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QUE SAIS-JE ?

L a littérature
maghrébine
d'expression française
JEAN DÉJEUX
Centre international d'Etudes francophones, Paris-Sorbonne
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DU MÊME AUTEUR

La poésie algérienne de 1830 à nos jours. Approches socio-historiques, Pa-


ris, La Haye, 1964 ; 3' éd., Paris, Publisud, 1992.
Littérature maghrébine de langue française. Introduction générale et au-
teurs, Sherbrooke, Naaman, 1973; 3 éd., 1980.
Les tendances depuis 1962 dans la littérature maghrébine de langue fran-
çaise, Alger, Centre Culturel Français, 1973,
La littérature algérienne contemporaine. Paris, PUF, « Que sais-je ? »,
n° 1604, 2 éd., 1979.
Mohammed Dib. écrivain algérien. Sherbrooke, Naaman, 1977.
Djoh'a, hier et aujourd'hui, Sherbrooke, Naaman, 1978 , 2' éd , 1982
Bibliographie de la littérature « algérienne » des Français, Paris, CNRS,
1978.
Bibliographie méthodique et critique de la littérature algérienne de langue
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Situation de la littérature maghrébine de langue française. Alger, Office des
Presses Universitaires, 1982.
Assia Djebar, romancière algérienne et cinéaste arabe, Sherbrooke, Naa-
man, 1984.
Poètes tunisiens de langue française. Paris, Saint-Germain-des-Prés,
« Poésie 1 », n° 115, 1984.
Dictionnaire des auteurs maghrébins de langue française. Paris, Karthala,
1984.
Poètes marocains de langue française. Paris, Saint-Germain-des-Prés,
« Poésie 1 », n" 122, 1985,
Le sentiment religieux dans la littérature maghrébine de langue française,
Paris, L'Harmattan, 1986,
Femmes d'Algérie. Légendes, traditions, histoire, littérature, Paris, La
Boîte à Documents, 1987.
Image de l'étrangère. Unions mixtes franco-maghrébines, Paris, La Boîte à
Documents, 1989.
Maghreb. Littératures de langue française, Paris, La Boîte à Documents,
1992 (à paraître).

ISBN 2 13 044762 7

Dépôt légal 1 édition : 1992, juillet


© Presses universitaires de France, 1992
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
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INTRODUCTION

Une littérature maghrébine de langue française est


apparue au début des années 50, digne d'attention sur
le plan esthétique, et ceci grâce entre autres aux Edi-
tions du Seuil, Denoël et Plon. Les publics étaient res-
treints en ces années, surtout français d'ailleurs. De-
puis lors les lecteurs sont de plus en plus nombreux et
cette littérature est connue internationalement. Des
prix prestigieux la mettent en lumière : 1986, le Grand
Prix national des Lettres à Kateb Yacine ; 1987, le
Prix Goncourt à Tahar Ben Jelloun. Les auteurs ma-
ghrébins entre de plain-pied dans le champ franco-
phone, de la « francopolyphonie » (Stélio Farandjis).
Cependant, si les auteurs écrivent en français, ils ne le
font pas en tant que Français, mais en tant qu'Algé-
riens, Marocains et Tunisiens. Par ailleurs, franco-
phone ne veut pas dire nécessairement francophile.
Ecrivant le français, ils ne font donc pas allégeance à la
France, cela va de soi. Mais, aimant leurs propres
cultures, ils sont libres d'aimer aussi la culture fran-
çaise ou celle d'autres pays. Ni aliénation, ni trahison
de leurs compatriotes en cela.
Parler de la littérature maghrébine tout court serait
ambigu. En effet, ce serait comme si on oubliait que
chacun des trois pays (Algérie, Maroc, Tunisie) se veut
arabe, de langue arabe et de culture arabo-islamique,
du moins est-ce l'idéologie officielle, au point même
d'occulter la dimension berbérophone en Algérie et au
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Maroc, qui a autant de richesses culturelles et spiri-


tuelles que la précédente. Il existe aussi depuis des siè-
cles une littérature de langue arabe, renaissante depuis
les indépendances recouvrées ; quelques romans en
berbère ont aussi déjà été publiés. Parallèlement, une
importante et riche littérature orale populaire rehausse
encore le patrimoine culturel.
Le Maghreb est un et divers. Il est marqué culturel-
lement par la conquête française qui a été comme une
fitna, une épreuve et une tentation séduisante, stimu-
lante mais troublante. L'Autre était dans la place,
étranger, de surcroît non musulman. Sa puissance, sa
modernité, sa langue critique et désacralisante écra-
saient. L'Algérie fut dite « française » de 1830 au
3 juillet 1962, le Maroc fut protectorat de 1912 au
20 mars 1956 et la Tunisie de 1881 au 2 mars 1956.
Chaque pays a sa personnalité et ses spécificités histo-
riques et culturelles.
L'émergence de la langue française ne fut pas uni-
forme. En Algérie, la France voulut « franciser »,
« s'emparer de l'esprit du peuple » après « s'être em-
paré de son corps » (capitaine Richard en 1846). Mais
les Algériens ont conquis à leur tour le français et l'ont
même retourné contre le maître. Dominant cette lan-
gue, sauf exception ils sont sans complexe en s'en ser-
vant. Mouloud Kassim Naït Belkacem, chargé du
Haut Conseil de la langue nationale, déclarait que le
français est « le seul acquis positif de la colonisation »
Au Maroc, si le roi Hassan II déplore que l'enseigne-
ment et l'administration aient été « systématiquement
francisés » sous le protectorat, il écrit néanmoins : « Il
n'est pas possible de connaître la langue française sans
l'aimer. » C'est une fenêtre sur le monde « de la logi-

1. Parcours maghrébins, Alger, n° 3, décembre 1986. Mêmes propos au


Centre Culturel Algérien de Paris le 10 octobre 1986.
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que, de la raison, de la mesure » En Tunisie, le minis-


tre Khayr Ed-Din fondant le collège Sadiki en 1875 y
introduisait la langue française. En 1968, dans son dis-
cours à Montréal, le président Bourguiba déclarait :
« Jamais nous n'avons éprouvé de ce fait [l'usage et le
maintien du français] une quelconque "déculturation".
"Par le français la Tunisie [...] a forgé une mentalité
nouvelle." Le français fut "un puissant moyen" de
contestation, de rencontre, de communication et d'en-
richissement. » Il est vrai que la Tunisie avait préservé
son héritage culturel.

Comment nommer cette littérature ? Jean Sénac en


Algérie parlait « d'écriture française », puis de « gra-
phie française », mais « d'expression algérienne ». Un
Marocain, K. Basfao, parle de littérature « de langue
véhiculaire française » ; un Algérien, A. Lanasri, de
« littérature algérienne d'expression arabe mais de lan-
gue française ». On ne veut pas d'allégeance ou d'effu-
sion vers la France, la francité ou la Francophonie et
on affirme le souci d'exprimer les spécificités du Ma-
ghreb. Interrogé sur cette littérature en mars 1988, An-
dré Miquel déclarait au sujet de l'œuvre de T. Ben Jel-
loun : « Je crois que c'est une littérature arabe écrite en
français. » Naturellement une littérature française est
d'abord une littérature écrite en français, disait-il,
« mais le problème est de savoir les parts respectives de
la France et du monde arabe qui composent cette litté-
rature ». Il y a « une certaine façon d'écrire en arabe
transposée en français ». Adonis disait à Constantine
en mai 1990 : « Pour moi il existe des littératures
arabes d'expression française, berbère, kurde. » Il est
donc correct de parler de littérature maghrébine de
langue française et d'expression maghrébine, ou même
1. Le défi, Paris, A. Michel, 1976, p. 112.
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des littératures maghrébines selon chaque pays, en sa-


chant aussi que dans des colloques le désir est exprimé
« d'une littérature maghrébine sans frontières ». Mais
le Maghreb demeure divers : pluralité des cultures, des
langues, des littératures et des tribunes d'expression.

Quels écrivains ? Les écrivains ont d'abord pris la


parole en tant que colonisés, revendiquant le combat
pour la nation. Les indépendances acquises, ils écri-
vent en tant qu'Algériens, Marocains et Tunisiens. Au
Maroc et en Tunisie, les Juifs faisaient partie de la na-
tion ; depuis 1956 la majorité est allée vers Israël et
vers la France. En Algérie les Juifs étaient français de-
puis 1870 ; ils sont maintenant en France ou en Israël.
Des Français d'Algérie avaient milité pour l'indépen-
dance. Jean Sénac pouvait donc dire : est écrivain algé-
rien « tout écrivain ayant définitivement opté pour la
nation algérienne ». Malek Haddad lui faisait écho :
« La marque indélébile de l'Islam distingue mais ne
doit pas nous séparer. » Effectivement, J. Sénac,
H. Kréa, A. Greki, J. Amrouche et d'autres n'étaient
pas musulmans.
Il est évident que l'écriture d'un roman n'a pas de
nationalité. Les vrais écrivains refusent, du reste, la lit-
térature nationaliste, chauvine, étroite, coincée dans le
combat idéologique du parti unique. Ainsi en Algérie
avant 1990. Tahar Djaout déclarait quant à lui
en 1985 :
« Je pense qu'un écrivain algérien est un écrivain de nationa-
lité algérienne et que le regard qu'il peut porter sur son environ-
nement et sur le monde ne peut être qu'un regard algérien, un re-
gard qui enrichira l'Algérie d'autant plus qu'il l'inscrira dans un
contexte de valeurs universelles. »

1. Ecoute et je t'appelle, poèmes précédés de « Les zéros tournent en


rond », Paris, Maspero, 1961, p. 33.
2. Voix multiples, O r a n , n° 10, 1985, p. 85.
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Pas de fausse honte, de double jeu ou de culpabilité


parce qu'on écrit dans la langue étrangère, « la belle et
maléfique étrangère » (A. Khatibi) qu'on a conquise et
qui sert à exprimer les désirs profonds.
Ces littératures en langue française ont été re-
connues par des experts arabes réunis à l'Unesco du
29 mai au 3 juin 1969 pour traiter de la culture arabe
contemporaine :
« On ne saurait exclure des écrivains d'expression non arabe,
tel qu'Iqbal ou certains romanciers algériens d'aujourd'hui qui
s'expriment en français » (art. 8 des conclusions).
En généralisant, parlons de romanciers maghrébins.
Les débats ne sont pourtant pas clos au Maghreb, tour-
nant autour de la langue d'écriture. Il y a d'irréductibles
opposants. Cependant, en général, les écrivains de lan-
gue française sont reconnus et intégrés. Ils le sont d'au-
tant plus qu'ils reçoivent des Prix littéraires de l'étran-
ger, qui valorisent le Maghreb et les Maghrébins.
Le dramaturge égyptien Taoufiq El Hakim disait,
interviewé :
« La production [algérienne] en langue française est devenue
célèbre dans le monde entier. Souhaitons qu'il en soit ainsi pour
la production en langue arabe dans un proche avenir. »
Les littératures doivent en effet se stimuler.

1. Al-mujahid, Alger, hebdo. en arabe, n° 657, 18 mars 1973.


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PREMIÈRE PARTIE

PANORAMA HISTORIQUE

Ce panorama historique sera exposé selon chacun des


trois pays. En effet, chaque pays a son histoire propre,
même si au temps de la colonisation une résonance
commune se faisait entendre face à la présence étran-
gère. De nos jours, malgré les particularités, on peut
parler d'une littérature maghrébine, car, comme le disait
Rachid Mimouni en 1989, les écrivains maghrébins sont
« très proches dans leurs thèmes, dans certaines formes
narratives et dans leurs préoccupations ». Il est donc
possible de distinguer les pays, mais pour unir.
Il est clair cependant que sur le plan quantitatif les
auteurs sont plus nombreux en Algérie qu'au Maroc et
en Tunisie. La date de 1830, conquête française en
Algérie, est de fait bien plus éloignée que celle de 1881
et celle de 1912. De même les œuvres elles-mêmes sont
bien plus nombreuses en Algérie qu'au Maroc et en
Tunisie. Mais ceci ne dit rien de la qualité.
Nous conservons la classification courante des
genres littéraires : romans et récits, poèmes, théâtre,
récits de vie et témoignages. Sans doute le genre roma-
nesque ne correspond-il pas à une tradition de la litté-
rature arabe classique, du moins tel qu'on entend ce
terme depuis le XIX siècle. Mais le roman en arabe
existe bel et bien dans chacun des pays du Maghreb.
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Chapitre I

ALGÉRIE

La conquête de 1830 déstabilisa le pays profond. Le


sursaut final du 1 novembre 1954 aboutit à la procla-
mation de l'indépendance le 3 juillet 1962.
Voulant assimiler et « franciser », les Français créè-
rent des écoles à la suite du décret de 1883 de Jules
Ferry. Dans le « Plan d'études » de 1889-1890 on lisait
au sujet de l'Histoire : « En confondant leurs intérêts
avec les nôtres, les Indigènes partagent avec nous l'hé-
ritage du passé ; nos ancêtres deviennent les leurs. » Ce
« plan » était plus subtile que la ridicule boutade « nos
ancêtres les Gaulois », jamais enseignée telle quelle
dans sa lettre. Ainsi Jean Amrouche pouvait-il parler
en ces termes en 1952 des désirs dans sa jeunesse de
ressembler à l'Autre :
« Notre ardeur à apprendre cette patrie [française], notre
excessive admiration pour ses grands hommes, notre amour doc-
trinaire et maladroit, notre exigeant amour de néophytes pour
une auguste mythologie. »
Vers les années 20 on constate un appel vers l'école
française, les Algériens percevant qu'il y a quelque in-
térêt à s'approprier cette langue et à la dominer.
Une littérature en arabe renaissait vers les an-
nées 20, puis en 1931 avec les Ulamu réformistes, pour
s'affirmer depuis 1962. Mis à part deux récits en 1947
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Des éditeurs privés existaient, comme Laphomic.


Depuis les années 85-90 nombreux sont ceux qui sont
apparus : Bouchène en particulier, qui courageuse-
ment réédite des titres anciens. Depuis 89-90 la censure
(qui n'a jamais été institutionnalisée, mais qui fonc-
tionnait dans les comités de lecture) a disparu. Des ro-
mans interdits sont rentrés ou réédités dans le pays,
des sujets tabous sont mis sur la place publique. Une
très grande partie des très nombreux journaux et pé-
riodiques publiés depuis 1989 est en langue française.
Une grande liberté d'expression y règne. Mais l'édition
connaît de grosses difficultés : pénurie de papier, coût
élévé de la fabrication, livre considéré comme une mar-
chandise ordinaire. Bref, « lirons-nous demain ? », de-
mandait Tahar Djaout en 1991.
Pas de monopole d'Etat au Maroc, mais des édi-
teurs privés, surtout depuis les années 80 : SODEN,
Eddif, Le Fennec, Edino, Belvisi, Afrique-Orient,
Okad, AI Kalam, Toubkal, etc., s'ajoutant aux an-
ciennes. Quelques-uns seulement ont édité des romans
en français. L'effort réalisé est tout récent.
En Tunisie une SNED était fondée en 1961. Elle était
remplacée en 1964 par la STD (Société tunisienne de
Diffusion) et la MTE (Maison tunisienne de l'Edition),
mais des éditeurs privés existaient. Cependant, comme
au Maroc, peu d'éditeurs ont publié la littérature de
langue française, peut-être néanmoins davantage de re-
cueils de poèmes récemment par des privés : La Nef,
par exemple.
La plus grande partie de cette littérature maghrébine
de langue française, surtout celle de grande qualité
d'écriture, de liberté de parole, d'affrontement des ta-
bous, etc., est publiée à l'étranger, France et parfois
hors de France. Les principaux éditeurs sont par ordre
de grandeur : Le Seuil, L'Harmattan, Julliard, Denoël,
Gallimard, Robert Laffont, Stock. Grasset n'a édité
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aucun romancier du Maghreb. La Pensée Universelle


en édite beaucoup, mais à compte d'auteur et sans dif-
fusion. La plupart des œuvres marocaines et tuni-
siennes sont éditées à l'extérieur. Comme du temps des
écrivains français en Afrique du Nord, les auteurs rê-
vent d'être édités à Paris : meilleure fabrication du
livre, meilleure diffusion par les grands éditeurs, pu-
blics importants. Le handicap est que le livre n'est pas
forcément importé par les autorités du Maghreb parce
que trop cher ou trop critique, etc. Ce n'est pas parce
qu'un auteur du Maghreb édite à Paris que son livre
sera importé au Maghreb.
Un fait important est à noter : de 1972 à la fin
de 1991, 53 romans maghrébins ont été réédités dans
diverses collections de poche : « Folio », « Points »,
« 10/18 », « Livre de Poche », « Press-Pocket », for-
mat de poche au Seuil, mettant ainsi à la disposition
de larges publics les œuvres d'auteurs renommés.
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Chapitre II

DIFFUSION

La diffusion des œuvres est souvent très défectueuse.


D'un bout à l'autre du Maghreb même la circulation
des livres se fait mal ou pas du tout. A l'intérieur de
chacun des pays cette diffusion est loin d'être excel-
lente. Certains ouvrages en Algérie même mettent par-
fois cinq ou six mois avant d'être distribués après être
sortis de l'imprimerie.
La circulation se fait aussi mal entre le Maghreb et
l'Europe : manque de devises pour importer les livres
publiés en France, interdiction de tel livre jugé subver-
sif ou trop critique ou soi-disant donnant une mau-
vaise image du pays, selon les raisons avancées par les
instances officielles, etc. Les œuvres publiées au Ma-
ghreb même ne franchissent la mer qu'au compte-
gouttes (mauvaise organisation du marché, livraisons
impayées, ouvrages mal édités ne supportant pas la
concurrence, etc.).
En France même certains éditeurs qui publient
pourtant ces œuvres ne sont pas diffusés ou mal.
Quant aux ouvrages à compte d'auteur ils ne sont en
général pas diffusés du tout. Pour bien des raisons ce
sont toujours les mêmes auteurs qui sont connus et
édités. Ce sont aussi pratiquement les mêmes qui sont
traduits dans diverses langues de par le monde, de
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même que ce sont les mêmes qui sont traduits en


arabe : quelques-uns seulement sur les 263 romanciers
et romancières recensés. Ne parlons pas des recueils de
poèmes dont la plupart passent inaperçus, sauf sans
doute en Algérie même ceux édités par l'ENAL.
Les Prix littéraires décernés en Algérie depuis 1962
ont connu bien des vicissitudes. Mais il faut mettre en
lumière le mérite de Noureddine Aba qui avec sa Fon-
dation N. Aba (1990) a distribué en Algérie même trois
Prix en novembre 1991 à Tahar Djaout, Mounsi et
Malika Mokeddem. En France même plusieurs Prix
prestigieux ont été décernés, dont un Goncourt, qui
valorisent la renommée des auteurs couronnés. La
réaction de la presse au Maghreb est souvent de vitu-
pérer « l'Arabe de service », « récupéré » par la Fran-
cophonie ; d'autres fois on s'en réjouit cependant.
Mais quand les auteurs du Maghreb n'obtiennent pas
de Prix on dit facilement : c'est « de la discrimina-
tion », « du racisme », etc., sans parler des jalousies et
des rivalités, selon l'humeur des journalistes ou d'écri-
vains qui attendent... le Nobel.
La diffusion c'est aussi le retentissement de cette lit-
térature maghrébine. Un large tour d'horizon montre
qu'elle est connue dans des Centres d'Etudes franco-
phones, des Universités et des Centres culturels : en
France où elle est la plus lue, Grande-Bretagne, Belgi-
que et Pays-Bas, Allemagne et Autriche, Italie,
Espagne, Pays scandinaves, Pologne, Tchécoslova-
quie, Hongrie, Russie, Yougoslavie. En Amérique :
Canada, Etats-Unis, Mexique. En Extrême-Orient :
Japon, Australie. En Afrique noire : Cameroun princi-
palement. En Afrique du Nord : Mauritanie, Maroc,
Algérie, Tunisie. Au Proche-Orient : Egypte, Liban.
En Inde également. L'internationalisation de la
connaissance et des enseignements de la littérature ma-
ghrébine de langue française est manifeste. On peut
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même bien dire que les œuvres sont plus lues à l'étran-
ger qu'au Maghreb même. Naturellement les publics
les plus divers sont en France et en pays franco-
phones ; ailleurs ce sont surtout des publics universi-
taires. Connaissant la langue française, ces publics-ci
veulent sortir des œuvres de l'hexagone pour s'ouvrir à
d'autres horizons. Même si les auteurs sont parfois vus
au Maghreb comme du « parti français », leurs œuvres
sont à mettre au compte de leurs pays, étant pour ainsi
dire les ambassadrices du Maghreb dans le monde par
le biais de la langue française ou de nombreuses tra-
ductions. La dynamique actuelle de la Francophonie
sert ces œuvres dans leur retentissement mondial.
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CONCLUSION

Et l'avenir de cette littérature ? La question est sou-


vent posée. D'aucuns ont depuis longtemps chanté sa
mort, espérant par incantation en accélérer la venue.
D'autres s'extasient sur sa vitalité, son second souffle
et ses promesses d'avenir. Certains se persuadent que
les problèmes de langues sont dépassés. Pour les uns le
bilinguisme est provisoire, pour d'autres irréversible.
En fait tensions et contradictions demeurent. Aziz Kri-
chen parle en Tunisie de « fracture de l'intelligentsia ».
Des forces antagonistes sont, en effet, à l'œuvre par-
tout.
La réponse à cette question de l'avenir ne peut donc
consister qu'en constatations et en d'autres questions,
car rien n'est simple.
En Tunisie et au Maroc le nombre de romans en
arabe dépasse celui des romans en français, les recueils
de nouvelles dans les trois pays sont plus nombreux en
arabe qu'en français. Cependant depuis 1980 dans cha-
que pays de nouveaux auteurs, jeunes et moins jeunes,
publient chaque année à côté des anciens : en moyenne
9 en Algérie, 3 au Maroc et en Tunisie. De 1980 à la fin
de 1991 sont édités annuellement en français de 10 à
28 romans algériens, de 2 à 10 marocains et de 2 à
6 tunisiens. Pas de baisse de production donc. Evi-
demment cela ne dit rien de la qualité, pas davantage
pour les œuvres en arabe. En Algérie une grande partie
des nouveaux périodiques depuis 1989 est en français.
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Les antennes paraboliques y diffusent des émissions en


français vues par près de dix millions de téléspectateurs
sur 27 millions d'habitants. Dans chaque pays les Cen-
tres Culturels Français sont fréquentés par des milliers
de jeunes gens, chaque année plus nombreux, voulant
lire, s'instruire et s'ouvrir au monde. Depuis 1985 de
nouveaux éditeurs publient aussi bien en français
qu'en arabe. En décembre 1991 Radio-Algérie interna-
tionale est lancée en langue française. Apparemment
donc la dynamique du français paraît bien se porter.
Mais cette littérature est-elle lue et où ? Davantage
hors du Maghreb qu'au Maghreb. Toujours les mêmes
auteurs et les mêmes œuvres : quelques-uns seulement,
qui sont de notoriété. Au Maghreb des écritures trop
recherchées ne sont comprises que par de petits céna-
cles universitaires, à l'étranger aussi d'ailleurs. On peut
même dire que des auteurs écrivent spécialement pour
ces publics très limités et pour certains critiques qui
font leur éloge. Nous avons noté enfin les difficultés
dans lesquelles se débattent les éditeurs maghrébins et
les problèmes non maîtrisés de la diffusion.
Avec la revendication identitaire et culturelle du fon-
damentalisme littéraliste, idéologie à visée politique,
les écrivains de langue française sont de plus en plus
vus par certains journaux, radios et discours comme
des « traîtres » de « l'agression culturelle étrangère ».
Les auteurs eux-mêmes brûlent souvent du désir d'être
édités à Paris, comme autrefois les écrivains français
du Maghreb : meilleures éditions, diffusion plus large,
liberté de parole plus grande, etc. Par ailleurs, les légi-
times politiques d'arabisation menées depuis les indé-
pendances produisent leurs e f f e t s Mais certaines se
radicalisent : en Algérie la loi du 16 janvier 1991 porte

1. Il va de soi qu'en Algérie il faut tenir compte aussi de la légitime re-


vendication berbérophone.
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généralisation de l'utilisation de la langue arabe : en-


trée en vigueur à partir du 5 juillet 1992 et arabisation
totale prévue pour le 5 juillet 1 9 9 7 La presse algé-
rienne de langue française a aussitôt réagi : « manipu-
lation politique ou aventurisme politique ? », « aberra-
tion », « refus de la division », « surenchère »,
« mutilation imbécile », « chauvinisme », « dérive
idéologique », etc.
Les situations sont différentes selon chacun des trois
pays, si bien qu'on ne saurait donc évidemment répon-
dre d'une manière tranchée aux questions p o s é e s
Cette littérature comme courant littéraire en tant que
tel a-t-elle encore un sens sur le plan social ? Exprime-
t-elle les aspirations de larges publics ? Ceux-ci se
reconnaissent-ils dans les œuvres ? Des recherches
esthétiques poussées (« recherche formelle, luxe néces-
saire », A. Meddeb) seront-elles comprises par des pu-
blics formés en arabe ? On peut bien dire d'ores et déjà
que non. La production littéraire se fera de plus en
plus en arabe dans des sociétés de plus en plus ara-
bisées et formées dans une certaine culture arabo-isla-
mique : « l'ensemble de la littérature », disait avec rai-
son Albert Memmi en décembre 1957.
Naturellement hors du Maghreb des Franco-
Maghrébins pourront toujours continuer à écrire en
français. D'ailleurs au Maghreb même des individus
pourront aussi le faire ; ils ne seront pas une menace
pour le courant littéraire de langue arabe dominant et
reconnu socialement. Connaissant l'arabe, certains au-
teurs de nos jours préfèrent écrire en français, mais
pour être édités où demain ? Continuera-t-on en Algé-
rie à éditer des ouvrages de fiction en français comme
1. Selon M. Belkhadem, président de l'Assemblée populaire nationale,
le but de cette loi est de « barrer la route à la langue étrangère ».
2 Nos questions rejoignent les réflexions de Nadji Safir, Le poids des
mots, Parcours maghrébins (Alger), n° 5, février 1987, p. 53-56.
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cela se fait actuellement (environ 40 %) ? Si l'œuvre est


de qualité elle pourra sans doute trouver un éditeur à
l'étranger. Mais ces œuvres lues ailleurs ne seront pas
forcément reconnues comme « socialement perti-
nentes » au Maghreb, ni même importées. Elles n'y se-
ront connues que si elles obtiennent quelques Prix lit-
téraires importants. Or, quatre ou cinq auteurs
renommés ne font pas un courant littéraire.
Les contradictions et les incertitudes actuelles sont
telles que faire autre chose que poser des questions
essentielles serait de l'idéalisme. La vitalité actuelle de
cette littérature est pour l'instant largement reconnue :
son intérêt accru auprès de nombreux lecteurs de par
le monde le prouve amplement.
Quant à la langue française en tant que telle elle est
encore, pour longtemps sans doute, utile et efficace
pour les Maghrébins ; d'un grand intérêt à posséder à
l'heure actuelle où des pays ouverts mettent sur pied
un plurilinguisme quasi nécessaire à notre époque. Le
français peut servir comme langue internationale.
Mais d'autant plus vive est la véhémence du rejet de la
langue étrangère que plus grande en est sa séduction.
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BIBLIOGRAPHIE

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Dictionnaire des œuvres algériennes de langue française. Paris, L'Har-
mattan, 1990.
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