Feuille Verte N°237 Décembre 2020

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DECEMBRE 2020 / n°237 / 2,80 €

BESANÇON EN VERT

Ce ne fut pas une fleur du printemps mais un fruit de


l’été commençant : un peu d’écologie dans des élections
municipales étalées sur plusieurs mois, par la faute d'un
virus qui n’en finit pas de bousculer nos vies. On peut saluer
les belles réussites à Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg,
Poitiers, Annecy, etc. Sans oublier Besançon, bien sûr, et la
belle victoire de la liste de rassemblement conduite par
Anne Vignot.
Cela dit, ces embellies ne doivent pas masquer cer-
taines réalités moins enchanteresses. L’écologie politique a
certes progressé, mais c’est quand même la droite qui a
remporté ces élections. Autrement dit, la gauche est minori-
taire, et si on considère la profusion de candidatures toutes
aussi dispensables les unes que les autres au poste su-
prême, si l'on constate que, sur les questions de société, elle
est à la traîne derrière des mouvements sociaux (contre les
violences policières ou les lois liberticides, par exemple), il
est à craindre qu’elle le reste. On eût pourtant espéré un
peu de bon sens, un repli des ego, et donc que les succès de
juin ne soient pas sans lendemain.
BESANÇON PPDC
En attendant, souhaitons bon vent à l’équipe d’Anne
Vignot car le travail à mener est gigantesque dans des con-
ditions sociales et économiques dégradées. Et invitons ses
adversaires de droite à retrouver un peu de sérénité : ils
n’ont eu de cesse de dénoncer violemment son programme
« punitif » pendant la campagne ; depuis l’élection, commu-
niqué après communiqué, ils ont donné le sentiments de ne
pas admettre leur défaite, en demandant que soient appli-
qués leurs « solutions ». On peut certes se montrer virulent
dans la défense de ses idées, mais être revanchard en
mettant en quelque sorte en doute les compétences d’une
équipe nouvelle, voilà qui signe une conception assez dan-
gereuse de la démocratie.
En tout état de cause, nous n’avons pas constaté
l’arrivée de chars russes repeints en vert ni d’incarcération
d’opposants dans les prisons de la Citadelle.

Michel Boutanquoi
CLFV

77, Grande Rue


Sommaire
P 2 : En vers (si, si !) P 31-32-33 : COVID 19, entre complotisme et stratégie du
P 3-4 : Avis de tempête sur La Feuille Verte ? choc
P 5-6 : Salut l’ami P 33 : Où trouver EELV au plus près de chez vous ?
P 6 : Liens utiles P 34 : 5G, surtout ne pas se précipiter.
P 7-8 : La place du citoyen dans la crise du COVID 19 P 35 : Bulletin d’adhésion, dons
P 8 : Comment recevoir La Feuille Verte ? P 36 : Les actus en photos
P 9-10 : L’arbre et la haie : tous concernés
P 11-12 : À Besançon et ailleurs
P 13-14-15 : Spécial vaccins
P 16-17-18 : À quatre-vingt cinq ans, cap sur les antipodes
P 19-20 : La préfecture de Besançon, insensible aux ques-
tions humanitaires
P 21 : Henri Huot, le père du RMI
P 22-23 : Pour l’égalité des droits et contre le confinement
sans toit
P 24-25 : Clemenceau, reviens !
P 26-27 : Demain est bien loin …
P 28 : Comment manipuler l’opinion ?
P 29-30 : La prolifération des sangliers hors de contrôle

Pour mettre au pied du sapin ?


2 EN VERS (SI, SI !)

- Quoi !? De la pub dans La Feuille Verte !? Cette morales et financières des «élites» suisses, officielles ou
fois, ils sont tombés bien bas, les copains du Comité de non, ce recueil suggère des remèdes. »
lecture...
On peut passer commande (en souscription jusqu'à
- Mais non, pas d'affolement ! On voulait juste vous
la fin de l'année) auprès de eclectica@bluewin.ch, ou
signaler la parution d'un bouquin écrit par un fidèle (le plus
directement à l'auteur : ecrits.psantschi@gmail.com
fidèle ?) lecteur de notre journal (1), notre ami Pierre
Santschi, que certains connaissent de longue date, puisque
lors des premières Journées d'été organisées par les Francs Le CLFV
-Comtois à Lamoura, en août 1999 (2), c'est grâce à lui que
des contacts amicaux et fructueux se sont forgés entre
Verts de part et d'autre du Jura. (1) Et parfois même collaborateur.
Pierre est certes un scientifique, mais il se veut sur- (2) Et rebelote en 2001.
tout un « ingénieur admirateur de la nature, rimeur et mi- (3) Éditions Éclectica, coll. Délire-Délivre, 19,50
grant politique » et désormais hors parti après avoir été francs suisses.
député Vert au Grand Conseil vaudois.

Du Déni béni au labo du Beau (c'est le titre de son


livre) est un « pamphlet politico-sociétal », un recueil de
pensées philosophiques et politiques en vers (!) classiques
qui, selon les mots de son éditeur, « propose de dépasser la
confortable culture du déni et de l’opacité pratiquée par
l’appareil d’État, qui promeut ainsi l’ignorance de la collec-
tivité. Après une démystification des dérives intellectuelles,
Désintérêt, dissensions, censure...

AVIS DE TEMPÊTE SUR LA FEUILLE VERTE ?


L'article ci-dessous exprime un point de vue strictement personnel, celui de son signataire, direc-
teur de publication. Il n'engage en rien les trois autres membres du Comité de Lecture (Suzy Antoine,
Gérard Mamet et Michel Boutanquoi, qui remplace Benoît Cypriani).

Vous l'avez peut-être remarqué : La Feuille Verte Mais, puisque j'ai précisé au début que je ne
(qui, si elle existe toujours, fêtera l'année prochaine son m'exprimais pas
quart de siècle) n'a pas donné signe de vie depuis belle au nom du CL,
lurette. Elle est restée désespérément muette depuis juin mais seulement en
dernier ; et encore ce numéro 236 n'est-il paru que sous mon nom propre,
forme numérique, la dernière « vraie » parution, sur pa- venons-en à un
pier (n° 235), remontant à décembre 2019 – il y a un an, critère nettement
donc. On vous doit des explications, aussi bien quant aux plus personnel,
raisons de cette longue interruption qu'en ce qui concerne que je résumerai
l'avenir immédiat de notre journal. ainsi : j'en ai un
peu gros sur la
D'abord, il faut se rappeler (même si d'autres
patate.
événements ont tendu à en atténuer le souvenir) qu'il y a
eu au printemps dernier... des élections municipales, que Quand les Verts comtois ont lancé la FV (en no-
la pandémie de Covid-19 a, en quelque sorte, « fait du- vembre 1995), j'ai proposé d'en être le responsable (à
rer ». Évidemment, c'est à Besançon que, des mois durant, moins que ce ne soit « la Dom » qui m'y ait poussé) parce
elles ont le plus occupé les copains : parmi eux, Suzy, qui que ça m'intéressait d'y participer en tant que Vert (depuis
s'est vue du même coup contrainte de mettre de côté 1992), en tant que Secrétaire régional (pendant plus de
d'autres occupations « vertes », entre autres la fabrication huit ans) et en tant que « spécialiste » (c'est le seul savoir- 3
de La Feuille Verte (et en particulier le tirage papier), dont faire que je me reconnais... et qu'on me reconnaît généra-
elle se charge depuis bien des années. lement) de la langue française. Voilà donc 24 ans que je
continue à faire mon possible pour assurer à EÉLV une
Ensuite, il y a eu au sein du Comité de lecture
publication « de qualité », en tout cas d'une bonne qualité
des dissensions, des désaccords (allant jusqu'au retrait de
formelle ; si j'ai cessé d'y contribuer en tant qu'« auteur »,
Benoît). Pour faire bref, disons qu'à partir d'une divergence
j'y ai maintenu ma double casquette de réviseur et de di-
quant à la parution ou non d'un article déjà publié ailleurs,
recteur de la publication. (Vous savez ? celui à qui on porte
la discussion s'est élargie aux principes censés régenter
des oranges en prison en cas de dérapage sanctionné par
notre fonctionnement, aux rapports avec les contributeurs,
la loi...) Bon, ne vous méprenez pas : le Comité de lecture,
et même à l'intérêt de maintenir en vie la publication
sous les diverses formes qu'il a revêtues au cours de ces
d'EÉLV-FC.
années, a collectivement et efficacement contribué à cette
Il faut dire - et c'est là une troisième raison du recherche de la qualité maximale, et je ne voudrais pas me
silence de ces derniers mois – que ledit intérêt n'apparaît hausser du col sous prétexte que j'aurais plus que les
pas à tout le monde avec la même évidence. Si certains, au autres pinaillé sur telle virgule, tel néologisme ou... tel
sein du CL, se félicitent de l'audience de notre canard et inclusivisme saugrenu (pléonasme) ! Disons que j'ai été (et
des compliments qu'on lui fait (très majoritairement en suis encore) le dernier relecteur, le réviseur final, reconnu
dehors d'EÉLV), d'autres soulignent l'investissement plus et accepté comme tel, et non le « chef » qui donne l'impri-
que limité des militants régionaux et, tout spécialement, matur.
des « leaders », dont certains ont encore récemment re-
De cela, je ne demande pas (et les copains du CL
connu leur absence d'intérêt (ce qui est parfaitement leur
pas plus que moi) qu'on me voue une reconnaissance éter-
droit). D'ailleurs, sauf erreur de ma part, personne ne s'est
nelle. Mais j'aurais (nous aurions) quand même apprécié
étonné ni plaint outre mesure d'une si longue absence de
que, de temps en temps, on nous sache gré du travail
Feuille Verte...
fourni et, tout simplement, d'avoir fait vivre si longtemps
ce canard. Au lieu de cela, et à part les quelques-uns qui,
en leur temps, se marraient à mes Émois (1), je n'ai vu pas- - Si cette dernière poursuit son petit bon-
ser, en ce qui me concerne, que des critiques et des accusa- homme de chemin (et si possible sans renoncer totale-
tions. Critiques quant à la supposée sévérité élitiste avec ment à sa version sur papier), il sera hors de question
laquelle nous sélectionnerions les articles à publier, accusa- que mon nom et mon rôle (qui disparaîtront dans ce
tions - carrément ! - de censure quand, sur des critères bien cas de l'« ours ») soient d'une quelconque façon asso-
précis et plus d'une fois réitérés, nous retoquons un article ciés à des écrits que le CL aurait renoncé à rendre par-
ou en demandons une réécriture plus ou moins importante, faitement lisibles et clairs sous prétexte de compré-
soit pour en faciliter la lecture, soit pour le rendre plus pré- hension envers certains ego (2).
cis, plus convaincant. Soyons clairs : il n'y a jamais eu de - Avant de réviser un texte proposé à la FV, il
censure ni de censeurs au sein du CL, et il faut une sacrée devra être demandé à son auteur s'il accepte une révi-
dose de mauvaise foi pour prétendre le contraire, quoi sion, et si oui laquelle. En cas de refus, mention sera
qu'en pensent certains ego boursouflés qui, si on déplace faite de cette non-révision au bas dudit texte.
une virgule dans leur texte forcément génial, hurlent aussi- - Dans les cas où le CL acceptera de publier des
tôt aux ciseaux d'Anastasie. Quant à la crainte d'être textes déjà parus ailleurs, je ne participerai pas à leur
« censuré » qui expliquerait, selon certains, le faible révision puisqu'ils seront censés avoir été déjà révi-
nombre de contributeurs, qu'on me permette d'y voir plu- sés ; mention sera faite de cette non-révision au bas
tôt un bon prétexte pour ne pas, justement, contribuer – desdits textes.
par manque d'intérêt, par flemme, par procrastination ré- - Il va de soi que toute occurrence dans la FV de
pétée, etc. On a suffisamment répété qu'il n'était pas né- l'écriture prétendument « inclusive » se fera « à l'insu
cessaire d'être Hugo ou Voltaire pour s'exprimer dans La de mon plein gré ».
Feuille Verte et que le rôle du CL était justement, outre de
s'assurer qu'on ne défendait pas des points de vue incom- Je vous souhaite une bonne lecture (3). Et mer-
patibles avec l'éthique Verte (ça s'est vu !), d'aider à amé- ci aux contributeurs exceptionnellement nombreux de
liorer les articles avec le maximum de diplomatie, d'indul- ce numéro : l'abondance de leurs articles vient heu-
gence, de bienveillance (pour utiliser un mot à la mode) – reusement contrebalancer le pessimisme dont j'ai fait
toutes qualités dont certains nous accusent d'être dépour- preuve dans ces lignes.
vus...
4
J'ai déjà été assez long et ne détaillerai pas
Gérard Roy
plus. Simplement, ces histoires de pseudo-censure (pour
certains, on est la Pravda !) ayant joué un rôle certain dans
les désaccords dont j'ai parlé plus haut, et aussi parce que
ce genre de reproches gratuits me gonfle énormément, il
me paraît nécessaire de fixer de nouvelles règles venant
(1) Sans oublier le réabonnement systématique
compléter celles qui régissent déjà notre Feuille franc-
et les commentaires d'un lecteur... Lausannois
comtoise.
(Cf p 2) !
(2) Vous avez naturellement le droit de trouver
ça très con, mais c'est ainsi.
(3) Tout ce qui précède, évidemment, n'a de
pertinence que si EÉLV-FC confirme autrement qu'en
belles paroles l'intérêt de l'existence de La Feuille
Verte...
Jean Siron

SALUT, L'AMI !
Notre ami Jean Siron est décédé brutalement dans la soirée du samedi 24 octobre, à 64 ans, d'une rupture de l'aorte. Il
venait de prendre sa retraite, mais son activité militante restait intense. L'après-midi, il avait encore participé, à Belfort, à la
manifestation de soutien aux travailleurs de General Electric. Militant écologiste de longue date, Jean était membre du Con-
seil national statutaire d'EÉLV, instance qui veille à la conformité des décisions prises avec les règles de fonctionnement du
mouvement.
Nous exprimons nos condoléances attristées et nous manifestons notre solidarité à Guillaume, Nicolas, Bernadette,
Dominique et à toute sa famille. Nous publions ci-dessous l'hommage que lui a rendu Alain Fousseret à la cérémonie
d'adieu.
Le CLFV

Jean, ou plutôt Mon Jeannot Un autre événement que nous n’avons jamais ou-
blié fut le combat pour un ami, Philippe, qui, dans le
Il est des « vieux compagnons » que l’on n'oubliera
cadre de son service militaire, avait contribué à créer un
jamais et avec qui on comptait bien poursuivre le livre de
comité de soldats et s’était évidemment fait arrêter par
nos vies et de nos complicités.
les autorités militaires et mettre au cachot.
Aujourd’hui, nous sommes nombreux, nous tes
Immédiatement nous avions fait un tract pour de-
amis, à pleurer ton départ brutal, que nous étions inca-
mander sa libération, et avions commencé tous les deux
pables d’imaginer encore samedi dernier. Et là, tu nous
à le distribuer un vendredi soir aux jeunes soldats permis-
laisses, chacun avec nos souvenirs.
sionnaires devant la caserne de Besançon. Très rapide
Tu as toujours été un homme de convictions et d’en-
ment, la police militaire était venue pour
gagement. Notre militantisme a été
marqué depuis notre jeunesse de mille
nous évacuer, ce que nous avions refusé 5
sous prétexte que nous n’étions pas à leurs
histoires et petites anecdotes que l’on se
ordres. Et mon Jean, en belle technique
rappelait régulièrement tous les deux,
non violente, s’était couché sur le trottoir,
goguenards, un peu comme des anciens
refusant de se faire traîner au sol, et moi
combattants - que nous avions d’ailleurs
de gesticuler devant eux. Nous leur rappe-
refusé d’être par notre objection de
lions qu’étant des civils sur un trottoir pu-
conscience.
blic, nous n’avions pas à leur obéir. Cette
Toi l’insoumis, qui avais refusé
police militaire, pas très sûre de son droit,
de faire ton service d’objecteur à
avait finalement battu en retraite.
l’ONF parce que tu en étais déjà cadre
Bon, quelques minutes plus tard, ce fu-
salarié, tu avais choisi de faire tes 2 ans
rent les gendarmes qui nous interpellè-
au MAN (Mouvement pour une Alterna-
rent et prirent nos tracts en nous disant,
tive Non violente). Ce choix t’a coûté ton
« Évitez de les énerver, allez les distribuer plus loin »,
poste de cadre à l’ONF. Mais peu t’importait, tu as rebondi
nous avions donc fini à la gare de Besançon après bien
et tu as fait une autre carrière où tu as su à nouveau t’en-
d’autres péripéties ; mais là je dois faire court.
gager.
Toi qui avais caché un jeune soldat, qui était déser- Après cette jeunesse bisontine bien détermi-
teur et perdu car incapable d’accepter la logique militaire. née, nous nous sommes retrouvés à Belfort des années
On se souvenait de lui avoir expliqué qu’être déserteur, ce plus tard. Là aussi, tu as engagé tes convictions écolo-
n’était pas une vie, et nous l’avions tous accompagné, avec gistes et non violentes dans bien des combats, qu’ils
Huguette Bouchardeau, dans une gendarmerie de soient associatifs ou politiques, sans oublier ton désir
Besançon, pour qu’il se constitue prisonnier. Il en était d’aller à la rencontre des autres peuples avec ton sens du
ressorti quelques minutes plus tard, et nous étions tous voyage.
morts de rire : le chef gendarme étant absent, le planton
de service lui avait demandé de revenir le lundi suivant.
Ton engagement écologiste n’était pas des Tous saluent une belle personne et regretteront
moindres. Et tu as soutenu bien des combats, de Malville tes qualités de sérénité, de calme, de bon sens au mo-
à Flamanville, de Notre-Dame-des-Landes à Bure, sans ment de prendre des décisions.
oublier le Grand Canal. Encore des souvenirs d’anciens
Jean, nous n’avons jamais trop cru au ciel, toi et
combattants.
moi, ni au Paradis. Mais va savoir, si quelque chose existe
Mais à chaque fois que tu as occupé des responsabi- quand même, nul doute que l'on peut t’imaginer aujour-
lités, d’adjoint au maire à président du Syndicat des trans- d'hui au côté de notre vieil ami Louis Teknayan (notre
ports, tu as aussi montré que, lorsqu’un écologiste se re- prêtre ouvrier écolo parti il y a quelques mois en plein
trouve en fonction, il sait construire, dialoguer et con- Covid). On peut alors vous imaginer assis tous les deux
vaincre. Tu as ainsi œuvré avec intelligence et écoute pour sur un nuage et toi en train de le convertir à la dégusta-
changer ce monde, monde que tu viens de quitter si bru- tion d'un bon whisky irlandais : ce ne serait pas le pre-
talement. Tu peux être satisfait de toi et tes fils, Nicolas et mier que tu convertirais, d’ailleurs. Tout cela au milieu de
Guillaume, peuvent être fiers de leur père. vos bons gros rires tonitruants, mais en portant égale-
ment un regard tendre et bien inquiet sur la folie crois-
Depuis une semaine, le monde
sante du monde que vous venez de quitter.
de l’écologie est perdu et déraille un
peu car on sait que l’on vient de
perdre un grand compagnon.

Les témoignages arrivent de partout, bien sûr,


des amies et amis écologistes de Belfort, du Nord Franche
-Comté et de la région, tous bouleversés que nous
sommes, et des témoignages sincères qui nous arrivent, y
Jean, nous sommes fiers d'avoir été de tes amis et
compris de partenaires que nous avons pu trouver parfois
tu te doutes bien que l'on va continuer le combat.
« rocailleux ».
6
Arrivent aussi les témoignages des amis Verts que tu
as côtoyés dans tes fonctions nationales au sein de notre Alain Fousseret.
mouvement. De notre Secrétaire national, de nos députés
européens, mais aussi ceux des membres du Conseil sta-
tutaire, dont tu étais un membre éminent et apprécié.

Une nouvelle rubrique ?

LIENS UTILES
assez curieux pour taper au clavier un lien qui peut être
Pourquoi pas, dans La Feuille Verte, une rubrique
bien long.
« Liens utiles » , alimentée par les lecteurs au fur et à me-
sure de leurs trouvailles ? On attend vos idées. En attendant, donnons donc
l'exemple, avec un dossier d'une soixantaine de pages du
Gros avantage : cela permettrait à des gens qui
CESER (Conseil économique, social et environnemental
n'ont pas envie ou, à tort ou à raison, ne se sentent pas
régional) de Bourgogne-Franche-Comté, Comment accom-
capables d'écrire un « vrai » article, de contribuer malgré
pagner la transition vers une alimentation locale, bio et
tout à notre canard. Pas besoin de rédiger du texte, vu
durable en restauration collective : principaux enjeux, cons-
que dans le lien figurent un certain nombre d’indices qui
tats, descriptions des expériences de Lons et de Mouans-
disent de quoi il est question. Il faudrait présenter chaque
Sartoux, préconisations.
fois le sujet en quelques lignes, en essayant de http://www.ceser.bourgognefranchecomte.fr/sites/default/files/
« standardiser » un peu la présentation. Il est vrai que cela media/2020-10/Accompagner%20la%20transition%20vers%
est surtout valable pour une version électronique de La 20une%20%20alimentation%20locale%2C%20bio%20et%
20durable%20en%20restauration%20collective%20(rapport).pdf
Feuille Verte, tout le monde ne se sentant peut-être pas
Michel Chapuis
En temps de pandémie...

LA PLACE DU CITOYEN DANS LA


CRISE DU COVID-19
Nous traversons actuellement une crise majeure dans la durée et consolider les territoires. Bref, du positif
qui s’inscrit dans la durée. Sidérante, fulgurante, la pandé- émerge de la crise.
mie de Covid-19 divise sur les moyens d’y répondre. Alors
Le monde d’après
que le futur s’annonce incertain, le présent s’accompagne
de décisions structurantes pour le monde d’après. Dès Le Covid-19 a illustré les inégalités de plusieurs
lors, quelle place reste au citoyen pour s’exprimer dans manières. On peut voir que les territoires les plus touchés
cette crise sanitaire ? sont les plus pauvres, par exemple la Seine-Saint-Denis).
Ils sont ceux où l’accès à des soins de qualité est le plus
La démocratie en danger
difficile, ceux encore où le confinement est le plus difficile
Confinement, interdiction de rassemblement, à supporter du fait de l’urbanisation, ceux aussi où l’accès
port du masque : les populations ont subi une réduction aux outils numériques permettant l’éducation et l’emploi
drastique de leurs libertés, inimaginable dans nos démo- en période de confinement est le plus faible.
craties du XXIe siècle. Il fallait agir vite et empêcher le
La pandémie a montré qu’il était possible de faire
virus de circuler pour protéger la population, et le meil-
des choix forts et même radicaux en peu de temps. Alors,
leur moyen de le faire, c’est d’empêcher les êtres humains
quels choix de société allons-nous faire maintenant, alors
porteurs du virus de circuler. Dans l’incapacité qu’étaient
que la crise, économique celle-là, ne fait que commen-
les États à déterminer les porteurs, tout le monde a été
cer ? Des experts, des personnalités, des collectifs, des
forcé de rester chez soi.
institutions portent des propositions qui traitent de gou-
vernance, de justice, d’égalité, d’économie et de bien
d’autres choses. Leur objectif est de proposer un monde
7
bien meilleur et durable.

Ces restrictions de liberté se sont accompagnées


d’une rhétorique guerrière dans de nombreux pays, afin
de justifier l’état d’urgence et de fédérer les citoyens au- La place du citoyen
tour d’un objectif commun : venir à bout du virus. Un
Depuis le début de la crise, les experts sont mis en
risque de dérive autoritaire apparaît. Il est alimenté d’une
avant. Leurs connaissances appuient les décisions prises
part par la monté populiste amorcée avant la crise et ren-
dans le but de nous protéger. S’appuyer sur la science de
forcée par une crise de confiance entre les citoyens et
façon aussi massive est suffisamment rare dans la vie
leurs dirigeants, et d’autre part, par l’habitude prise des
démocratique pour être souligné. Reconnaître l’impor-
atteintes aux libertés ces derniers mois.
tance du savoir et de la connaissance est un pas vers la
À l’inverse, on redécouvre l’importance de l’État sagesse.
lorsqu’il fait preuve de leadership dans une situation de
Cependant, un expert est expert de son domaine
crise, ce, qui pourrait renforcer son rôle. Et par là même
d’expertise et pas de la complexité du monde. En re-
celui des citoyens grâce au processus démocratique. Avec
vanche, chacun est expert de son propre monde, de son
l’impossibilité de se déplacer, le local a été pour les ci-
vécu, de ses besoins et de son ressenti. Un infirmier qui a
toyens un outil de résilience fort, qui pourrait s’inscrire
affronté l’épidémie à l’hôpital dira des choses différentes
de celles du parent resté en télétravail avec ses enfants ou
de la restauratrice contrainte de laisser son restaurant
fermé. Le débat démocratique est là pour mettre en com-
mun toutes les expertises et permettre les arbitrages
entre citoyens aux situations et intérêts différents.
Crises sanitaires, crises environnementales, crises
sociales, crises économiques : aujourd’hui et demain, des
décisions importantes doivent être prises. Tous les acteurs
de la vie publique doivent se retrouver dans les débats qui
mèneront à ces décisions. La concertation, loin de dimi-
nuer le rôle de l’État et des institutions, les renforce en
légitimant leur action.
Même en situation de crise, la concertation s’im-
pose dans l’arbitrage des décisions (1).

Pierre Pécriaux

(1) Article inspiré par la revue de presse de l’ICPC


(Institut de la Concertation et de la Participation Ci-
8 toyenne), réseau d'acteurs de la participation (https://i-
cpc.org/participation-en-temps-de-crise/#Tribune).

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Biodiversité, paysages...

L'ARBRE ET LA HAIE : TOUS CONCERNÉS


Sous prétexte de permettre la mécanisation des
pratiques agricoles, des opérations de remembrement ont
eu lieu sur tout le territoire français durant les années
1960 à 1980. La France a ainsi perdu 2 millions de km de
haies, au rythme effréné de 45 000 km par an !
Un remaniement de grande ampleur du paysage
s’est traduit localement par le comblement et le drainage
de zones humides, par la rectification de chemins, talus,
cours d’eau, ainsi que par la perte d’une mosaïque de mi-
lieux où se côtoyaient céréales, prairies, vergers, arbres,
cultures maraîchères et élevage. Sauf exceptions, nous
sommes passés brutalement d’un foisonnement de petits
écosystèmes à de vastes étendues monoculturales avec
très peu d’obstacles topographiques.
L’arrachage des haies a complètement destructuré
les campagnes françaises : elles ont en effet continué à
régresser à un rythme de 15 000 km par an dans les an-
nées 1980-1990. Si leur linéaire semble se stabiliser à peu
près aujourd’hui, des actions de replantation se mettant
en place un peu partout, ces habitats restent toujours très
menacés ; les haies bocagères de Bourgogne-Franche-
Comté, entre autres, n’échappent pas à l’intensification de 9
l’agriculture et aux grands travaux d’aménagement, qui
conduisent à leur disparition progressive sur des centaines
de linéaires. Pour des raisons économiques, leur arra-
chage « à la hussarde » est de nos jours encore trop fré-
quent.

La destruction des haies porte un coup très


rude à la biodiversité. herbacée, est un réservoir végétal et animal où se crée un
équilibre écologique entre les différentes espèces. Les
La haie, alignement végétal composé d’arbres et
haies et les bosquets assurent également de nombreuses
d’arbustes se développant sur un tapis de végétation
autres fonctions d’intérêt général, agronomiques (coupe-
vent, contrôle des parasites), hydrologique, paysager, de
production (bois, fruits). En favorisant l’infiltration des
eaux de pluie et en protégeant les terres du vent, les haies
préservent la terre des risques de coulées de boue du fait
du ruissellement et de l’érosion éolienne. De ce fait, elles
limitent aussi les pollutions diffuses de l’air et des cours
d’eau engendrées par l’agriculture intensive, les haies si-
tuées le long d’un cours d’eau, ou ripisylve, jouant un rôle
d’épurateur et de rétention des berges. Les haies favori-
sent également la diversité biologique (habitat, refuge,
corridor écologique, etc.) et leur arrachage constitue une
cause majeure de la disparition des espèces.
Protéger les haies et les bosquets. milieux. La replantation de la haie peut ainsi être parfois
obtenue dans le cadre d'alternatives aux poursuites.
Pour le respect de la faune, notamment lors de la
nidification, et du cycle des végétaux, les travaux sur les Par ailleurs, à Rainans, les terrains communaux
haies sont formellement interdits entre le 15 mars et le de Chaudes-au-Loup, dans le périmètre du site Natura
31 août. Du fait de son statut, la haie est protégée et son 2000 « Massif de la Serre », sont voisins directs de ces
arrachage est soumis à autorisation. Il est indispensable de parcelles. Ils font l’objet d’une attention particulière.
contacter les services de la Direction Départementale des Dans le cadre du dispositif Espace Naturel Sensible du
Territoires (DDT) afin de s’assurer du cadre réglementaire Département du Jura, un projet de conservation de ces
avant toute intervention. Les infractions peuvent être cons- pelouses sèches et de valorisation est actuellement en
tatées par des agents assermentés appartenant aux ser- cours. Dans ce contexte bien particulier, il semble indis-
vices de l’État ou aux services du département chargés de pensable, en lien avec les instances représentatives de la
l’agriculture, de la forêt ou de l’environnement. L’Office profession agricole, d’asseoir à la même table toutes les
français de la Biodiversité contribue à l’exercice des polices parties prenantes. Une nécessité lorsque l'on sait que la
administrative et judiciaire relatives à l’eau (pollution de la destruction des habitats naturels est, avec le change-
ressource, atteinte aux zones humides ou littoral), aux es- ment climatique, la principale cause d'érosion de la bio-
paces naturels, à la flore et la faune sauvage (espèces gi- diversité et que cette destruction est en grande partie
bier ou protégées, lutte contre les trafics d’espèces), à la due à l'agriculture intensive. Un mode d'agriculture qui
chasse (contre-braconnage, renforcement de la sécurité à cumule les pratiques néfastes pour la biodiversité : utili-
la chasse) et à la pêche. sation systématique de pesticides, drainage des zones
humides, monoculture, prairies artificielles et destruc-
Mauvais exemple dans le Jura… parmi tant
tion des haies.
d’autres.
Mardi 14 avril 2020, vers 11 h, les habitants de
Rainans ont constaté un feu important au lieu-dit Les Cor-
vées rouges. Le brûlage volontaire, par jour de grand vent, Pascal Blain
d’un volume conséquent de branches et arbustes à proxi-
10 mité d’une grange abritant des chevaux a conduit à l’inter-
vention de la gendarmerie d’Orchamps et de l’Office fran-
çais de la Biodiversité pour obtenir l’arrêt des opérations.
Parce qu'ils offrent des fonctions multiples et
L’exploitant agricole a, semble-t-il, entrepris de réparer la
qu'il s'agit de milieux vivants, les haies et bosquets sont
clôture des parcelles qu’il a rachetées récemment. Le
repris au sein de différents codes réglementaires :
nombre d’ouvriers et d’engins présents sur place, ainsi que
- Au niveau environnemental, susceptibles
la rapidité de l’arrachage de plusieurs centaines de mètres
d’abriter des espèces rares ou fragiles, leur protection
de haies, préoccupent tout autant que le non-respect du
est prévue par les articles L411-1, L411-2, R411-1 et
cadre réglementaire (l’entrepreneur a affirmé être en son
R411-2 du Code de l'environnement. Ils peuvent bénéfi-
bon droit malgré la date des travaux et l’absence de toute
cier de mesures de protections renforcées dans le cadre
déclaration préalable et de demande de dérogation). L’OFB
d'arrêtés préfectoraux de protection de biotope. Le non-
devra déterminer s’il y a eu atteinte au site de repos ou de
respect de ces mesures de protection constitue des in-
reproduction d'une espèce protégée - probable en cette
fractions d'ordre délictuel (L415-3 du CE) ou contraven-
période de nidification. Le site pourrait abriter la pie-
tionnel (R415-1 du CE).
grièche grise, un passereau confronté à un risque très éle-
- La Politique agricole commune reconnaît le rôle
vé d'extinction au sens du classement de l'Union interna-
favorable des haies, ainsi que celui d'autres éléments
tionale de Conservation de la Nature (UICN).
topographiques, pour la biodiversité et encadre les pra-
D'autres moyens que la seule voie répres- tiques sur ces zones de transition. Le non-respect de
sive. cette réglementation peut entraîner des pénalités de 1 à
5 % des aides PAC.
Si la destruction de l’habitat d’une espèce proté-
- Le Code de l’urbanisme, dans le cadre des do-
gée constitue un délit (puni théoriquement d'une peine qui
cuments d'urbanisme, permet de protéger des haies
peut atteindre trois ans d'emprisonnement et 150 000 €
classées au titre du paysage ou du patrimoine dans ses
d'amende), la peine n'est pratiquement jamais prononcée.
articles L113-1, L151-19 et L151-23.
On recherche surtout, face à ce genre d'infractions hélas
trop fréquentes, la restauration de la fonctionnalité des
- Le Code rural et de la pêche maritime, dans son
titre consacré à l'aménagement foncier rural et dans le
cadre des baux ruraux, aborde également les haies et les
protections dont elles peuvent bénéficier dans les articles
L121-14, L123-8, L126-3, L411-28 et R121-20-1.
- Le Code de la santé publique s’assure de la pro-
tection de la qualité des eaux, dans certains périmètres de
protection de captage, par des prescriptions en faveur des
haies et de leur rôle épuratoire et antiérosif dans le cadre
de son article L1321-2.
- Le Code civil, dans ses articles 671 et suivants,
encadre les distances des haies entre propriétés voisines,
ainsi que leur entretien.

Urbanisme écologique

À BESANÇON ET AILLEURS

11

Imaginez une ville réconciliée avec le monde végétal, accueillante pour le vivant et s'inspirant du modèle de la
forêt. Aujourd’hui, les enjeux liés au changement climatique, à l’érosion de la biodiversité et aux questions de santé
croisent la redécouverte de solutions proposées par la nature, et en particulier par l’écosystème forestier. Permettre
la réconciliation de l’homme avec la nature sera sans doute une des solutions aux maux de nos sociétés urbaines.

Besançon, place Beauquier… « désimperméabilisation » des sols prônée par la nou-


velle municipalité.
Je passe régulièrement à pied par la place
Cela m’a fait
Beauquier, située juste à côté de l’avenue de Montjoux et
vraiment plaisir. J’avais
jouxtant le boulevard Winston Churchill. Les automobilistes
l’impression que les
l’apprécient beaucoup, du fait de sa situation proche des
arbres retrouvaient une
commerces de la rue de Vesoul, de sa gratuité et des
respiration. Cette poli-
grands platanes qui ombragent le site pendant l’été. Quelle
tique mise immédiate-
ne fut pas ma surprise de voir des ouvriers de la ville enle-
ment en place par la
ver le goudron qui montait à l’assaut des troncs et mettait
nouvelle équipe munici-
ainsi gravement en danger la survie de ces arbres, surtout
pale pour lutter contre
pendant les périodes caniculaires ! Un camion déchargeait
les îlots de chaleur
de la terre, pendant que d’autres employés dressaient des
et sauver la végétation urbaine, qui n’est pas assez irri-
bordures de délimitation autour de la végétation. Intriguée
guée par l’eau de pluie, m’a rendue fière d’être écolo-
par toute cette activité, j’ai interrogé un des ouvriers, qui
giste. Bravo à nos élus écolos pour leur action !
m’a répondu que cela entrait dans la politique de
… et dans les cimetières de ville-forêt. Il s’agit d’imaginer une ville réconciliée avec
le monde végétal, accueillante pour le vivant et s’inspi-
Par la même occasion, en recherchant un peu sur
rant du modèle de la forêt, où les écosystèmes forestiers
Besançon, j’ai découvert que les cimetières étaient aus-
et urbains pourraient ne faire plus qu’un.
si engagés dans la lutte contre le réchauffement des
villes. En 2018, grâce à l’action des élus écologistes de Les arbres y tiennent un grand rôle : séquestration
l’ancienne municipalité, deux cimetières bisontins ont du carbone, réduction de la pollution atmosphérique,
été labellisés ÉcoJardin (label de gestion écologique) : ombrage des bâtiments et réduction de l’énergie néces-
ceux de Saint-Ferjeux et de Champ Bruley. Des semis à saire à la climatisation, réduction des effets d’îlots de
dominante de graminées ont été choisis pour leur ca- chaleur, interception des eaux de pluie, habitats pour la
pacité à végétaliser des espaces à fortes contraintes, faune… et amélioration de la qualité de vie, du bien-être
leur résistance aux changements météorologiques et de la santé mentale des citadins.
(fortes chaleurs, sécheresses, pluies, etc.) et leur carac- Intéressez-vous au plan Canopée de Lyon. La ville
tère peu envahissant ; les espaces situés en dehors des de Bordeaux, avec son maire écologiste Pierre Hurmic, va
circulations, dans les angles des carrés du cimetière où lancer la création de micro-forêts sur des places ou pla-
personne ne circule, sont plantés avec des sedums cettes aujourd'hui bitumées .Ces micro-forêts, très den-
(Sedum album, Sedum acre…), végétaux moins résis- ses, empruntent à la méthode de reforestation dite natu-
tants au piétinement ; les inter-tombes sont désher- relle du botaniste japonais Akira Miyawaki : densifier au
bées manuellement, les allées enherbées. maximum, éclaircir après. Une « forêt » a été plantée
dans un quartier de Tokyo. Bref, le mouvement est mon-
dial.

Mais ne faisons pas n’importe quoi !


En effet, avec le réchauffement climatique, il faut
prévoir des espèces qui supporteront la chaleur et la sé-
cheresse. Les plantes dans les gros pots ne résoudront
rien. Il est nécessaire d’aider ces plantations dans leurs
12 premières années de pousse, donc de réfléchir à l’arro-
sage. Ce qui veut dire éventuellement penser à la récupé-
Cependant, les cimetières opposent de nom- ration de l’eau de pluie dans de grandes citernes, pour ne
breuses difficultés à la mise en place de pratiques sans pas avoir à utiliser l’eau du réseau dans les moments où
produits chimiques et plus respectueuses de la biodi- celle-ci se fait rare. Un arbre met du temps à pousser :
versité. Leur conception très minérale et la symbolique 30 ans pour qu’il puisse donner son maximum (1).
du lieu conduisent à ce que le moindre brin d’herbe qui
Quant à la végétalisation des façades d’immeubles,
pousse est perçu par les familles comme un abandon et
elle doit être prise en compte avec le poids du béton
un manque de respect envers les défunts. Enfin,
supplémentaire pour soutenir le poids de la terre. Res-
comme tout espace fortement minéral, les cimetières
tons-en aux grimpantes et à la bonne isolation fournie
absorbent les rayons du soleil, retiennent la chaleur et
par les matériaux de construction. Tous les quartiers ne
perturbent le petit cycle de l’eau.
se prêtent pas à la végétalisation forcée (architecture
La végétalisation et la gestion écologique des particulière, centres historiques). On peut aussi tendre
cimetières participent à la réduction des phénomènes des vélums par-dessus les rues pour procurer de l’ombre.
d’îlot de chaleur urbain et de ruissèlement et au déve-
Faisons appel au bon sens. Prenons déjà soin de
loppement de la trame verte au sein de la ville. Ces
nos beaux et grands arbres, plantons en connaissance de
espaces offrent de nouveaux nombreux habitats pour
cause aux bons endroits. Le vrai écologiste se doit d’être
la faune et à la flore.
un bon jardinier.
Partout ailleurs, en France et dans le
monde.
Suzy Antoine
Villes et forêts semblent appartenir à des re-
gistres qui s’excluent, opposition fondée, plus large-
ment, sur une séparation de l’homme avec le reste du 1) Le Monde des 15-16 novembre
vivant. On commence maintenant à parler du concept 2020, article d’Émeline Cazi
Science et Écologie

SPÉCIAL VACCINS
« Estimer correctement son degré d'ignorance est une étape saine et nécessaire. »

Hubert Reeves

En cet automne 2020, le débat est lancé sur la vac- Vaccins sous unités :
cination contre le coronavirus. Elle est présentée par la Ils sont basés sur une partie de la protéine seule-
plupart des dirigeants politiques comme un grand espoir ment.
pour venir à bout d'une pandémie qui malmène l'écono- Exemple : vaccin contre l'hépatite B.
mie et bouleverse la vie de l'ensemble des habitants de la Dans le cas du coronavirus, le système immuni-
planète. Mais elle est aussi l'objet d'hésitations, de réti- taire réagit à la protéine S, située sur l'enveloppe du
cences, voire de rejet de la part d'un grand nombre de virus. Cette protéine de surface est produite dans un
citoyens. Si l'on en croit certains sondages, plus de 50 % laboratoire et purifiée. Pour être active, c'est-à-dire pro-
des Français n'ont pas l'intention de se faire vacciner voquer la fabrication des bons anticorps, la protéine doit
contre la Covid-19. L'hebdomadaire Le 1 daté du être associée à un adjuvant. Sans adjuvant, la protéine
7 octobre 2020 a choisi ce thème d'actualité : « Vaccins, n'est pas reconnue par l'organisme comme agresseur.
c'est quoi le problème ? » pour essayer de faire le tour de Exemple de ce type contre le SARS-CoV-2 : celui
cette question controversée (1). En voici quelques élé- de la société américaine Novavax.
ments.
Vaccins basés sur des navettes de vecteurs vi-
1. Les quatre grandes familles de vaccins raux :
(Résumé de l'article de Vincent Bordenave, journaliste) On prend un virus non-pathogène, inoffensif, au-
quel on greffe un gène du virus qu'on souhaite com-
Un vaccin ne soigne pas une maladie, il entraîne
notre système immunitaire à y faire face. Quand nous
battre. Ce gène va induire la fabrication de la protéine S 13
par les cellules. Et la protéine S va provoquer la fabrica-
contractons une maladie microbienne, notre organisme
tion d'anticorps spécifiques anti-Covid. On produit alors
développe une réponse pour essayer d'en venir à bout,
une grande quantité du virus inoffensif modifié qui sert
en particulier il produit des anticorps pour neutraliser les
de vaccin.
microbes. Cette réponse est plus ou moins efficace selon
Exemples de ce type contre le SARS-CoV-2 : le
les individus et reste plus ou moins longtemps en mé-
vaccin du laboratoire AstraZeneca, réalisé à partir d'un
moire. Un vaccin imite ce processus en préparant l'orga-
virus de chimpanzé non-pathogène chez l'homme, et
nisme à une réponse efficace sans avoir été confronté à la
celui de l'institut Pasteur, réalisé à partir du vaccin de la
maladie. Il existe 4 stratégies différentes (on parle aussi
rougeole auquel on ajoute l'information génétique né-
de 4 plates-formes) pour obtenir cette réponse immuni-
cessaire à la production de la protéine S.
taire, et donc 4 types de vaccins :
Vaccins à ARN ou à ADN :
Vaccins basés sur un virus atténué ou inactivé :
C'est la plate-forme la plus classique, celle qui a Dans ce type de vaccin, on injecte directement
été développée par Pasteur dès 1885. Le virus est cultivé l'information génétique pour lancer la fabrication de la
dans des cellules, puis récolté. Il est ensuite malmené par protéine S par l'organisme. L'ARN produit en laboratoire
des produits chimiques pour le rendre inoffensif. Le vac- par fermentation va entraîner la production de la pro-
cin est une sorte de « soupe » de protéines issues du vi- téine S et celle-ci va provoquer la réaction immunitaire
rus, destinée à faire réagir l'organisme qui produit alors comme pour les autres vaccins. Comme l'ARN est une
des anticorps spécifiques, et à l'entraîner à neutraliser le copie de l'ADN, on peut aussi utiliser de l'ADN corres-
vrai virus. pondant, qui est un peu plus stable que l'ARN.
Cette technique nouvelle, utilisée pour la pre-
Exemples : vaccins contre la rougeole ou contre la
mière fois chez l'homme, est portée par l'entreprise
grippe.
américaine Moderna Therapeutics et deux entreprises
Trois candidats vaccins de ce type contre le SARS-
allemandes, BioNTec et CureVac.
CoV-2 sont développés par les sociétés chinoises : Wuhan
Institute, Beijing Institute et Sinovac.
2. Enjeu économique ou enjeu politique ? populations ont confiance en leurs gouvernants, il y a
(Résumé de l'article de Nathalie Coutinet, économiste) très peu de rejet. Parfois, ce n'est pas le vaccin propre-
ment dit qui fait peur mais son adjuvant, comme l'alumi-
nium, substance destinée à stimuler son action et dont
l'utilisation est controversée, surtout en France. Lors de
la vaccination contre la grippe H1N1, il y a eu des cas de
narcolepsie, qu'on a d'abord attribués à l'adjuvant avant
de s'apercevoir que c'était le mode de production du
vaccin qui était en cause.
Une autre raison de la méfiance à l'égard de la
vaccination contre le coronavirus est la rapidité de la
mise sur le marché du vaccin : un an contre au moins
trois ans, voire beaucoup plus, jusqu'à maintenant.
Les vaccins représentent entre 2 et 3 % du
D'abord, les laboratoires ont bénéficié des recherches
chiffre d'affaire du secteur du médicament. Globale-
sur les autres coronavirus. Ensuite, les différentes
ment, c'est un poids limité, sauf pour certains gros pro-
phases de tests ont été menées simultanément dès lors
ducteurs comme Sanofi ou AstraZeneca. La production
qu'il n'y avait pas de problèmes majeurs d'effets secon-
de médicaments est une activité très concurrentielle,
daires. Néanmoins, il reste des incertitudes sur deux
notamment parce que de nombreux pays souhaitent
questions : la durée de la protection immunitaire et l'ab-
conserver une industrie nationale. L'Europe, qui produit
sence de recul sur les effets secondaires – rares –, qui ne
70 à 80 % des vaccins, est un des leaders du marché,
se produisent pas immédiatement.
mais la tendance s'érode avec l'arrivée d'acteurs indiens
Jusqu'à maintenant, les études réalisées sur
et chinois et le « réveil » des Américains. La financiarisa-
l'efficacité des vaccins l'ont été sur 15 000 à 20 000 per-
tion de l'économie a conduit aussi à des délocalisations.
sonnes. Elles annoncent une efficacité de 90 à 95 %, ce
Il y a des enjeux financiers pour les grands labo- qui est très satisfaisant. Les vaccinations pourraient
ratoires. Mais les enjeux politiques semblent encore commencer en début d'année 2021 pour les soignants
plus importants. D'où un haut niveau de collaboration et les personnes âgées, en même temps que des études
14 internationale entre chercheurs, la mutualisation de complémentaires se poursuivraient. Mais la nécessité
certaines tâches et l'accès à des financements essentiel- d'avoir un peu plus de recul sur les effets secondaires
lement publics. La France, l'Allemagne, l'Italie et les rares devrait amener les autorités à demander une pé-
Pays-Bas ont passé des précommandes à des labora- riode supplémentaire de 2 ou 3 mois avant de prescrire
toires européens mais aussi américains. le vaccin à des centaines de millions de personnes.
Deux conceptions s'affrontent. En Europe, on en
est resté à la conception de bien public. AstraZeneca a
décidé que le vaccin serait vendu au prix coûtant et
Sanofi vient d'annoncer un prix compris entre 5 et 15 €
la dose. Au contraire, les Américains considèrent que la
santé est une marchandise et qu'il n'est pas honteux de
faire des profits dans ce domaine : Pfizer a fixé la barre
entre 50 et 60 € la dose. En Europe, la pression de l'opi-
nion publique a conduit les laboratoires à se soucier de
l'accès au vaccin pour le plus grand nombre, et l'UE a
annoncé qu'il y aurait des doses réservées aux pays du 4. Besoin de transparence (Résumé de l'ar-
sud. Mais si la production de vaccins ne suit pas la de- ticle de Lise Barnéoud, journaliste)
mande, on peut s'inquiéter de savoir si des pays comme Lise Barnéoud écrit : « Au pays de Pasteur, on
la Côte d'Ivoire ou la Thaïlande auront accès au vaccin… parle des vaccins avec dévotion ou avec haine. D'un côté,
3. Hésitation vaccinale (Résumé de l'interview on évoque des vaccins 100 % sûrs et efficaces et on dis-
de Marie-Paule Quieny, virologue, par Patrice Trapier) crédite ceux qui osent remettre en question cette belle
image en les présentant comme anti-science. De l'autre,
La vaccination est vue comme partie prenante
on affirme que ces injections nous affaiblissent, voire
du « système ». L'hésitation vaccinale augmente avec le
nous rendent malades, et on décrédibilise les experts et
rejet des gouvernants. Ainsi, au nord de l'Europe, où les
les chercheurs en les accusant de conflits d'intérêts.
Des deux côtés, on s'arrange avec la réalité, on simplifie C'est un médecin de campagne anglais, Edward
les discours et on s'enferme dans ses propres croyances. » Jenner, qui mit fin à cette pratique controversée en in-
Au lieu de mettre sous le tapis certaines contro- ventant la vaccination contre la variole. Jenner s'était
verses comme celle de l'aluminium comme adjuvant, rendu compte que certains paysans étaient résistants à
pourrait-on regarder ce que la science nous dit ? Et me- la variole et que cette protection était due au fait qu'ils
ner un dialogue sur les faits, même s'ils ne concernent avaient contracté antérieurement une maladie bénigne
qu'un très faible pourcentage de la population ? La vacci- des vaches appelée « vaccine » (du latin vacca, vache).
nation est victime d'un manque d'informations, et parfois En 1796, Jenner eut l'idée de prélever du pus sur une
de cachotteries. Nous avons besoin de pouvoir accéder à pustule de vaccine et de l'injecter à un jeune enfant, qui
l'ensemble des données. Et Lise Barnéoud conclut : «La eut alors quelques boutons. Deux mois plus tard, Jenner
transparence sur les essais cliniques, mais aussi sur les « variolisa » l'enfant, chez qui la maladie ne se déclara
contrats passés entre les industriels et les États, ou encore pas. Jenner avait ainsi montré que la maladie des vaches
sur le coût de ces vaccins, est indispensable. » protégeait bien de la variole : il avait inventé la
« vaccination », et vacciner veut donc dire au départ
RÉFLEXIONS À PARTIR DE L'HISTOIRE
« donner la vaccine ».
Il y a moins de deux siècles, l'humanité connaissait Mais la vaccination contre la variole comportait
encore de grandes épidémies, qui faisaient de véritables des risques bien réels : en France, on a compté 30 morts
hécatombes dans la population. Ainsi en était-il de la liés aux complications de cette vaccination entre 1968 et
peste et de la variole. Mais une des dernières grandes 1977. Cela représentait 6 décès par million de vaccinés
épidémies fut celle de la grippe espagnole,, qui fit envi- alors qu'il n'y avait plus aucun mort de la variole. La
ron 50 millions de morts, juste après la guerre de 14-18. crainte s'inversa. Autrement dit, le risque lié à la vaccina-
C'est en 1980 qu'a été annoncée officiellement l'éradica- tion devint supérieur au risque d'attraper la maladie.
tion de la variole. Mais je me souviens de la dernière épi- Dans cette question de la vaccination, nous sommes
démie de cette maladie, en Bretagne, de décembre 1954 toujours confrontés à la balance bénéfices / risques.
à mai 1955. Elle causa la mort de 20 personnes sur 98 Même si les vaccins sont devenus beaucoup plus sûrs –
cas. Etant gamin, je me rappelle aussi avoir eu peur de on ne compte aujourd'hui que quelques cas de complica-
contracter la poliomyélite parce que plusieurs enfants de tions graves sur 100 000 vaccinations –, le risque n'est
mon entourage étaient paralysés après en avoir été pas totalement nul, même s'il n'a plus rien à voir avec le 15
atteints. Autre exemple : en 1935, un frère de ma mère risque pris pour la variolisation. Ceux qui refusent de se
est mort, à l'âge de 20 ans, de la tuberculose. Il y a eu de faire vacciner pour éviter tout effet secondaire en faisant
tels progrès en matière de santé en un siècle, que nous valoir leur liberté individuelle acceptent le risque d'attra-
avons un peu oublié tout ça. per la maladie. Le problème, c'est que les non vaccinés
Une épidémie de variole causait une véritable pa- facilitent aussi la propagation de la maladie dans l'en-
nique parce que la mortalité atteignait parfois 30 %. En semble de la population.
1716, Mary Wortley Montagu (2), une aristocrate an- En conclusion, réfléchir à l'opportunité d'une
glaise qui accompagnait son mari diplomate à Constanti- vaccination, c'est prendre en compte la balance béné-
nople, découvre un étrange moyen de lutter contre la fices / risques, mais c'est aussi se confronter au conflit
variole : la variolisation. On introduit dans une petite entre bénéfice individuel et bénéfice collectif. Cette ré-
blessure du pus de varioleux atteint d'une forme moins flexion nécessite une totale transparence sur toutes les
grave de variole et cela déclenche une forme atténuée de données, aussi bien sur les avantages de la vaccination
la maladie. Quand ils résistent à cette opération, les en- en matière de santé publique que sur les effets secon-
fants « variolisés » deviennent résistants à l'infection, daires éventuels.
mais il y a tout de même 1 à 5 morts sur 250
« variolisés ». Miss Montagu fit varioliser ses deux en-
fants en bravant les médecins, et aussi l'Église qui consi- Gérard Mamet
dérait que c'était une entrave à la Providence. Les deux
survécurent. Le choix était cornélien puisqu'il s'agissait
de prendre ou non un risque élevé pour ses enfants en
vue de les protéger contre un risque plus grand encore,
mais pas immédiat. Grâce à Miss Montagu, la variolisa- 1) Le 1, n° 317, mercredi 7 octobre 2020.
tion se développa aussi en Europe. 2) Lise Barnéoud, Immunisés ? Un nouveau re-
gard sur les vaccins, Premier Parallèle, juillet 2017.
Les voyages forment la jeunesse

À QUATRE-VINGT-CINQ ANS,
CAP SUR LES ANTIPODES
SACRÉ LÉON !
Le tour du monde en solitaire de Léon Schaal, c’est le couronnement d’une vie cosmopolite partagée entre l’Alsace, la
Lorraine, la Franche-Comté… et la Centrafrique. C’est là qu’il avait débarqué à l'âge de vingt ans, en « devançant l’appel » pour
ne pas être obligé de faire la guerre en Algérie – prémices d'une vie de militant pour la non-violence. Par la suite, il est souvent
revenu vivre en Afrique, participant entre autres à la construction d'une école ou d'une maison pour la promotion des femmes.

À Besançon, dans les années 1975, c'est au PSU (la « deuxième gauche » de Rocard) que j'ai découvert Léon, aux débuts
de la lutte anticanal Rhin-Rhône. Nous avons cheminé de concert jusqu'à la création d'une liste écolo aux municipales de 1983,
avec Alain Fousseret et Dominique Voynet, avant de participer à la création des Verts… et de rester fidèles à EÉLV, 36 ans plus
tard.

Léon est très marqué par les bateaux : dès les années cinquante, paquebots pour l'Afrique ; plus tard, et encore dans son
tour du monde actuel, passager exceptionnel de cargos. Mais surtout, pendant plus de vingt ans, il y a sa péniche Nadia, qu'i l
est allé chercher – peur de rien ! – à Anvers, et qu'il a aménagée en outil d'insertion pour jeunes en difficulté. Habituée des ca-
naux à petit gabarit, elle a parfois abrité nos manifs… contre le Grand Canal.

Aujourd'hui, on a enterré le « projet dément », et Léon a vendu la Nadia à son fils (il a deux autres enfants, six petits-
enfants et tout juste une arrière-petite-fille). Mais l'aventure n'est pas finie ! C'est à vélo (!) que, début juillet 2019, il a entamé
vers le nord son grand périple, avant de rejoindre le Danube en bateau-stop. Après, il a fait le pari de visiter un maximum de
petites structures paysannes qui font de l'accueil (le réseau Accueil paysan lui est cher de longue date). Le tout, sans parler un
traître mot d'anglais.
16
Léon, s'il te plaît, continue à nous étonner !

Pierre Parreaux

Péniche Nadia anticanal lors d’une


sortie vélo en 1984

La parole est à Léon vers l'est. J'avais pensé utiliser divers moyens de transport,
mais après avoir atteint ce pays bizarre qui s'appelle en
Dans deux mois, je serai du côté de ceux dont on français E.A.U., pour Émirats Arabes Unis, « on » m'a dit
ne s'occupe plus car ils ont dépassé la limite : 85 ans. Je qu'il fallait prendre l'avion, et toujours l'avion. J'ai dû faire
crois pourtant fermement à la possibilité d'une vie, dans avec et j'ai pris l'avion pour une dizaine d'étapes, la
la sérénité et sans ambiguïté, au delà de cette ligne. Mais dixième étant l'arrivée à Tahiti… la veille de mon départ de
j'ai compris qu'il fallait que je parte avant d'atteindre cet Nouvelle-Calédonie. Pour ceux qui s'en étonneraient, c'est
âge fatidique, sinon il serait trop tard. Et je n'ai pas re- la magie des fuseaux horaires qui m'a permis, une fois dans
gretté ce départ, effectivement précipité, sans la moindre ma vie, d'arriver la veille de mon départ…
préparation, pour un tour du monde à l'envers, toujours
Six jours avec l'équipage d'un cargo attaché des deux côtés par des cordages d'une longueur
de quelque 100 mètres. Je n'ai pas quitté le bateau, car
Comme je n'ai pas trop envie d'évoquer ce qui
j'ai voulu assister aux opérations de déchargement et
s'est passé avant, venons-en à ma grande tournée dans
rechargement, y compris des barges qui font la liaison
l'Océan Pacifique, à partir de Tahiti et en passant par plu-
avec le petit quai, et ça m'a passionné.
sieurs îles, dont Ua Pou, dans l'archipel des Marquises
(1). Après un premier confinement à Tahiti, de mars à Chez le grand Jacques
juillet 2020, une « ouverture » s'est présentée pour re-
J'ai débarqué sur l'île de Ua Pou le 13 août, et
prendre la route : la possibilité de prendre un cargo mixte
j'ai fini par trouver un super endroit à flanc de colline,
de 128 m de long et 22 m de large, l'Aranui 5, et j'ai em-
chez un couple mixte franco-marquisien, Michel et Ju-
barqué pour l'île de Ua Pou le 8 août. Au cours de ce
liette. Ils hébergeaient aussi un autre couple, Moni et
voyage de six jours, en tant que passager « local », j'étais
Irène, sorte de mélange local. Ce fut une chance fabu-
logé au troisième étage, les autres niveaux étant totale-
leuse de séjourner avec eux dans ce chalet en cours de
ment hors de portée de mon budget. Le plus luxueux des
finition, avec une vue imprenable sur la chaîne de mon-
niveaux était occupé par le Haut Commissaire, qui nous a
tagnes qui entoure la Baie de Hakahau, là où se trouve le
octroyé, tout au début du voyage, un sermon officiel
port où j'ai accosté. Encore un grand merci à eux, chez
Covid.
qui j'ai habité du 13 août au 21 septembre, comme dans
un cocon.

Et puis, comme à nouveau je n'avais pas la possi-


bilité de prendre un bateau, le 21 septembre, j'ai pris un
petit coucou, et après 33 minutes d'un vol assez sportif,
j'ai atterri sur le petit aérodrome de l'île de Hiva Oa. Là,
j'avais une mission précise à accomplir sur la tombe du
grand Jacques Brel. Comme de nombreux fans, j'ai dépo-
sé des pierres immortelles sur lesquelles j'avais écrit des
choses comme : « Au nom de tous les Jacques du
En fait, j'ai partagé la vie des 70 membres d'équi-
page, ce que j'ai vraiment apprécié, et j'ai eu relative-
monde » ou « Merci pour Vesoul » ; même Gégé y est. 17
J'ai laissé aussi d'autres inscriptions plus personnelles.
ment peu de conversations avec les 75 passagers.
J'ai rencontré plusieurs personnes qui ont connu Brel ici
Quelques échanges verbaux ont néanmoins été pos-
et qui m'ont raconté des anecdotes. Ce furent de grands
sibles, entre autres avec l'infirmière de bord, qui faisait sa
moments. Et encore les jours suivants, j'ai appris de
première navette et qui assurait la liaison entre l'équi-
nouvelles histoires le long de la route qui mène chez la
page et les passagers. La cantine, genre self-service, était
grande famille marquisienne, simplement en discutant
variée et le cuisinier chinois sympathique. Mais c'était
avec les gens de passage et les habitants. Cette famille
évidemment très différent du grand service pour les pas-
habite au fond d'une vallée, juste en dessous de la mon-
sagers. La mer était plutôt calme, avec des petits roulis et
tagne emblématique de l'île de Hiva Oa, Témetiu, qui
tangages, mais j'ai dû tout de même prendre une pilule
culmine à 1 212 mètres
contre le mal de mer, presque le seul médicament en
17 mois, depuis mon départ.

Départ l'après-midi du 8 août de Papeete, et pre-


mier arrêt sur l'atoll de Fakarava pour permettre aux pas-
sagers de se dégourdir un peu les jambes, après 16
heures de navigation. Puis, après une journée entière et
deux nuits, nous sommes arrivés à Nuku Hiva, la capitale
des îles Marquises (317 km2) : petite sortie pour moi.
C'est là que deux jeunes co-passagers sont descendus
pour y rester un temps long sur des fermes pratiquant la
permaculture. Nous étions le 11 août, il me restait en-
core deux jours à bord, mais très peu de navigation. Les
autres îles étaient proches, de l'ordre de 30 km, et les
arrêts très longs à cause du déchargement du fret, sur-
tout sur l'île de Ua Huka, où le cargo est resté au large,
Un décor de rêve… pas toujours écolo (1) L'archipel des Marquises est l'un des cinq archi-
pels de la Polynésie française. Il est formé d'une multitude
Pour terminer mon récit, j'aimerais parler un peu
d'îles volcaniques, réparties sur une surface de 20 000 km 2.
d'écologie. Ma première impression est plutôt négative :
d'Océan Pacifique, mais dont le total des terres n'excède
ici, les gens s'acharnent à couper l'herbe jusqu'à détruire
pas 1 000 km2.
les racines ; à Hua Pou, quand l'hélicoptère atterrit sur le
stade, il soulève un énorme nuage de poussière. Et c'est
pareil ailleurs, comme si l'herbe était un poison ou je ne
sais quoi. De même à Tahiti, j'ai vu utiliser du Roundup
pour les mêmes raisons. Et alors on brûle et on brûle en-
core, sans aucune tentative pour constituer de l'humus. Et
les potagers sont quasi inexistants. Mais heureusement, la
nature fait bien les choses, car les pentes sont telles
qu'elles sont inaccessibles, donc la végétation luxuriante y
a libre cours. Côté très positif aussi, on a un peu partout
des arbres et des haies en fleurs qui donnent l'impression
que les plantes peuvent se multiplier presque à l'infini.
Des gros arbres comme les manguiers ou les cocotiers,
d'une hauteur impressionnante, retiennent la terre contre
l'érosion et ma grande peur était de recevoir une noix de
coco sur la tronche !

Et sur l'océan, dans ce décor de rêve, on peut voir


parfois naviguer des pirogues à balancier qui font des
courses d'une île à l'autre.

À suivre.

18
Léon Schaal

Europe Écologie Les Verts de Franche-Comté


(77, Grande Rue 25000 Besançon)
Directeur de publication : Gérard Roy
Comité de lecture : Gérard Mamet, Gérard Roy,
Suzy Antoine, Michel Boutanquoi
CPPAP: 0523 P 11003
Maquette : Corinne Salvi Mise en page : Suzy Antoine
Imprimé sur papier recyclé
par les soins d’Europe Écologie Les Verts de Franche-Comté
ISSN 1169-1190
Humains ou simples dossiers ?

LA PRÉFECTURE DE BESANÇON,
INSENSIBLE AUX QUESTIONS HUMANITAIRES
Pierre Couchot est membre et militant du CDDLE (Collectif de Défense des Droits et des Libertés des Étrangers) de
Besançon. Dans une lettre ouverte au Préfet, en évoquant deux cas dramatiques, l'un récent, l'autre un peu plus ancien, il
s'insurge contre des comportements inhumains du représentant de l'Etat. Dans les deux cas, non seulement le Préfet n'a
fait preuve d'aucune compassion à l'égard d'une personne gravement malade et de sa famille, mais il n'a même pas res-
pecté la loi puisque sa décision a été cassée par le Tribunal Administratif. Face à de telles dérives, qui pourrait encore pré-
tendre que la France est la « patrie des Droits de l'Homme » ?

Le Comité de Lecture

Besançon, le 12 novembre 2020

Monsieur le Préfet

Depuis 20 ans, je suis militant du Collectif de Défense des Droits et des Libertés des Étrangers (CDDLE Besançon).
Depuis 20 ans, j’en ai vu, des situations d’étrangers à défendre, face à des lois et codes de plus en plus durs les uns que
les autres à mesure que le temps et les gouvernements passent.
Mais depuis quelque temps, des lignes rouges sont parfois franchies par la Préfecture du Doubs, pratiques qui sont in-
supportables et inacceptables. Se taire et ne pas réagir signifierait pour moi une forme de résignation et même de démission.
Car ce qui est insupportable aujourd’hui devient supportable demain. Se taire est un encouragement à franchir ces lignes de
plus en plus souvent.
Vous traitez trop souvent les étrangers comme des dossiers, dans lesquels ils sont enfermés, sans prendre en compte que ces
étrangers sont avant tout des êtres humains. 19
« On reste par-dessus tout des êtres humains », m’a écrit récemment un de vos collaborateurs. Le terme « on » englobait cer-
tainement dans sa pensée : nous tous, français et étrangers, quel que soit leur statut.

Betina et Ardita Jakupi, deux sœurs, jeunes femmes de nationalité́ kosovare, sont venues en France en 2016.
Elles ont été́ très vite déboutées du droit d’asile. C’est à ce moment-là̀ que je les ai suivies dans leur parcours.
Subitement, la santé de Betina se dégrade. Suivie au CHU de Besançon, une greffe du cœur est envisagée, greffe qui
doit être faite au CHU de Dijon. Betina a alors obtenu un droit au séjour au titre de la maladie.
Dans l’attente de la greffe, Betina est appareillée d’une pompe de circulation de sang externe, système qui nécessite une sur-
veillance et un suivi 24 h sur 24. L’appareil peut tomber en panne et il faut alors prévenir immédiatement le CHU.
Ardita effectuait ce travail de surveillance et s’occupait de sa sœur - à l’autonomie très réduite - dans tous les actes de la vie
courante. Mais Ardita faisait plus que cela : aider moralement Betina en échangeant dans sa langue, la soutenir avec toute
l’affection qu’on peut donner à sa sœur dans cette perspective d’une greffe de cœur, épreuve très difficile à traverser. Ainsi
Betina ne se sentait pas seule. Aucun personnel soignant ne pouvait remplir pleinement ce rôle. Dans les batailles juridiques,
le droit derrière lequel vous vous retranchez (et que parfois vous outrepassez) est trop souvent aveugle à ce genre d’argu-
ment.
Vous étiez au courant de cette situation et vous n’avez pas hésité́ à faire exécuter un premier arrêté́ d’expulsion émis par vous
à l’encontre d’Ardita : le 7 janvier 2019, la police est venue la chercher pour l’expulser vers le Kosovo. Intervention devant
Betina, qui est restée traumatisée pour le restant de sa vie par cet évènement.

Emmenée au Centre de Rétention Administrative de Metz, Ardita devait être expulsée par avion le lendemain matin.
Un incident a retardé cette expulsion. Le juge des Libertés, qu’on a eu le temps d’alerter et d’informer de la situation, ordonne
la libération immédiate d’Ardita. Cette jeune femme de 25 ans, seule et sans argent, est relâchée à 22 h du Centre de Réten-
tion, situé dans une banlieue de Metz qu’elle ne connaissait pas. Des bonnes volontés de Besançon sont venues la chercher à
Metz au cours de la nuit. Ces pratiques sont, il est vrai, maintenant monnaie courante. Voyez, on s’habitue à tout.

Ardita a demandé par la suite auprès de vous un réexamen de sa situation, dans le cadre de circonstances exception-
nelles et humanitaires. Vous aviez le pouvoir de la régulariser ou à tout le moins de lui fournir une Autorisation Provisoire de
Séjour, ce qui la plaçait en situation régulière. Et là, en toute connaissance du contexte, vous remettez le couvert : nouvel arrê-
té́ d’expulsion en date du 9 juillet 2019.
Depuis ce jour là, Ardita et Betina ont vécu dans la peur permanente d’une nouvelle descente de police dans leur appar-
tement.

En mars 2020, Betina est admise au CHU de Dijon pour la greffe du cœur. Des complications pulmonaires, rénales
et gastriques ont suivi cette opération. Depuis le mois de mai, Ardita allait voir Betina deux à trois fois par semaine à Dijon, en
prenant le train, avec la peur au ventre de se faire contrôler par la police tout au cours du trajet. Betina vivait aussi du fond de
son lit d’hôpital cette hantise : « Si tu es prise par la police, je n’aurai plus personne » , disait-elle.

Betina n’arrive pas à remonter la pente et décède le 30 octobre. Ardita, dans son chagrin, s’occupe du rapatriement de
sa dépouille au Kosovo. Elle dit qu’elle n’a plus aucune raison de rester en France, et veut accompagner Betina dans son der-
nier voyage. Sans papiers, elle va chercher elle même le lundi 2 novembre au Consulat du Kosovo de Strasbourg un « laisser
passer consulaire » qui lui permet de franchir les frontières. Ce papier que, d’ordinaire, vous vous procurez auprès des ambas-
sades et consulats avant d’expulser une personne dans son pays d’origine.
Ardita s’est envolée le mercredi 4 novembre de Bâle-Mulhouse à destination de Pristina, accompagnant la dépouille de
sa sœur dans la soute de l’avion.

Ardita Jakupi est une jeune femme très courageuse, qui n’a pas hésité à sacrifier 4 années de sa jeunesse pour sa sœur
Betina. Elle remercie toutes les personnes, médecins et personnels hospitaliers qui se sont occupés d’elle sans compter. Elle
remercie aussi toutes ces personnes qui les ont accompagnées du mieux qu’elles pouvaient tout au long de ce séjour en
France. Grâce à ces personnes, elle gardera malgré́ tout une bonne image de notre pays. Malgré́ tout, c’est à dire malheureu-
sement malgré́ vous et vos décisions à son égard, dénuées de toute humanité́.

Cette histoire m'en rappelle une autre, plus ancienne, qui témoigne également du traitement « administratif »
que vous faites parfois subir aux étrangers, sans aucune humanité́.
20 C’était il y a trois ou quatre ans. Vous n’étiez pas Préfet du Doubs, mais M. Jean-Philippe Setbon, à qui votre prédéces-
seur et vous-même avez délégué́ une partie de vos pouvoirs, était déjà̀ en poste, agissait et agit toujours au nom du Préfet.

M. Khachatur Nikoghosyan et son épouse venaient d’arriver d’Arménie avec un visa italien, pour demander l’asile pour
les mêmes raisons que leurs deux enfants - résidant à Besançon sous le statut de refugiés - qui les hébergent. Naturellement,
avec ce visa italien, lui et son épouse sont placés sous procédure Dublin à destination de l’Italie, pays où ils doivent être expul-
sés pour y demander l’asile.
La santé de M. Nikoghosyan se dégrade très vite : trois AVC consécutifs le font passer de l’état de personne valide à l’état de
grabataire à demi conscient dans un fauteuil roulant poussé par ses enfants et son épouse. La préfecture a été́ tenue au cou-
rant de son état de santé très dégradé́.

C’est dans cet état qu’on le présente au Commissariat de Besançon, accompagné de son épouse et de ses deux
enfants, pour répondre à une convocation de la Préfecture afin de lui notifier, ainsi qu’à son épouse, la décision d’expulsion en
Italie. J’ai pu assister à l’entretien qui a eu lieu dans une alcôve du hall du Commissariat. La personne représentant la préfec-
ture ne bronche pas et ne semble pas le moins du monde ébranlée quand elle voit l’état de M. Nikoghosyan. La procédure est
bâclée, avec un interprétariat téléphonique quasiment inexistant. M. et Mme Nikoghosyan ont eu 48 heures pour faire appel
en référé́ de cette décision au Tribunal Administratif.

Devant cette juridiction, le juge pose une seule question au représentant de la Préfecture : « Avez vous prévenu les
autorités italiennes de l’état de santé de M. Nikhogosyan, afin qu'il soit pris en charge à sa descente d’avion ? » La préfecture
ne peut présenter aucun document démontrant ces démarches.
Rien n’avait été́ prévu. Le juge casse la procédure Dublin. M. et Mme Nikogosyan ont pu demander l’asile en France. Quelques
mois après, M. Nikoghosyan décède des suites de sa maladie.

En toute politesse, Monsieur le Préfet, j’ai l’honneur de vous saluer, présentement sans autre formule de cordialité́ ni
respect.

Pierre Couchot
Portrait bisontin

HENRI HUOT, LE PÈRE DU RMI


Avec la pandémie liée au coronavirus, de nom- humaine à tous ceux qui se trouvaient dans la difficulté.
breuses personnes voient leurs revenus diminuer et / Par exemple, pour pouvoir se procurer à manger à Be-
ou leur emploi disparaître. La pauvreté s’accroît dans sançon, il fallait présenter un bon de vivres, alors délivré
notre pays ; les départements vont avoir à gérer un par le Bureau de Bienfaisance. Ce n’était ni plus ni moins
afflux de candidats au RSA (Revenu de Solidarité Ac- que de la charité, certes d’origine municipale, mais de la
tive). charité quand même, ce qui était extrêmement humi-
Au cours d’une conversation avec un ami implan- liant. Henri Huot a donc remplacé cela par une allocation
té à Besançon depuis longtemps, j’ai appris que l’an- en argent : un minimum social garanti (au début pour les
cêtre du RSA, c’est-à-dire le RMI (Revenu Minimum personnes du troisième âge, puis étendu ensuite aux
d’Insertion) avait vu le jour dans cette même ville en femmes seules, veuves ou divorcées, en situation diffi-
1968, sous l’appellation « Minimum social garanti ». cile), en 1968, alors qu’il avait été nommé adjoint chargé
C’est Henri Huot, alors adjoint aux affaires sociales, qui « de la famille et des bureaux de bienfaisance ». Ce con-
en avait été l’initiateur. cept préfigurait, de manière plus ambitieuse, le RMI
Or, il s’avère que cela fait exactement 20 ans (le d’État de la fin des années 80, pour lequel il fut d’ailleurs
16 novembre 2000) que cet homme, qualifié par ses consulté par le gouvernement dirigé par Michel Rocard,
proches de généreux et tolérant, est décédé. Je profite Premier ministre de cette époque. Le CCAS de Besançon
donc de cette occasion pour le rappeler à notre mé- (Centre communal d’Action sociale), l’un des tout pre-
moire, sachant que la Franche-Comté et Besançon en miers en France, fut en bonne partie son œuvre. Parallè-
particulier ont souvent été des terres à l’avant-garde du lement, Henri Huot participa à l’activité de nombreuses
progrès social. associations à vocation sociale comme le CAL, créé en

Henri Huot est né le 24 mai 1913 à Essey-


octobre 1963 et devenu « Habitat 25 » (d’ailleurs récem- 21
ment cédé à un organisme privé, Néolia).
les-Eaux, en Haute-Marne. D’abord instituteur dans ce
même département puis dans le Doubs, il est ensuite On peut encore citer d’autres de ses réalisa-
nommé professeur de collège à Besançon. C’était un tions, tant son dévouement envers ses concitoyens était
résistant à l’oppo- grand :
sant nazi. Après - pour les personnes âgées : les logements foyers,
sa rencontre avec l’office des personnes âgées de Besançon,
Jean Minjoz, dé- - en faveur des femmes seules, veuves ou divor-
puté maire de cées en situation difficile : l’association Solidarité
Besançon et fi- Femmes, l’œuvre le Roseau,
gure historique - en faveur des handicapés : le CAT (Centre d’aide
du socialisme par le travail, devenu le CHAT, Centre des handicapés au
comtois, il de- travail),
vient un militant - en faveur des migrants et travailleurs étrangers :
socialiste et un les HLM pour les rapatriés d’Algérie, les cités de transit
franc-maçon. Il pour les harkis.
exerce un certain nombre de responsabilités, dont celle Henri Huot laisse l’image d’un homme de rigueur,
de secrétaire de la section SFIO de Besançon de 1949 à droit, fidèle dans ses engagements, tolérant, sans fai-
1951, de président départemental du mouvement blesse toutefois. Il me semble que cela s’appelle «un hu-
« Horizon 80 » (1), de conseiller municipal de Besançon maniste ».
de 1953 à 1959, d’adjoint au maire de 1959 à 1977, de
premier adjoint de 1977 à 1983 ; de membre de la direc-
Suzy Antoine
tion de l’Union nationale des Bureaux d’aide sociale.

Cet homme était motivé dans ses activités (1) En 1963, mouvement en faveur de la candida-
par le très grand souci d’assurer le respect de la dignité ture de Gaston Deferre à la présidence de la République.
Choqués aujourd'hui, et demain ?

POUR L'ÉGALITÉ DES DROITS ET


CONTRE LE CONFINEMENT SANS TOIT
Actes 1 et 2, Campagne pour la régularisation. certaines depuis des années, sans papiers et donc sans
Acte 3, Marche des Solidarités droits, mais non sans courage ni sans implication dans
divers secteurs de notre société pendant la période
Depuis plusieurs mois, des organisations, des collec-
actuelle.
tifs, une centaine de parlementaires, des maires, des avo-
cats et personnalités du monde culturel ont dénoncé les Par ailleurs, aujourd'hui, des dizaines de milliers
inégalités dans notre société et mis au centre de leur ac- de femmes, d’enfants et d’hommes continuent à ris-
tion l'accès aux droits fondamentaux pour tous, et particu- quer leur vie sur les routes de la migration, victimes
lièrement pour les personnes administrativement et maté- des politiques meurtrières de fermeture des fron-
riellement précaires que sont les sans-papiers. Sans droit tières, alors même que l’État français est en partie
au travail, il est difficile d'échapper à l'exploitation. Les responsable de guerres et de partenariats écono-
migrants d'hier, déboutés de l'asile ou pas et dans l'impos- miques contestables qui provoquent leur exil. Les mi-
sibilité de rentrer chez eux, se sont intégrés à leur façon, grations sont ainsi le fruit de déséquilibres mondiaux
souvent grâce au travail au noir, depuis plusieurs années. et nationaux grandissants, qui ne cesseront pas avec
Cependant, sans droit au travail, il est bien difficile de simples fermetures de frontières.
d'échapper à l'exploitation.

En France, face à l'inaction du gouvernement, la


Marche des Solidarités et les États généraux des Migra-
22 tions ont coorganisé la campagne nationale
#Régularisation! au printemps 2020. Ce mouvement a cul-
miné à Paris le 17 octobre 2020, malgré l’horreur de
l’assassinat de Samuel Paty la veille, malgré le black-out
médiatique, malgré l’interdiction de manifester. Il fut l'is- La pandémie a contribué aussi à aggraver la si-
sue de plusieurs marches qui, parties le 19 septembre de tuation précaire des personnes exilées, contraintes
plusieurs villes de France, ont traversé le pays avec succès pour certaines à l'absurdité d'un confinement sans
jusqu'à la capitale en rassemblant finalement plus de toit. Certains pays européens ont proposé l'octroi de
60 000 personnes pour l’égalité des droits et la régularisa- titres de séjour temporaires pour pallier le manque de
tion des sans-papiers. Seule réponse gouvernementale : le main-d’œuvre dans les travaux saisonniers, soulignant
silence et le déni. Il y aura donc un Acte 4. une vision utilitariste des migrants, qui a relancé la
campagne pour une régularisation pérenne et incondi-
tionnelle des personnes et pas seulement des bras,
nécessaire également pour des raisons sanitaires.
Seule réponse gouvernementale : là encore, même
silence et même déni. Il y aura donc un Acte 4.

Cette crise sanitaire et les autres à venir (sociale,


économique, écologique...) montrent que la régulari-
Sans-papiers et exilés, migrants d'hier et au- sation des sans-papiers est une mesure de justice so-
ciale et d’égalité, indispensable pour construire une
jourd'hui
société plus solidaire et plus sûre, y compris sur le plan
La pandémie de Covid-19 a contribué à mettre en sanitaire. La précarité de statut et l'absence de titre de
lumière tout un pan oublié de la société, soit des dizaines séjour sont un obstacle réel à l'accès à la prévention
de milliers de personnes étrangères qui étudient, travail- comme aux besoins vitaux, et en contradiction avec
lent, élèvent des enfants, paient des impôts et des cotisa- une politique de santé globale.
tions sociales, et plus généralement vivent en France,
Idées fausses et géographie de la peur au risque de représenter un danger encore plus grand
que l'ignorance, et cela même si les migrations et régula-
Place de la République, à Paris, au soir du
risations passées n'ont jamais mis en danger notre socié-
23 novembre, les assauts brutaux contre les exilés,
té. Les migrants comme boucs émissaires responsables
commandés par le Préfet de Paris nommé par le gou-
de nos échecs sociaux restent donc politiquement ren-
vernement, ont choqué beaucoup de Français. Mais
tables vis-à-vis de citoyens apeurés devant un déclasse-
demain, qu'en sera-t-il ? Beaucoup se sont rendu
ment économique et social et confrontés aux dégâts en-
compte que ce qui arrivait aux migrants quotidienne-
vironnementaux. Il faut bien en convenir : nos politiques
ment pouvait les concerner eux aussi, que les discrimi-
migratoires actuelles ne sont pas rationnelles, mais es-
nations et les dérives d'une certaine utilisation des
sentiellement électoralistes.
forces de l'ordre étaient nuisibles à toute la société. À
quand en effet l'expulsion de tous les indésirables, han- Force est de constater cependant que, si désor-
dicapés, vieux, pauvres et autres ? mais nous allons devoir vivre avec les migrations (que
nous le voulions ou pas), des actions citoyennes battent
déjà en brèche une autre idée reçue, celle du non-
accueil, grâce à un accueil citoyen bien plus développé
que ne le laissent paraître les médias ou le silence de nos
gouvernants.

Acte 4, le 18 décembre, Journée internatio-


nale des migrants
Ainsi l'Acte 4 annoncé se prépare à Besançon
comme dans toute la France, où une mobilisation ci-
La France demande donc à l'UE, comme une toyenne appellera à un rassemblement le 18 décembre
majorité des chefs d'État qui la dirigent, de durcir les prochain, lors de la Journée internationale des migrants,
conditions d’accueil à travers un « pacte asile et immi- pour inverser la logique de répression et d'exclusion mise
gration » en discussion, censé accélérer les expulsions en œuvre jusqu'à maintenant, qui ne peut que nuire à la
vers les pays d'origine avec l'aide de Frontex, et sans construction de la société plus solidaire à laquelle nous 23
abolir le règlement Dublin, absorbé dans une réforme aspirons encore plus aujourd'hui, et pour laquelle nous
plus répressive. L'histoire n'est donc pas terminée. aurons besoin de toutes les compétences, de toutes les
Les idées fausses sur les sans-papiers et les mi- énergies et de toutes les capacités d'initiative, d'où
grants, quant à elles, continuent de prospérer. Elles qu'elles viennent.
renvoient à notre propre histoire coloniale, mais pas
L'information sera développée sur les réseaux. À
seulement. Ainsi, même si le non-accueil coûte plus
suivre, le futur ne manque pas d'avenir (1).
cher que l'accueil, même si l'impact économique de
l'immigration ne crée pas de déficit et même si les
aides minimes aux migrants ne sont pas à l'origine de
Thierry Lebeaupin
nos dettes, on continue à bloquer l'accès au travail à
certain.e.s, favorisant ainsi une économie parallèle
(bâtiment, restauration, agriculture, services à la per-
sonne), comme on bloque le passage des frontières
tout en sachant qu'on œuvre ainsi surtout à engraisser
les passeurs et le business sécuritaire, ou qu'on ne ré-
soudra rien en collant sur le dos des migrants le far-
(1) À lire :
deau du terrorisme.
Claire Rodier : Xénophobie
Marché des frontières et géographie de la business ? À quoi servent les
peur. contrôles migratoires ?
2012, La Découverte
Les migrants représentent en fait un gros joker
François Gemenne : On a
politique celui de permettre à certains de gérer idéolo-
tous un ami noir, 2020,
giquement à leur profit une véritable « géographie de
Fayard
la peur », utilisable électoralement et par ailleurs très
lucrative. Certaines idées se figent alors en certitudes,
De Jules Ferry à Jean Castex

CLEMENCEAU, REVIENS !
Citons M. Castex lors de son intervention au Journal Quant à la décolonisation, les peuples colonisés
de 20 heures de TF1, dimanche 1er novembre : ont dû se battre pour l'obtenir, à nouveau au prix du
"Je veux ici dénoncer toutes les compromissions qu'il sang versé, en Indochine, en Algérie, à Madagascar, au
y a eues pendant trop d'années, les justifications à cet isla- Kenya, au Congo belge et ailleurs. Nous n'avons même
misme radical : nous devrions nous auto-flageller, regretter pas été capables, au sortir de la Seconde Guerre mon-
la colonisation, je ne sais quoi encore. La première façon diale, de travailler avec eux, dans le dialogue pacifique,
de gagner une guerre, c’est que la communauté nationale afin de leur rendre leur liberté, afin de construire le
soit soudée, soit unie, soit fière. Fière de nos racines, de monde d'après l'horreur nazie, pour atteindre la pros-
notre identité, de notre République, de notre liberté. Il faut périté et la paix pour les peuples.
gagner le combat idéologique. "
Que M. Castex prononce ces paroles en tant que
citoyen français, ou militant de droite, c'est son droit : il
bénéficie comme nous tous de la liberté d'opinion et d'ex-
pression. Mais il est inacceptable, intolérable, qu'il le fasse
en tant que Premier Ministre de la République française.
Lors de cette intervention, il parlait au nom de la France,
ce n'était pas une intervention de l'individu Jean Castex, ni
du militant de droite.

Car il s'agit ici d'un déni de faits historiques :


Depuis septembre, avec M. Macron, M. Castex
24 M. Castex, comme avant lui M. Fillon et tant d'autres
prétend défendre la République française, notre idéal
hommes politiques de droite et d'extrême droite, s'est
démocratique, nos valeurs, contre le « séparatisme »,
livré au négationnisme de la colonisation.
contre l'intégrisme religieux, le terrorisme, et ils se
Si, Monsieur Castex, nous devons regretter la colo-
présentent comme le bouclier des bons Français. Mais
nisation, cette occupation brutale, cette exploitation mas-
aussi, ils s'autorisent à me placer, moi et mes sem-
sive, cette oppression, ce sang abondamment versé, par la
blables, dans la catégorie des mauvais Français, les
France, par les autres empires coloniaux européens, par
« complices » des séparatistes : anti-impérialistes, anti
l'Empire russe, sur la terre d'autres peuples.
-colonialistes, anti-racistes et opposés aux réécritures
Ces crimes d’État et ces crimes contre l'Humanité,
de l'Histoire de la droite de l'extrême-droite, nous se-
dans le cas de la France, ont été commis principalement
rions donc des islamo-gauchistes !
non pas sous la Monarchie ou l'Empire, mais bien sous la
Au début de l'année, je me voyais comme un
IIIe République, entre 1880 et 1939, période constituant le
jeune Français de gauche et écologiste ; à la fin de l'an-
pic de la colonisation. Ces crimes furent justifiés alors par
née, je me retrouve à la fois catégorisé « Amish » et
la prétendue supériorité de la « race » et de la civilisation
« islamo-gauchiste » : la plaisanterie ne pouvait pas
françaises sur d'autres races, dites inférieures, et par la
être meilleure ! Vous vous placez ici, Monsieur Castex,
nécessité d'ouvrir de nouveaux débouchés commerciaux
au rang des politiciens de caniveau, c'est pitoyable,
ou de rétablir ou maintenir notre rang de grande puis-
vous ne me ferez pas culpabiliser d'être du côté des
sance.
justes et des clairvoyants.

Monsieur Castex, vous n'êtes pas le bou-


clier de la France, non, vous êtes l'anti-France. Par
votre négation des horreurs de la colonisation et de la
décolonisation, vous prouvez votre méconnaissance
de l'Histoire de France et du monde, vous souillez nos
valeurs.
Par votre politique intérieure de droite ultra- inégalités et à la pauvreté, et qui nous mène à vitesse
libérale et ultra-capitaliste, dans la continuité de Sarko- accélérée vers de grands malheurs en ce siècle, aussi
zy, vous poursuivez le travail de démantèlement de bien ici en Europe qu'ailleurs.
l’État et des services publics, laissant entre autres la
Laissez-moi vous donner une leçon d'Histoire, une
justice, l’éducation, la santé, la police en grande difficul-
leçon de France. Lisez les discours de Georges
té face aux problèmes de notre époque. Vous annoncez
Clemenceau, en 1885, à l'Assemblée nationale, où il pro-
vouloir lutter contre la « ghettoïsation », terreau du
teste contre la politique colonisatrice du gouvernement
séparatisme, mais vos politiques économiques et so-
Ferry. Il y explique très bien l'horreur de la colonisation,
ciales ne favorisent que l'accroissement des inégalités
en quoi elle n'est pas justifiable, et en quoi elle est con-
et de la précarité, l'exclusion sociale.
traire en tout point à ce qu'est la France depuis la
Et que dire de votre politique extérieure, à vous, Révolution et le siècle des Lumières, et à ce que devront
la droite ? Tout comme au plan intérieur, où votre mo- être la France et l'Europe à l'avenir.
dèle est celui de la domination et de la prédation par
Lisez les paroles de M. Clemenceau, expliquant
les plus riches et puissants de tous les autres membres
que « c'est le génie même de la race française que d'avoir
de la société, votre modèle à l'extérieur est celui de la
généralisé la théorie du droit et de la justice, d'avoir com-
domination et de la prédation de tous les autres par les
pris que le problème de la civilisation était d'éliminer la
plus puissants et les plus riches. Vous n'avez pas sou-
violence des rapports des hommes entre eux dans une
haité mettre fin à l'impérialisme, commun aux Occiden-
même société et de tendre à éliminer la violence, pour un
taux et aux Russes, au moment de la décolonisation. Ce
avenir que nous ne connaissons pas, des rapports des
fut chez nous la « Françafrique », bel exemple de conti-
nations entre elles. »
nuation de cette politique de domination et de préda-
« Regardez, ajoutait-il, l'histoire de la conquête de
tion par les puissances européennes, russe et améri-
ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la
caine. Et voici que maintenant la Chine rejoint ce jeu !
violence, tous les crimes déchaînés, l'oppression, le sang
Les moyens ont changé, l'arme économique et coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vain-
financière ayant remplacé la conquête militaire. Aujour- queur ! Voilà l'histoire de votre civilisation ! Et c'est un
d'hui, le monde se trouve dans cet état de chaos où pareil système que vous essayez de justifier en France
tant de régions sont livrées à la pauvreté, à la faim, aux dans la patrie des droits de l'homme ? ».
25
guerres civiles, au terrorisme, aux États défaillants, aux Et Clemenceau achève de démontrer que vous
régimes autoritaires et corrompus. êtes l'anti-France : « Non, il n'y a pas de droit des nations
dites supérieures contre les nations inférieures. La con-
Par ces deux cent dernières années d'impéria-
quête que vous préconisez, c'est l'abus pur et simple de la
lisme occidental et russe, nous n'avons pas uniquement
force que donne la civilisation scientifique sur les civilisa-
dominé et exploité les autres, nous avons aussi favorisé
tions rudimentaires pour s'approprier l'homme, le tortu-
la montée en puissance de l'intégrisme musulman, ici
rer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du
en favorisant et soutenant la montée en force du ré-
prétendu civilisateur. Ce n'est pas le droit, c'en est la né-
gime wahhabite saoudien, le grand foyer mondial de
gation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la
l'intégrisme, là en déstabilisant des régions dans le seul
violence, l’hypocrisie. ».
intérêt de notre « puissance », plongeant ces régions
dans le chaos d'où sont sortis multitude de groupes Voilà toute l'horreur de la colonisation que vous
intégristes et terroristes, certains allant même jusqu'à niez, Monsieur Castex.
prendre le pouvoir comme en Iran, ou en créant pour
quelques mois un État terroriste entre Irak et Syrie.
Ulric Dubost
Oui, Monsieur Castex, vous êtes l'anti-
France, et je ne suis pas le premier à l'affirmer. Vous
brandissez l'Histoire de France et la nécessité de faire
bloc autour de celle-ci comme bouclier contre le
« séparatisme », mais il ne s'agit en réalité de votre
part que de réécrire l'Histoire afin de légitimer le mo-
dèle politique odieux que vous défendez, ce modèle
incapable de trouver des solutions à la crise écologique Georges Clemenceau
globale tout autant qu'au terrorisme international, aux vers 1885
Des lectures pour penser la transition

DEMAIN EST BIEN LOIN...


La génération à laquelle j’appartiens rêvait de chan- nature » place en quelque sorte celle-ci comme objet
ger le monde l'écologie politique. Force est de constater séparé de l’homme. D’autres modalités existent
que le monde a changé, mais nullement dans le sens espé- (animisme, totémisme, analogisme), qui ne situent pas
ré. Nous avions été marqués par la force du diagnostic de l’homme en dehors de la nature mais cherchent à pen-
René Dumont (1) et nous pouvions avec lui escompter ser des liens divers et subtils entre différentes catégo-
« une prise de conscience bien plus rapide, par le plus ries du vivant. On comprend alors comment des
grand nombre, de l’extrême gravité de la situation », mais, peuples amérindiens, par exemple, ne vivent pas dans
soulignait-il, « les riches et les puissants et même les semi- le souci d’une surprotection de quelque chose qui leur
privilégiés que nous sommes ne réaliseront le danger de la serait extérieur, mais dans celui de préserver les équi-
situation actuelle qu’au moment où ils en souffriront per- libres auxquels ils participent.
sonnellement et gravement ». Nous n’en sommes peut- Mais, prévient l’auteur en décrivant différentes
être pas très loin. manières d’être au monde, « pour dignes qu’ils [les
différents modèles] soient, aucun n’est à même d’offrir
Comment comprendre cette forme d’inertie pour
une source d’enseignement adéquate à toutes les si-
engager un changement forcément assez radical ? Faut-il
tuations ». Il ne s’agit pas donc de devenir animiste,
aller chercher du côté des ressorts individuels, comme le
par exemple. Mais il est bien un enseignement qui
font certains psychologues (2) ? Mais n’est-ce pas se cen-
émerge de la lecture de cet ouvrage : nos manières de
trer ainsi uniquement sur des comportements, en éludant
penser, que nous prétendons universelles depuis les
singulièrement les contextes de pensée dans lesquels nous
Lumières, ne sont pas les seules possibles et nous
sommes plongés ?
avons à apprendre d’autres sociétés.
26 Avant d’inciter notre voisin à mieux trier ses dé-
Le naturalisme que le Siècle des Lumières a con-
chets, à faire donc un geste pour l’environnement, si nous
tribué à faire émerger tenait en germe l’idée de domi-
regardions en face la manière dont nous sommes encom-
nation de la nature. Il s'est conjugué aux idées d’ex-
brés par un rapport à la nature que nous ne parvenons pas
pansion, de conquête non seulement de nouvelles
à déconstruire et par un rapport à la richesse et à l’abon-
terres, de nouvelles ressources, mais aussi des
dance, perçues comme l’essence du progrès.
peuples. C’est en partie ce que montre Pierre Char-
À l’heure où les libraires souffrent derrière leurs bonnier (5).
rideaux fermés, permettez-moi de suggérer la lecture de
Depuis lors, nous
deux ouvrages qui peuvent nourrir la réflexion sur une
sommes nourris, ou plu-
transition si difficile à engager (3).
tôt inféodés à l’idée que
Dans son essai Par-delà nature et culture, Philippe l’émancipation politique,
Descola (4) nous propose un le progrès social et dé-
fascinant voyage dans diffé- mocratique passe par la
rentes ontologies, c’est-à- richesse, l’abondance et
dire dans différentes ma- donc la croissance. Que
nières de penser le rapport celle-ci se soit construite
entre l’homme et son envi- par la domination de
ronnement, entre humains peuples (colonisation,
et non-humains. La natura- esclavage, anéantisse-
lisme qui caractérise les so- ment culturel…) et l’ac-
ciétés occidentales est, pour caparement des res-
aller vite, fondé sur une sé- sources n’était pas dans
paration entre nature et cul- notre horizon de pensée. René Dumont, qui ne fut pas
ture, entre humains et non- le seul ni le premier, fait partie de ceux qui ont tenté de
humains. « L’invention de la nous alerter.
Ce qu’on nomme aujourd’hui crise climatique n’est C’est un enjeu politique pour l’écologie, loin des
pas tant le résultat des Trente Glorieuses qu’une sorte de gestes individuels ou des gestes symboliques des nou-
débouché logique d’une manière de penser le monde dont veaux maires, qui ne sont pas inutiles mais pourraient
nous héritons. Et s’il est indispensable de reconnaître com- s’avérer vains : repenser le rapport au monde, repen-
bien les luttes sociales ont permis d’organiser un certain ser les solidarités.
partage des richesses, de rendre une dignité aux travail-
Nous rêvions de changer le monde et sans doute
leurs (aujourd’hui bien abîmée par le néolibéralisme), on
n’avons-nous pas suffisamment compris qu’il ne s’agis-
peut penser à une sorte d’aveuglement sur les conditions
sait pas seulement de convaincre, mais d’en finir avec
mêmes de la production de ces richesses et sur ce qui peut
une aliénation politique en proposant une voie de pro-
apparaître comme une sorte d’acceptation du capitalisme
grès clairement identifiable.
en tant qu’il permet justement cette production.
Chacun à sa manière, les Gilets jaunes ou Greta
« Il faut réapprendre à penser nos arrangements
Thunberg sont venus nous rappeler une sorte d’échec
avec la terre sans tomber dans le double piège que serait
à ouvrir une telle perspective plus de quarante ans
d’un côté l’idéalisation d’un état antérieur d’abondance (…)
après la candidature de René Dumont. Les succès en
et de l’autre un naturalisme politique pour lequel il suffirait
trompe-l’œil (c’est quand même la droite qui a gagné
d’être à l’écoute des normes immanentes au monde vi-
les municipales) ne doivent pas faire oublier que nous
vant », écrit Pierre Charbonnier.
sommes encore loin d’un demain écologiste.
Et le défi est considérable. Nous savons que la lo-
gique de la croissance n’est plus tenable mais nous savons
aussi que l’État social, l’État providence, et donc les méca-
nismes de protection, reposent sur celle-ci. La crise écono-
Michel Boutanquoi
mique qui double la crise sanitaire nous le rappelle avec
force, avec son incantation à la relance, donc à la crois-
sance pour garantir la protection face à de nouvelles vul-
nérabilités.
(1) René Dumont (1974) L’utopie ou la mort, Seuil
Il s’agit pour Pierre Charbonnier d’un point central : (2) https://theconversation.com/renovation- 27
penser les protections sans la croissance infinie. Il ne s’agit energetique-pourquoi-lincitation-economique-ne-
donc pas de penser seulement la décroissance, entendue suffira-pas-148941 ou encore https://
le plus souvent comme un simple opposé à la croissance, theconversation.com/les-comportements-eco-citoyens-
mais la manière dont se reconstruisent les solidarités dans relevent-plus-de-la-psychologie-que-des-csp-51750
un monde qui renoncerait à la fuite en avant avec la créa- (3) Vous éviterez bien sûr de commander ceux-ci
tion de besoins toujours plus nombreux et jamais assouvis. sur le site d’un des Gafam, en vous rappelant que der-
À ce titre, la question de la 5G apparaît exemplaire, car il rière des prix alléchants pour le consommateur, il y a,
s'agit bien moins de répondre à des besoins que d'en sus- outre l’optimisation fiscale, des conditions de travail
citer de nouveaux dégradées, des salariés mis à mal et des librairies de
quartier qui ferment.
(4) Philippe Descola (2005), Par-delà nature et
culture, Folio essais, 2015
(5) Pierre Charbonnier (2020), Abondance et
liberté, La Découverte
Fake news, deep fakes...

COMMENT MANIPULER L’OPINION


Allons-nous vers un monde sans vérité ? Les deep fakes : ne pas en croire ses yeux
On connaissait les fausses infos, voici maintenant Ce sont des vidéos truquées permettant de faire
les vidéos truquées, encore plus dangereuses. Les raisons dire n’importe quoi à n’importe qui, des vidéos plus
ne manquent pas de se méfier de ce que l'on voit, lit et vraies que nature qui abuseraient même saint Tho-
entend. mas !
Apparues fin 2017, les deep fake sont des hyper-
Fake news
trucages dopés à l’intelligence artificielle, qui per-
Les fausses nouvelles (mensonges, diffamations, mettent de remplacer les mouvements, le visage et la
manipulations…) fleurissent sur le net depuis des années, voix d’une personne par d'autres. Et il n’est malheu-
véhiculées et relayées sur les réseaux sociaux. Diffuser de reusement nul besoin d’être un brillant informaticien
fausses informations pour manipuler l’opinion, la faire pour créer de tels faux.
changer d’avis ou discréditer des opposants est certes une
pratique vieille comme le monde.
Mais ces dernières années, ces fausses informations
se sont propagées à grande vitesse par internet et surtout
sont utilisées par les responsables politiques eux-mêmes.
La prolifération de fake news est telle qu’elle conduit à
s’interroger sur le rôle des réseaux sociaux, auxquels il est
reproché leur absence de filtre et de régulation, alors que
tant d’internautes leur font une confiance aveugle.
28 L'incendie de Notre-Dame : un attentat ? 1,6 mil- Ce sont aussi bien des gens célèbres (stars d’Hol-
lions de vues sur Youtube, fake news relayée par Le Pen lui lywood, personnalités politiques…) que des anonymes
-même, assurant que c'est « probablement l’œuvre d’un (jeunes filles inconnues) qui ont été ainsi victimes
service étranger ». d’internautes malveillants.
En mai 2019, un deep fake montrait ainsi la pré-
Les atermoiements du gouvernement au début du
sidente de la Chambre des représentants des États-
premier confinement ont entamé sa crédibilité et aidé à
Unis, Nancy Pelosi, bafouillant lors d’une allocution
propager les rumeurs de complot, les citoyens n’ayant plus
publique comme si elle était ivre.
confiance.
Selon les chercheurs du Massachusets Institute of Prévention par l'éducation
Technology, une fausse info sur Twitter a 70 % de chances Le seul remède qui pourrait fonctionner, c’est
d’être retwittée, et selon l’institut Statista, 24 % des infos l’éducation aux médias et à l’information dès le plus
partagées en 2019 étaient des fake news. jeune âge, dit Laurent Bigot, directeur de l’École pu-
Détecter les fakes blique de journalisme de Tours.
L’objectif à atteindre est que chaque citoyen soit
Le fact checking (vérification des faits) mis en place
un chasseur de fake news et fasse preuve de vigilance
par les médias est chargé de traquer les fausses informa-
lorsqu’il a connaissance d’infos suspectes. En outre,
tions, mais la tâche est immense.
face aux deep fake, États et géants du net multiplient
En France, financé par l’Agence Nationale de la Re- recherches et investissements pour améliorer les algo-
cherche, a été mis en place le projet VIJIE (Vérification de rithmes de détection
l’Information dans le Journalisme, sur Internet et dans Dans ce jeu du chat et
l’Espace public). Mais il n’est absolument pas certain que de la souris, espérons que
le travail de vérification et de décryptage ait un impact sur c'est le matou qui triomphera
l’opinion publique et enraye la diffusion des fausses nou- (1).
velles.
(1) Sources : Les Cahiers de Témoignage Chrétien,
Rémy Bessot
automne 2020
À qui la faute ?

LA PROLIFÉRATION DES SANGLIERS


HORS DE CONTRÔLE
Les chiffres sont là : en 1973, 36 000 sangliers par poste fixe). Hélas, il reste encore trop large-
étaient abattus sur l’ensemble du territoire français, contre ment pratiqué dans le cadre de dérogations ouvertes
747 000 en 2019, soit vingt fois plus. Entre-temps, leur par le Schéma départemental de gestion cynégétique.
population a suivi la même courbe exponentielle pour De plus, après les campagnes, l’invasion commence à
s’établir à environ 2,5 millions de têtes. Dans de nom- toucher les zones périurbaines. La pose de kilomètres
breuses régions, les chasseurs sont aujourd’hui débordés. de clôtures électriques, seul remède vraiment efficace,
coûte cher ; le problème, ce n’est pas tant le matériel
À qui la faute ? Les chasseurs sont en première
que l’entretien et le temps passé à clôturer les par-
ligne, accusés d’avoir nourri en forêt des animaux afin de
celles.
s'assurer de « belles chasses ». La situation ne fait qu’em-
Les chasseurs doivent-ils être les régulateurs de
pirer, se désolent les agriculteurs. Et les chasseurs, eux, de
la faune sauvage ? Est-ce à l’État d’assurer cette fonc-
constater qu’à cause du remembrement et de l’extension
tion ? Et pourquoi pas au loup, l’un des rares préda-
de la monoculture du maïs, le petit gibier, jadis abondant,
teurs naturels du sanglier ?
a presque complètement disparu. Quelle est la part de
responsabilité de chacun dans la modification des équi- Un sujet politique et sociétal sensible
libres écologiques ?
Depuis 1968, les fédérations départementales de
Une pratique interdite, mais encore de trop chasse sont tenues d’indemniser les agriculteurs vic-
nombreuses dérogations times de dégâts commis par le grand gibier. Et la fac-
ture grimpe au fils des années. Certaines sont aujour-
d’hui au bord de la faillite : les chasseurs de la Nièvre 29
ont contracté un prêt bancaire de 600 000 € pour ré-
gler la note ; dans les Landes, c’est une subvention de
500 000 € du conseil départemental qui a évité la ban-
queroute. La Fédération Nationale des Chasseurs
(FNC) a entrepris une vaste opération de lobbying pour
partager ce fardeau devenu trop lourd : 80 millions
d’euros en 2019.

Les chasseurs vieillissent et leur nombre diminue


régulièrement. Ils étaient 2,2 millions dans les an-
Au centre des critiques, l’agrainage par les chas- nées 1970, et à peine plus de 1 million aujourd’hui. Ils
seurs, qui consiste à répandre du maïs dans les forêts pour estiment ne pas avoir à assumer seuls, dans la mesure
fixer l’animal et l’empêcher d’aller se nourrir dans les où 30 % du territoire seraient peu ou pas chassés du
champs. La technique est efficace pour limiter les dégâts tout. Qui doit payer ? Tous les propriétaires terriens,
au moment des semis ou des récoltes, mais elle se trans- qu’ils soient publics ou privés, y compris ceux qui refu-
forme souvent en nourrissage à l’année, une dérive qui sent la chasse sur leurs terres ? Les agriculteurs, peu
alimente le cycle prolifique de la reproduction. La maturité vigilants à protéger leurs cultures ? Ou encore l’État,
sexuelle arrive à l’âge d’un an et la gestation dure en prin- qui délègue de plus en plus la régulation aux chasseurs
cipe 115 jours. La laie, qui possède 10 tétines, élève (1), pour compléter l’action des lieutenants de louvete-
chaque année une portée de 3 à 10 petits. Les excès du rie, chargés des battues administratives ? Puissam-
nourrissage entraînent parfois une seconde portée dans la ment organisée, la FNC a failli réussir à introduire dans
même année. La machine s’est emballée, la reproduction le dernier collectif budgétaire 2020 une taxe s’appli-
est très performante chez cet animal, dont la chasse est la quant à tous les territoires, consacrant le principe du
principale cause de mortalité. L’agrainage à poste fixe est non-chasseur payeur. Mais l’amendement, coprésenté
aujourd’hui interdit, depuis la loi créant l’Office Français de par une vingtaine de députés de tout bord, n’a finale-
la Biodiversité (OFB) en 2019 (sanction : 135 € d’amende ment pas été soutenu par le gouvernement, sensible
aux arguments d’un autre puissant lobby : les syndicats Une récente étude, publiée dans la revue Ecolo-
agricoles. gical applications et menée par Laura Touzot, biolo-
giste rattachée au CNRS, indique que le réchauffement
Coup de chaud !
climatique entraîne probablement un accroissement
Le sanglier met en évidence plusieurs lignes de frac- de la population de sangliers grâce à une augmenta-
ture dans la société : la ruralité contre les villes, les natura- tion de la quantité de glands en forêts. Plus cette res-
listes contre les chasseurs, les chasseurs contre les agricul- source est abondante, plus les femelles se reprodui-
teurs, et bien souvent, dans les réunions, c’est celui qui sent. D’après les simulations, cela pourrait conduire à
crie le plus fort qui finit par l’emporter. Le réchauffement un emballement de la démographie. L’équilibre, fragile
climatique pourrait encore accélérer l’urgence du pro- depuis de nombreuses années, est maintenant rompu.
blème. Après avoir été leur meilleur allié, le sanglier
pourrait devenir le pire ennemi des chasseurs.

Pascal Blain

1) Et cela jusqu'à accorder


de scandaleuses dérogations
spéciales aux porteurs de fusils en
pleine période de confinement alors que les non-
chasseurs sont fermement priés de tourner en rond
dans un rayon d'un kilomètre autour de chez eux !

Laissez-la vivre
30 ORTOGRAFE
Ah, oui ? Vous corrigez « o.r.t.h.o.g.r.a.p.h.e » et Nous sommes maintenant au XXIe siècle. Les
m’accusez d’avoir fait une « faute ». J’ai l’impression d’en- hussards noirs n’existent plus. Mai 68 nous a appris à
tendre mon beau-père, vieux hussard noir de la faire sauter les pavés pour retrouver le sable de la
République, prêt à prendre sa règle pour me taper sur les candeur originelle, l’intelligence de la réflexion. Notre
doigts. Mais n’avez-vous pas l’impression que votre graphie capacité de résilience doit nous permettre de faire
est, elle-même, une grossière erreur, colportée et ensei- face aux rigoristes, intégristes de l’ « orthographe ».
gnée depuis des décennies ? Non ? C’est bien dommage. Et primo, dans le sillage de Chantal Contant, Nina Ca-
Parce que votre graphie, c’est évident, devrait, en toute tach et d’autres, de suivre et faire connaître les rectifi-
logique, comporter le mot « graphie ». C’est donc une gra- cations orthographiques parues dans le J.O. du 6 dé-
phie erronée. cembre 1990.
Plusieurs milliers de mots ont été retouchés par
Ne parle-t-on pas de « graphie ancienne… graphie
le Conseil Supérieur de la langue française, rectifica-
phonétique… géographie…radiographie… télégraphie…
tions approuvées par l’Académie française. Ainsi ont
biographie… soûlographie… pornographie »,etc. ? Vous
disparu de nombreuses incohérences telles :
devriez donc écrire orthographie, du latin orthographia
- le « e » de assoir (comme j’assoir-ai, tu assoir-
(emprunté au grec), substantif qui donne – naturellement -
as, elle assoir-a, …)
le verbe orthographier. Pour la petite histoire, c’est en
- le « i » de ognon (inexistant à l’oral, et à l’écrit
1529 qu’un imprimeur écrit – le cuistre– « orthographe »,
au XIIIe siècle), le « ph » de nénufar (mot d’origine
tout comme « paragraphe », du grec paragraphos. Et des
arabe, ninufar, et non grecque)
cuistreries de ce type, la langue française en regorge, à
- et cetera. La langue orale –
l’écrit surtout. En effet, la langue est, avant tout, orale et
vivante - évolue, se transforme quoti-
l’orthograph(i)e n’est qu’un essai de transcription. C’est
diennement. Laissez-la vivre à l’écrit.
évident. Comment avoir une unité orthographique quand
Aussi...
les articulations sont aussi disparates de Lille à Marseille,
de Perpignan à Strasbourg ou de Genève à Montréal ?
Yves-Marie Maurice
Esprit critique vs conspirationnisme

COVID 19, ENTRE COMPLOTISME ET


STRATÉGIE DU CHOC

Un film intitulé Hold-up, présenté comme un docu-


mentaire, a été regardé sur internet par 3 millions de
Français en à peine deux semaines. D'après ce document,
qui dure 2 heures 40, le coronavirus aurait été fabriqué de
toutes pièces, dès 2015, dans un laboratoire malveillant,
pour permettre à une clique mondialiste de mieux nous
Le film avance d'autres contrevérités. Par
asservir. Le film a fait le buzz mais heureusement, assez
exemple, il affirme que « ce virus va jusqu'à faire cons-
rapidement, des articles ont été publiés dans différents
truire des futurs camps d'internement au Canada ». En
journaux pour dénoncer les mensonges de ce pseudo-
fait, comme dans d'autres pays, le Canada a décidé de
documentaire et démonter les mécanismes employés, qui
relèvent de la théorie du complot. Mais ce n'est pas parce
mettre en quatorzaine dans des hôtels les voyageurs 31
arrivant des zones contaminées et un député de
que ce film utilise des falsifications à des fins conspiration-
l'Ontario avait demandé ironiquement s'il fallait se
nistes que la gestion de la pandémie par l'équipe au pou-
préparer à des camps d'internement. Il y a aussi des
voir est exempte de toute critique. S'il n'est pas question
procédés plus subtiles. En plus de ces contrevérités
ici de minimiser la gravité de la maladie, on doit pouvoir
flagrantes, le film suggère, insinue, laisse entendre,
s'interroger sur une utilisation immodérée de la peur et
sous-entend. Par ailleurs, dans les interviews, l'auteur
des lois d'exception pour avancer vers une société de plus
mélange des figures d'autorité – c'est ainsi qu'on
en plus autoritaire. Ce qui fait penser à la notion de
trouve un ancien ministre français de la santé – et des
« stratégie du choc » décrite par la journaliste canadienne
gens qui n'ont aucune compétence médicale.
Naomi Klein (1).
Lucie Delaporte, journaliste à Mediapart, a en-
Hold-up, un film complotiste
quêté sur les « experts » du film (2). Le résultat est
Hold-up donne l'impression d'une vraie enquête : édifiant. On trouve parmi les interviewés la sociologue
interviews d' « experts », étalage de documents paraissant Monique Pinçon-Charlot et l'ancien ministre de la san-
sérieux, argumentation plausible… Mais quand on y re- té Philippe Douste-Blazy. La première parle mainte-
garde de plus près, on s'aperçoit très vite que, dans Hold- nant d'instrumentalisation de son propos et le second
up, on nous raconte des mensonges. Un des exemples les s'est désolidarisé du film.
plus faciles à démonter est la présentation d'un graphique
qui montre le nombre de décès par jour entre mars et sep-
tembre, sur 3 années. On y observe un pic de décès en
mars-avril 2020. Explication du film : c'est le confinement
qui a provoqué le surplus de morts ce printemps, pas le
coronavirus. En réalité, le confinement ne pouvait pas
avoir des conséquences immédiates, il a fallu près d'un
mois avant que la mesure fasse effet et que la courbe
s'inverse.
On y entend aussi des figures connues de l'extrême Et pour détourner l'attention de l'opinion et mu-
droite et des intégristes catholiques conspirationnistes seler la contestation sur ces questions de fond, Ma-
comme Valérie Bugault, Alexandra Henrion-Caude, les Ita- cron, Castex et Darmanin préfèrent culpabiliser les
liens Carlo Alberto Brusa et Silvano Trotta ou la Suisse Ema citoyens et proposer des lois d'exception. En utilisant
Krusi. Ema Krusi et Silvano Trotta font partie de la nébu- le contexte de la crise sanitaire et des attentats terro-
leuse QAnon, qui avance l'idée que le monde doit faire ristes, le pouvoir prend des mesures qui s'attaquent à
face à un complot pédo-sataniste et que Trump est l'ultime l'État de droit.
recours face à une élite mondialiste… Derrière le complo-
Stratégie du choc ?
tisme, il y a des desseins politiques peu avouables.
La Stratégie du choc, c'est le titre en français
Pas question pour autant de perdre tout es-
d'un livre de la journaliste canadienne Naomi Klein
prit critique publié en 2007. Dans son essai, l'auteure explique
Ce qui rend les choses un peu compliquées, c'est comment les tenants de l'ultra-libéralisme utilisent les
que, dans les propos complotistes ou conspirationnistes, catastrophes et les chocs psychologiques qui en dé-
on trouve toujours des parcelles de vérité. Exemple : la coulent pour imposer des réformes qui vont dans le
courbe sur les mortalités comparées. Mais ces parcelles de sens de leurs intérêts. Ainsi, elle donne l'exemple des
vérité sont mal interprétées, sorties de leur contexte, ins- attentats du 11 septembre 2001, qui ont conduit à
trumentalisées, ou « tordues » pour qu'elles disent ou sug- l'émergence d'une industrie de la sécurité intérieure et
gèrent autre chose que ce qu'elles signifient. Ainsi le film à la privatisation progressive de la sécurité des États-
utilise largement les contradictions des discours des gou- Unis. Elle donne aussi des exemples d'utilisation des
vernements Philippe puis Castex, qui ont conduit à des catastrophes naturelles, comme les inondations à la
formes de défiance bien compréhensibles par rapport aux Nouvelle-Orléans provoquées par l'ouragan Katrina : la
autorités. Ces versions officielles bancales, l'envie sincère reconstruction a permis l'élimination de la population
d'explications et l'absence de débat démocratique contra- pauvre de la ville par la classe dominante.
dictoire facilitent la crédulité du public par rapport aux
thèses complotistes.
32
Dans La Feuille Verte de juin 2020, nous avions déjà
évoqué les erreurs et les carences dans la gestion de la
Covid 19 par les autorités françaises au début de l'épidé-
mie : absence de masques et de tests, nombre insuffisant
de lits de réanimation dans les hôpitaux publics, pénurie
de certains médicaments, manque de soignants, etc. S'il y
a eu des progrès certains dans l'utilisation des masques et
des tests, nos équipements hospitaliers restent défaillants
- manque de lits et de soignants - parce que la dégrada- Il y a une grande différence entre stratégie du
tion du système de santé ne date pas du coronavirus. A choc et complotisme. La stratégie du choc ne dit pas
force de vouloir faire des économies dans les dépenses que telle ou telle catastrophe a été provoquée délibé-
médicales pour se conformer aux thèses ultra-libérales, le rément par une maffia ou un clan. Elle dit seulement
système de santé est arrivé à une situation critique qui ne que des gouvernants, effectivement mal intentionnés,
peut pas trouver de solution en quelques mois, notam- profitent des situations de crise pour avancer leur
ment parce qu'il faut des années pour former des méde- pions, favoriser des intérêts particuliers ou défendre
cins et des infirmières. une politique partisane. Tout cela au détriment de
l'intérêt général.

Actuellement et avec la complicité de la plupart


des médias, le gouvernement joue sur la peur de ma-
nière exagérée avec des discours catastrophistes. Les
citoyens sont infantilisés, comme avec cette
« autorisation de sortie dérogatoire », au lieu d'être
responsabilisés et associés à la lutte contre la pandé-
mie. On devrait aussi pouvoir continuer de s'interroger
légitimement sur la pertinence de certaines mesures
prises, comme la limite d'un kilomètre pour la
promenade ou la fermeture des librairies, comme s'il y Pour des avocats chevronnés comme Jean-Pierre
avait plus de risques de contamination dans une librairie Mignard ou Henri Leclerc, ces dérives autoritaires sont
de quartier que dans un métro bondé. très inquiétantes pour nos libertés. Il est grand temps
d'en finir avec cette politique liberticide et de préparer
Ce qui constitue un vrai danger, c'est qu'on s'habi-
une alternative écologique, sociale et démocratique
tue à être contrôlé, surveillé, verbalisé, confiné, à ce que
pour 2022.
nos libertés soient rognées. On a le droit de s'interroger
aussi sur les conséquences psychologiques du confinement
et de la proscription des gestes de tendresse, en particulier
Gérard Mamet
sur les enfants ou les personnes âgées.

Ne pas tomber dans les théories complotistes ne


signifie pas qu'il faille faire preuve de naïveté par rapport à 1) Naomi Klein, La stratégie du choc : la montée
un pouvoir qui a commencé de perdre pied et qui est tenté d'un capitalisme du désastre, LEMEAC / Actes Sud,
d'utiliser la « stratégie du choc » pour se maintenir. Ainsi, 2007.
après l'assassinat de Samuel Paty, prétextant lutter contre 2) Lucie Delaporte, Hold up : les QAnon et
les dérives des réseaux sociaux, Macron, à travers la loi l'extrême droite en embuscade, Mediapart, 17 no-
dite de « Sécurité globale », cherche à préserver l'impunité vembre 2020.
des policiers en cas de bavure, à réduire le droit de mani-
fester des citoyens et à faire reculer le droit à l'informa-
tion. Le gouvernement en difficulté cherche à intimider et
à museler l'opinion pour empêcher la contestation.

33
Démarrage de la 5G

SURTOUT NE PAS SE PRÉCIPITER !


Ne vous précipitez pas pour souscrire un abonne- Sans pour autant nous opposer au progrès tech-
ment plus cher pour avoir le même service. Prenez le nique, nous rappelons les réserves que nous avons déjà
temps de vérifier à quelle connexion vous aurez droit. exprimées sur le développement précipité de la techno-
logie 5G, qui va de pair avec la volonté de l'ultra-
La 5 G est officiellement lancée et l'ANFR (Agence
connexion permanente, sans prise en compte de ses con-
nationale des Fréquences) vient de publier une carte lais-
séquences sanitaires, environnementales, sociétales. Un
sant penser que, dès maintenant, la France entière (ou
progrès ne vaut que si la balance avantages/
presque) sera couverte en 5G : https://www.anfr.fr/toutes-
inconvénients penche du bon côté. Force est de consta-
Encore faut-il savoir de quoi on parle. ter que le débat national sur l'intérêt de la 5G n'a pas eu
lieu.
En regardant attentivement ladite carte, on s'aper-
çoit qu'il s'agit du "reforming" (réaffectation) des bandes
700 Mhz et 2 100 Mhz, à qui on va apprendre à « parler le
dialecte de la 5G » (dixit l'ANFR) pour pouvoir être utili-
sées par les smartphones 5G, mais qui ne permettront pas François Vetter
de bénéficier de la technologie 5G, que seules les an-
tennes de la bande de 3,5 Ghz (3 500 Mhz) peuvent pro-
poser (carte avec les points bleus) dans un premier temps.
Dans un second temps (d'ici 2 à 3 ans), il faudra le déploie-
ment de la controversée bande des 26 Ghz pour obtenir
tous les avantages promis par la technologie.
34 En laissant croire que, dès demain,
la 5G va couvrir la France entière, avec la
complicité des pouvoirs publics, les opéra-
teurs incitent les consommateurs à chan-
ger de smartphone et d'abonnement, sans
amélioration pour la plupart des usagers.
Ne soyons pas dupes : ce marketing men-
songer par omission n'a d'autre finalité
que « d'amorcer la pompe » (à finances)
pour permettre aux industriels d'amortir
au plus vite leurs investissements.
Pensez à réadhérer dès 2021 !

35
Les actus en photo !

Chars russes envahissant


les rues de Besançon lors
de la victoire de la liste
« Besançon par nature »
menée par Anne Vignot !!!

16 juillet 2020 : premier discours de la


nouvelle maire écologiste de Besançon,
Anne Vignot

18 octobre 2020 : Esplanade des


Droits de l’Homme à Besançon.
Hommage de Victor Hugo à
Samuel Paty

77, grande Rue / 25000 Besançon / 03 81 81 06 66 / http://franchecomte.eelv.fr/

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