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REVUE ASYLON(S)
3| Migrations et Sénégal.
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Dr Cheikh Oumar Ba est sociologue, coordonnateur adjoint de l’Initiative prospective agricole et rurale (IPAR),
spécialiste en migration et genre, expert en politiques agricoles et rurales et membre fondateur du Centre de
recherches sur les politiques sociales au Sénégal (...)
(...)
Dr Alfred Iniss Ndiaye est sociologue, enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis,
spécialiste en sociologie du travail et des organisations, membre fondateur du Centre de recherches sur les
politiques sociales au Sénégal (CREPOS).
(...)
CITATION
Cheik Oumar Ba, Alfred Iniss Ndiaye, "L’émigration clandestine sénégalaise ", REVUE Asylon(s), N°3, mars 2008, Migrations et
Sénégal., url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article717.html
RÉSUMÉ
Contrairement aux idées reçues, l’émigration clandestine n’est pas un phénomène nouveau. Cet article a pour objet
de dresser un portrait de l’émigration clandestine en provenance du Sénégal. Devant la persistance et l’amplification
du phénomène, il analyse les principaux déterminants de la migration tout en éclairant le rôle des différents acteurs
impliqués. Il analyse également les conséquences de ce phénomène pour interroger les politiques mises en œuvre sur
cette question.
MOTS CLEFS
Migrations | Sénégal | Afrique | Sociologie |
Introduction
Emigré par rapport au pays d’origine, immigré par rapport au pays d’accueil, les
migrants attirent de plus en plus l’attention des gouvernants, des décideurs
politiques et des organisations des Droits de l’Homme. La migration, qu’elle se
fasse dans les règles ou dans la clandestinité est sujette à des trafics d’influence
ou de manipulations. Les migrants économiques, les demandeurs d’asile et les
réfugiés empruntent le plus souvent les mêmes itinéraires et les mêmes filières.
Pour les migrants en transit, le passage de la légalité à l’illégalité ne tient qu’à un
fil. La clandestinité peut surgir tout au long du processus migratoire. Le migrant
peut accéder légalement dans un pays de transit ou de destination, y séjourner
en toute légalité : il suffit qu’il dépasse la période de transit autorisée pour qu’il
devienne irrégulier. Il est possible également qu’un étranger puisse accéder
illégalement dans un pays tiers, y séjourner illégalement et sortir en toute
légalité pour accéder ensuite illégalement à un autre pays. Toujours est-il que,
de nos jours, émigrer légalement ou illégalement, tente une grande partie de la
jeunesse sénégalaise.
Le malaise ressenti par les jeunes s’est accentué depuis un certain nombre
d’années sous l’effet des changements importants intervenus au sein de la
plupart des sociétés et familles africaines. L’urbanisation croissante et son
corollaire qui est la montée de l’individualisme conduisent à la nécessité de se
prendre en charge dans une société pourtant en crise. La migration parait être
un élément important pour le salut. Dans les familles, les mécanismes de
solidarité s’affaiblissent chaque jour du fait de l’approfondissement de la crise
économique et de la progression de la pauvreté. L’image du jeune chômeur qui
se couchait et se réveillait tard, qui était assuré de prendre ses repas quotidiens,
qui buvait tranquillement son thé à longueur de journée en écoutant de la
musique, tend à disparaître progressivement. Le regard des autres pèse de plus
en plus sur le jeune chômeur et le contraint de sortir de la maison. Ce regard
devient inquisiteur dans les familles polygames où la rivalité entre les demi-
frères est la règle. Le départ d’un demi-frère en Europe est une raison suffisante
pour faire la même chose. C’est sur fond de rivalité entre co-épouses que les
mères de familles encouragent leurs enfants à émigrer. Elles participent d’ailleurs
souvent au financement de leur voyage vers l’Espagne et au-delà.
Deux autres éléments ont joué un rôle fondamental dans l’essor de la migration
clandestine. La présence d’un réseau d’entraide constitué est au cœur de toute la
dynamique de la migration clandestine. Le paramètre décisif du choix d’un pays
de destination est la possibilité d’obtenir un travail, d’exercer un emploi au noir,
grâce notamment à la présence de contacts familiaux ou claniques sur place. Et
tous les migrants clandestins ouest-africains qui parviennent à entrer en Espagne
sont facilement accueillis par des compatriotes et parents établis sur place.
L’essentiel pour un migrant est d’atteindre les côtes espagnoles, l’accueil et
l’insertion étant facilitées par des compatriotes.
Les milieux d’affaire dans les pays d’accueil et les réseaux de passeurs
internationaux sont les acteurs principaux bénéficiaires de la migration
clandestine. Cependant, en amont, de par leurs attitudes, les communautés des
pays de départ ont beaucoup contribué à alimenter le phénomène.
La famille et les communautés jouent ainsi un rôle actif dans l’augmentation des
flux migratoires clandestins. Le rôle de la famille, de la mère de famille en
particulier, se situe à plusieurs niveaux. Le harcèlement quotidien qu’elle exerce
sur le jeune chômeur ou travailleur ayant des revenus modestes pour qu’il tente
d’émigrer comme les autres peut avoir une certaine efficacité. Le discours de la
mère se fonde sur la nécessité d’aider à la survie de la famille. Dans les
entretiens, beaucoup de candidats ont admis qu’ils ont subi une très forte
pression de la famille. Ils n’avaient pas d’autre choix que de tenter l’aventure
comme untel qui vivait dans le quartier et qui a réussi à atteindre l’Espagne. Des
mères ont admis avoir elle-même encouragé leurs fils à partir.
Après la mise en place de patrouilles côtières, les migrants se sont rabattus sur
des plages moins surveillées, comme celles du Sénégal, de la Gambie, de la
Guinée Conakry et de la Guinée Bissau. Les côtes ouest-africaines, et les côtes
sénégalaises en particulier, sont donc devenues les points de départ pour de
nombreux candidats à l’émigration clandestine vers l’Europe. Ils embarquent [12]
ainsi à bord de grandes pirogues à destination des îles Canaries situées à
quelque 1 500 kilomètres de la côte sud du Sénégal.
Par le hasard de la géographie, la Mauritanie devint à la fin des années 1990 l’un
des principaux centres de transit des migrants clandestins ouest-africains vers
l’archipel des Canaries, distantes de 800 km de ses côtes. A partir de 2006, la
Mauritanie a procédé, avec le concours de l’Union européenne, au renforcement
du contrôle de ses côtes. Une fois encore, d’autres alternatives furent trouvées
par les passeurs avec l’exploitation des côtes sénégalaises, gambiennes et
capverdiennes plus éloignées de l’Espagne. Le trajet est long et périlleux à partir
de Saint-Louis (7 à 10 jours de mer), d’où la grande fréquence des naufrages des
frêles embarcations, munies seulement de GPS et dépourvues de tout système
de sécurité. Le voyage se fait à bord de pirogues communément appelées samba
laakhara en pulaar c’est-à-dire « samba qui va vers l’au-delà » ou locco en wolof
du fait de leur précarité et des risques encourus par ceux qui ont recours à ce
mode de transport.
Les principaux itinéraires migratoires n’offrent aucune sécurité aux migrants. Les
routes du désert sont aussi périlleuses que les routes maritimes. Malgré tout, des
milliers de migrants ont réussi ces dernières années à rejoindre les côtes
espagnoles et à trouver du travail en Espagne.
Dans l’opinion, auprès des candidats migrants, des familles et des autorités, il
existe souvent une forte fixation sur les migrants qui ont réussi à rejoindre
l’Espagne et trouvé du travail. Cette focalisation alimente des attitudes ambiguës
de la part de l’Etat et des familles relatives à la gestion de la migration
clandestine.
Le Sénégal a crée le Plan retour vers l’Agriculture (Plan REVA) que les jeunes ont
rejeté en disant : « le Plan REVA ne nous fait pas rêver ». L’agriculture n’a
jamais attiré les jeunes, elle n’a jamais été valorisée. Les jeunes qui veulent
partir vers l’Europe rêve de s’enrichir vite, donc le plan REVA n’est pas pour eux
une alternative salutaire à l’émigration. Beaucoup de jeunes affirment être nés et
avoir grandi dans les villes, donc ayant des rapports très distants avec le milieu
rural. Aussi, le Plan REVA est perçu comme un simple outil de propagande
politique des autorités, les jeunes doutant fortement de la volonté du
gouvernement à s’intéresser à leur avenir. Certains acteurs du monde rural,
comme le Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux (CNCR)
principale organisation paysanne du Sénégal a aussi émis de grandes réserves
sur les chances de succès du Plan REVA. Ce Plan est généralement assimilé à un
leurre, rejoignant le point de vue des jeunes qui devraient en être les principaux
bénéficiaires. Pour ces acteurs, si la volonté de l’Etat était réelle, on aurait dû
commencer par stabiliser ceux qui souhaitent vivre de l’agriculture et qui se
sentent contraints à quitter leur terroir face aux crises du secteur agricole
(filières arachide, halieutique, élevage…).
Bibliographie
Diop, Momar-Coumba. 1994. (ss dir.). Le Sénégal et ses voisins. Dakar, Sociétés
Espaces-temps,
Faye, Jacques, Bâ, Cheikh Oumar, Pape Nouhine, Dièye et Mamadou, Dansoko.
2006. Implications structurelles de la libéralisation sur l’agriculture et le
développement rural au Sénégal, Rapport final, Banque mondiale, Coopération
française, IPAR/ASPRODEB.
Robin, Nelly – 1997. Atlas des Migrations ouest-africaines vers l’Europe, 1985-
1993. Paris, Éditions de l’Orstom.
NOTES
[3] En peul cela signifie littéralement signifie « beaucoup d’argent ou tombeau lointain de la patrie », c’est-à-
dire « Mieux vaut mourir loin de la misère de la communauté que d’assister impuissant devant la descente aux
Enfers ».
[4] Elles rappellent également le fergo oumarien (Cheikh Oumar Foutiyou Tall) et ses prolongements en Afrique
de l’Ouest notamment, voir Wele, 1976.
[5] Les résultats présentés reprennent en grande partie les conclusions de l’étude que les auteurs ont conduite
pour le compte de l’OSIWA sur l’émigration clandestine en Afrique de l’Ouest (voir, Bâ, 2007). Cette étude a
été menée sur la base d’entretiens avec les décideurs et ONG, et de récits de vie recueillis auprès de jeunes
migrants clandestins, candidats ou rapatriés.
[6] Un jeune émigré de 16 ans, rapatrié d’Espagne en 2006 avec son frère de 25 ans et originaire de Thiaroye
sur Mer, Dakar, Sénégal. Entretien réalisé en août 2007 dans le cadre de l’étude commanditée par OSIWA et
conduite par Ndiaye en 2007 sur le cas du Sénégal.
[7] Le discours de ce jeune, originaire de Kayar, une zone de pêche non loin de Dakar, août 2007, renvoie à la
comparaison entre la « mort sociale » et la « mort physique ».
[9] Chaque passager doit débourser 600 euros en moyenne avant d’embarquer dans les pirogues
[10] Entretien réalisé par Alfred Ndiaye à Guet Ndar, en juillet 2007 dans le cadre de l’étude sur les migrations
clandestines commanditée par OSIWA.
[11] Voir, Bâ, Cheikh Oumar et Armelle Choplin, 2005. Dans leur article, les auteurs montrent, sur la base de
recoupements d’informations auprès des communautés d’immigrants installés à Nouadhibou et des autorités
locales, qu’à peine 5% de migrants seulement arrivent à rejoindre l’Espagne par la Mauritanie.
[13] Au Sénégal, chaque année, c’est plus de 160 000 jeunes de 20 ans qui arrivent sur le marché de l’emploi,
dont plus de la moitié devait rester encore à l’école (Faye et alii, 2006). Les deux tiers n’arrivent pas à
s’insérer professionnellement et sont en proie à la débrouillardise (activités informelles : vente à la sauvette,
marchands ambulants, occupation sauvage des trottoirs pour vendre des cartes téléphoniques, des mouchoirs à
jeter….
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