27 - Turpin - Beatrice. Szabo Monografija
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We intend to study what slang can teach us about the imaginative world of its
speakers, and about their way of considering reality, because imagination is
also a part of our approach to reality.
Our study concerns two distinct periods of slang in France, particularly in
the language of the people we study: the people of Paris in the late nineteenth
and early twentieth centuries and young suburban people nowadays.
Il est un besoin très vif et très répandu que nous appelons le besoin de savoir ce
qui se dit, – par opposition au besoin de savoir ce qui doit se dire, – le seul que
nos lexiques officiels satisfont généralement.
On ne saurait en effet négliger la connaissance de ce qui se dit. – Non pas
que nous en recommandions le moins du monde l’adoption ! Non pas que nous
voulions porter la moindre atteinte au respect de la langue officielle ! Mais il est
toujours bon de se rendre compte des choses, ne serait-ce que pour les mille
nécessités de la vie sociale, à Paris, surtout, où un puriste pourrait se trouver
exposé au risque de ne pas comprendre certains Français (LARCHEY 1881,
p. XXXIII).
Cette remarque nous semble encore valable aujourd’hui où l’argot naît dans
les banlieues mais se retrouve dans les publicités, au cinéma, à la télévision, et
où certains des mots ainsi forgés finiront par entrer dans le français standard.
On peut aussi étudier l’argot car il témoigne de représentations sociales
partagées par un groupe à une époque donnée. À ce titre, l’étude de l’argot
permet de mieux appréhender, à travers l’apprentissage lexical, des traits de la
culture d’un pays donné – culture étant ici pris au sens de « patrimoine de
connaissances et de valeurs abstraites propres à une société » (TLF, article
« Culture »). L’étude de l’argot peut entrer dans le champ de cette nouvelle
discipline qu’est la lexiculture, qui concerne l’étude des dimensions culturelles
du lexique (GALISSON 1998).
Pour un étudiant étranger, comme pour un Français, l’argot a donc ce triple
intérêt : intérêt linguistique et étude du fonctionnement d’une langue et des
fonctionnalités du langage ; intérêt du point de vue de la communication pour
comprendre ce qui se dit dans une langue ; intérêt du point de vue de la
civilisation, de l’histoire des idées et des représentations.
Nous aimerions, à cet égard, comparer l’imaginaire et les représentations
sociales véhiculés par l’argot à partir d’un thème, celui du corps et des termes
s’y rapportant, car l’argot nous parle toujours assurément du corps : la
thématique du corps y est toujours sur représentée. Nous allons voir que derrière
cette thématique se profile le non-dit de représentations inconscientes touchant
au rapport de soi à l’environnement et aux autres.
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langue, nos lèvres, nos muscles… et finalement, avec tout notre corps. Les
gestes du corps participent, en effet, à la mise en sens du discours et à son
interprétation.
Nous parlons aussi avec notre corps car, en même temps que nous
prononçons des phrases, nous situons notre corps dans l’espace, dans le temps,
nous nous situons par rapport à l’autre… C’est l’ici, le maintenant, l’avant,
l’après, etc., ce que l’on appelle aussi la présence du sujet dans le discours.
Ces traits sont valables dans toutes les langues dès lors qu’une langue
s’actualise en discours, mais déjà avec des traits culturels particuliers. Il y a en
effet du culturel dans les gestes qui accompagnent le discours, dans la manière
dont les langues représentent le temps ou les localisations, mais aussi dans la
manière dont les langues s’approprient le corps, et dans ce qu’elles nous disent
du corps. C’est ce que nous allons essayer de voir ici, à travers une série
d’observations.
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Ce sont les lieux du corps les plus nommés – en ceci ce lexique a bien les
caractères d’un argot.
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(« estomac », « gorge »), tromblon (« gosier »). Nombreux sont, en outre, les
termes qui montrent une vision du monde assez noire, à travers des métaphores
qui dévalorisent le corps (aussi appelé bauge), particulièrement la bouche
(collecteur, évier, poubelle, trou), alors que, paradoxalement, le sexe n’est pas
dévalorisé.
Les mots d’origine étrangère sont rares (c’est l’époque des expositions
universelles : entre 1855 et 1900, cinq auront lieu à Paris). Nous avons
seulement relevé boccabella (« bouche ») en provenance de l’italien et zeb, zebi,
zeub (« pénis ») de l’arabe maghrébin ainsi qu’un anglicisme skating à mouches
(« crâne chauve ») qui vient probablement de l’argot du théâtre.
Les provincialismes sont, quant à eux, assez nombreux. Ainsi, nous avons
par exemple gargue, goule et pertuis pour « gosier », douillure pour
« chevelure », guibe, guibon pour « jambe », boudine pour « nombril »
(survivance de l’ancien français), loche et esgourde pour « oreille », estafe pour
« cicatrice », fanoche pour « ride », roubignoles pour « testicules » (du
provençal roubignoli), mouve pour « visage » (également du provençal).
C’est ici l’argot du peuple de Paris, un parler commun aux Faubourgs ou à la
Place Monge. La cartographie parisienne dessine déjà une frontière linguistique.
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Notons que la plupart des termes pour désigner le sexe masculin ou féminin
et même le postérieur sont déjà présents dans le dictionnaire de Bruant :
* Sexe masculin :
Braquemart : « épée courte à deux tranchants » ; par métaphore.
Breuchi est la forme verlanisée de chibre, cité par Bruant ; breuch vient de la
même origine avec apocope.
Reaupoi est la forme verlanisée de poireau, présent chez Bruant.
Teub est également la forme verlanisée de bitte que l’on retrouve chez Bruant.
Zeub se retrouve également chez Bruant, avec les variantes zeb, zebi, zèbre et
provient de l’arabe maghrébin zeb, zob « membre viril », zebbi « mon ~ ». Les
formes zeb et zèbre sont attestées en argot dès 1867 chez Delvau (TLF).
Pélo ou pelo « sexe masculin » peut être rapproché du romani pelo « testicule »
(GOUDAILLIER 2001). On trouve déjà la forme pélo en 1877 chez Chautard
avec le sens de « sou », sens encore vivant en argot moderne ; il nous semble
que les deux formations peuvent être associées, comme nous y invite le terme
de pelote qui désigne en argot à la fois l’argent et les testicules, par un emploi
métaphorique déjà attesté en 1854 (TLF, COLIN 1990)
* Sexe féminin
Ces remarques sont également valables en ce qui concerne le sexe de la
femme.
Chatte est un terme d’argot traditionnel que l’on retrouve dans le langage des
cités, ainsi que dans ses formes verlanisées teuscha et teusch après apocope du a
final.
Le terme choune est cependant d’introduction récente et vient du berbère
(GOUDAILLIER 2001).
* Même types de formations pour l’appellation « derrière » :
Reprise à l’argot ancien : Pétard et sa version verlanisée tarpé ;
Formations verlanisées avec uc, ulc ; largonji de type javanais avec
cavu ;
Métaphore avec boule.
Les formations récentes sont, par contre, prédominantes pour les
désignations de la poitrine de la femme. Celles-ci dérivent de trois types de
formations : dérivations à partir de l’argot ancien ou traditionnel, emprunts
étrangers et formations métaphoriques.
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Celui qui ne saura se faire respecter est un fia, terme qui désigne aussi un
gars, mais avec une forte valeur péjorative (sans doute, par métonymie, à partir
de fias, fiac qui désigne en argot l’anus 1 ).
À ces valeurs de la force corporelle s’adjoignent celles de la vigueur, de la
forme : être très bien, être super, être de la balle, être kiffant, être une rafale.
Valeurs de la force et de la vigueur sont liées à la valeur de l’affirmation de
soi et de la frime qui lui est liée : taper la frime, se la donner, faire crari, faire
le kéké, flamber, béflan, gazer, se la jouer, se la pèter, se la raconter.
Les violences de novembre 2005 dans les banlieues françaises sont inscrites
en partie dans ces mots : flamber, gazer, se la jouer, se la raconter.
La résolution des problèmes de la banlieue passe peut-être par le décodage
des mots de la cité.
_________________________
BÉATRICE TURPIN
Université de Cergy-Pontoise
Université René Descartes – Paris 5 (PAVI)
Courriel : beatrice.turpin@free.fr
Références
BRILLAT-SAVARIN Anthelme, 1826, Physiologie du goût, ou Méditations
de gastronomie transcendante, Paris, A. Sautelet.
BRUANT, Aristide, 1993 (1901), L’argot au XXe siècle, Paris, Éditions
Fleuve Noir.
COLIN Jean-Paul, 1990, Dictionnaire de l’argot, Paris, Larousse.
ESNAULT Gaston, 1965, Dictionnaire historique des argots français, Paris,
Larousse.
FRANÇOIS-GEIGER Denise, 1990, Introduction, in COLIN Jean-Paul,
Dictionnaire de l’argot, Paris, Larousse.
1
Fiac est attesté en ce sens dans le dictionnaire de Bruant. Jean-Paul Colin note, quant à lui,
déjà le sens de « camarade » pour fias ou fiasse, au début du XXe siècle.
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