qui ds les origines frap pa l'esprit humain. f1 est intressant de
no rer qu'un des montants de la chambre dolmniq ue de Gavrinis (Bretagne) prsente
un motif inexpliqu pa. les archologues, consistant en trois ouvertures circulaires
comm uniquant entre elles par l'intrieur de la roche. t explication naturaliste
pourrait-elle ainsi fajre remonter 1' origine de la <<thorie'' des trois Soleils au
Nolith ique? A l'inverse, faut-il voir une rminiscence de cette thologie solaire
dans certains lment~ du folklore? Ainsi une croyance bien tablie dans les HautesVosges assure que le jour de la Trinit (!) on peut voir se lever trois Soleils du haut
des Ballons vosgiens. De mme, on trouve partout en Europe l'ide selon laquelle le
Soleil accomplit trois bonds son lever, le marin de Pques.
Le Soleil visible qui claire le monde, le chauffe et lui donne vic, ne peur tre
lui-mme le principe de la vic car il est, comme tout objet matriel, soumis au
devenir, donc la mort. Il doit donc exister un autre Soleil, invisible, ternel et

ANTAIOS

29
fulgurant, qui est l'origine de rouees choses. Cc principe premier, l'Un ou le Bien,
est tellement ineffable qu'il reste jamais inaccessible l'intelligence. Il est toutefois
accessible par l'illumination mystique selon Plotin. Juen place entre ces deux Soleils
un troisime, Hlios-Roi, le mdiateur, dont le Soleil visible n'est que la manifestation
dans le monde sensible, et qui lui-mme l'manation du Bien. Hlios-Roi, rgnant
sur routes choses>>, est la plus haute reprsentation du divin que l'intellect puisse
concevoir. Il possde un aspect personnel sous la forme de Mithra, galement guide
bienvei llant des mes des adeptes aprs la morr (Dieu psychopompe), comme le
prcise Julien dans l.cs Csars)).

Le chant du cygne de la thologie solaire

Aprs la mon de Julien, quelques grands personnages tels Prte.xrat ou Symmaque,
prfets du prtoire, mnent les derniers combats pour le Paganisme. Le premier est
titulaire de plusieurs sacerdoces et Parer Parrum, Pre des Pres, du culte mithriaque.
C'est lui que Macrobe mer en scne dans ses Saturnales)): il donne une synthse du
Paganisme en montrant comment roure la thologie paenne se ramne alors au
culte du Soleil. Nonnos, dans son Hymne au Soleil, montre que sous des noms
diffrents, c'est la mme divinit qui est adore par les diffrents peuples.
D'importantes inscriptions de Kamnius, un neveu de Julien, montrent son

attachement au culte de Mithra. Au Vme sicle on trouve encore quelques trs

beaux hymnes solaires, tels ceux de \1artianus Capella ct surtout celui de Proclus,
l'un des derniers grands philosophes noplaroniciens. Avec cc vaste syncrtisme
solaire, le Paganisme oprait en quelque sarre un retour ses sources ... mais en
mme remps il jetait ses derniers feux. Cette conception, une des pointes extrmes
de la pense paenne)) (Lacombrade), n'ta comprhensible que par une lite
intellectuelle. A l'inverse le Christianisme proposait, non point une philosophie ou
une sagesse, mais une idologie, bc;aucoup plus la porte des masses.

le culte solaire
Notons d'abord un exemple de rire solaire dans l'ancien culte domestique. Le
1er mars de chaque anne, le feu sacr de l'autel domestique devait ~tre renouvel.
Pour cerre importante crmonie, on le rallumait en concentrant les rayons solaires.
\!lais la vnration du Soleil se traduit surtout par l'usage immmorial de saluer
l'Astre levant. Pareil salut est attest chez les lgionnaires de Vc;spasien (Ier sicle
I~C.). Une cramique du Hme sick dcouverte Bucarest reprsente un homme
saluant le Soleil en levant un bras. Macrobe, .la fm du Yme sicle, lhns ses
Saturnales, confirme gue le Soleil c::st alors salu son lever ct il nous transmet une

Solstice d't 1994

brve in vocation en grec ancien, gui tait en usage dans les sacrifices paens: Hll
panrocratOr, kosmou pneuma, kosmou dunamis, kosmou phs. Cerre formule
paenne originale peut se rraduire comme suit: <<Soleil tout-puissant, me du monde,
force du monde, lumire du monde.
La prire au Soleil, tout aussi ancienne, est dcrite par Ovide (Ier sicle) dans ses
Mtamorphoses (I, 770): Clymn invoque le Soleil les deux bras tendus au ciel et
les yeux sur le disque lumineux>>. A la fin du Paganisme, le prire se fait jusqu' trois
fois par jour, les bras carts er levs, paume des mains et regard orients vers le
Soleil.
Quant au cuire de Mithra, il tait particulier, du fair de son statut de religion
mystres. Dans le mithraeum taient figurs les principaux pisodes de la lgende
de Mithra, en particulier le sacrifice du taureau, sous les regards de Sol ct de Luna.
Ce sacriftce, commandit Mithra par le Soleil, tait destin rgnrer le monde.
l:antrc du Dieu abritait un feu perptuel ct on y trouvait aussi une vasque d'cau
lusrrale pour les purifications. La prire avait lieu trois fois par jour aux lever,
culmination ct coucher du Soleil, le fidle se tournant respectivement vers le levant,
le midi et le couchant. La liturgie quotidienne comprenait de longues psalmodies et
des chants accompagns de musique. Elle se doublait frquemmenr d'offrandes, de
sacrifices ct de libations. Le dimanche, jour du Soleil (9), Solis dies, avait lieu!' office
le plus important. Les initis pouvaient galement pratiquer des rituels spciaux,
reis celui du papyrus magique de Paris.

Monuments du culte solaire

Citons en premier lieu le Panthon de Rome (piaz:za della roronda) , sans doute
le plus beau temple paen (et solaire) conserv, grce sa transformation en glise
chrtienne en 609. Parmi les temples spcifiquement consacrs au Soleil, trois sont
particul ircment clbt~s:
- le premier, toujours visihle et aussi le plus ancien temple conserv de la Ville,
est le Temple rond du Forum Boarium, au hord du Tibre et proximit du Circtls
Maximus;
- le second se trouvait sur le Palatin, ct du remple d'Apollon: le si tc est
aujourd'hui occup par un couvent;
-le plus ancien, dom nous avons dj parl, se trouvait sur le Quirinal. Pem-rre
est-ce lui qui fut remplac par le grand temple d'Aurlien, le plus rcent de tous.
Son emplacement correspondrait l'glise San Silvestro in Capite (quelques vestiges
seulement).
Outre les temples du Soleil, Rome comptait galement une centaine de mithraea.

ANTAIOS

31
Tout comme les premiers, ceux-ci ont souvent t recouverts par des difices chrtiens:
les plus connus som les mithraea sims SOUS les glises Sainte Prisque er surtout
Saint Clment, aisment visible car dpendan t d'une congrgation Je moines irlandais
fon indpendants. Les autres sonr malheureusement en resraurarion, inaccessibles
(chiuso) . On doit aussi mentionner les dix-huit mithraea J'Osria Antica, J'ancien
port de l'Urbs, sur le Tibre, une vingtaine de km en aval de Rome. Ils constituenr
avec ceux de la Ville Eternelle la plus forte concentration de l'Empire. Leur tat de
conservarion est remarquable et leurs mosaques som clbres, notamment celle Je
Felicissimus reprsentant les sept grades J e l'initiation.
Ajoutons qu'il est fore possible pour le courisce averti - et agile- de sc glisser dans
l'un de ces remples, l'carr de la foule profane, et d'y mditer, seul, sur le destin de
ce Dieu mystrieux...
Parmi les nombre ux oblisq ues de Rome, les principaux son t, par taille
dcroissante, ceux de:

e
e
e
e
e

la Place Saint Jean de Latran (32rn);

la place Saint Pierre du Vatican (26m);
la place Navone (25rn);
la Piazza del Populo (23m); ces quatre proviennent du Circus
Maximus;
la place de Montccirorio (22m): le gnomon d'Auguste; etc.. .

jean-Christophe MATH EU N

Notes:
1) Son destin rappelle certains gards celui d'Aton, dans l'ancienne Egypte, o
l vieille divinit du disque solaire clipsa au Nouvel l:'mpire tous les autres
Dieux par la vokmt d'Akhnaton.
2} L'oblisque, tout comme le menhir, symbolise le rayon solaire ptrifi.
Contrairement une cmyam:e rpandra', il tait connu en Europe tWant les
contacts av(c l'Egypte. Par ltt suite, d'autm empereurs romains prlevrent des
oblques gyptiens pour omer les places publiques de Rome ou de
Constantinople. Au. sicle demin; J>ari.l' - la place de la Concorde est un
su.pe;be exemple de symbolique solaire! -, /.ondres et New 1-0rk n:prirent cette
mode; mais Romt'reste de loin la ville au monde comptant le plusgrand
nombred'oblisques.
Solstice d't 1994

3) Dont le nom signifie nouveau soleil, en grec nos hlios, en breton nroHeoi.
4} Cette conception du monarque solaire, bien que non spcifiquement romaine,
remonte une trs haute antiquit (ge du Bronze). Elle connatra des succs
tardifs avec Louis Xl V, notamment.
5) Comme ille dit dans son Discours sur Hlios-Roi: C'est un grand avantage
pour un homme que d'tre soumis ce dieu par une longue suite d'anctres
depuis plus de trois gnrations.
6) Assassinat re11endiqu ultrieurement par ks Chrtiens, bien que leur
responsabilit n'ait jttmais pu tre prouve.
7) julien y ajoute Srapis, remplac chez Macro be par Dionysos. D'autl'es
inscriptions l'identifient par ailleurs Mithra (cf Vermaseren).
8) Voir ce sujet C. FLAMMARION, L'atmosphre, mtorologie populaire,
Httchette, Paris 1888. Ainsi que LE SAUVh: Le folklore des Hautes-VOsges,
Maisonneuve et Larose, Paris 1940.
9) Les langues du Nord de L'titrope en ont conserv le souvenir: anglais
1<Sundar, allemand Sormtag'>>, etc...

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ANTAIOS

CORAX
ENTRETIEN AVEC VN ADEPTE
DV CULTE SOLAIRE.
ANTAIOS: CORAX, QUI ETES-VOUS?
CORAX: Jeune universitaire europen, je me dfinirais, au risque de passer
pour un provocateur, comme un suivant de Mithra, un Adle de Sol Invictus, dans
la ligne spirituelle d'Ald)naton et de l'empereur Julien dit l'Apostat. Tout comme
eux, ma prise de conscience solaire rsulte de la rencontre d'une tradition et d'une
qure personnelle.

A: POURQUOI CE PSEUDONYYtE DE uCORAX?

C: Corrut, le corbeau en grec ancien, est un des sept grades de l'iniation aux
mystres de Mithra. Dans de nombreuses mythologies (pas seulement indocuropennes), le corbeau est le messager du Soleil.

A: QUE REPRESENTENT LES MYSTERES DE MITHRA POUR VOUS?

C: Le .\1ithraisme - ou Mithriacisme - a t une des formes les plus acheves du
culte solaire europen. Voie lumineuse de matrise de soi, de pit, de spiritualit, il
reste une rfrence incontournable pour ceux qui, de nos jours, s'intressent
nouveau aux cultes solaires.

A: QUEL Mr:SSAGE LE MITHR IACISME PEUT-IL APPORTER A NOS

CONH:MPORAlNS?
C: Tout d' ahord une thique. Le Mirhrasme, comme le Christianisme, s'est
dvelopp dans une socir romaine en dclin, aux valeurs vacillames, offrant d'ai Heurs
de surprenants parallles avec notre poque. Alors que le Christianisme prnait le
renoncement, le cuire de Mithra exaltait au comraire la plnitude conscutive au
devoir accompli, le courage, l'amiti. r:nsecond lieu, le Mirhrasme vhiculait une
spiritualit, une symbolique qui, mon sens, peuvent <.: ncore parler aux hommes
d'aujourd' hui.

Solstice d't 1994

A: UN EXEMPLE?
C: Les mithraea taient des temples solaires souterrains, le mythe de Mithra
tournant autour du thme du Soleil et de la caverne. Or nos chercheurs
contemporains tudient le Soleil en plaant leurs dtecteurs de neutrinos... sous les
montagnes, par exemple au Gran Sasso, en ftalie prcisment.

A: REACTIVER LE MlTHRlACISME, N'ES'I ~CE PAS ANACHRONIQUE?

C: Le .\llithrasme n'est pas aussi anachronique qu'on peut le supposer puisque
vous savez que le Dieu a encore des adeptes en Iran et surtout en Inde, par le
Mazdisme.
Nanmoins se pose le problme de la liturgie, dom nous ne savons presque
rien... sinon qu'elle tait splendide. Ce problme existe d'ailleurs pour routes les
liturgies paennes antiques, qui furent limines (ou rcuprs!) au cours des sicles
par les multiples glises chrtiennes.
A dfaut d'rre fidle la leme, nous pouvons tenter d'tre fidles l'esprit des
rites. Nous ne prtendons nullement, contrairement certains druides modernes,
aucune filiation initiatique (mme si nous avons cherch en vain duran t des annes
de tels relais))), Plus modestement, nous exprimentons les techniques>) les plus
aptes faire jai llir le Sacr, toujours en nous inspirant autant que possible de cc qui
se faisait jadis.
A: PROCEDEZ-VOUS A DES INTTIATJONS?
C: Cela nous est arriv, mais uniquement la demande des candidat.~ . 1:imptrant
doit pa.~ser avec succs des preuves physiques, psychiques, ainsi qu'un contrle des
connaissances. Je prcise que chaque preuve a d'abord t exprimente, entre
autres, sur ma personne, avant d'tre propose.
Indpendamment de leur valeur religieuse, je pense que de telles preuves sont
un bon moyen de connatre ses propres limites, et, consquemmenr, de se raliser:
c'est ce que Jung appelait l'individuation.

A: QU'EN EST-IL DU FAMEUX TAUROBOLE, LE SACRIFICE DU

TAUREAU?
C: Comme nombre de cultes antiques, le Mithrasme avait conserv des rites
sanglants hrits d'un lointain pass. Ces sacrifices sanglants taient dj critiqus
par des Paens de l'Antiquit: on aurait donc torr d'opposer les Paens, souills de
sang, d' immaculs Chrtiens, qui, de fait, ont aussi pratiqu des sacrifices (les
bchers de l'Inquisition, la chasse aux hrtilJUes et aux sorcires, etc ...).
Notre poque, me semble-t-il, n'a plus besoin de tels rites pour sustenter sa
spiritualit, qui est plus austre.
Au demeurant, je vous rappelle que le taurobole tait surtout pratiqu ... dans le

ANTATOS

culte de Cyble er d'Attis l'poque romaine. Il semble roufois que le culte

mtroaque n'ait pas eu le monopole de ce sacrifice particulier dont l'origine (les
rives de la Mer Noire?) est mal connue.
Il s'agissait en fa d'imprgner l'initi, sans doute un prtre de haut rang, du
sang du taureau: l'homme descendu dans une fosse couverte d'un plancher trou,
tait asperg du liquide vital d'un taureau gorg au-dessus de lui. Les archologues
ont dcouvert une srie d'autels tauroboLiques ... au Vatican notamment, devant
l'actuelle Basilique Saint-Pierre, ce qui est pour le moins piquant. Vatican vient
d'ailleurs du latin Vates, le devin (cf. vaticiner)! En effet, seule la desse Cyble
pouvait, par la voix de son grand-prtre, ordonner le taurobole. Le dies sanguinis, le
Jour du Sang tait clbr le 24 mars, fte du printemps fort populaire en Gaule, o
le culte mrroaque cohabite avec celui des Mres locales. Mais la fi n de l'Antiquit,
les initis au culte phrygien sont souvent des mithriasres convaincus: voyez l'empereur
Julien, auteur d'un Discours sur la Mre des Dieux.
Enfin, l'archologie nous montre que bien d'autres animaux (porcs, mourons,
volailles) taient consomms lors des repas rituels (probablement mensuels).
Peut-tre un tel sacrifice avait-illieu pour clbrer la naissance du Dieu ptrogne,
au solstice d'hiver (aujourd'hui Nol) ct lors de l'i nitiation d'imptrants mais les
textes sont peu clairs ce sujet.

A: QUELLE EST VOTRE DIVINITE TUTELAIRE?

C: Elle est syncrtique: Apollon-Hlios-Mithra.
A: CROYEZ-VOUS RFELLEMENT A I.:EXISTENCE DES DIEUX, ET DE
MITHRA EN PARTICULIER?
C: Cette question, souvent pose, me semble indcente: demande-t-on un
Chrtien pratiquan t s'il croi D> rellement son Dieu, au Christ, au Saint-Esprit? Si
je rponds oui, je risque de passer pour un doux illumin, si je rponds non, pour
un farur. Je me bornerai donc rpond re que chacun peut constater l'existence
du Soleil, sans lequel nous ne serions pas l pour poser ce genre de questions.
Ajoutons que pour un Paen, anrique ou moderne, <<croire ou ne pas croire est
un faux dilemne, impos par le Judo-Cb ristianisme (un seul Dieu ou pas de Dieu).
A: COMMENT VOUS EST VENU VOTRE IDEAL SOLAIRE?
C: Cette prise de conscience m'est venue graduellemen t, par une srie de
rvolutions intrieures (au sens grec de metanoa) . Elev dans le Catholicisme, je
passais pour trs pieux eu gard ma concentration aux offi ces. Mais j'tais du,
l'poque, de ne pouvoir mieux sentir Dieu dans le cadre de l'Eglise. A quinze ans,
j'ai dcouvert l'astronomie, et une extraordinaire attirance pour le Cosmos. J'tais
alors incapable d'anlyser cette soif d'Univers; ce n'est que des annes aprs que je

SoLstice d't 1994

me suis rendu compte qu'elle tait de nature religieuse. Paralllement, j'ai commenc
chercher ma voie dans d'autres religions que le Christianisme. Lislam m'a d'abord
sduit par son mysticisme et son exigence de puret: cinq prires quotidiennes,
ramadan,... Mais j'ai rapidemenr compris qu'une religion est indissociable d'un
peuple. Or le peuple de l'Islam n'est pas le mien. Aprs une incursion vers le
Bouddhisme, fond lui par Siddhartha Gaurama, prince aryen, j'ai connu un autre
grand choc 21 ans la lecture de l'essai de Jean Mabire, ''Thul, le Soleil retrouv
des Hyperborens. J'ai su d'emble que je venais de trouver la Voie, ma voie. Les
trois questions fondamentales trouvaient enfin une rponse: D'o viens-tu? Du
Soleil.
Qui es-tu? Un Indo-Europen.
Que veux-tu? Rtablir le culte du Soleil.
A: COMMENT DEFINIRIEZ-VOUS CETTE FORME DE SPIRITUALITE?
C: Pour rsumer, je me dfinis comme un hlioltre panthiste.
Apollon-Hlios-Mithra est la fois Dieu, l'Univers et le Soleil, forme tangible

sous laquelle nous pouvons l'adorer. Contrairement ce que pensent les ignorants
qui voient dans le culte solaire une rgression vers une idoltrie primitive, celui-ci
dbouche sur des conceptions trs leves, telles celles exprimes par l'empereur
Julien dans son Discours sur Hlios-Roi. Citons aussi l'Hymne au Soleil du
noplatonicien Proclus ...
A: S'AGIT-Il D'UNE RELIGION UNIVERSALISTE?
C: Le Soleil est un symbole universel, tout comme l'eau, la terre, etc ... Ces
symboles apparaissent dans les mythes de rous les peuples. Le culte solaire n'est pas
universaliste au sens 0~1 l'image du Dieu-Soleil que se fair chaque peuple rient sa
culture. Le culte solaire est donc un paganisme, au sens o il s'enracine dans la
tradition de chaque pagus,, de chaque pays, de chaque terroir. Il l'est galement
dans la mesure o il n'exclut nullemenr les autres Dieux (polythisme).
A: SOMMES-NOUS A LA VEILLE D'UNE RENAISSANCE SOLAIRE?
C: Pour rpondre votre question, je citerai le vers clbre de Virgile rir des
Bucoliques (IV, 10): casta, fave, Lucina: tu us iam regnar Apollo,. Ce que je traduirais
librement par (( Favorise la naissance de cet enfant, chaste Lucine (desse des
accouchements): dj rgne ton cher Apollon.
Nous sommes en effet de plus en plus nombreux savoir que le Soleil reviendra...
A: NOUS VOUS REMERCIONS POUR CET ENTRETIEN.

ANTAIOS

REPORTAGE MITHRIAQUE
Pour Karim Mrida (E'Ctrmadure), 3 juillet 1993.
Mrida. Boucherie Lali. Vente de viande de combar>>. Premire qualit: 750
pesetas. Deuxime: 650. Troisime: 350. On vend du taureau de combat...
Mi th raeum faiences climatises, avec un coin fru its er eau minrale. Il ne reste
dj plus de file t de bte (premire qualit). Ressortir. Ecarter le seuil de lanires
versicolores de plastique. Claquement mou.
Bruit de rue, fugace er ternel. Claquement de la rue.
Il est facile de relier la corrida Mithra: Monrherlanr le fir en long, en large er
en travers dans ses Bestiaires. On souhaiterait pouvoir le suivre. Unamuno fait, lui,
remonter l'introt du culte tragique au plafond d'Alramira (il f.1ut avoir la vue un
peu longue, d'autant qu'il n'y a pas l-ha.ut que des taureaux surgir d'un fixe et
ocre mouvement).
'Limplancation de Mithra est tardive er superficielle en Hispanie, ct le culte du
Taureau, autrement archaque et autochtone.
Curieux hasard tout de mme qu' Mrida, le mithraeum se trouve sous les
Arnes mmes.
Je pense ces mors de Bergamin dans son Art de Birlibirloque, et qui ne devait
gure, lui, penser :t Mithra... N'empche: ((Le taureau meurt comme le Dieu bern
dom le sang devient le linceul, tandis que la dernire lueur de l'inlligence, cause
innocente de sa mort, s'vanouit dans le mythe solaire (...).
La pense sidrale de Dieu, c'est de garder les distances, Je mettre toute chose
sa place. Les roreros onr leur place dans le jeu, car ils en som les pices et en quelque
sorte J'image sidrale. (...) Le torero est un ange visible et naturel, l'ange gardien des
distances (...), la porte du paradis terrcstrt:.
'LArt du Birlibirloq ue, chez Bergamin, c'est l'arr classique er magique du toreo
(or le .V!ithriacisme peut comporter une certaine dose de pythagorisme ct d'orphisme).

Solstice d't 1994

40
Jaune-or, rouge, couleurs vives, feu se retrouvent dans la corrida et chez Mithra,
comme S. Prisca, sur l'Aventin, Rome.
Concidences? archtypes plus ou moins dcoratifs?
Bon ... flnons vers ce Muse moderne, et qui tait toujours ferm quand je vins
par ici ces dernires annes. Trop moderne (je regrette le perir muse-couvent, ocreux
ct ombreux, de l'ocreuse et claire Place Majeure: il y a tant de mithraea qui ont t
transforms en caves d'glises - qu'on ne saurait trop se flicicer de voir quelque
chose comme un coin noble et guenilleux d'Evch devenir un rduit mithriaque) ...
Muse climatis, briquettes, creus de faons de niches latrales. Un cho
minral et froid partout rsonne ici . Haut muse niveaux.
Petite crypte de gauche: une statue mithriaque et une statue peut-tre mithriaque .
Trouv dans le mithraeum ... figure masculine ... possible Mithra, sign Dmtrius ...
Ilme sicle de l' Ere... Je ls ... sur la seconde ligne...
Demetrios epoiei. Echo profond, minral, longue chambre de tir.. .
Et au-dessus de la base, on trouve... lnvicto... sacrum... sa -... lu-... te ... salmis
(ou sa-...ecp ...)... Tiens, lire cela tout haut, j'ai presque un accent grec de quarrier...
Au fond de la crypte, Kronos, le Temps Infini, amhropocphale, M ithraeum,
deuxime sicle de l'Ere... jeune Kronos ... une effigie lonine nu et cru sur la
peau, carrment... ses pieds, sorte de bouc barbu regard presque humain ...
Echo, mtal de pierre neuve...
Autre longue crypte: un Kronos ceint de serpents, dcapit, visib lement
lonwcphale... Mithraeum, deuxime sicle de l'Ere... Sorte d'Ange, avec des ailes
maigres dans le dos, dont on comprend sans peine g u'il ait pu paratre satanique
aux Chrtiens ... A gauche du Saturne ail et dcapit ~ une srie de petits eHoto,
dont deux l'vidence mithriaques... sur le premier: Deo invicro pro salure, et
puis on n'arrive plus lire... ou seulement: Deo invicw... C.C. A.Emilius sperat
A..L.P.)) Non loin de l, un instrument de musique, le sisrre, soll(enu par une ma.in
de marbre ou de lourd albtre, er son culte silencieux l'gyptienne Isis.
Sperar...
Silence sableux d'un sistrc qu'un sicle fond de sicle er de haut muse agire...
Des pas, nos pas, clair cho de nos pas sous d'abstraites votes...
Nous avons jamais perdu ce riru.el - relgus aux portes du sanctuaire en une
rpeuse Elgie...
Y eur-il jamais de femme-chair sous les plis de robe d'Isis?
A une autre extrmit, un autel ddi au Dieu indigne Edignios. Voil notre
sang, le sang de pierre du bled... Isis vient de plus loin, er sa robe plissures de
moins loin que notre bure ibre ... Mithra vient de plus loin (la Perse) ct de moins

ANTAIOS

41
loin que notre sang ibre... Mais pour ceux qui y croient, il n'efface pas le panthon,
mme indigne. Il l'oriente dans le sens d'une certaine unir er de sa propre
prminence, comme un marin divers clate enfin ct vainc midi pile...
D'ailleurs, ce gros autel Mithra (Mithraeum, deuxime sicle de I'Erc) o on
!ir: c<Ararn gencsis... invicri ... i.nvic-... Emerirae Secundus... Anno... je n'arrive plus
lire ... on voit quand mme: <<Aram genesis>>. Voix fond d'cho, et cri absurde de
perruche... un enfanr m'accompagne et me suiL ..
Une tte de Srapis, venue galemenr du Mithraeum, deuxime sicle de l'Erc.
Que Srapis le secourable et le syncrtique figure ici est tour naturel.
Cri de perruche.
Ce cri n'a pas chang depuis le temps de Srapis ct de Mithra.
Dans la mme crypte:
personnage mithriaque. Avec
les Cercles d'Erernit aux pieds.
Pcur-rre un porteur de rorche (leve? baisse? il y a des Sibylles de Michel-Ange
dont on ne peut dcider si elles
prennent ou reposent le Livre du Destin sur le mur idal que cc geste projette).
Personnag~.: mi thriaque: un aurre, chlamyde er lion ses pieds. Environs des
Arnes. Deuxime sicle de l'Ere.
Relief: scnes de <<possible banquet mithriaque.
Toujours crypte briquettes neuves nIV.
liens! le Mithra de Masson ressemble rrangement au .\t1irhra de Cabra, dans la
province de Cordoue.
Les immigrants venus de l-bas, le trafic commercial, les dplacements de l'Anne
romaine seront les vhkules de cette propagarion. Les contacts que la Pninsule
ibrique avait anciennement maintenus avec ces terres s'intensifient pendant la
priode romaine: d'o un Aux continu d'ides ... Ample colote d'Orientaux ici
tablie... seconde centurie Oll brille la puissante personnalit du grand prtre Caus
Accius Hedrychrus ... Fouilles pratiques durant la premire dizaine du sicle
prsent...>>
Mercure assis mais sur la lyre inscription mithriaque de l'An 155 aprs JsusChrist (An CLXXX de la Fondation d'EMERITA AUGUSTA, la cit-vtrans
d'Hispanie).
Hedrychrus, un affranchi, sans doute, d'origine trangre (grco-orientale).
Quelle tte pouvait-il avoir, celui dont la lyre mithriayuc de Mercure assis a gard
jusqu' nous le nom grec, comme elle avait infinimenr plus de chances de ne point
nous le transmettre, er dont l'pigraphie nous tait inconnue jusqu' la premire
dizaine du sicle prsent?

Solstice d't 1994

42
Des sicles entiers d'indiffrence, de mpris chrrien pour peu qu'on se ft ml
de dgager ces excavations (dehors, l'dicule du Dieu Mars a t transfcrm en
chapelle grille ct ermitage-tronoir de l'glise Sainte-Eulalie; le cierge y br(Jle encor,
c'est une halte veuve, piton, comme ces trains qui passent au pied mme d'un
couvenr de steppe ou de faubourg plateresque en Espagne).
De combien de fi.ts paiem rige-t-on les colonnes trajanes de la Chrtient?
[Etang de Proserpine du moins, dans le bled blond et chauve d'alentour, porte
encore le nom de Proserpine. C'est encore et toujours un barrage et une prise d'eau.
Et qu'un haut barrage de bton longe ce Pont Trajan d'Aicantara par o je suis
venu me convient assez. Le ciment, le blocage, la pierre courbe et arme, c'est
romain, tout cela. Et ce pourrait devenir ternel. (C'est en 1979 que je passai la nuit
le long d'un criteau: Etang de Proserpine, sans pouvoir faire le dtour seul - au
coeur d'une steppe de nuit, comme s'tire lentement un son d'orgue archaque et
cruel).

Ce Muse n'existait pas encore, tant s'en faut.

S'y promener.
Cippe funraire du soldat Italicus Zosimus, 37 ans, bnficiaire de la Lgion
Septime Gmine. Et lui, que savait-il de Mithra? Zosimus, ce n'est pas ibre ni
romam, a...
C'tait peut-tre un idiot et un ivrogne: mais ce nom est beau, plus beau que lui
-et j'en fais le mysre mithriaste qu'
sa place, j'eusse tant aim tre du ct du Pont Romain qui
jette encore l'arche de ses arches fraches et sableuses la Province (snatoriale)
d'en face.
Qui rapo d'un mince tambourin mes oreilles (en ce.muse trop neuf, o tout
se fait cho)?
F.merita Augusta, capitale de la province impriale de Lusitanie, se trouvait sur
la limite mme de la Btique, comme ces capitales excentres qui regardent de
l'autre ct du Fleuve- qui regardent quoi? un bourg dont on sait peur-tre le nom,
dont on rve, o finalement fon n'ira jamais et qui est le premier du vaste Pays d'en
face lointaine, trs lointaine capitale elle aussi excentre.
La Btique (capitale: Cordoue) dpendait du Snat, tandis que Lusitanie et
Btique dpendaient, elles, de l'administration impriale. On a gard quelques noms
de gouverneurs. Sous le Bas Empire, ces gouverneurs reurent le nom de praesides
er consulares, comme le praeses Caius Opicius Rufus.
Emcrita, capitale de fait de toutes les Hispanies. Une sous-prfecture, de nos
jours. Et combien de rgnes er ~le capitales rduits la tombe d'un nom, et pis: que

ANTAIOS

3
pat un mouron noir?
Les Provinces de l'poque taient divises en couvents juridiques: couvents de
Sanrarem (Portugal actuel), Beja (Portugal actuel) et notre Mrida.
Banos de Monremayor, dont m'a toujours requis la rampe ct le lacet thermal,
s'appelait, je l'apprends l'instant, Aquae Capcrenses. Quand y fe rai-je une cure
thermale? Les thermes, l'un des rares faits gologiques qui aient chapp, comme
l'essentiel du sport, la sanctification du Christianisme (encore que le pape inaugure
parfois les stades d'une Coupe du Monde de Foot; mais le Foor n'existait pas du
temps de Zeus!).
Voix son nant comme l'cho d'un tir.
Le Muse va fermer. On mc jette dehors.
Dehors, magasin Mithra, so uvenirs, cramiques, cadeaux. Y trouverai-je un
cendrier ceint d'aspics et de boa?
Mrida, lieu de co nvergence, capitale excentre et limitrophe au bord de routes
les Btiques (ah oui, il y a du limes ici dedans) - dont j'aime retro uver de vieux
axes, fouler la gare routire, la gare chemin de fer, ct le fer du columbarium le
long de son stade inutile et dsert. D'a utres ont ici leur tornbeau.
Un fru it simple... l'ombre troite du fleuve ...
Jour de sagesse.
Cris du fleuve.
Aprs-midi dans les gros bourgs agricoles d'alentour: peut-tre le Perse Mithra
n'est-il point arriv jusqu'ici, cantonn qu'il tait aux garnisons de la cit.
Aprs-midi dans des villages brls. Y goter la froide liq ucur de gland indigne.
Peut-tre Mi thra n'est point parvenu jusqu'ici non plus (nous sommes trop loin
d'Emerira; ct cette liqueur de gland, trop indi gne). Mais Mithra a charge de sauver
et de rgnrer tout l'ordre vgtal et animal du monde.
Prendre la roure du Sud, jusqu'au limes de l'Empire. Mithra y rient encore sa
chapelle, sa caserne et la torche (leve, baisse) dt: son rnys.
Cri du Heuvc. huit d'if.

DanieLARAN]O

Solstice d'hl 1994

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Un mithreum contemporain, celui d'A. Danilou Zagarolo

Photo J CLOAREL

ANTAIOS

LA SVERTE DE MVERTE
ET lE SOLEIL NOIR
DES TARAHVMARAS.
"Songe qu'il n'y a que trois questions. L'homme devant Id mort.
Ehomme devant t'tzmour. Ehomme devant la cration. Tout fe reste n'est qu'alles et
venues des fins bio-pratiques."
Mmce! Moreau, Les Arts viscraux.

1.

Impossible bilan.

J'ai trente-quarre ans. C'est l'ge de Maurice Barrs lorsg u'il commence la
rdaction clandestine de ses ''Cahiers" o~J l'on retrouve sa pan la plus intime, la plus
complexe, la plus attachante peut-tre, celle qui lui pennet de ne pas rre un panrin
condamn aux oublienes de l'histoire littraire. A trentc<tuatre ans, Michel Leiris
crit 'TAge d'Homme", essai autobiographique d'une rigueur par laquelle
l'intelligence se trouve mise nu. Par aprs, il ralisera pour ce livre une introduction
de la plus haure imporrance: "De la litrrature considre comme une tauromachie".
je ne sais si cette po<jue de la vic est essentielle dans le droulemenr de l'existence
humaine. Souvent nous avons l'impression que dans un choix, un projet, une
dcision, un travail, se joue la glohalit de notre avenir. Pourtant au seuil de mon
trente-cinquime anniversaire, i1 me sem hic avoir parcouru une srie d'preuves
dbouchant vers une aube incertaine, illusoire sans doute. Jl parat alors ncessaire
d'esquisser un hi lan, tout en sachant qu'il sera vain d'y voir autre chose qu'un outil
rudimentaire afin d'viter la chute, entre panique et fascination. La quitude esr
repousse vers un furur mythique, et la maturit dont il devrait tre question demeure
balbutiante.

.)olstice d't 1994

46
Ml une mditation symbolique, voire ludique, sur les chiffres ct la chronologie,
cela peut inciter croiser le fer avec la destine. Que l'emblme en soit le Taureau et
le Soleil, puisqu' il nous faut ici suggrer cc qui excde la raison, dans un domaine
que dominent l'vidence er le sacr.

2. L'Espagne, mystique et fiction.

Dans un dialogue de l'Espoir, Andr Malraux expose avec force le mlange
d'hrosme exubram et de pudeur virile, caractristique de cette civilisation espagnole
qui parvint hisser l'lment le plus trivial dans le ciel de la sublimit, et ce par la
grce du paradoxe et la vigueur du style ... Deux hommes, adversaires de longue
date, allis pour la premire fois dans une mme bataille, sonr face face. Puig, le
miliranr anarchiste, et le colonel Ximns, officier catholique qui par loyalisme
reste fidle la Rpublique:
"- Qu'est-ce que vous faites des soldats prisonniers?
L:anarchiste tait l'aise comme s'ils eussent combanu ensemble depuis un
mois - marquant imperceptiblement, par son attitude, qu'il venait demander des
conseils, et non des ordres. Ximns connaissai t ses traits pour avoir examin plusieurs
fois sa fiche anthropomtrique; il tait tonn par sa petite taille de corsaire trapu.
Bien que Puig ft un chef de second plan, il l'intriguait plus que les aurres, cause
de l'aide aux enfams de Saragosse.
-Les instructions du Gouvernement sont de dsarmer les soldats et de les remettre
en libert, dit le colonel. Les officiers seront traduirs en conseil de guerre. C'est
vous qui tiez dans la Cadillac qui a permis de prendre les canons, n'est-ce pas?
Puig se souvint d'avoir vu, au bout de la rue, les bicornes de la garde civile qui
passaient avec les casquettes plates de la garde d'assaut...
-Oui.
- C'tait bien. Car s'ils taient arrivs ici avec le canon, tout aurait peut-tre
chang.
- Vous avez eu de la chance en traversam la place...
Le colonel, qui aimait sauvagement l'Espagne, tair reconnaissant l'anarchiste,
non de son compliment, mais de montrer ce sryle dont tant d'Espagnols som capables
ct de lui rpondre comme l'et fair un capiraine de Charles Quint. Car il tait clair
que par "chance", il entendait "courage"." (1)
Certains prtendent ne pouvoir aimer en mme temps l'Italie er l'Espagne,
qu'entre ces deux pays du Midi un choix s'impo$e. Je crois qu'il y a quelque vrit
dans ce propos. Et j'avoue une affection particulire, une prfrence pour l'Italie, et
singulirement pour la Toscane. Quant l'Espagne, l'approche est diffrente... \ 'toins

ANTAIOS

rflchie, plus passionnelle, confuse, cyclique. elle touche aux tripes et produit
l'occasion une sorte d'tonnement que les pos romantiques conna.issaiem dj
bien, au-del des malentendus crs par un exotisme assez superficiel.
La terre d'Hispanie sera roujours cette vieille matresse qui sans ce...se revient
troubler un quilibre difficilement acquis, comme la Vellini, hrone diabolique du
roman de Barbey d'Aurevilly, poursuit inlassablemenr Ryno de Marigny. L:auteur
rapporre qu'aux temps de leurs premires treintes, les amants voulurent boire le
sang, l'un de l'amre, instauranr de: la sorte un pacte d' envollrement menral er charnel.
I.:importance d'une esthtique de l'excs nous tonne surtout par la logique qui
en dcoule. Imaginons la folie inventant une exacte et implacable dmonsrrarion
mathmatique. Ces tranges pousaiJles o\1 les exrrmes se rvlent er se dpassent
dans une dialectique barbare, Barrs en transcrivit des bribes assez lucides dans le
recueil de textes dom le titre claque comme une bannire superbement brandie
devant le tumulte cr l'effroi, ''Du Sang, de la Volupt ct de la Mort".
"l.es volupts de la tauromachie et de l'au rodafe, quand elles se transforment en
crbralit, nous avons l'asctisme! Je souponne ces Espagnols d'avoir trouv du
plaisir dans la vue des souffrances elu Christ. Sur roure l'Espagne, j'entends cc cri
dur qui, dans Cadix dsert, monrair travers l'air pur, du peuple press au cirque
des taureaux ct d'heure en heurt: acclamant le sang qui jaillissait. Sur les dalles si
frach es de l'Alcazar de Svi Ile, j'ai respir le sang, le jeune ct vigoureux sang des
amants et des ambitieux qui s'y assassinrem; et sur ces dalles encore, quelque
chose de lger qui flotte m'en avertir, des tapis furent jets pour qu'elles devinssent
des chambres coucher. Tant de fois laves er si muettes, ces longues salles pourranr
ne peuvent me refuser l'aveu de la plus violente vie nerveuse qu'il ait t donn
l'homme de vivre." (2)
Je voudrais hien sr vicer les gnralisations qui rduisent la richesse ct la
diversit d'une culture ct d'un peuple, mais ce qui souvent me stupfie lorsqu'on
voque l'Espagne - et aussi nombre d' Espagnols! -c'est de constater comment un
clich peur non seulement recouvrir une impression de ralit, mais l'amplifier, la
magnifier. Dans certains cas, cela aboutir une caricature pour tourisme grgaire;
dans d'au nes, on dcouvre, subjugu, une vritable grandeur. Il y a entre l'exhibition
racoleuse d' un musicien mercenaire et l'cxc urion minutieuse d'un anisre inspir,
la mme: diffrence qu'entre une poupe en plastique recouverte de poudre dore et
la ppite d'or brutalemem arrache la terre. Exemplaire, le chant qui atteindra
dans la mlancolie des paroxysmes de beaut, rappelant telles complajn ces russes ou
l'expressivit du tango argentin. Cc pcndanr l o le Slave et le Sud-Amricain

Sulstice d't 1994

48
n'chappent que rarement une tristesse lancinante, le chant espagnol garde
frquemment une parade ferme et rigoureuse: si la souffrance traverse le coeur ct le
corps, il subsiste la fiert de ne pas en devenir esclave. En crivant cela, je pense
notamment la Nina de los Peines, prodigieuse cantaora dont les enregistrements
parfois anciens nous restituent cette affirmation vitale qui transcende mme la
douleur.
Ma connaissance de l'Espagne procde de l'ordre de I'Tmaginairc.

Mes rencontres se ralisrent sous les auspices de la littrature, de la musique et

de la peinture. Et aussi de l'amiri et de l'amour, ces fictions agissantes de notre
personnalit. J'y inclus galement ma premire corrida, Pampelune, dans l'enivrante
ch;eur d'w1 mois de juillet qui marqua mon enfance...
Les thses sur l'origine de la corrida sont nombreuses et contradictoires. Peu
m'importe ici de dterminer une quelconque opinion leur sujet. On se contentera
d'observer une srie de principes lmentaires: le jeu mortel, la fte tragique, le
sacrifice de la bte, l'hrosme de l'officiant, la prsence du Soleil, la communaut
assemble. Des ouvrages romanesques ou lyriques, considrs juste titre comme
des classiques du genre, essaient de dfinir- mictLX que de froides an lyses - comment
et pourquoi la tauromachie dveloppe une tradition immmoriale, passant par
diffrentes strates de culture, ct magistralement incorpore l'une d'elles. Rituel
archaque dont on peut tenter de discerner les perptuelles mutations. En effet,
contrairement ce qu'affirment certains, la vraie rradition s'adapte, se modifie,
semble mme se trahir afin de prserver son nergie fondamentale. Une tradition
qui sc fige devient dogme, idologie ou folklore. Ce n'est plus la tradition. C'est
pourquoi, malgr les scories de la vulgarit et derrire les mascarades protnatrices,
en un crmonial issu des premiers vagissements de l'humanit s'incarnent dans
leur sanguinaire fusion les figures du matador et du taureau.
On pourra dcouvrir des interprtations littraires d'une belle subjectivit
imaginative ... D'abord, "Arnes sanglantes", de Vicente Blasco !banez, dont voici
un extraie susceptible de donner le ton et. qui a la particularit de placer au centre de
la confrontation meurtrire un personn~ge fminin l'lgance dcide:
"(...) Conune dona Sol sc prparait excuter la mme passe que le marquis et
faisait obliquer son cheval pour planter la garrocha dans la croupe ct terrasser la
bte, celle-ci, devi nam le pril, fit volte-face et se campa, mer:aanre, devant les
cavaliers qui la harcelaient. Le cheval de dona Sol dpassa le taureau, sans que
l'amazone pt retenir sa monture, et la bte sc prcipita ses trousses, de poursuivie
devenue poursuivante.

ANTAIOS

1.a dame ne songea pas un instant fuir. l.-bas, il y avait des milliers d'yeux qui
la regardaient, er elle craignait les rires de ses amies, la compassion des hommes.
Elle tira donc sur ses rnes ct fit front la bte. Comme un picador la garrocha sous
le bras, elle enfona le fer dans le cou du taureau qui chargeait sur elle, tte baisse.
Un torrem de sang ruissela sur le poitrail blanc; mais dans son irrsistible impulsion,
la brute conrinua d'avancer, sans se soucier de sa blessure, et elle plongea ses cornes
sous le ven trc du cheval, le secoua, l'enleva de terre. r ~unazunc fut dsaronne, er
une clameur d'motion, jaillie de cent bouches, retentit prs de la palissade. I.e
cheval, dlivr des cornes, tait parti dans une course folle, le ventre macul de
sang, les sangles brises, la selle ballotant sur les reins.
Le taureau allait lui donner la chasse; mais un objer plus voisin attira son
au ention. C'tait dona Sol qui, au lieu de rester immobile sur l'herbe, venait de se
relever, avait ramass sa garrocha cr l'avait bravement mise en arrt, pour affronter
dt: nouveau la bre. Une folle tmrit! Mais elle pensait celles qui la regardaient.
Un dfi la mort! Mais cela valair mieux que de composer avec la peur ct d'encourir
le rid iculc.'' (3)
Quant Henry de Montherlant, il ne manqua pas de meme en parallle la
course de taureaux et la religion mithriaque. Il faut lire les premires pages du
troisime chapitre de son roman "Les Bestiaires", pages dans lesq uelles l'auteur
nous offre une belle mditation sur la valeur du sacrifice:
" Profonde tait la ncessit du meurtre bienfaisant, du meurtre vraiment crateur.
Le cu lte de .\4 irhra apparaissait toujours vivant. Adolescent vtu d'toffes
transparentes, coiff du bonnet de Ganymde, .v1irhra luttait d'abord avec le Soleil,
ct voici qu'au fond de la lutte sc modelait une sorte d'amour: \1iLhra nouait avec le
Solei l une amiti merveilleuse, fort ifie d'une all iance solennelle. Il rait nomm
''l'ami". pu is avec l'aide de son chien, il poursuivait le Taureau ~ac r, le domptair,
l'c:ntranait dans son antre. L. il receva it du Soleil. par la voix du corbeau, l'ordre de
le ruer. Il en souffrait, car il l'aimait, cc fauve. Combien AJban comprenait cet
amour, er que pour s'accomplir il dr ruer, et l'expression du jeune dieu - dans le
bas-relief de Neuenheim, par exemple, - qui dtourne la tte au moment de frir
avec un admirable geste de dsespoir!
Combien elle tait la sienne propre! .\1ithra, malgr lui, ruait donc le Taureau,
mais voici gue de son sang sortait du vin, de sa moelle le bl et tous les vgtaux, de
son sperme toutes les btes bon nes aux hommes. Lacte sanglant suscirai r rous les
biens de la rene, la corne taurine devenait le symbole de l'abondance.
Er demain, la fi n des temps , Mithra viendra de nouveau sacrifier un 'furcau
divin. Ft du sacrifice ne so rtira plus cerre fois la vic terrestre mais la rsurrection des

Solstice d't 1994

corps et des mes, avec les chtiments et les flicits ternelles." (4)
"Mon dans l'aprs-midi", d'Ernest Hemingway, fur traduit en franais par Ren
Daumal. I..:ancien animateur du Grand Jeu considra sans dou ce travail comme
purement alimentaire, et il semble donc vain d'tablir des liens entre le thme voqu
dans le livre et la pense qui sous-tend "Posie noire et Posie blanche". Pour revenir
au baroudeur amricain, on lira avec plaisir son rcit, excellente introduction qui va
de l'anecdote rvlatrice une philosophie gnrale de l'existence en passant par
une minutieuse observation des faits ct des sensations. Ds le dbut, il montre
l'importance de l'astre solaire et l'enjeu tragique de l'vnement
"(...) Le soleil est rrs important. Thorie, pratique et mise en scne de la course
de taureaux ont t construites sur la supposition de la prsence du soleil, et lorsqu'il
ne brille pas, un tiers de la corrida ma.nq ue. I..:Espagnol dit: "El sol es el mejor
torero" . Le soleil est le meilleur torero, et, sans soleil, le meilleur torero est incomplet.
ll est comme un homme sans ombre.
La course de taureaux n'est pas un sport au sens anglo-saxon du terme, c'est-dire que ce n'est pas un combat gal emre un taureau et un homme. C'est plutt
une tragdie, qui se joue plus ou moins bien, par le taureau et l'homme qui y
participent, et o il y a danger pour l'homme mais mort certaine pour l'animal.
(...)" (5)
Enfin, je n'oublie pas le "Chant funbre pour l gnacio Sanchez Mej ias" ... Dans
ce pome, Frederico Garcia Lorca rend un hommage au rorero, l'homme
exceptionnel, l'ami - et parle de la mort avec une matrise des sentiments qui
conjuguent la plus haute noblesse ct l'motion la plus profonde.
"( ...)

L'automne reviendra at;ec ses conques,

raisins de brume et montagnes en groupes,
mais md ne 110udra plus revoit tes yeux
parce que tu es mort tout jamais.
Parce que tu es mort tout jamais,
comme le sont rous les morts de Ill Terre,
comme le sont tous les morts qu'on oublie
en un monceau de chiens teints.

ANTATOS

NuL ne te connat plus. Non. Mais moi je te chante.

je chante pour demain ton profil et ta grce
et la maturit de ton savoir insigne.
'lon apptit de mort er k gofit de sa bouche.
La tristesse qu'avaient ta joie et ta vaillance.
IL tardera hngtemps naitre, s'il naft tm jom;
un Andalou si clair, si riche d'twenture.
je dis son lgance avec des mots qui pleurent
comme une brise tristt parmi les oliviers." (6)
Les mythes conduisent au partage gnralis d'une passion, tout en explorant
l'aspect le plus trouble de notre tre. Ainsi Michel Leiris, insatisfait d'un ple statut
d'crivain veut puiser dans la tauromachie le got exigeant d'une beaut qui
communie avec le risque de morr. .. "Donc, je rvais corne de taureau. Je mc rsignais
m~l i\ n'tre <ju'un littrareur. Le matador qui tire du danger couru occ:1sion d'tre
plus brillant que jamais et montre route la qualit de son scyle l'instant qu' il est le
plus menac: voil ce qui nimervcillait, voil ce que je voulais tre." (7) Pote,
anthropologue et aficionado, on lui do ir parmi son oeuvre multiple "Miroir de la
'f.uromach ie" et "La Course de Taur<:aux" (8). Avec Leiris, nous entrons dans la
problmatique de l'excs, de la transgression- de cette "parr maudite" dont Georges
Bataille s'est fait le thoricien et l'apprenti. Tauromachie ct rotisme sont deux des
manifestations de ce dbordement existentiel de la conscience qui nous fair entrevoir
l'Impossible: "De mme qu'en muromachie le caractre prestigieux de la passe riem
cette quasi-tangence, ce quasi-contact de l'homme avec le danger extrieur
condens par les cornes, en ce qui concerne l'treime amoureuse elle tire sa valeur
bouleversante du Elit qu'elle esc le moyen par lequel un sujet pensant peut croire,
durant un court laps tout au mcins, s'unir matriellement au monde, rsum en un
seul tre vivant." (9)
Chez Bataille, les textes- romans, essais, arricles - som peupls de rfrences au
dpassement, au sacrifice, au soleil, la chance, au sexe er la morr. Dans "Histoire
de l'Oeil"- qui ouvre le premier des douze tomes composam aujourd'hui ses Oeuvres
Compltes - une scne rassemble ces diverses obsessions... Sir Edmond raconte
Simone "qu' une poque encore rcente, c'tait l'habitude de cerrains Espagnols
virils, pour la plupart toreros amateurs l'occasion, de commander au concierge de
l'arne les coui lles fraches et grilkcs de l'un des premiers taureaux tus . Ils sc les
faisaientapporrer leur place, c'est--dire au premier rang de l'arne, ct les mangeaiem

Solstice d'tt 1994

aussitt en regardant tuer les taureaux suivams. Simone prit le plus grand intrt
ce rcit er comme nous devions assister le dimanche suivant la premire course
importante de l'anne, elle demanda Sir Edmond de lui fai re donner ainsi les
couilles du premier taureau, mais elle y apporta une condition: elle voulait les couilles
crues." (1 0) Suit alors une narration de la corrida du 7 mai 1922 qui vic mourir
Granero. Et le rcit se termine dans une exaltation de violence sacre:
"Le rayonnement solaire nous absorbait peu peu dans un irralit bien conforme
notre malaise, c'est--dire l'envie muette er impuissante d'clater et de renverser
les culs.
Nous Esions une grimace cause la fois par l'aveuglement des yeux, la soif er
le trouble des sens, incapables aussi de trouver la dsaltration. Nous avions russi
partager trois la dliquescence morose dans laquelle il ri. y a plus aucune concordance
des diverses contradictions du corps. rps. A un rel point mme que le retour de
Granero ne russit pas nous tirer de cerre absorption abrutissante. D'ailleurs le
taureau qui se trouvait devant lui tait mfiant cr semblait peu nerveux: la course sc
poursuivait en fair sans plus d'intrt qu'avant.
.l .cs vnements qui suivirent se produisirent sans transition et comme sans lien ,
non parce qu'ils n'taienr pas lis vraiment, mais parce que mon attention comme
abseme res rait absolument dissocie. En peu d'instants je vis, premiremenr, Simone
mordre mon effroi dans une des couilles crues, puis Granero s'avancer vers le
taureau en lui prsentanr le drap carlate - enfm, ~ peu prs en mme temps. Simone.
le sang la tte, avec une impudeur suffocante, dcouvrir de longues cuisses blanches
jusqu' sa vulve humide ol! elle fit entrer lentement et srement le second globule
ple - Granero renvers pa.r le taureau er coinc contre la balustrade; sur cette
balustrade les cornes frapprent trois coups coure vole, au troisime coup une
corne dfona l'oeil droit ct route la tte. Un cri d'horreur immense concida avec
un orgasme bref de Si ..1one qui ne fut souleve de la dalle de pierre que pour
wmber la renverse en saignan t du nez er toujours sous un soleil aveuglant; on se
prcipita. aussitt pour transporter bras d'homme le cadavre de Grancro donr l'oeil
droit pendait hors de la tte." (11)
Ce n'est d'ailleurs pas la fin de l'histoire. Une nouvelle limite sera franchie,
lorsque, dans une glise de Sville, Simone ct ses acolytes accompliront, obscnes et
blasphmatoires, maintes actions d'me cruelle volupt allam jusqu' la mise mort
- horrihk er fascinante - du cur Don Aminado.
Ces passions, ces agonies, ces exploits qui s'exercent dans er autour de l'arne,
nous les retrouvons dans nos rves. Ils sont le reflet de nos dsirs enfouis ct de nos
dlires phmres, maquills par les conventions sociales indispensables au bon

ANTAIOS

5
fonctionnement de la cit, du groupe, de la vie commune. Ce savoir-vivre connat
cependant des brches par oi1 s'vadent des monstres qui ne sont pas sans beaut.
c'est leur charme nigmarique. Par la rencontre avec la mort, l'amour et la cration
- pour reprendre la trilogie de Marcel Moreau -, s'effectuent les grandes, terribles et
merveilleuses fractures spirituelles et physiques. Thanatologie, rotisme et potique
apparaissent comme des disciplines insparables pour quiconque choisit la voie du
Guerrier, de la guerre que l'homme mne en lui-mme contre la mdiocrit, contre
l'absurde qui ronge le moindre sursaut hroque, contre la laideur des soumissions
et des compromis. Si Apollon guide nos penses et nos actes, il y a aussi- et surtout
- un bouillonnement irrpressible, command par Dionysos, quio nous t'lit natre,
mourir et renatre, en une succession indfinie d'expriences hallucines...
Comme Hemingway, Leiris dfinit la tauromachie non comme sport, mais
comme tragdie. Et poussant plus loin le questionnement, il prcise:
"Ainsi la tauromachie, plus qu'un sport, est un art tragique, o se trouve gauchie,
par le soulvement de forces dionysiaques, l'harmonie apollinienne. La question
qui se pose maintenant est la suivante: qu'est-ce que cette flure par laquelle se
manifeste l'lment sombre? Qu'est-ce que cerre crevasse d'o montent les effluves
d'un dlire panique?" (12)
Pour avancerdans cette qute qu'aucune rponse dfinitive ne viendra
sanctionner, j'ai pris l'Espagne en tant que symbole actif, producteur er produit de
mystique et de fiction? Pourquoi?
Comme l'crit, dans sa brve rude sur le Sacr, Colette Peignot - la Laure
souveraine, compagne lgendaire de Bataille- "I.:Espagne... c'est comme le vem qui
vous souffle au visage: on ne choisit pas." (13)
3. Artaud, le Sacrifi.
Plus que le dpassement total de l'intelligence humaine, c'est une transmutation
globale de l'Erre que se heurte le dsir bless, l'incantation visionnaire d'Antonin
Artaud. Pareille en cela celle de Vincem Van Gogh, son oeuvre est impitoyable en
ce qui concerne l'habituelle acception de la prtendue ralit objective. Son travail,
son errance incessante, sa ferveur s'accordent avec la Cruaut, savoir "dans le sens
d'apptit de vie, de rigueur cosmique er de ncessit implacable, dans le sens gnostique
de tourbillon de vie qui dvore les tnbres, dans le sens de cette douleur hors de la
ncessit inluctable de laquelle la vie ne saurait s'exercer; le bien est voulu, i1 est le
rsultat d'un acre, le rna! est permanent." (14)
Il invoque des bouleversements absolus dans un souHle de Magie.
Parlant de son frre en souffrance, le "suicid de la socit":

Solstice d't 1994

"Car ce n'est pa~ un certain conformisme de moeurs que la peinture de Van

Gogh anaque, mais celui des institutions. Er mme la narure extrieure, avec ses
climats, ses mares et ses temptes d'quinoxe, ne peut plus, aprs le passage de Van
Gogh sur terre, garder la mme gravication." ( 15)
Toute la vie d'Artaud est un sacrifice du corps-esprit pour att<:indre une
impossible rgnration. Mais le tmoignage qu' il nous laisse demeure un exemple.
C'est un martyr... dans le sens pris par ce mot afin de dsigner celui qui a vu, qui a
expriment - au nom d'un principe essentiel - une ralit diffrence de celle que
coru1aissent la plupart des humains, et qui pour arteindre ce but doit combattre,
souffi-ir, dourer, avancer encore et toujours, jusqu'au tremblement et au supplice, l
o les mots utiliss pour traduire les sensa rions deviennent inadquats, faibles,
malades. Et il faudrait inventer Lm nouveau langage. Aussi un nouveau corps. Inventer
un esprit vierge de roure souillure, une me qui consumerait dans un brasier
intemporelles folies, les pri~ res, les craintes ct les serments.
Cet individu surhumain atreindrait un tat de souverainet, ct pourrait alors
vivre non par les oeuvres, mais tre lui-mme le Grand Oeuvre en symbiose avec'
l'univers infini ...
Celui qui ralisa de manire sporadique cc projet grandiose fur Hliogabale sinon l'empereur historique, du moins l'Anarchiste Couronn, dcrit par Artaud
dans un livre ronnant, fruit de recherches rudites cr d'une extraordinaire passion,
aboutissant au portrait d'un dmiurge de l'Impossible:
" li y a dans Hliogabale le double combar:
1 De l' UN qui se divise en resram UN. De l'homme qui devient femme cr
resrc l'homme perpruir.
2 Du Roi Solaire donr l'homme qui accepre mal d'tre moi humain. Qui
crache sur l'homme cr finir par le jerer l'gout.
Parce qu'un homm~ n'est pas un roi, et que pour lui et comme roi, roi solitaire,
dieu incarn, vivre en cc monde est une chute er une trange destitution.
Hliogabale absorbe son dieu; il mange son dieu comme le chrtien mange le
sien; et il en spare dans son organisme les principes; il tale cc combat de principes
dans les cavits doubles de sa chair." (16)
Aprs avoir quitt le mouvement surraliste, aprs la destruction de ses espoirs
quant l'instauration d'un Thtre capable de concrtiser ses rves alchimiques,
aprs s'tre dbattu frntiquemem dans la cration littraire, Artaud va tenter de
trouver un salut au Mexique, chez les Indiens ' larahutmras. Et dans ce voyage
gographique s'tablir un renversement temporel er mythique, tandis qu'il croit
retrouver dans ce territoire lointain et secrer le Ritc des Rois de I'Atlanride:

ANTAlOS

"Platon raconte qu'au coucher du soleil les rois de l'Atlantide se runissaient

devant un taureau sacrifi. F.t tandis que les servants dcoupaient le taureau morceau
par morceau, d'autres recueillaient les morceaux dont ils versaient le sang dans des
coupes. Les rois buvaient ce sang et s'enivraient en chantant une espce mlodie
lugubre jusqu' cc qu'il ne restt dans le ciel que la tte du soleil moribond et sur la
terre rien d'autre que la tte du taureau sacrifi. Alors le.~ rois se couvraient la tte de
cendres. Et leur lugubre mlodie changeait de ton en mme temps qu'ils resserraient
le cercle qu'ils formaient. 'l(>ute invocation au soleil en devenait une espce de
reproche amer, prenait l'aspect d'une conrrition publique, la forme d'un remords
que les rois exprimaient d'un commun accord jusqu'au moment o la nuit tait
compltement rom be .
Tel est le sens du rite dcrit par Platon. Or, un peu avant que le soleil se ft
couch sur Norogachic, les Ind iens conduisirent un boeuf sur la place du village et,
aprs lui avoir arrach les parres, sc mirent lui dchirer le coeur. Le sang frais tait
recueilli dans de grandes jarres. Je n'oublierai pas facilemenr le rictus de douleur du
boeuf pendant que le couteau de l'Indien lui dchirair les entrailles. Les danseurs de
"matachincs" sc rassemblrent devant le r-.aureau ct lorsque celui-ci fut hien morr, ils
attaqurcnt leurs danses de Ht:urs." (17)
Dans la vision d'Artaud la ralit sensible s'incorpore un ensemble d'lments
qui font clater la temporalit ct dforment la perception spatiale. La Crmonie du
Peyotl en compose la phase la plus remarquable par la densit de cette da nse
apocalyptique. Anantissement ct divinisation servenr ici l'apothose d'Artaud le
Sacrifi ...

"En foce du pettpk- qui fait manger ses chevaux,

ses boeufi et ses nes les denires tonnes
rie morphine vraie qui peuvent lui rester
pour fa remplacer par des ersatz defume,
j'aime mieux Le peuple qui mange mme la terre
le dfire d'o. il est n,
jeparle ries1Zu-ahumaras
mangeant le Peyotl mme le sol
pendant qu'iL nat,
et qui tue k- soleil pour installer le royaume
rie fa nuit noire,
et qui crt1e la croix cifin que les espaces de
L'espace ne puissent plus jamais se rmcontm
ni Sf croiser." (18)
Solstice d't 1.994

Aprs quoi ce sera le retour dsol, la dernire chappe en Irlande, volont de dcouvrir
tme conrre saine er smccifi.e, assez funne dans sa ral.ir cosnque pour accueillir lli1 corps
pourrissant, illmnin pourtant. sera \'imemcment, fasile de Rodez, la libert surveille
Ivry, "Pour en finir avec le Jugement de Dieu'', f ternit de la mort...
Le jugemem d'Artaud ne doit pas devenir prtexte de nouveJles murilations,
la complaisante masochiste, la fascination qu'exerce la folie, la haine morbide de
la jouissance. Le Sacrifice n'a de sens que s'il implique une libration. Dans une
socit de plus en plus nihiliste, de plus en plus inavouable, les voyages exemplaires
d'Antonin Artaud, par le monde cartel ct par le moi constell de dchirures et de
dfis, ces voyages balisent notre drive, ils disent l'horrible ralit des goutTres, mais
aussi le courage, la lucidit, le retour inespr du jour, et l'merveillement silencieux
d;ms un univers que le dlire d'un homme a purifi.

Marc Kl.UGKJST
Notes:
(/)
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(.3)

(4)
(5)
(6)
(7)
(8)

(9)
(1 0)
(11)

A. MALRAUX, "L'Espoir'~ Paris, Gallimard, 1989, p.39.

M. BARRES, '1Ju Sang, de la Volupt et de la Mort': Paris, UGE 1986,
p.l34.
V. BLASCO IBANEZ, '/lrnes sanglantes': Paris, Calmann-Ut')l 1964,
p.175.
H. de MONTHERLANT, "Les Bestiaires': Paris, Gallimard, 196..3, p.ll.
E. HEMINGWAY, "lvfortdans l'aprs-midi': Pm'ij; (Jtlflimard, 1992, p.28.
f GARCiA IDRCA, "Oeu/lrescompltes Pm, Gallimard, 1987, p.59 I.
M. LEIRIS, ".L:Age d'Homme'; Paris, Gtttlimard, 1979. p. 12.
C texte, disponible aux ditions Fourbis, constitwlit l'origine le commenttlire
du film de P. Bmunberger (195 1).
M. LEIRIS, "Miroir de la ttturomachie': Fontfroide, fta Mmgana, 1989,
p.51.
G. BATA lUE. "Oeuvrescompltes l'~ Pmis, Ga!limttrd, 1992, p.50.
Ibid., p.5.5.

r:

(I 2) M. LEIRI5: op. cit., p.45.

(13)
(! 4)
(15)
(16)

LAURE, "Ecrits': Paris,}.].Pauvert, 1971, p. 162.

A. ARTAUD, "Le Thtre et son dmtb!e': Paris, Gallimard, 1977, p.155.
A. ARtAUD, "Oeuvres compltes Xlii'; Paris, Gallimard, 1990, p14.
A. ARTAUD, "Hliogabale ou tAnmchiste couronn': Paris, Gallimard,
1980, p.95.
(17) A. ARTAUD, "Les 1rahumams': J>cuis, Gallimard, 1.993. p.94.
(1 8) A. ARTAUD, "Oeuvres compltes XIII': op. cit., p.74.

ANTAIOS

DIES SANQVINIS
Notre ami Jean-Louis Bastian est l'auteur d'un singulier roman, "Chaque fte
du sang" (Denol 1986), rcit d'un sjour au Maroc o le personnage principal, un
jeune Franais, connat une passion peu orthodoxe pour le blond Djami, homonyme
du dernier serviteur de Rimbaud au Harrar. Hymne solaire, ce livre est aussi un
tmoignage extraordinaire sur la survie de cultes sanglants.
Nous reproduisons les pages consacres au culte assaoua, avec l'aimable
autorisation de rauteur.
"Une forme humaine dsarticu le, un homme g trs maigre, dvalait la
montagne en hurlant. Les hululements des femmes l'accueillirent dans les remous
soudains de la foule qui, mi-penrc dj, lui ouvrait un passage. Les hurlements
rebondirent sur l'aurre versant ct la musique aigu, trompette de cuivre, cornemuse
et ram-ram, s'enfla tout coup.
Un garon dpoitraill apparut son tour dans le paysage de pierre, hurlant
aussi, sur les traces du vieil homme, puis une femme, dont la si lhouette lance
route allure sur la pen tc me sembla familire, inexplicablement.
Du sein de la fou le je distinguais la jupe large serre la taille, qui volait autour
d'elle, les cheveux crpus fusant en aurole compacte autour de son visage sombre
ct, au fur et mesure de son approche, je reconnaissais le nez camus, les orbircs
creuses, er mon impression haletante s'obscurcissait et s'approfondissait.
l.es trois fo rmes hallucines avaient rejoine l'arne troite encercle par les corps:
elles se dsarticulaienr, sc prosternaient et pirouettaient en mesure devant les
musiciens dchans qui arrosaient le foule de leurs notes. l.cs crois danseurs
semblaient aspirs par la source sonore qui les repoussait aussi tt dans le cercle. Ils
revenaient sc rcha uffe r au rayonnement du tam-tam puis se jetaient sur les
spectateurs arborant des vremcncs rouges . Ceux-ci, curieusement, jouaient des
coudes, traversaienr les ranges er venaient provoquer les danseurs avam de fuir
devant leurs forrm:s hondissames.

Solstice d't 1994

Prs des musiciens, un taureau adolescent, par de fleurs , tatou de henn,

arrendair.
La foule en fte d'hommes, de femmes et d'enfams tait saisie de mouvements
de panique, mi-feinte mi-relle, dont profitaient les filles rieuses pour faire des
signes aux garons. CeLLx-ci circulaient par groupes de deux ou trois, l'air indiffrent,
sc tenant par la main, ct convoitaient les vierges du village, runies l, toutes, le
visage dcouvert, les yeux cerns de kMI, les pommettes rougies, scintillantes de
bijoux, d'tofls vives et de malice.
C'tait la fte de mars dans le pays berbre, le culte assaoua, la fte du printemps.
le taureau merveilleux allait mourir sous nos yclL'<, les peupliers allaient refleurir,
les moissons sc lever, les ventres s'arrondir, les sortilges de l'hiver sc calciner. \1es
guides se rapprochaient d'un groupe d'adolescentes trs jeunes, enlaces er bavardes,
qui pouffaient de rire notre intention.
Des spectateurs peu peu entraient dans le cercle, s'abandonnaient aux transes
de la danse, arrachaient leurs vtemenrs que d'autres, des religieux ou leurs proches
peut-tre, venaient rajuster lorsqu'ils tombaient terre comme des cadavres,
chaque arrt brutal de la musique.
Malgr le soleil qui dorait. cerre scne, mon esprit se tournait vers une circoncision
nocwrne dont j'avais t le tmoin au sorrir de mon adolescence, dans un faubourg
de Tipasa. Cette fois-l aussi trois adolescents m'avaienr accompagn; il y avait cu
galement un cercle clair par les phares d'normes camions l'intrieur duquel
hommes cr femmes d'une secre, voisine sans dome des assaouas , dansaient
spasmodiquemenr avec lems cheveux. Tous taienr arms de couteaux, de sabres ct
de rasoirs qu'ils passaient sur le fil de leur langue ct dont ils se poignardaient les
bras, .la poitrine, le ventre. Un homme au crne ras, l'exception d'une mche
immense qui pendait du sommet de sa tte et serpentait autour de lui, avait tranch
le prpuce de l'enfant, l'avait mlang sur le sol de la semoule froide, avait malax
la pte pendant que l'enfanr, sanglant, jet sur leurs paules, tait emport par les
femmes qui couvraient ses cris, puis dans le tumulte des tam-tams en avait extra.it la
premire boulette ct s'tait dirig vers moi sans un mor. Ne sachanr s'il m'avait
reconnu ou non comme tranger cette religion et cene terre, j'avais aval la semoule
fade, au grand soulagement de mes trois amis et puis, boulevers, j'tais parti.
Aujourd'hui encore j'tais le seul tranger dans la foule et chaque fois que la
multitude frissonnait, qLLe bronchaient les mules et les chevaux , que les mres
saisissaient brusquement les enfants sur leurs pauks, je m'imaginais roulant sous
les sabors ferrs. Mes guides, dans la morgue de l'adolescence, tenaient se f.re
voir en ma compagnie, se faire phorogra.phier dans la foule, pour pouvoir capturer

ANTAIOS

sur l'image le profil ou la fosserre de quelque proie future.

T.a gorge sche je mesurais la progression de la frnsie la difficult des miliciens
maintenir un semblant d'ordre aurour du cercle.
Mes regards sc rivaient cette figure de femme qu'il m'avait tout de suite sembl
reconnatre, dcharne, au fro m haut, seule, parmi les centaines d'autres coiffes
d'charpes jaunes ou de foulards multicolores, montrer ses cheveux; seule aussi
se vtir la mode hatienne, seule disloquer ses membres aux yeux de tous et au
soleil. Et la More m'apparut alors, ses yetLX creux, sa dsarticulation obscne, ses
cheveux dfaits er le trou de sa bouche.
Des garons s'approchaient pour la provoquer. Menaante, elle sc jetait sur eux
travers la foule, er les miliciens se saisissaien t d'elle pour la rejeter l'intrieur du
cercle.
Des spectateurs entraient en transes. leurs voisins mi-rieurs mi-effrays faisaient
le vide autour d'eux. Une onde nouvelle parcourait la foule. Un chemin s'ouvrait
devant le possd jusqu'au cercle. Ma peur sc changeait en trouble.
"Approche, aproche, on va tuer le taureau ."
Nous tions tout prs des jeunes fi lles prsenr, et nous leur parlions. L'un de
mes guides me prit par le bras ct me poussa au premier rang.
"Prends des photos, n'aie pas peur!"
La musique avait cess.
Deux vieillards emurbanns, vtus de blanc, avaient fai r trbucher l'animal et
maintenaient ses jambes sur le sol. Arm d'une dague pointue un adolescem s'avana.
La Mort tait sa gauche. Je reconnus Yeux-Verrs, mon ami de la rue du Pacha. Le
nom du Dieu retentir. Yeux-Verrs s'accroupit prs de l'animal, lui trancha la gorge
et sc releva. La Mort se jeta sur la blessure el les deux vieillards se relevrent. Le
taureau tait couch sur le flanc. Ses jambes horizontales amoraienr un galop rgulier
et facile.
I.a foule tait hors d'elle. les fillettes pares, les femmes aux joues rouges, les
hommes turgescents se brlaient du regard, se frlaient de leurs corps dans cette
bousculade chaude, haletante, laqudle nul ne pouvait chapper.
Le sang tait le signe, le signal de l'amour, le sacre de l'union que promettait le
crpuscule. Les rel igieux criaient le nom d'un dieu tard venu , les miliciens canalisaient
la foule tournoyam en onde imprvisible. Au centre, la Mon dispensatrice brillait
du sang de la jeunesse. Le taureau chamarr ne barrait plus de ses cils courbes: les
jam bes raides, les yeux troubles, le front rejet vers l'pau l~. le cou hanr, 1<.: sexe
tendu, son sang poignant sc mlait la terre.
La Y1orr se dressa et fit face la foule , visage rutilant de soleil. Les autres
Solstice d't 1994

danseurs s'accroupirent la blessure. Certains s'allongeaient sur la bte encore

tressaillante. Y1iliciens et religieux tentaient d'endiguer les hommes et les femmes
qui se bousculaient pour tremper dans le sang des morceaux de chiffons et les mains
des enfants.
(...)

Mes guides m'avaient rejoint. Jaloux de me garder prs d'eux ils m'entranrent
dans la campagne. Ils affectaient de mpriser cerre crmonie ardente, non tellement
cause de l'islam mais parce qu'elle leur semblait contraire la culrure europenne
qui les fascinait et que je reprsentais leurs yeux. Alors je leur parlai des rites de la
Crte, des cultes de Minos, de Mithra, de la beaut des cultes du Soleil. Le taureau
de Civa, l'gorgemenr du Taureau-Dionysos, la morr et la rsurreccion d'Anis, le
jour de la fte du Sang."

jean-Louis BAS71AN, Chaquefte d11 sang, Denol 1986, 6BFF.

ANTAIOS

61

MllES MITHRAE
"Lors de son passage Ble, Julien avait offerr un sacrifice Bellone. mais il
avait tenu ce que cette crmonie restt secrte, "car, nous dit Ammien, il n'tait
pas encore assur de la religion de ses soldats". Depuis lors, son premier Edit de
Tolrance lui avait ralli rous les suffrages. Dsormais, Chrtiens er Paens,
Catholiques et Ariens taient libres de pratiquer ouvertement le cuire de leur choix.
Que Julien ft, en lui-mme, un adorareur du soleil, n'raie un secret pour
personne. Cette certitude, propage travers les casernes, lui avai t valu la sympathie
des soldats, dom une trs grande partie pratiquait le culre de Mithra. Mais la conduire
ambigu qu'il avait adopte depuis lors les dconcertait. Erait-il paen, oui ou non?
Et si oui, qu'attendait-il pour le proclamer au grand jour? Comme les lgionnaires
ne trouvaient aucune rponse ces questions, leur attachement Julien commena
diminuer.
Oribasc, Evhmre, I'Hirophanre d' Eleusis, d'autres encore, vinrem le trouver
pour lui faire parr de leurs apprhensions.
- Prends garde, Julien! lui direm-ils tour de rle. En agissant comme tu le fais,
tll risques de t'aliner les meilleures de tes troupes. rheure est venue de proclamer
ta foi. lu ti as rien y perdre et tout y gabrner. Ce ne sont pas les faux-semblants
qui feront illusion Constance! Il y a longtemps qu'il est fix sur ton compte.
Puisque tu t'cs prononc sur le plan politique, cu dois en faire autant sur le plan
religieux.
Julien couta en silence les remontrances de ses amis. Comme il avait envie de
leur donner raison: Ni Oribase, ni r:vhmrc, ni l'Hirophantc d'EletL~is ne pouvaient
imaginer combien il avair hte de laisser tomber le masque. S'il ne l'avait pas fait
plus tt, ce n'tait ni par peur, ni par opportunisme, mais simplement par prudence.
Avanr de pouvoir lurr visage dcouvert, il lui avait Elu s'assurer des ractions de
l'arme, tre certain que la rupture avec Constance tait inluctable et rtablir par
dcret la libert religieuse. A prsent, routes ces conditions se trouvaient rem plies.

Solstice d't 1994

62
Plus rien ne l'empchait de franchir le pas dcisif
Il fit venir au palais le Pontife de Mithra er lui fit part de son dsir de recevoir
le baprme.
-Les dieux soient lous, lui rpondit le Pontife. Voil longremps que j'attendais
ce geste de toi! Mais c'est un geste grave, qui t'engagera pour la vie. ll te faut subir
auparavant une ~preuve prob~toirc de vingt et un jours qui devront tre consacrs
au jene et la prire. Aprs quoi, je te confrerai moi-mme le baptme du sang.
Comme l'arme, le culte de Mithra comportait w1e hirarchie svre. Ses adeptes
dcvaienr passer obligatoirement par une srie de "degrs", avant d'arriver atLX grades
suprieurs. Ces degrs ~raient dsigns par des noms dont certains refltaient leur
origine asiatique: le Corbeau, l'Occulte, le Soldat, le Lion, le Perse, Le Messager du
Soleil, le Pre. En considration de sa qualit d'Augusre er compte tenu du fair qu'il
avair dj t initi Pergame, il fut convenu que Julien serait lev d'embl~c la
dignit de "Messager du Soleil" (Hliodromos) er recevrait le mme jour les cinq
initiations prliminaires.
Aprs avopir observ la priode de jene obligatoire, Julien fut conduit au
sanctuaire de Mithra, oi1 il fut accueilli par les grands prtres du culte. C'tait une
nef allonge, soutenue par deux ranges de sept colonnes, portant chacune, sur son
ft, les insignes ct les couleurs d'un des sepr degrs initiatiques. Le fond de la salle
raie occup par une statue de Yiithra qui dpeignait le Mdiateur sous les traits
d'un jeune homme, coifte d'un bonnet phrygien, en train d'enfoncer un glaive dans
le cou d'un taureau. I.:assistance tait compose uniquement de soldats et d'officiers.
L, Julien fur promu successivement Corbeau, Occulte, Soldat, Lion et Perse, avant
d'tre consacr Messager du Soleil.
A prsem tait venu le moment solennel, celui du baptme proprement dit, ou
Taurobole. On conduisit Julien dans une perite salle octogonale o, aprs lui avoir
fait subir les ablutions r:tuellcs, on lui rasa tout le corps l'exception de la tte.
Puis, on lui fit descendre les marches d'un perit escalier, mcnanr un cachot obscur,
si bas de plafond qu'il avait tout jus la place de s'y tenir debout. Durant quelques
secondes Juhcn ne distingua rien. Il sentit seulement que le pavement sous ses pieds
n'tait pas horizontal, mais penchait lgrement vers un angle de la pice.
Lorsque sa vue se fur accommode la pnombre ambiante, il constata que le
plafond tait claire-voie ct que de faibles rais de lumire lui parvenaient travers
ses interstices. Bientt, il entendit au-dessus de sa tte un bruit de pas prcipits,
accompagn d'un haltement puissant. Plusieurs hommes s'affairaienc autour d'une
bte, qui semblair se dbattre. Julien ne pouvait rien distinguer, mais il savait qu'il
devait s'agir d'un taureau blanc, baign sept fois dans les eaux du Clitumnc.

ANTATOS

6:
Le bruit de pas se ralentir; le haltement s'acclra. Soudain, le taureau poussa
un beuglement terrifiant et Julien entendit la bte s'affaler de tout son poids sur
l'espce de claie qui servait de plafond.
Au mme instant, il sentir un liquide chaud ruisseler sur sa tte: c'tait du sang.
Il coula sur son front, sur son visage, sur ses paules. Bientt son corps entier fut
comme envelopp dans une tunique de pourpre. Er le sang ruisselait roujours,
splendide et cumant. Ce n'tait pa..~ un liquide mort mais une substance vivanre,
o semblaient s'tre concentres toutes les puissances de la vie.
Le baptme chrtien avait gliss sur lui sans laisser de traces.
Cette fois-ci il sc sentit envahi par une ivresse inexplicable. Etait-cc du sang qui
ruisselait sur lui, ou le jus de la vigne? Il tendit ses bras vers cette source de vigueur
et sentit son pouvoir mystrieux pntrer chacun de ses pores. Il passa ses mains sur
ses flancs qui taient lisses ct glissallts, et se mit danser. Il tait la fois le bourr<.>au
et la victime, la vendange et le vendangeur. Ivre de bonheur, il se donnait, s'offrait,
s'imprgnait de ce liquide vivif~ant, de cet lixir de lumire. Vainqueur du taureau,
il s'identifiait Mithra et voyait exploser en lui la clart de mille soleils. En lui ct
autour de lui, tout tait pourpre, et il sentait une nergie inconnue s'accumuler
dans ses veines. Sa chair, ses tissus, ses os s'en gorgeaient. Au cours de ses initiations
prcdenres, il avait t terrass par la prsence de Dieu. Cene fois-ci, cc qu'il
ressentait tait un sentiment de triomphe.
Les haJrcmenrs avaient cess. La bte sacre rait morte, mais sa chair continuait
palpiter contre la claie de ciment. Le flot de sang se raJentit, puis cessa. Deux
hommes entrrent dans la cella et le conduisirent rapidemem dans un atrium, o ils
le plongrent dans une piscine remplie d'cau lustrale. Ils le lavrent des pieds la
tte, l'invitrent se rincer la b:mche, les narines et les orei lles. Puis ils le laissrenr
se reposer pendant une demi-heure.
Lorsque Julien remon ta au jour, il sc senrit rgnr."

jacques BENOJST-MECHIN, L'Empemu'}ulien ou le rue calcin, Paris, Penin 1977,

p.226-234.
Portrait romanc du dernier empereur paen, cet ouvrage est une agrable introduction
L'tutk de juLien et de son temps, malgr quelques erreurs historiques. Sur julien, on
lira les textes mmes de l'autocrate publis et traduits aux Belles Lettres (4 !Jo lumes de kt
Collection Bud), l'excellente biographie de]. B!Dh7, ''Ltt vie de L'empereu1']ulien':
Paris, Betfes l.ettres 1965 (2d.) ainsi que!.. ]ERPHAGNON, 'Julien dit L'Apostat':
Paris, Seuil, 1986.
Solstice d'h 1994

ODE A MITHRA
Mithra, Dieu du matin, tes trompettes z;eillent les murailles!
Rome dJJmine les nations, mais toi tu dJJmines tout!
Maintenant que les consignes ont t changes, et que les gardes de la nuit se sont retirs,
Mithnt, toi qui est aussi un guerrie1; donne-nous la force pour la journe!
Mithra, Dieu du milieu du jom; la bruyre fowe dans la chalem;
Nos casques blessent nos fronts, nos sandales brlent nos pieds,
Voici L'heure sans fin, celle qui nous rend uides et somnolents,
Mithm, toi qui est aussi un guerrie1; garde-nous fidles nos voeux.
j"vfithm, Dieu du Soleil couchant sur l'ocan occidentaL,
1i qui descend immm1eL, immortel tu renatras!
Maintenant que la garde est finie, maintenant que le 11in est bu,
Mithra, toi qui est aussi un guerrier; garde-nous purs jusqu'au matin!
Mithm, Dieu du milieu de uz nuit, quand le grand taumm est mis mort,
Contemple tes enfants dans L'obscurit. Oh, 1'eois leur sacrifice!
1i1 nous as montr beaucoup de voies: toutes conduisent vers la lumire,
Mithra, toi qui est aussi un guerrie1; enseigne-nous la manire de mourir!
Rudya1d KJP!.lNG (traduction C. Bouchet).

ANTATOS

HYMNE A APOllON
0 toi, Apollon,
Toi qui as t, toi qui es, toi qui seras pour l'ternit
0 Apolwn,
Toi qui engendres la lumire t't nous l'offres mr la terre nourricire
0 Apolwn,
Ecoute notre 110ix, prsent, humblement, nous t'impwrons
0 Apollon,
Apollon, matre du destin, accueille-nousdemain dans ta splendide demeure
0 Apollon,
Allume pour twus lesfeux tincelants du ciel et tmnt'-nous d'entendre la musique sacre de
ton temple
OApolkm,
Toi qui, pou1' notre joie, nourris nos mes des arts humains et &li vins
0 Apolion,
Accepte ce laurier prophtiqt, tmoin de notre vnration
0 Apolwn,
A prsent, nous nous ttzisons; prsent, entends-nous.'

Hymne comp par nQtre consoeur Corinne fta et psalmodi par le thiase du Dim au
laurie1; en son temple de Delplm au moisd'mnil 1994 de l're 111dgaire.

Solstice d't 1994

66

CHANTPAIEN
Les Dieux rsident en toi, et c'est un grand mystre
Que leur sagesse demeure, 11pr.s deux millnaires
De rejets, ngations et autres reniements
lis contn'Jlent toujours l'ensemble des lments.

Mais ils ont tous horreur du foux et du mensonge,

Ils inspirent le Beau dans le reflet des songes,
L'idal dans fe grand, le divin dtlns le pur,
Le respect du pass, garant des temps futurs.

Mprise la laideur et son triste cortge

Comme le venin mortel d'un ejprit sacrilge,
Et maudis sans piti L'oetmre des mcrants
Dont L'esprit a conu les hormm du prsent.
Entends les dou.x: accents de cette foi pai'enne,
Hritage immortel de /,t croyance ancienne
Dont l'insigne murmure, chttpp de L'oubli,
Sul' les ondes du temps, te 1-evient ennobli.
Que ton corps soit sacr, ta maison sanctuaire!
N'y soujJie aucun outrage la !JJi sculaire.
Le symbole des Dieux, ce pain d'ol' du festin,
Reois-le comme offrande aux ejfiJI'ts de tes mains.

ANTATOS

Sois bon, sois fort, sois juste en ton coeut se;;ourable,

Fais toujours une place, au milieu de ta table,
A celui qui franchit le seuil de ta maison,
Car contrer l'infiJrttme a toujours raison.
Les bois sont faits pour mi. Si Jamais tu redoutes
La direction prendre au croisement des routes,
l1z mditer en ptlix au creux desfrondaisom:
7it percevras alors de sublimes oraisons.
La terre attend tes pas, et sehn tes efforts
Crs te livrera ses immenses trsors,
Prends-les sam retem, comme s'ils t'appartenaient,
Mais ne fa soumets pas aux wis de fa monnaie.
/.a source a des merveilles dans ses ondes chantantes,
Respecte son parcours au hng des douces pentes:
!.afleur y prend sa sve, et l'oiseau ses reflets;
De la troubler, en vain, n'entends-tu ses regrets.
Le chien est ton !Jeillnn; mn compagnon.fidle,
Ajfctueux, dt1cile la !Joix qui L'appelle;
Les Dieux te l'ont donn jadis, aux temps n:lissants,
Pour te garder la nuit des fou!JfS menaants.
Pour te .fer!J; enan; pour a!ll.gn tri. peine,
L'imptueux cheval a dsert la plaine.
Sois bon pour ces amis, au coeur si gnreux.
Qui t'ont sorti de l'ombre en dts temps douwureux.
Respecte aussi la !Jierge et son f ront d'insouciance;
Honore toute mre et son cri de souffrance,
Reois l'mfont du cie~ !Jentt des bleus sijourJ,
Qu'eLle portait en son flanc pour prix de tes amours.
Rends grce notre toile, en td!umant la brande,
Pmte-lui aux solstices la symbolique offrande.
Solstice d't 1994

68
Les Dieux tt donneront le souffle de t'espoir
Pour l'hommage rendu qu'ils savent recevoir.
Ils t1eilleront sur toi, pour te donner la joie,
Ils guideront tes pas, en te montrant la voie,
Pour mrmonter L'cueil dont ton coeur a souffert:
!,tt mort pourra venir, ils ont dtruit l'enfer.

jean VERTEMONT, solstice d't 1991.

ANTAIOS

69

HYMNES ET PRIRES
1.cs ditions ARFUYEN "',dans leur superbe collection Ivoire, viennent de publier
les Hymnes et prires du no platonicien Proclus (8 fv:ier 412-17 avril48 5): l'ouvrage
contient le texte grec ct l'lgante traduction franaise de H.D. SAfHY, sans
doute l'un des meilleurs connaisseurs du noplatonisme paen, avec I. et P. HADOT,
J. TROUILLARD, LG. WESTERINK et J. COM3ES.
Car, Dieux merci, le noplatonisme, longtemps nglig, est prsent l'objet
d'tudes systmatiques et les textes fondateurs (Plotin, Porphyre, Jamblique, Produs
et Damascius) sont en cours d'dition.
Le mrite des ditions Axfuyen est prcismenr d;; nous livrer les prires paennes
des derniers noplaroniciens de l'Eco le d'Athnes, mais dbarrasses des notes
rudites, qui pourraient effaroucher le nophyre. Avec ce superbe livre, au prix fort
intressant (95FF), les amateurs, les "honntes hommes" de cette fin de sicle
disposenr d'un aurhenrique "brviaire" noplaton icien.
Proclus, aprs des tudes Alexandrie, devinr le chef de l'Ecole philosophique
noplatonicienne d'Athnes, et ce au momenr ott le Christianisme tait devenu la
religion officielle de l'Empire.
Initi aux rites thurgiques par Asclipgneia, la fi lle de Plutarque d'Athnes,
son matre avant Syrianus, Proclus est le dernier sage de I'Amiquit conna:rre
toutes les coles philosophiques grecques sur le bout des doigts. En butte
l'intolrance des Chrtiens, il devra s'exiler un an.
Nous possdons encore sa "Thologie platonicienne", publie aux Belles Letttes
en cinq volumes, par H.D. SAHI~EY prcisment (1968-1987). La pense de Produs
et des derniers (?) noplaconiciens rcapitule un millnaire de pense grecque ... et
nous connaissons des rudits qui ne sont pas loin de penser que TOUT sc trouve
chez Produs er Damascius!~ !
Tous les no platoniciens aprs Plotin ont compos des hymnes en l'honneur des
Dieux et des Hros. Cc recueil tait celui utilis par l'cole no platonicienne dans

Solstice d't 1994

ses dvorions quotidiennes.

Alors que le culte public des Dieux rair inrerdit (Loi du 8 novembre 392,
promulgue par Thodose), les familles pieuses continuent trs tard- jusqtiau VI me
sicle- pratiquer des liturgies clandestines: cultes domestiques avec chants, prires,
processions de statues, hymnes anciens mais aussi nouveaux car la tradition tait
bien vivante. Sur ces milliers d'hymnes, peu ont survcu: les Hymnes "Orphiques",
les Hymnes Homriques, ceux de Callimaque ... ct ceux de Produs aujourd'hui
accessibles tous. Lors des fouilles effectues au pied de l'Acropole d'Athnes, les
archologues ont dcouvert la maison du philosophe Plutarque, o enseignrent les
matres noplatoniciens Syrian us, Proclus, Marin us, Isidore, Znodote et DarnasciuB,
et ce jusqu'en 529, date funeste laquelle Justinien ferma l'cole et interdit toute
pense non chrtienne (et non orrhodoxe!). Ce sera alors l'exil en Perse pour
Damascius ct ses disciples, puis le repli sur Harrn, o une cole noplatonicienne
paenne survivra jusqu'au Xlme sicle au moins. Dans les ruines de certe maison
athnienne, on a retrouv une chapelle comportant des niches et dans l'une d'elles,
une statue de Cyble, la Grande Mre des Dieux....
On peut dfinir Proclus comme un moine paien: sa vie tait rgle comme celle
d'un cistercien ou d'un bndictin. Jenes, prires, veilles en l'honneur des Dieux,
saluts quotidiens au Soleil (au lever, au midi, au coucher) alternaient avec le travail
philosophique proprement dit: explications et commentaires des "auteurs du
programme": Platon, Aristote, "Pythagore" (en fait Jamblique, semble-t-il) ainsi
que les potes, considrs comme thologiens: Homre, Hsiode et les Rhapsodies
Orphiques. t:idal du philosophe noplaronicien est en effet de clbrer le BienUn, qui est au-del de l'Erre, er dont l'me est la "trace cache". Il s'agit ici d' une
religio mentis, d'une religiosit tout intellectuelle: l'acte religieux par excellence est
la lecture, du Parmnide de Platon par exemple.
Le Soleil joue un rle important dans ces dvotions: chanr par Euripide (Ion),
Julien (Discours sur l llios-Roi , trs lus dans les cnacles non chrtiens de Byzance),
et enfin par Proclus, dont l'Hymne au Soleil esr l'expresion d'une spiritualit trs
raffine er pure. Pour les platoniciens, Hlios est identifi au Bien (Platon,
Rpublique VI), pour Proclus, "il transcende d'une unique supriorit tout ensemble
ce qui sc voit et ce qui esr vu". Rejeton du Bien, il rgne sur le domaine sensible
comme le Bien sur le domaine intelligihlc: Bien ct Soleil som rous deux Rois. Le
Corpus Henneticum (XllT) nous livre un tmoignage sur l'adoration du Soleil: "Eh
bien donc, mon enf.-lnt, riens-roi debom en un lieu ciel ouvert et, f.-.ce au vent du
Sud, au moment de la chute du Soleil couchant, fais adoration; et de mme encore,
au lever du Soleil, en te tournant vers le vent d'est. Silence donc, enfimt." Un oracle

ANTAIOS

']

d'Apollon rendu la cit d'Oinoanda est clair quant au rituel de la prire au Soleil:
"Vous devez lever les yeux vers l'Ether pour prier, le matin, en regardant vers l'Orient."
Le Soleil, relais de l'action de l'Un, est identifi Apollon par de nombreux auteurs:
Euripide, Callimaque et Hraclite le mythographe, dans ses "Allgories d'Homre":
"Qu'Apollon soit identique au Soleil, que ce soit un seul Dieu sous deux noms
diffrents, cela ressort nettement des rvlations secrtes que l'on fait sur les Dieux
dans les crmonies des Mystres, er du refrain populaire qui proclame sur tous [cs
tons: Le Soleil, c'est Apollon, et Apollon, c'est le Soleil."
[ouvrage, dcidment trs prcieux, contient galement des hymnes Aphrodite,
aux Muses, Hcate, Athna riche en ressources...
Lus par Proclus au cours de ses dvorions personnelles, rcits par les Paens
clandestins Athnes mais aussi Mistra, dans l'entourage du philosophe Georges
Gmiste Plthon (au XVme sicle!!!), ces textes sublimes, s'ils sont lus et intrioriss,
pourront nouvea.u sacraliser le quotidien des Paens d'a.ujourd'hui comme ils le
firent il y a quinze sicles.

Christopher GERARD

PROCLUS, "Hpnnes et p1'ites'~ Arfoyen, Rzris 1994, 95FF

*ARFUYEN
35 rue La lvftzrois, F-75016 Paris, tl- 46.51.80.39.
Catabgue sut demande, se rclamer d'ANTA!OS.

SoLtice d't 1994

ANTAIOS

PORTRAIT
D'UN FILS DV SOLEIL.
Il y a 1720 ans, Lucius Domitius Aurelianus imposai r le culte de SOL
DOMINUS IMPERII ROMANI. C'est le portrait de cet adorateur du Soleil, de
cet empereur d'une envergure exceptionnelle que trace le professeur E. CIZEK, de
l'Universit de Bucarest dans une belle biographie parue aux Belles Lettres *.
Le culte solaire tait une tradition dans la famille, fort modeste, du futur Auguste,
n vers 214 dans les Balkans. Sa mre tait en effet prtresse du Soleil, fort honor
dans la zone danubienne de l'Empire. Son pre, un vtran, tait lui aussi un adepte
du culte solaire. Dur la peine, courageux, inflexible et point trop scupuleux, Aurlien
gravit un un les chelons de la hirarchie militaire. Il appartient la catgorie des
officiers issus de l'lllyricum et sortis du rang: ces hommes font preuve d'un patriotisme
romain trs fervent, de toutes les vieilles vertus romaines: nergie, endurance, sens
du devoir. Ils fourniront l'Empire ses meilleurs chefs, jusqu' la fin.
Aurlien arrive au pouvoir un moment crucial pour l'Empire: celui-ci vacille
sur ses bases, min par 50 ans d'anarchie militaire, d'invasions barbares, d'pidmies,
de famines ... tEmpire, incapable de se fdraliser, traverse une grave crise d'identit:
la mentalit traditionnelle , l'esprit de cit dsertent les Romains uss par une trop
grande centralisation. Face ces tendances centrifuges, l'administration renforce le
terrorisme des fonctionnaires, la fiscalit devient crasante, le contrle politique et
financier touffant, les restrictions deviennent la norme, J>Erat s'immisce dans tous
les domaines ... Toutes ces mesures sont inefficaces mme court terme et paralysent
toute volont de changement. Nihil novi sub Sole invicto. Dans ce systme en
dcomposition, se constituent des micro-socits: cercles politiques et cultu(r)els les circuli -, collges (sodalits vocation religieuse), associations professionnelles
(futures guildes), qui sont tous les signes du besoin de solidarit effective. Le gnie
d'Aurlien sera prcisment de percevoir ces tendances et d'oprer un retour aux
valeurs anciennes coupl un nouveau systme axiologique.

Solstice d't 1994

Le professeur Cizek montre bien que l'affaiblissement de l'Empire est d moins

aux incursions barbares qu'aux tendances centrifuges, dont le corollaire est la
multiplication des usurpations du pouvoir politique. La perte de prix de la Dignitas
romaine est l'origine de cet affaiblissement, plus moral que militaire .
.Lpoque est le thtre d'un traumatisme culturel et de mutations religieuses:
renaissance des trad itions locales (celtiques notamment), succs des cultes
sotriologiques et astraux d'origine orientale, tendance au monothisme solaire,
gol!t pour l'occultisme, la magie... 1ous ces lments expliquent le succs des "loges"
mithriaques, qui fascinent le corps des officiers, l'administration et les milieux
d'affaires. Ils expliquent aussi le succs du Christianisme , ou plutt des
Christianismes: religion orientale trs souple, universelle, pratiquant une fraternitas
interne et servie par un d erg remarquablement organis et opportuniste. Et ce,
malgr l'opposition des mi\jeux populaires paens qui poussent la perscution, qui
ne sera jamais systmatique.
C'est dans ce contexte troubl qAurlien prend le pouvoir en 270. l out de
suite, il fait montre d'une poigne de fer: il runifie l'Empire menac par les scessions
(Empire Gaulois de Ttricus et Royaume de Palmyre de Znobie), mne des
campagnes victorieuses contre les Barbares, vacue la Dacie ...
Son triomphe est total et se complte de rformes administratives, montaires ...
Mais Aurlien est aussi un rformateur religieux. Trs probablement membre
d'une loge mithriaque ou du moins fortement influenc pat ces milieux, il instaure
le culte officiel du Soleil, qui n'est pas ouvertemem identifi Mithra, en raison de
son origine perse et de l'sotrisme de son culte. Le Dieu d'Aurlien, titre officiel,
est SOL CO MES: il s'agit d'un culte syncrtique et ouvert, "exotrique". Existait-il
un culte sotrique, le mithriacisme, pour cimenter les lites impriales, la question
mrite d'tre pose.
Ce culte solaire fon de la restauration autoritaire de l'Empereur, son
Herrscherideal. Le culte de Sol, prexistant ces rformes et fort en vogue dans
l'arme, acquiert une position dominante en tant qu'assise idologique de la stratgie
politique d'Aurlien. "Un Dieu, un Empereur" pourrait tre sa devise, d'ailleurs
reprise par Constantin, qui n'avait pas compris gue le dogmatisme catholique,
crateur d'hrsies, diviserait l'Empire et causerait sa perte. Pril que Julien avait
parfaitement peru, lui qui promulguera un Edir de Tolrance pour faire cesser
cette guerre civile larve emre sectes chrtiennes (Ariens, Catholiques, Donatistes,
etc... Lire ce sujet le livre remarquable de R. VANEIGEM, "La Rsistance au
Christianisme", Fayard 1993, et "Les Hrsies" Q_SJ 1994)_
Le culte solaire, "centre de gravit d'un paganisme revivifi et unifi" est donc le

ANTAIOS

culte principal auxquels tous les autres sont subordonns. Sol (Sol Invictus ou
Conservator) est conu comme le Mdjareur (cf. Mithra!), signe le plus visible du
Trs-Haut, du Thos Hypsistos des Gnostiques; Aurlien est son vicaire sur terre et
l'Empire est l'Empire du Soleil: nous ne sommes pas loin des Incas!
Sol a son temple Rome, sur le Campus Agrippae. Les historiens anciens le
dcrivent comme somptueusement orn. Au Vlme sicle, le temple en ruines sera
dpouill de huit colonnes de porphyre qui seront emportes Constantinople,
dans la cathdrale Sainte Sophie... o elles se trouvent encore.
Aurlien instaure aussi un Agn Salis: une srie de jeu qui ont lieu tous les 4 ans
du 19 au 22 octobre; un collge de pontifes, issus de l'aristocratie romaine, est cr.
Toutes ces rformes survivront l'assassinat de ce grand empereur, restaurateur
de l'unit impriale dont l'oeuvre permettra l'Empire de rsister encore 200 ans
aux forces du chaos.

MarcCELS
E. CIZE!(, ({L'Empereur Aurlien et son temps':
Paris, Belles Lettres, 1994, 150Ffi

Cet diteur publiera bientt fi GRAE {(La magie dans l'Antiquit".

Solstice d't 1994

ANTAIOS

HELIOS-ROI
Enfin un ouvrage global traitam des mythes solaires selon notre coeur!*
[au re ur est originaire ci'I nde, celui de rous les pays inde-europens o le culte
solaire est de loin le plus prati<tu de nos jours. Cela donne un ouvrage vivant, OLl
passion et rudition se conj uguent de la plus heureuse manire. Le tout est servi par
une iconographie magnifl<tue et dbordante, avec nombre de documents peu connus.

rouvrage comprend deux parties. Dans h premire, M. SINGH rpertorie,

commente ct relie entre dies, pour la premire fois avec cette amp leur, les
reprsentations symboliques et anistiq ues du Soleil. Dans la seconde, des spcialistes
prsentent les mythologies, spiritualits et rituels solaires propres chaque socit.
Cette histoire compare des civilisations autour du thme solaire fait ressortir
ressemblances er diffrences des cultures et religions du monde entier. Un index et
un glossaire aident se reprer dans cerre information surabondante.
Au chapitre des critiques, on peur regretter quelcp.tes coquilles et inversions de
figure, mais surtout nous avons t surpris de constater qu'aucun chapitre ne trairait
du culte solaire Rome, a.lors que des chapitres sont consacrs l'Indonsie ou
l' Afrigue subsaharicnne, contres pourtant peu intressantes .de ce point de vue.
C'est ainsi que le Mithrasme et la thologie solaire romaine se trouvent clats en
de nombreux endroits de l'ouvrage , er en dfinitive superficiellement abords.
[empereur Julien et son trait Sur Hlios-Roi)) sont bien mentionns, mais
rapidement et au chapirre ...sur les Slaves]
En dfinitive, cc gros album consacre la reconnaissance officielle des mythes
solaires comme patrimoine cultu(r)d de l'h umanit, et, de ce point de vue, le

patronage de l' Unesco esr significacif.

Cc livre apporte une lumire dans cet ge sombre en dmontrant la vitalit
extraord inaire des mythes solaires, enracins dans l'imaginaire humain. Message
d'espoir, il nous moncre l'exemple actuel de pays qui, comme l'Inde ou le Japon,
vivent encore une spirirualit solaire. Enfin il est un hommage, et ce titre, le

Solstice d't 1994

Directeur gnral de l'Unesco rappelle, dans sa prface, la proclamation du RigVeda:

Tout ce qui existe mane de Srya, le Dieu des Dieux.

jean-Christophe MATHEL!N

*M. SINGH et alii, Le Soleil mythologies et reprsentations Bordas/Unesco,

Paris 1993. 500 illustrations couleurs.

ANTAIOS

LE SIXIEME SOLEIL
Signe ou concidence? Voici qu'au moment de boucler le numro spcial
d'AN TAIOS consacr- dans tous le.~ sens du terme- Mithra, parat en librairie un
roman conjuguant cologie, culte solaire er retour des Dieux...
llomcro Aridjis, ambassadeur du Mexique en Europe et militant cologiste, est
connu pour ses nombreux pomes ct romans, dont une "Persphone" (Gallimard
1970). Il nous entrane cette fois dans la puanteur d'une mgapolc prive d'cau et
d'arbres: la tentaculaire Mexico, en l'an de grce (?) 2027. Victime d'une catastrophe
cologique, ravage par les sismes, la cit va-t-elle disparatre conformment aux
prdictions ancestrales des Aztques? Nous vivons actucllemnt sous le cinquime
Soleil, quatre autres l'ont prcd, engloutis sous la fureur des lments dchans.
Les "Annales de Cuauhtitlan"*, cosmogonie des anciens Ylexicains, sont claires:
le monde dpend du mouvement solaire ct il est constamment menac. Un pacte lie
l'homme aux Dieux crateurs dont il doit arroser les autels de "l'cau prcieuse",
c'est--dire le sang des victimes. f.a mort du cinquime Soleil correspondrait la fln
de la race humaine, les tnbres seraient ternelles et l'on verrait dferler lcsTlirzimine
(au singulier Tzitzimitl~), fo mrcs repoussames dvoreuses d'hommes. Pour Aridj is,
les Dieux co ntinuen t se livrer parmi nous leurs combats millnaires. Jos
Huit1.ilopochdi Urbina (comprendre: le Dieu de la guerre et du Soleil triomphant,
Huin-, le grand Dieu cribal qui r~gne sur ~exico) et le gnral Tezcatlipoca (
savoir le Dieu du ciel nocturne, d'aspect sombre et terrible, qui voit se drouler la
surfucc de son miroir d'obsidienne rous les vnements du monde) s' affTontcnt sans
rpit tout en maintenam un rgime de terreur. I.e sinistre Tlaloc (antique divinit
Je la pluie et de l'abondance) s'est rcconverri dans la squestration de jeunes filles.
Q uant Notre Seigneur J'Ecorch, je veux dire Xipe Toree, Dieu du renouveau de
la nature et du printemps, il nat la fin du chapitre YIll de la jeune Mlibe, qui
se revoit Desse de bois vhue de bleu, aux lvres enduites de sang frais.

Solstict d't 1994

Le mystrieux Cristobal Cuauthli traverse les sicles pour aider le hros, Juan de
Gongora, rcuprer une feuille du "Codex des Soleils", drobe par le gnral
l'zcat!ipoca, qui prpare la terreur nocturne. En compagnie de Juan de Gongora,
nous participons une srie d'aventures tragico-comiques dans Mexico ct ses
apocalyptiques faubourgs, un monde toujours la limite de la ralit et de la fiction
(le hros a reu, en mme temps que sa mission, le don de passe-muraille). La prose
exubrante, violeme et pleine d'humour d'Aridjis (la description des Tzitzimine est
particulirement savoureuse) complte merveille l'univers magique sud-amricain,
dj dvoil par G. Garcia Marquz ou C. Fuentes. Le talent d'Homero (!) Aridjis
fera-t-il natre un sixime Soleil pour sauver le monde?

Pascale VERBAANDERT

H. ARID]!S, "La Lgende des Soleils': Paris, Seui/1994, 1IOFF

*Lire ce sujet l'excellente synthse de A. DORSINFANG-SMETS, Les cultes
solaires aux Amriques, in "Le Soleil ta Renaissance': Universit de Bruxelles
1965, pp. 365-380.
PoUl des dveloppements pius prcis sur ta succession des res ou Soleils, voir M.
GRAULJCH, "Mythes et rituels du Mexique ancien prhispanique': Acadmie
Royale de Belgique, Bruxelles 1982.

ANTAIOS

81

LE MYSTERIEUX
TROISIEME TERME DE lA DIALECfiQVE
Sur "EEtoile dt l1.mpire Invisible" de jean Panmlesco.
Avec son troisime roman publi, I:Eroile de l'Empire Invisible, Jean Parvulesco
poursuit une itinraire singulier, paraissant nous livrer les clefs des deux prcdents, <<la
servante portugaise)) (Age d'Homme 1986) et Les Mystres de h Villa Adantisn (Age
d'Homme 1990). Des clefs manier avec prcaution, car, on le sait depuis Heidegger,
l'tre se voile en se dvoilant...
Un beau soir, Raoul de \udeck donne, dans son htel particulier du parc Monceau,
une rception pour annoncer ses fianailles avec la jeune Eliane David. Mais en lieu et
place d'Eliane David parat uneincon nuc, une certaine lady Jeanne Darlington qui,
explique Raoul de Waldeck, a pris la place encore chaude d'Eliane David, celle-ci lui
ayant dramatiquement annonc Vienne sa rupture avec lui, irrvocable mais donr elle
n'elit pu dvoiler les raisons.
[assistance mduse encaisse le coup, et s'offre des passe-temps diversionnisres. Par
exemple, alors que Raoul de Waldeck, lui, fai t en douce Lme cour assidue tme cerraine
Marie-Hlne Zdrojcwski figurant parmi les invits, David Monongo, un diplomate
angolais, hypnotise Jeanne Darlington, gui semble assister mdiurnniquemenr des
scnes insoutenables oi:t Raoul de ~tldeck jouerair un rle importam. Ou enco~e,
Pierre-Andr de Talien violeme Jeanne Darlington sous les feux croiss des regards
stupfaits de Tony d'Entremont, le narrateur, et Charles-i\ntoine Zdrojewski, dissimuls
derrire deux miroirs sans tain se Etisam vis--vis.
Par la suite, David Monongo assassine Raoul de Waldeck, lequel offre t rangement
peu de rsistance, meurtre connotations vaguement pdrastiques; puis le t.ntme
d'Eliane David portant encore des traces de strangulation, apparat et fait tce au cadavre
de son ancien amant, [hou! de Waldeck. Pendam ce remps, d'Entremont, que Raoul
de W:.Jcleck avait incit conclure une Belle Alliance avec Jeanne Dar]jngton, la connat

Solstice d't 1994

82

son tour bibliq uemenr. A la fin de la nuit, Rene de Talien se rconciliera avec son expoux Tony d'Entremont, juste aprs une tentative de suicide, et aprs plusieurs annes
de sparation et divorce dont on connatra les dessous bien plus rard, et Charles-Antoine
Zdrojewski commence filer un part't amour avec lady Jeanne.
Au cours d'tm gigantesque processus d'explicitation des donnes initiales de cette
nuit pa~sablement mouvemente, il apparaitra que ce n'tait l que le dbut d'une
opration magicienne de groupe, qui, des trois pouses de bny d'bmemont (car il
aura connu, son tour, Marie-Hlne Zdrojewski), fera natre la quatrime, qui, elle,
donnera asile dans sa chair fEnvoye du Pays des Hauteurs, laquelle rtablira, de par
son incarnation, l'Imperium- et trs-brve chance. A moins que tout ne soit qu'une
opration magique d'obtention illgale d'une nouvelle chair manigance de longue
date par Raoul de Waldeck er Eliane David, qui avaient t irradis au cours d'essais
nuclaires en Chine?
Tel serait, parmi bien d'autres, un rsum possible de LEtoile de l'Empire Invisible,
trs pauvre aperu d'un rcit qui n'est lui-mme que mise en question dialectique
permanente du rcit, au rcit de la nuit de l'htel \XZdeck succdant une somme
exgtique o paraissent se diluer les prolongements du rcit, exgse assumant le
pa<>sage l'explicite de l'implicite du rcit, lequel rcit n'apparatra son tour plus que
comme illustration, dramatisation de l'exgse. Remplacer les tat~ du tmoignage par
ceux de l'explicitation. Cela, serait-ce dj trallir, dchoir, fuir? (p.lCi7). Sans parler des
titres des chapitres, qui, isolant tel dtail, paraissent esquisser un roman potique qui
serait. encore un n~-cit autre ...
Une mise en question dialectique parmi tant d'autres, tant de dialectiques de
renversement, voire de renversement et de contre-renversement, l'mergence successive
ou simultane de trois moments dialectiques tarlt tme figure majeure du roman, dont
on comprendra ds lors que l'action se rsume en dfinitive crire et aimer - crire ce
roman lui-mme, aimer les trois pouses, figure d'une seule. Ecrire et aimer, seules
occupations de l'tmiverscl (Abellio). Ecrire et aimer, deux occupations dialectiques par
excellence, les deux seules occupations de Tony d'Entremont, narateur d'un roman Oll,
h parr faire de quelques enseignements non dialectiques (les propos cyclologiques, la
confrence de d' Altavilla, le centre du monde retir en Mongolie, la gographie sacre
des temps de la fm, les pyrandes) wut n'est que dialeccique.
Le roman riy chappe pas. Le roman dnonce en permanence son dispositif en
action, et y introduit, dans son dispositif, maints lments allognes: discours thologique,
mtapolitique, posie, propositions cinmatographiques (mettons que...) analogues
aux enregistrements sur ca<;Settcs vido des bats des protagonistes - procd par lequel
la reprsentation se dnonce en tant que telle. Mais le roman intgre le non-roman,

ANTAIOS

comme dans l'opra romantique ou mieux le drame lyrique wagnrien Otl tous les arts
disparaissent pour renatre autres- er tel est l'avenir du roman si le roman a un avenir:
mtaphysique1 potique, thrral.
La linrawre n'y chappe pas. F.lle perd face aux ncessits pdagogiques
d'explicitation rptitive, mais ce qu'elle y perd, elle le regagne sur le plan de la
mtaphysique: <a classe (cf. ((Les Mystres de la Villa Atlantis>>). Finalement, la littrature
gagne donc la partie en la perdant, car elle n'eH au meilleur d'elle-mme que quand elle
a son ce ntre au-del d'elle-mme, dans une transcendance d'ordre mtaphysique.
Elle gagne aussi la partie en dnonant son impuissance ( .. .la littrature n'tablit
nul passage la chair, nul passage au souffic de la bouche vivante ct brlame sous le
souffle) (p.218), car la linraturc qui dnonce ses limires par l-mme les repousse.
[criture n'y chappe pas. Les mtaphores som pousses bout, uses jusqu'au
bour, pour accder, au-del de la mtaphore, l'identification relle. I:hyperbole est
const:anre, pousse jusqu' l'autoparodie Ge m'amuse, tout a n'est qu'un jeu aprs tout,
mais, ainsi pousse bout, elle connat son assomption quand mme, assume qu'elle
est ju$qu'au bout par un extrmisme mtaphysique. C'est pour la mme raison que
l'admirarion la plus haute ne peut gu~re passer de la capacit moquer son objet: seule
certaine race d'homme comprendra la moquerie comme momem dialectique ncessaire
de l'admirarion, et, disait Nietzsche, on connat la qualit d'tm homme la qualit de
son admiration.
I.:criture du roman dnonce donc ct souligne ses procds pour mieux les merrre
en chiffre, pour les faire renvoyer autre chose qu' la douce illusion romanesguc: ainsi
de la dsignation implicire de la mise en abyme Ile dans la c;aronne/lle des Moniales,
au cours de la confrence du conun;Uldeur d'Aitavilla. I..:aveu d'impuissance de l'criture
elle-mme est le gage d\me transfiguration de celle-ci, tt, Face ces exigences, l'criture
tendue rompre en vient des dbordements, des ruptures syntax.iq ues dpassant
encore (;uez-Ricord: <<c'est par ccc interdit rirulique d'amour concernant l'heure seule,
ct seule l'heure, qu'il nous fallt donc fairc l'amour aurrement guand de tanr d'amour
concentr, import en nous, soudain nous ne parvnmes plus empcher l'amour qu'il
vienne se faire - crit Jean Parvultsco pour annoncer la sodomisation de MarieHlne par le narrateur.
Le dire n'y chappe pas. Il est consrammenr dport en-dehors de lui-mme. Il
dnonce son autocensure. Par prtrition, voquant des propositions non-retenues,
non-non-retenues pour la marche suivre du roman en cours, il suggre le non-dir,
voire l'indicible. Le pas-tout-dit, le prcsque-rour-dit dplacent le centre gravitationnel
du dire vers le non-dire, le je-autre du dire.
Les choses n'y chappent pas. <<Au-del de l'vidence)), il y a les choses derrire les

S"lstice d't 1994

84
choses>> dvoiles par le t,rap in the curtain. Les choses ne sont rien en elles-mmes, mais
par la rt.lalit qui se tient derrire elles, elles sont tout. ParVLdesco a sa manire lui de
planter le dcor: l'tat des lieux s'achve et se rsume par un adjectif appartenant tm
champ smantique radicalement diffrent (ainsi p.123 les cumes blanches, hallucines,
FRIVOLES)- cc qui sme le doute dans l'esprit d'tm lecteur dcidment fort maltrait.
Tout est autre est-il dit (p.268).
Les perconnages ny chappent pas, pigs qu'ils sont dans la dialectique de l'tre et
du paratre, manipulateurs masqus eux-mmes surmanipuls, habits par les agents
secrets du Cosmos qu'ils abritent leur insu ou non. D'entre de jeu: Tony d'Entremont
prtend que Rene de Talien serait une cousine de sa premire femme et arbore un
masque d'hostilit son gard. Mais bien vite, il avoue son attirance, et mme beaucoup
plus: Je n'ai pas un seul instant cess de l'aimer en mourir, qu'importent les annes
-ct encore: Un jour, Rene et moi, nous nous suiciderons ensemble>>. Qu'esr-ce que a
veut dire? C'est que, saurons-nous un peu plus tard, Rene est l'ex-fmme de
d'Entremont; et pat la sLte, nous en apprendrons de belles, sur Rene et ses relations
avec lui. Et les autres, ds le dbut, ils ne sont tous proccups que de tre semblant,
donner le change>>. Rene, elle aussi, est masque, mais son masque est tourn vers
l'intrieur, que veut-elle ainsi se cacher elle-mme?.
Mais par qui sont-ils hams, rous, en dfinitive, que.stil)n abyssale s'il en fi.tt. Les
femmes, d'abord: Dea. Victoria, Sabina Poppea, l'Envoye du Pays des Hauteurs,
\'[nnomme des gouffres hyperborens, de qui - Qui - sont-elles les projections
existentielles, vont-elles donner chair de par l'mergence parmi elles d'une chair nouvelle?
Et Timy d'Entremont qui demeure seul en face de toutes, qui est-il au-del de tous ses
masques -sinon celui qu'il se rvle tre lors de sa demascarea generala (p.353), celui
qu'il est depuis toujours en tant absent de son corps -l'absent de la chair jusque dans
l'expression mme du dsir charnel, la Personne dsincarne, le corps masculin rant
d'ailleurs absent du roman (sauf chez Monongo mais il s'agit d'un corps d'animal des
savanes, de lion ou de jaguar) - absent de la chair, mais toujours projection d'un discours
tenu en to utes circonstances, jusques et y compris les plis invraisemblables, je veux dire
celles oi1 il paratrait invraisemblable que l'on tnt pareil discours- qui est-il, projecrion
du discours, instance langagire, sinon Celui qui mit son corps en retrait lors de la
rencontre avec Marie-Madeleine, amorant par-l sa dsincarnation, sa monte vers la
mort, et qui retrouvera chair lors de sa rencontre amoureuse avec Marie-Hlne, Un
amour comme il n'y en a jamais eu en ce monde si ce n'est (...) lors de cette monte
sommitale de l'unique Amour Otl Marie-Madeleine oignit le Christ de ses Huiles
'Transcendemales, et l'essuya ensuite avec Ses Cheveux -et alors, ainsi, de nouveau
Verbum caro factum est, mais quelle chair sinon celle de diamant-foudre, de Vjra

ANTATOS

rouge? En Tony d'Enrremont et par lui, le Verbe, absent de la chair park retrait de Son
Corps face l'amour perdu de .\tarie-Madeleine, s'apprre retrouver une chair audel de la chair par l'amcur non moins perdu des diverses figures d'une mme instance.
Et celJe gui mergea de la DHF (Dernire Haute-Flambe) - l\t1ridienne de l'Eternel
Dsir, ou Innomme des gouffres hyperborens - ne sera-t-elle paii surtout elle-mme
Eliane David?
Car le temps non plus n'y chappe pas, la dialectique tcmairc, et le prsent
apparaissanc conune projection du futur- de l'Inconcevable avenir de l'apparition de
l'Innomme - n'annoncerait peut-tre qu'un futur prsenr conune projection du pass,
de l'entreprise de survie entame par Raoul de Waldeck ct ~-':l iane David lors de la nuit
de l'htel Waldeck.
Non, assurment, k temps llY chappe pas, et si de la mise en question dialecrique
du temps linaire merge un temps sphrique, cyclique, et ce chaque page ou presque
de l'criture de ce roman, par le procd d'anricipation: les fianai lles de Raoul de
Waldeck sont dnonces d'entre comme de soi-disant fianailles; p.40, Raoul de
Waldeck, dans une admirable prophtie visionnaire, dclare d'Entremont: veillez
sur Jeanne, elle sera trs prise cerre nuit, je le sais, anticipation de la triple possession
physique de lady Jeanne; et lorsque Jean Parvulesco, inrgrant des procds traditionnels

du roman, qui, de sc voir intgrs pareil monstre, prennent un relief nouveau,

procde une allusion anticipatrice aux intempries qui :unneronr la catastrophe finale
dom le compte-rendu comprendra lui-mme une alhL~ion atLx orages des jours passs,
alors la sphricit du rernps investit le cours mme de l'criture.
Enfin, la pornographe n'y chappe pas. l:auteur fait lui-mme l'examen dialectique
des pornographies intimes de son roman: justifies par des prtentions comme
d'exprience surnaturelle>, elles changent de statut, qualifies de <<confession au premier
degr ou presque(...), vrit plus vraie que la vrit qui est en elb ... mais cene confession,
elle-mme divine.

le mystrieux troisime terme

C.ette mise en dialectique de la totalit de l'oeuvre n'aura de sens que par l'mergence
d'un mystrieux troisime terme encore voil mais agissant, et qui dj sc laisse pressentir
qu:md l'auteur souligne que le roman investi en force par le non-roman, le roman de
l'impossibilit de l'action est le seul qui correspond aux termes de l'impossibilit de
l'action, de mme que le barrage ontologique Esam chouer la pense hcidcggerienne
sur les sables de son impuissance d'rre est le fait de son identification sacrificielle avec
l'poque qui est celle de l'oubli de l'tre. Impossibilit, impuissance qui, de par leur
prise de conscience d'elles-mmes, ne peuvent qu'tre donnes pour provisoires, le
.\oMice d't 1994

86
roman parvulescien en ses dialectiques d'ombre, en son renoncement tragique au rcit,
mnt l'oppos de toute exprience de laboratoire, est l'annonciation d'un imminent
retour aux temps de l'action, qui se veut, en l'occurence, action magique, ouverture sur
on ne sait quelles oprations grgoriques dont la nuit rve l'htel Waldeck n'est que
la prfiguration. D'o l'importance de la dclinaison magique, perptuellement ritre,
des identits rcapitulatives et des noms, - lie au caractre opratoire, invocatoire de cc
roman comme dlination du je autre et de l'autre du je -jusqu' invitablement, celui
de l'Innomme, ce nom de tous les noms sans nom.
Horizon du passage l'action mtapolitique qui claire d'un jour singtier la victoire
apparente de la vision rtrograde, celle de l'opration tantrique de groupe commence
la nuit de l'htel Waldeck comme procdure d'obtention d'une nouvelle chair par le
couple irradi, car par un renversement ultime, cette victoire sur l'irmdiation renvoie
mtaphoriquement une victoire sur Hiroshima, Hiroslma pris comme origine de la
phase finale du Kli Yuga aprs la termjnaison tragique, &tale, du Yuga du Hros, le
yuga del Hroe dont parle Miguel Serrano, et le destin du Japon, plus de vingt ans aprs
la mort de Mishima est pris comme emblme de nos cyclologies d'avant-garde. Cu
c'est ici que s'affirme hraldiquement la figure rve d'un retour du Japon lui-mme,
au sortir du nant de l'esprit. Retour du Japon lui-mme, que le Japon vive et revive
dix mille ans dit un des pomes majeurs de Jean Parvulesco, et retour au Japon, par un
an ti-Hiroshima aux dix mille soleils de l'F,~prir, qui est aussi retour aux Andes antrieures,
recouvrance dfinitive de la T(,ison d'Or toujours jusqu'alors perdue peine retrouve
(voir aussi, sur ce sujet, la figure de ranmone de mer), retour des Argonaus, victoire
de l'criture en auto-effacement devant la trs-sainte ralit rgnant nouveau l o
parut avoir rgn l'irrel non-tre, ineffable beaut du rel quand le rel est archtype.
jason, tu reviendras. Jason, tu es revenu.
... un sacr pav dans la ftide mare aux scriboLlkmis de cette fin de sicle - de nc
fin de cycle.

Bmrw DIETSGH
Aprs La Servante portugtse et 1<Les Mystres de fa ViilaAtlantis, parus L'Age
d'Homme, (<EEtoile de l'Empire Invisible est le troisime roman initiatique de jean
Parvulesco. Aux .t:ditions Guy Iidartiei La Maisnie, jean Parvulesco a gtzlement
publi ((La Spirale Prophtique, 11Le s<JleiL muge de RaymondAbeUio et Le
Manteau de Glace.
Editions Guy 1iM.aniel76 Rue Claude Bernard, 75005 Ptzrij~ 543 pages, I95FF

ANTAIOS

SUR lE FANTASTIQUE BELGE:

"LES KERMESSES DE l'ETRANGE"
Prolongemem d'une thse de doctorat consacre au "Fantastique dans les lettres
franaises de Belgique au :X.Xme sicle", cet ouvrage monumental tente avec succs
de dlimiter la spcificit du fantastique belge. etudc couvre la priode 183019 14, au cours de laquelle s'panouissent de grands courants litt raire~: romantisme,
naturalisme, symbolisme... Un second volume en prparation, "!.cs Nouvelles
Kermesses de \' Errangc", po msuivra l'enqute travers le XXme sicle er s'arracher<t
aux grands matres: E Hellens, J. Ray ct T. Owen. Souhaitons cerre tude une
prompte paru rion: les qualit$ du premier volume prsagenr d'une suite passionnante.
Ce prem ier volume est en effet rigoureusemenr structur: Eric LYSO I~ rappelle
quelques postulats thoriques, la difficult Je dfinir le genre fantastique er de le
situer par rapport aux catgories littraires traditionnelles. La Belgique, for tement
influence par la vaste production de ses voisins, semble s'tre distingue dans ce
genre. !:auteur nous dmontre que les auteurs helges assimilrent les apports de
Gauthier, l)oc, .'v1aupassant ct proposrent leur tour une vision personnelle du
rcit tnrastique. T.a deuxime partit:, consacre l'analyse des thmes et des procds
narratif.~, regorge d'exemples finemcnr comments.
I.e chapitre consacr l'espace-temps fantastique mer en lumire toute la force
d'une imagination puisant aux sources d'un rd sacralis. [eau, principe fminin
depuis l'origine des temps, la fort impntrable et secrte, la nuit ct ses mystres
deviennent les principaux acre urs de la nouvelle fnrastique. A l'oppos de leurs
voisins franais, qui souvent rcjerrenr la nature au profit de l'arrifice, les crivains
belges rigent de vritables stb au vgtal: arbres et fougres f1scincnt Maeterlinck
e;:t Rodenbach, le contact in cime avec la nature inspire l.l:monnier ses plus belles
pages . .Limaginaire triomphe, l'homme retrouve la pluralit des lments: l'cau est
pierre, glace, diamant, la terre est un giron maternel. La troi~ i me partie, consacre
J.H. Rosny An, dont la vic parisienne ne fit jamais renier ses origines belges,
Solstice d't 1994

dveloppe le thme du fantastique fin-de-sicle et retrouve travers les oeuvres de

cet auteur mconnu les origines de la science-fiction.
La conclusion gnrale montre quel point M. Lysoe a pntr l'authenticit de
notre petit pays. C'est en effet grce sa double culture germanique et romane que
la Belgique a pu imposer son rapport si parriculier au rel. Son got du ralisme,
omniprsent dans la peinture, sa propension au mysticisme, son penchant naturel
au rve donnent naissance une prose "mi-prosaque, mi-potique o se conjuguent
la matire et l'esprit".
Une bibliographie colossale propose un choix de lectures ... pour plusieurs vies.
Saluons au passage l'rudition de M. Lysoe et sa parfaite connaissance des langues
europennes passes et prsentes.
Des centaines de rfrences pour accder la face obscure de la ralit et aux
sources de notre identit!

Pascale VERBAANDERT
E. LYSOE, "Les Kermesses de l'trange ou le Conte fantastique en Belgique du
romantisme au symbolisme': Paris, Nizet, 1993, 590 ptlges, 200FE

Les ditions NIZE'l; spcialises ddns les ouvrages d'rudition et de critique

littraire, publient un magnifique catalogue ainsi que des listes d'occasions.
Derniers auteurs tudis: Anouilh, Huysmans, Lorrain, l Chanson de Roland, le
mythe et Le Symbolisme...
Librairie A. G. NIZET
3bis, place de la Sorbonne
Paris (V). Se rclamer d'ANTAIOS.

ANTAIOS

Dumzil en Autriche
Aprs le somptueux numro spcial de la revue
italienne FUTURO PRESENTE ** , les
disciples du matre de l'ultra-histoire peuvent
consulter celui, tout aussi remarquable, que
vient de publier TUMULf '* . Dirige
Vienne par Walter SEITTER, TUMULT
(Schrifren zur Verkehrswissenschaft) parat
deux fois l'an. Parmi ses correspondants
trangers, elle compte ou a compt Jean
Baudrillard, Michel Foucault, Michel Serres,
Paul Virilio...
Le numro 18 (126 pages) est entirement
consacr Georges Dumzil, "historien et
visionnaire" . Il C(}mprend deux textes du grand
rudit, "La mdecine et les trois fonctions",
publi nagure dans le Magazine littraire
(n229, 1986) et un extrait de "Loki". On y
lit galement des tudes de B. Sergent (Le
paradoxe grec), de EX. Dillmann (Les Dieux
germaniques) parues elles aussi la mme
occasion. Citons galement un texte de M.
Foucault sur le "structuralisme" de Dumzil
et route la polmique qui opposa ce dernier
ses dtracteurs, du moins ceux qui eurent le
courage de s'attaquer lui de son vivant: A.
Momigliano et C. Cimburg. Cessai de D.
Eribon, "Faut-il brler Dumzil" (Flammarion
1992), un modle de rigueur et d'honntet
intellectuelle, avait en son temps dmont les
mcanismes Je la rumeur, savoir Jans ce cas
prcis, la prtendue fascination qu'aurait
exerc sur Dumzil le nazisme (p.13-63 et
297-306 surtout). Walter Seitter rappelle
quant lui l'engagement autrichien de
Dumzil. Celui-ci fut en effet, dans les annes
30, chroniqueur de politique trangre, sous
le nom de Geoges :'vfarcenay, au "Jour",
quotidien d'obdience maurrassienne. Ce

grand journal, auquel collabora Mauriac, tait

alors tvorable l'Italie fasciste - tout en
prcisant qu'un tt! modle socio-politique
n'tait nullement exportable en France et
farouchement antinazi. Rejetant le rgne des
pattis, Dumzil/Marcenay tait obsd par le
pril hitlrien, autant que par la menace
holchvique. On peut y voir l'influence de
Maurras et de Bainville. Ainsi, le 15 fvrier
1934, il crit, alors que Mussolini mas.~e ses
troupes la frontire du Brenner, que le rle
de l'Italie est de "sauver Vienne Je Berlinp.
L'article de W. Seitter nous semble
fonda mental en tant que portrait
philosophique Je celui qui en mars 1985
dclarait: "Je suis l'anti-Hegel".

Christopher GERARD.

* TUMUl.T n!8 (26DM).

Abonnement (2 numros): 32DM. Se rclamer
d'ANTAIOS.
Ver/ag Turia & Kant, Weinberggasse 17, A-1190
WJen, Autriche.
*" FUTURO PRESENTE 2.
Quattro Torri, I-06084 Ellera ScalfJ (Perugia),
20.000/im.
Voir A.N1AIOS 11!, p.74-75.

l es Prraphalites
(1 848-1884)~
D .. Bruckmullcr-Genlot, professeur
l'Universit de Strasbourg, reprend danc cet
ouvrage son doctorat consacr aux "Genses
et gestions des images fminines

Solstice d't 1994

prraphalites" . Son tude retrace. les

diffrentes phases du mouvement depuis la
naissance d'une confrrie prraphalite,
synonyme d'anti-conformisme et de scandale
jusqu' la reconnaissance nationale de BurneJones devenu Sir Edward. Des extraits de
presse rvlateurs de la trs puritaine critique
de l'poque suivent l'volution du phnomne
qui sucita de vritables scandales nationaW(.
Eauteur retrace avec un luxe de dtails la
c.1rrire et les amours des trois grandes figures:
Millais le prcurseur, Rossetti et Burne-Jones.
Eappmche n'est pas purement esthtique mais

D. BRUCKMULLER-G'ENL01; "Les
Prraphalites 1848-1884': Paris, A. Colin,
1994.

0
lECl\JRES PAENNES
J CAMPBELL Les Mythes travers les ges':
Ed. Le jour, Montra/1993.

une analyse de la socit victorienne, en Ouvrage trs clair et trs synthtique,

pa nieul ier de la {lamentable) condition magnifiquement illustr, car compos sur une
ce'm1n1ne vt.ent enrt.chJr l'interprtation du

d
s et laurs
1
interaction entre es Image
"
su jet pictural.
commentaires pour une srie tlvise intitule
'
>'
fC
'Tout, dans cet ouvrage, n est qu eto res "1ransformationsof myth through rime". Cet
soyeuse, ondoyantes chevelures et fleurs essai reprend toute la sociogense de l'homme
dlicates. Nous retiendmns l'oeuvre du peintre depuis les origines prhumaines et montre les
et pote Dante Gabriele Rossetti dont les traces du divin dans la longue histoire de ses
puissantes figures fminines ressuscitent tantt reprsentations.
As tarte Syriaca, la Vnus syrienne, ou le rauteur, trs marqu par la sagesse perptuelle
charme ambigu d'une Persphone la de l'Inde, offre travers l'tude du symbolisme
grenade. Son amiti pour le pote Swinburne, du yoga, du Bouddhisme, du tantrisme, de
admirateur de Poe et de Baudelaire, wnfirme nombreuses mises en perspectives avec le
ses proccupations spitituelles de l'poque.
Christianisme, le Taosme, le Judasme, l'Islam,
Le sulfureW( crivain ne dplorait-il pas dans les mystres de l'Antiquit grecque, la tradition
son "Hymn to Proserpine": "Tu as gagn, 6 arthurienne, et enfin la tradition des crits de
ple Galilen! Le monde est devenu gris sous la Chevalerie et de la Qute du Graal.
ton souffle... "?
[ensemble acquiert ainsi la valeur d'une voie
L'esthtique mdivale et le merveilleux trace aux Paens d'aujourd'hui, qui avec L'aide
arthurien inspireront Rossetti des oeuvres de la sagesse fondamentale wnserve en Asie,
au sombre symbolisme (Sir Lancelot in the pourront reconqurir l'Europe, comme
Queen'sChamber, The Chapel before the Perceval russit reconqurir le Graal. Un
Lists) .. L:apogc de ce courant s'impose dans prcieux livre initiatique offrir autour de
"The Beguiling of Merlin" de BurneJones. vous.
Puisse un courant contemporain s'inspirer du
gnie d'un Rossetti ou d'un Burne-Jones pour j.R SAVIGNAC, ''Les Gaulois, leurs crits
redonner vie nos Dieux!
retrouvs", Le Diffrence, Paris 1994.
Pascale VT:RBAANDERT

ANTAIOS

1
[auteur a regroup dans ce livre tous les textes
gaulois connus, et souligne qu'il pourrait en
exister bien d'autres, si ks muses ouvraient
leurs caves et si les archologues taient plus
attentifs. Cette anthologie, compose
principalement d'i nscriptions, couvre de
nombreux domaines: ddicaces, lois
municipales, formules magique.s, vie
quotidienne, toutes trad uites, annotes au
moyen d'un thesaurus o routes les formes
grammaticales sont expliques. Un index des
mots et une abondante bibliogra phie
compltent cc travail indispensable tous ceux
qui sont aujourd'hui dans la Rsistance.

vient de publier la troisime livraison de la

revue du Cercle. Europen de Recherches sur
les Cultes Solaires (CERCS). L'l prsentation
en est lgante et le sommaire allchant pour
tous ceux qui ne considrent pas uniquement
le Soleil sous so n aspect matriel (et
mercantile). Le 1720me anniversaire de
l'officialisation, par l'empereur Aurlien, du
culte de Sollnvicws y est dignement ft. On
lira aussi une tude sur le symbolisme de la
roue solaire et la suite de la lumineuse rflexion
de V Decombis sur "La danse du Soleil chez
les Huma ins" . Ainsi que les rubriques
habituelles, consacres Hlios. A lire et
mditer pour ne pas "brom.er idiot".

]. FABRF, "Les Repres de l'Empereur jaune,

fonckments cie l'ampuncture et cls taostes de la SOLARJA Ill (t 1994), 40FF, 250FB {port
comwissance': Pards, Puiseaux 1993.
mmpris).
CERCS!;\1aison du Soleil
Disciple de ].A. LAVIER, le restaumteur d<: 63 me Principale, F-6726() Diedmdorj,' AlstU:e.
l'acupuncru re des origines en Europe, le
docteur Fabre a non seulement produit un
livre majeur pour la comprhension de la
mtaphysique du 'laosme et de la mdecine
chinoise, ma is aussi un rravail pas.sionnamsur
la vision traditionnelle de l'homme dans le
PERMANENCE
cadre d'une philosophie perpcucllc relie
qu'elle a t restaure et revivifie par ren
DV DRUIDISME
Gunon et Julius Evola. Un livre rudier et
mditer par rous les chercheurs de vrit.
Nous avons reu deux publications qui
tmoignent, chacune sa man ire, de la
Jean VEltl'hMONT permanence cr de la richesse du courant
celtique contemporain. A savoir le numro
250 (!) d'AR GAEL, la revue du Collge
druidiq ue des Caules, fond dans la
clandestinit en 194.1 et qui se voue la
transmission de la Tradition Druidique, aux
fonct io ns sace rdotales: crmonies du
SOLARIA
calendrier celtique, initiations... Cc numro
Notre ami )ean-Chrisrophe Mathdin, faisant comprend un rappel fo rt utile des tapes de la
preuve d'autane de constance que de courage, renaissance du Druidisme moderne ... et des

SoLtice d't 1994

multiples pripties du petit monde

(grandissant!) nodruidiquc, qui a pu parfois,
hlas, sombrer dans les travers typiques des
chapelles chrtiennes: conflits de personnes,
sc1ss1ons, excommunications, et caetera.
ORDOS 1,618 estle nom d'une jeune revue
consacre "aux mythes, aux mystres ct aux
lgendes de la tradition celtique".
L-l prsentation du numro 1 (mai 1994) est
trs soigne: les responsables d'ORDOS
semblentamhitieux,sansdogmatismepuisque
d'emble, il nous est signal qu'Ordos "ne sera
pas dtenteur de la vrit impntrable de la
tradition celtique.... Ordos ne prche pas, ne
balise pas la mtaphysique, ne rgle pas la
doctrine mais bat les anciens sentiers". Ce
numro I contient la rdition d'une tude
de D'Arbois de Jubainville sur les parents
indo-curopennes des nombres, une tude
originale sur les chiffres 3, 5 et 7 ainsi que de
prcieuses notes de lecture.
Bonne route donc nos amis celtes!

GRJPARI:
NOTRE ANDERSEN.
Mattre Pierre, sans doute l'un des grands
conteurs du XX:me sicle, demeure prsent
parmi nous grce ses livres, traduits en de
nombreuses langues, mais aussi grce au travail
inlassable des Amis de Pierre Gripari.
!:association compte parmi ses membres
. d'honneur des diteurs - je veux dire des
hommes qui ditent de vrais livres, pas des
marchands de papier - comme Bernard de
Fa!lois et Vladimir Dimitrijevic, Jean-Claude
Fasqudle; elle dite un bulletin qui est une
mine de renseignements sur l'auteur de
"L:Evangile du Rien" et des "Contes de la Rue
de Broc.t". Voil une entreprise soutenir!

Amis de Pierre G1ipari

BP 329.16; F-75767 Paris CEDEX 16.

Adhsion: I50FF
Se rcktmer d'ANTAlOS.

AR GAt'L, 120FF l'abonnement.

Collge druidique des Gaules. Monsieur A.
LOGHAT

14, route de Brval, F-78200 Marltes-la-]olie.

ORDOS 1.618.
Ill rue du Gnral B11at, F-44000 Nantes,
Bretagne
Abonnement annuel: 1OOFF
Se rclamer d'ANFAIOS.

0
ANTAIOS

0
"Le latin1
excellent lment de trt
C'est en ces termes que Madame G.
Zehringer, prsidente de la Socit des agrgs,
commentait la rfi)rme de l'enseignement dans
le Figaro du Il fvrier 1994. Elle rappelait
fort propos que la slection pratique
l'entre des grandes coles doit tre qui:able
et dmocratique. En ce sens le latin peut aider

 slectionner les tudiants au mme rit re que

les disciplines scientifiques. Mais les langues
anciennes sont aussi et surtout des instruments
de formation l'heure o1 l'enseignement est
de plus en plus rdu it une simple
information. Il semble en effet que nombre
de responsables (?) ignorent encore ce subtil
distinguo ... Madame Zehringer dcrit
justement le latin comme "favo risant la
logique, le raisonnement, la clart du style et,
par consquent, la communication" . Les
litratu res latines et grecques, "rservoirs
d'ides", comme antidote l'amricanisation
des moeurs, la barbarie montante et lafolie
meurtrire des micro-nationalismes?

EPSilON

F'-75006 Paris, tl: 45445300,

Lta!ogue et recherches. Se rck1mer d'ANTAJOS.

Philosophie antique
Les ditions OUSL'\ de Bruxelles viennent de
publier un remarquable recueil d'articles du
p rofesseur Robert Joly consacrs la
philosoph ie ancienne. Robert Joly est
professeur aux Universits de Mons et de
flruxelles. Il a publi de nombreux ouvrages
dont "Le I'Ocabulaire chrtien de l'amour estil original?" (Universit de Bruxelles 1968),
"Christianisme et philosophie" (Universit de
Bruxelles 193),"Propos pour mal-pensants"
(Union Rationaliste 196 1), "Origines et
volution de l' inrolrance catholique"
(Universit de Bruxelles 1986). Il a galement
traduit, aux Sources Chrtiennes, "Le Pasteur
d'Hermas" et plusieurs volumes d'Hippocrate
aux Belles Lettres.
De Pythagore C rgoire de Nysse, en passant
par Plawn, Aristote, le stocisme, le moyen
platonisme, mais aussi Dion Chrysostome,
Lucien de Samosate, Justin, ct quelques thmes
philosophiques et rhologiques majeurs, parmi
lcsq ucls la charit et la saintet paennes, c'est
peu prs tout le champ de la philosophie
antique qui est voqu avec brio dans cet
ouvrage de 328 pages.

Tous les amoureux de la Gr-ce, celle d'Homre

ct de Sfris, doivent sans tarder pousser la
porte de la librairie Eps ilon, sise rue de
Vaugirard o ils seront chaleureusement
accueillis par Stavros LENIS. Ce libraire esr
un amoureux des livres l'rudition
impressionnante, qui, en cc sicle barbare
(barbaros signifiant "qui ne parle pas grec")
et mcanis, se livre des passe-tem ps
d'autrefois: la bibliophilie, le philhellnisme,
l'hospitalit... enfin ce genre de vieilleries. JI
pousse l'outrecuidance jusqu' pratiquer des
prix corrects et parler un franais chti, cc
qui est carrment suspect. A surveiller de prs! R. JOLY, "Gh.nes de phiwsophie antique':

EPSILON
33, rue de Vaugirmd

Ou.da 1994, 800FB (port compris)

j usqu'tUt 15 septembre 1994 (au lieu de
995FB).
Verser cette somme au CCP 000-0024326Solstice d't 1994

76 d'!:!.!trorgan, rue Bosquet 37, B-1 060

Bruxelles. Pour la France, crite cette
adresse en se rclamant d'ANTAlOS.

0
Le recours aux forts
Tel est le titre, trs jngerien, de la
remarquable revue culturelle alternative de
l'association "Nouvelle Ecologie". Publication
trimestrielle, Le Recours en est son deuxime
numro. Au sommaire du nl: un dossier
original sur l'alimentation, acte culturel: de la
gastro-nomie la gastro-anomie. Les
conduites alimentaires, de plus en plus
aberrantes, Je nos contemporains y sont
analyses sans complaisance ni catastrophisme
exagr. la conclusion Je C. Fischler est
citer: "identifiant mal les aliments qu'il
absorbe, le mangeur a de plus en plus Je doutes
sur sa propre identit".
Le numro II est consacr la crise de la ville
et comporte un enrretie.n avec Antoine
Waechter, qui serait citer in extenso pour
son intrt. Le respo nsable des Verts, disciple
d'Edward Goldsmith, y fait quelques mises
au point sur la citoyennet, la lacit et les
identits culturelles, le rgionalisme comme
contrepoids l'unification europenne, etc...
La lectu re Je ce priodique s'impose pour tous
ceux qui entendent penser l'cologie, hors des
sentiers battus.

Le recours aux forts

78bis avenue de la Rpublique
F-785 00 Sclrtrouville Tl: 39573637.

ANTAIOS

11 OFF. Chques l'ordre deL. OZON.

Se rclamerd'ANTA!OS.

Citons gaiement la jeune association belge

EUPHORB!A (hropedesforts), qui vise
faire connatre les traditions ancestrales,
promouvoir la conservation des habitats
naturels, de la faune et de la fore sauVtlges.
Ble mganise des priples forestiers dans
toute J'Europe, y compris l'Est.
Elle se rclame des philosophes de la nature
jean DORST, Robert HA/NARD, Otto
KOENIG, Konrad LORENZ, Rolandde
M!LL!:_R.
EUPHORB!A
MonsieutA. GUISSART
Route de la Fagne 33
B-6460 Chimay, Belgique.
Se rclamerd'ANTAJOS.

--- -

- --- \

'

SoLstice d't 1994

Qu'est-ce qu'An tai os ?

A 1'occasion du 1600~me anniversaire de l'interdiction par l'empereu: Thodose de tous

les cultes paens (8 novcmhn: 392), un groupe d'universitaires brabanons a gond un cercle

europen de rflexion sur le Paganisme, ANTAl OS. Dans la mythologie grecque, ANTAlOS
tait un gant, fils de Poseidon (l'Ocan) et de Caia (la Terre), qui vivait en Lybie et fo rait
tous l e.~ voyageurs lutter avec lui. Antaios remportait ro ujours la victoire: il tait invulnrable
tant qu'il touchait l'lment primordial dont il tait issu, la Terre. Seul Hrakks parvint le
vaincre en l'empchant de reprendre ses fOrces. La symbolique Je ce mythe est claire : c'est en
gardant le contact avec notre sol que nous resterons nous-mmes, capable; de relever tous le.~
dfi, d'affronter toutes les temptes. En revanche, si nous nous coupons de nos origines, si
nous oublions nos traditions, tt ou tard nous serons balays, tels des ftus de paille, privs de
force et de volont... Cc socle protecteur, ce sol vivifiant, c'est le Paganisme immmorial,
c'est l'antique fidlit nos Dieux. Non poinc des Dieux personnels et misricordieux, jaloux
ct intolrants, image combien dgrade et infantilisante du Sacr mais des principes
intemporels, des modles ternels qui doivent nous permettre de nous pro;eter dans un avenir
grandiose, digne de nos aeux.
ANTAlOS esr aussi le nom d'une prestigieuse revue dirige jadis par des Europens selon
notre coeur : Ernst Jnger ct Mircea Eliade. Elle publia Je grands espritS du temps comme
Borges, Cioran, Evola, Ndli, .. .
Anraios est enfin le nom d'un jeune cercle de rflexion, enracin en Brabant mais ouvert
sur l' Eu rope ct le monde, qui entend, dans la mesure de ses moyens, promouvoir lc:s recherches
srieuses sur le Paganisme, revivifier une conception paenne du Sacr et y sensibiliser nos
contemporains. Par des confrences, des voyages, par l'dition de livres rares ou indits: npus
pensons publier un essai sur "les morales ngatives", un auue sur les insutions de l'Islande
paenne, un texte de Friedrich Georg Jnger sur les sagas, un ouvrage monumemal sur les
rsistances paennes en gaule du kr au !Xme sicle ...
ANTAlOS publie aussi une rev-ue trimestrielle, qui se veut le forum o s'exprimeront
tous ceux qui aspirent une renaissance paenne. '!out xte formulam Je lllallito:: positive
l'Esprit du paganisme, sa substantifique moelle, toute information intressante sur des groupes
scmblabk> au ntre seront les bienvenus. Nos traditions y seront tudies sous un angle qui
n'aura rien Je passiste : nulle lamentation sur la "mort des Dieux", concept nos yeux vide
de sens. ANTAIOS se place sous la rouelle de JUPITERJ1ARANIS, le trs bon ct le trs
grand, symbole d'ternit et de puissance, mais aussi de syncrdsme : ZEUS, JUPITER,
THOR ou 1ARANIS reprsentent un mme principe...
ANKIAlOS travaille Jans un esprit de tolrance et de refus du dogmatisme qui est le
propre de la civilisation europenne.

ANTAIOS