Bertrand Lavier, Depuis 1969
Bertrand Lavier, Depuis 1969
Bertrand Lavier, Depuis 1969
Parcours exposition
BERTRAND LAVIER
DEPUIS 1969
Du 26 septembre 2012 au 7 janvier 2013, Galerie 2, niveau 6
La Bocca/Bosch, 2005
Canapé sur congélateur
85 x 212 x 87 cm (canapé)
86 x 157 x 70 cm (congélateur)
Kewenig Galerie, Cologne
Introduction
Une œuvre simplement compliquée
Biographie
Un horticulteur dans l'art
Parcours de l'exposition
Zone 1. Baft III, 2011. Steinway & Sons, 1987. Brandt/Haffner, 1984
Zone 2. Mandarine par Duco et Ripolin, 1994. Polished, 1976
Zone 3. La Bocca/Bosch, 2005. Giulietta, 1993
Zone 4. Chuck McTruck, 1995. Mamba (Boli), 2008
Zone 5. Photo-relief n°1, 1989. Composition bleue, jaune et blanche, 2003
Zone 6. Four Darks in Red, vue d'exposition, 2004. Walt Disney Productions, vue
d'exposition, 2002
Entretien avec Michel Gauthier, conservateur au Musée national d'art moderne et commissaire de
l'exposition
Repères chronologiques
Bibliographie sélective
INTRODUCTION
BIOGRAPHIE
En 1971, ayant achevé ses études d'ingénieur horticole, il travaille comme paysagiste dans le
cadre de l'aménagement de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée et, parallèlement, participe à
des expositions de groupe. Il se lie d'amitié avec des artistes tels que Jean-Pierre Raynaud qui,
comme lui, a étudié l'horticulture, et Niele Toroni dont le travail − la répétition d'une trace de
pinceau identique − lui donnera des idées. Les objets peints, classeur, armoire, piano, etc.,
qu'il commence à réaliser en 1980 seront un prolongement des coups de pinceau de Toroni.
Cet ensemble constitue l'un des principaux « chantiers » de Lavier, terme qu'il utilise pour
indiquer l'ouverture permanente et toujours en quête de ces ensembles. Contrairement aux
artistes qui travaillent par séries, il ne procède en effet pas par étapes ni progression, mais
traite de questions récurrentes, en passant sans cesse d'un type d'œuvres à un autre.
En 1984, il inaugure un autre chantier conséquent, celui des objets superposés, qui sont une
traduction de l'opération de la greffe horticole à l'art. D'autres chantiers voient tour à tour le
jour, les Walt Disney Productions, les reprises de Frank Stella, accompagnés d'une autre
constante, son goût pour les transpositions d'un univers, d'un matériau à un autre. C'est ainsi
qu'il a récemment réalisé en moquette une pièce représentant une portion de terrain de basket
qui existait déjà en parquet et en céramique. Pour cette exposition, il a fait mouler en bronze
nickelé une statuette de Christ en bois de la fin du 19e siècle.
PARCOURS DE L'EXPOSITION
ZONE 1, « 1+1 »
UNE TRANSPOSITION ARTISTIQUE DE LA GREFFE HORTICOLE
Le premier espace permet de découvrir, à travers quelques exemples variés, la
« méthode » de Bertrand Lavier qui consiste à expérimenter des hybridations de
différentes sortes, comme il apprenait à les pratiquer lors de ses études
d’horticulture.
En remplaçant l'illusion de lumière émanant de la peinture fluo par la lumière réelle des néons,
Lavier pousse à son terme la logique prônée par Stella dans sa célèbre déclaration « what you
see is what you see ». Ou, inviterait-il, au contraire, à penser que le peintre américain lui-
même s'amuse de cette exigence qu'il s'impose? Les couleurs fluorescentes qui donnent du
relief aux toiles les font échapper à la bidimensionnalité, ce qui va à l’encontre du critère de
littéralité du tableau. Grâce à l'hybridation entre peinture et sculpture de néon, Lavier souligne
cette tension au cœur de l'œuvre de Stella.
Steinway & Sons explore une autre forme d'hybridation entre peinture et
sculpture.
L'œuvre appartient au chantier des objets peints ouvert depuis 1980, dans
lequel l'artiste s'empare aussi bien d'une armoire, d'un appareil photo, que
de tableaux ou encore de pianos, qu'il recouvre d'une peinture identique à la couleur de leur
surface, jusque dans les moindres détails. Lavier affirme qu'avec ces œuvres, il peint « sur le
motif », prenant au sens le plus littéral l'expression employée par les peintres de la fin du 19e
siècle qui partaient peindre la nature sur place. C'est sa manière de répondre au contexte
artistique des années 1980 qui assiste à un retour à la peinture figurative des plus classiques.
Jouant avec les mots et les concepts, Lavier peint ou représente bel et bien un piano, en
peignant sur le piano.
Ainsi, Steinway & Sons se présente exactement comme l'instrument originel, avec ses touches
noires et blanches repeintes, la marque inscrite en doré précisément recouverte... la seule
différence consistant, comme pour tous les objets de la série, dans l'épaisseur de la couche de
peinture qui provoque un léger trouble dans la perception du spectateur. Car, contrairement à
la couleur qui reste fidèle à l'apparence de l'objet, la matière picturale se fait allègrement
remarquer grâce aux grosses touches de pinceau bien visibles que Lavier qualifie de « à la Van
Gogh ». Humour à propos de l'attachement des amateurs d'art à la facture tourmentée du
peintre maudit ? Questionnement sur ce qui fait d'un objet une œuvre d'art ? Ou encore
peinture figurative ? Steinway & Sons incarne ces trois facettes à la fois.
Brandt/Haffner, 1984
Réfrigérateur sur un coffre-fort
251 x 70 x 65 cm
Centre Pompidou, Mnam, Paris
Parmi les œuvres les plus célèbres de Bertrand Lavier, cette superposition
d'un réfrigérateur et d'un coffre-fort est la première d'une série qui, grâce
à la simplicité de son principe, s'installe au beau milieu de
questionnements qui hantent l'art moderne et contemporain.
En ayant recours à des objets issus du commerce qu'il n'a pas modifiés, l'artiste prend acte du
caractère désormais presque banal du readymade duchampien. « Le readymade n'est plus un
geste mais un genre », comme le note Michel Gauthier.
S'agissant de noms de plantes, on peut interpréter les peintures de cet ensemble à l'aune des
connaissances de Lavier en botanique. « Lorsque tu étudies la botanique, tu apprends qu'il y a
450 variétés de chênes... avec cette discipline systématique, tu pénètres dans un cauchemar :
le langage est là pour essayer de cerner la réalité qui se dérobe indéfiniment. » Ce qui vaut
pour les plantes vaut aussi pour les produits industriels que sont les peintures. Pour Lavier, les
couleurs industrielles sont des readymades avec lesquels on peut renouer avec la beauté. Il en
résulte ici un tableau qui a l'élégance des monochromes les plus minimalistes et l'humour des
œuvres pop.
Très tôt, Bertrand Lavier marque sa différence avec les artistes conceptuels pour qui la
réalisation d'une œuvre n'apporte rien de plus que son concept. Pour lui, au contraire, la réalité
est toujours plus complexe et plus intéressante. Avec Polished, l'artiste s'amuse des légers
accidents qui adviennent, dès lors qu'un projet se matérialise.
L'œuvre se compose de douze diptyques confrontant un court texte et une petite sculpture en
bois peint. Tous se ressemblent mais comportent de nombreuses dissemblances. Car le texte,
dans sa version originale rédigée en français par Lavier, est un protocole servant à la
fabrication d'un premier objet. Puis le texte a été traduit dans une autre langue, ce qui a
permis la réalisation d'un deuxième objet, ensuite la traduction a elle-même été traduite dans
une troisième langue, donnant lieu à un troisième objet...
Les réalisations rendent ainsi manifestes les erreurs de traduction et leur amplification qui, au
fil des textes, loin d'être fustigées, sont au contraire valorisées comme génératrices d'œuvres
d'art. Elles montrent qu'en passant de langue en langue, le concept se charge d'une histoire
faite de péripéties qui débouchent sur la création.
La Bocca/Bosch, 2005
Canapé sur congélateur
85 x 212 x 87 cm (canapé)
86 x 157 x 70 cm (congélateur)
Kewenig Galerie, Cologne
De même que Brandt/Haffner, La Bocca/Bosch est une sculpture constituée de deux objets
superposés, celui de dessous étant le socle de l'autre. À cette différence près, qu'ici, l'objet de
dessus est une œuvre d'art avant que d'être placée par Lavier sur un congélateur. L'objet a
même une longue histoire.
C'est un canapé créé en 1971 par l'agence de design italienne Studio 65 en hommage à la
bouche sexy de Marilyn Monroe, et aujourd'hui un objet marquant de l'histoire du design en
même temps qu'un meuble réédité et commercialisé. Mais son histoire remonte à une étape
plus ancienne puisque l'agence italienne s'est inspirée d'un canapé originellement créé par
Salvador Dali d'après la bouche de l'actrice américaine de l'entre-deux-guerres Mae West. En
1936, Dali avait imaginé une chambre recomposant le visage de l'actrice, avec des tableaux
pour les yeux, des rideaux pour les cheveux et un canapé pour la bouche qui constitue l'un des
objets surréalistes les plus sensuels.
En empilant ce canapé sur un congélateur, Lavier retrace ainsi une histoire de l'objet dans l'art
du 20e siècle : le readymade acheté dans le commerce, l'objet surréaliste qui a pour vocation
de réveiller l'inconscient et l’objet design, entre art et production sérielle.
Giulietta, 1993
Automobile accidentée sur socle, 166 x 420 X 142
Musée d'art moderne et contemporain, Strasbourg
Cette pièce appartient au chantier des « ready destroyed » qui fait évoluer
le readymade du côté du tragique. Giulietta, ainsi intitulée d'après le nom
du modèle emblématique de la marque Alfa Roméo, est une voiture accidentée que Bertrand
Lavier a achetée telle quelle dans une casse, après s'être assuré que l'accident subi n'avait pas
été mortel. Comme l'indique le terme « ready » repris de Duchamp, l'artiste ne l'a pas
modifiée.
Mais à la différence du grand pionnier, Lavier a choisi cet objet pour la charge émotionnelle et
l'amorce de narration qu'elle suggère. Et sans doute aussi pour sa beauté. On s'imagine un
voyage qui tourne mal, des pleurs, pourquoi pas des disputes comme dans le Mépris de Jean-
Luc Godard, où la voiture accidentée est aussi une Giulietta. Lavier lui-même, avant de réaliser
cette pièce, avait eu un accident. En outre, cette voiture rouge revient sur l'idée énoncée avec
fracas par les futuristes au début du 20e siècle qu'une automobile est plus belle qu'une œuvre
d'art. Ainsi était posée la question de la beauté dans l'art et le monde modernes. Grand
amateur de voitures − il a déclaré un jour qu'Enzo Ferrari l'avait autant impressionné que
Marcel Duchamp −, Lavier dépasse le rêve futuriste en réconciliant la beauté d'une voiture et
celle d'une œuvre d'art.
En écho à ces pratiques, avec son humour habituel, et aussi une pointe d'ironie, Lavier
soustrait le skateboard Chuck McTruck à son usage courant et le transmet par avance à des
collectionneurs potentiels. Il laisse ainsi penser que l'objet pourrait un jour représenter la
civilisation de la fin du 20e siècle dans un musée consacré à la culture occidentale. L'objet est
prêt à être découvert par des archéologues du futur.
Très en vogue auprès des collectionneurs, les Boli sont des objets rituels
fabriqués par le peuple Bambara du Mali. C'est de l'un de ces objets que
s'inspire ici Bertrand Lavier. Au sein d'un chantier ouvert en 2008, son Boli
est une reproduction d'une pièce originale qu'il a fait mouler puis couler en
bronze nickelé, une technique d'orfèvrerie typiquement occidentale et
décorative. Le bronze nickelé est en effet utilisé pour la fabrication de petits ouvrages d'art,
pièces de lustres, mascottes de voitures, statuettes animalières...
En transposant ces objets dans un matériau qui leur est étranger, l'artiste pousse à l'extrême le
processus d'appropriation des collectionneurs qui détournent les objets africains de leur usage
traditionnel pour en faire des objets de décoration intérieure. La reproduction de ces objets en
bronze est une parodie de cette appropriation. Ici l'œuvre de Lavier prend un tour plus
directement critique que dans les autres chantiers.
Après avoir photographié le détail d'une structure métallique évoquant les débuts de
l'architecture moderne et de la tour Eiffel, contemporains de la popularisation de la
photographie, il fait ensuite scier cette structure d'après le cadrage du cliché. C'est-à-dire que
le hors-champ de la photographie a été supprimé, transportant l'objet dans un nouveau
contexte.
Ce procédé drôle et absurde rappelle l'intérêt des surréalistes pour les gros plans qui rendent
les objets quotidiens étranges. Il évoque aussi les cadrages subjectifs des constructivistes
fervents d'architecture. Il invite surtout à réfléchir au renversement de rapport entre les choses
et leur image. Ici, ce n'est pas l'image qui imite les choses mais les choses qui se plient aux
exigences de l'image. L'image est devenue une réalité première.
Avec sa re-création en céramique quelques années plus tard, Lavier ajoute la dimension de la
décoration qui porte la question de la confusion des genres à un degré supplémentaire : cet
objet est-il une peinture, une sculpture, une représentation d'un objet identifiable, une image
contenant en elle-même sa raison d'être, ou encore un pur motif, répétable, comme n’importe
quel motif, à l'infini?
Sans compter qu'il devient dès lors impossible d'imaginer jouer au basket sur un tel terrain,
impossibilité renforcée dans la dernière version réalisée par l'artiste en une épaisse moquette.
Bertrand Lavier réalise son premier tableau filmé en 1984 avec le Portrait
de Josette, une peinture cubiste de Juan Gris, datée de 1916. Dans cette pièce, l’image
cinématographique, qui se développe dans la durée, va à l'encontre de l'espace cubiste dont le
but est de donner à voir toutes les facettes de son objet dans la simultanéité.
Ainsi, chacun des tableaux filmés de Bertrand Lavier veut-il montrer une tension entre la
nature de la peinture choisie et sa transposition dans la temporalité du cinéma. En 2004, après
une série de tableaux filmés accrochés au mur comme des peintures traditionnelles, Lavier
réitère l'expérience avec un tableau de Mark Rothko, Four Darks in Red de 1958. Incarnant
auprès du public la veine mystique de l'abstraction américaine d'après-guerre, cette célèbre
peinture plonge le spectateur dans une méditation introspective, faisant éprouver aux plus
convaincus un instant d'éternité. Après l'opération pourtant simple que lui fait subir Lavier, la
filmer un peu plus de 5 minutes, cette puissance quasi surnaturelle s’évanouit totalement. À la
subtilité des pigments sur la toile se substitue l'immatérialité de la projection, à son aura la
reproductibilité potentielle. En lui donnant une durée définie, un début et une fin, Lavier
redescend Rothko sur terre.
Ainsi, les œuvres de fiction présentées dans le Journal de Mickey, dont les auteurs de la BD ont
sans doute vu les originaux dans un musée d'art moderne, inspirent-elles à leur tour des
œuvres que l'on retrouve au musée. Cette boucle entre fiction et réalité invite avec humour à
s'interroger sur la représentation de l'art moderne au sein de la société.
Dans l'exposition, le parti pris de Lavier de la transposition permanente est renchéri par le
choix d'un accrochage dans un espace séparé du public par une vitre. Ainsi présentés, les vrais
tableaux repartent dans un monde inaccessible, abstrait, voire irréel, comme s'ils retournaient
à la fiction de la BD.
Michel Gauthier. Après Soulages, Arman, Morellet, nous poursuivons les grandes
monographies d'artistes qui ont été déterminants. La dernière exposition de Bertand Lavier au
Centre Pompidou a eu lieu dans la Galerie sud il y a 21 ans. À l'époque, l'artiste avait une
petite quarantaine, les pièces rassemblées formaient une exposition de milieu de carrière, telle
qu'on en voit dans les centres d'art. Aujourd'hui, il vient de fêter ses 63 ans, il est dans
l'histoire de l'art français depuis longtemps et a eu une grande influence sur les générations
suivantes, de Xavier Veilhan à Franck Scurti ou Mathieu Mercier, par exemple... Mais,
paradoxalement, s'il est célèbre en France, son œuvre reste mal connue. C'est pourquoi nous
avons ressenti le besoin d'organiser une rétrospective depuis ses débuts qui fasse le point sur
son travail, qui attire l'attention sur les grands motifs qui l'animent.
V.M. Le titre exact est « Bertrand Lavier, depuis 1969 ». Cette précision après la
virgule est-elle une simple indication chronologique ou suggère-t-elle autre chose ?
M.G. 1969 est la date de sa toute première œuvre et la plus ancienne pièce présente dans
l'exposition. Elle est évoquée par l'intermédiaire d'une photographie, la pièce en tant que telle
ne pouvant pas être présentée, car c'est une intervention de peinture sur la vigne vierge
recouvrant la façade d'une maison. Nous souhaitions montrer ce premier travail qui est
prémonitoire des travaux par lesquels Bertrand Lavier s'est fait connaitre au début des années
1980, à savoir les objets peints. Dès 69, il avait commencé à peindre sur le réel. Cette
indication de date révèle l'amplitude temporelle du travail et la précocité de l'artiste. Quant à la
forme que prend ce titre, avec sa virgule, elle évoque l'amorce d'un récit, mais un récit qu'on
ne raconte pas dans l'ordre puisque la pièce de 69 est présentée juste avant la sortie de
l'exposition.
V.M. Vous évoquez la beauté des œuvres, est-ce une préoccupation centrale chez
Lavier ?
M.G. Oui, il emploie ce mot. Dans chaque chantier la pièce la plus réussie est la plus belle.
Bertrand Lavier emploie aussi le mot « chantier » là où beaucoup d'artistes parlent de série,
pour indiquer une ouverture permanente. Il ouvre des chantiers sans jamais vouloir les fermer
parce qu'il n'est jamais sûr, dans un chantier donné, d'avoir réalisé la meilleure pièce. L'un des
principes de l'exposition a donc été, plutôt que de chercher à obtenir la pièce qui marque
l'ouverture d'un chantier, de choisir la plus belle. Bertrand a proposé des pièces et nous en
avons discuté lorsque nous n'étions pas tout à fait d'accord. Mais il s'est avéré que,
généralement, une œuvre se distingue sans que l'on puisse dire exactement pourquoi.
Inversement, cela signifie aussi que Lavier s'ouvre à l'hypothèse d'avoir des pièces ratées au
sein des chantiers.
M.G. Il y a une conscience malheureuse de l'artiste postmoderne qui pense que tout a déjà
été fait et qu'à partir de là il est impossible d'ouvrir de nouveaux paradigmes. D'ailleurs le
terme « postmodernisme » recouvre de nombreuses réalités, très différentes et parfois même
opposées. Cela peut être une aspiration nostalgique à un retour au grand art et à la tradition,
comme avec les artistes de la Transavangardia italienne, ou des travaux qui cherchent au
contraire à remettre en cause les catégories, comme chez Lavier. Lui trouve toujours un moyen
de faire œuvre en pratiquant l'hybridation, la greffe. Peut-être faudrait-il parler d'un « après
modernisme » pour faire référence à la conscience esthétique qu'ont certains artistes, à la fin
des années 1970 et au début des années 1980, de pouvoir travailler avec des images qui
existent déjà. Ce sont des artistes formés par le Nouveau Réalisme, par le Pop Art, qui ne
croient plus qu'il faille être fidèle à un médium. Par exemple, l'une des œuvres préférées de
Lavier est la série des Brushstrokes de Roy Lichtenstein, dans lesquelles la touche de peinture
devient image.
Et puis, il y a chez lui un trait peut-être spécifiquement français qui est l'humour ! L'un de ses
meilleurs amis était Raymond Hains, connu pour ses jeux de mots.
M.G. Mon ambition est plus mesurée. Si elle pouvait rendre le public heureux en lui permettant
de comprendre la formidable cohérence de l’œuvre de Lavier et le propos de chaque pièce, ce
serait déjà bien.
C'est pour exprimer cette idée que le catalogue commence par cette épigraphe de lui : « Une
œuvre dont on ne peut rien dire, je suis désolé, ce n'est rien ». C'est vraiment le cas chez lui.
Il est bien évidemment parfois surpris par ce qu'il fait, il arrive que l'œuvre dise des choses
qu'il n'a pas prévues, mais il a toujours au départ un propos très précis. En même temps, pour
marquer le fait que l'œuvre est ouverte, le catalogue se termine par une autre citation, sur la
nécessité d'interprétations diverses et contradictoires qui emmènent l'œuvre au-delà des
intentions conscientes. Si le public pouvait se dire, en sortant de l'exposition, en s'en félicitant
ou en s'en scandalisant, que Lavier est un artiste qui remet en cause un certain nombre de
genres et de pratiques, ou que grâce à lui Duchamp échappe à Duchamp, ou encore que l'un
de ses ressorts poétiques est la transposition, ce serait réussi.
CHRONOLOGIE
1949 Naissance de Bertrand Lavier à Châtillon-sur-Seine.
1968 Débute une formation d'ingénieur agricole.
1969 Découverte de l'art contemporain en autodidacte.
Premiers projets artistiques.
1974 Rouge géranium par Duco et Ripolin : première peinture d'une série qui juxtapose
des couleurs portant le même nom chez différents fabricants et qui pourtant ne sont
pas les mêmes. Bertrand Lavier cesse ses activités de paysagiste.
1976 Le Musée national d'art moderne lui achète une première œuvre.
1980 Début du chantier des objets peints.
1981 Exposition Cinq pièces faciles − cinq objets peints −, à la Galerie Eric Fabre.
Il assiste pour la première fois à un Grand Prix de Formule 1.
1982 Il participe à la Documenta de Cassel.
Premières pièces des Walt Disney Productions.
1983 Les expositions personnelles et collectives se multiplient, en France et à l'étranger.
1984 Premiers objets superposés.
Réalisation à Berne du projet intitulé Bertrand Lavier présente la peinture des Martin
de 1903 à 1984, une quarantaine de tableaux qu'il a rassemblés parce que leurs
auteurs s'appellent « Martin », avec pour commissaire d'exposition... Jean-Hubert
Martin.
1990 Lavier est invité à exposer au Palais des Beaux-arts de Bruxelles aux côtés de
Sherrie Levine, principale artiste du courant appropriationniste.
1993 Réalisation du « ready destroyed », Giulietta.
1998 Premières vitrines passées au blanc d'Espagne, photographiées et reportées sur
toile.
2001 Rétrospective au Mamco de Genève.
2002 Rétrospective au Musée d'art moderne de la Ville de Paris.
2003 Début du chantier des reprises de Frank Stella en néons.
2008 Création de statuettes recouvertes de bronze nickelé d'après des objets rituels du
Niger.
2011 Réalisation à la Manufacture des Gobelins d'une tapisserie à partir d'une
photographie de l'une de ses « peintures » en néon.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
ESSAIS
Catherine Francblin, Bertrand Lavier, Paris, Centre national des arts plastiques,
Flammarion, 1999
Thierry De Duve, Le Nominalisme pictural, Paris, Editions de Minuit, 1984
CATALOGUES D''EXPOSITION
Bertrand Lavier, depuis 1969, Paris, Centre Pompidou, 2012
Bertrand Lavier, Milano, Silvana Editorale, 2011
Bertrand Lavier, Musée d'art moderne de la Ville de Paris, 2002
Bertrand Lavier, Paris, Musée national des arts d'Afrique et d'Océanie, 1995
Bertrand Lavier, Paris, Centre Pompidou, 1991
Bertrand Lavier : La peinture des Martin de 1603 à 1984, Bern, Kunsthalle, 1984
ENTRETIENS
Bertrand Lavier, Conversations 1982-2001, Éditions Mamco, Genève, 2001
Heinz Peter Schwerfel, Bertrand Lavier : cinq pièces faciles, Paris, Centre Georges
Pompidou, ministère de la Culture et de la Communication, Délégation aux arts plastiques,
Köln, Artcore, 1998 (film)
AUTOUR DE L'EXPOSITION
Bertrand Lavier. Paroles aux expositions.
Bertrand Lavier s'entretient avec Michel Gauthier, commissaire de l'exposition, Catherine Millet,
critique d'art, directrice de la rédaction du magazine art press et écrivain, et Jean-Pierre Criqui,
responsable du Service de la parole et rédacteur en chef des Cahiers du Mnam. Le jeudi 25
octobre 2012, 19h, Petite salle, niveau -1.
Pour consulter les autres dossiers sur les expositions, les collections du Musée national d'art moderne,
l’architecture du Centre Pompidou, les spectacles vivants…
En français
Contacts
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Crédits
© Centre Pompidou, Direction des publics, septembre 2012
Texte : Vanessa Morisset
Design graphique : Michel Fernandez
Intégration : Cédric Achard
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Coordination : Marie-José Rodriguez, responsable éditoriale des dossiers pédagogiques