LEIBNITZ, Explication de L'arithmétique Binaire

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 12

EXPLICATION

D E L ' A R I T H MÉ T I Q U E
BINAIRE,

Qui se sert des seuls caractères O et I ; avec des re-


marques sur son utilité et sur ce qu'elle donne le
sens des anciennes figures chinoises de Fohy.

PAR M. LEIBNITZ
Gottfried Wilhelm Leibniz
(anciennement francisé en Leibnitz)
(1er juillet 1646 - 14 novembre 1716) est un philosophe, scientifique,
mathématicien, logicien, diplomate, juriste, bibliothécaire et philologue
allemand qui a écrit en latin, allemand et français.

- Il conçut et réalisa une machine à effectuer les quatre opérations ;


- Son projet de caractéristique universelle préfigurait la théorie des
systèmes formels dont sortirait la machine de Turing, et par conséquent
la science de la programmation et toute l’informatique moderne ;
- Il fut le premier à comprendre l’intérêt de la numération binaire pour le
calcul automatique.

C’est le texte consacré à ce dernier point qui est reproduit ici.

Explication de l'arithmétique binaire


Gottfried Wilhelm von Leibniz
1703
« Le calcul ordinaire d’Arithmétique se fait suivant la progression de dix
en dix. On se sert de dix caractères, qui sont 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, qui
signifient zéro, un & les nombres suivants jusqu’à neuf inclusivement.
& puis allant à dix, on recommence, & on écrit dix par 10, et dix fois dix
ou cent par 100, et dix fois cent ou mille par 1000, et dix fois mille par
10 000, & ainsi de suite.
Mais au lieu de la progression de dix en dix, j’ai employé depuis
plusieurs années la progression la plus simple de toutes, qui va de deux
en deux, ayant trouvé qu’elle sert à la perfection de la science des
Nombres. Ainsi je n’y emploie point d’autres caractères que 0 et 1, &
puis allant à deux, je recommence. C’est pourquoi deux s’écrit ici par 10,
& deux fois deux ou quatre par 100, & deux fois quatre ou huit par 1000,
& deux fois huit ou seize par 10 000, & ainsi de suite. Voici la Table des
Nombres de cette façon, qu’on peut continuer tant que l’on voudra. »

« Et toutes ces opérations sont si aisées, qu'on n'a jamais besoin de rien
essayer ni deviner, comme il faut faire dans la division ordinaire. On n'a
pas besoin non plus de rien apprendre par cœur ici, comme il faut faire
dans le calcul ordinaire où il faut savoir, par exemple, que 6 & 7 pris
ensemble font 13, et que 5 multiplié par 3 donne 15. [...] Mais le calcul
par deux, c'est-à-dire par 0. et 1, en récompense de sa longueur, est le
plus fondamental pour la science, & donne de nouvelles découvertes, qui
se trouvent utiles ensuite, même pour la pratique des nombres, & surtout
pour la géométrie ; dont la raison est que les nombres étant réduits aux
plus simples principes, comme 0 et 1, il paraît partout un ordre
merveilleux. Par exemple dans la Table même des nombres, on voit en
chaque colonne régner des périodes qui recommencent toujours. »
EXPLICATION
DE L'ARITHMÉTIQUE
BINAIRE,
Qui se sert des seuls caractères O et I ; avec des remarques
sur son utilité et sur ce qu'elle donne le
sens des anciennes figures chinoises de Fohy.
PAR M. LEIBNITZ

Le calcul ordinaire d'Arithmétique se fait suivant la progression


de dix en dix. On se sert de dix caractères, qui sont 0, 1, 2, 3, 4, 5,
6, 7, 8, 9, qui signifient zéro, un et les nombres suivants jusqu'à
neuf inclusivement. Et puis allant à dix, on recommence, et on
écrit dix par 10, et dix fois dix ou cent par 100, et dix fois cent ou
mille par 1000, et dix fois mille par 10 000, et ainsi de suite.

Mais au lieu de la progression de dix en dix, j'ai employé depuis


plusieurs années la progression la plus simple de toutes, qui va de
deux en deux, ayant trouvé qu'elle sert à la perfection de la science
des Nombres. Ainsi je n'y emploie point d'autres caractères que 0
et 1, et puis allant à deux, je recommence. C'est pourquoi deux
s'écrit ici par 10, et deux fois deux ou quatre par 100, et deux fois
quatre ou huit par 1000, et deux fois huit ou seize par 10 000, et
ainsi de suite. Voici la table des Nombres de cette façon, qu'on
peut continuer tant que l'on voudra.

On voit ici d'un coup d'oeil la raison d'une propriété célèbre de la


progression géométrique double en Nombres entiers, qui porte que si
on n'a qu'un de ces nombres de chaque degré, on en peut
composer tous les autres nombres entiers.
au-dessous du double du plus haut degré.
Car ici, c'est comme si on disait par exemple,
que 111 ou 7 est la somme de quatre, de deux et de
un, et que 1101 ou 13 est la somme de huit, quatre
et un.
Cette propriété sert aux Essayeurs pour peser
toutes sortes de masses avec peu de poids et
pourrait servir dans les monnaies pour donner
plusieurs valeurs avec peu de pièces.
Cette expression des Nombres étant établie, sert
à faire très facilement toutes sortes d'opérations.

Pour l'Addition par exemple. ★

Pour la Soustraction.

Pour la multiplication. ⊙

Pour la Division.

Et toutes ces opérations sont si aisées, qu'on n'a jamais besoin de


rien essayer ni deviner, comme il faut faire dans la division ordinaire.
On n'a point besoin non plus de rien apprendre par coeur ici, comme
il faut faire dans le calcul ordinaire, où il faut savoir, par exemple, que
6 et 7 pris ensemble font 13, et que 5 multiplié par 3 donne 15,
suivant la table d'une fois un estun, qu'on appelle Pythagorique. Mais
ici tout cela se trouve et se prouve de source, comme l'on voit dans les
exemples précédents sous les signes ★ et ⊙.
Cependant je ne recommande point cette manière de compter, pour
la faire introduire à la place de la pratique ordinaire par dix. Car
outre qu'on est accoutumé à celle-ci, on n'y a point besoin d'y
apprendre ce qu'on a déjà appris par coeur : ainsi la pratique par dix
est plus abrégée, et les nombres y sont moins longs. Et si l'on était
accoutumé à aller par douze ou par seize, il y aurait encore plus
d'avantage. Mais le calcul par deux, c'est-à-dire par 0 et par 1, en
récompense de sa longueur, est le plus fondamental pour la science,
et donne de nouvelles découvertes, qui se trouvent utiles ensuite,
même pour la pratique des nombres, et surtout pour la Géométrie,
dont la raison est que les nombres étant réduits aux plus simples
principes, comme 0 et 1, il paraît partout un ordre merveilleux. Pour
exemple, dans la table même des Nombres, on voit en chaque
colonne régner des périodes qui recommencent toujours. Dans la
première colonne c'est 01, dans la seconde 0011, dans la troisième
00001111, dans la quatrième 0000000011111111, et ainsi de suite.
Et on a mis de petits zéros dans la table pour remplir le vide au
commencement de la colonne, et pour mieux marquer ces périodes.
On a mené aussi des lignes dans la table, qui marquent que ce
que ces lignes renferment revient toujours sous elles. Et il se trouve
encore que les Nombres Carrés, Cubiques et d'autres puissances,
item les Nombres Triangulaires, Pyramidaux et d'autres nombres
figurés, ont aussi de semblables périodes, de sorte que l'on peut
écrire les tables tout de suite, sans calculer. Et une prolixité dans le
commencement, qui donne ensuite le moyen d'épargner le calcul et
d'aller à l'infini par règle, est infiniment avantageuse.

Ce qu'il y a de surprenant dans ce calcul, c'est que cette


Arithmétique par 0 et 1 se trouve contenir le mystère d'un ancien
Roi et Philosophe nommé Fohy, qu'on croit avoir vécu il y a plus de
quatre mille ans et que les Chinois regardent comme le Fondateur de
leur Empire et de leurs sciences.
Il y a plusieurs figures linéaires qu'on lui attribue, elles reviennent
toutes à cette Arithmétique ; mais il suffit de mettre ici la Figure de
huit Cova comme on l'appelle, qui passe pour fondamentale, et d'y
joindre l'explication qui est manifeste, pourvu qu'on remarque
premièrement qu'une ligne entière — signifie l'unité ou 1, et
secondement qu'une ligne brisée – – signifie le zéro ou 0.

Les Chinois ont perdu la signification des Cova ou Linéations de


Fohy, peut-être depuis plus d'un millénaire d'années, et ils ont fait
des Commentaires là-dessus, où ils ont cherché je ne sais quels sens
éloignés, de sorte qu'il a fallu que la vraie explication leur vint
maintenant des Européens. Voici comment : Il n'y a guère plus de
deux ans que j'envoyai au R.P. Bouvet, Jésuite français célèbre, qui
demeure à Pékin, ma manière de compter par 0 et 1, et il n'en fallut
pas davantage pour lui fairere connaître que c'est la clef des figures
de Fohy. Ainsi m'écrivant le 14 novembre 1701, il m'a envoyé la
grande figure de ce Prince philosophe qui va à 64, et ne laisse plus
lieu de douter que la vérité de notre interprétation, de sorte que l'on
peut dire que ce père a déchiffré l'énigme de Fohy, à l'aide de ce que
je lui avais communiqué. Et comme ces figures sont peut-être le plus
ancien monument de science qui soit au monde, cette restitution de
leur sens, après un si grand intervalle de temps, paraîtra d'autant
plus curieuse.

Le consentement des figures de Fohy et ma table des Nombres se


fait mieux voir, lorsque dans la table on supplée les zéros initiaux,
qui paraissent superflus, mais qui servent à mieux marquer la
période de la colonne,
comme je les y ai suppléés en effet avec des petits ronds pour les
distinguer des zéros nécessaires, et cet accord me donne une grande
opinion de la profondeur des méditations de Fohy. Car ce qui nous
paraît aisé maintenant, ne l'était pas du tout dans ces temps éloignés.
L'Arithmétique Binaire ou Dyadique est en effet fort aisée
aujourd'hui, pour peu qu'on y pense, parce que notre manière de
compter y aide beaucoup, dont il semble qu'on retranche seulement
le trop. Mais cette Arithmétique ordinaire pour dix ne paraît pas fort
ancienne, au moins les Grecs et les Romains l'ont ignorée et ont été
privés de ses avantages. Il semble que l'Europe en doit l'introduction
à Gerbert, depuis Pape sous le nom de Sylvestre II, qui l'a eue des
Maures d'Espagne.

Or comme l'on croit à la Chine que Fohy est encore auteur des
caractères chinois, quoique fort altérés par la suite des temps ; son
essai d'Arithmétique fait juger qu'il pourrait bien s'y trouver encore
quelque chose de considérable par rapport aux nombres et aux idées,
si l'on pouvait déterrer le fondement de l'écriture chinoise, d'autant
plus qu'on croit à la Chine, qu'il a eu égard aux nombres en
l'établissant. Le R.P. Bouvet est fort porté à pousser cette pointe, et
très capable d'y réussir en bien des manières. Cependant je ne sais s'il
y a jamais eu dans l'écriture chinoise un avantage approchant de
celui qui doit être nécessairement dans une Caractéristique que je
projette. C'est que tout raisonnement qu'on peut tirer des notions,
pourrait être tiré de leurs caractères par une manière de calcul, qui
serait un des plus importants moyens d'aider l'esprit humain.

Mém. 1703.

Vous aimerez peut-être aussi