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ûlitionsduCNRS

Annu(lire de l'Afrique du Nord


Tome XXV, 1986

HABITAT TRADITIONNEL DANS LES AURÈS

Le cas de la Vallée de l'Oued Abdi


Samia ADJALI

Fruit d'une symbiose ancestrale entre un site aux caprices nombreux et une
profonde identité culturelle, le mode d'habiter dans les dechra aurassiennes est
un des derniers témoignages, encore vécu, d'une organisation spatiale ancestrale.
Toute la symbolique de la relation homme· lieu de vie demeure encore présente
dans toute sa diversité et son originalité. Cependant se heurtant aux exigences
d'une ouverture récente sur le reste du pays. cette stucturation spatiale conna it
aujourd'hui un déclin. La facilité d'échange a e ngendré un affaiblissement du
pouvoir traditionnel, une destabilisation, voire une rupture au sein de la société
aurassienne. L'espace de la civilisation occidentale vient se greffer sur une
société à la recherche de modèle. Prise entre le désir de changement et la
résistance aux mutations. la société aurassienne s'adapte. L'habitat est un des
lieux particulièrement intéressants de cette évolution,
Vieille citadelle berbère, l'Aurês a l'originalité d'une position de transit,
formant une barrière naturelle entre les hauts plateaux constantinois et le
Sahara, sur laquelle viennent buter tous les nuages qui arrivent du nord. " Ce
massif imposant surgi entre le Sahara et les Sbakhs, les voyageurs le découvrent
de loin, le considè re nt toujours avec une religieuse curiosité, comme le mur
derrière lequel il se passe quelque chose Il (2). Longtemps préservé des agres·
sions externes, il renfe rme d'innombrables agglomérations qui" sont tellement
rapprochées qu'elles semblent faire la chaîne: c'est une gu irlande de villages.
lesquels avec leur position et leur tour de mosquée, font penser aux acropoles
de Grêce et de Sicile" (3). Dans cet ensemble on peut distingue r plusieurs types
et modèles d'habitat selon l'utilisation qui est faite des ressources et des
caractéristiques physiques du milieu dans lequel il s'inscrit:
• Un habitat dispersé, avec une profusion de mechta, habitat" aéré» qui
s'inscrit dans les immenses étendues des hautes plaines constantinoises et
recouvre tout le piémont nord de l'Aurés.
• Un habitat groupé, plus structuré et plus dense, situé souvent sur des
crêtes ou en fond de vallée; ce sont les dechra du massif de l'Aurès
• Un habitat qui donne les prémisses d'une typologie saharienne sans en
subir les contraintes, l'habitat du piémont sud. 11 se définit par un groupement
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de fractions autour d'une cour (ba/ha) traditionnellement lieu de rencontre et


espace commun doté d'un point d'eau. Les agglomérations se rattachent souvent,
dans ce cas, aux palmernies, s'y abritant des variations climatiques comme des
agressions extérieures.

Un habitat intëgré.
En franchissant le col de Guerza (1 700 ml, le visiteur venu du dehors, a
l'impression de franchir un seuil, on cntre dans "l'intimité» des ChaouÎ.
habitants séculaires de ces montagnes. L'habitation chaoui est une organisation
totalement montagnarde qui se structu re en déroulant une suite de dechra
intarcalées parfois d'un habitat troglodyœ semi-enterré, le tout parfaiteme nt
intégré à la topographie. Les dechra de la Vallée de l'Oued Abdi semblent sortir
de la roche pour faire corps avec elle. Un même aménagement confère un air
de parenté à toute la vallée. Les zones habitées sont essentiellement implantées
sur la rive gauche de l'Oued, toujours en position dominante par rapport aux
terrasses de cultures.
Ces dechra sont organisées par une société agraire qui, installée et adaptée
au site depuis une longue période, a acquis une sorte d'équilibre, une form e dl~
pérennité. L'unité que l'on retrouve dans l'habitat est engendrée par l'unité. sur
un même fond culturel, d'économies montagnardes longtemps autarciques, qui
contraignaient à une exploitation intégrale de toute la vallée, aussi bien du sol
que de la végétation (céréales et vergers),
Présentes partout. les terrasses sont réguliêrement entretenues par les
familles. Une même sélection arborée se retrouve à travers toute la vallée. avec
des différe nces liées à des contraintes climatiques ponctuelles: c'est le cas de
Menaa, ve rger de moyenne vallée pour lequel l'essentiel de l'exploitation est la
culture de l'abricot. Le noyer est présent dans la haute vallée, La basse vallée,
de climat déjà sub·saharien . intègre le palmier·dattier. Les te rres sont irriguées,
par simple gravitation et à travers un réseau de seguia, à partir de résurgences
de nappes phréatiques (ou de puits) et plus rarement de l'oued.
Dans cette vallée isolée. les techniques sont peu développées et la
domination de l'homme sur son environnement limitée. Le climat reste un agent
déterminant des forces génératrices de formes. Les agglomérations utilisent les
pitons et les crêtes, répondant ainsi à l'ancestral besoin de protection du groupe.
La composition du tissu est essentiellement minérale. Les dechra très denses et
très structu rées forment un ensemble homogène. La circulation y est orga nisée
comme dans une entité semi·privée. L'enceinte qui entoure les dechra. comme
c'est le cas à Menaa. sert de filtre entre l'espace public et l'espace introverti des
habitants. Le tissu n'est pas centralisé. Le lieu du culte est situé au plus haut
point de la dechra. Quant à la djemaa, elle prend place à l'extérieur du tissu.
La densité de ce tissu est Iiêe au besoin de réajustement des variations
successives des températures. Le découpage du groupe et le découpage social se
moulent sur les unités de relief. Les dechra elles· mêmes correspondent souvent
à un groupe précis.
HABITAT TRADITIONNEL DANS LES AuMs 273

Parfois une maison est composée de plusieurs logements accolés, de formes


irrégulières, bien souvent rectangulaires. L'ensemble dessine un fer-à·cheval et
chaque unité comprend une cour. En dehors de ces regroupements généraux,
l'habitat peut inclure des unités à caractères spécifiques: Nara. village important
près de Ménaa, est située dans une plaine cernée de montagnes. L'organisation
spatiale est là encore singulière, fruit d'un compromis entre J'organisation
spatiale d'une maison de moyenne vallée et celle de la haute montagne. Les
maisons sont bâties autour d'une cour centrale bien abritée.
En dehors de la vallée, les groupements situés dans des zones monta-
gneuses très accidentées, sont caractérisés . comme sur le piémont nord par
exemple. par un habitat dispersé. Les constructions individuelles se trouvent il.
la périphér ie des parcelles. Les vergers ou cultures fruitières sont rares, en
raison d'une pluviométrie faible. La majorité des habitations n'est occupée
qu'aux moments des travaux liés à la céréaliculture: c'est le cas de Guerza.
Tzouket, Melloudja ...

Elévation d'une m aison ehaou i


274 S. AUJAU

La longévitê de l'habitat dans la vallée de l'Oued Abdi est redevable aux


techniques et aux matêriaux utilisés, essentiellement à la pierre. Ce matêriau
limite les consêquences des insectes et du temps. Cependant dans la basse vallée,
l'utilisation de la terre réduit la période de conservation du bâti et nécessite un
plus grand entretien. Cette pérennitê des constructions relève aussi du droit
foncier et des coutumes règlementant l'héritage et le partage des terres agricoles
et des habitations.

Une hiérarchisation uertic(Jle


La spécificité de l'habitat dans chaque dechra est liée à son micro·climat.
On peut distinguer dans la vallée de l'Oued Abdi trois zones importantes:
• La haute vallée, avec des villages situés à plus de 1 000 m, totalement
construits en pierre sèche et en bois: cas de Theniet El Abed ou Guerza. Les
maisons occupent les volumes les moins importants de toute la vallée, l'espace
des animaux se confo nd souvent avec celui des hommes. Le climat rude à cette
altitude, implique un tissu très dense et des volumes restreints afin de limiter
les variations de température,
• La moye nne vallée est. par sa position charnière entre le nord et le s ud .
un lieu de transition, aussi bien à un niveau climatique qu 'au niveau du batl
ici la maison est construite sur deux niveaux en brique de terre, avec des
soubassements en pierre ( cas de Menaa, de Chir ... )
• Dans la basse vallée, mais à plus de 200 m d'altitude, les villages sont
construits à proximitê de l'oued , l'habitat y est plus étalé. et l'utilisation de la
brique en terre sèche uniquement s'intègre à un micro-climat plus doux et moins
pluvieux. Amentane est le premier village de cette basse vallée.

Taddart: une unité sociale et économique.'


Dans cette presentation de la maison chaoui on s'appuie ra plus particu·
lièrement sur l'habitat il. Menaa, Comme dans tout l'Aurès, « taddart» ou la
maison chaoui, est une unité sociale et économique. Elle abrite fam ille, réserves
et animaux. L'organisation de l'espace domestique est de ce fait hiérarchisé. Une
distribution des volumes entre les trois foncti ons correspond souven t il une
organisation tripartite en hauteur. Chacune de ces divisions porte un nom, a des
formes et des fon ctions propres et trouve un sens à l'intêrieur du syslème
symbolique. L'espace" homme )) est le noyau autour duquel gravitent les espaces
complémentaires, gravitation verticale bien souvent. La maison a son élémen t
essentiel (la partie utilisée par l'homme) au second niveau; au premier nivea u,
on trouve la bergerie avec parfois la remise pour le fourrage, le bois ... (partie
hum ide). Au troisième niveau ce sont les pièces de "réserves» l'aefie (partie
sèche, espace de sèchage). Cette disposition apporte par ailleurs un confort
thermique important.

La m aison s u r le site.
La maison aurassierme, intègrant la topographie du site, est implantée
perpendiculairement aux courbes de niveaux, Les irrégularités du terrain, les
bancs rocheux sont harmonieusement utilisés comme soubassement.
HABITAT TRADITIONNEL DANS LES AURts 275

Plan d'une habitlition

Rez-de_ch . .. Nfe:upace homme

Sou.-aol : upace . nin ... ~_ ",le"'" h .. mide


276 S. ADJAl.l

Les matériaux locaux et la topographie du terrain créent alors une


continuité de formes, de teintes et une uniformité d'aspect qui renforcent
J'intégration de ces constructions vernaculaires au site.
Les terrassements préalables pour aplanir le site sont inexistants: c'est
l"intégration aux pentcs qui constitue le dénivellé des maisons. Parfois. dans
certaines dechra, l"un des murs est constitué par une paroi rocheuse. c'est un
héritage d'habitat troglodytique souvent présent dans la région.

Les seuils, les limites, les espaces intemu!diaires

L'ensemble du cadre bâli d'une dechra a un seuil commun, l'entrée de la


dechra: porte d'entrée ouverte dans un rempart (ex. de Menaa) ou simple
placette où aboutit la piste (cas le plus répandu), limite qui détermine la rupture
du groupe avec les autres populations de la vatlée.
Cette forme d'isolement définit le groupe de chaque dechra comme en-
semble intime. Les maisons n'ont alors pas recours aux systèmes significatifs de
filtres et de hiérarchisation de l'espace, du public vers le privé. Cette hiérarchisa·
tion se réduit dans notre habitat à une structuration du semi-public vers le privé.
Architecturalement. cela s'exprime par des portes d'entrée souvent ouvertes et
des espaces intermédiaires il. valeur mêdiatrice plus que sélectrice.
L'accès d'une habitation est soumis il. trois marques de transition entre le
groupe et la famille: la porte. le seuil, la ski/fa (Tasquit).

El Bab (la porte)


" Aucune maisonn'auait besoin de portes
PUisque les visages s'ouuroient dans les uisages
E/les uoisins épars. simplement uoisinaien/
I"a nui/n'existait pas puisque /"on y dormait " (Anna Greki)

Un dédoublement d'accès il. la maison existe. Les animaux pénètrent par


une petite porte basse, de matériau et de qualité moindres que la porte réservée
aux hommes. Elle se limite souvent à un assemblage de bois peu travaillé. Le
seuil de cette porte est inférieur. étant situé sur la partie la plus en contre-pentA).
L'homme entre dans la maison par une porte faite en bois de cèdre.
finement travaillée et rehaussée par des amulettes protectrices. Cet élément
étonne souvent par ses dimensions: soit un petit percement qui oblige à se
courber. soit, â ["opposé, une immense porte de deux mètres sur deux mètres dill.
à grands battants. Signe de rang social ou d'évolution ? En fait la combinaison
des deux : les petits percements donnent souvent sur un seul espace, polyvalent
formant ["ensemble de la maison. c'est le noyau de base qui représente te point
de départ dans l'évolution à trave rs le temps de la maison chaoui. Actuellement,
cette forme d'habitat s'accorde souvent à des occupants aux revenus très
modestes. Les différentes manifestations dans J'évolution de ["habitat passent par
un aggrandissement des portes pour plus de confort et de lumière.
HABITAT TRADITIONNEL DANS LES AURÈS 277

El alab (le seuil):


Le seuil est toujours marqué par une surélévation allant de la simple
marche de 20 cm à un escalier en pas-d'àne. Cette différenciation de niveau relève
du système symbolique mais crée aussi, et dès l'origine, une protection pragmati·
que vis·à·vis des eaux pluviales. Les maisons étant édifiées perpendiculairement
à la pente, l'entrée n'est possible qu'en corrigeant le dénivellé par un remblai,
des pas-d'âne ou encore par des escaliers.
Quand dans certaines habitations, les hommes et les animaux pénètrent
dans la maison par une seule porte, la hiérarchisation de la circulation s'effectue
juste après le franchissement du seuil et la bergerie s'ouvre directement sur
tasqui(t.

Tasqui(t (skiffa ou chicane):


On a toujours défini la skiffa comme un espace filtre, un espace de
transition. Tasquift dans la vallée de l'oued Abdi est un espace médiateur. Elle
sélectionne et médiatise les relations. C'est un espace et non pas simplement un
passage. Aménagée et couverte, la skiffa oppose sa composition à deux espaces
ouverts et non aménagés: l'extérieur et la cour. Cette hiérarchie entre la zone
claire et zone obscure crée l'intimité de tasquift.
Le role de tasquift, par comparaison aux chicanes de médinas ou de la cité
du Mzab, est plus médiateur. La position de la porte d'entrée, son ouverture en
permanence, la relation visuelle directe que l'on a de la cour lorsqu'on est sur
le pas de la porte, révèle une approche de l'intimité différente. Nous avons
rarement rencontré des plans d'habitation avec des chicanes en <c S », Lorsque
c'est le cas, il s'agit alors de maisons en périphérie du noyau le plus ancien de
la dechra, donc beaucoup plus récentes. La loi de la réciprocité est de rigueur
dans cette société, La notion de groupe pris dans sa structure sociale implique
d'abord une intimité du groupe passant par un respect mutuel, l'intimité familiale
vient ensuite, Tous les membres sont concernés; lorsqu'on passe dans la rue,
même si on ne regarde rien, on voit tout, Les enfants déambulent d'une skiffa
à l'autre, les femmes se retrouvent dans la skiffa le temps d'une nouvelle ...

La cour et Charfat n 'ilma


Le noyau de la maison est formé de gharfat n 'jlma et de la cour, La maison
abrite généralement une famille au sens large du terme: la cour malgré cela n'est
pas lieu de regroupement. on sc retrouve soit dans taskift, soit dans ghorfat
,âlma, Les dimensions variables ct surtout restrei ntes des cours, attestent du
peu d'importance du lieu comparativement aux maisons avec cour ou patio, C'est
souvent un lieu de passage mais surtout un puit de lumière, Lorsque la cour est
importante, elle cumule plusieurs fonctions:« de nombreuses habitations chaoui
ont une cour rectangulaire de dimensions variables et à ciel ouvert ( ... ) quelques
fois une partie de la cour est affectée à divers usages, C'est là que durant l'été,
les femmes installent leur kànoun, font la cuisine, suspendent l'outre pleine
d'eau, et si la maison ne comporte pas de bergerie, parquent les bêtes, entre·
278 g, ADJALI

posent le fumier et entassent le bois» (M. Caudry). On élève alors des murets
pour isoler les différentes fonctions. Les maisons avec grande cour sont des cas
particuliers, compensant par là l'absence d'autres espaces spécifiques (bergerie,
terrasse accessible, tasquift). La fréquence des cours dépend en fait du lieu
d'implantation des villages.
Centre symbolique et fonctionnel de la maison, ghorfat fi 'ilma est par
excellence l'espace de l"homme Salle commune présente dans d'autres archi·
tectures vernaculaires, ghorfat n'ilma par sa composition et sa structuration de
l'espace organise l'ensemble de la maison. Lieu principal de vie sociale et
économique, cet espace se définit comme le plus grand volume de la maison.
toujours isolé et limité verticalement par les réserves. La polyvalence du lieu
s'exprime par une projection au sol de toutes les activités quotidiennes; en effet,
la division en espaces fonctionnels ne s'obtient pas par un cloisonnement vertical
(mur) mais par un aménagement du sol à l'aide de simples surélévations (de 15
à 25 cm) et de banquettes construites. A chaque aménagement correspond une
fonction, toutes les pratiques journalières de réunion, de cuisson, de tissage sont
représentées. La seule qui n'est pas systématiquement définie est celle du
sommeil. La literie, composée de nattes, de tapis et de couvertures tissées par
la famille , est rangée contre un mur ou sur le seul lit de la pièce qui peut être
construit (sedda) ou suspendu.
Le coeur de ghorfot n'ilma est le coin du feu . Il rythme les étapes de la
journée par le rassemblement périodique de la famille autour du foyer et le temps
que passent les femmes pour la cuisson des galettes et des repas. L'emplacement
du métier à tisser est marqué par une banquette construite le long d'un mur, face
à la porte en général. Un coin. souvent le plus obscur de la pièce, est attribué
aux réserves journalières mais aucun élément architectural ne matérialise cet
espace. Des outres d'cau (guerba) et de lait sont suspendues, entre les poteries
et les autres ustensiles, L'aménagement des murs est le complément de l'amè·
nagement du sol. pu isque niches, décrochements, morceaux de bois fixés entrt~
deux briques de terre ou deux pierres complètement, à la verticale, l'utilisation
du plan horizontal. Le centre de la piêce joue un rôle de centre sociaL La famille
se réunit et reçoit dans cet espace.

Mise e n oeuvre et construction

Etroitement liée aux acquis el aux possibilités technologiques, l'architec ·


ture fait appel à la liberté de l'esprit humain. Bâtir est, comme le définit R.
Wright, « le processus créateur basé sur l'expérience et par conséquent opposé
à rintellectualisme de la composition et de la représentation ». L'architecture
traditionnelle aurassienne a été relativement peu conditionnée par les matériaux
et la maîtrise des techniques de mise en oeuvre: toddort se voulant adaptée au
site et régulateur thermique, exprime des solutions architecturales adaptées aux
contraintes physiques et au climat. C'est un équilibre permanent entre, d'une
part, l'indétermination spatiale et la détermination technique d'autre part, Nous
HABITAT TRAOITIONN!<;L DANS L!<;S AURÈS 279

nous trouvons dans la situation où un lien naturel et évident semble exister entre
le « style ») et la « signification )), la « forme » et le « contenu ).
Le style n'est pas ici fruit d'un effort pour créer une signification, comme
c'est le cas pour les contructions actuelles, il est l'outil pour fixer la signification.
Les formes ne sont pas idéologiques, définies par un langage préfabriqué. Elles
apparaissent comme interprètes d'une symbolique. La mise en oeuvre a permis
de fixer sur le sol la signification. Elle concrétise ainsi un langage formel riche.
L'acte de bâtir n'est pas restreint il un acte technique, il est la mise en forme
d'une fonctionnalité.
A travers l'Aurès les matériaux de construction utilisés sont tous des
matériau)\: locaux. La zone d'extraction est toujours à proximité. Ce sont, dans
des proportions variables, terre, pierre et bois. Ils se répartissent suivant trois
aires correspondant il une hiérarchie verticale des vallées. En amont et il travers
la haute vallée. la pierre sèche est le matériau qui domine. Les structures sont
en bois; cèdre pour les pièces maîtresses de l"ossature et genévrier pour les
poutrelles. La moyenne vallée voit un chevauchement des deux matériaux. Les
soubassements des murs et les jonctions avec le sol sont en pierres non-taillées:
ce sont de gros blocs joints par un mortier et sur lesquelles viennent se poser
des briques de terre et des joints horizontaux de bois, alternativement tous les
quatre ou cinq rangs pour une distribution équilibrée des charges. La basse
vallée reprend les modes de construction sahariens: les structures sont en bois
de palmier et les murs en brique de terre séchée. louba.
Comme toute société primitive. la société au rassienne vit en autarcie, donc
dans une économie sévère de pénurie. Il semble alors justifié que les matériaux
locaux soient ceux utilisés en majorité. Le choix technique est contraignant pour
les formes, mais non déterminant dans l'organisation spatiale.
Le système d'ossature et de reprise de charge par une floraison de piliers
permet d'obtenir de grands volumes et de construire sur plusieurs niveaux. Les
ouvertures sont petites et triangulaires. Dans ce pays chaud et sec la réverbé·
ration est très intense: la position d'une rangée d'ouvertures en haut des murs
a plus ici un rôle de ventilation qu'un rôle" d'ouverture vers l'extérieur ».
Pour la construction d'une habitation, l'intervention d'un artisan est un
fait rare. La touisa, ou construction collective, est l'apanage de ces sociétés. " Les
maisons sont construites après les moissons par les propriétaires» (Th. Rivière).

Les no uvelles formes du bâti.


<, Mieux que tout autre fait de civilisation, la maison permet de repérer
les liens essentiels. les plus intimes de la vie sociale ... » (1. Chiva). Taddarl à
travers l'Aurès est le seul témoignage d'un passé qui se perd sous le poids du
béton. Désormais te tissu vernaculaire s'estompe. se transforme sous ta pression
des nouveaux besoins. C'est l'aliénation d'un site jusque là fonctionnel. pour la
conquête des bords de routes et des fonds de vallées.
La nouvelle maison est en béton, son organisation spatiale oscille entre
un aménagement Il moderne» et une utilisation (1 traditionnelle ». Si la cuisine
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est, dans les nouvelles maisons, systématiquement présente ct aménagée, ln


cuisson se fait encore dans le foyer, pas sur la gazinière pourtant installée
La variété de nouvelles formes du bâti ne correspond plus à une inté-
gration à l'êco·système. Elle n'est en fait que modèle importé, mal dominé et peu
confortable.
Emblème de révolution sociale, la maison en bêton avec de grands garages,
d'immenses balcons, une succession de pièces, une salle de bain, une cuisine, ..
et des fers en attente pour son extension. Ce nouveau taddard fait son entrée
dans l'Aurès en rupture avec tout modèle antérieur, En tout lieu, suivant un
programme étatique ou dans le cadre de l'autoconstruction, c'est la ruée vers lu
route, Il faudrait pour rétablir le sens de la durée, de J'expression de l'histoire
et du passé, explorer la modernité comme outil de sauvegarde, comme moyen
d'évolution et non comme fin en soi.
Sur le terrain, c'est une immense explosion de toutes les dechra, explosion
spatiale par un éclatement du tissu traditionnel, explosion gênérale qui s'exprime
par l'éparpillement et la prolifération de petites taches composées de trois 011
quatre maisons autoconstruites, récentes, en dur, jusque dans les vergers. Les
Ouled Abdi abordent ainsi une nouvelle phase dans leur organisation sociale el
spatiale.

BIB LI OGRAPHIE

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