Alain Corbin - L'homme Dans Le Paysage
Alain Corbin - L'homme Dans Le Paysage
Alain Corbin - L'homme Dans Le Paysage
Ie son cieuwe.
'
ISBN : 2-84597-QS7-7.
Diffusion Le Seuil
L'homme
dans 'le paysage
L'homme
dans ie paysage
I
Alain Corbin
Entretien avec Jean Lebrun
1 sommaire
7 Comment l'espace
devient paysage
55
99 Pratiques d'espace
129 Paysage et mtores
147 L'homme et la prservation
du paysage
183 Notes
187 Table des illustrations
Comment
l'espace
devient
Le paysage est faon d'prouver et d'apprcier l'espace. Or, cette lecture, qui varie selon
les individus et les groupes, ne cesse de se
modifier a u fil du temps. Il faut donc prendre
conscience de cette historicit quand on
aborde le sujet. Ainsi, la manire de regarder
s'est profondment transforme depuis la
Renaissance. La notion de panorama, comme
la mcanique d u regard qui conditionne l'admiration suscite par le jardin anglais,
appartient l'histoire. Mais le paysage ne se
rduit pas un spectacle. Le toucher, l'odorat, l'oue surtout, sont aussi concerns par
la saisie de l'espace. Tous les sens contribuent
construire les motions que celui-ci procure.
Il convient, en effet, de prciser ce dont nous allons parler, tant la notion de paysage est floue. Les gographes,
quand ils l'voquent, dcrivent ce qui s'impose avec le plus
d'vidence ; c'est--dire ce qui ressortit la morphologie
et l'cologie. Pour eux, l'histoire des paysages est celle
de la manire dont ils se sont forms et dont ils ont volu, selon la tectonique, le model, l'volution des milieux
naturels, celle de la flore et de la faune, les systmes de
production et d'change ainsi que, plus gnralement,
selon les modes d'intervention de l'homme. Il existe toute
une bibliothque consacre aux paysages conus selon
cette acception. La fascination exerce sur les gographes
par la photographie arienne a traduit le triomphalisme
d'une science avide d'objectivit. Longtemps a domin
cette notion de paysage dfini par sa matrialit, puis la
rflexion s'est complique grce l'intervention des philosophes, des sociologues, des anthropologues1.
Le paysage est manire de lire et d'analyser l'espace, de
se le reprsenter, au besoin en dehors de la saisie sensorielle, de le schmatiser afin de l'offrir l'apprciation
esthtique, de le charger de signfications et d'motions.
En bref, le paysage est une lecture, indissociable de la
personne qui contemple l'espace considr. vacuons
donc, ici, la notion d'objectivit.
rage ont dessin de la Bretagne intrieure une image arcadienne inspire des potes, notamment de Brizeux. Pour
revenir notre dfinition, le paysage est donc une lecture
ou, le plus souvent, un entrelacs de lectures dont la diversit peut susciter le conflit.
Mais les gographes disaient dj qu'il n'existe pas de
paysages naturels et qu'il n'y a que des paysages culturels ...
Ils ont reconnu, bien entendu, les traces de l'intervention humaine, surtout dans la perspective de la gographie franaise sur laquelle Vidal de la Blache a imprim
sa marque. Mais les gographes, avant une date rcente,
n'avaient pas soulign l'historicit des gnlles de lecture.
Or, nous y reviendrons, les systmes d'apprciation,
constitutifs du paysage, sont en permanente volution.
Un espace considr comme beau un certain moment
peut paratre laid tel autre.
Vous recommandez donc l'apprhension de l'espace
par la gographie, l'histoire, l'esthtique, la philosophie.
ne le contemple plus.. . Il s'agit l d'un problme essentiel, que nous retrouverons propos de la conservation.
On comprend donc mieux l'objet de ces entretiens: si
les manires d'apprcier l'espace voluent, celui que
tente d'laborer une histoire des paysages est oblig de
pratiquer l'immersion successive. Il lui faut, en pralable,
tenter de retrouver le systme d'apprciation tel qu'il
s'imposait telle poque, face un mme espace, indpendamment des modifications apportes l'aspect de
celui-ci. Considrons, par exemple, la pointe du Raz. Elle
n'a certainement pas t profondment transforme dans
sa morphologie. Cependant, il existe une histoire du paysage de la pointe du Raz. Au dbut du X I X sicle,
~
celleci subit l'influence d'un systme d'apprciation produit
en cosse, propos des Hbrides et de la grotte de Fingal,
aisment transpos en France du fait de la relative sirnilitude des formes.
Ce que vous recommandez est donc une mthode
exprimentale. Il s'agit de se mettre dans une situation
d'excursion - vous dites d'immersion ?
Franois Ellenberger3a relat des expriences trs intressantes menes avec des tudiants. Il les a invits
regarder le mme paysage divers moments de la journe, selon des codes qui correspondaient des sicles
le rsultat de l'rosion. La modification est fondamentale. Nous sommes tous, depuis l'enfance, assurs du travail de l'rosion et nous regardons l'espace en fonction
de cette conviction scientsque. De ce fait, nous ne
voyons pas la mme chose que des individus qui vivaient
il y a deux ou trois cents ans. Le mme espace ne nous
inspire plus les mmes mditations et ne nous suggre
plus le mme type de contemplation.
Que peut-on faire, quand on escalade le Ventoux,
pour pouser le regard de Ptrarque ?
l'aube de la peinture de paysage. Serge Briffaud a montr l'importance de cette lecture de l'espace propos des
Pyrnes. Le regard peut aussi tre ordonn par des syrnboles. La peinture hollandaise de marine exalte, au
XVII~sicle, la puissance des Provinces-Unies. Linsistance
avec laquelle les peintres hollandais des rivages s'arrtent alors sur la pche au hareng se rfre au miracle
biblique du lac de Tibriade. Au dbut du X V I I ~sicle,
le regard de certains observateurs est fascin par le miroitement, par le jeu d'optique, par l'anamorphose. Le pote
Saint-Amant s'intresse la mer ; il fait de ses vacuits
mouvantes le thtre de l'illusion. Grard Genette6a bien
analys ce moment de l'histoire sensible. Par la suite,
s'impose cette mcanique du regard dont rsulte le jardin anglais. Il s'agit l d'une autre attitude spectatoriale
abondamment tudie et laquelle on a confr une porte politique. Le jardin anglais implique une manire de
se poster face des scnes successives, de balayer l'espace de manire panoramique. la fin du xvrire sicle,
le pasteur Gilpin suggre de nouvelles modalits du parcours, nous y reviendrons, et un usage plus dynamique
du regard, fond sur la surprise, la chasse au point de
vue qu'il convient d'enfermer dans un tableau.
Le XIXe sicle inaugure un nouveau rgime scopique,
pour reprendre l'expression utilise par Jonathan Crary7.
gens est construit d'une autre manire que celui des personnes ges et que l'aptitude la lecture d'un clip n'est
pas la mme. Il faut s'arrter chacune de ces tapes
si l'on veut comprendre la manire dont.les individus
pouvaient voir et regarder.
Il existe donc une grande diffrence entre la perception
<< immobile >> - l'alpiniste de Caspard Friedrich qui est post
en haut de la montagne - et la perception de l'individu
en mouvement. Mais il est d'autres civilisations qui ont
eu d'emble une perception mobile. Je crois que ce que
les Japonais voient dans leur espace, dans leur jardin
se droule au rythme de la promenade ...
et les modes de contemplation du paysage sont troitement lis. Les peintres reprsentent ainsi des runions
organises afin de jouir des effets de la lune ou de la
beaut des cerisiers en fleurs. Ces occasions de runion
ancrent l'apprciation collective du paysage. Les
estampes japonaises des X V I I I ~et X I X ~sicles ont pes sur
la manire de percevoir l'espace en Occident ; mises
la mode par les Goncourt, ces uvres ont influenc aussi
bien Van Gogh que Monet et les Nabis. Ce qui me parat
ici le plus important relve de l'art des paysages estomps et de l'attention porte au moment du jour et de la
nuit - nous y reviendrons -, aux effets des mtores, c'est-dire de la brume, des brouillards, de la pluie, de l'humidit de l'air.
Pour en revenir la modification de la vue par la mobilit:
nous pourrions prendre l'exemple - vous allez me dire que
c'est franco-centriste - du Tour de France. Les vues prises
par la moto et la voiture suiveuse, ou par l'hlicoptre, ont
contribu une meilleure saisie du territoire national.
C'est--dire que vous ressentez ce qu'prouvaient les voyageurs circulant soixante kilomtres-heure au dbut du
X I X ~sicle. Je ne suis pas du tout certain que les enfants,
qui ont t habitus au train grande vitesse, auront,
devenus adultes, votre impression de paysage aspir.
Aux tats-unis comme en France, le long des autoroutes,
on a plac de grands panneaux qui incitent poser le
regard sur certains espaces, sur des curiosits naturelles
ou des monuments clbres. Il en est de mme, lors de
certains parcours ariens, des invitations du commandant de bord qui se transforme alors en guide touristique.
Ces pratiques relvent, bien entendu, de l'esthtique
imprative; elles tendent dcouper des tableaux au
cur de l'espace parcouru, dans la mesure o l'attention se trouve sollicite par intermittence. Du mme
coup, elles contribuent restaurer l'admiration des
points de vue , alors que celle-ci dcline depuis des
Jean Dubreuil,
La perspective pratique...,
Paris, 1642; page 121 :
instrument utilis par un peintre
pour dessiner en perspective.
Johann Christian
Clausen Dahl,
Vue du chteau Pillnitz,
vers 1824.
Huile sur toile,
70 x 4 5 5 cm.
Essen, Museum Folkwang.
Nous oublions trop souvent que les vues ariennes ne datent pas
de l'invention de l'avion. La dcouverte de la terre m e du ciel s'est opre
l'extrme fin du XVIII~sicle. Durant plus de cent ans, c'est le b a h qui,
sous ses diverses formes, a rendu possible l'ducation du regad vertical.
Cette peinture datant de 1855 associe troitement ce nouveau paysage
l'exploration du ciel et des mtores.
Henry Le Jeune,
Jeune femme
dessinant, paysage,
non dat. Huile sur toile.
Collection prive.
Il me semble que nous pouvons parler de paysage partir du moment o l'espace est offert l'apprciation
esthtique. Il en est ainsi de Chateaubriand lorsqu'il nous
parle du son des cloches ou du bruit du vent, de Shelley
voquant les sonorits de la grotte. Les romantiques
savourent le paysage sonore en mme temps que celui
qui se dploie sous leurs yeux. Le reste se rfre l'environnement. Mais il est vident qu'on ne peut construire
un paysage qu'en tant insr dans un environnement
que l'on analyse et que l'on apprcie.. .
Vous diriez qu'un paysage s'apprcie,
alors que l'environnement se calcule ?
telle que nous l'avons dfinie est inadquate. Ils pourraient mme estimer que le terme d'environnement est
critiquable dans la mesure o il implique la prsence de
l'homme. kxpression protger l'environnement , laisse
entendre que l'homme est immerg dans une nature qu'il
convient de sauvegarder pour assurer sa survie ou son
panouissement. Or, aux yeux de certains, la protection
de la nature se suffit elle-mme.
la limite, les rochers ont des droits...
Celui qui se retirait dans le silence exprimait ainsi sa supriorit. Il n'est pas d'tude du paysage sonore sans rflexion
sur le silence, puisque celui-ci constitue une toile de fond
qui conditionne la possibilit de l'apprciation. Ainsi, au
cours de ce mme X I X ~sicle, la manire d'couter la
musique s'est trouve profondment modie. C'est alors
que s'est impose l'injonction de recueillement dans les
salles de concert. Aujourd'hui, nous ne supportons plus
la moindre toux, le moindre bruit en ces occasions. Nous
sommes, en quelque sorte, construits de cette manire,
la diffrence des auditeurs du dbut du X I X ~sicle.
Cela dit le silence se trouve disqualifi par d'autres processus qui contredisent l'injonction de recueillement
l'intrieur des salles de concert. Il assurait la disponibilit la prire et la mditation. Caffaissement de la
pratique religieuse a fait quelque peu oublier cette vertu,
malgr l'instauration de la minute de silence, qui est
tentative de le resacraliser en dehors de toute rfrence
religieuse.
Au X V I I ~sicle, dans l'une de ses instructions, l'abb
de Ranc dtaille tous les avantages du silence.
Chateaubriand, auquel son professeur ordonne d'crire
une biographie du fondateur de la grande trappe, se
montre trs frapp par l'importance de celui qui rgnait
Soligny. Mais la porte de ces deux silences - celui
Vous posez l un problme philosophique qui nous entranerait trs loin: celui qui concerne les paysages de la
mmoire, longuement trait par Simon Schama13.Il n'est
pas de perceptions vierges, en quelque sorte ; chacune
est travaille par la mmoire.
Comment se construit-on son paysage propre?
Expliquez un peu.. .
Il y a dj bien longtemps que Pierre Francastel a montr qu'un espace cloisonn avait, au Moyen ge, prcd la saisie perceptive qui unifie ce qui se dploie sous
le regard. Il est vident que le primat du visuel, dont
nous avons parl, est li cette rvolution. Certes, cela
fait l'objet de beaucoup de dbats dans le domaine de
l'histoire de l'art, qui ne sont pas de notre ressort. Quoi
qu'il en soit, la perspective a prpar cette mcanique
du regard pos sur l'horizontalit d'un panorama, qui
dfinit la modernit. En ce qui concerne l'paisseur, la
fin du X V I I I ~sicle et le dbut du X I X ~ ,comme en bien
des domaines, ont marqu une rupture. La fabrication
de la gologie, pour reprendre le titre de l'un des
ouvrages de Roy PorterI5, et, plus prcisment, l'invention de l'chelle stratigraphique ont modifi la perception des paysages. Elles ont, ainsi, dtermin le
regard port sur les falaises littorales, sortes de coupes
gologiques ciel ouvert. Cela se peroit aisment sur
les gouaches et les croquis des voyageurs anglais. La go-
Le paysage
SOUS
influences
De multiples logiques dterminent la manire d'apprcier l'espace. Les croyances, les attentes, les modalits de l'anxit, les rfrences culturelles, le dessin
de lieux imaginaires ainsi que les vises conomiques
psent sur l'laboration des codes esthtiques et des
systmes d'motions qui conditionnent l'admiration
ou la dtestation. Ehistoire du paysage implique donc
une analyse de tout ce qui influe sur la faon de charger l'espace de significations, de symboles et de dsirs.
Il en est ainsi des simples croix sur les bords de la route ...
morales que nous avons nghges. J'voquais prcdemment l'ascension du mont Ventoux effectue par
Ptrarque. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas l
d'une simple excursion. Ce pote n'est pas un anctre de
nos promeneurs du dimanche.. . Sa dmarche relve aussi
de la prire et de la contemplation. Le randonneur germanique de la fin du X V I I I ~et du X I X ~sicle, le promeneur romantique, l'excursionniste sont, eux aussi, anims
d'une intention morale, d'un dsir d'exalter l'effort. Les
figures de l'aventure telles qu'elles se dessinent entre 1890
et l'exprience qui nous est dite par Malraux sont connotes par certaines formes de paysages. C'est, en effet,
l'extrme indu X I X ~sicle que l'Aventure commence de
s'crire avec une majuscule. Dsormais, elle sous-tend
totalement la vie de ceux qui ont dcid de s'y adonner
et de mener leur existence selon des modles emprunts la littrature. Ds lors, l'Aventure implique des
valeurs, un mode de construction de soi au sein de paysages qui se situent sur les fianges des territoires exotiques
touchs par la civilisation. D'une faon gnrale, l'apprciation de l'espace et des foules qui l'emplissent est
trs imprgne de jugements de valeur. On pourrait encore
citer, ce propos, la faon dont Louis-Sbastien Mercier
labore son Tableau de Paris, la fin du X V I I I ~sicle. La
manire de dcrire la ville et de l'apprcier rsulte bien
ce qui est mobile, tout ce qui est ventil, est peru comme
sain. Cela est alors plus important que la qualit de l'eau :
ainsi, l'on a longtemps dout de l'origine hydrique du
cholra. Un tel systme de convictions scientifiques a
conduit goter les espaces ventils et dprcier trs
fortement les paysages au sein desquels semblait rgner
une totale immobilit. Quand l'eau stagnait en mme
temps que l'air, cela semblait l'abomination.
Pourtant il y a des eaux qui ont mauvaise odeur
et qui taient considres comme bnfiques :
l'eau d'Enghien tait utilise ds la fin du xvrrr sicle.
Gologues et gographes ont, peu peu, impos une lecture de l'espace, certes socialement cantonne, ordonne par la morphologie: relief pliss ou relief de cte
(cuesta), failles, synclinal perch, nappes de charriage,
moraines, etc. la fin du X I X ~sicle - et ce n'est qu'un
exemple - le gographe lise Reclus20rdige une srie
d'ouvrages qui vulgarisent cette lecture de l'espace,
laquelle conditionne fortement notre conception du paysage. Eun de ses livres : La Montagne vient d'tre rdit.
Vous ne parlez pas de l'influence de la cartographie ...
Celle-ci a, effectivement, beaucoup pes sur les reprsentations de l'espace. Ainsi, on a cru, trs longtemps,
que les montagnes taient fort nombreuses sur le territoire franais. Le gographe Buache pensait que l'ossature du globe tait compose de chanes juxtaposes qui
encadraient des sries de bassins. Il ne faut donc pas
s'tonner que, sur certaines cartes du dbut du
X D ( ~sicle, figurent des montagnes jusque dans la France
du nord. En ce temps, la perception des altitudes diffrait de la ntre. D'o la qualification de << mont , qui
bien souvent subsiste dans la toponymie, applique des
reliefs qui nous semblent, tout au plus, de modestes collines. l'heure du tourisme de masse, cela a facilit la
construction de mtaphores telles que : << la Suisse normande ou << les Alpes mancelles m, mais l'outrance de
ces appellations tait dj perue. La mesure des altitudes et des profondeurs, les cartes orographiques et
bathymtriques ont modifi la lecture de l'espace.
Est-ce que vous vous tes interess aux endmits que l'on continue
e n c m nommer? Aux Kerguelen, existe une commission
de toponymie qui se runit deux fois par an pame qu'il Este
des endmits sans appellation. La d72omination est l'uvre
d'individus qui, bien souvent, ne les ont jamais vus.
Jean-Paul Kaufmann raconte cela dans son l i m sur les Keryuelen.
N'oublions pas, pour autant, ce qui relve de la cnesthsie. Avant la fin du X I X ~sicle, la plupart des voyageurs
dtestaient le fort soleil et ils cherchaient s'abriter de
ses rayons. La qute de l'ombre et de la fracheur gouverne les pratiques, mme dans les pays dont on apprcie la beaut. Lorsqu' la fin du X I X ~sicle, commencent
de se multiplier les sanatoria, une rvolution s'opre dans
le systme d'apprciation. Au X X sicle,
~
chacun le sait, a
William Gilpin,
Voyages en diverses
parties de l'Angleterre.. .,
Parisbondres, 1789 ; tome 1,
page 336 : * On s'est propos
de donner ici quelque ide
de cette espce de scne
de rochers dont est compos
le vallon appel GatesGarWale.
William Gilpin
demeure, sans
conteste, le principal
thoiicien d u pittoresque.
B s a r t k i a n s'appuie SUT
un espace mstmint: celui
de la Grad-Bretagne. Son ari rpond
presque toujours une vise didactique, comme
c'est ici le cas. La qute de la surpise au dtour
du chemin drive, Men entendu, de la mcanique du regard
impose par le jardin, mais Gilpin en tend considemblement le champ.
Les g ~ ;de la Rvolution et de I'Empire, en interdisant le * grand tour * et en
imposant un repli sur l'le, ont facilit la diffusion des pratiques suggres par le pasteur
7
Alexander Fdherr
von Humboldt,
Volcan de Jor'ullo.
Aquatinte de Gamiii
tire du carnet
de voyages,
Vue des CordilIiii?~,
1810.1815.
On ne di7utJanaais
assez 1'9nfluence
e m 6 e par Humboldt
SUT l'imagin@im
de l'espace. Ses carnets
de voyage2ses atltres
OUmiagt%, notemment
Cosmos, ont fottencent
contribu ancm
le & S k de &COUtWl%
de la plu&*
Ils ont alaqi la gamme
des paysages T&&&,
Il3 ont lrlvtll
la dkrersit u made.
Selon sa d&nmmhe
.whtim,Humboldt
associe s h d k m n t
les mMolt?s
la morpkoiqk.
R accentue a i s i
un tmt de la cultute
gensble du pnmiet.
xm sicle,
William Turner,
Fire at Sea, 1835.
Huile sur toile,
171,5 x 220,5 cm.
Londres, Tate Gallery.
La rf-ce
l'ancienne physique
des lements se trouve
tout la fois magnifie
et brouille. La mer,
l'air, le feu, la t m
se confondent en
un chaos sublime.
E n 1835,
Turner renouvelle
enpr0f-r
le pathtique
du naufrage du sicle
prcdent. Il n'est
plus, ici, question
de rcapitulation
des sentiments
et des gestes. Le destin
de l'individu se fond
dans le tragique qui
constitue la scne.
E u m tmoigne
du changement
du m g a ~ pos
sur l'espace.
Elle fait mssentir,
par le pamxysme
manire dont l'homme
peut, &sormais,
s'prouver dans
le paysage.
que les clients du bon docteur ont model leur apprciation sur ses conseils. Cette littrature mdicale souligne,
en outre, l'importance de la notion d'idiosyncrasie.
Chaque individu possde sa faon propre de ragir. Cette
conviction incite les patients trouver, l'intrieur d'un
espace conseill, l'endroit prcis qui leur convient le
mieux. Ainsi le sir Townley, valtudinaire qui cherche la
gurison par l'immersion dans un cadre naturel, passe
l'anne 1789 dans l'le de Man. Il note ce qui caractrise chacune de ses journes, la promenade qu'il a effectue, la qualit de l'air, qu'il soit doux ou piquant. Les
Anglais possdent, ce propos, un vocabulaire extrmement prcis qui permet d'exprimer toutes sortes de
nuances. Townley finit par se crer ainsi une gographie
sentimentale et thrapeutique de l'le.
Et donc selon le temps et son humeur, il se cre un abri,
il dcouvre u n chemin ...
La vue dominatrice du stratge est l'origine de la peinture de paysage qui, initialement, se concentre sur la
reprsentation du passage des horribles montagnes. La
vue icarienne - et aujourd'hui la vue d'avion - a toujours
t lie, ft-ce implicitement, des vises de conqute
ou de dfense. Bien des uvres majeures de l'histoire
de la peinture de paysage rpondent au dsir du souverain de prendre la mesure de son territoire. J'ai nagure
montr, je le rpte, combien la srie des ports peints
par Joseph Vernet rpondait celui du ministre de montrer au roi, la Cour et la Ville, les limites maritimes
du royaume et la puissance de sa marine ; et comment
le peintre avait d tenir compte d'un autre dsir, celui
des diles soucieux d'exalter la particularit et la localit. N'a-t-on pas prtendu que le jardin anglais matrialisait les ambitions politiques des Whigs? Au
X V I I ~sicle, nous l'avons dit, la 4 marine >> hollandaise
rpondait au dsir d'exalter la puissance de la Rpublique
au got du pathtique, lequel permet l'artiste un inventaire des motions. Une scne de naufrage, par exemple,
dans la peinture du XVIII~sicle, autorise rcapituler les
ges de la vie, les sexes, les statuts sociaux, les attitudes
qui illustrent les diffrentes valeurs, les diverses passions.
Un tableau de naufrage est, par dfinition, sublime.
J'voquais la foudre, la tempte, mais ce peut tre aussi
la fascination du gouffre, l'horreur du vide, l'attrait des
vacuits mouvantes, les fantasmes d'engloutissement
dans la viscosit, la fusion panthiste; tout cela se
retrouve la fin du XVIII~sicle et contribue expliquer
l'attraction de la mer, de la montagne, et, plus tardivement, de la fort et du dsert. l'aube des Temps
modernes, les montagnes figurent les verrues de la
Cration ; elles semblent un territoire satanique. Peu
peu, elles apparaissent comme de dlicieuses horreurs
qui procurent le frisson ; en un mot, elles sont sublimes.
Qu'en est-il d u pittoresque ?
pratique la chasse au paysage. Ses livres abondent en descriptions pittoresques. Le touriste qui, aujourd'hui, photographie les sites traverss ne fait gure autre chose que
de chasser son tour le point de vue et le tableau.
Ce qui me conduit vous questionner SUT la photographie.
Bien entendu. Par exemple, nous avons nglig l'rotisation de l'espace. Coasis contraste avec le dsert. Il est le
type mme du paysage rotis : l'eau y coule profusion
dans les fontaines, on y trouve du miel et des dattes ; les
Cette technique s'est beaucoup dveloppe. Il existe aujourd'hui un Observatoire du paysage qui est capable de prsenter des photos successives d'un mme lieu. Les spcialistes de cet observatoire tudient la manire dont les
spectateurs ragissent aux modifications du paysage. On
s'aperoit, propos des banlieues notamment, que l'admiration, la dtestation, le regret, la nostalgie sont ingalement partags et socialement cantonns.
Nous avons raisonn sans voquer le poids de l'imaginaire.
Les paysages, tels qu'ils sont dcrits par le voyageur, rsultant de ses expriences d'espaces, sont conditionns par les
lectures effectues avant le dpart et au cours du voyage,
sans oublier les contraintes de l'criture. Confronter son texte
avec une ralit du pays n'aurait videmment pas de sens.
Pratiques
d'espace
Pratiques d'espace
Pratiques d'espace
Pratiques d'espace
Pratiques d'espace
Pratiques d'espace
Le voyage par la voie d'eau a, en effet, longtemps particip l'apprciation de l'espace, ne serait-ce que du
fait de sa lenteur. Les premires pages de ducation
sentimentale de Flaubert voquent bien cela. Quant
la Seine, elle a t, tout au long du X I X ~sicle et selon
des modalits diffrentes, le lieu d'une navigation de plaisance stimule par un paradoxal imaginaire maritime.
N'y avait-il pas l'ide que le fleuve constitue l'artm du pays,
et que l est la circulation de la vie ?
Vous avez raison ; c'est ce qui ordonne le Tableau de la
gographie de la France de Vidal de la Blache30. Le territoire national y est organis en fonction du chevelu des
1 Pratiques d'espace
fleuves et des rivires. C'est ainsi que, nagure, on apprenait la gographie de la France aux lves de l'cole primaire. Longtemps le canotage est rest une faon trs
ordinaire de se promener ; il n'est devenu un sport - l'aviron - que durant la seconde moiti du X I X ~sicle. Les
peintres impressionnistes et Maupassant ont beaucoup
trait de l'rotisation de l'espace permise par cette pratique. On retrouve cela propos des excursions pratiques
dans le cadre des stations thermales. Souvent, elles s'effectuaient par voie d'eau ; en attendant l'essor de la pratique du pdalo.
Cela revtait beaucoup plus d'importance
qu'on ne l'imagine aujourd'hui.
La rvolutionde l'apprciation a t, de ce fait, plus profonde que je ne l'ai dit. ~utomobile,beaucoup plus tard,
a permis d'atteindre une mme vitesse, mais de manire
autonome. Lauto, en autorisant d'emprunter les petites
routes, voire les chemins, a suscit de nouvelles formes
de microtourisme. Le regard s'mancipait de la ligne oblige du chemin de fer tandis que le vent fouettait les
visages et soulevait les cheveux. La bicyclette a revtu,
ce propos, une importance similaire. Elle a permis de
sentir le vent, de regarder dfiler de trs prs les arbres,
la haie et le talus, de prendre conscience de la descente
et de la monte, en jouant des effets de l'lan. Cette proximit retrouve, ce retour une relative lenteur montrent
bien que les pratiques d'espace n'ont rien de linaire et
qu'elles sont ordonnes par le relais des dsirs.
Randonneurs
aux alentours
de Zermatt.
Photographie,
vers 1900.
Cette mndonnke,
nurlgr la rampe
de fer, ne semble pas
aempte de danger.
En cette extrme fin
de l ' h victorienne,
apprcier l'espace,
se dlecter de certains
paysages implique
de savoir se vaincre
par l'effort.
Ici, les joies nes
de l'~dmiI'ati0n
de la natum se font
rcompases
et s'accompagnent
d'une reUe
hlmsation de soi.
Robert Dudley,
Passagers sur le pont
du Great Eastern en 1865, 1868.
Huile sur-toile, 101 x 143,5cm.
Collection prive.
Robert Dudley nous prsente
les occupations des passagers
transatlantiques. Compte tenu
de la monotonie du paysage
et de l'ennui que celui-ci risque
de suscitq les rites de la sociabilit
et les mises en scne de soi
l'empmtent de beaucoup,
au sein de cette classe de loisil;
sur les postures contemplatives
et mditatives.
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Train de permissionnaires
photog~phid'un dirigeable.
Photographie, 1918.
A l'occasion de cette a p p a m t e
La bicyclette
est contemporaine
de l'avnement
du tourisme en fort;
elle a p m i s
d'tendm la partie
de campagne.
I
I
Photographie de Wrnage
du film de Pierre Billon
Courrier Sud, 1936.
&kt-Em&y
perNdpe d'une colrorte d'crivaills wi
mat tmmm.fs9an sflcle a
m le vagage d e l h CatUt,
lem fmdwtkm pour ks dserts afrhins habits PT
l'&lslanz. La caasiactton de ce paysage est fns&amble
de la d i m i o n #une mystfriue de t'Aventure.
... et aujourd'hui, il y
pratiques #espace
Pratiques d'espace
appartiennent l'lite, ne circulent qu'en voiture, un chapeau sur la tte et jamais en cheveux . Elles sont entraves par leurs vtements. bpossibilit de s'adresser aux
individus qu'elles rencontrent sans avoir t prsentes
les retient l'intrieur. En revanche, durant la saison passe dans les demeures, lesjeunes mes se promnent dans
le parc et dans les prs avoisinants.
En Angleterre, ces promenades sont parfois fort longues.
J'voquais les romans de Jane Austen. Au X V I I ~et au
X V I I I ~sicle, les membres de la gentry s'adonnent aux
sports ruraux (rural sports), chasse, pche, natation et
leurs femmes se promnent. Quand ils participent ce
type de dambulation, les hommes se contentent d'accompagner les femmes.
Les personnages fhinins de la Comtesse de Sgur
se promnent sans cesse.
La comtesse crivait Aube, dans le bocage bas-normand. Il lui tait donc ais de s'adonner la promenade
champtre, dans une rgion qui imitait l'Angleterre verte.
La femme dans le paysage n, en ce temps, est le plus
souvent reprsente la promenade. Certes, les femmes
qui voyagent accompagnent parfois les randonneurs. Il
en est ainsi dans les Alpes mais cette pratique demeure
trs masculine.
I Pratiquer #espace
&\A\
1 Pratiques d'espace
Paysage
meteores
Paysage et mtores
Sans que l'on sache trop pour quelles misons, les historiens du paysage ont longtemps nglig le rle de
la pluie, de la brume, de la neige, de l'ouragan et,
plus gnralement, de tous les mtores sur l'histoire
de l'apprciation sensorielle de l'espace. Or, le seul
exemple du brouillard montre ici l'importance que
revtent ces phnomnes. 11 en va de mme de l'alternance du jour et de la nuit ou des manires de se
reprsenter les saisons. Que l'on songe au rle, au sein
de notre socit, de tout ce qui relve de ce baromtre de l'me >> (Jean-JacquesRousseau) qui fait
varier l'tre intime selon les alas de la mtorologie.
Paysage et rnkthores
Certainement pas, puisque nous n'avons rien dit de l'apprciation des mtores - vent, pluie, neige, brouillard...
tempte, ouragan, trombe - ainsi que des moments du
jour et des saisons. Or, une histoire de la sensibilit tout
cela est en train de se constituer.
Le cycle saisonnier a obsd le X V I I I ~sicle, la suite
du succs du pome de Thomson. On le dcline en
peinture, nous l'avons vu. Haydn lui consacre un oratorio. Le calendrier rvolutionnaire s'en inspire. Il se
fait mtaphore des tapes de l'existence. Or, la hirarchie des saisons s'est peu peu modse. Ainsi, pour
s'en tenir une poque rcente, le printemps s'est
dprci. Cette saison reprsentait traditionnellement
l'den. Durant des sicles, le printemps a t clbr
par les potes ; songez l'uvre de Charles d'Orlans.
Il tait encore magnifi dans les livres de lecture et les
~
: les lves clbraient
rdactions du premier X X sicle
les bourgeons, les oiseaux, les prairies en fleurs... La
squence la plus mouvante du cycle de la nature, en
Occident, tait, coup sr, le printemps. Lvocation
de l'automne venait au second rang. La description des
rcoltes, des chasses, des feuilles qui se colorent constituait une srie de lieux communs. Lhiver et l't taient
Paysage et mtores
Paysage et mtores
Paysage et meteores
Paysage et mtores
Paysage et mtores
Paysage et mtores
L'homme
preservation
du paysage
Gustave Courbet,
L'cluse de la Loue, 1866.
Huile sur toile,
5 4 x 64,5 cm.
Berlin, SMPK,
Nationalgalerie.
contempler cluse
de la Loue, on mesure
la dificuit de l'enEreprise
qui consiste, non pas
sauvega*,
mis
recrer le paysage que
Courbet nous prsente
(cf.'p. 173).
En p7S d'un sicle
et demi, la vgtation
s'est modifie. En 1866,
la vie des habitants
des campagnes tait
fonde sur un artisanat
et des installations
techniques - moulins,
cluses, etc. - dont
la ~econstitutionne peut
Ere qu'artificielle.
Est-il lgitime de
musifier l'espace selon
des r k f h c e s paysagms
prestigieuses ?
Telle est la question
que la contemplation
de cluse de la Loue
conduit chacun
se posa.
Maurice Denis,
Rage au petit garon,
1911.
Huile sur toile,
78 x 114 cm.
Neuss, Clemens-Sels
Museum.
Maurice Denis nous
installe sur la pluge
de Trestrignel, dans
l'intimit du m l e
primonlial. Nous sommes
loin des prcautiormeuses
&mes de Boudin, poses
au bond de la mer.
La chaleur irradiante
du sable sous la lumin?
anknte et mate du soleil,
qui mord les fmmes
et les enfants, rvle,
en 1910, une nouvelle
manire de se situer
sur la plage->nme,
de s'y tim, de s'y
prlasser, les pieds nus.
La vise thrupeutQu?
semble oublide. Mis part
la maternit6 a, installe
au centre de la toile,
Maurice Denis semble
oublier les rfrences
symboliques ou
mythologiques dont
ilpeuple ses sct?nes
de plage. Notons que
le tableau prchde
largement la publication
de A i'ombre des jeunes
m e s en fleurs.
5g
t
g]
Edward Hopper,
Gas, (Benzin), 1940.
Huile sur toile,
66,7x 102,2 cm.
New York, Museum
of Modern ArtRonds
Mrs. Simon Guggenheim,
New York.
Pontoise.
Photographie
de Tom Drahos.
vivre, mais les observateurs venus de l'extrieur produisaient un paysage qui n'tait pas celui des habitants
de la rgion. La nouveaut, au X X sicle,
~
rsulte de l'introduction d'un nouveau jeu d'images, en quelque sorte,
et de la naissance d'une revendication d'autonomie de
l'apprciation. De ce fait, nous constatons, de nos jours,
deux processus : la production d'images par les autochtones, dj esquisse dans de rares cas ds le X I X ~sicle,
et un dsir renouvel de conservation.
La production d'images par les autochtones, ou par ceux
qui veulent caractriser une appartenance locale, fait que
le paysage est rsum d'identit. Vous dites que le regard
vertical est intolrable aujourd'hui, mais les images
publicitaires qui associent un produit un pays
s'inscrivent exactement dans le processus ancien ?
Oui, cela prs que nous nous situons son aboutissement. Revenons mon propos. Les Bretons, nous
l'avons vu, ont russi produire une contre-image de
leur rgion, image arcadienne qui misait non pas tant
sur les beauts de l'armor que sur le caractre plus riant
de l'arcoat, c'est--dire des paysages de l'intrieur.
~,
de la Naissance de la
Franois G ~ i l l e t ~auteur
Normandie, constate un processus diffrent. Les lites
parisiennes ont t beaucoup moins puissantes pour
La nouvelle loi autorisait le classement des sites pittoresques ; ce qui mettait en cause le caractre absolu du
droit de proprit. Le premier paysage bnficier des
nouvelles dispositions fut l'le de Brhat. la veille du vote
de la loi de 1930, qui tendait la protection, quatre cent
cinquante-neuf sites avaient t classs. Ajoutons cela
le balbutiement d'une politique qui devait se concrtiser
plus tard : en 1912, est forme la rserve des sept-les.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, aprs
l'institution, en 1943, du permis de btir, les donnes
se modijient. La formation de professionnels du paysage,
la lente ascension des notions d'amnagement de l'es-
Pace et de zone sensible, les nouvelles approches cologistes et environnementalistes dont tmoignent, en
1971, la cration du ministre de la Protection de la
nature et de l'environnement et, en 1975, celle du
Conservatoire du littoral, traduisent l'volution des
esprits. Selon la loi sur la protection de la nature, vote
en 1976, la faune et la flore, qui ont cess d'tre considres comme res nullius, deviennent l'objet d'une attention accrue. Tout cela conduit, juste titre, le philosophe
Alain Roger se demander si le moment n'est pas venu
de dissocier les valeurs cologiques des valeurs paysagres. Dans cette perspective, la loi du 8 janvier 1993
impose une meilleure prise en compte du paysage dans
les oprations d'amnagement. Elle proscrit la fragmentation des interventions sur l'espace et prne la participation des habitants concerns.
La France a-t-ellejou le rle de pionnier en m a t i h
de protection des sites ?
En 1996, le colloque de Montbrison 41, qui visait l'analyse des processus actuels et qui a runi des amnageurs,
des administrateurs, des juristes, des historiens, a, en
ce domaine, abouti quatre constatations.
La premire concerne un effacement rcent et relatif je dis bien relatif - de la culture historique dans le
processus de ramnagement de l'espace au profit de l'ascension d'un souci cologique et de la conviction selon
laquelle les paysages relvent du naturel. Dans la tradition culturaliste, au contraire, la main de l'homme tait
perue comme dterminante.
En second lieu, les participants au colloque ont relev
ce que nous venons de souligner, c'est--dire le lien qui
unit la conservation des paysages la construction des
identits, au dsir de retrouver des racines et l'anxit
cologique. On connat bien dsormais les mfaits de la
pollution, la menace qui pse sur la couche d'ozone. Le
sentiment d'inscurit et de fiagrlit des paysages est pro-
qui relve du culturel, de la rfrence historique. Je citerai un projet ministriel de conservation de paysages
clbrs par des peintres dont la notorit est devenue
mondiale; donc de protection de lieux touristiques
venir. De telles actions ont dj t entreprises. On a ainsi
tent de rendre la valle de la Loue, dans le Jura, l'apparence qui tait la sienne quand Courbet l'a peinte. Cela
ne va pas sans poser de problmes. Depuis le X I X ~sicle,
des modifications profondes se sont opres. Comme en
beaucoup d'endroits, l'arbre a prolifr. Pour retrouver
la valle de Courbet, il faut couper des taillis, rtablir
des cultures.. . Tout cela se rvle difficile.
Sans compter les usines.
Effectivement. Reste qu'il s'agit d'une tentative fort intressante. Des ingnieurs ont travaill ce projet et les
rsultats sont patents.
Cextension sociale de l'intrt port au paysage cache,
selon vous, une diversification des lectures de l'espace ?
tion de dunes. Il n'est pas question, dans cette perspective, de planter des pins. Or, ceux-ci sont assez nombreux
dans l'autre partie de l'le, dans le voisinage des
pavillons, et les habitants aiment prendre l'apritif sous
leur ombrage. Leur attitude traduit une autre lecture de
l'espace. Quelle est la plus lgitime des deux?
La restauration de Saint-Sernin Toulouse a suscit
un dbat du mme type. Fallait-il marier diverses poques
ou se rfrer la source la plus pure possible ?
Je reviens aux les du Ponant. Admettons que les amnageurs tombent d'accord pour prserver la lande, reste
savoir de quel type de vgtation il s'agit prcisment,
quel quilibre entre les fougres, les ajoncs et les bruyres
il convient de reconstituer. En cosse, dit-on, les landes
du X V I ~ ,du X V I I ~et du X V I I I ~sicle n'taient pas identiques. Quel modle, ds lors, prendre en rfrence ?
partir d'une morphologie similaire, on peut aboutir des
rsultats trs diffrents. Il en va ainsi de l'armor breton
compar la Cornouaille britannique qui lui fait face :
ce qui relve de la gographie physique est semblable
mais les Anglais ont conserv un lacis de petites routes
et de chemins creux; la voiture rase la vgtation qui
forme vote. En face, une route quatre voies ventre
le Lon pour relier Roscoff Morlaix. Le remembrement
en ce domaine, sur les dcisions htives et souponnables, ainsi que le risque que celles-ci font peser sur
la carrire des administrateurs, ne semblent pas mme
retenir la machine, en cette occurrence. Cet exemple
extrme - car cet espace runit tous les critres justifiant la prservation - dit bien la distance qui spare les
discours et les pratiques en matire de protection de l'espace naturel.
La partie est loin d'tre gagne pour ceux qui se proccupent de l'panouissement de l'homme dans son
paysage.
Notes
8 Jean-Franois Augoyard,
Robert Murray-Schafer,
Le Paysage sonore, Paris,
J.-C. Latts, 1979.
11
12 Nathalie Poiret,
Odeurs
impures. Du corps humain
la cit. Grenoble, X V I I I ~X I X ~sicles B, Terrain,
no 31, sept. 1998.
Notes
et
mmoire, Paris, Le Seuil, coll.
LUnivers historique, 1999.
Le Spectacle de la nature,
ou entretiens sur les
particularits de l'histoire
naturelle.. ., Paris, 1732-1750.
19 Jules Michelet, La Mer, rd.
Paysage de Chateaubriand,
Paris, Le Seuil, 1967.
25 Marc Aug, Non-lieux,
La Naissance du purgatoire,
Paris, Gallimard, 1981.
Jean Delumeau,
Que reste-t-il du paradis ?,
Paris, Fayard, 2000.
27 Hubert Damisch, Thorie du
de la gographie de la France,
in Histoire de France (Ernest
la poursuite du brouillard.
nigmes et mystres, DEA,
Universit de Paris VII, 1997.
36 Martin de La Soudire,
EHiver : la recherche
d'une morte saison, rd.
Maison des Sciences
de l'homme, 1996.
37 Marie-Nolle Bourguet,
Dchiffrer la France.
La statistique dpartementale
l'poque napolonienne,
Paris, Les Archives
contemporaines, 1989.
de la Normandie. Gense
et panouissement d'une image
rgionale en France 17501850, Caen, Annales
de Normandie, 2000.
39 Bernard Kalaora, Le Muse
volution et reprsentation
du paysage de 1750 nos
jours, 2-4 octobre 1996.
42 Jean-Franois Seguin, Mont-
Saint-Michel : la reconqute
d'un site, le Cherche Midi
diteur, Paris, 1998.
des
illustrations
Couv. (haut) :
Caspar David Friedrich,
Le Promeneur au-dessus de la mer
de nuages, 1818. Huile sur toile,
74,8 x 94,8 cm.
Hambourg, Kunsthalle.
O AKG, Paris.
Pages 36-37
Lithographie en couleurs extraite
de Thorie et pratique
de l'architecture du jardin
dlHumphrey Repton, 1816.
O The Bridgeman Art Library/
The Stapleton Collection, Paris.
Couv. (bas) :
Arizona (Etats-Unis).
Photographie
de Raymond Depardon.
O Magnum Photos, Paris.
Pages 38-39
Victor Navlet, Vue gnrale
de Paris, prise de l'observatoire,
en ballon, 1855.
Huile sur toile, 390 x 708 cm.
Paris, muse d'Orsay.
O AKG, Paris.
Page 33
Jan van Eyck,
La Vierge du chancelier Rolin,
dit La Vierge d'Autun, 1434-1436.
Huile sur bois, 66 x 62 cm. Paris,
muse du Louvre.
O AKGIErich Lessing, Paris.
Page 34
Jean Dubreuil, La perspective
pratique.. ., Paris, 1642 ;
page 121 : instrument utilis
par un peintre pour dessiner
en perspective.
O Jean Vigne, Paris.
Page 35
Johann Christian Clausen Dahl,
Vue du chteau Pillnitz, vers 1824.
Huile sur toile, 70 x 45,5 cm.
Essen, Museum Folkwang.
O AKGIErich Lessing, Paris.
Page 40
Henry Le Jeune, Jeune femme
dessinant, paysage, non dat.
Huile sur toile. Collection prive.
O The Bridgeman Art
LibraNMallett & Son Antiques
Ltd.. Londres.
Page 73
Isidore baron Taylor et Charles
Nodier, Voyages pittoresques
et romantiques dans l'ancienne
France, Paris, 1820.
Normandie ; tome 1, page 42 :
Ruines du chteau de Tancarville
du ct de la fort.
O Jean Vigne, Paris.
Pages 74-75
William Gilpin,
Voyages en diverses parties
de L'Angleterre.. .,
ParisILondres, 1789 ; tome 1,
page 336 : On s'est propos
de donner ici quelque ide
de cette espce de scne de rochers
dont est compos le vallon appel
Gates-Garth-Dale.
O Jean Vigne, Pans.
)>
Pages 76-77
Alexander Freiherr von Humboldt,
Volcan de Jorullo. Aquatinte de
Gemlin tire du carnet de voyages,
Vue des Cordillires, 1810-1815.
O AKG. Paris
Pages 78-79
William Turner, Fire at Sea,
1835. Huile sur toile,
171,5 x 220,5 cm. Londres,
Tate Galleiy.
O AKG, Paris.
Page 80
Caspar David Friedrich,
Le Promeneur au-dessus
de la mer de nuages, 1818.
Huile sur toile, 74,8 x 94,8 cm.
Hambourg, Kunsthalle.
O AKG, Paris.
Page 113
Randonneurs aux aleniours de
Zermatt. Photographie, vers 1900.
O AKG, Paris.
Pages 114-115
Robert Dudley, Passagers
sur le pont du Great Eastern
en 1865, 1868. Huile sur toile,
101 x 143,5 cm.
Collection prive.
O The Bridgeman Art Libraq
Paris.
Pages 116-117
Train de permissionnaires
photographi d'un dirigeable.
Photographie, 1918.
O AKG. Paris.
Pages 118-119
Couple sur u n tandem.
Photographie, vers 1910.
O AKG, Pans.
Page 120
Photographie de tournage
du film de Pierre Billon
Courrier Sud, 1936.
O AKGtWalter Limot, Paris.
Page 153
Nicolas Poussin, t ou Ruth
et Booz, 1660-1664.
Huile sur toile, 118 x 160 cm.
Paris, muse du Louvre.
O AKGIErich Lessing, Paris.
Pages 154-155
Gustave Courbet, cluse
de la Loue, 1866. Huile sur toile,
54 x 64.5 cm.
Berlin, SMPK, Nationalgalene.
O AKG. Paris.
Pages 156-157
Maurice Denis,
Plage au petit garon, 1911.
Huile sur toile, 78 x 114 cm.
Neuss, Clemens-Sels Museum.
O Muse dpartemental MauriceDenis << Le Prieur >>,SaintGermain-en-LayeIADAGe Paris.
Avec l'aimable autorisation du
Clemens-Sels Museum de Neuss.
Pages 158-159
Edward Hopper, Gus, (Benzin),
1940. Huile sur toile,
66,7 x 102,2 cm.
New York, Museum of Modern
Art/Fonds Mrs. Simon
Guggenheim, New York.
O The Museum of Modern
Art/Fonds Mrs. Simon
Guggenheim, New York.
Page 160
Pontoise.
Photographie de Tom Drahos.
O Tom Drahos, Paris.