Schiffter, Frédéric - Pesimismo Chic - Philosophie Magazine
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Essai
Du pessimisme chic
Frédéric Schiffter publié le 29 avril 2021 12 min
Infectés d’espoir
Outre cet essai influencé par Nietzsche, Rosset a écrit trois études
lumineuses consacrées à Arthur Schopenhauer. Or il m’est toujours
apparu que sa notion de force majeure ne pouvait cacher un air de
famille avec le vouloir-vivre schopenhauerien en ce que l’une et
l’autre désignent un élan aveugle, absurde, poussant les humains, de
même que les animaux, à affronter vaille que vaille leur condition
respective – mortelle pour les seconds, tragique pour les premiers.
Une différence de condition, toutefois, qui oblige à reconsidérer le
caractère joyeux de la force majeure. La bête ignore qu’elle mourra.
Sans doute éprouve-t-elle à l’approche de son dernier souffle le
pressentiment d’un moment fatidique, mais, tant que l’instinct la
meut, le sentiment tragique de sa fin, comme de la fin de tout, lui
échappe. Dès lors, elle seule est euphorique, au sens littéral du mot
euphoria : heureusement portée de la naissance à la mort. Les humains,
en revanche, dont le vouloir-vivre se manifeste en partie sous la
forme de l’intellect et de l’imagination, sont frappés, dit
Schopenhauer, d’une « stupéfaction douloureuse » face à leur présence
dans le monde. La conscience d’avoir à affronter une adversité qui
finira par les vaincre les rend si peu euphoriques, si mal portants, que
leur animalité même en est dénaturée. Une fois nés, il leur faut peu
de temps pour savoir qu’une malédiction touche leur espèce. La
hantise de la mort, de la décrépitude, de l’esseulement, de la douleur,
des échecs – bref, la certitude du pire (pessimus) –, à quoi s’ajoutent
les regrets et les mécomptes, les changent en animaux infectés
d’espoir. Eussent-ils, au cours de leur évolution, ignoré la
représentation sensible du temps, jamais leur langage n’aurait
dépassé les bornes d’une grammaire des besoins pour se répandre
dans la verbosité métaphysique. Les premières lueurs de
l’intelligence ayant suffi à leur donner la claire vision d’un devenir
pénible et bouché, ils se sont adonnés sans tarder, en même temps
qu’au bricolage d’outils, aux extravagances de l’abstraction, aux
incantations du salut, aux superstitions de l’optimisme. Voilà
pourquoi, quand il leur arrive d’observer des singes, ils ne peuvent
chasser de leur esprit l’idée que l’humanité aurait dû s’effacer devant
ces proches cousins pour leur laisser l’Histoire.
Essence de la tragédie
Avec ce ton bravache qui plaît tant à ses admirateurs, Nietzsche
écrit dans Ecce homo : « J’ai le droit de me considérer comme le premier
philosophe tragique, c’est-à-dire comme le contraire et l’antipode d’un
philosophe pessimiste. » En d’autres termes : « Schopenhauer dénigre
la vie, moi, je la célèbre. » Que Nietzsche ne soit pas un philosophe
pessimiste, nul n’en doute. Mais Nietzsche n’est pas davantage un
philosophe tragique, dans le sens où, en se qualifiant de la sorte, il
s’imagine rompre avec son maître, son « éducateur », et le dépasser.
Schopenhauer n’a bien sûr que sarcasmes pour les optimistes. « On
me dit d’ouvrir les yeux et de promener mon regard sur la beauté du
monde que le soleil éclaire, d’admirer ses montagnes, ses vallées, ses
torrents, ses plantes, ses animaux, que sais-je encore ? Le monde n’est-il
donc qu’une lanterne magique ? Certes le spectacle est splendide à voir,
mais y jouer son rôle, c’est autre chose. » Cependant, on aurait peine à
trouver sous la plume même de Schopenhauer le mot de
« pessimisme » par lequel d’autres que lui définissent sa philosophie.
À aucun moment, il ne condamne la vie quand bien même il en
expose en grand et en détail toute l’horreur. Condamner une chose
suppose la vouloir autre ou en vouloir une autre à sa place. Or ce
monde où le malheur règne sans partage est notre seul monde,
insiste Schopenhauer. Il nous échoit de nous y débattre jusqu’à la
mort. Rien ne sert de le dénigrer. Évitons de jouer les fiers-à-bras
devant l’adversité. Tendons à la résignation, le seul exploit à notre
portée. Quelques joies nous seront données par surcroît.
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