Le Management technologique-TG-JJC
Le Management technologique-TG-JJC
Le Management technologique-TG-JJC
Jean-Jacques CHANARON*
Thierry GRANGE
Décembre 20051
Draft V3.1 – Ne pas citer
Cette fonction centrale de l’innovation technologique dans la croissance économique est bien
sûr reconnue de longue date par les économistes dans la mouvance de la pensée
schumpétérienne (Chanaron, 1990). Mais elle n’a pas été jusque là véritablement intégrée, ni
a fortiori instrumentée, en terme de stratégie d’entreprise, ni par les grands groupes
industriels, ni par la communauté scientifique et technique, ni a fortiori par la classe politique
et à sa suite par l’administration. Et lorsqu’elle a été l’objet d’une véritable intention de
politique industrielle – plan « Calcul », programme « Bioaveni »r, par exemple –, les résultats
ont été à tout le moins décevants faute de continuité, de moyens et de constance de la part de
l’Etat (Callon, 2005).
Or, comme le souligne R. Boyer (Le Boucher, 2005), le rebond économique japonais des
années 2000 trouve sa source dans « le réarmement technologiques des grandes firmes
*
A ce jour, ce texte a bénéficié des critiques et suggestions de nos collègues M. Albouy, D. Gotteland, J-P.
Rennard, et…... Qu’ils en soient chaleureusement remerciés.
Directeur de recherche au CNRS et professeur à Grenoble Ecole de Management.
Directeur de Grenoble Ecole de Management.
1
Cet article, rédigé au moment où disparaît Peter Drucker (11/11/2005), lui doit évidemment beaucoup, cette
figure emblématique des sciences du management ayant toujours placé l’innovation, et donc la technologie, et la
gestion des connaissances, au cœur de ses préoccupations tant analytiques que pédagogiques.
2
industrielles » qui ont appris « à se coordonner entre elles, …, et à faire appel à l’Etat pour
financer des recherches très avancées ». Sans oublier, d’un autre côté, et malgré l’échec des
politiques publiques en France, le modèle entrepreneurial des PME et des jeunes pousses
innovantes qui dynamise la créativité de l’ensemble du système.
De leur côté, évidemment, les grands pays émergents, Corée2, Inde, Chine et bien d‘autres, se
lancent dans des programmes d’accroissement substantiel de leurs dépenses de R&D. Tout se
passe donc comme si un mouvement universel prônait désormais l’excellence scientifique
comme garantie d’un avenir économique meilleur, sinon brillant3.
2
C’est par la recherche de ses grands groupes industriels que la Corée et taiwan sont aujourd’hui à la tête du
progrès technique pour les biens de consommations high tech. Voir Financial Times, 14/10/2005, When the
cutting edge frightens the customers.
3
Patten, C., (2005), Scientific excellence will secure Europe’s future, Financial Times, 18 July.
3
La définition « officielle » de IAMOT en 1990 était « la mise en oeuvre des savoirs et savoir-
faire scientifique et technique dans la conception et la fabrication des produits, services et
procédés industriels. Puis Khalil (1995) suggéra une vision plus large considérant le
management de la technologie comme la création de ressources basée sur la base de
connaissances de l’organisation.
Selon Chanaron & Jolly (1999), une définition encore plus « extensive » servait alors de
référence au management technologique « à la française »4 : la gestion des relations entres les
organisations et les nouvelles technologie. Il s’agissait bien de l’étude de la création de
technologie par l’organisation et de l’impact de la technologie sur l’organisation.
4
En fait « à la grenobloise » puisque Grenoble Ecole de Management, alors Ecole Supérieure de Commerce de
Grenoble avait délibérément centré son expertise sur cette vision du management technologique.
4
Cette vision « académique » a le mérite de fédérer la quasi-totalité des travaux des chercheurs
qui se réclament du management technologique depuis le milieu des années 1980. Toujours
d’actualité, elle mérite cependant à l’évidence des réflexions complémentaires, notamment en
terme de mise en œuvre opérationnelle.
5
5
Management of Technology.
6
Management by or through Technology.
7
Ce qui correspond très exactement au terme de « wealth creation » suggéré par Khalil (2001).
8
L’entretien du lundi, Les Echos, 11 avril 2005.
6
gérées, sous-entendu aussi scientifiquement que possible puisqu’ils prétendent faire une
synthèse des concepts, outils, méthodes et processus spécifiques du management stratégique
de la technologie et d’ l’innovation.
Lorsque Scabrough & Swan (2001) tentent de définir la gestion des connaissances
(knowledge management), ils penchent plutôt pour un art qui serait largement façonné par
l’effet de mode : ce serait un ensemble flou d’idées, outils et pratiques centrées sur la
communication et l’exploitation des connaissances dans les organisation. Il est surprenant de
constater que cette définition du management des connaissances est très proche de celle
donnée par Khalil (1998) pour le management de la technologie.
De nombreux auteurs (e.g. Starkey & Madan, 2001 ; MacLean, MacIntosh & Grant, 2002)
suggèrent d’ailleurs que la recherche en management relève plus du mode 2 que du mode 1 de
production de connaissances : le second part de problématiques définies par le système
scientifique et technique et pour lui-même (le monde académique), alors que le premier vise
des thématiques définies en commun avec les partenaires du système économique pour
résoudre des problèmes concrets, et donc l’action. Huff et Huff (2001) rajoute un mode 3 de
production du savoir managérial intégrant en outre les besoins des individus et des sociétés.
En d’autres termes, le progrès des connaissances en sciences de gestion peut aussi bien venir
d’une démarche clinique, l’observation répétitive de cas réels, c’est-à-dire une recherche
« bottom-up », déductive, qui peut, le cas échéant, déboucher sur des théories ou modèles
généralisables, que d’une approche traditionnelle, académique et inductive (« top-down »),
élaborant des modèles théoriques, fondamentaux, à tester ensuite par confrontation à la réalité.
Longtemps décriée par les tenants de la tradition, la recherche clinique en management
semble aujourd’hui avoir droit de cité, y compris dans les plus prestigieuses écoles et par les
universitaires les plus renommés, notamment dans le domaine du management de la
technologie et de l’innovation10.
9
Voir les passionnants numéros spéciaux sur la recherche en management publié en 2001 par la British Academy
of Management, British Journal of Management, 12 et 13.
10
C’est bien le mode de fonctionnement adopté par C.M. Christensen, un des « gourous » du management de
l’innovation à HBS. On peut même se demander si ce n’est pas le mode privilégié par les éditeurs de la
prestigieuse Harvard Business Review. Lorsque la recherche clinique peut couvrir de très nombreuses études de
cas, elle permet d’élaborer des modèles susceptibles de généralisation.
7
Dans sa contribution aux Etats Généraux de la Recherche, il est vrai focalisée sur le segment
le plus en amont du processus de recherche-développement-innovation, Christophe Bonneuil
repère quatre « époques » dans les rapports entre science et société :
La traduction de cette vision des deux dernières époques de l’histoire contemporaine des
sciences en termes de management de l’innovation et de la technologie, et par là de gestion
des entreprises, pourrait être la suivante :
Source : OCDE.
Selon le International R&D Scoreboard13, dans le total des dépenses de R&D des entreprises,
les Etats-Unis représentent 38%, le Japon 22%, , l’Allemagne 12%, la France 6,1% et la
Grande-Bretagne 4,8%. Et ces écarts se consolident puisque la progression annuelle aux
Etats-Unis s’est élevée à 7% contre 2% en Europe.
11
Selon Villard (2005), en 2003, les Etats-Unis ont dépensé 285 milliards de dollars en R&D. Le total du Japon,
de la Corée, de la Chine et des trois grands européens était alors de 327 milliards de dollars.
12
Herzog, P., (2005), L’innovation industrielle fait débat, Le Figaro, 14 mars.
13
Le Journal du Management, 2 novembre 2005, http://management.journaldunet.com.
9
Figure 5. Répartition des demandes de brevet européen selon le domicile ou le siège du demandeur
Les biotechnologies ;
Les nanotechnologies ;
Les technologies de l’environnement ;
Les énergies renouvelables.
Or, comme l’affirme L. Fontagné, directeur du CEPII, « c’est celui qui fixe le standard
technologique », le design dominant cher à Abernathy et Utterback (1978), « qui emporte le
marché ». Un des enjeux majeur du management technologique pourrait donc bien être la
mise en place et la gestion de ce processus d’acquisition du standard technologique dominant
par une entreprise ou un consortium de partenaires industriels. C’est également à l’évidence
un des objectifs essentiels à assigner à la création des pôles européens d’excellence.
50
40
30
Norway
France
20 Austria
Netherlands
EU
Canada
10 Germany
USA
OECD
Denmark
FINLAND
0 Great Britain
90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 Ireland
Sweden
Sources: OECD, Main Science and Technology Indicators. Japan
15
Les données les plus récentes confirment « l’exception » française d’une recherche publique représentant près
de la moitie (48%) des investissements totaux en R&D contre 32% aux Etats-Unis et 28% au Japon (Le Journal
du Management, 21 septembre 2005, Financial Times, 2 December 2005).
16
Le CPE fut créé par Thierry Gaudin en 1982 et il l’a dirigé jusqu’en 1992.
11
A l’évidence, les grands groupes disposent des moyens financiers et humains pour contribuer
à l’avancée des connaissances dans les grandes disciplines scientifiques et techniques. Cet
effet de concentration est absolument nécessaire dans les secteurs des technologies de
l’information et de la communication, des transports, de l’environnement, de l’énergie, de la
santé.
En ce domaine, les effets d’échelle pourraient jouer à plein et requérir des coopérations jugées
jusque là contre nature. C’est le cas dans l’automobile, secteur exemplaire d’une industrie
manufacturière mature mais fortement sollicitée au plan technologique, où, d’une part, les
écarts d’effort de recherche-développement sont parfois significatifs, et d’autre part, les
coopérations scientifiques et techniques sur une base « régionale » - aux Etats-Unis, en
Europe et au Japon – sont déjà à l’œuvre et devraient se renforcer.
priorités17 (Arthur D. Little, 2005). Selon l’enquête 200( de Arthur D. Little, l’excellence en
matière d’innovation peut générer un gain de 4 points sur la rentabilité avant impôts et les
entreprises les plus innovantes18 ont de retour sur leurs investissements en produits et
procédés nouveaux dix fois supérieurs à la moyenne.
Même si le processus d’innovation au sein des petites unités économiques reste encore
largement méconnu au plan théorique (Chanaron, 1998), les PME et les entrepreneurs sont
évidemment des acteurs majeurs du processus d’innovation. Comme le montre clairement
l’enquête annuelle de BNP Paribas Lease Group sur les performances de PME-PMI (Perrotte,
2005a), 67% des dirigeants estiment que la pérennité de leur entreprise passe par l’innovation
et la prise de risque et 65% sont décidés à lancer de nouveaux produits dans les trois
prochaines années.
Quant à l’entrepreneur et « l’intrapreneur », ils sont devenus au cours des dernières années
des acteurs également incontournables.
Il est vrai que l’un des enjeux du management de la technologie et des politiques publiques de
la science et de la technologie est de réussir le challenge de la mise en cohérence des niveaux
microéconomiques et macroéconomiques, et notamment le passage de la sphère de la
connaissance, pour une large part hors marché, au marché et ses lois de fonctionnement. Cette
« marchandisation » croissante des savoirs est, en effet, une des nouvelles dimensions du
management19.
17
Item classé 4,3 sur une échelle d’importance croissante de 1 à 5 pour 4,0 pour le recentrage sur les
compétences clés et 3,9 pour la réduction des coûts.
18
Les 25% les plus innovantes par le nombre d’innovation.
19
Pour laquelle on ne dispose pas encore d’un modèle d’analyse et des outils de gestion appropriés.
13
Au fil des années, en prenant le début des années quatre-vingt comme moment d’émergence
du management de la technologique, les grandes thématiques ou interrogations de la
discipline ont naturellement évolué en fonction même des changements des techniques et des
organisations.
En 1999, les résultats d’une enquête DELPHI, réalisée au milieu des années quatre-vingt
auprès de 63 universitaires et industriels de 17 pays, positionnaient comme claire priorité du
management technologique la planification stratégique des produits technologiques (Scott,
1999), c’est-à-dire la gestion des innovations, loin devant les aspects purement
méthodologiques.
# Thème
1 Planification stratégique des produits technologiques 8,3
2 Méthodes et critères de sélection de projets 7,3
3 Méthodes et outils de l’apprentissage organisationnel 7,3
4 Identification et développement des compétences clés 7.2
5 Réduction de la durée du cycle de développement 7,1
6 Création d’une culture ad hoc 7,1
7 Coordination et management des équipes de développement de nouveaux produits 7,1
8 Analyse et compréhension des tendances et ruptures technologiques 7,0
9 Implication des équipes de marketing 7,0
10 Implication des consommateurs et fournisseurs 7,0
Ainsi Phaal, Farrukh & Probert (2001, 2004) ré-actualisent le modèle de Gregory (1995) qui
distingue cinq champs d’activités couverts par la discipline :
14
Le modèle de Farrukh, Fraser, Hadjidakis, et Phaal (2004) intègre alors dans le management
technologique l’ensemble des variables tant internes qu’externes qui influent sur les décisions
stratégiques de l’entreprise.
15
central de management est bien celui de livrer20 au bon endroit, au bon prix et dans les délais
ce qui est contractuellement prévu21. A cette première phase correspond une abondance de
l’offre de technologies : le management technologique a donc pour objet la sélection et la
gestion des choix.
La troisième phase, depuis 2002, replace le gain d’avantages concurrentiels au cœur des
stratégies d’entreprise. Le principe central du management devient l’allègement généralisé 22,
du design à la commercialisation et pour tous les facteurs de production, capital, tant physique
qu’intellectuel23, et travail24. La réduction des coûts redevient une priorité déterminante. Il
s’agit de construire des organisations flexibles, agiles, re-modelables à volonté et ductiles,
pour accroître leur capacité d’adaptation aux marchés, d’innovation et d’appropriation des
niches. Il convient alors de développer la capacité d’anticipation des attentes des
consommateurs et utilisateurs, c’est-à-dire des opportunités d’affaires et au plus vite. Le
20
Au sens anglais de delivery.
21
D’où la montée en puissance de la théorie économique des contrats avec la vision de l’entreprise comme
nœuds de contrats, selon l’expression de Milgrom & Roberts (1992).
22
Le « lean » management.
23
Y compris par sous-traitance et délocalisation (off-shoring).
24
Ce qui aboutit inéluctablement à la précarisation croissante des emplois et, également, à leur délocalisation.
17
Aujourd’hui, le stock de technologies ne permet pas de répondre aux défis économiques (prix
et disponibilité en pétrole brut, par exemple) et environnementaux (réchauffement climatique,
par exemple) : il faut donc accroître les efforts de recherche-développement et multiplier les
innovations de rupture, comme par exemples des grappes de nouveaux produits et services
issues de nanotechnologies et associés à un nouveau style de vie numérique 26 ou de
médicaments issus de biotechnologies et de la manipulation génétique.
Le phasage proposé rejoint quelque peu celui suggéré par Nambisan et Wilemon (2004) pour
les changements radicaux dans l’enseignement du management technologique. A la phase 1
est associé un saupoudrage dans les disciplines traditionnelles des sciences de l’ingénieur
et/ou des sciences de gestion. La phase 2 correspond à la création de programmes dédiés au
management technologique. La troisième phase en cours de mise en œuvre serait celle d’une
refonte en profondeur, privilégiant la création et le déploiement des technologies du futur et,
donc, le management du changement en univers chaotique.
25
« L’épuisement » de l’importance stratégique de l’information au profit de la communication et de la
coopération entre individus et groupes sociaux est l’hypothèse centrale d’une « nouvelle nouvelle économie »
(Deshayes, 2005).
26
Escande, P., (2005), Comment l’Europe peut rattraper les Etats-Unis, 5/5, Les Echos, 28-29 octobre.
18
La réflexion stratégique sur l’organisation interne et des relations industrielles avec les
partenaires de l’entreprise :
La réflexion sur les spécificités des PME dans leur relation à la technologie et à
l’innovation :
Même si les PME font face à des problématiques souvent similaires à celles des grands
groupes pour la gestion de la technologie et de l’innovation, il est avéré que des réflexions
spécifiques doivent être menées :
- Outils et méthodes ;
- Partenariats scientifiques et techniques, alliances à caractère technologique ;
- Modes de financement ;
- Marketing des produits et services innovants ;
19
- Gestion de la recherche-développement
- Management du transfert de technologie recherche-industrie
- Gestion de projets
- Gestion des interfaces recherche-industrie
- Outils de gestion de la R&D publique
- Les aides spécifiques aux PME
- Prévision technologique
- Prospective et futurologie
- Evaluation technologique
- Développement durable et changement technique
- Science, technologie et société civile
- Méthodes et outils d’incitation de la R&D privée
- Gestion des espaces d’innovation : local, régional, national, transnational,
mondial27
- Outils et processus de territorialisation des technologies
Les axes de réflexion sur la nécessaire ingérence des politiques publiques, comme catalyseurs
des capacités d’innovation, relèvent à l’évidence du management technologique
d’aujourd’hui. Dans un tel contexte, la dimension locale, pour ne pas dire territoriale, du
management de la recherche et de l’innovation, devient un axe majeur de réflexion, tant les
préoccupations en termes de création et de maintien des emplois sont une obsession, légitime,
des responsables politiques et administratifs. Or, les sciences de gestion doivent pouvoir
contribuer à une meilleure connaissance des facteurs clés, non seulement de la créativité, et
donc de la genèse des innovations28, mais aussi, et peut-être surtout, de la capacité d’adoption
et d’adaptation à de tels changements, et donc de la pérennité des organisations innovantes.
Autant la recherche a su développer des modèles et des outils, certes encore imparfaits, de
27
Dans le processus de recherche et d’innovation, les synergies générées par les coopérations entre acteurs
laboratoires et entreprises, pour l’essentiel, sont cruciales : il faut alors gérer, pour les doper, les relations locales,
à l’intérieur du bâtiment, régionales au sein d’un pôle d’excellence, interrégionales, nationales, européennes et
mondiales.
28
Un des axes de recherche est l’analyse de la « légitimité » territoriale des technologies, c’est-à-dire des
facteurs historiques et sociologiques qui font qu’une région dispose du niveau d’excellence dans un certain
doamine.
20
management de la génération de technologie, autant elle n’a pas encore permis d’élaborer des
modèles et outils permettant d’assurer le passage de la R&D et de l’innovation à la production
industrielle, donc, la survie de long terme des firmes innovantes. En la matière, évidemment,
l’impact local est déterminant, notamment sur les perspectives d’emplois salariés.
Selon Hatchuel (2005), la maîtrise des innovations technologiques requiert des multiples
compétences, de la recherche fondamentale au design, au style et au marketing, qui, en outre,
changent à un rythme inversement proportionnel à l’intensité technologique. Plus l’activité est
technologiquement complexe, et plus l’innovation est créatrice de valeur, moins les
compétences sont disponibles sur étagère, prêtes à l’emploi, et plus elles se transforment et
vite.
Hatchuel (2005) ajoute que « lorsque la compétition porte sur l’innovation, entreprises,
salariés et pouvoirs publics se trouvent confrontés non à une simple gestion/acquisition des
compétences mais à la nécessité permanente d’organiser leur genèse et leur renouvellement ».
Il en déduit alors que la gestion de la concurrence et de la croissance économique repose sur
la bonne gestion des apprentissages individuels et collectifs des nouvelles compétences
requises par les politiques et stratégies d’innovation.
C’est sans doute une refonte totale du contenu des enseignements et des modules de formation
des disciplines managériales impliquées par le management technologique qu’il convient
d’entreprendre, qu’ils soient destinés à des publics d’ingénieurs ou de gestionnaires. En effet,
le management stratégique de la technologie et de l’innovation devrait disposer à la fois de
modules d’enseignement qui lui soient propres et de modules croisés avec les disciplines
fonctionnelles (finances, marketing, comptabilité et contrôle de gestion, gestion des
ressources humaines, gestion des systèmes d’information, etc.).
21
Conclusion
Selon Perrotte (2005), c’est bien la variable « temps de mise sur le marché » des innovations
qui est aujourd’hui considérée comme cruciale. Il faut innover de plus en plus fréquemment
mais aussi de plus en plus vite. Mais il faut impérativement prendre en compte également la
variable « espaces d’innovation » du fait de la globalisation des marchés et des technologies.
Or, comme le souligne une étude du cabinet Unilog Management (Perrotte, 2005b), c’est bien
sur ce second point que les entreprises sont les moins bien armées. La plupart pilotent « à
vue ». Dans la pratique quotidienne des entreprises, le management de la technologie et de
l’innovation apparaît ainsi plus comme un ensemble de paris sur l’avenir, proches de la
profession de foi, que comme un des « arts » du management, qui suivrait une construction
raisonnée et utiliserait des outils et recettes ayant fait leur preuve par l’expérience. Or, dans un
contexte où le rôle moteur de la technologie va croissant, il ne saurait y avoir de véritable
management stratégique de l’innovation sans un corpus analytique et méthodologique
structuré.
L’augmentation exponentielle des coûts qui requiert la concentration des moyens et une
stature d’emblée mondiale ;
Pour les entreprises, l’innovation, dès lors qu’elle utilise les nouvelles technologies –
nanotechnologies, sciences du vivant, sciences cognitives -, devrait se développer autour de
trois axes :
Finalement, on peut retenir comme englobante de toutes ces dimensions la définition proposée
récemment par Rennard (2004) : « On qualifie de management technologique une approche
managériale fondée sur l’optimisation de la perméabilité et de la plasticité du système
productif et entrepreneurial au regard de la dynamique technologique. Réactif, il est structuré
autour de l’appropriation souple des évolutions technologiques. Proactif, il participe de
l’émergence de formes alternatives du progrès technique ».
Cette discipline peut également apparaître comme la discipline d’excellence pour le dialogue
entre le monde des affaires et celui des écoles de management. Il permet cette communauté de
langages et de savoirs nécessaires à une collaboration gagnant-gagnant tant pour la genèse de
connaissances que pour leur diffusion et leur transmission.
29
Demand pull.
30
Technology push.
23
Il s’agit bien de contribuer à la mise en place d’un cercle vertueux – génération – acquisition –
appropriation – valorisation des savoirs et des technologies, nouveaux gisements de
24
31
Saul, J.R., (2005), La mondialisation, Vie et mort d’une idéologie, repris de Harper’s Magazine par Courrier
International, n° 779, 6 octobre.
32
La « bulle » Internet de la fin des années 1990 et les développements actuels des biotechnologies ont, sans
doute, donné un avant-goût de ces nouveaux « business models » avec des entreprises qui peuvent perdurer dans
le rouge pendant de nombreuses années avant de disparaître ou de décoller, survivant parfois pour une très courte
durée.
25
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