Takoudjou Nimpa
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RÉSUMÉ :
Depuis les travaux pionniers de Kaplan et Norton entre la fin des années 80 et le
début des années 90, une abondante littérature s’est dévelopée autour de la
problématique de l’universalité du modèle Balanced Scorecard (BSC) tel que
présenté par ses auteurs. Dans la plupart des cas, les différents travaux
empiriques se sont focalisés sur les entreprises managériales. Cet article propose
une extension de la problématique du BSC en contexte PME et questionne les
écueils à l’adoption du modèle BSC au sein des PME. L’étude qualitative menée,
porte sur les données d’un échantillon de 32 PME camerounaises ayant introduit
les tableaux de bord dans leur gestion. Il ressort de cette étude que les PME
équilibrent leur tableau de bord en associant aux indicateurs financiers
traditionnels, des indicateurs « clients ». Toutefois ces tableaux de bord ne sont
pas de type BSC. Les facteurs explicatifs du rejet de ce modèle sont d’ordre
comportemental, structurel et environnemental.
INTRODUCTION :
Ce constat reflète probablement le fait que le BSC est très peu connu des PME
ou alors que le BSC ne correspond pas à leurs besoins. La question de
l’applicabilité du BSC ayant fait l’objet d’études, notre contribution s’inscrit
davantage dans une perspective de compréhension de la quasi non adoption de
cet outil dans le management des PME camerounaises. La vraie question est
celle de savoir pourquoi les PME camerounaises n’adoptent pas le BSC ?
autrement dit, quels sont les déterminants de la non adoption du BSC par les ces
PME ?
L’objectif de cette recherche est triple : nous allons d’abord faire un bilan de la
pratique des tableaux de bord dans les PME, ensuite mettre en exergue les
obstacles à la mise en place du BSC et enfin présenter les enjeux de l’utilisation
de celui-ci.
Cet article est organisé en trois parties. La première partie présente les cadres
conceptuel et théorique de l’étude. La deuxième partie traite des aspects
méthodologiques est des résultats. Les recommandations font l’objet de la
troisième partie.
Dans cette première partie, nous allons aborder trois points majeurs. Le premier
précise la définition du BSC et ses origines. Le deuxième va questionner la
littérature sur l’universalité de cet outil de management en faveur des PME. Le
troisième convoque le socle théorique de notre étude.
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KPMG au côté de Pricewaterhouse Coopers, Andersen Worldwide (Arthur Andersen et Andersen
Consulting), Cap Gemini Ernst & Young, et Deloitte & Touche, sont les cinq géants de l’audit, de
l'expertise comptable et du conseil. Leurs activités sont centrées autour des systèmes de gestion,
proximité de l'audit oblige, et des systèmes d'informations.
d’étayer la démarche à partir d’un ensemble d’hypothèses de relations de cause à
effet. Les plus courants sont entre autres : l’influence de la motivation des
salariés sur la satisfaction des clients, qui influence à son tour le niveau des
ventes et donc la rentabilité financière. Ce modèle est alors présenté comme
universel.
Le BSC est porté par un discours, qui le présente comme un modèle universel,
générique de performance, suffisamment standard et prêt à l’emploi, échappant à
la contingence (Bourguignon et al., 2002 ; Méric, 2003 ; Choffel et Meyssonier,
2005).
Les études empiriques qui se sont penchées sur les facteurs de succès
d’implémentation du BSC, ont identifié quatre facteurs d’adoption du modèle
(Kaplan et Norton, 2001 ; Bloomfield, 2002 ; Abran et Buglione, 2003 ;
Woodward et al, 2004 ; Wagner et Kaufmann, 2005 ; Fernandes et al, 2006). Le
premier facteur est organisationnel ; ces auteurs affirment que la culture
d’entreprise (tenir compte des mesures financières et non financières), le partage
de la vision stratégique avec les différents niveaux hiérarchiques de l’entreprise,
la communication de la logique du BSC dans toutes l’entreprise et l’appui de la
haute direction conditionnent le succès de la mise en œuvre du BSC. Le
deuxième facteur est stratégique (l’alignement des objectifs du BSC à ceux de la
stratégie de l’entreprise, le choix des indicateurs différenciés). Le troisième
facteur est technologique, (base de données riches et hétérogènes et
infrastructure adéquate) . Enfin le quatrième facteur de gestion de projet
concerne la disposition des ressources technologiques adéquates et des
ressources humaines qualifiées.
Les cas de succès sus évoqués, sont davantage ceux des grandes entreprises ; très
peut de cas d’implémentation du BSC dans les PME étant étudiés. Toutefois,
quelques auteurs estiment que ce modèle permet aux PME de, formaliser leur
stratégie, accroître leur compétitivité et faire face à l’incertitude de leur
environnement (Kaplan et Norton, 2001 ; Tennant et Tanoren, 2005 ; Fernandes
et al, 2006 ; Gumbus et Lussier, 2006 ; Naro, 2006 ; Santin et Van Caillie, 2006).
Or il s’avère difficile de concilier une démarche du BSC jugée complexe,
mécanisé et déterministe avec les besoins de simplicité, flexibilité et de réactivité
spécifiques aux PME. En effet, un certain nombre d’éléments forgent l’identité
d’une PME (collaborateurs, clients, culture, ressources, mode de gouvernance,
etc) et qui font que chacune d’entre elles soit différente de l’autre. Les
spécificités des PME sont généralement d’ordre organisationnel et politique
(Julien, 1997 ; Gelinas et al, 1996). La structure organisationnelle de la PME est
le plus souvent peu formalisée, peu hiérarchisée. Les fonctions, quand elles
existent, sont peu différenciées, ce qui implique une grande interdépendance du
système de gestion, l’aplatissement des structures entraînant une proximité des
contacts. On note aussi une personnalisation de la gestion par le propriétaire
dirigeant, il incarne son entreprise et la culture d’entreprise de la PME ; cette
situation favorise une communication informelle, par conséquent la plupart des
PME ne planifie pas. Les spécificités politiques reflètent le jeu de pouvoir dans
les PME ou les caractéristiques du processus décisionnel. Le propriétaire
dirigeant est omniprésent à tous les niveaux décisionnels, c’est lui seul qui prend
les décisions et formule la stratégie, c’est la plaque tournante du système
d’informations, c’est un décideur autonome.
Les barrières à la mise en place du BSC recensées dans la littérature sont : un
manque de ressources financières, un manque de temps et de ressources
humaines compétentes, des problèmes de disponibilité des données dans les
systèmes d’informations (Hudson et al., 2001 ; Germain, 2005 ; Garengo et al.,
2005 ; Rautenstrauch, 2006 ; Sousa et al., 2006).
1.3. Le cadre théorique explicatif des facteurs d’adoption du BSC par les
PME
Les travaux sur la diffusion du BSC trouvent une explication à travers la théorie
générale de la diffusion des innovations et la théorie de la contingence.
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La Loi n° 2015/010 du 16 juillet 2015 modifiant et complétant certaines dispositions de la Loi n°
2010/001 du 13 avril 2010 portant promotion des PME au Cameroun stipule à son article 3 : est
considérée comme PME, toute entreprise, quel que soit son secteur d’activité, qui emploie au plus
cent (100) personnes et dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes n’excède pas trois (03) milliards
de francs CFA (1euro = 655,957 frs CFA)
entreprise sera donc conditionnée par l’alignement de ses outils aux différents
facteurs de contingence auxquels elle est assujettie. Par conséquent on comprend
la difficulté qu’il y a à concilier le BSC perçu comme complexe, rigide et
déterministe, avec les besoins de simplicité, de flexibilité et de réactivité des
PME.
Cette deuxième partie sera meublée par trois points : le premier présente les
aspects méthodologiques de notre étude, le deuxième décrit les pratiques des
PME camerounaises en matière d’utilisation des indicateurs financiers et non
financiers et le troisième restitue l’essentiel de l’analyse de contenu thématique
sur les obstacles à la mise en place du BSC dans les PME camerounaises.
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L’objectif de la démarche abductive n’est pas réellement de produire des lois universelles, mais
plutôt de proposer de nouvelles conceptualisations théoriques valides ; il s’agit parfois juste de
donner une explication capable de désambiguïser un événement communicatif isolé.
Les PME de notre étude sont constituées à plus de 90% d’un effectif de plus de
20 personnes, avec un chiffre d’affaires compris entre 15 millions et 1 milliard
de francs CFA ; près de la moitié ont entre 6 et 20 ans d’âge. On les retrouve
dans les secteurs de l’agro alimentaire (35, 71%), les petites industries (21 ,43) et
dans le commerce et les services (42,86%). Plus de la moitié des répondants était
constitué par les contrôleurs de gestion avec pour la plupart, un niveau d’étude
universitaire (85%) et la quasi-totalité avait une formation de base en science de
gestion (près de 95%).
2.2. Tableaux de bord dans les PME : une culture dictée par les préoccupations
financières et commerciales
Concernant l’aspect financier, toutes les PME interviewées sont d’avis que les
données comptables restent essentielles pour le pilotage de leur structure, et donc
occupent une place importante dans leur tableau de bord Un extrait des entretiens
nous permet de prendre la mesure de cette importance.
Enfin, on note une faible importance accordée aux ressources humaines (RH). Le
seul aspect lié aux RH souligné par la quasi-totalité des PME (91%) est le
salaire. Ceci traduit un manque d’intérêt pour les questions de fidélisation, de
formation du personnel ou de la qualité du système d’information qui ont
pourtant un rôle clé dans l’économie de la connaissance et l’environnement plus
concurrentiel dans lequel opèrent désormais les PME (St pierre et al., 2011).
« Nous faisons de notre mieux, (…). Si les salaires sont payés ça va, c’est le plus
important ».
Entretien entreprises n°5, 24
L’explication réside dans le caractère volatile de la RH de ces PME et aux
conditions de travail et de rémunération très approximatives.
Les barrières à la mise en place du BSC dans les PME évoquées par la littérature
(Hudson et al, 2001 ; Garengo et al, 2005 ; Souza et al, 2006), sont également
relevées par les PME camerounaises. Les facteurs de non adoption de l’outil ont
été regroupés en trois catégories : les facteurs inhérents aux attributs de l’outil
(complexité, coût élevé, caractère standard), les facteurs inhérents aux PME
(absence d’objectifs formels, ressources humaines peu qualifiées et volatile,
l’utilité perçue très défavorable, base de données uniquement financières,
absence de communication entre direction et opérationnel, culture d’entreprise ne
favorisant pas l’adoption) et enfin les facteurs environnementaux ( absence de
base de références ou valeurs cibles dans les secteurs d’activités, une faible
diffusion du BSC auprès des PME). Le tableau ci-dessous nous présente de façon
synthétique quelques séquence du verbatim.
Le BSC a démontré son utilité et son intérêt pour les entreprises, même si son
utilisation reste très marginale dans les PME. Nous avons recensé dans le cadre
de notre étude quatre domaines d’action afin de faciliter l’émergence du BSC
dans les PME.
Le tableau de bord ne peut se comprendre que dans une entreprise finalisée, une
entreprise qui a des « buts » et dans laquelle un processus de fixation d’objectifs
a été mis en place au niveau des individus. A cet effet, les données dans le
système d’information doivent être disponibles. La mise en œuvre du BSC obéit
également à cette exigence. Par contre dans la plupart des PME, on note une
absence de formalisation des objectifs. Il est donc nécessaire de clarifier et
surtout de traduire la stratégie en objectifs opérationnels. Les PME devraient
aussi organiser leur secteur d’activité afin de dégager des valeurs cibles
moyennes pour les indicateurs communément utilisés. Ceci permettrait de
faciliter les comparaisons et serviraient de base de références.
CONCLUSION
Cet article avait un triple objectif : faire un bilan des pratiques en matière
d’utilisation des tableaux de bord, dégager les écueils à l’implémentation du
BSC et présenter les enjeux de son utilisation pour les PME camerounaises. Pour
atteindre cet objectif, nous avons mobilisé une approche qualitative pour
analyser les données recueillies par entretien semi-direct auprès d’un échantillon
de 32 PME. A l’issu de ce travail il ressort trois points majeurs.
Troisièmement, les enjeux de l’utilisation du BSC sont nombreux pour les PME.
Dans un environnement caractérisé par des évolutions technologiques de plus en
plus rapides et par le raccourcissement du cycle de vie des produits d’une part, et
d’autre part, par le rôle fondamental accordé au savoir et à d’autres actifs
intangibles, les performances financières futures sont souvent mieux évaluées
par les indicateurs non financiers que par des indicateurs financiers.
Tout compte fait, la mise en place d’un tel outil reste très difficile dans le
contexte des PME camerounaises au regard des raisons sus-évoquées. A
l’évidence les PME ont besoin du « sur mesure ». Pour l’instant, le BSC reste
encore une vue d’esprit dans le contexte des PME camerounaises.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES