Periple Hanon

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À LA DÉCOUVERTE

DU MONDE NOIR :
LE PERIPLE DE
HANNON
En -540, après l'affaire d'Alalia, les dirigeants de
Carthage, tenant compte de la concurrence en
Méditerranée, décident d'étendre leur champ d'action
au-delà des colonnes d'Hercule. Ils y sont encouragés
par la disparition du royaume de Tarsis (Tarsessos, au
sud de l'Espagne) qui aurait maîtrisé les circuits atlan-
tiques. Deux expéditions sont confiées à deux grands
capitaines : Hannon et Himilcon. Alors que Hannon
va explorer la côte africaine au delà de Mogador,
Himilcon remonte le long de la presqu'île ibérique et
se dirige vers la Bretagne, les îles britanniques et, même
dit-on, jusqu'aux Pays-Bas ! Mais c'est du périple de
Hannon que nous avons la trace écrite, conservée dans
une traduction grecque. Son périple occupe une place
importante dans l'Histoire. C'est la première fois connue
que des marins s'engagent, très loin, suivant les côtes
occidentales du continent, dans cet Atlantique que les
Arabes appelleront, plus tard, Mer des Ténèbres. Le
périple ne manque pas de soulever des questions qui
alimentent la controverse. Avec le souci compréhensible
de ne pas donner des indications utiles aux concurrents,
le rédacteur punique du compte-rendu, s'est évertué à
rendre la vérification difficile. De nombreux savants se
sont penchés sur la question. Les sceptiques ont mis

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en doute la réalité du périple. Ce qui est certain c'est Carte des explorations
que les Phéniciens, puis leurs successeurs carthaginois carthaginoises.
connaissaient la route maritime atlantique jusqu'à leur (D'après Hédi Dridi,
propre établissement de Mogador. Sont-ils arrivés, Carthage et le monde
comme le texte le laisse entendre jusqu'au golfe de punique, Paris, Les
Guinée ? En tout état de cause, l'auteur du compte- Belles Lettres, 2006).
rendu décrit des côtes, des caps, des montagnes et un
volcan qui ne portent évidemment pas leur nom d'au-
jourd'hui, mais il s'agit bien des côtes de l'Afrique

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occidentale jusqu'à l'embouchure du Niger et le mont
Cameroun. Voici le texte, selon la traduction de
François Decret :
« Les Carthaginois décidèrent qu'Hannon double-
rait les colonnes d'Hercule et fonderait des villes car-
thaginoises. Il fit voile avec 60 navires à 50 rameurs,
emmenant environ 30 000 hommes et femmes, des
vivres et tout ce qu'il faut. Après avoir franchi les
Colonnes d'Hercule et navigué deux jours au-delà,
nous fondâmes une première ville qui reçut le nom de
Thymiaterion : elle était entourée d'une grande plaine.
Ensuite, nous dirigeant vers l'Occident, nous parvîn-
mes au Soloeis, promontoire libyque couvert d'arbres ;
ayant établi là un sanctuaire de Poséidon, nous reprî-
mes la navigation dans la direction du soleil levant
pendant une demi-journée, après laquelle nous arrivâ-
mes à une lagune située non loin de la mer, couverte
de roseaux abondants et élevés; des éléphants et d'au-
tres animaux très nombreux y paissaient. Après avoir
dépassé cette lagune et navigué pendant une journée,
nous fondâmes sur la mer des colonies appelées le Mur
Carrien, Gytté, Akra, Melitta et Arambys.
« Etant partis de là, nous arrivâmes au grand fleuve
Lixos, qui vient de la Libye. Sur ses rives, des noma-
des, les Lixites ; faisaient paître des troupeaux. Nous
restâmes quelque temps avec ces gens dont nous
devînmes les amis. Au-dessus d'eux vivaient les Ethio-
piens inhospitaliers habitant une terre pleine de bêtes
féroces, traversée de grandes montagnes dont sort, dit-
on, le Lixos. On dit aussi qu'autour de ces montagnes
vivent des hommes d'un aspect particulier, les
Troglodytes ; les Lixites prétendent qu'ils sont plus
rapides à la course que des chevaux. Ayant pris des
interprètes chez les Lixites, nous longeâmes le désert,
dans la direction du midi, pendant deux jours, puis
dans la direction du soleil levant pendant un jour.
Alors nous trouvâmes, dans l'enfoncement d'un golfe,
une petite île, ayant une circonférence de cinq stades;
nous l'appelâmes Cerné et nous
y laissâmes des colons. D'après
notre voyage, nous jugeâmes
qu'elle était située à l'opposite
de Carthage, car il fallait navi-
guer autant pour aller de Car-
thage aux Colonnes que pour
aller des Colonnes à Cerné.
« De là, passant par un grand
fleuve, le Chrétès, nous arrivâ-
mes à un lac qui renfermait trois
îles plus grandes que Cerné.
Partant de ces îles, nous fîmes
un jour de navigation et arrivâ-
mes au fond d'un lac que domi-
naient de très grandes monta-
gnes pleines d'hommes sauva-
ges, vêtus de peaux de bêtes, qui,
nous lançant des pierres, nous
empêchèrent de débarquer. De
là, nous entrâmes dans un autre
fleuve, grand et large, rempli de
crocodiles et d'hippopotames.
Puis nous rebroussâmes chemin
et retournâmes à Cerné.
« Nous naviguâmes de là vers le midi, pendant douze Première page du périple
jours, en longeant la côte tout entière occupée par des d'Hannon du codex grec
Ethiopiens qui fuyaient à notre approche. Ils parlaient (398) de la Bibliothèque
une langue incompréhensible, même pour les Lixites Palatine de Heidelberg.
qui étaient avec nous. Le dernier jour nous abordâmes
à des montagnes élevées couvertes d'arbres dont les
bois étaient odoriférants et de diverses couleurs. Ayant
contourné ces montagnes pendant deux jours, nous
arrivâmes dans un golfe immense, de l'autre côté
duquel il y avait une plaine; là, nous vîmes la nuit des
feux s'élevant de tous côtés par intervalles avec plus ou
moins d'intensité. Après avoir fait provision d'eau,
nous continuâmes notre navigation le long de la terre

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pendant cinq jours, au bout desquels nous arrivâmes à
un grand golfe que les interprètes nous dirent s'appe-
ler la Corne d'Occident. Dans ce golfe se trouvait une
grande île et, dans l'île, une lagune qui renfermait une
autre île. Y étant descendus, nous ne vîmes, le jour,
qu'une forêt; mais la nuit beaucoup de feux nous appa-
rurent et nous entendîmes des sons de flûtes, un
vacarme de cymbales et de tambourins et un très
grand bruit. La peur nous prit et les devins nous
ordonnèrent de quitter l'île.
« Nous partîmes donc en hâte de ce lieu et nous lon-
geâmes une contrée embrasée pleine de parfums; des
ruisseaux de flammes en sortaient et venaient se jeter
dans la mer. La terre était inaccessible à cause de la
chaleur. Saisis de crainte, nous nous éloignâmes rapi-
dement. Pendant quatre journées de navigation, nous
vîmes, la nuit, la terre couverte de flammes; au milieu
était un feu élevé, plus grand que les autres et qui
paraissait toucher les astres. Mais, de jour, on recon-
naissait que c'était une très grande montagne, appelée
Char des Dieux. A partir de là, nous longeâmes, pen-
dant trois jours, des flammes et nous arrivâmes au
golfe nommé la Corne du Sud. Dans l'enfoncement
était une île, semblable à la première, contenant un lac,
à l'intérieur duquel il y avait une autre île pleine
d'hommes sauvages. Les femmes étaient de beaucoup
plus nombreuses. Elles avaient le corps velu et les
interprètes les appelaient Gorilles. Nous poursuivîmes
des mâles, sans pouvoir en prendre aucun, car ils
étaient bons grimpeurs et se défendaient. Mais nous
nous emparâmes de trois femmes. Mordant et égrati-
gnant ceux qui les entraînaient, elles ne voulaient pas
les suivre. Nous les tuâmes et nous enlevâmes leur
peau, que nous apportâmes à Carthage. Car nous ne
naviguâmes pas plus avant, faute de vivres. »
Carte des explorations
carthaginoises. D.R.

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