Correction Casa2014 PDF
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juin 2014)
(…) On est venu relever mon bon vieux gendarme, auquel, ingrat,
égoïste que je suis, je n'ai seulement pas serré la main. Un autre l'a
remplacé : homme à front déprimé, des yeux de bœuf, une figure inepte.
Au reste, je n'y avais fait aucune attention. Je tournais le dos à la
porte, assis devant la table ; je tâchais de rafraîchir mon front avec ma
main, et mes pensées troublaient mon esprit.
Un léger coup, frappé sur mon épaule, m'a fait tourner la tête.
C'était le nouveau gendarme, avec qui j'étais seul.
Voici à peu près de quelle façon il m'a adressé la parole.
- Criminel, avez-vous bon cœur ?
- Non, lui ai-je dit.
La brusquerie de ma réponse a paru le déconcerter. Cependant il a
repris en hésitant :
- On n'est pas méchant pour le plaisir de l'être.
- Pourquoi non ? ai-je répliqué. Si vous n'avez que cela à me dire,
laissez-moi. Où voulez-vous en venir ?
- Pardon, mon criminel, a-t-il répondu. Deux mots seulement.
Voici. Si vous pouviez faire le bonheur d'un pauvre homme, et que cela ne
vous coûtât rien, est-ce que vous ne le feriez pas ?
J'ai haussé les épaules.
-Est-ce que vous arrivez de Charenton1 ? Vous choisissez un
singulier vase2 pour y puiser du bonheur. Moi, faire le bonheur de
quelqu'un !
Il a baissé la voix et pris un air mystérieux, ce qui n'allait pas à sa
figure idiote.
- Oui, criminel, oui bonheur, oui fortune. Tout cela me sera venu de
vous. Voici. Je suis un pauvre gendarme. Le service est lourd, la paye est
légère ; mon cheval est à moi et me ruine. Or je mets à la loterie pour
contre-balancer. Il faut bien avoir une industrie. Jusqu'ici il ne m'a
manqué pour gagner que d'avoir de bons numéros. J'en cherche partout
de sûrs ; je tombe toujours à côté. Je mets le 76 ; il sort le 77. J'ai beau les
nourrir3 ils ne viennent pas...- Un peu de patience, s'il vous plaît, je suis à
la fin. - Or voici une belle occasion pour moi. Il paraît, pardon, criminel,
que vous passez aujourd'hui. Il est certain que les morts qu'on fait périr
comme cela voient la loterie d'avance. Promettez-moi de venir demain
soir qu'est-ce que cela vous fait ? me donner trois numéros, trois bons.
Hein ? - Je n'ai pas peur des revenants, soyez tranquille. - Voici mon
adresse : Caserne Popincourt, escalier A n° 26, au fond du corridor Vous
me reconnaîtrez bien, n'est-ce pas ? Venez même ce soir, si cela vous est
plus commode.
Notes :
1-« Est-ce que vous êtes fou ? ». À Charenton se trouvait un
important asile de fous.
2-Au sens de « urne de jeux de hasard ».
3-Jouer ces numéros jusqu’à ce qu’ils sortent.