BRUNETIÈRE, Ferdinand - La Critique Impressionniste
BRUNETIÈRE, Ferdinand - La Critique Impressionniste
BRUNETIÈRE, Ferdinand - La Critique Impressionniste
LA CRITIQUE IMPRESSIONNISTE.
–
nous croyons qui nous profiteront. Je
~v~f< r«~! r«*~<~e' rt~t~t'rtDt ~<~
ceuxui nous flattent ou que
Le
ceux faire la part plus large encore à nos impressionnistes. jugement
un complexe de trois termes inégaux. Dans une
littéraire est rapport
ou nous trouvons d'abord ce'
~tt~ire
rouvreiin~ poème, drame
t" roman, y
de nous-mêmes, ce que nous y mettons de notre
c nousy apportons
comme on l'a dit, nous en faisons la beauté. Les
1. et en ce sens,
mieux dans C~~c, et d'autres se préfèrent dans Paul
– sèment
ensuite ce que leurs admirateurs ou leurs
~'c. Nous ytroTivo~s
critiques y ont mis,
ce que le temps, lui tout seul, en son cours insen-
sible, a comme ajouté de qualités ou de défauts qui n'en étaient point
Les contemporains n'ont pas vu dans /'Fco~
nourics contemporains.
des y~i~- ou dans Tartufe ce que nous y voyons, et pour cause, car
avait point songé. Ils n'ont pas vu non plus dans Cléopâtre
Molièren'y
ou j~ig Cr~ C~r~ ce que nous y trouvons de longueurs, de lan-
moins vite, ils lisaient plus
gueurs et de fadeurs c'est qu'ils pensaient faut-il pas enfin que nous
lentement, et ils étaient plus polis. Mais ne
retrouvions dans C/cop~-g, et dans 7~c, et dans Candide, quelque
chose aussi de ce que La Calprenéde, et Molière, et Voltaire y ont mis ?
des impressions dé-
Quelsque nous soyons, pour provoquer en nous
terminées, ne faut-il pas qu'il y ait dans Candide ou dans 7ar~/6 des
les déterminent ou qui les provoquent? Et ces qualités,
qualités qui
quelles qu'elles soient elles-mêmes, n'est-il pas vrai qu'elles ne se
retrouvent pas dans un roman du jeune Crébillon ou dans une comédie
de Poisson ou de Montfleury?
)[ n~cnfaut pas davantage pour fonder la critique o6/6c~<?. Lorsque
nous nous sommes rendu compte à nous-mêmes de la vraie nature
de nos impressions, ce qui n'est pas toujours facile, et œ qui est tou-
jours long; lorsque nous avons fait, ce qui est bien plus difficile en-
core, la part du préjugé, celle de l'éducation, celle du temps, celle de
l'exemple ou de l'autorité dans nos impressions, il reste une œuvre,
un homme, et une date. C'en est assez. On peut se proposer de déter-
minercette date avec exactitude, et par là de préciser en quel temps,
à que! moment de l'histoire d'une littérature, dans quel milieu social,
parmi quelles préoccupations l'homme a vécu et l'œuvre a paru. On
peut se proposer de dire quel fut cet homme, quelle espèce d'homme,
triste ou gaie, basse ou noble, digne de haine ou d'admiration. Car les
générations héritent, plus qu'elles ne le croient, de tout ce qui les a
précédées. Nisard aimait à dire que ce qu'il y a en tout temps de plus
vivant dans le présent, c'est le passé. Et l'on peut enfin se proposer,
après l'avoir ainsi expliquée, de classer et de juger cette œuvre. C'est
tout l'objet de la critique. Que voit-on là qui ne soit objectif? qui ne
soit, ou qui ne puisse être indépendant des goûts personnels, des
s~mp~~g particulières de celui qui se propose d'expliquer, de classer,
216 REVUE DES DEUX MONDES.
lïccckel ou d'un Agassiz, d'un Stuart Mill ou d'un Auguste Comte. j'y
pourrais joindre aussi les Darwin et les Huxley. Le bel T~~ .s-Mr
classification, d'Agas.siz, est un livre dont on ne saurait trop conseiller
la lecture à nos impressionnistes. Mais s'ils aiment mieux qu'on leur
cite un Français, Auguste Comte n'a pas moins bien montré, dans sa
Philosophie pM~c, que « dans tous les genres quelconques de compo-
sition intellectuelle, soit scientifique, soit littéraire, soit artistique, o de
même qu'en histoire natrm-elle, « une classification méthodique était
non-seulement l'indispensable résumé du système actuel de nos con-
naissances, mais encore le principal instrument logique de leur per-
fectionnement ultérieur. » Et comment, en effet, dans la hiérarchie
des genres, placerait-on la tragédie, par exemple, au-dessus du mélo-
drame, Polyeucte au-dessus de la Tour de Nesle, ou dans le roman,le
Pe/'c Cor~ au-dessus des .E'~o~ < Rocambole, sans en donner des
-raisons? Comment en donnerait-on sans pénétrer plus avant dans la
connaissance de l'histoire, de l'évolution, de l'essence du genre? et,
comment, à mesure qu'on y pénétrerait, ces raisons elles-mêmes, de
« subjectives » ou de personnelles, ne deviendraient-elles pas de plus
en plus générales, et proprement « objectives? » Après l'obligation de
juger, la nécessité de classer nous apparaît ainsi comme étroitcment
inhérente à la notion même de la critique.
Ce n'est donc pas de classer ou de comparer qui est vieux et su-
ranné, mais, au contraire, c'est de s'en abstenir; et ce qui est arbi-
traire, ce n'est pas de « distribuer des prix, » mais c'est de vouloir
être le seul juge, le juge infaillible et le juge sans appel, de ceux que
l'on décerne. Ainsi procèdent « les gens du monde, )) à q'ii leur
« goût » tient lieu de compétence et d'étude, et qu'on voit décider
de la pièce ou du roman du jour sur la beauté des choses qu'ils trou-
vent eux-mêmes à en dire. Mais Boileau, Doileaû lui-même se propo-
sait déjà quelque chose de plus. Il savait bien que si son goût ctait
bon, ce n'était pas comme sien, mais, au contraire, comme extérieur
et supérieur au sien propre, et que l'objet de la critique est d'ap-
prendre aux hommes à juger souvent contre leur propre goùt. La
morale et l'éducation même ne consistent-elles pas aussi, comme la
critique, à substituer en nous d'autres motifs de jugement et d'action
que ceux que nous suggèrent le « tempérament, » l'instinct, et la na-
ture ? C'est une observation que je soumets ~ncnre a nos imprcssion-
nistes. Si chacun de nous avait la prétention de ne rien concéder ni
céder aux autres de lui-même, la vie ne serait pas tenable; et, pareil-
lement, si l'œuvre d'art n'était que l'expression de. l'individualité de
l'artiste, ce n'est pas seulement la critique, mais c'est l'art même qui
y périrait.
Cependant, juger et classer ne sont encore qu'un commencement, et
REVUE LITTERAIRE. 219
de la critique ou cette fonction,
il ~Qn expliquer. Cette obligation
a été pour Sainte-Beuve toute la critique, et qui
si l'on veut, qui jadis la cri-
doit demeurer l'une des parties essentielles, dirai-je que
ne s'y soumet pas plus qu'aux autres? En réa-
impressionniste
elle constate et elle décrit, ou elle com-
elle n'explique point,
mais elle ne « raconte M point. Je crains bien d'en savoir l'un
~tc
si l'on voulait distinguer dans un livre
au moins des motifs. C'est, que
doivent l'un et l'autre à tous ceux qui les
ou dans un auteur ce qu'ils
«
ont précédés, et causés,
» pour ainsi parler, on serait effrayé du peu
a
d'originalité qu'il y parmi les hommes. Nous ne faisons tous qu'un
qu'un roman, qu'un article et combien y met-
poème, qu'une pièce,
de nous, qui soit à nous, qui soit de nous, qui ne soit que
tons-nous
s'en trouve donc d'abord, ou du
de nous et à nous ? L'explication
moins il faut qu'on la cherche partout ailleurs qu'en nous; et trop heu-
reux sont ceux alors dont l'originalité n'a pas comme fondu dans cette
recherche même Autre preuve, s'il en faut encore une, de l'existence
d'une critique objective. L'originalité d'un écrivain, de M. Zola, par
à lui-
exemple, ou de M. Henry Becque ne se définit pas par rapport
même, ce qui impliquerait contradiction elle ne se définit point par
rapport a moi, qui ne suis pas sans doute plus original qu'eux elle se
définit par rapport aux auteurs dramatiques ou aux romanciers qui les
ont eux-mêmes précédés, lesquels sont dans l'histoire, et elle se dé-
finit par rapport à ce qu'ils ont eux-mêmes fait des lois de leu~genre,
ce qui est également dans l'histoire.
Le fondement de la critique objective est donc, à vrai dire, le même
que celui de l'histoire. Pas plus qu'il n'y a de doute possible ou d'hé-
sitatiun permise sur le génie militaire de Napoléon ou sur le génie po-
litique de Richelieu, pas plus il n'y en a sur l'unique originalité de la
comédie de Molière ou de la tragédie de Racine; et quiconque traitera
de « polisson l'auteur d'roma~, il fera comme ce naïf Lanfrey,
quand il donnait des leçons de tactique rétrospective au vainqueur
d\ustcrhtz; c'est lui-même qu'il aura jugé. Mais quiconque dira qu'on
peut, si l'on le veut, préférer la comédie de Regnard à celle de Molière,
le a l'L'co!cdes /<~m~, et les Folies amoMr<~<~ à T~M/<?, ce sera
bien pis encore, car ce sera comme s'il disait qu'il n'y a pas de raison
de placer un être vivant au-dessous ou au-dessus d'un autre dans
l'échelle animale; et ayeclefondmnûnt de la critique objective, il ren-
vcrsera du même coup celui de l'histoire naturelle. Un genre littéraire
n'est, en effet, supérieur à un autre; et, dans un même genre, drame,
ode ou roman, une œuvre n'est
plus voisine ou plus éloignée de la per-
fectionde son genre que
pour des raisons analogues à celles qui élèvent
dans la hiérarchie des
organismes les vertébrés au-dessus des mol-
-lusques,par exemple, et parmi les vertébrés, le chat ou le chien au-
220 REVUE DES DEUX MONDES.
Ile encore, les idées qui seront un jour l'âme de leurs drames,
de leurs romans.
de leurs poèmes ou
naturel. Poète ou romancier, ce qui fait l'originalité de
Rien de plus
manière impressionniste, subjective, et vraiment per-~
)..t-ste c'est sa
~llede voir ou de sentir. Ajouter quelque chose à la connaissance
s'il en est encore,
nous avons de la vie commune en découvrir,
corriger ou modifier l'idée
quelque province inexplorée; compléter, du sens le plus gé-
nous en faisons, voilà l'œuvre poète, au
que nous de l'artiste il élargit, il assouplit, il per-
néral du mot; et voici celle
de son art; il en trouve de rendre ce que son art
fectionne les moyens
il enfin l'individualité de ses pro-
gavait pas encore exprimé; y ajoute
La seule précaution que je crois qu'on doive prendre
pres sensations. tout en-
en les moyens de l'art, de ne pas
alors, c'est, perfectionnant
« Par-
]~pedmrje à la_perlection_de la forme, comme l'ont fait nos
commencer mutiler et calomnier en
nassiens, ') ou de ne pas par par
la comme l'ont fait nos « naturalistes,.» avant de
quelque sorte vie,
les
l'imiter. Mais, si l'objet de la critique est entièrement différent,
autant de
qualités du poète et du romancier n'y deviennent-elles pas
défauts? Cette façon d'intervenir de sa personne, si peut-être elle aide
beaucoupla nouveauté des impressions, n'en altère-t-elle point la jus-
tesse et la vérité? C'est ce que croient tous ceux qui, comme Villemain
ou Cuizot jadis; comme Littré, comme Scherer plus prés de nous; et
comme enfin M. Taine, beaucoup plus convaincus de la « relativité »
des choses que nos impressionnistes eux-mêmes, mais l'entendant
comme il la faut entendre, n'en ont pas moins cru à l'existence d'une
critique objective; et nous y croyons avec eux.
Je ne sais, en effet, si l'on voit les inconvéniens, ou les dangers
n~'me, de cet impressionnisme; et par exemple, et d'abord, qu'il rom-
prait les liens qui unissent étroitement la critique et l'histoire. M. Ana-
tole France, M. Jules Lemaître, M. Paul Desjardins, ne sont pas seule-
ment des écrivains de talent. Ce sont aussi des lettrés, des mandarins,
comme dit M. Lemaître, dont les impressions, quoi qu'ils en aient,
sont déterminées ou causées, plus souvent qu'ils ne le croient, par
l'éducation littéraire qu'ils ont reçue. Ils reprochent volontiers à la cri-
t'quc objective que son « dogmatisme » n'est qu'une forme qu'elle
dunnc a ses Mpréférences personnelles. » Cependant, parmi leurs « pré-
férences personnelles, » ou qu'ils prennent pour telles, il y a toute
une part de c dogmatisme )) qui n'est point d'cux ni à eux.. C'est qu'ils
« savent;)) et leur science les préserve du piège que l'impressionisme
tient toujours tendu pour l'ignorance. Ils
peuvent donc préférer Madame
~~?/ a r~Aa~ de Racine. En réalité, leur paradoxe les amuse eux-
mêmes ils en conviennent en dépit d'eux; et la preuve, c'est qu'ils ne
peuvent s'empêcher, en le développant, d'y laisser passer quelque chose
222 REVUE DES DEUXMONDES.
de la vérité qui le ruine. Mais de moins lettres viendront à leur tour
ils sont déjà venus, qui ne sauront rien, qui se seront gardés de rien
lire, de peur qu'on ne leur ait pris leurs impressions « par avance,)) Il
et qui ne s'en constitueront pas moins, du droit de leur impression-
nisme, les juges partiaux des choses de l'esprit. J'en connais plus de
vingt, que je pourrais nommer. L'histoire littéraire y périra d'abord;
la tradition ensuite, avec l'histoire littéraire et finalement, avec la
tradition, le sentiment de la solidarité qui lie les générations les unes
aux autres.
Une conséquence en résultera; et, ainsi coupée de ses communica-
tions avec l'histoire, la critique, en même temps que la notion de son
objet, perdra la conscience de son rôle ou de sa fonction. Car, de dire
qu'elle n'ait point de fonction ni de rôle, c'est une erreur, comme on
a vu que c'en était une, pour nier son objet, que d'exagérer à-phim_
le nombre, la nature, et la portée de ses contradictions. Il lui appar-
tient de donner des directions à l'art, et cela s'est vu plusieurs fois
dans l'histoire. Avec un peu d'emphase, mais non pas sans quelque
vérité, n'a-t-on pas pu prétendre que la littérature allemande moderne
était l'oeuvre ou la création de la critique de Lessing? Et, chez nous,
trois fois au moins en trois cents ans, la critique n'a-t-elle pas oriente
l'évolution de notre poésie? Du Bellay, Ronsard lui-même, Baïf surtout
ont commencé par être des critiques autant que des poètes; Buileau
n'a été que cela; et qui ne sait aujourd'hui que le romantisme était
déjà contenu tout entier dans le Ce/ne du christianisme? S'il n'est
permis à personne de se flatter d'être jamais ou Chateaubriand, ou
Boileau, ou Ronsard, il n'est, je pense, interdit à personne d'essayer
de les suivre et, en tout cas, leur exemple sunK à montrer quels ser-
vices et de'quelle nature la critique peut rendre. Infatués qu'ils sont
aujourd'hui d'eux-mêmes et de leur « sens propre, comme on disait
jadis, si la critique ne peut pas agir immédiatement sur les auteurs,
elle peut agir, elle agit tous les jours encore efficacement sur l'opinion,
dont ils ne sont que l'expression, quand ils n'en sont pas les humbles
serviteurs. Elle peu: leur enlever leur public; et elle peut,en modifiant
le « milieu, » réduire les plus récalcitrans à modifier eux-mêmes leur
manière.
En veut-on des exemples? L'un de nos impressionnistes, M. Paul Des-
jardins, n'a-t-il~as~quelque_pail défini le naturalisme <t Ua.npiicaîion~
des procédés de la critique à 1~ littérature d'imagination o et pour
être un peu étroite, la définition n'en est pas moins ingénieuse et
heureuse. Mais ce que j'en retiens comme absolument vrai, c'est que,
sans la critique, le naturalisme n'aurait jamais fait la fortune qu'on
lui a vu faire. Presque tout ce qu'il est, on prouverait aisément que
l'auteur de la Z~e /a~ et de l'Assommoir le doit, non pas à Balzac,
LITTERAIRE. 223
REVUE
de M: Taine sur
à Flaubert, mais à M. Taine, à l'essai
ni non plus Aussi, combien de fois,
de la littérat~,cre
~era~ a~~f~.
anglaise.
~~l~acett àa l'flistoire
r~o~
il n'était l'auteur encore que de la Fortune des
à ses débuts, quand de ne s est-l
s'est-il plaint que
de la Conq~ête
Co~~e~ P~
Plassans, pas
~no~nn ou C'est que M. Taine,
l'eût abandonné! (~~me~
t~ine
dans son Histoire de la ~~er~~re anglaise, les principes
'-) avait posé,
soin de marquer, dans sa Philosophie de l'art,
~turalisme, avait eu
ne saurait dépasser sans sortir des con-
les bornes que le naturalisme
ditions de l'art même. Si bien que, non-seulement la critique a déter-
nous le disions, la direction du naturalisme contempo-
mine comme
encore elle l'a défendu contre ses propres excès, et ainsi ce
rain, mais
dans le naturalisme, où personne, que je sache,
qu'il a de meilleur c'est à la critique qu'il en faut
n'a nié qu'il y eût beaucoup de bon,
faire honneur.
dirailsTmëme chose du- fMatre. Voilà vingt-cinq ou trente ans
––je
sur-la scène aucune oeuvre qui marque une
passés qu'il n'a paru de faire école, de se
époque dans l'histoire de l'art, qui soit capable
susciter à elle-même d'heureux imitateurs. Cependant, l'esthétique du
a
~ef'trc complètement changé. Si nous sommes encore quelques-uns
à l'occasion l'ingéniosité, la fertilité de moyens, la très
qui louions
réelle habileté d'Eugène Scribe, combien sommes-nous ? Et qu'y a-t-il,
aux veux des jeunes gens, qui soit plus démodé, plus artificiel, et plus
~o~ On ne
faux qu'L~e chaine, par exemple, si ce n'est Bertrand et
vert plus de ces préparations, ni de ces conventions, ni de cette con-
fusionou de ce mélange des genres. La critique seule a fait cet ouvrage.
C'estelle qui s'est demandé pourquoi le théâtre demeurait de trente
ou quarante ans en arrière du roman ? C'est elle qui en a signalé la
de Scribe avait fait, pour ainsi
raison dans les conventions dont l'école
dire, comme autant d'articles de foi. Mieux encore parmi ces conven-
tions, c'est elle qui travaille à débrouiller les nécessaires d'avec les
arbitraires. Et c'est pourquoi, si quelque jour M. Becque, ou un autre,
nous donne cette comédie, non pas sans doute entièrement nouvelle,
mais enfin plus libre et plus franche dont il faut bien avouer que
~cn~c ou les Co?-6M~.rne sont encore que la promesse, c'est à la
critique encore que le xx~ siècle en sera redevable.
Laest, dans le présent comme en tout temps, la vraie fonction de
'a critique, dont on voit se dé-_
bien qu'elle ne_peu~s'acquitter~u'en
barrassant de l'illusion de l'impressionnisme. Si la critique veut agir,
faut qu'elle soit autre chose, et quelque chose de plus intéressant
que la manifestation de nos goûts~ou~de nos préférences, lesquels, à
~ai dire, n'intéressent habituellement
que nous. Le reste d'autorité
qu'elle conserve encore dans les provinces, M. Lemaître et M. France
ne savent-ils
pas bien qu'elle la doit à ce qu'ils mêlent eux-mêmes
22~ REVUE DES DEUX MONDES.
dans leurs jugemens de raisons qui ne sont point à eux, mais à tout
le monde? C'est ainsi que, dans les 3~M'M ou dans les Co~~
des autres, nous croyons aimer ce que nous y trouvons de
semblable
ou d'applicable à nous; et en réalité, ce que nous y cherchons, c'est. une
connaissance plus étendue, plus diverse, et plus approfondie de l'hotnmf
en général. Convenons-en donc de bonne grâce; mettons queiq~
chose au-dessus de nos goûts; et puisqu'il faut de la critique, disons
qu'il n'y en saurait avoir qui nesoito~c~re. C'est tout ce qué~ait~
de montrer dans ces pages et je pense qu'il ne serait indiffèrent d
avoir réussi ni à l'idée qu'on doit se faire de la critique, ni à l'éduca-
tion de l'esprit, ni peut-être à l'avenir même de la littérature, ou
la littérature de l'avenir.
Car, pour quelques dilettantes, qui demandent à quoi bon la cri-
tique, et pourquoi l'on ne se passerait point d'elle, on pourrait se con-
tenter de répondre par cette autre question à quoi bon aussi l'art? :t
quoi l'histoire? ou à quoi la science? Et en effet, le monde n'en sera
pas changé si la Comédie-Française nous donne cette année, je dis
même un chef-d'œuvre de moins; et, puisque l'on vit très confortable-
ment dans une ignorance entière de la nature des 7~~M~<; ~c~.
~NM, à plus forte raison se passera-t-on de savoir ce qu'il f:)ui
penser des travaux de ceux qui les ont étudiées! Mais j'ajouterai,
qu'inférieure à l'histoire ou à l'art par tant d'autres côtés, la critique
a sur l'art et sur l'histoire ce grand avantage ou cette supériorite-
qu'elle seule peut empêcher ie monde, selon l'expression de M. Renan.
d'être dévoré par le charlatanisme. » Trop occupée, trop applique,
trop asservie au labeur de la vie quotidienne, incapable d'anaiyso-
son plaisir et d'en reconnaître la qualité, la foule court toujours a
l'appel de ceux qui la flattent; et les charlatans de l'art ou de la litté-
rature le savent bien. C'est précisément affaire à la
critique de penser
ou de juger pour la foule. En donnant ses rangs et en distribuant sos
prix, il est possible qu'elle prête à rire à de petits philosophes, mais
elle fait œuvre deux fois utile elle apprend à la foule
qu'il y a quelque
ditférence entre Ponson du 'l'errail et Balzac, ce qui est salis doute bon
à savoir et elle venge le talent des succès de la médiocrité, lesquels ont
je ne sais quoi d'humiliant pour tout le monde. Pourquoi faut-il.
hélas! terminer en disant que, si jamais la tâche n'a été plus urgente
à remplir, ce mot de la tm_n'en est pas un? et que. comme nos pcres
auraient pu s'en servir, ceux qui nous succéderont s'en serviront:)à
leur tour; et il sera toujours vrai.
F. BHUISETIKRR.