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Des avances en analyse qualitative :

pour une transparence et une systmatisation


des pratiques
Josphine Mukamurera, Ph.D
Universit de Sherbrooke

France Lacourse, Ph.D


Universit de Sherbrooke

Yves Couturier, Ph. D


Universit de Sherbrooke

Rsum
La recherche qualitative a longtemps t la cible de critiques, lui reprochant de
manquer dobjectivit, de validit, voire de scientificit. Aujourdhui, si ce type de
recherche semble mieux se positionner sur lchiquier de la recherche scientifique tant
dans le cadre des recherches subventionnes, commandites ou institutionnelles, cest
quelle a connu, au fil des ans, des dveloppements notables qui lui ont permis de se
positionner plus clairement et dasseoir sa pertinence quant ses fondements, ses
designs et ses procdures systmatiques. Notre objectif nest pas de dresser un bilan
exhaustif de ces dveloppements. Nous voulons plutt faire le point sur quelques
savoirs, pratiques et enjeux qui sont au cur du processus danalyse de donnes, en
mettant contribution des lments de notre exprience personnelle en recherche. Une
brve conclusion permettra de dgager de nouvelles proccupations thiques poses par
certaines pratiques favorables de la part de la communaut scientifique.
Mots cls
ANALYSE QUALITATIVE, CODAGE, VALIDATION, TRANSPARENCE, TRANSFRABILIT,
APPORTS TECHNOLOGIQUES.

But et force de lanalyse qualitative


Les critiques lendroit de la recherche qualitative ont souvent t teintes
dune logique positiviste postulant une ralit objective, finie et mesurable et
RECHERCHES QUALITATIVES VOL. 26(1), 2006, pp. 110-138.
ISSN 1715-8705 http://www.recherche-qualitative.qc.ca/Revue.html
2006 Association pour la recherche qualitative

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RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

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qui privilgie une dmarche de recherche exprimentale classique ou


quantitative. Or, sinscrivant dans un paradigme plutt comprhensif, dit aussi
interprtatif ou holistique, la recherche qualitative conoit diffremment son
objet et poursuit des vises bien diffrentes. Elle considre la ralit comme
une construction humaine, reconnat la subjectivit comme tant au cur de la
vie sociale et conoit son objet en terme daction-signification des acteurs
(Boutin, 2000 ; Deslauriers, 1991 ; Lessard-Hbert, Goyette & Boutin., 1995;
Savoie-Zajc, 2000). En outre, la vise de lanalyse qualitative est de donner
sens, de comprendre des phnomnes sociaux et humains complexes. Par
consquent, les enjeux de lanalyse qualitative sont ceux dune dmarche
discursive et signifiante de reformulation, dexplicitation ou de thorisation de
tmoignages, dexpriences ou de pratiques (Muchielli, 1996 ; Paill, 1996). Il
faut donc la distinguer des donnes qualitatives qui, bien que constituant son
matriel, peuvent tre analyses de faon quantitative ou quasi qualitative.
Ainsi dfinie et compte tenu des chantillons dtude restreints, lanalyse
qualitative tirera sa force de sa capacit susciter la conviction tout en
conservant la complexit du phnomne ltude. Passeron, qui est un
qualitativiste rationaliste, considre la ncessit de crer de la prsomption
(1991 : 84), soit la forme que prend la preuve dans la recherche qualitative.
Cette prsomption trouvera sa robustesse dans sa capacit engager la
conviction de la communaut scientifique en dpit du caractre local ou
contextuel de ltude. Cest la qualit et la transparence du discours
scientifique qui cre la prsomption, en suscitant un accord ou une adhsion.
Cet accord merge autant de la conviction intersubjective que, dans une
perspective bourdieusienne ou grangrienne, de la ncessit dexposer le
mouvement de la pense, la thorie, la mthode, bref dexposer ce qui se passe
dans la bote noire de lanalyse scientifique. Vu ainsi, il va sen dire que
lanalyse elle-mme constitue un moment fort important clairer et
formaliser.

De la logique linaire au modle itratif de lanalyse: retombes et


avenues potentielles.
Huberman et Miles (1991, 1994) dfinissent globalement le processus
danalyse en trois tapes consistant : 1) condenser les donnes (rduction,
codage), 2) prsenter les donnes et 3) formuler et vrifier les conclusions.
Si pour des raisons idologiques ou de contraintes diverses ces oprations
analytiques ont souvent t menes de faon linaire et squentielle, on admet
de plus en plus quune dynamique itrative est plus fconde et quelle colle
mieux la ralit du processus (Desgagn, 1994 ; Glaser & Strauss, 1967 ;

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..112

Huberman & Miles, 1991, 1994 ; Rocha-Vieira, 2004). Prcisons que dans la
perspective dveloppe par Huberman et Miles (1991, 1994) sur le modle
itratif ou circulaire de lanalyse de donnes, le travail danalyse est un
processus progressif qui intervient tt durant la phase mme de cueillette de
donnes et il y a forcment un va-et-vient entre les diffrentes composantes de
lanalyse. Desgagn (1994, p.80) rsume bien la dmarche de ce va-et-vient
inhrent au modle interactif de lanalyse :
le codage de certains lments du discours incite le chercheur faire
une premire tentative dorganisation des donnes ( se les reprsenter dune certaine faon qui peut tre un premier schma) et
ensuite retourner aux donnes mmes pour en apprcier la
pertinence, cest--dire pour voir comment cette re-prsentation se
confirme, se modifie ou se contredit. Lors de ce retour aux donnes,
le chercheur reprend sa codification et le processus itratif se poursuit
jusqu ce quune organisation plausible et cohrente, assurant
lintelligibilit du discours, permette de conclure la saturation des
diverses significations codifies.
Selon notre exprience, laller et retour entre dune part la cueillette de
donnes et leur analyse et dautre part entre les composantes analytiques ellesmmes, a effectivement des apports importants tant au niveau de la qualit des
donnes recueillies quau niveau de la profondeur et de la vraisemblance des
interprtations faites. Tout dabord, il est possible de dtecter temps les
donnes manquantes et de prparer la prochaine cueillette de donnes en
consquence. Ensuite, il permet dobtenir des prcisions ncessaires une
bonne comprhension des processus en jeu et de vrifier les premires
conclusions sur les donnes de faon sassurer de leur plausibilit. Enfin, elle
nous parat mme un passage oblig pour sassurer de latteinte de la saturation
des donnes (Bertaux, 1980 ; Deslauriers, 1991 ; Glaser & Strauss, 1967 ;
Pourtois & Desmet, 1997 ; Savoie-Zajc, 2000) sans quoi la crdibilit et la
transfrabilit de la recherche (Pourtois & Desmet, 1997) sont questionner.
Nous constatons que jusqu prsent, litration telle quelle est pratique
consiste souvent en une itration entre le chercheur et les donnes. Mais
dautres possibilits savrent fructueuses et leur utilisation est encourager
voire consolider. titre dexemple, mentionnons les procdures ditration
entre le chercheur et les participants durant le travail mme danalyse. cet
gard, mentionnons entre autres une exprience ditration pertinente mene
par Couturier (2001) dans sa thse de doctorat. loccasion de sa thse en
effet, le chercheur a retourn individuellement et lors de rencontres de groupe
ses premires analyses aux sujets de recherche. La mise en mots, la rception

RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

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des rsultats, leur mise en contexte par les vrais experts des terrains, cest-dire les praticiens, lui auront permis dajuster ses travaux. En dfinitive, une
nouvelle avenue ditration se dessine, cest ce que nous appelons litration
tri-directionnelle. Il sagit dune itration qui a lieu non seulement entre le
chercheur et les donnes, mais aussi et en complmentarit entre le chercheur
et les participants, entre le chercheur et dautres chercheurs. En dautres
termes, le modle itratif peut permettre aux sujets de participer lanalyse et
au chercheur de mieux tirer profit de la validation inter-juges suite
limplication dautres chercheurs. De plus, les discours des sujets dtude sur la
recherche sont alors rintroduits au corpus analyser, laugmentant
considrablement. Nous reviendrons plus loin sur la question de la validation et
sur les retombes des pratiques de co-analyse ou de travail en quipe.

Lanalyse qualitative : un moment quon peut matriser et rendre


moins fastidieux ?
Lanalyse est un moment la fois excitant et angoissant du processus de
recherche qualitative. Elle fait face dimportants dfis (Huberman & Miles,
1991) quil nous semble important de rappeler afin de pouvoir par la suite faire
apprcier juste titre, dune part, limportance de baliser, de formaliser et de
systmatiser le travail danalyse et, dautre part, les apports de lessor des
technologies de traitement des donnes. Tout dabord, en analyse qualitative le
chercheur fait face une masse importante de donnes, organises selon une
squence temporelle et pragmatique plutt que par thme. Or, cela ne
correspond pas ncessairement au mouvement mme de lanalyse qui cherche
dcouper, organiser, etc. De plus, on travaille souvent avec des mots et leur
sens est gnralement mouvant (plusieurs sens) selon le contexte dnonciation
ainsi que les mots qui les prcdent ou les suivent. Il en est de mme des
comportements, des dessins ou des images comme corpus analyser, car le
sens de ceux-ci nest pas donn mais fortement li, entre autres, au contexte et
toute lhistoire de la personne. Enfin, le fait que lors de lanalyse tout peut
sembler intressant premire vue constitue un autre dfit non moins important
et qui, sans aucune mesure prise, peut conduire lincomprhension du
phnomne ltude. On voit dj ici que non seulement la rigueur
mthodologique et la systmatisation du processus danalyse simposent, mais
aussi que le travail danalyse doit tre balis pour une meilleure efficacit.
Commenons par ce dernier point.
Un travail baliser
On a longtemps estim que les thories initiales du chercheur ainsi que des
mthodes explicitement dtermines nont pas de place en recherche qualitative

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..114

et que donc la thorie ou le cadre conceptuel devrait merger empiriquement


des donnes recueillies suite un long sjour sur le terrain. Cette logique
correspond une dmarche inductive pure o linvestigation sinscrit
entirement dans un contexte de la dcouverte son plus fort, un peu comme
dans le cas des premiers travaux ethnographiques et anthropologiques centrs
sur lexploration et la description exhaustive des cultures exotiques et des
groupes humains dans leur contexte naturel. Mais au fil des ans, on assiste
llargissement de la recherche qualitative plusieurs champs disciplinaires et
lmergence dune diversit de pratiques (Poupart, Groulx, Mayer,
Deslauriers, Laperrire & Pires, 1998.) La recherche qualitative a donc
progressivement connu des dveloppements idologiques, thoriques et
mthodologiques importants qui distinguent ou proposent diffrentes
perspectives constituant autant de possibilits daborder lobjet dtude et
dencadrer le travail danalyse.
Avant dexaminer les diffrentes balises pouvant encadrer le travail
danalyse qualitative, mentionnons que la thorie (connaissances initiales du
chercheur sur le sujet, concepts et thories formelles, etc.) nest pas tout fait
exclue de la recherche qualitative mais que tout simplement sa place et son
usage diffrent de ce quelle est pour la recherche quantitative/positiviste
(Creswell, 1994; Poisson, 1991; Savoie-Zajc, 2000, 2004.) cet gard, voyons
lintressante clarification apporte par Savoie-Zajc (2000, 2004) sur la
dmarche inductive et corrlativement le statut de la thorie et de
linstrumentation en recherche qualitative contemporaine. Selon cette auteure
trois logiques existent. Celle dite pure voulant quon arrive sur le terrain avec
le moins possible dinfluences thoriques tel que le proposent Glaser et Strauss
(1967) ou Paill et Mucchielli (2003.) Puis, celle identifie comme modre
voulant quon reconnaisse linfluence du cadre thorique par la dfinition
oprationnelle des concepts tudis, bien quon les mette temporairement de
ct le temps de lanalyse. Quant la logique dlibrative, elle utilise le cadre
thorique pour guider le processus de lanalyse. Ce cadre indique les modles
ou concepts ou caractristiques travers lesquels linterprtation se produit.
Toutefois, cette grille initiale danalyse peut tre enrichie dautres lments qui
mergent des donnes. La force de chaque type de logique inductive rside
dans lorganisation, linterprtation et la cration de sens, autrement dit, elle
permet louverture de la bote noire laide dune logique nonable, et donc
discutable par le champ scientifique. Revenons maintenant aux balises que le
chercheur doit clarifier pour encadrer son travail danalyse.
Comme premire balise, le chercheur est convi expliciter ses rfrents
thoriques pralables sur le sujet ltude. En effet comme le soulignent Paill

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et Mucchielli (2003) ainsi que Poisson (1991), le chercheur ne peut pas ne pas
avoir de rfrents interprtatifs implicites. Or, si on admet quil est difficile de
faire compltement abstraction de ses a-prioris thoriques et que donc ceux-ci
interfrent dune certaine faon avec toutes les phases de la recherche et
notamment le travail danalyse (comme le dmontrent clairement Paill et
Mucchielli, 2003, p.129-131), il apparat primordial de composer avec ce fait
en explicitant ds le dpart ses lments thoriques et en tant conscient de ses
propres biais. Cela nest aucunement en contradiction avec la ncessit pour le
chercheur qualitatif de rester toujours disponible aux vnements nouveaux
et aux catgories mergentes, cest--dire empiriquement enracines (Poisson,
1991.)
Comme deuxime balise, le chercheur est convi expliciter son approche
qualitative de rfrence, prciser pour lui et pour les autres avec quelles
lunettes de lecture ou sous quel angle il aborde le phnomne ltude et
anticipe lanalyse. cet gard, Boutin (2000, p. 17) parle mme de ncessit
dun positionnement idologique , cest--dire pistmologique. Cela nous
semble pertinent voire incontournable dans un processus de qute de sens. On
sait en effet quau moment de lanalyse du corpus de donnes, le chercheur
qualitatif est en mode de qute de sens. Non pas du sens commun visible
dans laction ou le discours, mais du sens reconstruit travers les dtours de
lintrospection et de lexplicitation de limplicite du discours des sujets et des
zones dombre dans laction. Le chercheur efficace explicitera ce sens luimme et quelques destinataires. Il le modlisera pour caractriser limplicite
du mtier, de la comptence, de la pratique, du contexte et ce, au regard de
lapproche de rfrence. On conviendra galement que les units de sens
reprer et retenir dans la masse de donnes qualitatives sont fonction de
lapproche de rfrence. Par exemple, ce qui retiendra lattention de lanalyste
sera diffrent selon quil aborde lanalyse dans une perspective
ethnographique, phnomnologique, interactionniste, ethnomthodologique ou
autre (Atkinson & Hammersley, 1994 ; Bouchard, 1994 ; Deschamps, 1993 ;
Gohier, 2004, Holstein & Gubrium, 1994 ; Poisson, 1991, Poupart, Mayer,
Deslauriers, Laperrire & Pires, 1998 ; Durant & Weil, 1997).
Une autre balise qui oriente le chercheur est la clarification du niveau
danalyse quil dsire atteindre, ce qui permettra de dterminer entre autres le
niveau dinfrence appropri utiliser. Sagit-il de dcrire les caractristiques
dun phnomne (aspect descriptif) et/ou de dcouvrir sa nature (rflexion, but
interprtatif)? Dans le mme ordre dide, veut-on faire une analyse structurale,
une analyse thmatique, une analyse par thorisation ancre, etc. (Demazire,
1997; Mucchielli, 1996 ; Paill, 1996 ; Paill & Mucchielli, 2003). Somme

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..116

toute, selon le niveau ou le type danalyse quon veut faire, la dmarche et la


nature du rsultat seront diffrentes. Le chercheur gagne donc se positionner
clairement sil souhaite que son uvre soit mieux comprise et apprcie pour
ce quelle est et non pour ce quelle ne prtend pas tre.
Enfin, lanalyse qualitative invite le chercheur la cration de sens
travers lintercomprhension, lintersubjectivit et la transparence, car nos
faons de comprendre le monde sont fortement influences par notre sensibilit
thorique et exprientielle, termes que nous empruntons Paill et Mucchielli
(2003). Lintercomprhension qui enchsse lintersubjectivit dans le processus
descriptif/interprtatif est une balise ou dmarche particulirement privilgie
dans la recherche contemporaine, par exemple par les quipes de recherche
pluricatgorielle comme, entre autres, celles en sant avec divers disciplinaires,
celles en ducation entre des formateurs de divers domaines de formation et,
par les quipes de recherche-action en ducation. Cette dmarche, lorsque
privilgie au plan mthodologique, suppose des allers et retours entre diverses
prises de conscience et vrifications sur le terrain et travers
lintercomprhension des individus dans les changes.
Pour progresser dans cette cration de sens travers lamoncellement de
donnes qualitatives, les chercheurs sont convis considrer comme autre
balise, la comptence rflexive des acteurs pour reconstruire leur propre action,
ce qui les conduira aussi vers lintercomprhension et lintersubjectivit. Nous
commenons donc ici, identifier un processus itratif, un savoir de mthode
qui mrite le dveloppement dune structure pour ordonner la rflexion, la
rendre transparente en vue de faciliter son explicitation. Bien que certains
chercheurs en recherche qualitative souhaitent une pleine libert procdurale,
nous considrons ncessaire dengager les chercheurs dans une dmarche
dexplicitation et de formalisation de leurs procdures en vue, dune part, de
rpondre aux besoins de transparence et de validit intersubjective et, dautre
part, dtablir un savoir-faire nonable et communicable en recherche
qualitative/interprtative.
Un processus formaliser et systmatiser
Le travail danalyse est encore souvent laiss dans lombre et ressemble
davantage une opration bricole. Or, le trait dunion entre la cration de
sens, lintercomprhension, lintersubjectivit et le processus itratif de la
logique inductive, cest la transparence. Pour sengager vers cette transparence,
la formalisation et la systmatisation du processus danalyse sont
indispensables. Cette partie illustrera donc, laide de deux exemples rcents

RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

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de recherche qualitative/interprtative, ce processus danalyse formalis auquel


nous convions les chercheurs.
Un premier exemple danalyse qualitative formalise partir dune approche
exploratoire
Au cours de son tude doctorale sur La construction des routines
professionnelles chez de futurs enseignants de lenseignement secondaire:
intervention ducative et gestion de la classe (Lacourse, 2004), notre collgue a
systmatis le processus dallers et retours de lanalyse, en quatre temps. Au
pralable, partant de la thorie dinvestissement/formalisation des savoirs dans
laction de Malglaive (1990)1, elle a dfini dans son cadre conceptuel la notion
de construire et dtermin les observables que comporte un processus de
construction de routines professionnelles. Elle a tabli quils permettraient
dinfrer la construction de routines effectives chez de futurs professionnels en
enseignement secondaire. Lors des entretiens avec les 30 rpondants de ltude,
son travail a consist les guider laide de questions, dans la dcomposition
et la recomposition des routines quils avaient utilises lors de leur pratique
denseignement film sur vido.
Les 30 entretiens semi-dirigs qui sont la base de la collecte de donnes
ont mis la chercheure en prsence dune masse considrable de donnes.
Lensemble des entretiens compte environ 75 heures denregistrement audio,
reprsentant 898 pages de transcription intgrale, soit une moyenne de
30 pages par participant. Certes le logiciel Nvivo (programme danalyse
qualitative de donnes) a facilit le travail de codification et de rduction des
donnes. Toutefois, lanalyse informatise du discours des participants nest
quune partie du travail effectuer. Il faut en outre une stratgie danalyse avec
laquelle il est possible de questionner le corpus.
Dans ltude en question, cette stratgie a t amorce ds le moment o la
chercheure a identifi les observables ncessaires latteinte de ses objectifs;
observables autour desquels un guide dentretien semi-dirig a t construit.
Cette faon de faire a permis de compter sur un ensemble de questions poser
qui avaient t formalises, dveloppes, subdivises et rdiges de manire
ce quelles puissent tre utilises dans une grille danalyse ancre dans le cadre
conceptuel et la logique inductive dlibrative.
Comme susmentionn, lanalyse des donnes a t ralise en quatre
temps. Il sagissait dabord (temps 1) de procder la saisie informatique des
informations recueillies (transcriptions intgrale et pr-analyse). Cette premire
tape a permis dobtenir une premire vue densemble des donnes analyser
et un ensemble dinformations contextuelles. Le temps 2 consistait reprer

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..118

dans le corpus des segments du discours en fonction des dimensions et


indicateurs tirs de son cadre conceptuel. Le temps 3 tait rserv au
regroupement et la catgorisation des segments du discours prcdemment
identifis. Enfin, le temps 4 consistait interprter les donnes sur la base des
objectifs de recherche. Ces quatre tapes ne correspondent pas des oprations
devant tre effectues de faon squentielle et linaire ; il sagissait plutt
[doprations] raliser dans une fcondit rciproque (Hasni, 2001, p. 194).
La Figure 1 illustre cette dmarche danalyse en quatre temps.

Entretiens
Temps11- Dmarche
Temps
2
Temps 3 en quatre
Figure
danalyse
du corpus de donnes
Informations
Reprage des segRegroupement des
temps
gnrales
ments du discours
segments

Transcription
intgrale des
enregistrements
audio et codage
sur Nvivo
Saisie sur Excel
(caractristiques
des rpondants):

Saisie de larborescence
sur Nvivo et codage des
segments du discours

Rapport de nuds sur


segments du discours

1. Formation
initiale
Saisie des segments
2.
Conditions
Figure
1 - de
Dmarche sur
danalyse
du corpus
Excel
stage IV

temps

Profil
des

Analyse
qualitative/
quantitative

Figure 1 :Dmarche danalyse en quatre temps

Saisie sur Excel:


1. Savoirs
procduraux
(algorithmes) et
savoir-faire
(heuristiques)
2. Origines
3. Caractristiques

Catgorisation et

Temps 4
Introduction
des
infrences

Retour aux
trois objectifs
de la
recherche

Rponse
la question
de
recherche

de donnes
enenquatre
organisation
tableaux

Profil des
routines

Rapport
lintervention
ducative

RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

119

Enfin, cette faon de traiter le corpus de donnes du discours textuel a


permis la chercheure de valider son analyse au moins trois reprises: lors du
reprage des segments du discours, au moment du regroupement des segments
du discours textuel, puis, pour rpondre aux objectifs et sa question de
recherche, lors de lintroduction des infrences. Pour crer du sens partir du
corpus, il a t fcond de dterminer une stratgie de systmatisation et
dorganiser la smantique du processus. Cette dmarche systmatise permet
de rencontrer entre autres les paramtres de crdibilit au plan de la saisie des
donnes, dtablir la validit de signifiance de lobservation qui dcoule de
laccord entre le langage et les valeurs de la chercheuse et ceux des acteurs, et
la validit de signifiance des interprtations, soit la corroboration de
linterprtation. La transparence est galement au rendez-vous avec la
triangulation des donnes (Gohier, 2004).
Un deuxime exemple danalyse qualitative formalise dans une tude de cas
Cette autre tude concerne la construction dune communaut apprenante dans
le contexte de la rforme: le cas dun rcit dapprentissage dune quipe au
Brsil (Rocha-Vieira, 2004). Le processus danalyse privilgi est celui du
modle interactif danalyse de Huberman et Miles (1991) en trois temps et ce,
partir dun flux de donnes. La chercheuse a utilis un dispositif
mthodologique circulaire ax sur les Roues de lapprentissage dvelopp par
McCabe et Dutton dans Senge et al. (2000). Elle a procd la collecte de
donnes en alternance avec lanalyse qualitative et la cration de sens dans
lintercomprhension et lintersubjectivit de la chercheuse et des participants
au cours de huit rencontres.
Les divers processus mis en uvre en trois temps se rapportent : 1) la
condensation des donnes, 2) la prsentation des donnes, 3) la conclusion
ou infrence et validation auprs des acteurs. Cette dmarche a t suivie
trois reprises (trois phases) selon une logique progressive. La figure 2 illustre
les divers processus mis en uvre dans la dmarche danalyse, ainsi que le
moment de la collecte de donnes. En avant-plan du schma, nous laissons voir
lensemble des techniques utilises tout au long du processus de collecte et
danalyse de donnes.

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..120

Collecte des
donnes
Observation participante
Recueil des
Exercices de rflexion
Donnes
Entrevue collective (rcit)
Observation

Dmarche de
consultation

2. Prsentation
des
Prsentation de
s
DPornnseenstation des
donnes

Texte
narratif
Donet
nfigures
es
Tableaux
Tableauxet
figures
Texte
narrative

Texte narrative

1. Condensation des
donnes
Condensation des
Codage thmatique
Don(Nvivo)
nes

NVivo
(codage thmatique)
3. Conclusion:
laboration/
Conclusion:
laboC
raotniocnlu/ sion:
vrification

Vrificlaatbioonration/
Triangulation
Validation
avec
Vauprs
acteurs
rificatio
n
Validation
les
acteurs auprs les
Validation
acteurs

Figure 2 - Formalisation de lanalyse selon le modle interactif en trois temps


(Rocha, 2004)
Les phases 1, 2 et 3 de la dmarche incluent le moment de la collecte de
donnes auquel le dispositif mthodologique recourait, dont lobservation
participante (ds la phase 1), les exercices de rflexion recadrage
(introduits la phase 2), lentrevue collective sous forme de rcit
dapprentissage (phase 3).
Partant du modle de Huberman et Miles (1991) sur les flux de lanalyse
des donnes qualitatives, elle a trait la condensation des donnes ou
regroupement en concomitance avec la collecte en utilisant la logique inductive
dlibrative. Les grands domaines (la rforme, le systme ducation, la vision
personnelle, la vision partage, etc.) ont t cods sur Nvivo et des sous-codes

RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

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ont t ajouts pendant lanalyse. La chercheuse a ensuite procd lanalyse


en vue de crer du sens partir de son introspection sur les implicites du
discours, de la situation de communaut dapprentissage et ce, au fur et
mesure des rencontres laide des mots qui mergeaient. Puis laide de
regroupements dcoulant du cadre conceptuel ou mergeant, elle prsentait les
rsultats de lanalyse (traduits sous divers formats, particulirement des
tableaux et des schmas comments) lors de ltape de recadrage et de synthse
de fin de chaque rencontre avec les participants. Ainsi, la chercheuse a cr des
allers et retours entre chacune des 8 rencontres avec les participants de lcole
concerne (15 pour la premire phase et 22 pour les phases 2 et 3). En
concomitance, la validation de linterprtation auprs des participants
soprationnalisait.
La chercheuse explicite bien sa volont dintrospection de limplicite,
des zones dombre de tout processus dapprentissage rflchi et volutif. Donc,
nous constatons galement dans cette recherche que lanalyse qualitative des
donnes a gagn tre formalise et systmatise tout en comprenant quelle
constitue une dmarche dynamique si nous la voulons fconde. En conclusion
de cette partie, nous insistons sur la ncessit de rendre transparent le processus
danalyse et de le formaliser parce quil conduit au savoir-faire de la
communaut scientifique des chercheurs en recherche qualitative/interprtative.
Le codage comme tape essentielle lanalyse qualitative et avances
technologiques
Comme le note Deslauriers (1991), que le chercheur ait des catgories
prdtermines ou quil les laisse merger, il recourt deux procds diffrents
et complmentaires que sont la dconstruction dabord et ensuite la
reconstruction des donnes2. Le codage est lopration qui aide le chercheur
grer ces oprations et converser de faon ordonne avec un corpus de
donnes. Il consiste traiter, transformer par dcoupage et tiquetage (au
moyen des codes) des segments significatifs appels alors des units de sens
(Deslauriers, 1991 ; Huberman & Miles, 1991, 1994 ; Miles & Huberman,
2003 ; Van der Maren, 1995). Certains chercheurs procdent encore de manire
artisanale ou quasi-artisanale3, mais cette faon comporte de nombreuses
contraintes quil nous semble important dvoquer brivement pour ensuite
prsenter quelques apports des avances technologiques au niveau du
traitement des donnes. Ces contraintes sont les suivantes :

il nest pas ais de se retrouver dans un corpus de donnes complexes


pour y dgager un sens unifi au regard du phnomne ltude.

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..122

il est difficile de se retrouver et de manipuler les donnes lorsquil y a


plus dun code (tiquette) un segment de texte (unit de sens) ou
lorsque les units de sens se chevauchent;

quantit importante de papier ;

le recouvrement de donnes stockes selon la mthode de fiches et


chemises (technique ciseaux-papiers) lors dun corpus important et/ou
diversifi : grand nombre de sujets ou de sites, donnes abondantes,
donnes issues de deux ou plusieurs techniques de collecte de donnes;

il nest pas ais de resituer les segments isols dans leur contexte
dorigine si on avait besoin de vrifier nouveau leur signification;

les corrections et modifications dans le codage et le classement des


segments ne se font pas aisment;

travail en quipe (par exemple dans le cas des assistants) difficile


suivre ;

beaucoup de temps requis, voire lennui et lincertitude.

Face ces contraintes, les programmes informatiques danalyse qualitative


des donnes sont librateurs bien des gards et offrent des avantages
significatifs, tout autant quun labyrinthe o lon risque de sgarer sils sont
utiliss sans discernement ni mthode (Richards & Richards, 1994 ; Tesch,
1990 ; Weitzman & Miles, 1995 ; Yin, 2003). De faon globale, ils facilitent la
gestion progressive du travail danalyse, notamment en ce qui concerne la
codification et la manipulation dun large corpus de donnes, le codage
simultan diffrents niveaux danalyse4, le classement des donnes, la mise
en lien des thmes ou catgories, et mme, dans certains cas certains
programmes comme NVivo et HyperResearch, ils assistent le chercheur dans
sa dmarche de construction et de vrification de la thorie qui merge de
lorganisation des donnes. Un autre lment intressant noter avec ces deux
logiciels, cest la possibilit quils donnent dannoter progressivement toute
opration, unit de sens, code ou thme. Cette activit dannotation est au cur
de la recherche inductive, car elle permet de consigner, et donc dobjectiver un
peu, le mouvement de danalyse et de thorisation.

RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

123

Moment de lanalyse : un moment intime et un moment quon peut


partager?
Lanalyse est certes un moment intime, mais aussi un moment quon peut
partager, non pas seulement dans le sens o il faut ouvrir la bote noire
(transparence), mais aussi dans le sens o lanalyse nest pas ncessairement
une opration mene en solitaire. Elle se prte aussi un travail collectif, ce qui
est intressant dans le cas des quipes de recherche. Nous considrons mme
que le moment de lanalyse gagne tre partag, ne fut-ce que pour la fiabilit
du codage et la validation inter-juges progressive de la signification des
donnes. Ce point concernant la validation de lanalyse sera traite en dtail
plus loin. Pour le moment, nous notons une relle possibilit de travail en
quipe-analyse qui puisse porter fruit, condition bien entendu de se donner
des moyens, voire des balises pour que la dmarche ne soit pas vaine mais
conduise une vision unifie de la signification des donnes au regard du
phnomne ltude. cet gard, diffrents moyens ou procdures ont t
dvelopps et contribuent une plus grande efficacit du travail des membres
dune quipe de chercheurs et assistants (Huberman & Miles, 1991 ; Miles &
Huberman, 2003). Nous en prsentons seulement quatre que nous avons
expriments dans nos travaux et qui nous ont apparu dun apport significatif
compte tenu de notre contexte5.
Premirement, il sagit dencadrer le travail des codeurs, par exemple en
tablissant des rgles de codification et en dfinissant de faon claire les codes,
de faon se donner des repres communs. Deuximement, lors du codage
chacun doit documenter toute nouveaut, tout changement ou toute ambigut
quil pourra prsenter aux autres lors de runions intermdiaires afin dlaborer
une rfrence commune pour la suite du travail. ce sujet, la fonction
mmo que possdent certains logiciels danalyse qualitative est dun apport
apprciable puisquelle permet dintgrer au fur et mesure ses dfinitions et
ides sur les codes. Troisimement, llaboration de fiches de synthse de
documents (Huberman & Miles, 1991, p. 88)6 est cruciale dans tout projet
impliquant plus dun chercheur (ou assistants) sur le terrain. Jointe au
document de rfrence, la fiche de synthse permet lanalyste davoir
rapidement conscience de la porte du document analyser, de saisir ce quil y
a dimportant savoir sur le site ou sur le sujet participant de manire
prparer le terrain pour une analyse approprie. Quatrimement, des runions
intermdiaires (Huberman & Miles, 1991, p. 129-134), prpares au pralable
au moyen dun formulaire de questions ou rubriques servant de guide et que
remplit chaque analyste impliqu, facilitent lquipe de chercheurs et
assistants de faire rapidement et conomiquement le point sur leurs

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..124

connaissances et leurs ides sur les donnes, sur les pistes creuser, sur les
implications pour la rvision, la mise jour ou le raffinement du plan de
codage et enfin sur les lments conceptuels qui guideront lanalyse ultrieure.
Cette stratgie est encore plus bnfique pour des quipes multidisciplinaires
o la diversit des champs dexpertise, des mthodes et des pistmologies
permettent dune part, de gnrer des ides issues dune lecture diffrente et
complmentaire de la ralit et, dautre part, davoir une validation inter-juges
immdiate.
Comme moment intime et comme moment partager, deux avenues nous
semblent intressantes exploiter encore davantage : le travail en quipe
interdisciplinaire, puis lutilisation et le dveloppement des technologies de
captation et de traitement des donnes, de co-analyse et de co-criture
distance.
Illustrons lapport du travail en quipe interdisciplinaire par une exprience
authentique rcente (2003-2006). Une quipe de recherche interdisciplinaire
travaille sur le thme de linaptitude chez la personne ge. Elle est compose
de juristes (positivisme normatif : la vrit est dans les textes), de chercheurs
en sciences sociales (constructivistes, la vrit est dans le sens), et de
chercheurs en sciences mdicales (positivisme, la vrit est dans la mesure).
Ici, linterdisciplinarit provoque un clairage puissant sur lobjet, puisquil est
construit selon trois problmatisations (qui se rattachent les unes aux autres, de
proche proche), selon trois mthodes, mais aussi selon trois pistmologies.
Les trois points de vue doivent convaincre intersubjectivement lensemble de
lquipe. Ainsi a pu slaborer le concept de critres pragmatiques de
lvaluation de linaptitude en complment des critres juridiques et mdicaux
officiellement reconnus. Cette rencontre aura aussi permis de rendre compte de
leur articulation.
Quant aux moyens technologiques, ceux-ci viennent rvolutionner les
pratiques et ouvrir de nouvelles possibilits de travail collectif pour un rsultat
encore plus valide, fiable et crdible. Tout dabord, il est possible de faire la
codification plusieurs en se divisant les cas ou les sites, et de fusionner les
productions respectives par la suite pour faire un projet ou une tude unifie,
permettant ainsi une meilleure gestion de lanalyse verticale et horizontale ou
ce que Huberman et Miles (1991, 1994) appellent en dautres termes lanalyse
intra-cas (ou inter-site) et inter-cas (ou inter-sites). Ensuite, avec les outils
informatiss, il est possible de coder en rseau. Ainsi, par exemple, partir
dun premier codage descriptif ou thmatique, les blocs de donnes cods sont
transmis chaque chercheur pour un codage spcifique leur intrt ou
spcialit. Il y a ensuite mise en commun sur le site pour le bnfice de chacun.

RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

125

La synergie dveloppe entre les membres de lquipe conduit alors vers


lintercomprhension et lintersubjectivit pour une vision commune de la
signification des donnes et pour une comprhension largie (complmentarit
de points de vue) du phnomne ltude.
Enfin, une autre avance potentielle des technologies lre lectronique et
explorer pour les prochaines annes est la possibilit pour les sujets et
dautres chercheurs de participer distance lanalyse en temps rel, de
participer la rdaction du rapport ou tout simplement de suivre le mouvement
de lanalyse et lvolution des ides. Les deux exemples suivants tmoignent
de cette possibilit :
a) Un mdecin de Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, Andrew
Grant, a labor un logiciel permettant la co-criture distance de textes
scientifiques. Le logiciel permet linteraction, mais aussi la conservation
des points de vue. On peut ici avoir, au moins pour un temps, un texte qui
scrit multiple voix. Lune de ces voix peut provenir des sujets de
recherche. Mme si cet exemple est dans un domaine compltement
diffrent, lanalogie permet de voir aisment le potentiel que pourrait
reprsenter un outil semblable en recherche qualitative, plus
particulirement dans un contexte dquipes de travail et de recherche
collaborative.
b) Une quipe de chercheurs du Centre de recherche sur lintervention
ducative (Universit de Sherbrooke) a commenc monter une banque de
donnes multidimensionnelles sur les pratiques dintervention ducative
(projet PRAX.I.E). Cette banque de donnes pourra, terme, permettre aux
sujets, ou dautres chercheurs, de voir le mouvement de lanalyse en
comparant le brut et ldit (articles, rapports, etc.). Elle pourrait aussi
permettre des interactions entre diffrents acteurs sur les donnes.

Comment gnrer un sens ou extraire une signification du corpus


cod?
En analyse qualitative, le chercheur est en mode de qute de sens. Et ce sens
nest pas directement donn, il merge travers lexamen des codes et des
blocs de donnes cods, travers un travail de mise en liens des diffrents
lments pour dvoiler les significations qui sont parfois implicites aux
donnes. Cest une entreprise de longue haleine, mais au cours de laquelle le ou
les chercheurs peuvent sappuyer sur un ensemble de stratgies et techniques
que proposent diffrents auteurs (Glaser et Strauss, 1967; Huberman & Miles ;
1991; Strauss & Corbin, 1990, 1995; Van der Maren, 1995). Certaines des
stratgies nous semblent sous-utilises ou ne bnficient pas dun prjug

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..126

favorable auprs de certains chercheurs selon leur postule idologique et


pourtant, selon notre exprience, elles savrent fcondes si elles sont bien
utilises : le comptage, la reprsentation graphique des donnes, la construction
de matrices, le recours aux analogies et aux thories extrieures la
formulation du problme et enfin la confrontation avec le cadre conceptuel.
En ce qui concerne les trois premires techniques, on note encore une fois
lapport des technologies de traitement des donnes comme Nvivo et
HyperResearch. Ces programmes indiquent automatiquement la prsence ou
labsence ainsi que la rcurrence dun code (ou thme) dans un cas ou travers
lensemble du corpus analys. Ainsi, tout en tant daccord avec Paill (1996)
affirmant quen analyse qualitative limportance premire nest pas donne aux
chiffres, ce comptage permet tout de mme de voir le portrait global de la
situation des donnes et de formuler des conclusions adquates et nuances sur
le phnomne tudi. Ces programmes permettent galement de gnrer de
faon automatise ( partir du travail de codage effectu) les arborescences
(arbre thmatique) et les matrices (tableaux sur les codes ou nuds). Ces
arborescences ou matrices permettent de se faire une ide sur les donnes et les
liens qui existent entre les nuds ou les codes, entre les catgories et sous
catgories, de faon permettre au chercheur de faire merger avec plus
dassurance la signification des donnes et la conceptualisation du phnomne
ltude. Prcisons toutefois ici que les moyens technologiques ne sont pas une
fin en soi et quils ne se valent pas tous. Il appartient donc au chercheur de
choisir loutil qui rpond mieux ses besoins danalyse et de lutiliser avec
discernement, en gardant lesprit que le chercheur est le plus important des
instruments de recherche (Poisson, 1991, p.19), ce qui en dit long sur son rle
cl en analyse qualitative/interprtative.

Comment peut-on soutenir la validit de lanalyse et de la


signification dgage du corpus recueilli ?
On a longtemps reproch lanalyse qualitative dtre subjective, au sens
pjoratif du terme. La question de fond qui est souleve par cette critique et
laquelle nous sommes sensibles est celle de la validit des analyses et
interprtations qulabore lanalyste, cest--dire leur crdibilit, leur stabilit
et leur fiabilit. Lon convient queffectivement sans dmarche rigoureuse ni
souci constant de vrification les risques dinterprtations aberrantes, non
pertinentes ou non conformes la ralit sont grands, et la scientificit de la
recherche compromise. Heureusement les chercheurs disposent aujourdhui
dun large ventail de procdures de validation (Deaudelin, Charest, Brouillet
& Desmet, 1992 ; Huberman & Miles, 1991 ; Lessard-Hbert et al., 1995 ;
Miles & Huberman, 2003 ; Pourtois & Desmet, 1997 ; Van der Maren, 1995),

RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

127

qui prennent des formes varies (et des appellations diverses dun auteur
lautre) selon les diffrentes tapes du processus de recherche. Les chercheurs
peuvent donc faire des choix selon leurs besoins, tout en gardant lesprit
quune varit de techniques permet datteindre un degr satisfaisant de
validit. Ainsi par exemple, au-del des oprations de dfinition oprationnelle
des codes ou des catgories (Huberman & Miles, 1991), de contrle de la
saturation des donnes (Bertaux, 1980; Deslauriers, 1991 ; Pourtois & Desmet,
1997 ; Savoie-Zajc, 2000, 2004), de contrle de la fiabilit intra-codeurs
constance interne et inter-codeurs reproductibilit (Landry, 1992;
Huberman & Miles, 1991) et dvaluation de leffet des biais interfrences
(Huberman & Miles, 1991 ; Van der Maren, 1995) qui nous semblent tre des
pralables incontournables dans tout travail danalyse qui se veut rigoureux,
des techniques comme les suivantes offrent des perspectives complmentaires
intressantes de validation des significations dgages du corpus analys:

le contrle sur le matriel rsidu (Van der Maren, 1995, p. 478) : il


sagit de sassurer que les interprtations formules demeurent
pertinentes mme au regard dune partie du corpus qui na pas t
retenue lors du codage initial. Les supports technologiques comme
Nvivo et HyperResarch pourraient tre utiles cet gard puisquils
facilitent laccs au matriel original et permettent par exemple de faire
des oprations de recherche automatise par mots cls sur lensemble
du matriel recueilli.

la triangulation du chercheur, appele aussi contrle par les autres


chercheurs (Gohier, 2004, Huberman & Miles, 1991; Pourtois &
Desmet, 1997 ; Van der Maren, 1995) : dans ce cas on pourrait
solliciter la raction dun chercheur externe au regard dun rsultat, ou
encore lui demander de doubler les analyses pour ensuite confronter les
significations dgages. Comme ce processus peut tre long et
exigeant, on pourrait se limiter un chantillon du corpus plutt qu
lensemble du matriel recueilli.

la recherche de preuves contraires (Huberman & Miles, 1991, p. 441442) : cette tactique consiste pour lessentiel se demander sil existe
des donnes ou connaissances qui contredisent une conclusion ou qui
sont incompatibles avec elle. cet gard, il sagit daller au-del du
seul contrle sur le matriel rsiduel pour ainsi charger un sceptique ou
une personne dexpertise diffrente dexaminer de prs la conclusion
en question partir des donnes, afin y rechercher des lments
pouvant effectivement linfirmer.

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..128

Le retour aux acteurs, appel aussi le contrle par les acteurs ou la


validit cologique : cette procdure repose sur la reconnaissance que
les personnes interviewes ou observes constituent une des sources
les plus logiques de corroboration (Huberman & Miles, 1991, p.
442). Il sagit alors, par diffrents moyens, de communiquer les
rsultats de recherche ces personnes et de solliciter leurs ractions
pour un rsultat plus cohrent et reprsentatif de la ralit.

un autre niveau de proccupation, le fonctionnement en quipe


multidisciplinaire constitue galement une avenue intressante pour la validit
de lanalyse et de la recherche dans son ensemble. cet gard, rappelons
lexemple donn prcdemment dune tude sur linaptitude chez la personne
ge et o la pluralit et la complmentarit des regards, ont permis un
clairage puissant sur lobjet et une validation interne progressive. Un autre
exemple qui illustre lapport du fonctionnement en quipe interdisciplinaire
concerne une recherche dans laquelle un des auteurs de ce texte
(dpistmologie constructiviste) a particip, en collaboration avec des
pidmiologistes, conomistes, biostatisticiens et gestionnaires. La recherche
portait sur limpact de limplantation dun nouveau modle dorganisation des
services aux personnes ges. Dans cette recherche, la pluralit des regards
travers une analyse multifactorielle et multi-pistmologique a permis une
analyse plus fine de lobjet trs complexe que constitue lorganisation des
services. De mme, il est intressant de voir que le chercheur
constructiviste a russi convaincre les autres membres de lquipe de
prendre en compte des dimensions trs informelles de leur objet de recherche,
par exemple les interactions interprofessionnelles autour de la machine caf.
Et ces chercheurs lont galement convaincu de la pertinence danalyses
macrosociologiques pour enrichir sa micro-sociologie du travail. Dans ces deux
exemples, on voit que lanalyse profite bien dune validation par une interpistmologie et quon peut ainsi dpasser la traditionnelle dichotomie entre le
quantitatif et le qualitatif.
Enfin, les innovations technologiques pourraient encore une fois tre mises
contribution pour faciliter ou grer le processus de validation de lanalyse et
de la signification des donnes. Ce serait le cas, par exemple, de supports
technologiques pouvant permettre et faciliter lanalyse en rseau et les
interactions entre les diffrents acteurs sur les donnes, et ce au profit dune
intercomprhension et une validation inter-juges. Cest aussi le cas des
technologies qui rendraient possible la conservation des points de vue et le
suivi du mouvement de lanalyse, ce qui permettrait dassurer un bon contrle
de fiabilit , au sens dfini par Pourtois et Desmet (p. 122).

RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

129

Comment soutenir une certaine transfrabilit des rsultats de


recherche vers dautres terrains, dautres objets ?
Durant des annes, la recherche qualitative a soulev des doutes, voire des
critiques quant la gnralisabilit de ses rsultats. Pour plusieurs, la
gnralisation est difficile (Deslauriers, 1991) voire impossible (Lincoln &
Guba, 1985). Dune part, en recherche qualitative, lchantillon dtude nest
jamais statistiquement reprsentatif et, en ce sens, il serait insens de prtendre
la gnralisabilit des rsultats. Dautre part, comme le souligne Deslauriers
(1991, p. 102), la difficult rside dans le fait que la gnralisation des rsultats
prsuppose un contexte stable et une sorte de dterminisme qui ne se retrouve
jamais dans la vie sociale .
La rflexion autour de cette problmatique a fait merger une nouvelle
notion, plus fconde pour la recherche qualitative, appele la transfrabilit
(Pourtois & Desmet, 1997, p. 120) et qui constitue aujourdhui lun des critres
de scientificit qui suscite ladhsion de la communaut de recherche. Daprs
Pourtois et Desmet (1997, p. 120), cette notion renvoie la proccupation de
savoir si les conclusions auxquelles le chercheur aboutit peuvent stendre
dautres contextes que celui tudi. Pour notre part et afin dviter les
confusions possibles avec la notion de gnralisation des rsultats tel
quapplique en recherche quantitative/positiviste, nous considrons que la
vraie question de la transfrabilit en recherche qualitative/interprtative est la
capacit dune recherche (ses conclusions) de faire sens ailleurs. Nous
illustrons notre propos par deux exemples puiss mme nos recherches, pour
ensuite indiquer quelques lments importants qui soutiennent la transfrabilit
des rsultats.
Prenons lexemple du concept de perte sociale. Des sociologues ont
observ que la mobilisation des professionnels de la sant pouvait varier selon
la valeur sociale quils accordaient au malade. Ainsi, la mort dune personne
ge, formellement gale en droit et en dignit tout autre citoyen, tait
considre comme une moindre perte sociale que celle dun bb. Ce concept
de perte sociale, labor sur des terrains trs spcifiques, a connu une audience
extraordinaire et ce, dans diffrents contextes. La transfrabilit se fonde ici sur
la capacit du concept faire consensus auprs dautres chercheurs. Il en est de
mme du concept dhistoricit des trajectoires dinsertion labor par
Mukamurera (1998) lors dune recherche sur le processus dinsertion
professionnelle de jeunes enseignants. Les analyses ont permis de constater que
les trajectoires dinsertion de jeunes enseignants ne sont pas linaires, mais
quelles sont nanmoins porteuses, travers linvestissement et laction des
acteurs, travers le temps, dune historicit o les gestes, les actions, les

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..130

vnements, les dcisions, les stratgies, les bons et les mauvais coups, les
audaces et les timidits, les chances et les opportunits finissent peu peu par
compter, par laisser des traces, par sadditionner, par crer un pass qui
conditionne le prsent professionnel. Cette historicit des trajectoires renvoie
trois ordres de phnomnes dgags savoir : a) la proprit cumulative des
actions dinsertion ; b) lhistoricit objective des trajectoires; c) les
interprtations que les acteurs difient propos de leur situation passe et
actuelle (Mukamurera, 1998, p. 373-374). Tout comme dans le premier
exemple, ce concept dhistoricit des trajectoires a pu faire sens dans dautres
champs professionnels et suscit ladhsion de chercheurs en Amrique du
Nord et en Europe, mais sans pour autant nier lexistence des singularits
locales et individuelles. Voyons maintenant quelques lments qui soutiennent
la transfrabilit des rsultats en analyse qualitative.
La transfrabilit des rsultats, au sens o nous lavons dfinie, est possible
moyennant certaines conditions que nous jugeons indispensables. La premire
relve de la constitution de lchantillon et de sa reprsentativit en termes de
processus sociaux (par opposition la reprsentativit statistique). Les
chantillons qualitatifs sont gnralement restreints, constitus de faon plutt
intentionnelle ou raisonne que de manire alatoire (Deslauriers, 1991; Glaser
& Strauss, 1967; Huberman & Miles ; Patton, 1980 ; Pourtois & Desmet, 1997;
Savoie-Zajc, 2000), le but de lchantillonnage tant, comme le prcise
Deslauriers (1991, p. 58), de produire le maximum dinformations . En
consquence, pour que la transfrabilit des rsultats ou conclusions soit
envisageable, il faut que lchantillon de recherche rponde au critre de
pertinence thorique par rapport la situation dtude (Pourtois & Desmet,
1997, p. 120). Cela veut dire quil faut chantillonner (choisir) les milieux, les
acteurs, les vnements et les processus ltude (paramtres
dchantillonnage au sens de Huberman & Miles, 1991) en fonction de la
pertinence de leurs caractristiques par rapport aux objectifs de la recherche. Il
faut aussi que lchantillon, bien que restreint, soit suffisamment diversifi,
surtout dans le cas des analyses multi-cas ou inter-sites, incluant aussi bien des
cas typiques quatypiques, des informateurs centraux et priphriques, des
partisans et opposants lobjet investigu. En prolongement du critre de
pertinence thorique de lchantillon, il y a aussi le principe de saturation des
catgories qui est de plus en plus la rfrence pour estimer la fin de la collecte
de donnes et la taille de lchantillon. Comme le prcisent Pourtois et Desmet
(1997, p. 121), la saturation est atteinte lorsquaucune donne suffisamment
nouvelle ne ressort des derniers entretiens ou observations pour justifier une
augmentation du matriel empirique. On dira dans ce cas que lchantillon est
reprsentatif en ce qui concerne les processus sociaux.

RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

131

La deuxime condition concerne la description dtaille du site tudi


(ajoutons aussi du contexte et de lchantillon) qui, comme le soulignent
(Pourtois & Desmet, 1997, p. 121), permet destimer le degr et le type de
similitude entre le site observ et dautres sites sur lesquels on voudrait
transfrer les conclusions. Cela est essentiel non seulement pour une question
de transfrabilit, mais aussi pour permettre de mieux comprendre les rsultats
et les conclusions formules.
La troisime et dernire condition devrait concerner, notre avis, le niveau
dabstraction que lanalyse doit atteindre. Il nous parat difficile de tirer des
leons applicables dautres terrains si lanalyse reste au niveau de la
spcificit des comportements, des vnements ou des significations
singulires des acteurs. Par consquent, que le chercheur sinscrive ou non dans
la perspective de la mthode de la thorisation ancre, il devrait donc se forcer
datteindre un bon niveau dabstraction, cest--dire en dautres termes, un bon
niveau de concept gnrique qui rend intelligible, au-del de l ici et
maintenant , les processus sociaux et humains en jeu. Le chercheur y parvient
lorsque, tout au long de lanalyse, il sefforce de subsumer le particulier sous le
gnral, de replacer laction, lvnement, la signification ou lactivit
immdiate dans une classe plus abstraite. Pour Huberman et Miles (1991) et
Miles et Huberman (2003), subsumer le particulier sous le gnral est lune des
tactiques dinterprtation des donnes, mais pour notre part, elle constitue en
mme temps lancrage dun bon niveau de transfrabilit des rsultats vers
dautres terrains ou dautres objets.

Conclusion
Le tour dhorizon que nous venons de faire sur quelques avances et enjeux au
niveau des pratiques en analyse qualitative permettent de voir que le travail
danalyse est maintenant un processus mieux document, avec des techniques,
des procdures et des outils qui soutiennent le chercheur pour une analyse
rigoureuse et des rsultats crdibles, cohrents, fiables et transfrables. En ce
sens, nul doute que, bien mene, elle est tout fait pertinente et apporte un
clairage particulier sur des phnomnes sociaux et humains complexes. cet
gard, nous avons aussi soulign limportance de mieux baliser le travail
danalyse de donnes, notamment par une explicitation de ses rfrents
thoriques et pistmologiques qui risquent dinterfrer avec le traitement,
lanalyse et linterprtation des donnes. Notons aussi que peu importe les
choix thoriques, pistmologiques et mthodologiques du chercheur, la
formalisation, la systmatisation, la transparence et la validation accroissent la
force de lanalyse qualitative et favorisent le prjug favorable. Nous avons par
ailleurs cibl et explicit, au fur et mesure, des crneaux prometteurs

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..132

exploiter davantage ou consolider. Citons par exemple la dynamique itrative


tridimensionnelle, la participation des sujets lanalyse, les formes de travail
en quipe multidisciplinaire et multi-pistmologique. Il y a aussi la voie
technologique qui, utilise judicieusement, reprsente dimmenses possibilits
non seulement pour la dmarche de lanalyse et le suivi de lvolution de la
pense, mais aussi pour la conservation et la rutilisation ultrieure des
donnes, le travail en rseau, la participation distance des sujets lanalyse et
enfin lcriture voix multiple de textes.
Les progrs et avenues potentielles en analyse qualitative soulvent
toutefois de nouvelles proccupations thiques quil nous semble important de
souligner. Premirement, il y a la question de la nature du consentement clair
notamment dans le cas de recherche-action, de recherche collaborative ou de
participation des sujets comme co-producteurs de savoirs. De fait, la
participation des sujets comme co-producteurs de savoirs change
potentiellement la nature du consentement clair la recherche. Par exemple,
il est de plus en plus la norme de baliser trs prcisment a priori les actions de
la recherche. Mais pour certaines recherches, comme la recherche-action ou les
recherches impliquant les participants lanalyse, il est impossible et contreproductif de tout prciser, puisque les sujets souhaitent prcisment soutenir
lvolution de la recherche. Deuximement, qui appartient la proprit
intellectuelle si les participants contribuent lanalyse ? Troisimement, quelle
doit tre la dure de conservation des donnes sur les bases de donnes
lectroniques et quelle protection pour les informateurs ? Quatrimement,
quelle utilisation ultrieure des donnes qualitatives archives sur le logiciel
pour une autre recherche ? Ce sont autant de questionnements qui mritent une
attention dans un proche avenir

Notes
1

Pour Malglaive (1990), la thorie de linvestissement/formalisation signifie que dans


un premier temps de laction, il y a investissement du couple savoirs thoriques/savoirs
procduraux dans laction. ce moment nous sommes dans le mode agi, soit
lintelligence en acte. Dans un deuxime temps, si le couple savoir-faire/ savoir
pratique peut sexprimer travers le discours, il y aura formalisation de leurs noncs
par le premier couple sur un mode conceptuel pour lobtention dune qualit
scientifique. Cet change dynamique constitue lune des dimensions structurelles du
savoir en action (Lacourse, 2004, p. 99).
2

La dconstruction des donnes rfre au dcoupage et rduction des informations en


petites units comparables, en noyaux de sens pouvant tre rassembls. Lors de ltape
de reconstruction, il sagit pour le chercheur de reconsidrer les catgories et les

RECHERCHES QUALITATIVES / vol 26(1)

133

lments qui y sont contenus, de les prouver et de les raffiner afin de dgager un sens
et de pouvoir dcrire adquatement la ralit (Deslauriers, 1991, p. 82).
3

Le codage artisanal consiste gnralement en surlignage en couleur, en criture de


codes et remarques en marge, en numrotation de paragraphes pour pouvoir sy
retrouver, pour finalement constituer des fiches thmatiques selon la technique du
couper-coller laide de ciseaux et de ruban adhsif (Deslauriers, 1991, p.74-75). Le
codage que nous appelons quasi-artisanal et que Deslauriers (1991, p. 75) appelle
codage par ordinateur , procde peu prs de la mme logique (dcoupage en
paragraphes, leur numrotation et leur classement) mais au moyen dun ordinateur dot
dun outil de traitement de texte qui permet, par la fonction de tri, de classer et de
regrouper les donnes plus facilement.
4

Selon Huberman et Miles (1991, p. 97-98) et Miles et Huberman (2003, p. 113-114)


les codes peuvent se situer diffrents niveaux danalyse, allant du descriptif au
hautement infrentiel. Ils distinguent alors trois classes de codes : a) les codes
descriptifs qui sont gnralement crs et utiliss ds le dbut et ne suggrent aucune
interprtation mais consistent tout simplement en lattribution dune classe de
phnomnes un segment du document analys; b) les codes interprtatifs rvlant un
sens plus implicite laction ou au discours; c) les codes plus infrentiels et explicatifs
qui illustrent un leitmotiv mergent, un pattern , un thme ou un lien causal que
lanalyste a dcel en dchiffrant la signification des vnements ou relations locales.
Dans le mme sens de distinction dtapes ou niveaux danalyse, dautres chercheurs se
rfrent plutt la distinction tablie par Glaser et Strauss (1967) savoir le codage
ouvert, le codage axial et le codage slectif. Desgagn (1994) et Duchesne et SavoieZajc (2005) en sont des exemples de mise en uvre systmatique de cette dmarche
dans le domaine de lducation.
5

Pour le lecteur intress connatre dautres possibilits permettant de grer, de


coordonner et de mieux tirer profit de lanalyse comme moment partage, nous
linvitons consulter Huberman et Miles (1991) et Miles et Huberman (2003).
6

Une fiche de synthse de document rsume ou prcise un contact sur le terrain et les
impressions du chercheur ainsi que les pistes creuser et les correctifs
mthodologiques apporter (Huberman & Miles, 1991, p. 94).

Rfrences
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Josphine Mukamurera est professeure agrge au Dpartement de pdagogie de
lUniversit de Sherbrooke et membre des centres de recherche dexcellence CRIE et
CRIFPE. Son expertise touche plus particulirement la profession enseignante, la
formation lenseignement, la psychopdagogie et les mthodes qualitatives de
recherche. Ses principaux intrts de recherche portent sur linsertion professionnelle,
la carrire et la prcarit en enseignement, le dcrochage et la persvrance chez les
enseignantes et les enseignants, le dveloppement professionnel et le travail
enseignant.
France Lacourse est professeure adjointe au Dpartement de pdagogie de
lUniversit de Sherbrooke et membre du centre de recherche CRIE-CRIFPE. Son
expertise touche la formation la pratique denseignement et la gestion de classe. Ses
intrts mthodologiques couvrent des mthodes mixtes. En recherche, elle sintresse
lobservation de la pratique denseignement, la construction des routines

MUKAMURERA, LACOURSE, COUTURIER / Des avances en analyse qualitative..138

professionnelles et aux dispositifs de formation lenseignement tels que lcriture


comme soutien au dveloppement professionnel.
Yves Couturier est professeur au Dpartement de service social et membre du Centre
de recherche sur l'intervention ducative de l'Universit de Sherbrooke. Il s'intresse
l'analyse des mtiers relationnels, notamment sous l'angle de l'interdisciplinarit, en
appui sur les mthodes de recherche inspires de l'ergonomie cognitive.

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