Art Martiaux Et Le Tai Ji Quan de La Voie Interieure

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COLLECTION BOUTEILLE A LA MER

LES

ARTS MARTIAUX

ET LE

TAI CHI
DE LA VOIE INTERIEURE
(2me dition)

Entretiens avec V. Stevanovitch

PREMIER ENTRETIEN

Question :
Tu as appris le Tai ji quan avec un vieux Matre
Chinois. Crois-tu quil soit possible de lapprendre
aussi bien avec un professeur de chez nous ?
Rponse:
Le Tai ji quan est un art. Comme tous les arts il
comporte une technique. Il ny a pas dart sans
technique. On ne peut pas devenir un artiste avant
davoir matris la technique. Il y a un grand nombre
de bons professeurs de la technique du Tai ji quan et
vous ne devez pas ncessairement avoir le meilleur au
monde. Croyez-vous quEinstein ait eu le meilleur
professeur au monde pour lui apprendre la table de
multiplication ? Et que cest pour a quil est devenu
Einstein ? Tout dpend de votre engagement.
Q. Pourtant, tu fais toi-mme une diffrence entre un bon
professeur et un grand matre.
R. Bien sr, et nous y viendrons. Nous parlons de la
technique pour linstant.
Q. Daccord. Alors, quoi peut-on sattendre en
apprenant la technique du Tai ji quan avec un bon
professeur ?
5

R. Jai commenc apprendre le Tai ji quan parce que


jai eu la chance de rencontrer un Matre. Sil avait
enseign la calligraphie, jaurais appris la calligraphie.
A cette poque, le Tai ji quan tait totalement inconnu
et je ne pouvais videmment pas savoir quoi
mattendre en lapprenant. Donc, en bon Occidental
que je suis, jai pos cette mme question mon
Matre. Il a dissimul son tonnement derrire un petit
rire trs chinois. Sur mon insistance il a fini par me
dire : vous deviendrez un homme fort et invincible.
Javoue que ce ntait pas ma proccupation majeure,
mais devenir invincible, pourquoi pas ? Et le bon
Occidental lui a pos la question la plus normale en
Occident. Combien de temps cela va-t-il me
prendre? La rponse a t tout ce quil y a de plus
encourageant : Pas plus de 30 ans. Et afin que je ne
me mprenne pas, il a crit un grand trois et un grand
zro sur une grande feuille de papier accroche au mur.
Par la suite sont venus sy ajouter les noms des
postures et beaucoup dautres choses, avec toujours en
tte : 30. Aujourdhui, le Tai ji quan est connu et
beaucoup dOccidentaux le pratiquent depuis
longtemps. Ils peuvent nous dire quoi on peut
sattendre si on fait comme eux : un corps plus libre,
souple et vigoureux, des articulations et des muscles
dlis, une meilleure concentration, un meilleur
quilibre physique et mental, la disparition de tous les
maux dus au stress, une vitalit accrue, donc une plus
grande rsistance aux maladies. En un mot, la sant du
corps et de lesprit. Ce sont l les effets visibles et
vrifiables du Tai ji quan. Je dirais aussi que ce sont
les effets court terme.
Q. Veux-tu dire quil y en a dautres, long terme ?
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R. Oui. Trs certainement. Mais ces effets ne sont pas


aussi visibles et ils ne sont pas vrifiables.
Q. De quoi sagit-il exactement ?
R. Ce sont des choses qui arrivent. On les appelle des
heureux hasards. Daccord quand a arrive un
individu. Mais quand a arrive un grand nombre
dindividus appartenant tous une certaine catgorie,
on a le droit de se poser des questions. Eh bien ne nous
les posons quand mme pas; gardons les pieds sur
terre.
Q. Tu las dit souvent. Pourquoi crois-tu quil soit
ncessaire de garder les pieds sur terre ? Et quest ce
qui te faire croire que les gens ne le font pas ?
R. Pourquoi garder les pieds sur terre ? Nous sommes des
tres vivants. Comme tous les tres vivants nous
sommes enracins dans la terre parmi les autres
vivants. Partir dans les brumes astrales, cest quitter la
vie. Et on confond trop souvent la recherche profonde
dont le Tai ji quan peut aussi tre linstrument, avec
des dconnades qui tournent le dos la vie. Qui renient
la vie, qui rejettent la vie pour aspirer vers je ne sais
quelle fantaisie pour ne pas dire foutaise.
Q. Oh-la-la ! Tu temballes; on voit que le sujet te tient
coeur. Pourquoi donc ? Y aurait-il une raison cache ?
R. La vie nest-elle pas une raison suffisante elle seule ?
La vie, la vie mes enfants, la vie... a cest le dbut
dune tirade dans mon livre La voie du Tai ji quan.
Mais je ne vais pas la citer. Je dirai en deux mots que
la vie est la raison de tout. Elle explique tout, elle
7

donne un sens tout. Ce qui veut ignorer la vie na pas


de sens. Garder les pieds sur terre, cest coller la vie.
Q. Il ny aurait pas une contradiction l ? Les arts
martiaux que tu pratiques depuis si longtemps, ils sont
bien conus pour dtruire la vie ? Tout au moins
lorigine ils taient destins tuer ?
R. Bang !
Q. Comment a bang ?
R. Tu as dpass le mur du son, alors a fait bang.
Cest le mur du son de lincomprhension (*). Le but
des arts martiaux, aussi bien lorigine que de nos
jours, est de protger la vie. De la dfendre. Par tous
les moyens et, sil le faut en dtruisant lagresseur.
Cest lesprit mme, cest le principe premier de lart
martial. Je dis bien de lArt. A ne pas confondre avec
les techniques de cassement de gueules. Jamais aucune
idologie ni aucune cause aussi noble quon voudra la
prsenter ne transformera un pratiquant dart martiaux
vritables en agresseur.
Q. Je suis bien content davoir dpass le mur du son tout
lheure. Ca ta donn loccasion de nous expliquer
une chose essentielle. Je crois que je regarderai dun
autre il maintenant ceux qui passent tout leur temps
sentraner.

(*)

Lentretien se droule dans un coin de campagne belge,


frquemment secou par le bang super sonique des
avions militaires.
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R. La vie est le bien suprme. Rien nest plus important


que la vie. Donc, de consacrer beaucoup de temps pour
apprendre la dfendre contre lagresseur et la
protger contre la maladie et la vieillesse est une
occupation normale. La plus normale qui soit. Et tout
senchane. Pour apprendre les arts de combat, il faut
avoir un corps en excellent tat. Pour a il faut
lentretenir. Il faut sen occuper. Si on sen occupe on
a la sant. Et quand on a la sant, le reste suit.
La voie du Tai ji quan nest pas une voie express. Il
ny a pas de raccourci. Cest cependant une voie sre,
car elle passe par une recherche de la matrise
corporelle. On peut difficilement sgarer dans les
labyrinthes dune recherche occulte et nbuleuse quand
lobjet en est son propre corps et son propre esprit.
Q. A la fin de ton si beau livre (rires...) sur le Tai ji
quan tu dis : Je repars en croisade. Je vais faire le
montreur de paix. Je vais faire le montreur de
bonheur. Tes confrences-dmonstrations en Europe
et en Amrique, le projet dcole en Rpublique
Dominicaine font partie de ta nouvelle croisade. Ce
nest donc pas la premire. En quoi consistaient les
croisades prcdentes, et pourquoi avoir choisi le Tai ji
quan pour faire le montreur de paix ?
R. Et de bonheur. Surtout de bonheur. Mes croisades? Jai
commenc trs jeune. Ctait la guerre. Jy ai particip.
Je voulais le bonheur de lhumanit. Il suffisait de
vaincre Hitler. Plus tard, la guerre finie, jai compris
que a ne suffisait pas et que toute lhumanit tait un
trop gros morceau. Au fil de mes tentatives, jai rduit
mes intentions de bonheur un peuple, une classe,
9

un groupe, quelques amis, une femme. Aujourdhui


je sais que a ne sert rien dessayer de faire le
bonheur des autres. Ce quil faut, cest montrer. Et je
montre. Et jinvite les gens faire leffort ncessaire.
Le Tai ji quan est un moyen parmi dautres. A mon
avis lun des meilleurs.
Q. Nous sommes tous daccord : le monde a besoin de
paix. Crois-tu que la lenteur du Tai ji quan peut nous y
mener... rapidement ?
R. Le bonheur est la cl. Cest la solution du problme de
paix de lhumanit. Demandez aux amoureux ce quils
souhaitent le plus au monde. Ils vous diront
immanquablement : Quon nous foute la paix !
Quand on est heureux on ne veut que le bien. On veut
la paix. Et que a dure. Trouver le bonheur en soimme. tre heureux par soi-mme. Cest a que
mne la pratique du Tai ji quan. Et sa lenteur mne
vraiment vers la paix. Et rapidement.
Q. Nous sommes deux Occidentaux en train de parler du
Tai ji quan. Crois-tu quun expert chinois approuverait
nos propos ? Son approche et son optique seraient-elles
diffrentes de la tienne ? Si oui, est-ce que ce serait
aussi discernable dans sa faon de faire du Tai ji quan,
dans son style et dans ses mouvements ?
R. Quand on apprend une langue trangre, on garde
toujours un accent. On reconnat toujours un tranger
son accent. Ma fille a fait un doctorat danglais en
Tunisie. Elle connat donc coup sr bien mieux
langlais que la grande majorit des Britanniques. Il
nempche que quand elle parle, un anglais ne sy

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trompe pas : elle est une trangre. De la mme faon


nous pouvons, force de travail et de pratique,
dpasser de loin le pratiquant chinois moyen. En
gardant quand mme un petit accent tranger. Nous
sommes des Occidentaux. Ce nest pas en nous
dguisant en Chinois ou en Japonais que nous
changerons. Le Tai ji quan que nous pratiquons portera
toujours les traces de nos origines. Ce nest pas pour a
quil sera moins vrai. Que dirait un expert chinois au
sujet de notre conversation ? Un vrai expert hausserait
les paules : A quoi bon parler ? Il ny a rien dire et
si on dit quelque chose cest faux. Et l, cest lui qui
aurait raison.
Q. Pourtant, depuis un an, a fait le quatrime livre que tu
cris. Il faut croire que tu as beaucoup de choses dire.
Elles seraient donc toutes fausses ?
R. Bien sr quelles sont fausses.
Q. Mais alors, pourquoi cris-tu ?
R. Eh bien pour expliquer que tout ce quon peut dire et
crire est faux. Et cest ce qui est le plus difficile
expliquer. Notre sicle est le sicle de la parlotte.
Jinvite les gens cesser le bla-bla-bla et passer
laction. A soccuper eux-mmes de leur sant et de
leur propre bonheur. Et jessaye de leur faire entrevoir
un autre chemin. On dit aujourdhui la Voie. Daccord.
Cest aussi la voie daccs au bonheur, comme cela
peut tre la voie daccs une connaissance
inaccessible par le bla-bla-bla.
Q. Je crois que nous allons aborder un sujet passionnant.
Mais je voudrais avant me faire un peu le dfenseur
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des connaissances scientifiques. En Occident on ne fait


pas que bavarder. Il y a la mathmatique, cest quand
mme autre chose.
R. La mathmatique aussi est un bavardage. Il se fait en
langage chiffr, ce nen est pas moins du bla-bla-bla.
Non, la recherche dont je parle passe par le silence de
lesprit. Et elle aboutit une connaissance quil est
impossible de formuler ou de traduire en mots.
Q. Mais alors, comment sait-on quon a abouti la
connaissance, puisque personne ne peut le vrifier ?
R. Cette fois-ci tu as touch dans le mille. Cette
connaissance nest pas vrifiable. On ne peut pas non
plus la transmettre. Pourtant sans laide d un Matre
vritable on ny parvient jamais tout seul. Ce que
transmet le Matre nest pas la connaissance mais les
moyens pour y accder.
Q. Est-ce que le Tai ji quan en est un ?
R. Oui. Le Tai ji quan peut tre un moyen daccs la
Connaissance. Il y a la Voie du Tai ji quan comme il y
a la pratique du Tai ji quan pour la sant et la beaut,
ou comme il y a depuis peu aussi la comptition de Tai
ji quan. Le Tai ji quan sera pour toi ce que toi tu veux
quil soit. Il sera ta voie si tu le veux.
Q. Je crois que je comprends mieux maintenant ce que tu
veux dire quand tu dis et rptes que le Tai ji quan est
une forme et quil faut la remplir.
R. Je ne lai peut-tre pas rpt assez souvent, car tu as
mal retenu. Je nai pas employ le mot remplir. Jai

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parl de contenu. Une forme qui nest quune forme est


vide. Elle peut tre excute aussi brillamment quon
voudra, sans contenu elle reste vide. Le contenu, cest
toi qui le lui donnes, tu y mets une intention, tu y loges
une recherche. La recherche de lequilibre, de la
concentration, du souffle, de la perception et du travail
sur le Chi, et encore beaucoup dautres.
Q. Dautres disciplines peuvent aussi tre une voie. Les
arts martiaux ou le yoga ou mme la calligraphie.
Quelles seraient les particularits de la voie du Tai ji
quan ?
R. Je nai pas besoin dinsister sur ce qui fait la diffrence
entre le yoga, les arts martiaux violents et la
calligraphie dun ct et le Tai ji quan de lautre.
Chacune de ces disciplines a ce que tu appelles des
particularits. En tant que Voie, elles nont plus aucune
particularit. Cest toi qui en fait une voie par ton
engagement. Mais a ne suffit pas. Ton engagement ne
devient une voie que sous la conduite dun vrai Matre.
Q. Pourquoi insistes-tu chaque fois que tu parles de
Matre sur ladjectif : vrai, vritable, etc...
R. Parce quil y en a de faux. Et parce quil y a aussi des
vritables... imposteurs.
Q. Comment faire pour distinguer le vrai du faux ?
R. Ce nest pas facile dire. Il ny a pas vraiment de
signes extrieurs qui caractrisent un Matre. Sauf
peut-tre un, auquel on peut se fier car il est rarement
absent.

13

Q. Et tu nous confies le signe secret ?


R. Oui. Ce signe ce sont... les cheveux blancs. Il faut
toute une vie pour devenir un Matre. Et une vie cest
long,
Q. Et limposteur ?
R. Ca cest beaucoup plus facile. On le reconnat aussi
la couleur blanche, mais cest la couleur blanche de sa
Rolls Royce (rires...).
Q. Daccord, passons. Selon toi, quelles sont les
principales caractristiques de ton enseignement du
Tai ji quan ?
R. Tu as bien formul ta question. Mon enseignement est
en effet parfois diffrent de ce qui se fait
habituellement dans les cours de Tai ji quan. Mais il ne
sagit que dun enseignement, pas dun style. Je nai
pas mon style. Mon style cest le style de tout le
monde. Cest ce que je souligne qui est parfois
diffrent. Cest ce que je considre comme essentiel.
Q. Et quest ce que tu considres comme essentiel ?
R. La sant et la bonne humeur.
Q. Daccord, daccord. Nous connaissons dj ton got
pour les rponses paradoxales. Mais je ne peux quand
mme pas conseiller mes amis daller te rejoindre en
Rpublique Dominicaine pour faire un stage de
rigolade.
R. Bon, bon ! Je croyais que oui... Disons que la sant et
la bonne humeur sont les conditions ncessaires pour
14

pouvoir srieusement se consacrer la recherche vers


laquelle je guide mes lves. Tout dabord, nous
nabordons pas le Tai ji quan comme un art martial.
Toute ide de combat est exclue. Toute ide de
comptition, quelle quelle soit est incompatible avec
notre approche du Tai ji quan. Nous ne faisons pas de
pushing-hands. Lorsque nous travaillons avec un
partenaire, nous essayons de percevoir son nergie et
de pressentir ses mouvements. Mais ce nest pas avec
lintention de lui faire perdre lquilibre ou de le
mettre hors de combat. Notre intention est de nous
identifier en quelque sorte lui, dtablir une
communion et de faire ensemble le mme Tai ji quan.
Mais avant den arriver l, nous faisons un trs long
apprentissage de dtection et de manipulation de
lnergie. La dtection dabord. Pendant toute la
pratique nous sommes en permanence lcoute du
moindre frmissement nergtique. Sans parler des
grands courants dnergie que nous suivons et des
vagues par lesquelles nous nous faisons porter. Mais
en mme temps, nous faisons des manipulations de
notre propre nergie, que nous guidons dans les
circuits privilgis. Ce travail demande une grande
concentration et absorbe toute notre attention. Nous
ignorons toute ide de combat dans notre pratique.
Cest ainsi que nous faisons excuter aux jambes des
mouvements aussi lents et aussi ariens quaux bras.
Cest aussi a quon reconnat notre manire, pour ne
pas dire notre style. Nous ne recherchons aucune
efficacit. Nous essayons de nous centrer et de nous
incorporer dans lnergie de lespace environnant.
Notre intention profonde cest la paix et lharmonie
intrieure. Cest le silence de lesprit, Il y a un mot

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bien dmod qui dsigne exactement ce vers quoi nous


mne notre pratique du Tai ji quan. Ce mot cest le
bonheur. On en parle aujourdhui comme sil sagissait
denfantillages. On na pas tout fait tort. Pour tre
vraiment heureux il faut retrouver linsouciance de
lenfance, et aussi la souplesse et laisance du corps.
Mais oui, comment peut-on tre heureux si on est
coinc dans un corps raide et douloureux ?
Q. Quest ce que a veut dire : linsouciance, dans ton
ide ?
R. Ce nest pas sen foutre. Cest consacrer toute son
attention et toute sa joie la chose quon est en train de
faire au moment prsent. Exactement comme un enfant
qui est en train de jouer. Ne pas ruminer le pass et ne
pas penser lavenir. Comme les enfants. La pratique
du Tai ji quan peut nous apprendre librer lesprit.
Elle nous assouplit et nous fait retrouver laisance
corporelle de lenfance. Elle peut aussi nous faire
rapprendre le bonheur.
Q. Tout a a lair bien beau. Mais nous voil aux
antipodes des arts martiaux.
R. Nous sommes en effet bien loin de limage du justicier
redresseur de torts coups de pieds et de poings ou du
samourai manieur de sabre capable de couper en deux
un moustique en vol. Cette image a t cre par un
mauvais cinma. Je crois quon na jamais fait daussi
mauvais films que ceux-l. Les arts martiaux cest tout
autre chose.
Q. Ce que sont les arts martiaux du cinma nous le savons
bien. Parle-nous un peu de ce tout autre chose.
16

R. Je nai fait que a, pendant tout notre entretien. Jai


parl tout particulirement de lnergie, du Chi. Cest
par le travail sur le Chi que notre style rejoint les arts
martiaux violents. Dans les arts martiaux violents la
matrise du Chi est la consquence, je dirais
laboutissement de la matrise de lart du combat. Dans
notre style cest linverse qui se passe. Nous
travaillons le Chi. Lorsquon arrive la matrise du
Chi, lart de combat va de soi. Il est donn en prime.
On na pas besoin de connatre des techniques
extraordinaires pour tre efficace au combat. Ou mme
invincible.
Q. Toi-mme o en es-tu ? Es-tu efficace ? Es-tu
invincible ?
R. Bang !
Q. Encore ? Il me semble pourtant que ma question est
tout ce quil y a de plus normal. Tu as fait une
recherche pendant toute ta vie. Lorsque tu as dcouvert
le Tai ji quan tu as abandonn les autres arts martiaux
pour te consacrer entirement celui-l. Es-tu devenu
plus efficace au combat quavec les autres arts
martiaux que tu as pratiqus ? O est mon
incomprhension ?
R. Tu confonds la comptition avec le combat. Dans une
comptition on lutte pour gagner des points en
respectant les rglements. Le rflexe est le rsultat
dun entranement. Il permet au concurrent, dans des
situations bien codifies, de trouver aussi vite que
possible la rponse conforme aux rgles, qui lui fait
gagner des points. Dans un combat par contre, on

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dfend sa vie. On dfend sa vie par tous les moyens.


Lenjeu cest la vie. Cest a quil faut comprendre.
Perdre le combat signifie tre tu. Cest la mort.
Les Matres dExtrme-Orient qui ont tudi et
enseign lart du combat ont compris quaucune
science ne peut remplacer linstinct. Cest lveil du
sixime sens du combattant qui lui donne la supriorit
absolue, mme sil est physiquement plus faible. Cest
le sixime sens qui lui permet, dans nimporte quelle
situation o sa vie est menace, de trouver
instantanment la rponse qui fait chouer lattaque.
Avant que ladversaire nait excut son mouvement,
le sixime sens a dj rpondu de faon adquate par
une esquive, une parade ou une contre-attaque.
Un fait des annes 50, dont toute la presse de lpoque
a longuement parl, illustre bien la diffrence entre le
rflexe et le sixime sens. Un commissaire et un
inspecteur de police, tous deux champions en judo et
en karat, vainqueurs de nombreux concours
internationaux et en plus instructeurs de la police, se
sont fait mettre K.O. en moins de 30 secondes par un
criminel qui ignorait tout des arts martiaux.
a sest pass en gare de Nice o les policiers taient
venus cueillir leur client. Mais le sixime sens sest
rveill, pour dfendre la vie. La vie de criminel, oui,
mais la nature ne fait pas de diffrence. Une fois de
plus, le criminel na pas respect les rgles. Il sest
dgag de la prise du judoka en le mordant au poignet.
Il a mis hors de combat le karatka en lui lacrant le
visage avec les ongles. Il a fait tomber le judoka en le
tirant par les cheveux. Et il sest sauv.
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Si donc, aprs le combat, tu demandes un combattant


sil a t efficace, a na aucun sens. Sil est l pour
pouvoir rpondre, cest quil na pas t tu. Cest
donc quil a t efficace. Inutile de le lui demander. Sa
prsence mme est la rponse ta question. Nous
vivons en temps de paix dans des pays civiliss. Pour
le moment nous ne nous entretuons pas. a fait que je
nai pas loccasion de vrifier si je suis efficace au
combat. Quand la comptition, ce nest pas mon truc.
Je crois que si je devais me mesurer avec quelquun, je
serais incapable de le priver du plaisir dtre le
meilleur. Je le laisserais gagner. Et je serais heureux de
voir sa joie.
Q. Cest une bien belle attitude pleine de sagesse, mais
crois-tu que tes jeunes lves auraient la mme ?
R. Jaimerais bien que oui. Nanmoins, lun ou lautre de
mes lves ont dj accept de comparer certaines de
leurs performances dans des tests avec des pratiquants
appartenant dautres coles. Je pense quils ont eu
tort. Dans notre recherche, nous ne visons aucune
performance. Et videmment pas celle de la rsistance
une pousse. Une cole de Tai ji quan connat une
certaine vogue en ce moment grce des performances
effets spectaculaires. Ce sont des effets bon march
qui ne signifient strictement rien. Simmobiliser dans
une posture et rsister une pousse sans perdre
lquilibre est dans leur esprit le seul critre de
lexcution correcte du Tai ji quan. Tout dabord, le
Tai ji quan est lart du mouvement continu et fluide, de
la non-rsistance, de leffort minime, de la lgret
arienne. Et a, ce nest pas mon opinion, mais ce que
prconisent les textes classiques crits par les derniers
19

grands Matres du pass ! Japplique fidlement et


rigoureusement ces principes dans mon enseignement.
Il nest pas tonnant que mes lves ne soient pas prts
subir cette preuve de la rsistance une pousse.
Par contre, ils ont parfois ce qui ne peut tre vrifi par
aucun test ni mesur par aucun talon. Je parle de la
grce du mouvement, de linspiration dans
linterprtation de la forme. De la beaut. De lArt. De
ces choses que lon natteint jamais par une pratique
oriente vers lacquisition de la facult de rsister
une pousse.
Q. Nous voici en plein dans une querelle dcoles ! O est
donc cette belle srnit que nous pensions tre la
qualit de tous les pratiquants du Tai ji quan ?
R. Il y a en effet diffrentes coles de Tai ji quan, mais
pas ncessairement des querelles entrelles. De toute
faon chacun des grands leaders est persuad dtre le
seul et unique dtenteur des secrets du vritable Tai ji
quan. Ils ne se querellent pas : ils traitent les autres
par le mpris et les ignorent. Sil y a des querelles,
elles se font entre lves, pas entre coles.
Q. Et ta position dans tout a ?
R. Je ne suis pas un Matre, ni un grand expert. Je ne suis
mme pas un Chinois. Je suis donc en dehors de ce que
tu appelles tout a. Je suis mon chemin avec
quelques lves. Ce sont mes amis. Je nai pas de
secrets pour eux. Je leur donne le peu que jai acquis.
Ce nest pas grandchose. Nanmoins ils pourront aller
plus loin que moi, car ils nauront pas refaire le
travail de dfrichage que moi jai d faire. Ils partent

20

donc dun palier plus avanc que celui do je suis


parti moi-mme. Il serait normal quils arrivent plus
loin. Je ne sais pas si je serai encore l pour avoir le
bonheur de me voir dpasser par mes lves.
Q. Tu insistes sur la beaut du geste et sur sa grce. Tu
parles de lart et cela me rappelle avoir entendu dire
que ton Tai ji quan, ctait du thtre. On a dit de toi
que tu tais un danseur, et que ce que tu faisais ntait
pas martial.
R. Et on a eu entirement raison. Je prfre la beaut dun
danseur faisant des mouvements o on reconnat
peine le geste de combat, la grce dun rouleau
compresseur crasant tout sur son passage.
Q. Y compris le danseur ?
R. Ah ! Cest l la grande surprise ! Le secret du
vritable Tai ji quan se trouve l : du bout des doigts,
sans effort et avec le sourire, le danseur repousse
gentiment le rouleau compresseur qui recule en se
demandant ce qui lui arrive. Cest a le Chi. Quand on
sait utiliser le Chi, on na pas besoin de se donner je ne
sais quel aspect martial. Cet air de combattant
invincible ne trompe que celui qui ne sait pas ce quest
le Chi. La posture la plus enracine ne rsiste pas une
pichenette donne avec le Chi. La force musculaire,
mme dcuple, ne resiste pas non plus au Chi. Seul le
Chi peut sopposer au Chi.
Q. Pourtant ce problme denracinement est lobjet de
proccupation de certaines coles de Tai ji quan et non
des moindres. On a dit que si on ntait pas enracin
dans sa posture, on ne ltait pas non plus dans la vie.
21

Quon ntait pas authentique, quon avait une


sexualit problmes, etc... Que penser de tout a ?
R. La mme chose que de tout bla-bla-bla. Jai un lve
qui, aprs trois ans dAkido et quatre ans de Tai ji
quan sest aperqu lors dun test que sa posture ne
rsistait pas une pousse, mme lgre. Du et
tonn, il vient me demander des explications. Il ma
fallu exactement deux minutes pour lui montrer o
tait le problme et comment faire pour senraciner
dans la posture, pour senraciner dans la vie, pour
devenir authentique et pour rsoudre les problmes de
sa sexualit. Juge du srieux par toi-mme !
Q. Et les applications martiales du Tai ji quan ?
Lutilisation pratique de diffrentes figures ?
R. Dans un combat rel, elles sont nulles. ll nen va pas
de mme dans un combat mim. Et cest a leur raison
dtre. Mimer un combat. Dans un combat, le corps
libre une grande nergie qui est en bonne partie
perdue par la colre, la peur, lmotion et bien entendu
par leffort. Lors de la pratique correcte du Tai ji quan,
le corps reconnat le geste de combat et libre lnergie
qui nest plus perdue ni par la peur et la colre, ni par
leffort. Elle reste disponible et reprsente un vritable
enrichissement.
Q. A tentendre, on se demande si de nombreux
pratiquants du Tai ji quan ne sont pas en train de
perdre leur temps en se faisant de douces illusions ?
R. Oh non, certainement pas. La recherche posturale est
aussi essentielle que toutes les autres. Et chacune, si

22

elle est faite avec srieux et persvrance, peut mener


au sommet.
Q. Y compris la recherche thorique ?
R. Mais oui. LHomo Sinologus Compilans fait un travail
de premire importance. Et il ne faut pas mpriser le
travail de lHomo Plagiator Copians non plus. Il est
utile lui aussi. Jai vu la vie dune personne changer du
tout au tout aprs la lecture dun trs mauvais livre sur
le Tai ji quan. La recherche de lHomo Enracinatus
Posturalis est essentielle. Nous la rservons aux
dbutants. Nous avons peut-tre tort de lui prfrer trs
vite la recherche de lHomo Trefondalis Respirans. Et
puis, non, nous navons pas tort. La respiration est
dcidment beaucoup plus importante quun
enracinement provisoire.
Q. Pourquoi provisoire ?
R. Mais parce quil ne rsiste jamais au Chi de lHomo
Fluidus Ondulans. Et cest sa recherche qui est notre
proccupation majeure, pour ne pas dire unique.
Q. Quentends-tu
Ondulans ?

exactement

par

lHomo

Fluidus

R. Cest une plaisanterie. Jaime bien me moquer de


toutes les sciences. De la chinoise aussi. Il y a,
cependant, une ralit faite dnergie, dondes, de
forces qui sattirent et se repoussent. Lhomme aussi a
sa place dans cette ralit. Il est lui-mme une source
dnergie et il subit et utilise lnergie de lespace
environnant. Jvite de parler de cosmos. Gardons les
pieds sur terre. En dfinitive, toute notre recherche
23

consiste librer notre propre source dnergie et


nous mettre lunisson avec les forces de la Nature.
Dans la pratique du Tai ji quan, chaque mouvement
que nous faisons est guid par cette recherche-l.
Q. Jai assist de nombreuses confrences, jai lu pas
mal de livres sur le Tai ji quan. Personne ne parle de
a. Serait-ce une ide toi ?
R. Oh non ! Ce nest pas une ide moi. Cest lide
directrice qui a conduit les Matres des temps anciens
et qui leur a fait trouver et comprendre ces choses qui
parassent si obscures aux Occidentaux. On nen parle
que trs rarement aujourdhui. Ce nest pas tonnant.
Cette qute ne peut tre filme et elle na aucun aspect
spectaculaire ni sensationnel. En un mot, elle nest pas
au got du jour. Roland Habersetzer en a touch un
mot dans son livre Kung-Fu. Il y mentionne une
prise de conscience plus mtaphysique do seule
peut dcouler la matrise authentique. Et il dit
notamment : ... ceux qui nprouvent pas le besoin
de sy risquer, il suffira de savoir que cette recherche
existe : mais de ce fait un important chapitre de la
connaissance ultime dun art martial leur restera
cach. Et bien voil ! Cette recherche, cest la ntre.
Lun des aspects, lun des instruments de cette
recherche est pour nous le Tai ji quan. Ce nest pas le
seul. Je prfre ne pas en parler.
Q. Tu as toi aussi tes secrets ?
R. Oui, mais je ne les vends pas et surtout pas mes
lves. Pour eux je nai pas de secrets. Je souhaite
seulement protger la srnit et le srieux de notre

24

travail contre la curiosit, la malveillance et


lincomprhension. Cest a le sens du secret et du
sacr pour nous. Voil. Notre porte est grande ouverte
tous ceux qui veulent se donner la peine de nous
rejoindre pour faire avec nous le Tai ji quan de la Voie
Intrieure. Cest une voie difficile et longue. Venez
avec nous. Faisons comme si nous ne savions pas que
nos efforts seront inutiles et que nous narriverons
jamais. Que nous nen aurons pas le temps. Faisons
comme si nous ne savions pas quau prochain
Tchernoville nous serons tous bouffs par les atomes,
et que cest de notre faute. Que nous laissons faire
parce que nous manquons de courage et surtout,
surtout parce que nous manquons damour.

25

26

DEUXIEME ENTRETIEN

27

Question:
Il y a deux ans que jai fait mon premier stage. Tu ten
souviens?
Rponse:
Bien sr que je men souviens! Quand tu es arriv tu
mas fait des courbettes. Je ne pouvais pas faire
autrement que de ten faire mon tour. Puis nous
avons pouff de rire tous les deux. Et on a cess de
dconner. On sest mis au travail. On a fait du bon
boulot, cette anne l!
Q. Il y a un truc que je ne tai jamais racont. Cest
comment Sophie ma accueilli dans le groupe.
R. Ae, ae, ae! Raconte!
Q. Eh bien, il y a deux ans, jour pour jour, je dbarque,
impatient de rencontrer le Matre. On me dit que cest
Sophie la plus ancienne. Je madresse elle pour me
tuyauter. Je lui demande: "Est-ce quon peut aborder le
Matre? "Elle me fait: "Quel Matre?" tonne.
Eh bien, Vlady.
Ah bon!
Quoi, il nest pas un Matre?
Tout dpend de ce que tu entends par l. Aujourdhui
le premier venu, un jeune homme, peine pass trente
ans, se dguise et se dmne pour se faire passer pour
un Matre. Vlady, cest un Matre qui se dguise et qui
se dmne pour se faire passer pour un jeune homme.
Pour le premier venu. Alors, tu fais comme nous. Tu
joues le jeu. Tu le traites en copain et tu oublies un peu
ton histoire de Matre.

28

R. Sacre Sophie, elle a le don de la rpartie.


Q. Cette anne jai commenc apprendre le Kiriki-Do.
Comment se fait-il que tu nous enseignes le Kiriki et
pas les pushing-hands?
R. Les pushing-hands, tels quils sont pratiqus
gnralement, ce nest que du pousse-pousse-tiretirepousse. Je nen fais pas. Sous aucune forme. Sous
aucun prtexte. Mais jai peut-tre tort de priver mes
lves dbutants du plaisir dpater les copains!
Q. Ny a-t-il vraiment rien dautre dans cette pratique?
R. Bien sr que oui. L aussi, on peut introduire une
recherche mais en ralit personne ne le fait. Essayer
de gagner des points ce nest pas faire une recherche.
Et le petit jeu de pousse-pousse na rien de martial,
non plus. Il ne donne aucun avantage un combattant.
Ou alors pas plus que nimporte quel sport qui aiguise
les rflexes. On fait dj des tournois de poussepousse.
Nous avons vu la prsentation mime du rglement.
Ctait film Tawan lors dune comptition
internationale. Tout le monde ne parlait pas le chinois.
Ils ont donc mim les gestes interdits: mordre, griffer,
tirer les cheveux, cracher au visage...
Q. Cracher au visage?
R. Mais oui! Et sils lont interdit, cest que des gars
taient tents dutiliser ce truc-l aussi pour gagner.
Gagner tout prix! On a vu aussi les comptitions.
Pitoyable!
Q. Tu es contre la comptition?

29

R. Quest-ce que cest la comptition? Cest vouloir tre


meilleur que dautres. Cest trs facile de gagner des
comptitions. On trouve toujours un plus cloche que
soi. On est toujours meilleur que quelquun. Sengager
dans la recherche du plus cloche que soi, mne vers
des satisfactions de basse vanit. Quand on a gagn, on
saute de joie en lanant les bras vers le ciel. Et a ne
choque plus personne!
Q. Toi, a te choque?
R. Je trouve a triste. Cest la dmonstration dun tat
desprit dune bien triste pauvret. Faire dvier le Ta
Ji Quan vers la comptition, cest bien dommage. La
recherche du plus cloche que soi ne mne pas vers des
tats de haute lvation et de communion. a cest le
propre dune tout autre recherche. Mais celle-l, on ne
peut rien en dire, si ce nest quelle est longue et
difficile. Et pas spectaculaire.
Q. a cest bien vrai!
R. Et il faut tre initi pour reconnatre un mouvement qui
est port par le Chi. Toi tu as mis des annes de travail
et de patience pour y arriver. Les copains, eux, ne
voient que des mouvements lents.
Q. Lautre jour jai entendu des passants dire en nous
regardant travailler:
"On dirait des drogus".
R. Oh oui! Moi aussi, jen ai entendu de ces rflexions!
"On dirait des cosmonautes... On dirait du Bjart..."
Personne ne peut deviner ce que vous faites. Vous tes
en train de manipuler lnergie de la vie mme, vous
30

tes en rsonnance avec les manations nergtiques


de lenvironnement. Il ny a que vous qui le savez.
Pourtant, avec le Chi, on peut communiquer
directement avec ses semblables. Cest ce qui est
commun tous les vivants. Cest par le Chi quon peut
entrer en Harmonie avec tout ce qui vit. Il faut des
annes de travail pour y arriver. Des milliers dheures
de patience. Et quand vous y tes, un non initi ne peut
pas le deviner. a npate personne.
Q. Donc, si jai bien compris, tu es contre la comptition.
Mais pas systmatiquement contre toute recherche qui
utilise la pousse des mains?
R. Cest bien a. Rsister la pousse des mains dans des
attitudes o la stabilit est normalement prcaire, peut
tre une recherche srieuse. Si elle passe par le travail
sur lnergie et les perceptions intrieures. Ce qui nest
pas srieux cest den faire un grand mystre et un
grand secret. La matrise de la technique peut
permettre, en effet, des performances tonnantes. Elle
na quand mme pas sa place dans la pratique du Ta Ji
Quan.
Q. Ce nest pas lopinion de tout le monde. Avant de
travailler avec toi, jai suivi dautres cours. On insistait
sur cet aspect l. Ctait le test. Tout le monde
chouait, bien entendu. Il ny avait que le professeur
qui rsistait la pousse. Et tu crois que a ne sert
rien?
R. Je nai jamais dit a. Je pense seulement que cest
contraire lesprit mme du Ta Ji Quan. Il est vrai que
je ne suis ni un sinologue ni un historien. Dieu sait tout

31

ce que jignore au sujet du Ta Ji Quan! Il y a pourtant


des textes quon appelle les classiques. Ils sont
explicites. Je ny ai trouv aucune trace de cette
fameuse rsistance. Au contraire. Il y est dit trs
clairement que la force de lattaquant doit tomber dans
le vide et non rencontrer un mur devant soi. Devant la
pousse de lagresseur le corps, parfaitement dtendu
doit littralement disparatre sans lutilisation de la
force musculaire.
Q. Ne sagit-il pas plutt dune querelle dcole sans
grande importance?
R. Je pense quil sagit au contraire dune chose trs
importante. Cest un problme dorientation de lesprit.
Rsister victorieusement ou soublier et disparatre?
Je suis le plus fort ou je nexiste pas?
Q. Il faudrait donc, selon toi, se laisser tabasser et mme
se laisser tuer sans rsister?
R. Oh non! a ce nest pas selon moi. a cest selon ce
doux dingue qutait Gandhi.
Q. Ah, ah, cest pas mal a: ce doux dingue qutait
Gandhi!
R. Nous avons choisi la Voie Intrieure. Nous sommes
rsolument contre la violence. Ce nest pas pour a que
nous sommes des nouilles. Nous ne sommes pas des
nigauds non plus. Le truc de Gandhi cest du rve. Son
idal de la non-violence ne pourrait marcher que dans
un affrontement entre des groupes humains dgale
lvation de conscience morale. Et si on a en face de
soi des btes froces? Ou des robots? Les S.S. taient
32

les deux la fois! Tu leur aurais oppos lidal de la


non-violence, aux S.S.? Non, il ne faut pas rver!
Q. Ce nest pas facile de te suivre.
R. Ce nest pas moi quil faut suivre mais la ralit. La
vie telle quelle est. Quand la vie est menace il faut la
dfendre. La nature nous a donn des armes pour le
faire. Le Kiriki-Do est lart de sen servir. Nous
navons pas peur dexcuter le geste du combat rel.
Ce geste est beau. Il engage toutes les facults de ltre
humain. Toutes ses possibilits physiques et
nergtiques. Mais aussi toutes ses ressources
psychiques. La volont, lintelligence, la force morale.
Et puis surtout cette autre force inexplicable:
lindomptable lan de vie. Ce geste est noble. Il est
destin dfendre la vie. Et pas gagner des points et
des diplmes.
Q. En Kiriki-Do on ne travaille pas avec un partenaire.
Est-ce que a nenlve pas un aspect important
lentranement?
R. Non. Le Kiri Kung-Fu nest pas un sport. Il se pratique
seul. Jamais autrement que dans le vide. Jamais contre
un partenaire ou contre un objet tel que sac de sable ou
makiwara. Cest la perfection du geste qui est
recherche en vue de la plus grande efficacit possible.
Cette efficacit est due la dcharge dnergie
limpact. Tu as dj vu le test qui consiste frapper
dans un journal pli en quatre, lch et touch en vol
pendant sa chute. Tu vois le journal exploser en
morceaux, littralement. Quand le coup est russi. Pour

33

nous, a sarrte l. Cest une recherche. Cest la


pratique dun art. Mais cest un art mineur.
Q. Pourquoi mineur?
R. Parce quil y en a un autre qui lui est de loin suprieur.
Cest lexploration de la Voie Intrieure. Le Ta Ji
Quan est aussi un instrument de cette exploration.
Q. Pourtant, cest depuis que je fais du Kiriki que je
comprends vraiment, que je sens vraiment ce qui a t
stylis dans les figures du Ta Chi.
R. Et cest lune des grandes raisons qui nous ont fait
introduire ltude du Kiriki, partir dun certain
niveau atteint en Ta Chi. Et a savre tre trs utile.
a donne aussi aux jeunes et aux moins jeunes
loccasion de faire des efforts, de se fatiguer et mme,
pourquoi pas, de se dfouler.
Q. Et le mot Kiriki-Do, cest toi qui las invent?
R. Pour rigoler. Et puis cest rest. Maintenant a ne fait
plus rire personne. Nous avons affubl notre pratique
dun nom de fantaisie. a naffecte en rien le srieux
de la pratique mme. Cest aussi une recherche
interminable. Cest aussi une voie possible. Une voie
vers le sommet. Inaccessible de toute faon.
Q. Eh ben, on ne peut pas dire que tu encourages tes
lves! Je ne saurais pas te citer des titres ni te dire des
passages, mais, de lensemble des livres que jai lu sur
les Arts Martiaux, jai retenu une espce de
conclusion. Jtais convaincu quon pouvait arriver au

34

sommet par la pratique srieuse et assidue des Arts


Martiaux.
R. Il y a l un malentendu. On parle trop facilement des
Arts Martiaux sans se proccuper de la porte des
mots. Martial signifie guerrier. On ne fait pas la guerre
pour gagner des points ou pour obtenir un diplme ou
une mdaille. La guerre, cest pour tuer. Un art martial
est un art de tuer des hommes. De nos jours tout est
diffrent. La technique de combat a cd la place la
technologie. Lart de tuer a t einsteinis. Les arts qui
arborent encore avec fiert ladjectif martial ont t
vid de tout leur sens. Les Arts Martiaux ne sont plus
martiaux.
Q. Et toc! Mais peut-on combattre sans tuer?
R. Mais bien sr! Tout dpend du sens que tu donnes au
mot combat. Les joueurs dchecs mnent un combat.
Ils font saffronter des armes selon les rgles de la
stratgie et de lart de la guerre. Il ne sagit que dun
jeu. De la mme faon il ny a rien de martial dans les
affrontements entre concurrents lors des comptitions.
Leur conviction et leurs mines terrribles ny changent
rien. Le dieu Mars, a le fait tout juste rigoler.
Q. Quand mme, quand mme! Tu ne trouves pas quil est
bon de connatre des techniques de combat pour
pouvoir se dfendre?
R. Cest ce que jappelle les Arts Martiaux pour les
voyous. Les salles dentranement sont remplies de
braves gens qui apprennent les arts de combat. Et avec
quelle application! Ils ont lespoir de pouvoir un jour
donner une racle aux voyous qui oseraient les
35

attaquer. Ou seulement les insulter. Ou leur faucher la


place de parking laquelle ils avaient droit. Ils ne se
rendent pas compte quils rglent leur comportement
sur celui des voyous. Ce sont les voyous qui leur
imposent leur manire de vivre.
Q. Tu nous enseignes quand-mme le Kiriki-do!
R. Et surtout lart de ne pas se chamailler pour une place
de parking! Le Ta Chi de la Voie Intrieure cest
quand mme tout autre chose. Prends lexemple de la
musique. Les chants guerriers, les marches militaires,
cest de la musique, indiscutablement. Mais la
musique, ce nest pas que a. Une marche militaire
cest la manifestation de la force brute et de la volont
de domination. Quelle diffrence avec la puissance
profonde dune symphonie! Cest la mme diffrence
qui existe entre la voie extrieure et la voie intrieure.
Lune mne vers la matrise de techniques efficaces.
Lautre mne vers le dveloppement de certaines
facults de ltre profond. Lune vise un objectif.
Lautre vise un tat. Nous avons choisi la Voie
Intrieure.
Q. Nas-tu pas crit toi-mme que les deux voies se
rejoignent au sommet?
R. Oui, jai crit a. Seulement, notre poque plus
personne natteint le sommet par le versant extrieur.
On a le livre sous la main. Voici donc ce que jcrivais
dans La Voie du Ta Ji Quan. "Dans les moments
dcisifs dun combat, face une mort imminente, le
combattant mobilise une nergie insouponne et
lutilise pour faire des choses impossibles. Les Matres

36

dExtrme-Orient ont tir de grands enseignements de


leur tude du combat. Ils ont appris utiliser cette
nergie de dernier recours face la mort". Il est
vident quil ne sagit pas de championnat!
Aujourdhui, les grands matres de la Voie extrieure
sont seulement des champions. Le sommet, ils le
regardent encore de bien loin.
Q. Et les Matres de la Voie Intrieure?
R. Nous ne savons rien au sujet des Matres de la Voie
Intrieure. Ils sont inaccessibles. Ils vivent retirs. Ils
sont entours de quelques rares lves auxquels ils
enseignent le silence. Ce ne sont pas eux qui crivent
des livres ou qui publient des revues. Ce ne sont pas
eux qui discutent au sujet de la Voie extrieure ou de
la Voie intrieure du Ta Ji Quan!
Q. Mais le Ta Chi nest-il pas par dfinition une
discipline de la Voie Intrieure?
R. Il devrait ltre. Sil est orient vers un adversaire, il
tourne le dos la Voie Intrieure. Cest vident. Mais
si tu tvertues raliser tout prix la copie conforme
dun modle de posture rigoureusement dtermin, tu
es toujours lextrieur. Les innombrables retouches et
rectifications pour raliser une figure impose ne font
que tloigner de la Voie Intrieure.
Q. Quelle est alors la recherche qui est dcisive?
R. Cest celle qui concerne le Chi.

37

Q. Je crois que jai dj une certaine exprience du Chi. Il


mest quand mme trs difficile den parler des nonpratiquants. Comment expliquer ce quest le Chi?
R. Cest trs difficile si le point de dpart est un mot et
non une exprience. Le mot Chi a dinnombrables
significations. On la dj utilis toutes les sauces.
On a dj fait passer sous le nom de Chi tant de
choses!
Q. Et quelles choses y faisons-nous passer nous-mmes?
R. Bon. Reparlons du Chi. Il est quand mme lobjet de
notre recherche dans le Ta Ji Quan, et nous en
parlerons encore beaucoup.
Lhomme est un tre vivant. Comme tous les tres
vivants il est habit par une force qui agit en lui. Cest
cette force qui le construit depuis la conception et qui
lentretient jusqu la mort. Cette force cest la vie
mme. Elle se manifeste de nombreuses faons. Elle
utilise de nombreux moyens daction, dont lun est le
Chi. On pourrait parler dnergie pour expliquer ce
quest le Chi. On le pourrait, si le Chi faisait comme
toutes les autres formes dnergie. Je veux dire sil
restait sourd aux injonctions de la volont. Cest bien
le contraire qui se passe. Avec un minimum de
matrise, le Chi obit la volont. Souvent, une simple
intention peut le mobiliser et le faire agir.
Q. Et on peut faire beaucoup de choses avec le Chi?
R. Beaucoup. Soulignons tout de suite que pour nous le
Chi nest pas une arme de combat. Le Chi est pour
nous un instrument de communication avec les autres.
38

Avec la nature. Et cest en mme temps un instrument


dexploration de nous-mmes. De notre corps, pour
commencer. Mais aussi, bien au-del du corps que
nous percevons par les moyens habituels. Avec le Chi,
nous explorons notre ralit profonde, ce que nous
sommes
fondamentalement,
avant
toute
diffrenciation: des units de vie. Et tas fini de
rigoler?
Q. Je souriais seulement. Jaime bien couter tes trucs,
mais tout a est si peu scientifique!
R. En effet. Mais est-ce bien la science qui cerne la vie
dans une explication o ltre vivant conscient se
reconnat? Il y a un vilain mot qui, pour la science,
dsigne la vie. Pour la science cest de la matire
organise. Tu te reconnais, toi, dans cette description?
Tu te sens comme de la matire organise?
Q. Bon, bon! pour la science ce qui compte cest ce quest
la vie objectivement.
R. Eh bien, objectivement, la science reconnat
contrecoeur ce que la plus superficielle observation fait
ressortir immdiatement. La vie ne se manifeste pas
nimporte comment. Il y a des principes qui prsident
sa manifestation. Ce sont: lquilibre, la symtrie,
lharmonie. a cest objectif. Mais notre recherche
nest pas scientifique. Nous ne sommes pas obsds
par le souci de lobjectivit. Au contraire. Nous
voulons participer. Le Chi est pour nous linstrument
de la perception de cette harmonie et de notre
intgration dans limmense flux de vie par lequel nous
nous laissons emporter. Sintgrer dans lharmonie

39

originelle de la vie, cest avant tout soublier soimme. Cest disparatre en tant quindividu et se
confondre avec le tout.
Q. Cest bien beau tout a, mais en pratique, comment
faire?
R. Justement, ne rien faire. Ne rien vouloir, ne rien viser.
Ntre porteur daucune ambition, daucun dsir,
daucun souhait. Ne pas chercher la perfection, ne pas
chercher tre meilleur que dautres. Ne rien chercher
du tout. Pratiquer le Ta Chi et laisser faire. Cest
comme a que se libre ce que nous sommes en ralit,
cet tre profond que nous avons emptr sous les
accoutrements de notre poque et de notre civilisation.
Q. Cest beau: librer ltre profond qui est la vie mme...
R. Tu as compris. Cest pour a que cette voie est
intrieure. Elle est oriente vers la vie. Vers sa source,
vers son centre. Et la vie a se passe lintrieur.
Dedans. Dans un espace-vie rigoureusement ferm et
ultra
protg.
O
les
conditions
idales
dpanouissement sont runies et maintenues jusqu
la mort. Pntrer par la conscience dans ce monde l,
cest sidentifier sa propre vie et en mme temps
sintgrer au Tout de la vie. A lHarmonie universelle.
Q. Et je conclus, en bon prof. de lyce que je suis encore:
si nous devions dfinir notre approche en termes de
finalit nous dirions que notre but cest la Vie.
R. Sa protection, sa propagation. Le respect de la Vie.
Lamour de la Vie. Mais a le prof. encore imprgn
de science nose pas le dire.
40

Q. Javoue que je ne suis pas encore convaincu que


lobjectivit scientifique soit vraiment la mauvaise
attitude dans la recherche.
R. Tu as un bel exemple de lattitude scientifique dans la
recherche en acupuncture.
Q. On fait de la recherche scientifique en acuponcture,
maintenant?
R. Oh, pas sur une trs grande chelle, mais on en fait.
Les tout grands, les qui savent tout, ont dit non
lacuponcture. Ils savent tout, donc ils nont pas besoin
daller vrifier si leur non est justifi. Et puisquils
savent tout, ils ne peuvent plus rien apprendre.
Q. Je connais le genre! Les auto-admirateurs bats.
R. Il y a ensuite la majorit silencieuse.
Q. Dfinitivement!
R. Eh oui! Rien ne la fera sortir de sa routine. Elle dira
oui avec la majorit. Quand lacuponcture sera
enseigne luniversit et quelle portera le nom de
Threstipocu.
Q. Quoi? Comment?
R. Eh bien: thrapie rflexe par stimulation de points
cutans!
Q. Et la recherche scientifique?
R. Elle est faite par un petit nombre de mdecins de par le
monde, qui sest intress la chose de lacuponcture.

41

Ils ont voulu en vrifier lefficacit. Ils ont donc fait


des expriences scientifiques. Tu sais ce que je pense
de la science et de ses mthodes saugrenues. Je nai
pas chang davis. Il nempche que la science peut
parfois nous fournir des renseignements trs
instructifs.
Q. Et ces expriences alors?
R. Doucement! Moi, je ne suis pas un scientifique. Ne me
demande pas de te les dcrire, ces expriences, ni des
prcisions, ni mes sources, je me borne ten donner
les rsultats. On a obtenu sensiblement les mmes un
peu partout dans le monde. En Chine aussi.
Q. Tu prpares habilement ton petit effet. Tu vas nous les
dire finalement, ces rsultats?
R. 30%. Lorsquun acuponcteur expriment pique des
points selon les rgles de lart, lefficacit de son
intervention ne dpasse pas 30% des cas.
Q. Et on fait quand mme de lacuponcture?
R. Attention, il sagit des effets scientifiquement
vrifiables et imputables sans aucun doute aux
aiguilles. Si le mme acuponcteur pique des points
dacuponcture choisis au hasard, lefficacit de son
intervention reste sensiblement la mme. Tout change
lorsquil pique nimporte quel point du corps en dehors
des mridiens et des points dacuponcture.
Q. a devient inefficace?
R. Premire surprise: lefficacit diminue de faon
vidente, mais ne tombe pas zro. Il y a une
42

diffrence significative entre les chiffres quaurait


donns labsence de toute intervention et ceux obtenus
par lintervention au hasard.
Q. a alors!
R. Attends ce nest pas fini! Tout change aussi quand
notre acuponcteur expriment se fait remplacer par
une machine ou par un homme pris au hasard dans la
rue. Lefficacit des interventions faites dans les rgles
diminue considrablement. Et celles faites en dehors
des points et des mridiens obtient la cote zro.
Q. a donne quand mme rflchir, tu ne trouves pas?
R. Le plus beau ne fait que venir. On a aussi test
lefficacit des acuponcteurs qui avaient la matrise du
Chi. Les rsultats obtenus nont tonn que les
scientifiques. Pas nous.
Q. Alors?
R. Les praticiens qui manipulent le Chi en acuponcture
obtiennent des rsultats scientifiquement vrifiables
dans presque 100% des cas. Et pas seulement en
Chine.
Q. Cest donc clair...
R. a ne peut pas tre plus clair. La science la mis en
vidence
scientifiquement.
Lefficacit
de
lacuponcture dpend de la personnalit de
lacuponcteur. Non pas de ses connaissances. Non pas
de lapplication rigoureuse des rgles et des mthodes,
mais de son volution personnelle. Qui ralise le
maximum defficacit? Ceux qui ont fait leffort sur
43

soi-mme pour acqurir la matrise du Chi. A ton avis,


quelle conclusion en a tir la science? Dans quelle
direction sest oriente la recherche depuis quon
connat limportance du rle de lacuponcteur?
Q. Quelle question! Mais cest vident! On sacharne
tudier le Chi...
R. Eh bien tu te trompes! On sacharne mettre au point
des mthodes o la personnalit de lacuponcteur
nintervient pas. On veut liminer lhomme qui a
matris le Chi. On veut le remplacer par des machines
et par des appareils. On dpense des fortunes pour les
mettre au point. On veut que la machine humaine soit
entretenue par une machine tout court. Cest a ton
objectivit scientifique.
Q. Tu as fait toi-mme de lacuponcture. Et tu te sers dun
dtecteur lectronique de points. Jen ai vu au moins
une demi douzaine dans ta panoplie. Cest que tu ne
piques pas au hasard et que tu te fies aux machines toi
aussi!
R. Oui, je me fie mon choix que me confirme la
machine. Je me fie la machine mais je ne lui confie
pas la sant. Ni la mienne ni celle de mon gosse ou de
ma femme. Et je ne traite pas les points au hasard.
Jutilise les points recommands dans les manuels. Je
ne tiens aucun compte des explications thoriques mais
je traite les points que la tradition a reconnu comme
spcifiques de telle ou telle algie ou maladie. Je nai
pas attendu les scientifiques pour me rendre compte
que nimporte quel point trait correctement donnerait
les mmes rsultats. Seulement moi, je ne me permets

44

pas de faire des expriences. Comment, mon gosse a


mal, ma femme est malade et moi je me mettrais
tester des points et vrifier mes thories? Je ne suis
pas un scientifique. Je prfre avoir tort mais voir mon
gosse retrouver le sourire.
Q. Je ne tai pourtant jamais vu consulter un livre. Il est
impossible que tu connaisses tout a par coeur.
Comment fais-tu vraiment?
R. Parlons dautre chose.
Q. Cest un secret?
R. Mais non. Cest la chose la plus simple au monde
quand on voit le corps et ses problmes de lintrieur.
Quand on est dedans.
Q. Tu insistes beaucoup sur lintriorit. La Voie
Intrieure. On commence la mentionner un peu mais
je crois que cest plutt parce quon ne peut pas faire
autrement aprs tout le battage que tu fais.
R. Le battage se fait tout seul. Nous sommes de plus en
plus nombreux, alors, a fait du bruit. Et la Voie
Intrieure, ce nest pas moi qui lai invente. Les mots
chinois Ne Chia signifient: la Voie Intrieure. Si le
mot existe, cest bien pour dsigner quelque chose.
Pourtant, cette chose, on nen parle jamais.
Q. Mais pourquoi?
R. a nintresse pas le grand public. Cest normal. Le
public est comme a. Alors, on lui donne ce quil aime.
La comptition. La violence. Et il sen suit une
consquence. La plupart des pratiquants, la majorit
45

des professeurs, ne se doutent mme pas quil peut y


avoir autre chose. Quil y a une autre approche du Ta
Chi. Non martiale.
Q. a ne peut pas tre autrement. Ils apprennent ce quon
leur apprend. Et les profs. enseignent ce quon leur a
enseign.
R. Et la Voie Intrieure, ils nen ont jamais entendu
parler.
Q. Je crois quon suit la lettre une classification qui
place doffice le Ta Chi dans les disciplines de la Voie
Intrieure.
R. Et on ne se pose mme pas la question de savoir o est
la diffrence.
Q. Eh bien, o est-elle, la diffrence?
R. Disons tout de suite que la diffrence nest pas dans la
technique. Ni dans la forme, ni dans la vitesse, mais
bien dans une certaine orientation. La diffrence est
dans une certaine attitude. Cette attitude vise la
communion plus que la communication et en tout cas
elle exclut la comptition. Et laffrontement, et
lambition, et la motivation, et le but quel quil soit, et
toutes ces choses qui appartiennent au monde
extrieur.
Q. Et tu crois vraiment que tous ces Chinois quon voit
dans les rues faire du Ta Ji Quan avant daller au
boulot font une recherche de ce genre? Et en papotant.
R. Ce nest pas dans les rues de Pkin quon voit du Ta
Chi de haut niveau et certainement pas le Ta Chi de la
46

Voie Intrieure. Ce nest pas dans la Chine


daujourdhui quon encourage la Voie Intrieure. Bien
au contraire. Le Ta Chi est aujourdhui surtout une
affaire de sant publique. Et a marche bien. Cest
lexemple que devraient suivre nos mutuelles et la
Scurit Sociale, au lieu de se lamenter sur leurs
dficits.
Q. Et Tawan? Et dans les autres pays?
R. A Tawan et ailleurs, ce nest pas trs diffrent. Le plus
souvent, quand ce nest pas du Ta Chi anti-stress ou
anti-cellulite, cest du spectacle ou de la comptition.
Du mas-tu vu ou du je taurai.
Q. Et nous, cest du quoi?
R. Nous, cest du "autre chose". Cest une recherche. Il
ny a rien montrer. Il ny a rien faire voir.
Q. Plonasme vladique dont je commence apprcier
lefficacit.
R. Oui, je rpte la mme chose. Jessaie de faire
comprendre en le rptant, ce que je ne peux pas
expliquer. Ce qui est inexplicable. Cest une autre
voie. Elle est longue et difficile. Et peu frquente.
Pour pouvoir lemprunter, cette autre Voie, il faut
renoncer plaire au public. Cest la premire
condition. La deuxime condition, cest renoncer
plaire soi-mme en remportant des victoires qui
prouvent quon est le meilleur.
Q. Cest donc une tare que dtre le meilleur?

47

R. Meilleur que qui? Jamais on ne peut tre simplement


bon. Personne na jamais matris un art. La perfection
est hors de porte. On nest jamais bon. On est
seulement meilleur que les autres.
Q. Lenfer cest les autres, comme dirait lautre.
R. Saurtre.
Q. Saurtre ?
R. Jean-Paul Saurtre.
Q. Humour vladique que je nai pas encore appris
apprcier. Pourtant, je fais des efforts.
R. Passons. Il y a donc lautre. Lautre cest celui qui est
en face. Cest ladversaire, cest le concurrent. Et cest
le public. Ils se trouvent tous invitablement au ras du
sol. Le spectacle et la comptition sont leur niveau. Il
leur manque une dimension. Il leur manque la
profondeur. Et lenvole, la hauteur. Ils voluent dans
un espace deux dimensions. Cest quand on quitte la
surface, cest quand on abandonne le superficiel quon
souvre la troisime dimension. On aborde la Voie
Intrieure. Et on fait alors un tout autre Ta Chi. Les
postures et les mouvements acquirent une autre
signification. Ils ne se rfrent plus un adversaire. Ils
ne sont pas destins un public. Ils se logent dans un
autre contexte. Dans un espace trois dimensions.
Q. Je vois bien ce que tu veux me faire comprendre.
Aborder la Voie Intrieure cest chapper la
condition humaine.

48

R. Quand on parle de la condition humaine on pense la


manire dtre, propre aux hommes civiliss. La
condition humaine de notre poque est une manire
dtre dans un monde entirement artificiel.
Q. Et nous en avons tellement lhabitude que nous ne
nous en rendons mme plus compte.
R. Tout est faux dans notre civilisation et surtout les
raisons qui servent la justifier.
Q. Et toc!
R. On voudrait nous faire croire que les hommes taient
des sauvages avant dtre civiliss. Quils taient des
espces de btes. Des tres infrieurs. On voudrait que
lhomme soit devenu un tre suprieur grce la
civilisation. On est infrieur ou suprieur en fonction
dun modle ou dun systme de normes. Selon les
critres de notre civilisation lhomme est devenu un
tre suprieur. Cest vrai. Mais il y a une autre chelle
de valeurs. Un autre modle. Un autre systme de
normes. Propre la Vie. Et dans ce systme l, les
valeurs de notre civilisation se trouvent lchelon le
plus bas. Ce sont des valeurs artificielles. Elles sont
contraires la vie.
Q. Tu as crit toi-mme que toutes les performances dun
tre vivant taient des manifestations de la vie. Donc
notre civilisation aussi?
R. La vie a pris son lan il y a deux milliards dannes. Il
ne sest pas encore puis. Bien au contraire. Le mme
lan de vie qui a fait lvolution est aussi lorigine de
la recherche quon nomme spirituelle ou intellectuelle.
49

Et depuis peu, scientifique. Tout a, cest la vie. Cest


le mme lan. La civilisation essaie de le dtourner, de
lendiguer, de le domestiquer. Et de lexploiter. De le
rduire et de le maintenir son propre niveau. A ras du
sol. La vie se passe dans la troisime dimension. Cest
l que commence la recherche intrieure. Le Ta Chi
peut en tre linstrument. A une condition: ne pas
perturber, ne pas nuire. Sintgrer. Sincorporer. Se
confondre dans llan de vie avec la Vie mme. Etre la
goutte deau qui acquirt des dimensions cosmiques
lorsquelle disparat dans lOcan.

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Du mme auteur :
La Voie du Tai ji quan,
La Biosophie Essai sur les fondements de la
Connaissance,
Mdecins, devenez gurisseurs,
LExplorateur du Monde Intrieur,
La Gnose
Le Penseur Redress
Le Chi Voie de la Vie
Tome I Lapproche.
A paratre:
Le Chi Voie de la Vie

Tome II La pratique
Tome III La Voie
Le Xy et la transmission vritable.

Editeur responsable : V. STEVANOVITCH 3, rue des


Tourterelles 5198 Maredret Anhe, Belgique

Tous droits rservs; reproduction, traduction ou adaptation interdites


sana lautorisation crite de lditeur.
ISBN : 2-87199-011-5 2me dition augmente
(2-87199-004-2 1re dition)
Dpt lgal : 1987
Copyright : Stevanovitch, diteur.

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de perception de lnergie, redcouvrir le


processus de la respiration et son rle
particulier dans la circulation de cette
nergie ou "Chi". Avec une simplicit ne
de la matrise dune pratique de plus de
45 annes, lauteur nous donne les bases
pratiques du travail sur lnergie,
indications dautant plus prcieuses
quelles sont rarement transmises.

LA VOIE DU TAI JI QUAN,


de Vlady Stevanovitch,
dit par lauteur,
1986, 254 p.
Diffusion Europe :
V. Stevanovitch, 3, rue des Tourterelles
5198 Maredret - Belgique.
Diffusion au Qubec :
Nicole Renson, 4060 St-Laurent, # 704,
Montral, H2W 1Y9.
Si le "Tai ji quan", frquemment orthographi "Tai chi chuan" est souvent
confondu avec une sorte de gymnastique
douce, le livre de V. Stevanovitch nous en
rvle dautres dimensions : plus quune
technique, cet art martial stylis dorigine
chinoise peut devenir un Art et plus encore
quun Art, une Voie.
Mais il faut commencer par le dbut:
dvelopper la sensibilit des mains, organe

Puis, la voix de V. Stevanovitch


sinterrompt car "les images seules
peuvent rendre le langage du corps". Plus
de 1500 photographies vont suivre,
extraordinaire aide-mmoire pour le
pratiquant. Prises sur le vif, elles font vivre
les mouvements et tmoignent dune autre
ralit intrieure. Se drouleront tour
tour devant nous une srie dexercices
pour les mains, les onze exercices chinois
et enfin lenchane- ment des 108 puis des
24 postures.
Cependant le livre ne sarrte pas l; il
donne encore une autre perspective :
celle dune transmission. Pour V.
Stevanovitch, les postures du Tai ji quan
constituent le message, codifi dans le
langage du corps, que nous ont laiss les
Matres Anciens. Une longue et patiente
pratique peut, un jour, per- mettre de la
redcouvrir. Ainsi lArt de- vient une Voie
"car laboutissement nest pas une oeuvre
mais louverture une connaissance
inaccessible autrement".
Un livre remarquable par sa beaut, sa
clart et sa simplicit, un livre prcieux
pour les informations rares quil nous
donne. A lire absolument.
Batrice Baldacchino

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