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Source: ÖT KONTINENS

Five Continents

Location: Hungary
Author(s): Ilona Kovács
Title: Casanova et la franc-maçonnerie
Casanova and the Freemasonry
Issue: 1/2013
Citation Ilona Kovács. "Casanova et la franc-maçonnerie". ÖT KONTINENS 1:35-44.
style:

https://www.ceeol.com/search/article-detail?id=425259
CEEOL copyright 2020 ÖT KONTINENS, az Új- és Jelenkori Egyetemes Történeti Tanszék tudományos közleményei, No 2013/1.
ELTE, BUDAPEST, 2014.


Ilona Kovács

Casanova et la franc-maçonnerie

Abstract

This study presents Casanova’s life in few words, his travels in Europe and in
the meantime the author analyzes his characters and his relations with the
freemason. At the end of the study we know the role of the alchemy and the
kabbala in the carreer of Casanova.
Keywords: freemason, Casanova, lodge, kabbala, alchemy.

Un aventurier dans la franc-maçonnerie

Casanova (1725-1798) en tant qu'escroc s'intéressait aux sociétés secrètes et à


toutes les formes de l'occultisme. Les motifs éventuels de cet intérêt peuvent être
explicités par certains passages de ses mémoires et de la correspondance, sans
toutefois démontrer indubitablement l'importance des différents points de vue. Le
rattachement de Casanova aux idées des sciences occultes et au mouvement
clandestin des franc-maçons est attesté en tous cas par des documents extérieurs
également, donc c'est surtout les motivations qui restent à éclairer. Il est sur que les
Rose-Croix, la Kabbale ou la franc-maçonnerie devaient déjà l'attirer au même titre :
par curiosité. Sa vitalité et son appétit de connaissances le poussait vers les
différentes branches du savoir de l'époque. Il était motivé par un côté plus pratique
aussi qui pourrait se réduire à la question suivante : comment tirer profit de ces
idées (ou croyances) et surtout des réseaux sociaux qui s'étendaient à cette époque
à toute l'Europe se rattachent aux idées non admises officiellement. Voyageant
énormément lors de sa période active tant par plaisir que par contrainte, il avait
besoin de repères personnels et « professionnels ». C'est ainsi qu'il pouvait s'assurer
les ressources nécessaires lui permettant de subvenir à ses propres besoins, souvent
au jour le jour et de se faire un prestige social et intellectuel auquel il aspirait
profondément malgré certaines apparences contraires et contradictoires.
Avant d'aborder dans le détail les ressorts secrets de son activité et ses
ambitions, il faut examiner dans les grandes lignes son caractère et sa carrière
d'escroc et d'intellectuel. Chez lui, ces deux tendances, celle de se faire
reconnaître comme penseur et écrivain d'une part et la nécessité d'appliquer ses
savoirs dans une perspective pratique pour pouvoir vivre aux dépens d'un public
crédule et suffisamment riche, sont très étroitement liés. Né dans une famille de
comédiens, ni pauvre ni riche, ni déconsidérée, il grandissait dans un milieu
théâtral intéressant. Bien que sa famille n'ait pas appartenu à la noblesse, il a été
élevé dans l'entourage d'acteurs et de gens cultivés déjà avant la mort subite et
précoce de son père, décédé subitement lorsqu'il était encore très jeune. Resté
semi-orphelin, il a été placé sous la tutelle de l'abbé Alvise Grimani qui descendait

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Ilona Kovács : Casanova et la franc-maçonnerie

d'une famille de patriciens de Venise. Cette protection des Grimani semblait


confirmer les suppositions selon lesquelles son père naturel aurait été un autre
membre de la même famille patricienne, notamment Michele. Accordant
confiance à cette rumeur, le jeune homme avait nourri très tôt des rêves sur son
éventuelle origine noble et ces idées ont fini par constituer une conviction
enracinée peu après la mort tragique de son père. Sa mère, Zanetta Farusso était
une beauté renommée qui avait des liaisons avant et après la mort de son mari, ce
qui autorisait apparemment Casanova à se considérer comme bâtard d'un
patricien de Venise. Cette idée, développée dans son esprit, mais non explicitée
1
que vers la fin de sa vie l'a conforté dans sa position de « noble » qu'il a jugé avoir
mérité sur tous les plans (du point de vue de son origine, de son éducation, de ses
talents et du principe égalitaire des Lumières).
Toute sa carrière d'escroc, de magicien, de diplomate et d'intellectuel est
basée psychologiquement sur cette idée et il faut la prendre en considération à
propos de sa culture et de ses relations maçonniques aussi. On connaît le début de
2
son admission dans une loge française par des documents extérieurs, admission
3
dont il parle assez abondamment dans ses mémoires. Il mentionne la franc-
maçonnerie à plusieurs endroits de l'Histoire de ma vie, dans plusieurs contextes,
notamment dans le premier tiers du texte où il se prononce ( tout en restant dans
les généralités) sur l'utilité et le prestige du réseau : « Tout jeune homme qui
voyage, qui veut connaître le grand monde, qui ne veut pas se trouver inférieur à
un autre et exclu de la compagnie de ses égaux, dans le temps ou nous sommes,
4
doit se faire initier dans ce qu'on appelle la Maçonnerie. » Sans pouvoir relever
des allusions à ses aspirations personnelles, il est évident que le portrait esquissé
dans ce passage convient exactement au profil que Casanova désirait avoir et s'est
donné dans la suite. A d'autres endroits du texte, il insiste encore plus sur la
protection qu'exerce une loge contre les liaisons dangereuses, surtout dans des
villes inconnues où on peut avoir affaire à des escrocs et des aventuriers... Étant
donné qu'il appartenait au réseau international de cette espèce de vagabonds
colportant des idées, entre autres, celles des Lumières et de la magie noire à la
fois, on peut trouver des passages qui confirment la supposition selon laquelle
l'aspect social du mouvement l'attirait autant que le côté mystique.

L'historique de son admission

Son appartenance aux loges devait être connue déjà à l'époque, d'autant plus
qu'il y renvoyait plus d'une fois avec des mots couverts et ses fréquentations

1
Ne' Amori, ne' Donne (1782), Venezia, le pamphlet ou Casanova a exprimé sa conviction
intérieure sur sa naissance et qui a scandalisé tout le monde et a contribué à sa décision de quitter de
son plein gré la ville.
2
V. les Dictionnaires de la franc-maçonnerie ou les entrées relatives à son appartenance traitent
comme évidence qu'il était membre des loges citées ci-dessus.
3
Le titre intégral de ce texte est l'Histoire de ma vie.
4
Ibid. 553.

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étaient sans aucun doute facilement déchiffrables pour ses contemporains.


Casanova figure ainsi dans les grands dictionnaires et encyclopédies de la franc-
e
maçonnerie, considéré comme un membre du réseau du XVIII siècle, et à juste
titre. Pour son admission, on peut reconstituer son initiation sur la base des
manuels et des mémoires de l'époque également. Dans l'Histoire de ma vie, il
raconte son admission comme apprenti de la manière suivante : « Un respectable
personnage que j'ai connu chez M. Rochebaron, me procura la grâce d’être admis
parmi ceux qui voient la lumière. Je suis devenu franc-maçon apprenti. Deux mois
après j'ai reçu à Paris le second grade et quelques mois après le troisième, qui est
5
la maîtrise. » En fait, il a été admis au premier degré à Lyon grâce à des amis dont
un inconnu dont il passe le nom sous silence, et ses vielles bonnes connaissances,
6
les Balletti qui l'avaient déjà recommandé dans une loge écossaise.
Il a obtenu le deuxième degré, le titre de compagnon à Paris, probablement à
7
la loge R...L...de Saint-Jean de Jérusalem à l'O....
Le troisième et suprême degré devait succéder à Vienne, probablement par
l'intermédiaire de ses amis viennois. On ne dispose pas de documents sur cette
admission, mais le fait est sûr à en juger par les allusions et ses relations dont
Ignace Borne, Mozart et d'autres franc-maçons célèbres. Il mentionne vaguement
cette relation aussi, mais restant toujours vague et se gardant de citer des noms :
« La maîtrise est certainement le suprême grade de la Franc-Maçonnerie; car tous
les autres, que dans la suite on m'a fait prendre, ne sont que des inventions
8
agréables qui, bien que symboliques, n'ajoutent rien à la dignité de maître».
Il est connu que la franc-maçonnerie a grandement contribué à la formation
d'un espace public européen et dans ce processus les aventuriers, surtout « les
9
aventuriers des Lumières » avaient une grande part. Casanova comme penseur et
philosophe ambitieux, réunissait en lui toutes les caractéristiques de ces voyageurs
parmi lesquels on trouve des célébrités comme Jean-Jacques ou Beaumarchais.
Il y avait une règle de la franc-maçonnerie que Casanova appréciait par-dessus
tout et c'était l'inviolabilité du secret. La conception et les statuts de la société ont
exigé un secret absolu et pour s'assurer le silence, il fallait cacher les idées tout
aussi bien que les personnes, étant donné que révéler un savoir non acquis est
impossible. Casanova explique combien cet arrangement est ingénieux, étant
donné qu'on ne peut pas révéler des secrets ignorés. On pourrait dire qu'il
admirait en quelque sorte du point de vue technique ce procédé qui garantissait

5
Ibid.
6
Il s'agit probablement d'une des trois loges connues par les monographies traitant de ce sujet, à
cette époque à Lyon: La Grande Loge écossaise, Amitié, Amis choisis. Les Balletti comme danseurs et
comédiens adhéraient à la franc-maçonnerie.
7
Il existe une version des mémoires où il prétend que la loge parisienne était celle qui s'appelait La
Loge du duc de Clermont à Paris. (Clermont était le Grand Maître de toutes les loges régulières de France.)
8
HV I/117-118.
9
Terme employé par Alexandre STROIEV dans sa monographie sur la question portant le même
titre : Paris, PUV, 1997. Le meilleur résumé de la problématique : Suzanne ROTH, Les Aventuriers au
XVIIIe siècle, Éditions Galilée, Paris, 1980.

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en fait que les membres de la société ne puissent être tentés de parler à des non-
initiés : «Les hommes qui ne se font recevoir franc-maçons que dans l'intention de
parvenir à connaître le secret de l'ordre, courent grand risque de vieillir sous la
truelle sans jamais atteindre leur but. Il y a cependant un secret, mais il est
tellement inviolable qu'il n'a jamais été dit ou confié à personne. Ceux qui
s'arrêtent à la superficie des choses pensent que le secret consiste en mots, signes
et attouchements, ou qu'enfin le grand mot est au dernier degré. Erreur. Celui qui
devine le secret de la franc-maçonnerie, car on ne le sait jamais qu'en le devinant,
ne parvient à cette connaissance qu'à force de fréquenter les loges, qu'à force de
réfléchir, de raisonner, de comparer et de déduire. Il ne le confie pas à son meilleur
ami en maçonnerie, car il sait que, s'il ne l'a pas deviné comme lui, il n'aura pas le
talent d'en tirer parti dès qu'il le lui aura dit à l'oreille. Il se tait, et ce secret est
toujours secret. Tout ce qui se fait en loge doit être secret; mais ceux qui, par une
indiscrétion malhonnête, ne se sont pas fait un scrupule de révéler ce qu'on y fait,
n'ont point révélé l'essentiel: ils ne le savaient pas; et s'ils l'avaient su, certes ils
10
n'auraient pas révélé les cérémonies. »
A force de vouloir insister sur l'impossibilité de percevoir l'essentiel, il tombe
dans des répétitions et des pléonasmes qui alourdissent le texte, mais montrent
combien il essaye de mettre en relief cette exigence. C'est d'autant plus
surprenant que lui, en sa qualité d'aventurier, colportait des idées et des nouvelles
qui lui servaient d'amuser son public et de vivre bien sans fortune personnelle. Il
révélait ou inventait des secrets d’alcôve tout aussi bien que des rumeurs
politiques et diplomatiques. Dans la citation suivante, il est difficile de faire la part
d'une vérité apprise par d'autres et celle de son expérience personnelle : « Ceux
qui ne se déterminent à se faire recevoir maçons que pour parvenir à savoir le
secret peuvent se tromper, car il leur peut arriver de vivre cinquante ans maître
11
maçon sans jamais parvenir à pénétrer le secret de cette confrérie. »
Il ne se contente pas de décrire le fonctionnement des loges, mais il passe
brièvement en revue l'histoire du mouvement en remontant jusqu’à l'antiquité en
commentant les mystères d'Éleusis : « La sensation qu'éprouvent aujourd'hui les
profanes, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas maçons, est de la même nature que
celles qu'éprouvaient jadis ceux qui n'étaient pas admis aux mystères qu'on
12
célébrait à Éleusis en l'honneur de Cérès. [. . .] » Il évoque plus particulièrement
l'estime qui entourait dans toute la Grèce ces mystères et l'ambition des plus
grands dignitaires du pays pour être initiés. Il compare même les deux mondes
dans ce domaine et l'antiquité sera favorisée au détriment de l'époque moderne
avec des jugements moraux assez surprenants de sa part : « Cette initiation était
d'une importance beaucoup plus grande que celle de la franc-maçonnerie
moderne, ou l'on trouve des polissons et des rebuts de l’espèce humaine. On garde
longtemps sous un silence impénétrable tout ce qui se passait dans les mystères

10
Ibid. 554.
11
Ibid. 553-554.
12
Ibid.

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d'Éleusis brièvement brièvement à cause de la vénération qu'ils inspiraient. On


osait par exemple révéler les trois mots que l’hiérophante disait aux initiés lorsqu’à
la fin des mystères il les congédiait, mais à quoi cela servait-il ? A déshonorer celui
qui l'avait révélé, et pas à autre chose, car ces trois étaient d'une langue barbare
13
inconnue à tous les profanes. »
Il résume en fait l'histoire racontée par Plutarque et condamne très
sévèrement cette honteuse profanation : « En conséquence de ce sacrilège il faut
condamné à être maudit par les prêtres et par les prêtresses, mais la malédiction
ne fut pas donnée. Une prêtresse s'y opposa en allégeant pour raison qu'elle était
prêtre pour bénir et non pas pour maudire, leçon superbe, que notre très Saint-père
14
le pape méprise. »
Il entre dans la description des détails du rite ancien, connu à travers les
chroniques de l'antiquité: « L'Initiation durait neuf jours, les cérémonies étaient
très imposantes, la compagnie était très respectable. Nous lisons dans Plutarque
qu'Alcibiade fut condamné à mort, et que tout son bien fut confisqué pour avoir
osé mettre en ridicule chez lui les grands mystères avec Polition et Théodore contre
les lois des Eumolpides. » (fondateurs de ces mystères selon la mythologie grecque
15
et dont les descendants furent toujours hiérophantes du temple. »
Après le récit se rapportant à l'âge antique, il passe à la critique de la
modernité : « Rien n'est important aujourd'hui. Botarelli publie dans une brochure
toutes les pratiques des francs-maçons, on se contente de dire que c'est un coquin.
16
On le savait d'avance. » Il aggrave même son jugement en l’étendant sur tout le
monde moderne qui ne connaît aucune règle et va vers l'immoralité : « Tout
17
aujourd'hui est inconséquent, et il n'y a plus rien qui signifie quelque chose. »
Surprenante constatation de la part d'un escroc qui ne se cache pas de l’être et qui
18
avoue de rouler systématiquement ceux qui sont plus sots que lui.
Cette grande vénération de l'esprit de la franc-maçonnerie cache pourtant
partout des considérations plus pratiques. Il usait de ses relations pour vivre et
pour se faire une place dans la société européenne, mais il les utilisait également
pour des fins officieuses. Ainsi, cette recherche de la convivialité et des liaisons
dans les hauts lieux de la société vaut pour ses prétendues missions
19
diplomatiques secrètes qui consistaient à la fois en de véritables tentatives de
régler certains problèmes et en des mystifications. Le fait que des hommes
politiques confiaient des tâches apparemment sérieuse à un individu plus ou
moins marginal, s'explique par le caractère confidentiel de ces prétendues

13
Ibid.
14
Ibid. 555.
15
554-555.
16
Ibid. 555.
17
Ibid.
18
V. La Préface de l'HV.
19
Cf. mon étude Les mission secrètes de Casanova, in Öt kontinens, Új- és Jelenkori Egyetemes
Történeti Tanszék közleményei No 2010. ELTE BTK, Budapest, 2011. 41-54. et les chapitres traitant de ce
sujet des grandes biographies de Casanova (Rives Childs, Chaussant Nougaret, etc.).

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négociations. La marginalité de l'homme choisi devait sûrement correspondre


dans ces cas au caractère secret ou ambivalent de la mission également et visait
certainement une préparation du terrain ou une recherche d'informations.
Les visites de Casanova rattachées à certaines enquêtes (comme au cas de la
20
flotte royale à Dunkerque ou à sa tentative d'organiser un congrès des
21
principautés allemandes à Trente ) étaient à moitié sérieux, réservant l'autre
moitié aux rencontres et aux amitiés qui l'aidaient aussi fortement à réaliser ses
objectifs. Il est difficile de juger du degré de sérieux de ces préparatifs ou de
tâtonnements sur le terrain sans connaître les résultats. En tous cas, le congrès
envisagé n'a jamais eu lieu p. ex., mais par contre, pour la vérification de l'état de
la marine royale, il a été récompensé par le ministre.
La franc-maçonnerie l'attirait ainsi en fait à plusieurs titres, étant donné que
dans ce mouvement plusieurs aspects étaient réunis pour le capter. Il y avait le
côté mystique et obscur attaché à l’obligation absolue de garder le secret, ce qui
lui en imposait. La possibilité de prendre contact dans des pays et des villes
inconnus lui devait être très important aussi, puisqu'il avait besoin de lettres de
recommandation et de personnes servant d'intermédiaire pour ses affaires dans
ses voyages. La sociabilité était une caractéristique fondamentale qui le guidait
dans ses déplacements et à laquelle il tenait beaucoup pour plusieurs raisons.
Paradoxalement, la conviction des franc-maçons sur la liberté-égalité- fraternité lui
était également sympathique à certains moments de sa vie, mais à d'autres
22
occasions il s'est comporté comme un grand seigneur. L'élan plébéien s'est
emparé de lui p. ex. lors de sa rencontre avec le bourgmestre d'Augsbourg où il
s'est référé à l'alphabet comme à un trésor qui est à la disposition de tout le
monde et qui permet de fabriquer un nom d’aristocrate sans arbre généalogique
23
nécessaire dans les cas ordinaires. C'est ainsi qu'il s'est procuré le titre de
chevalier de Seingalt, titre créé sans antécédent sur la base de l'abc. Les
caractéristiques de la vie des nobles lui plaisait sur un autre plan, tout aussi
important dans son train de vie quotidien.

Le silence sur son rattachement au mouvement : autocensure ?

Pour reconstituer le réseau de ses fréquentations maçonniques, il faut se


reporter de nouveau aux mémoires, mais on constate que les allusions sont
24
sporadiques, éparses. Le nom du baron de Rochebaron a déjà été mentionné,
comme personne intermédiaire lui servant de lien vers la loge de Lyon, ainsi que
son résumé sur les racines antiques de la franc-maçonnerie.

20
HV II/60-67.
21
Ibid. 511-512.
22
Étant un partisan fervent de l'Ancien Régime, il était plutôt réfractaire à l'idée de l’égalité, mais
quand cela le servait et le réconfortait, il en usait sans scrupule comme l'anecdote rapportée ci-dessus
le démontre.
23
HV II/727.
24
HV I/553.

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Parmi les liens personnels qui ont joué dans son admission dans les diverses
loges, en plus des Balletti (mentionnés comme ses amis intimes), on trouve
d'autres noms illustres dont celui de Da Ponte Vénitien comme lui. C'est ce dernier
qui a dû le présenter à Mozart aussi et on se pose la question à juste titre si
l’arrière-plan maçonnique de Vienne ne l'a pas aidé à collaborer au livret de Don
Giovanni... Ces noms sont connus de sources extérieures aux mémoires, donc on
peut dire, sans dresser une liste exhaustive, que si les liens maçonniques
personnels ne ressortent que par hasard dans le texte de l'Histoire de ma vie, c'est
que ce domaine constitue l'un des sujets qui ont subi assez conséquemment une
auto-censure. En possession d'un grand corpus de manuscrits actuellement, on
peut voir quels sont les tabous qu'il tente d'éviter et la franc-maçonnerie en fait
partie. Il y en a d'autres également comme sa nationalisation française, son
abandon par sa mère, la fin de l'affaire scandaleuse de son escroquerie face à la
marquise d'Urfé, etc. Si cette omission des liaisons maçonniques n'est pas
conséquente, c'est parce qu'il n'a pas systématiquement relu ses manuscrits ayant
renoncé à la publication de l'Histoire de ma vie de son vivant. Des inconséquences
sont restées, mais en règle générale, son attachement au mouvement franc-
maçonnique est occulté la plupart du temps. On ne trouve nulle part la description
des rites modernes non plus, comme il néglige de donner des dates par rapport à
ses visites. Quand on peut déterminer la date d'une rencontre, c'est le nom
complet qui manque, comme au cas de sa dernière rencontre avec Leonilda, l'une
de ses plus grandes amours. Il s'agit de sa visite rendue à cette jeune femme vivant
près de Naples, visite au cours de la quelle il a fait la connaissance du mari, un
25
vieux marquis qu'il désigne sous le nom du « marquis de la C... ». Quand il est
présenté, le marquis l'accueille dans un fauteuil, ne pouvant pas bouger à cause de
sa goutte. Ils échangent des baisers sur les joues selon la coutume, mais ce salut se
transforme en rite: « ...je fus surpris du troisième baiser qu'il m'offre à la bouche,
et que je lui rends en même temps avec une marque qui suffit pour nous
reconnaître pour frères. » Selon le mémorialiste, le marquis était au courant de
cette fraternité, mais le visiteur l'ignorait absolument. Il exprime son étonnement
devant la situation : « Un seigneur âgé de soixante et dix ans, qui put se vanter
26
d'avoir vu la lumière, était il y a trente ans un rare phénomène dans la monarchie
sicilienne. » A partir de ce moment, Casanova est bien vu dans la maison du grand
seigneur qui le comble des marques de son estime et de son affection : « Assis près
de lui, au renouvellement de la certitude de notre divine alliance, nos
27
embrassement s recommencent... » Donc, là où la date est approximativement
certaine, le nom est occulté témoignant de son attention de ne pas tout révéler.
En tous cas, quand il fait allusion à des rencontres dans des loges maçonniques ou
à des reconnaissances dues au hasard, c'est toujours à un détour de phrase et sous
forme passagère, sans développer les détails. Cette auto-surveillance, comme

25
L'identité du marquis n'a pas encore été établie.
26
Vers 1771.
27
HV III/837-838.

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d'autres signes d'autocensure montrent bien que Casanova tentait de respecter


les règles autant que cela ne nuisait pas à ses intérêts.
En guise de conclusion des chapitres précédents, je voudrais proposer une
constatation pareille à celle que j'ai tirée de l’aperçu déjà cité des missions
diplomatiques de Casanova. La franc-maçonnerie était importante dans sa vie
vagabonde et dans ses orientations, mais surtout du point de vue relationnel. C'est
le côté sociable qui l'intéressait avant tout et qui lui servait de point de repère et
de contact. En plus, il était enchanté d'avoir accès à des mystères et à une
fraternité qui lui était précieuse dans une perspective spirituelle aussi. Il pouvait
s'identifier avec les symboles et les messages maçonniques, même si c'est surtout
l'utilisation pratique du réseau social qui pouvait l'aider dans ses voyages et dans
ses affaires. S'il n'était pas indifférent au côté mystique, il ne se montrait pas non
plus totalement désintéressé dans ses orientations, comme cela ressort de sa
culture relative aux divers courants de la magie, de l'alchimie et de la kabbale.
Avant de terminer, je voudrais donc me permettre un détour vers la kabbale, le
fameux jeu de pyramide et les pratiques de magie qui assuraient de façon assez
permanente ses ressources financières en dehors des jeux du hasard, et ceci
d'autant plus que ce sujet présente chez lui des points communs avec son rapport
à la franc-maçonnerie.

L'alchimie et la kabbale

Un grand casanoviste, Bernhard Marr avait revu les écrits et les calculs de
Casanova basés sur la kabbale et a abouti dans ce domaine à une conclusion
28
semblable à ma conception par laquelle j'essaye d'interpréter les entreprises de
Casanova dans le domaine de la diplomatie et de la franc-maçonnerie sous
plusieurs angles.
Marr a pris pour point de départ le brouillon d'une lettre de Casanova adressée
29
à Eva Frank où l'aventurier explique comment il utilise son calcul pyramidal
formé à l'époque où il vivait dans le palais du sénateur Bragadin. Il prétend détenir
le Kab-Eli, c’est-à-dire le secret de Dieu, mais qui n'est pas identique à la Cab-ala
qu'il juge être une façon de proposer « des interprétations toujours plus ou moins
30
obscures ». Il raconte sincèrement, avec une pointe de cynisme, qu'il code et
décode des questions et surtout des réponses établies d'avance: tout son calcul
réside en fait dans une disposition arbitraire en vue d'obtenir un résultat connu
d'avance. Un autre critique casanoviste, traducteur de l'étude de Marr, émet une
opinion pareille de la culture occulte de Casanova renforçant cette prise de
position : « Les connaissances techniques de Casanova en occultisme étaient assez

28
Étude publiée dans l'édition de la Sirene des Mémoires, t. III. IX-XXI, repris dans l'édition Laffont,
en traduction française (Grillot de Givry), II/1157-1177.Je suis les thèses principales de B. Marr dans
mon bref résumé.
29
Ibid. 1157.
30
Ibid.

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variées, mais il paraît y avoir toujours mélangé beaucoup de fantaisie personnelle.


Il avait lu considérablement, un peu à tort et à travers, et ne s'était assimilé
31
qu'imparfaitement... » Il avait connu et possédé en partie des manuscrits dont
certains ont été saisis lors de son arrestation (Venise, 1755). Ainsi, il avait
certainement lu Picatrix, la Clavicule de Salomon, Agrippa, Artéphius, Sendivogius,
Paracelse et Pierre Charron. Il avait profité de la polygraphie de Trithème d’où il a
extrait des méthodes de chiffrages secrets. Le mélange des connaissances
sérieuses et des manipulations fantasques caractérise son système. Pourtant, dans
la pratique, on peut dire que ses procédés étaient éclectiques où il alliait un savoir
partiel théorique avec des idées, des objets et des fantaisies personnels.
Un bel exemple de ce mélange des méthodes est l'histoire de la recherche du
32
trésor à Césène. En 1748, on lui conseille à Mantoue d'aller voir le cabinet
d'Histoire naturelle d'Antonio de Capitani qui était grand collectionneur de raretés,
entre autres des livres de magie et des objets de toutes sortes dont un « ...vieux
couteau d'une forme baroque tout rongé par la rouille. Ce qu'il tenait sous clef était
33
l'attirail de la franc-maçonnerie ». Capitani lui fait une grande leçon sur tous ces
objets et met en relief plus particulièrement la valeur de ce grand couteau rouillé
qui ne vaut rien sans la gaine, apparemment, mais selon une légende, les deux
réunis de nouveau en un ensemble permettent de déterrer des trésors. Casanova
décide alors de rouler les deux Capitani (père et fils) et une grande histoire
d'escroquerie débute qui aura une drôle de fin.
En fait, Casanova fabrique une fausse gaine et va à Césène chez un paysan
richissime qui a une belle fille vierge qui lui plaît extremement. La séduire, cela
tente Casanova tout aussi bien que la grosse somme à gagner, mais au moment
décisif de la chasse au trésor, une tempête éclate qui effraye le soi-disant magicien
à tel point qu'il s'enfuit à toute vitesse.
L'amalgame des éléments de supercherie et de bonne foi est étonnant dans tous
les cas, qu'il s'agisse de divertir le sénateur Bragadin avec ses deux vieux amis ou de
régénérer la Marquise d'Urfé. L'invention d'un esprit tutélaire par Casanova s’insère
bien dans cette conception. Le jeu a été trouvé pour amuser le sénateur Bragadin
qui l'a traité comme son fils adoptif pendant longtemps et lui a assuré une rente
pour le reste de sa vie. Le nom (Paralis) à sonorité grecque ne figure pas dans les
sources connues de sa pratique de prédiction, mais il a voulu créer un ange gardien
qui le guide dans ses prédictions (en lui assurant plus de temps pour trouver les
bonnes réponses supposées) et il a gardé ce nom en adhérant au mouvement des
Rose Croix. Il existe une hypothèse selon laquelle le nom viendrait du titre d'un livre
34
paru en 1670, qui fait référence au comte de Gabalis. La terminaison – lis peut
venir de cette source, en y ajoutant que le début évoque le nom de Paracelse et que

31
Ibid. 1171.
32
Ibid. I/452-498. V. toute l'histoire en traduction hongroise: Casanova emlékiratai I, Atlantisz,
Budapest, 1998. le chapitre: Kincskeresők, 101-119.
33
Ibid. I/452.
34
Abbé de Villars abbé, Le comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences secrètes.

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Ilona Kovács : Casanova et la franc-maçonnerie

les deux éléments ont dû être fondus ensemble par Casanova. Il a inventé plus tard
un autre nom cabalistique Paralysée Galtinarde qui se compose de syllabes pareilles,
mais dont la sonorité s'approche plus du français.
Paralis est né en vue d'amuser son père adoptif et ses amis à travers une autre
invention originale, le jeu pyramidal. Toute la mystification était basée sur
l'exceptionnelle rapidité du jeune homme en calculs et en cryptages et
décryptages de toutes sortes. Il jouait bien la comédie de trouver des réponses aux
questions des trois amis en dessinant une pyramide codée en chiffres d'abord pour
les problèmes et décodée après pour donner des réponses qu'il finissait par
traduire en langage compréhensible. Il ne communique pas le secret de son
système dans les mémoires, mais fait des commentaires sur sa méthode. Il
prétend avoir voulu suivre les Sybille de l'antiquité dans l’ambiguïté et l'obscurité
des prédictions. Cet art développé dans la liberté des interprétations posait
toutefois problème dans les cas où on lui demandait des avis précis sur des affaires
concrètes comme l'épisode d'Amsterdam (avec pour protagoniste une belle jeune
35
fille encore, Esther d'O). Il avoue avoir été très embarrassé par la demande de ce
commerçant d'Amsterdam (père d'Esther) qui voulait savoir s'il devait investir de
grosses sommes dans une entreprise navale. La chance n'abandonnait pas
l'aventurier qui a conseillé de se lancer dans l'opération qui a bien réussi
(indépendamment de ses conseils). Le scandale le plus célèbre de l'escroc est
l'affaire avec la marquise d'Urfé dont il a entrepris la régénération (sa renaissance
en jeune garçon) en lui tirant des bijoux précieux et des sommes énormes. Dans
cette mystification qui a duré plusieurs années, il a bien utilisé ses connaissances
acquises dans les sciences occultes. Dans certains cas, il a réussi vraiment à guérir
des maladies comme celle de la duchesse de Chartres en prétendant s'appuyer sur
36 37
la kabbale, celle du prince de La Tour d’Auvergne, et on pourrait multiplier
encore les exemples. Devant cette série de guérisons réussies et des pratiques
aussi sophistiquées, on reste perplexe.
Sans vouloir conclure devant une problématique aussi difficile à voir dans son
ensemble qu'à résoudre, je voudrais citer l'avis de M.-F. Luna qui s'étonne de
constater que Casanova ne se soit pas plus intéressé aux illuministes et qu'il ne se
soit pas occupé plus profondément des idées des franc-maçonnerie et des Rose-
38
Croix. Je me contenterai donc de constater que, selon nos connaissances
actuelles, Casanova est resté superficiel dans la magie tout aussi bien que dans ses
pratiques maçonniques, mais il savait tirer profit de son savoir et de ses relations
sociales grâce à ses connaissances relatives à ces domaines.

35
Fille du commerçant Hoot ou Hope (D.O.), II/108 et sqq.
36
Cf. HV I/627-634. ou les extraits traduits en hongrois in Casanova emlékiratai, Atlantisz, Budapest,
1998. 169-175.
37
Cf. HV II/ 86, 92. és 97.
38
LUNA, Marie-Françoise, Casanova mémorialiste, Champion, Paris, 1998. 237. Voir plus
amplement sur ce sujet le chapitre intitulé Le mage, ibid. 231-253.

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