Maths 3e République
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Depuis plusieurs années, des voix s’élèvent pour déplorer les transformations
disciplinaires qu’a connues l’école ces quatre dernières décennies et pour propo-
ser un retour aux principes qui auraient guidé l’école de la Troisième République.
La tribune libre publiée récemment par Laurent Lafforgue dans ces colonnes en
est un exemple : les responsables de l’Éducation nationale et leur bras armé que
sont, selon lui, les IUFM seraient en effet les principaux fossoyeurs de la « grande
culture léguée par les siècles2 » que le modèle lycéen des humanités était chargé
de transmettre. Les modalités actuelles de l’enseignement des « savoirs fonda-
mentaux » – les mathématiques sont notamment concernées – sont également
questionnées. Dans un texte publié en 2004 sous le titre « Les savoirs fondamen-
taux au service de l’avenir scientifique et technique : comment les réenseigner »,
Laurent Lafforgue et plusieurs de ses collègues scientifiques contestent la validité
des programmes actuels sur la base de témoignages recueillis dans leur entourage,
de constats effectués auprès de quelques futurs ou jeunes bacheliers, ou encore de
livres s’alarmant d’une hypothétique « faillite programmée de l’école française3 ».
Ils suggèrent en conséquence de revenir aux pratiques d’enseignement en vigueur
(ou supposées comme telles) avant les années 1960 afin de « mettre les élèves en si-
tuation d’appréhender des notions fondamentales à partir de la culture et du savoir
tels qu’ils ont été patiemment construits et reconstruits au cours des siècles4 ».
Afin de prendre toute la mesure d’une telle proposition, l’analyse historique s’im-
pose. Car si l’école du XXIe siècle a l’ambition d’offrir une « culture commune »
1 IUFM de l’académie de Versailles et Groupe d’histoire et de diffusion des sciences d’Orsay –
comment les réenseigner, Les Cahiers du débat, Fondation pour l’innovation politique, novembre
2004, p. 22.
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à tous ceux qui la fréquentent, tel n’était pas le cas avant les années 1960 où les
cultures scolaires étaient – et depuis longtemps – largement déterminées par l’ori-
gine et le supposé destin social des élèves. Laissant à d’autres le soin d’évoquer le
cas de la formation littéraire5 , je voudrais, pour ma part, esquisser les principaux ca-
ractères de l’acculturation mathématique effectuée dans le cadre de l’école primaire
– l’école du peuple – depuis l’avènement de la Troisième République jusqu’au début
des années 19606. Compte tenu des critiques adressées aux programmes actuels
de mathématiques de l’école primaire, je voudrais également tenter d’expliquer les
raisons pour lesquelles l’enseignement mathématique a connu, à ce niveau, une
profonde mutation dans le dernier tiers du XXe siècle : les programmes scolaires
et les contenus enseignés à l’école comme les méthodes pédagogiques sont en ef-
fet largement dépendants de son organisation interne et des fonctions qui lui sont
assignées.
5 Voir notamment M. Jey, La Littérature au lycée : invention d’une discipline (1880-1925), Paris,
Textes officiels. Tome 1 : 1791-1914, Paris, INRP, 2003 (avec la collaboration d’H. Gispert et de
J. Hélayel). Afin de ne pas alourdir les notes, nous renvoyons à cet ouvrage où figurent les textes
officiels antérieurs à 1914 ici mentionnés.
7 Au risque de la simplification, nous n’évoquerons pas les établissements d’enseignement tech-
nique, et notamment les école pratiques de commerce et d’industrie qui, faisant pendant aux
écoles primaires supérieures, se développent sous la Troisième République.
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8 A. Prost, Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Paris, A. Colin, 1968, p. 294, 327,
346 ; J.-P. Briand et al., L’Enseignement primaire et ses extensions, XIXe -XXe siècle. Annuaire
statistique, Paris, INRP/CNRS, 1987, p. 150 pour les « petites classes » du secondaire.
9 Pour l’enseignement féminin, ces taux sont respectivement de 3,4% et de 10,8%.
Cf. J.-P. Briand et J.-M. Chapoulie, Les Collèges du peuple. L’enseignement primaire supérieur et
le développement de la scolarisation prolongée sous la Troisième République, INRP/CNRS/ENS
Fontenay-Saint Cloud, 1992, p. 174 et 304.
10 P. Cabanel, La République du certificat d’études. Histoire et anthropologie d’un examen (XIXe -
préparer à rien, de les rendre aptes à tout12 ». La formule, énoncée dans les ins-
tructions de 1925, pourrait bien être la devise de l’enseignement secondaire dont
la filière classique, où prévaut l’étude des langues anciennes, symbolise pleinement
ce caractère désintéressé : le latin et le grec, et plus généralement les « humanités
classiques », sont la marque d’une « vraie » culture secondaire car dénués d’utilité
immédiate. L’enseignement primaire, en revanche, se préoccupe de former aussi
bien le producteur que l’homme et le citoyen. Tel est le sens, par exemple, de l’ins-
cription en 1882 du travail manuel au programme de l’enseignement primaire qui,
sans négliger le fait que l’école est avant tout un « établissement d’éducation »,
vise à préparer les garçons aux activités ouvrières. Tel est le sens, également, du
caractère « usuel » imprimé à l’enseignement scientifique. Comme le soulignent les
instructions du 20 juin 1923 : « Nous n’oublions pas que la plupart de nos élèves
devront, dès qu’ils nous auront quittés, gagner leur vie par leur travail, et nous
voulons les munir de connaissances pratiques qui, dès demain, leur serviront dans
leur métier13 ». Certes, il n’y a pas, dans l’esprit des principaux responsables de
l’enseignement primaire, d’antinomie a priori entre le caractère utilitaire et la di-
mension éducative de l’école primaire, nous y reviendrons. Il n’empêche : c’est bien
son aspect utilitaire qui caractérise, aux yeux des élites notamment, l’enseignement
primaire et qui l’oppose, dans son principe même, aux études secondaires.
supérieur15 – où l’on étudie le même programme mais à chaque fois de façon plus
étendue de telle sorte que les élèves revoient en les approfondissant les connais-
sances déjà acquises au cours de leur scolarité. Quel que soit le temps passé à
l’école, les élèves auront ainsi étudié, certes de façon plus ou moins complète, l’en-
semble des notions inscrites au programme. Dans les premières décennies de la
Troisième République, cette formule de l’enseignement concentrique constitue une
spécificité de l’ordre primaire, qui le différencie nettement du secondaire. Certes,
le ministre Victor Duruy l’avait adoptée pour l’enseignement secondaire spécial,
cet enseignement court, sans latin et à dominante scientifique créé en 1865. Mais
la réforme de cette filière, menée en 1882 par les républicains, lui substitue un
système d’études graduées sur le modèle de l’enseignement secondaire classique
afin de mieux le démarquer des écoles primaires supérieures qui optent, elles aussi,
pour l’enseignement concentrique16 .
Ce choix d’un enseignement concentrique n’est pas sans répercussions sur
l’économie interne des programmes de l’école élémentaire publiés en 1882 (et
confirmés en 1887), quitte à bouleverser parfois certaines pratiques enseignantes
jusqu’alors en vigueur. Désormais, l’enseignement du calcul commence dès l’entrée
à l’école, en même temps que la lecture et l’écriture : cette mesure, qui postule
la simultanéité des apprentissages « fondamentaux », marque l’achèvement d’un
processus de longue durée dont on relève les prémices dans les années 1830 mais
qui commence véritablement sous le Second Empire. Mais surtout, le système
adopté conduit à mener de front l’apprentissage de notions mathématiques qui
autrefois se succédaient et donc à rendre certains apprentissages plus précoces.
C’est ainsi que l’étude de la division est déplacée vers l’amont de la scolarité, de
telle sorte que les quatre opérations sont inscrites non seulement au programme des
cours élémentaire, moyen et supérieur, mais aussi à celui de la section enfantine qui
accueille les enfants de 5 à 7 ans. De la même façon, l’apprentissage du système
métrique, autrefois rejeté en fin de cursus car lié à l’étude des fractions, est
entrepris dès l’entrée à l’école et sera poursuivi tout au long de la scolarité. Enfin,
la concentricité des programmes modifie la façon d’envisager l’enseignement de la
géométrie. Celui-ci commence dès le cours élémentaire : il n’est donc plus besoin,
comme c’est souvent l’usage, d’avoir parcouru l’ensemble du cours d’arithmétique
avant d’accéder à la géométrie. De plus, les élèves sont initiés quasi simultanément
à la géométrie plane et à la géométrie dans l’espace, et non successivement comme
le voudrait l’ordre géométrique classique.
Commandé par la brièveté des études primaires, le principe de l’enseignement
concentrique contribue donc à modifier en profondeur l’ordre d’exposition des
connaissances mathématiques enseignées à l’école primaire. Il est officiellement
abandonné en 1923 au profit d’un enseignement « progressif », de telle sorte que
« la graduation des programmes apportera à chaque âge ce qui lui convient17 ».
Il s’agit de mieux adapter l’enseignement au développement de l’enfant mais aussi
d’éviter la monotonie des répétitions trop nombreuses. Peut-être s’agit-il aussi de
15 Le cours préparatoire, qui remplace la section enfantine, n’est officiellement organisé
qu’en 1922.
16 Sur l’enseignement scientifique dans le secondaire, voir B. Belhoste, Les Sciences dans l’en-
de l’enseignement primaire public en France, Paris, Imprimerie nationale, 1900, pp. x-xi.
20 Instructions du 20 juin 1923, p. 110. L’étude des caractères de divisibilité est rétablie à ce
niveau en 1938.
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s’en tiennent le plus souvent à des points de vue très généraux, les discours tenus
(ou implicitement soutenus) par la hiérarchie de l’instruction primaire renseignent
sur la mise en musique de la partition ministérielle. L’inspecteur général de l’en-
seignement primaire Pierre Leyssenne rappelle ainsi que l’écolier doit avant tout
« savoir calculer sûrement et rapidement et résoudre toutes les questions pratiques
qu’il peut être amené à rencontrer sur sa route pendant sa vie21 ». Dans la Re-
vue pédagogique, publication patronnée par le ministère de l’Instruction publique,
François Vintéjoux ne dit pas autre chose lorsqu’il demande aux instituteurs de
« rendre les enfants capables de faire plus tard avec intelligence et avec sûreté
toutes les opérations pratiques qui se présentent journellement dans le cours ordi-
naire de la vie22 ». Aussi la résolution de « problèmes usuels » forme-t-elle un pan
essentiel de l’éducation mathématique des écoliers du primaire. Le mot « usuel »
doit cependant s’entendre dans un double sens. D’une part, les problèmes proposés
doivent mettre en jeu des nombres et des pratiques opératoires dont l’usage est
avéré : si les additions « peuvent être longues, parce qu’on en rencontre de telles
dans la pratique », les soustractions, les multiplications et les divisions doivent au
contraire être « simples et courtes, comme elles le sont dans le monde des af-
faires23 ». D’autre part, ces problèmes doivent rendre compte de situations réelles,
susceptibles d’être rencontrées dans la vie courante24 . « Les problèmes sur le temps
que mettent des robinets ou à remplir ou à vider un bassin, sur l’heure à laquelle
se rencontrent les aiguilles d’une montre, sur le nombre de sauts que doit faire un
lévrier pour atteindre un renard, sur des mélanges ou des alliages qu’on se garderait
bien de composer ou que la loi interdit [...] ne sont pas des exercices pratiques »,
estime ainsi l’inspection générale de l’enseignement primaire avant de proposer que
ces derniers soient interdits aux examens25 . L’actualité du sujet comme la véracité
des données numériques (le bon sens permettant alors de contrôler la pertinence
des résultats) constituent un enjeu d’importance : résoudre un problème, c’est
aussi, par delà l’aspect strictement mathématique, apprendre des choses « utiles »
concernant la vie domestique, le commerce, l’industrie ou l’agriculture. Certains re-
cueils de problèmes sont d’ailleurs spécialisés dans telle ou telle branche d’activité,
tel ce Recueil de problèmes sur les engrais et l’alimentation du bétail publié en 1899
à l’intention des élèves des cours moyen et supérieur. Reste la question – essentielle
– de la mise à jour des données numériques. En 1915, un inspecteur primaire, sou-
cieux de voir les instituteurs de sa circonscription composer des problèmes « ayant
trait à la vie actuelle », recommande à ces derniers de « se méfier [...] des prix
anciens d’avant-guerre donnés dans les livres26 ».
Revue pédagogique, 15 mars 1887, p. 223. Ce texte est publié dans R. d’Enfert, L’Enseignement
mathématique, op. cit., pp. 240-248.
23 P. Leyssenne, « Problème », art. cit., p. 2442.
24 Cet appel à l’expérience de la vie courante est encore requis au lendemain de la Deuxième
Guerre mondiale. Cf. Instructions du 7 décembre 1945 sur les horaires et les programmes de l’école
primaire, Bulletin officiel du ministère de l’éducation nationale (désormais BOEN) no 3, 10 janvier
1946, pp. 91-104.
25 Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, Rapport, op. cit., p. 392.
26 Conférence pédagogique du canton de Montmorency, 19 mars 1915, Musée départemental de
Guy Vincent, L’École primaire française, étude sociologique, Lyon, PUL, 1980, pp. 129-186, ainsi
que André Harlé, L’Arithmétique dans les manuels de l’enseignement élémentaire français au
début du XXe siècle, Thèse de didactique de l’Université Paris VII, 1984.
30 F. Vintéjoux, « L’enseignement de l’arithmétique et de la géométrie... », art. cit., p. 225.
31 T. Assude et H. Gispert, « Les mathématiques et le recours à la pratique : une finalité ou une
finalités sur un pied d’égalité en voyant dans cet enseignement « une discipline
incomparable pour l’intelligence32 », l’article « Problème » rédigé par Pierre Leys-
senne s’inscrit dans une perspective radicalement opposée : l’enseignement primaire
devant privilégier « l’acquisition la plus prompte et la plus solide des éléments in-
dispensables de chaque science », la contribution de l’enseignement mathématique
à l’éducation générale de l’esprit semble à son auteur une « grave illusion » 33 .
C’est que, derrière la « culture de l’esprit », se profile le risque d’une secon-
darisation de l’enseignement primaire, c’est-à-dire de sa transformation en un en-
seignement plus spéculatif qu’utilitaire, au risque de détourner les élèves de la vie
pratique et des professions auxquelles ils sont a priori destinés. L’opposition uti-
litaire/éducatif renvoie en effet à la dualité scolaire, qui concerne principalement,
il est vrai, l’enseignement post-élémentaire. « Plus ces finalités éducatives sont
affirmées, plus les frontières institutionnelles qui séparent le primaire du secon-
daire tendent à être remises en cause », estime Pierre Kahn à propos des articles
du Dictionnaire de pédagogie relatifs aux sciences physiques et naturelles34 . La
réflexion pourrait aussi valoir pour l’enseignement mathématique. Examinons l’ar-
ticle « Géométrie » du même Dictionnaire, également rédigé par Leyssenne35 . Ce
dernier distingue entre l’école élémentaire d’une part, et l’école primaire supérieure
d’autre part. À l’école élémentaire, l’enseignement de la géométrie doit éveiller chez
les plus jeunes « leur attention, leur intelligence et leur sagacité », mais présenter
des « avantages immédiats » dans les classes plus élevées (cours moyen et cours
supérieur) : maı̂trise du système métrique et de l’évaluation des surfaces et des vo-
lumes notamment. À l’école primaire supérieure (ou à l’école normale primaire), en
revanche, la géométrie doit « reprendre tous ses droits » et l’ensemble des énoncés
faire l’objet de démonstrations rigoureuses et méthodiques36. Mais si l’auteur re-
connaı̂t là une identité de méthode avec l’enseignement secondaire, c’est pour
mieux caractériser ce qui fait la spécificité du primaire : « c’est qu’il ne faut ad-
mettre dans cet enseignement que deux sortes de propositions : celles qui peuvent
donner lieu à des applications pratiques directes et immédiates, et celles qui sont
indispensables à la démonstration rigoureuse des premières. Tout le reste doit être
pp. 175-196. Les mathématiques ne sont pas seules concernées par ce type d’analyse, comme
le montrent les différentes études publiées dans cet ouvrage, qu’elles concernent le français, les
sciences, le travail manuel ou la gymnastique. La thèse soutenue en 1994 par Patrick Dubois a
largement contribué à renouveler l’intérêt pour le Dictionnaire. Cf. P. Dubois, Le Dictionnaire
de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson. Unité et disparités d’une pédagogie
pour l’école primaire (1876-1911), Thèse de doctorat en sciences de l’éducation de l’Université
L. Lumière-Lyon II, 1994.
32 H. Sonnet, « Arithmétique » in F. Buisson (dir.), Dictionnaire de pédagogie, op. cit., 1re partie,
tome 1, p. 114.
33 P. Leyssenne, « Problème », art. cit., p. 2441.
34 P. Kahn, « Les sciences : trois modèles pour un enseignement nouveau », in D. Denis et
tome 1, pp. 1162-1166, et plus particulièrement pp. 1163-1164. Cf. Teresa Assude et Hélène
Gispert, « Les mathématiques et le recours à la pratique », art. cit., pp. 188-190.
36 Cette différenciation entre enseignement primaire élémentaire et primaire supérieur prévaut
encore au début des années 1930. Voir A. Marijon et T. Leconte, « Rapport sur les conférences
pédagogiques de 1928 (L’arithmétique et la géométrie à l’école primaire) », Bulletin de l’instruc-
tion primaire du département de la Seine, janvier-février 1930, p. 104.
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Kahn (dir.), L’École républicaine, op. cit., pp. 199-222. Voir également R. d’Enfert, « L’introduc-
tion du travail manuel dans les écoles primaires de garçons, 1880-1900 », Histoire de l’éducation,
janvier 2007, à paraı̂tre.
40 A. Marijon et T. Leconte, « Rapport sur les conférences pédagogiques de 1928 », art. cit.,
p. 104.
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publié dans R. d’Enfert, L’Enseignement mathématique, op. cit., pp. 312-315, ainsi que les pro-
grammes de 1909 cités plus haut.
42 Ces instructions sont publiées par B. Belhoste, Les Sciences dans l’enseignement secondaire,
dans la même veine, le point de vue exprimé par Carlo Bourlet dans l’article « Mathématiques »
du Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1911, dirigé par
F. Buisson est analysé dans l’article de T. Assude et H. Gispert mentionné plus haut.
44 É. Borel, « Les exercices pratiques de mathématiques dans l’enseignement secondaire,
conférence faite le 3 mars 1904 au Musée pédagogique », Revue générale des sciences pures
et appliquées, 1904, p. 439. Ce texte a été publié par Hélène Gispert dans la Gazette des
mathématiciens, no 93, juillet 2002, pp. 47-64.
45 Selon les Instructions du 2 septembre 1925 relatives aux programmes de l’enseignement se-
condaire, op. cit., p. 162, « il n’y a pas lieu d’encourager, au début tout au moins, l’emploi
des constructions qui conduiraient à une sorte de découverte ou de vérification et introduiraient
l’expérience là où elle n’a rien à faire ».
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premier cycle secondaire. Il faut néanmoins attendre 1957 pour que des « tra-
vaux pratiques » intégrant des exercices manuels soient inscrits au programme de
mathématiques des classes de 6e et de 5e .
48 Circulaire du 19 octobre 1960 relative à l’enseignement du français et calcul dans les classes
L’école primaire d’avant 1960 apparaı̂t donc bien différente de celle d’aujour-
d’hui. Recrutant dans les milieux populaires, elle propose une culture scolaire –
et notamment mathématique – bien spécifique qui se démarque du modèle secon-
daire. La rénovation pédagogique menée dans les premières années de la Troisième
République en a largement dessiné les contours : soutenue par un enseignement à la
fois intuitif et actif, l’école primaire donne des connaissances pratiques, concrètes,
usuelles, qui répondent aux besoins de la vie quotidienne et professionnelle. Passé
ce moment fondateur de ce qu’il est convenu d’appeler « l’école républicaine »,
les programmes scolaires n’échappent pas aux réformes qui, moins souvent qu’au-
jourd’hui il est vrai, visent tout à la fois à adapter l’enseignement aux évolutions
de la société, à promouvoir certaines conceptions didactiques ou épistémologiques,
à intégrer les réflexions psychopédagogiques, ou encore à rénover des pratiques
enseignantes jugées trop routinières. Enfin, la démocratisation de l’accès à l’en-
seignement secondaire, commencée dès la fin de la décennie 1950, n’est pas sans
effet sur l’enseignement du premier degré. Si l’école élémentaire reste une école
de masse, ce qui change, en revanche, c’est sa fonction : d’école du peuple, elle
devient l’école de tous ; d’une préparation à la vie, elle devient une préparation aux
études longues. Ce changement de perspective, joint à la volonté de rénovation des
disciplines d’enseignement et des méthodes pédagogiques, explique très largement
la transformation en profondeur de l’enseignement mathématique qui s’opère alors,
et dont les programmes scolaires actuels portent encore la marque malgré le reflux
des « mathématiques modernes ».
héritiers des cours complémentaires d’une part, et des collèges d’enseignement se-
condaire d’autre part52 . Car l’unification des structures du premier cycle ne s’est
pas traduite par une synthèse réfléchie des deux cultures primaire et secondaire,
intégrant les atouts de l’une comme de l’autre. À ce niveau, en effet, le modèle
secondaire, entendons ses contenus, ses méthodes, ses pratiques, ses valeurs, son
corps enseignant même, s’est imposé comme un horizon naturel et indépassable,
sans que soit véritablement discutée la pertinence de ce non-choix. Aussi l’ensei-
gnement du second degré, et plus particulièrement le collège, est-il devenu une
école « de masse » tout en restant largement fidèle aux conceptions qui ont fondé,
depuis le XIXe siècle au moins, la formation d’une élite sociale restreinte et ho-
mogène destinée à occuper les positions les plus élevées. Seule une réflexion de
fond sur la « culture commune » délivrée par l’école, mais aussi sur ses méthodes
pédagogiques, pourra permettre de tenter de résoudre ce paradoxe.
nos jours, Paris, Seuil, 1997, et plus particulièrement le chapitre intitulé « École et stratification
sociale. Le paradoxe de la réforme des collèges en France au XXe siècle », pp. 47-62.
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