Maxime BENOÎT-JEANNIN, Mirbeau/Céline: Une Fausse Analogie

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MIRBEAU 

/CÉLINE : UNE FAUSSE ANALOGIE

Il m’est venu une idée assez banale, somme toute, pour qui connaît
suffisamment de près, mais sans se prétendre un spécialiste, l’œuvre de
deux des écrivains majeurs de la littérature française des XIXe et XXe siècles,
Octave Mirbeau et Louis-Ferdinand Céline, celle de Mirbeau étant à cheval
sur les deux, montrer leur confluence et rattacher ainsi Mirbeau à la
modernité littéraire, celle-ci étant incarnée, abusivement selon moi, depuis
près de cinquante ans maintenant par Céline au détriment de tellement
d’autres. (Marcel Proust redécouvert à chaque génération demeurant hors
concours.) En effet, l’embellie romanesque sartrienne n’a duré qu’une
quinzaine d’années pour se clore sur Les Mots. Le Nouveau roman a eu une
influence à peine plus longue, malgré un groupe d’auteurs très prolifiques,
de Robbe-Grillet à Claude Simon, de Butor à Beckett, très lus jusqu’à la fin
du XXe siècle. N’oublions pas Philippe Sollers et ses affidés, regroupés dans
la revue Tel Quel, codicille au Nouveau roman, mais qui n’ont pas fait illusion
longtemps. Tel Quel ayant disparu, il n’est resté en lice que Sollers seul, dont
le programme était contenu dès le départ dans son pseudonyme. Demeura
donc Céline, mélange détonant de populisme littéraire et d’avant-gardisme,
qui finit par rallier la plupart des suffrages, pour des raisons qu’il ne
m’appartient pas de détailler ici, mais où domine quand même un fonds
immarcescible de ressentiment et d’amertume, voire le goû t de
l’innommable. Mirbeau, sa mort venue, est entré au Purgatoire, malgré la
puissante originalité de son œuvre et les efforts des uns et des autres, en
particulier de la Société des amis d’Octave Mirbeau, à la fin du XXe siècle.
Céline, au contraire, a vu sa gloire, après une douzaine d’années de relatif
ostracisme(1945-1957), se ranimer dès sa mort, en 1961, puis croître
indéfiniment. Ayant insisté sans relâ che auprès de Gaston Gallimard, qu’il
fascinait, il entre de son vivant au Livre de poche et à la Pléiade, puissants
accélérateurs d’immortalité. Or ce que l’on connaît de la personnalité de
l’écrivain et de son engagement au cô té du nazisme, dès 1938, aurait dû ,
comme n’a pas été maintenue étanche la séparation entre la vie et l’œuvre
littéraire du susnommé, dégoû ter les lecteurs ou au moins freiner leur
enthousiasme. Force est de constater que cela n’a pas été le cas,
l’interdiction de rééditer les pamphlets antisémites rendant, semble-t-il,
encore plus désirable leur lecture et plus attirante l’œuvre du soi-disant
réprouvé. En effet, on était passé, à la fin des années ’50, d’une biographie
largement affabulatrice à un dévoilement incessant, des révélations de plus
en plus crues sur la réalité de la personnalité abjecte du vrai Céline, pour
finir par l’ouvrage vraiment fondateur de Philippe Alméras, Céline entre
haines et passions, paru en 1994, soit 33 ans après la disparition de l’auteur
de Mort à crédit. Ce fut seulement en 1990, 73 ans après la mort de Mirbeau
que parut L’Imprécateur au cœur fidèle de Pierre Michel et Jean-François
Nivet, biographie moderne qui nous révéla la vérité d’un personnage et d’un
écrivain des plus attachants.
Oui, en supposant une influence de Mirbeau sur Céline, c’était comme
si je cherchais à réparer un oubli, voire laver un outrage contre ce grand
méconnu. Je le faisais gratuitement, je l’avoue, en me disant que cette
influence indirecte, voire occulte, de Mirbeau sur Céline, sans me le cacher à
moi-même, relevait surtout de l’intuition. Cette intuition, il fallait l’étayer. Je
me suis donc mis à la recherche de quelques preuves. Très ténues, les
preuves. Peut-on même parler de preuves ? Ce seraient plutô t des soupçons
ou des linéaments que des preuves. Par exemple, les points de suspension.
J’avais remarqué depuis longtemps que Mirbeau les employait assez
systématiquement. Et j’avais donc pensé à Céline, les points de suspension,
chez lui, servant à relancer et à diriger le discours, comme des aiguillages.
Même constatation chez les ancêtres, Edmond et Jules de Goncourt dans
certains de leurs romans. Les points de suspension, chez Mirbeau
également, servant à rendre le décousu de la pensée chez les personnages,
pratiquement jamais dans la narration même. Relire, pour s’en persuader le
récit du viol de Sébastien Roch par le père de Kern, relaté à l’aide d’une
ponctuation classique et les réflexions difficiles à entendre du même
pédéraste où les points de suspension fleurissent, laissant la place au non-
dit. Exemple : « Oui, moi… Je suis prêtre… J’ai le pouvoir de vous absoudre…
même indigne, même coupable, même criminel… » Etc. Cependant, dans un
texte où on ne les attendrait peut-être pas, les points de suspension
ponctuent l’article Une heure chez Rodin, paru dans Le Journal, le 8 février
1900. Et c’est ainsi dans presque toutes les chroniques d’art de Mirbeau.
Dans l’œuvre même de Céline, on voit comment les points de suspension,
dès Mort à crédit, sont de plus en plus frénétiquement utilisés avec le point
d’exclamation, jusqu’au roman final, Rigodon, aussi bien dans le récit, les
réflexions et les dialogues. Plus rien ne les différencie. On est pris dans un
même flux. Le roman nous étant, par cette technique, murmuré, dit,
psalmodié ou hurlé à l’oreille, comme si nous nous trouvions sur des
montagnes russes ou happés par une centrifugeuse. Dans Charles Demailly
ou Les Hommes de lettres, les points de suspension et les points
d’exclamation sont employés systématiquement dans tous les dialogues
abondants du roman, où ce sont les nombreux protagonistes qui le font
avancer. Un seul exemple : « — Oui, je ne chiffonnais plus… je commençais à
faire quelque chose… Et ne rien laisser derrière soi… que des bêtises ! Les
illustrations m’ont dévoré… je n’ai rien fait, rien… » Etc. Mais qui lit encore les
romans des Goncourt, afin de se rendre compte de l’historique de cette
ponctuation spécifique ?
Certes, très bien, les trois points… Mais encore ? Oh ! l’antisémitisme
des Grimaces. Très bien, là aussi. C’est tout ? En effet, c’était tout. Je n’avais
pas ramené grand-chose dans mes filets. Y avait-il alors une déclaration de
Céline qui aurait clamé son admiration pour Mirbeau et reconnu tout ce
qu’il lui devait ? Non. Céline est très avare de reconnaissance. Il cite peu ses
devanciers, sauf pour s’en moquer, ou dire combien il leur est supérieur. Et à
cette aune, il lâ che souvent le nom de Paul Bourget. À lire Céline, on a
l’impression qu’il ne connaît que Bourget et que c’est à cette mauvaise
lecture, qu’il a pris en horreur ce qu’il nomme le style « filé Bourget ».
(Notons que Léon Bloy, contemporain de Bourget, a fait de ce dernier un
portrait à la férocité inégalée dans son roman Le Désespéré. Il cacherait donc
qu’il a lu Bloy comme il a caché avoir lu Mirbeau ? Peut-être… ) Et il
reproche aux autres écrivains de s’être laissés contaminer, d’avoir fait de
Bourget leur grand-maître, lui, Céline, étant le seul à avoir échappé à cette
maladie. Parce qu’il est l’unique, l’original. Celui qui n’imite personne. Quant
aux autres, non contents d’imiter Bourget, Céline, que les contradictions
n’effraient pas, ne se prive pas de dire qu’ils l’ont plagié. Ou qu’ils sont ses
élèves. Comme Henry Miller, par exemple. Voire Jean-Paul Sartre. (Je note,
en passant que Sartre a eu droit, lui aussi, à la comparaison avec Bourget.
Elle émane de Jacques Laurent qui publia un pamphlet intitulé Paul et Jean-
Paul. ) Céline a ses têtes de Turc préférées. L’ancien surréaliste Aragon est
un « supercon ». « Triolette » (Elsa Triolet), c’est celle qui a traduit en russe
son Voyage au bout de la nuit, mal en plus. Mais il faut bien reconnaître que
ce que Céline reproche à ses confrères, c’est surtout d’avoir un style
inexistant par manque de sensibilité celte — ils ne dansent pas — et aussi
de s’être compromis plus que lui sous l’Occupation, sans en avoir subi les
conséquences, et de jouir toujours, dans les années d’après-guerre, d’une
réputation sans tache, malgré cela, alors que lui, Céline, il a l’article 75 au «
pouëtt », qu’on a pillé son appartement, rue Girardon, et qu’on lui a volé non
seulement ses meubles, mais tous ses manuscrits, d’authentiques chefs-
d’œuvre ceux-là . On l’a compris, Céline est une pure victime. Il n’a
absolument rien à se reprocher. Un volume plus ouvert depuis pas mal
d’années, Louis-Ferdinand Céline tel que je l’ai vu, témoignage irrécusable du
professeur américain Milton Hindus, Juif de surcroît, livre datant, dans sa
version originale, de 1949, et paru en français, en 1969, au éditions de
L’Herne, apporte sur cette manie célinienne de la persécution un éclairage
vraiment précieux. La moitié de cet ouvrage est constituée de lettres de
Céline à son interlocuteur et bientô t visiteur, Milton Hindus. Hindus ne
publie pas ses propres lettres. Les lettres de Céline sont ses réponses. Sans
doute que le professeur Hindus le questionne sur les influences qu’il a
reçues et les écrivains qu’il apprécie. Et, effectivement, Céline livre des
noms. Il est tout à coup prolixe quant à ses confrères, qu’ils l’aient précédé
ou pas, et j’ai soudain l’espoir que le nom de Mirbeau finira bien par surgir.
Cependant, l’auteur de Sébastien Roch n’est pas cité, ne fû t-ce qu’une fois. Il
faut m’y résoudre. Tout de suite, avant même de donner ses goû ts littéraires,
Céline étrille au passage certains confrères : « Claudel, Cocteau, Mauriac,
Colette et tous les autres ont été littéralement choyés par les nazis — Ils ne
s’en vantent pas ! » Ah ! bon ? Et quand il consent à parler de la génération
montante, sans la démolir, il écrit : « Je ne connais pas Camus, je ne l’ai
jamais lu, mais je connais les pièces de Sartre — Ce sont en somme des
naturalistes modernisés, freudisés, pourquoi pas  ? des Zolas plus intelligents. »
Le ton changera, en ce qui concerne Sartre, quand celui-ci publiera son «
Portrait de l’antisémite », qui sera repris dans Réflexions sur la question
juive. Alors Céline se déchaînera. Il comparera Sartre à un ténia coincé entre
ses fesses. En attendant, le voici qui dit ce qu’il pense de Proust : « trois-
cents pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave, c’est trop » ;
Gide : « sa gloire est d’avoir rendu ou re-rendu l’enculage licite dans les
meilleures familles ». Henri Barbusse, Paul Morand sont appréciés. Morand
a jazzé la langue française(selon Céline) et Barbusse est surtout à ses yeux
l’auteur du Feu. Si Morand lui plaît tant, c’est certainement par son style,
mais également, je ne peux m’empêcher d’y penser, parce que le diplomate
Morand a choisi, comme lui, le mauvais camp. Quant à Barbusse, c’est un
ancien combattant, pas un planqué, il sait de quoi il parle. D’ailleurs, ce que
Céline souhaite à Sartre, quelques pages plus loin, et avant sa réaction
furieuse contre le « Portrait d’un antisémite », c’est : « deux ans de prison —
trois ans de tranchées pour lui apprendre le véritable existentialisme et une
condamnation à mort au cul pendant dix années au moins — et une bonne
invalidité — 75 pour cent — alors il ne divaguera plus — il ne fabriquera plus
des monstres gratuits — vice aussi des Américains — Passos [sic], Steinbeck,
etc. » On voit que Céline connaît plutô t bien (ou mal) la littérature de son
siècle, en France, en Amérique… Il ne néglige même pas de citer
Chateaubriand et Jules Vallès. Et Mallarmé. Qui sertit les mots précieux,
tandis que Céline glorifie les mots triviaux. Pour Milton Hindus, il étale
plutô t sa culture, allant même jusqu’au Moyen  ge avec Ruysbroeck et
François Villon, le mystique et le voyou.
Là , il me fallait changer mon fusil d’épaule. Céline, non seulement ne
revendiquait absolument pas l’influence de Mirbeau, mais il ignorait
totalement notre auteur. Mais, dirons-nous : est-ce possible ? Céline a
beaucoup lu. Il ne débarque pas sans bagages dans la littérature. Quand
Mirbeau meurt, Céline a 23 ans. Les principaux romans de l’auteur de
Sébastien Roch et du Journal d’une femme de chambre sont encore
disponibles. Comment croire qu’un lecteur aussi curieux que le jeune
Destouches — pour ceux qui l’ignoreraient encore son véritable patronyme
— soit passé à cô té du Jardin des supplices ou du Journal d’une femme de
chambre ? Et puis, le grand écrivain était membre de l’Académie Goncourt.
Il était un faiseur de rois. Quand, en 1947, Céline écrit à Milton Hindus et lui
donne ses opinions littéraires, si Mirbeau avait été un auteur important à
ses yeux, il n’aurait pas oublié de le citer. Mais, objectera-t-on, il aurait pu,
aussi, omettre de le faire, parce qu’il lui aurait emprunté quelque chose.
Céline se voulait l’inventeur unique d’un style, le « rendu émotif ». Il se
croyait et se voulait, du coup, sans prédécesseur, sans maître. De nature peu
reconnaissante du tout, Céline aurait pu, en effet, parfaitement passer sous
silence l’influence décisive de Mirbeau. Après tout, il y a d’autres exemples,
Saint-John-Perse effaçant volontairement l’influence de Victor Ségalen sur
sa poésie en est un.
Enfin, ne disposant de rien d’autre que d’une intuition et de faibles
indices, pour ce qui concerne Mirbeau/Céline, il m’est impossible de
persévérer dans cette voie. À vrai dire, j’en suis plutô t soulagé. Il m’eû t
déplu, en effet, qu’à partir des Grimaces on aboutisse à Bagatelles pour un
massacre ; voire que Sébastien Roch contienne, de manière avérée, les
prémisses de Voyage au bout de la nuit. Parce que là , si Sébastien Roch est un
roman d’apprentissage qui se termine par la guerre et la mort au combat de
Sébastien, son ami Bolorec, qui tue son capitaine d’une décharge dans le dos
apporte au roman une fin anarchiste que Céline n’eû t pas osée, Bardamu,
dans le Voyage, se contentant de se faire réformer pour échapper à la
guerre, on remarquera que Mirbeau va plus loin que Céline. Bolorec, le
survivant, est peut-être un futur révolutionnaire anarchiste. Si Céline a tout
de même lu Mirbeau, je finis par croire que s’il ne le cite pas, c’est qu’il voit
en lui un renégat de l’antisémitisme, un traître, car Destouches/Céline a
baigné très jeune dans le climat de l’affaire Dreyfus, du cô té des
antidreyfusards. Et imaginons que le père de Céline, M. Destouches, ait lu
l’article « Palinodies », paru le 15 novembre 1898, dans L’Aurore, où Mirbeau
s’explique : « Donc, j’ai détesté les Juifs, et cette haine, je l’ai exprimée dans les
Grimaces… […] L’harmonie d’une vie morale, c’est d’aller sans cesse du pire
vers le mieux… Devant les découvertes successives de ce qui lui apparaît
comme la vérité, cet homme-là [Mirbeau] est heureux de répudier, un à un, les
mensonges où le retiennent, si longtemps, prisonnier de lui-même ces terribles
chaînes de la famille, des prêtres et de l’État. » Or Céline a fait exactement le
contraire, il est allé du mieux vers le pire, ou plutô t, dans le pire il a pataugé
toute sa vie, avec des rémissions qui n’ont pas duré longtemps. Le milieu
social du jeune Céline — paradigme de la petite bourgeoisie prospère — est
antisémite. La mère possède une boutique de dentelles de luxe et le père est
cadre supérieur dans une compagnie d’assurance. S’il arrive au père de lire
L’Aurore et s’il est tombé sur l’article de Mirbeau précité, c’est comme si
j’entendais d’ici ses « Nom de Dieu ! » et ses « Bordel de merde ! », ses
formidables imprécations contre les Juifs et les traîtres qui les soutiennent.
Rappelons-nous ce que dit le narrateur de Mort à crédit sur son père, qui
n’en a qu’après les Juifs, les francs-maçons : « Il déconnait à pleine bourre. »
Certes, ce qui réunit nos deux auteurs, Mirbeau et Céline, deux Normands,
c’est la force d’un style absolument personnel, un regard impitoyable sur la
société de leur temps, beaucoup plus que des expériences de vie
pratiquement identiques. On l’a dit, Mirbeau soutenait l’anarchie. Céline,
absolument pas. Ne sachant comment l’appréhender, après l’avoir cru mû r
pour le socialisme — il participe à l’Hommage à Zola rendu à Médan —, on
l’a qualifié, par facilité, d’anarchiste. Céline ne croyant pas en l’homme et en
sa perfectibilité, se laissant aller au racisme scientifique, confondant
l’humanisme et la zoologie, comment eû t-il pu être anarchiste ? Après la
deuxième guerre mondiale, lorsqu’il sort de sa prison danoise, des
admirateurs bien intentionnés se mobilisent à Paris, car il a suscité des
dévouements. Une campagne dans Le Libertaire tente d’émouvoir sur son
sort. Or certains, et non des moindres, tel André Breton, ne sont pas dupes,
et Breton le déclare : Céline, une fois sorti de prison, ne risque absolument
plus rien au Danemark.
Tant pis pour moi si je me trompe, en réalité tout sépare Mirbeau de
Céline. Les points de suspension et l’antisémitisme, il y avait illusion à leur
accorder trop d’importance. Mirbeau a répudié l’antisémitisme. Il a dit, dans
L’Aurore, son admiration pour Joseph Reinach, et cela a suffi, inutile qu’il
s’explique davantage, on a compris. « Mais je ne viens pas me disculper…,
écrit Mirbeau. J’ai mieux à faire. Et je saisis l’occasion qui m’est offerte — […]
— d’apporter à un homme que j’ai méconnu et que j’ai beaucoup attaqué, un
témoignage public de mon affection et de mon admiration. C’est de M. Joseph
Reinach que je veux parler. » Reinach ! Le neveu du principal financier de
l’affaire du Panama, Jacques de Reinach, à ce titre violemment conspué.
Suicidé ou assassiné, on ne sait. Joseph Reinach, qui organisa la défense de
Dreyfus. Se déclarer son admirateur, c’était vraiment se désigner à la
vindicte. Céline a eu des velléités de remords qu’il n’a pas rendu publiques.
Par rapport à Milton Hindus, il se sentit un peu gêné et lui écrivit quand
même, le 14 juin 1947, à propos de sa préface à l’édition américaine de
Mort à crédit  : « Vous glissez à merveille sur ce terrible antisémitisme  ! !
Hélas comment nous défendre  ! C’est le grand point faible — On peut
évidemment citer Jésus-Christ qui lui aussi a pesté contre les juifs et W.
Churchill dans une page d’une grande violence(PEU CONNUE) Cela ne nous
rachète pas ! Qui n’a pas pesté contre les juifs  ! Ce sont les pères de notre
civilisation — on maudit toujours son père à un moment donné — Leur ai-je
fait du mal  ? Rigolade  ! M’ont-ils fait du mal ? Hum… pas mal… J’en crève de
les voir insultés — Nous verrons la suite… de toute façon, il n’y a plus
d’antisémitisme possible, concevable. » Pourquoi donc ? Il explique à son
correspondant que, les Juifs étant aussi bien au pouvoir à Moscou qu’à New
York, ce serait une idiotie fondamentale. Quant à l’avenir, il précise : « On
reviendra sans doute au racisme, mais plus tard, et avec les juifs » À condition,
cependant, qu’ils ne soient pas trop « aveulis » J’imagine la tête de Milton
Hindus lorsqu’il lut ce passage. On voit donc bien tout ce qui sépare
Mirbeau de Céline sur ce point. Le premier a tout simplement changé. Il a
compris. Il est allé du « pire vers le mieux ». Et il ne reviendra plus en arrière.
Non seulement Céline ne reconnaît aucune culpabilité — il n’a jamais fait
aucun mal aux Juifs, dit-il — , mais il a à se plaindre d’eux. Ce sont eux qui,
au contraire… Il est lancé dans une concurrence victimaire. Le plus
innocent des persécutés, c’est lui. Il ne faut pas s’y tromper. L’antisémitisme
n’a plus de sens. Les Allemands n’ont rien compris au racisme. Céline ne
recule devant aucune énormité. Comme par exemple celle-ci : « Les nazis
eux-mêmes n’ont jamais pensé sérieusement au racisme — Ils s’en servaient
comme d’un appât électoral pour rallier quelques illuminés de mon genre — »
L’argument électoral vaut son pesant. En effet, Céline se reconnaît comme
un raciste scientifique, ennemi du métissage. C’est l’obsession « scientifique
» de son racisme qui le différencie profondément de Mirbeau antisémite.
Céline est tributaire de la lourde scientificité de la fin du XIXe siècle, époque
où l’on mesurait les crâ nes. Il n’y a pas renoncé. Dans sa correspondance
avec Milton Hindus, il fluctue, il fait quelques concessions mineures. Il s’est
fait avoir par les nazis, il le reconnaît. Autrement dit, ils sont coupables de
ses errements. Mais c’est tout. Il n’ira pas plus loin. De retour en France et
publiant chez Gallimard, désormais à l’abri des poursuites, tout à fait
réhabilité, ses vieux démons le reprennent. Ce ne sont plus les Juifs qui le
hantent, mais les Chinois. Autre chose : l’or. Céline est obsédé par l’or. Il a
transformé la fortune gagnée par ses droits d’auteur en or. L’or a été caché
au Danemark, raison de sa présence dans ce pays. Céline a bien vécu à
Copenhague grâ ce à son or. On n’a jamais entendu dire qu’il ait aidé
personne. En 1898, Mirbeau a payé de ses deniers l’amende à laquelle Zola
a été condamné pour avoir publié J’Accuse dans L’Aurore. En 1904, par sa
notoriété, il aide au lancement de L’Humanité en y donnant articles et
chroniques. Bref, on n’en finirait plus de pointer les différences qui
séparent les deux écrivains. On a voulu oublier que Céline, l’auteur d’une
œuvre dérangeante et sulfureuse, était, en tant que personne privée, un
réactionnaire raciste et antisémite, un partisan de l’ordre et un défenseur
des privilèges et de l’armée ; en tant que médecin travaillant dans des
dispensaires, un partisan du contrô le social, de la surveillance des malades,
donnant comme exemple à suivre, en France, celui de Ford, à Détroit. À
partir de 1940 et de la défaite française, il proclamera son antériorité, et
donc sa supériorité sur tous les autres, en tant que collaborateur hitlérien et
antisémite. Il sera le seul, le vrai l’anthentique raciste, faisant la leçon à cette
« fillette » de Brasillach. On le verra souvent à l’Institut des Questions Juives.
Il sera le chouchou du docteur Karl Epting, de l’Institut allemand, qui lui
fournira tout le papier nécessaire à la réimpression de ses pamphlets
d’avant-guerre.

Il apparaît maintenant que l’influence de Mirbeau sur Céline n’existe


pas. D’une part, l’intuition qui m’a lancé sur cette piste, s’est révélée une
illusion. Et, d’autre part, il est impossible de jeter des passerelles entre ces
deux œuvres, comme certains ont essayé de le faire. Je ne citerai que
Michaël Prazan qui, dans son article « L’antisémitisme de Céline : le style
c’est l’homme, » paru en 2003 dans les Temps modernes n° 623, a essayé de
construire ce laborieux rapprochement, tout en reconnaissant à Mirbeau
l’abandon sincère de l’antisémitisme et son soutien à Alfred Dreyfus, à qui
notre romancier écrivit, le 1er octobre 1907 : « Vous avez montré, vous, un
beau caractère, un beau désintéressement, et, finalement, un beau dégoût. Le
contraste est saisissant, et fait que les rares fidèles à rester eux-mêmes vous
aiment plus encore. »
Chez Mirbeau, l’antisémitisme s’est cantonné aux Grimaces. Dès
l’affaire Dreyfus, il est surmonté et liquidé. Mieux même, il sera vilipendé
dans Le Journal d’une femme de chambre, à travers le personnage de Joseph,
moqué et ridiculisé dans les discours des personnages des 21 jours d’un
neurasthénique. De toute façon, les romans de Mirbeau appartiennent à une
autre sphère. Ils n’ont pas servi d’exutoire à ses mauvaises passions, ou
alors ils ont eu une fonction cathartique. Transposition et sublimation dans
l’art, telle a été l’action littéraire de Mirbeau, et invention de nouvelles
formes qui l’ont conduit au-delà du naturalisme de son époque, sans aller se
perdre dans le symbolisme quintessencié.
Dès lors, il est impossible de suivre Michaël Prazan dans sa
démonstration, surtout quand il compare la croisière des personnages du «
Saghalien » dans Le Jardin des supplices et l’épopée minable virant au
burlesque de Bardamu à bord de « L’amiral Bragueton ». En effet, moi, je
n’ai relevé aucune parenté de style. Certes, les passagers des deux croisières
ont à supporter et à affronter la chaleur déliquescente des tropiques, mais
le but de leur voyage, comme on sait, n’est pas le même. Et puis, n’oublions
pas comment Le Jardin des supplices a été composé. Toute la violence qui
l’imprègne est provoquée par l’ambiance des années pendant lesquelles
dreyfusards et antidreyfusards se sont affrontés. C’est un patchwork de
textes écrits à des époques différentes que Mirbeau a fini par mettre
ensemble, qu’il a unifiés et réécrits et qu’il a finalement reconstruits dans
un livre publié en 1899. Si l’auteur du Voyage n’a certes pas écrit son roman
tout d’une traite, s’il l’a pris et repris au fil des années de sa rédaction,
mettant de la chair autour de L’Église, son scénario de base, il reste aussi
que sa fiction est loin d’être une pure œuvre d’imagination. La guerre,
l’Afrique, l’Amérique, la banlieue parisienne, Céline les a réellement
pratiquées et visitées. Toute la violence lyrique du livre est due à ce génie de
l’exagération folle qu’avait déjà pointé en son temps André Gide. Mais cela
reste du naturalisme exacerbé, ou de l’hypernaturalisme, comme on voudra.
Ce n’est pas le cas du Jardin de Mirbeau, qui n’a pas de base réelle, ni de but
pratique. On y sent une constante ironie, non plus douce, mais plutô t
sauvage, dans les différentes descriptions où les plus triomphantes
manifestations génésiques mènent immanquablement à la mort. Pour ce qui
concerne la chaleur et autres sensations pénibles sous les tropiques ou
l’équateur, Mirbeau s’est évidemment documenté, puisque lui-même n’a
jamais voyagé dans ces contrées inhospitalières. Quant au bagne chinois—
le Jardin des supplices lui-même — , il doit tout à sa puissance
d’imagination et à ses fantasmes, ce lieu de tortures raffinées et sadiques
au-delà de l’imaginable n’existant tout simplement pas. (Néanmoins, ce qui
s’en rapprocherait le plus, ce serait le bagne de Poulo-Condor, créé par les
Français de la période coloniale, dans l’archipel de Cô n Dà o, et réputé pour
sa cruauté.) Bien sû r, le roman propose une image conventionnelle des «
supplices chinois », faisant de la Chine le lieu de l’altérité absolue, mais il est
aussi une critique féroce de la violence coloniale, car, sous l’angle du
sadisme, les coloniaux se sont montrés insurpassables. Le Jardin des
supplices est donc, au final, un ouvrage de pure création, qui atteint à une
vérité profonde, par son outrance décadente, qui le range, mais dans un tout
autre genre, dans la même catégorie que À rebours de Huysmans. La bible
du décadentisme peut donc se décliner en deux parties : À rebours et Le
Jardin des supplices. Le Voyage au bout de la nuit est, lui, un roman
d’apprentissage puisé dans l’expérience foisonnante du docteur Destouches,
lequel a réellement séjourné, au sortir de la guerre, qui n’est pas terminée
en 1916, au Cameroun. Mais bien sû r, Bardamu n’est pas Destouches, même
si Céline va s’inspirer de l’expérience de l’homme de 22 ans qu’il était alors
et qui avait été engagé par une compagnie coloniale pour diriger une
plantation.
Mais revenons au Jardin des supplices et à son narrateur. L’homme qui
embarque sur le « Saghalien » passe pour un savant, chargé de mission par
le gouvernement français. « Dès que j’eus mis le pied sur le paquebot
j’éprouvai, immédiatement, l’efficacité de ce qu’est un titre officiel, et
comment, par son prestige, un homme déchu, tel que j’étais alors, se grandit,
dans l’estime des inconnus et des passants, par conséquent, dans la sienne. Le
capitaine, "qui savait mes admirables travaux" », m’entoura de prévenances,
presque d’honneurs. La cabine la plus confortable m’avait été réservée, ainsi
que la meilleure place à table. » Autre ambiance sur « l’Amiral Bragueton »
de Voyage au bout de la nuit. Bardamu n’y est pas vraiment un hô te de
marque, c’est le moins que l’on puisse dire. Et on le lui fait bien sentir : « Si
j’avais eu quelque expérience des milieux coloniaux, au départ de Marseille,
j’aurais été, compagnon indigne, à genoux, solliciter le pardon, la mansuétude
de cet officier d’infanterie coloniale, que je rencontrais partout, le plus élevé
en grade, et m’humilier peut-être au surplus, pour plus de sécurité, aux pieds
du fonctionnaire le plus ancien. Peut-être alors, ces passagers fantastiques
m’auraient-ils toléré au milieu d’eux sans dommage ? Mais, ignorant, mon
inconsciente prétention de respirer autour d’eux faillit bien me côuter la vie. »
Certaines voyageuses favorisent sa mise à mort en excitant leurs
compagnons contre lui. Sur le « Saghalien », le narrateur rencontre Miss
Clara, qui va lui faire connaître un extraordinaire amour et l’initier à la
sublime voracité de la femme. Sur « L’Amiral Bragueton », Bardamu ne doit
sa survie qu’à la ruse et touche terre subrepticement, ce qui lui permet
d’échapper à ses persécuteurs. Mais il y en aura d’autres, car le roman de
Céline n’est qu’une longue litanie d’épreuves dont il est impossible de sortir
indemne. Dans Le Jardin des supplices, « l’homme au visage ravagé » — le
narrateur du roman — , après s’être beaucoup compromis dans des actions
qui eussent dû le mener au suicide, reçoit l’illumination finale qui le
convainc de la puissance inaltérable de l’être humain le plus complexe de la
création : la femme.
Il est donc vain de chercher entre les deux romans un lien qui n’existe
pas, rien que pour la nécessité d’une démonstration intellectuelle. On ne
trouvera pas plus dans la veine pamphlétaire de Mirbeau que dans son
œuvre romanesque ou théâ trale la relation que veut à tout prix imposer
Michaël Prazan dans l’article que j’ai cité. Tout nous manque pour y
parvenir, et, d’ailleurs, Prazan lui-même le reconnaît : « S’il est difficile, à
partir de cette confrontation, de conclure à la relation intangible unissant
Céline à Mirbeau (cette relation n’étant par ailleurs pas démontrable) »,
conclut-il, il n’en affirme pas moins qu’ils ont en partage une « rhétorique
commune » Il va d’ailleurs essayer de la retrouver chez Zola, et
particulièrement dans L’Assommoir, les délires de Coupeau à l’appui. Mais
Zola n’ayant pas antérieurement publié de pamphlet antisémite, il n’insiste
pas trop. Et d’ailleurs L’Assommoir est un exemple particulier dans l’écriture
romanesque de Zola, qui essaie de faire parler les ouvriers parisiens. Pas
plus que de Mirbeau on n'aboutit de Zola à Céline.
Au fond et à la fin, ce qui distingue vraiment Mirbeau de Céline, c’est
l’humanisme, ce mot si décrié. Le message de Céline, c’est le nihilisme le
plus désespéré, et en définitive ce qu’il en reste, c’est la haine. Au lieu de
tomber en pâ moison devant Hitler, ce qu’il a tenté de dissimuler après la
guerre, Céline, s’il avait été un véritable libertaire, aurait dû rejeter le
racisme d’É tat de l’Allemagne. Au nom, précisément, de l’anarchie. Malgré
une vision plutô t noire, Mirbeau croit tout de même que l’homme peut être
sauvé. Il y a l’art. La peinture. La sculpture. Mirbeau s’enthousiasme pour
Monet et l’impressionnisme. Van Gogh et Pissarro. Cézanne. Il achète leurs
œuvres. Il admire et défend Rodin. Mais aussi Camille Claudel. Deux copieux
volumes attestent encore aujourd’hui de la vigueur de ses combats pour
l’art. Et il y a l’anarchie. L’anarchie ne peut pas fonctionner si l’homme n’est
pas bon et incapable de solidarité. L’anarchie, c’est la perfection réalisée.
Pour la défendre et espérer la maintenir envers et contre tout, il faut croire
un minimum en l’être humain. Le critique anarchiste Félix Fénéon, en
homme qui se méfiait des mots, écrivit en 1919 : « La propagande d’Octave
Mirbeau en faveur des artistes qui, du fait de leur originalité trop nette,
étaient en butte à l’incompréhension et à l’hostilité, est un des aspects les plus
séduisants de l’action qu’il exerça sur les idées de son époque. » Céline, lui, est
demeuré englué dans ses marécages. À partir de 1947, il n’a fait que
ressasser ses malheurs et ses haines recuites. Comme la première guerre
mondiale a été pour lui ce grand électrochoc qui a déformé pour trente ans
sa conception de l’existence, sa fuite en Allemagne, en 1944, son
arrestation, sa prison et son exil au Danemark, ensuite, produiront en lui
des séquences répétitives, qui ne cesseront de le hanter, comme des
hallucinations, le restant de sa vie. Tout ce qu’il parvient à sauver de son
naufrage, c’est la danse, et encore une danse très conventionnelle dont son
épouse a été une artiste mineure. De même en peinture, Céline est
incapable de citer personne d’autre que Gen Paul, le peintre montmartrois,
et Henri Mahé, le peintre des bordels, artiste mineur lui aussi. Dans une
lettre à Milton Hindus, il vante les jambes des Américaines — « l’anatomie
est mon dieu » –, sans s’élever plus haut que l’admiration pour un corps bien
fait de femme. Et son correspondant étant juif, il rend hommage, très
tactiquement, aux producteurs juifs de Hollywood, à ses yeux (en1947) de
véritables « Athéniens ». Mais dans son pamphlet Bagatelles pour un
massacre réédité sous l’Occupation, les mêmes « Athéniens » étaient traités
de maquereaux.
Mirbeau a couvert trente années d’évolution artistique et littéraire, il
a changé, il a rompu avec son passé. Il a évolué. Ce qui lui a permis cette
fantastique capacité d’empathie qui, de Maeterlinck à Léon Bloy, d’Alfred
Jarry à Tolstoï et à tant d’autres ne lui a jamais manqué.
Cependant, si je sais maintenant, à l’issue de cette méditation en
direct, que Mirbeau et Céline, littérairement et humainement parlant, sont
étrangers l’un à l’autre, il est clair que certains ont depuis longtemps pensé
le contraire et n’ont sans doute jamais changé d’avis. Que d’autres, connus
ou inconnus, se trompent de bonne foi. Lisant récemment le Journal de
Julien Green, je trouve un passage écrit en décembre 1948 : « Hier me tombe
sous la main un livre qui a fait grand bruit. […] Il s’agit du Tropique du
Cancer de Henry Miller. Mais dès les premières pages je suis ahuri par un
déluge d’ordures, j’ai l’impression qu’on verse sur la tête du lecteur le seau de
toilette que se sont passé, en faisant la chaîne, Zola et Mirbeau et Céline. » Il
ne fait pas de doute que Miller a lu Céline, qu’il ait eu connaissance de
Mirbeau, c’est moins sû r. Relier Mirbeau à Céline dans une chaîne qui les
conduit à Miller, cela pourrait avoir une certaine pertinence si le point de
vue de Green n’était pas totalement négatif. En effet, il fait d’eux des
vidangeurs des productions excrémentielles de l’individu. Des naturalistes.
Or rien n’est plus faux, on l’a vu, pour Mirbeau, que Green rattache à Zola.
En réalité, ce qui a uni les deux écrivains, c’est la défense d’Alfred Dreyfus,
une noble entreprise que Green semble ignorer absolument. Mais
qu’importe si Green, mort à 98 ans, n’a jamais changé d’avis sur Mirbeau,
ainsi qu’en témoigne son journal. Quant à Zola, dont il cite le nom assez
souvent, Green consigne, assez sceptique, les éloges de Gide sur
L’Assommoir. Si l’on veut des éclaircissements sur un écrivain, il vaut mieux
ne pas les demander à ses confrères. Il arrive pourtant à Green, les années
suivantes, de se plonger dans d’autres livres de Miller, et ses jugements se
font plus nuancés, moins sévères, et il lui reconnaît une forme de génie.
Hélas pour lui, en ce qui concerne Mirbeau, il ne s’est pas repris !
Acceptons-le : il se trouvera toujours quelqu’un pour faire de Mirbeau
le précurseur caché de Céline… tant que l’on s’intéressera à eux.
Si j’avais à exprimer un souhait, ce serait que la gloire de Céline enfin
s’efface et qu’elle laisse la place à Octave Mirbeau dont nous commémorons
cette année le centenaire. Et je dirais aux thuriféraires de Céline et à ceux
qui les suivent mécaniquement : essayez Mirbeau et oubliez Céline.

Maxime BENOÎT-JEANNIN
Bruxelles

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