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ENM
CONCOURS 2020
épreuves d'admissibilité

• C ulture générale (dissertation)

• D roit civil et procédure Ouvrage con


forme
à la réforme
civile (dissertation et cas pratique) du concours
pour
s de 2020
les épreuve
• D roit pénal et procédure
pénale (dissertation et cas pratique)
• D roit public (question dissertative)

• note de synthèse
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© 2020, Gualino, Lextenso Suivez-nous sur www.gualino.fr


1, Parvis de La Défense
92044 Paris La Défense Cedex
ISBN 978-2-297-07483-4 Contactez-nous gualino@lextenso.fr
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ENM
CONCOURS 2020
Épreuves d'admissibilité

• C ULTURE GÉNÉRALE (dissertation) Ouvrage co e


nforme
à la réform ur
po
du concours s
• D ROIT CIVIL ET PROCÉDURE les é p re u ve
de 2020
CIVILE (dissertation et cas pratique)
• D ROIT PÉNAL ET PROCÉDURE
PÉNALE (dissertation et cas pratique)
• D ROIT PUBLIC (Question dissertative)

• NOTE DE SYNTHÈSE
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INTRODUCTION

Présentation
La publication de cet ouvrage est toujours un élèves, sont brillamment reçus. Plus surprenant
événement pour les candidats aux concours de encore, ceux qui fournissent la plus grande quantité
l’ENM, d’autant plus cette année que les concours de travail n’obtiennent pas toujours le résultat qu’ils
de l’ENM ont été réformés pour 2020. Il est le fruit escomptaient, faute de disposer d’une méthode
d’un partenariat éditorial entre le Groupe ISP et efficace.
Lextenso/Gualino, deux signatures de référence En effet, il n’y a pas de continuité entre le
pour les étudiants en droit. cursus juridique universitaire et l’admission aux
L'ouvrage présenté part d’un constat réalisé par concours de l’ENM. Dans la réalité, le candidat
les enseignants de l’ISP depuis plus de trente-cinq admis à l’ENM est celui qui sait décoder le logiciel
ans. Année après année, d’excellents étudiants des concours de l’ENM, celui qui en détient les clés,
de l’Université échouent aux concours de la c’est-à-dire les exigences spécifiques de chacune des
magistrature alors que d’autres, a priori moins bons épreuves d’admissibilité.

1. Comprendre les exigences des concours ENM


Ces clés sont au nombre de deux : (dissertations de droit civil, de droit pénal et de
culture générale), ces sujets sont souvent des
La première clé consiste à intégrer l’idée que thèmes transversaux (par exemple, la dissertation
les concours de l’ENM ne sont pas un examen de droit civil en 2012 s’intitulait « Le juge au cœur
universitaire mais un concours administratif. du procès civil », sujet qui appelait un traitement
Autrement dit, il s’agit de concours destinés à au-delà de la seule procédure civile). Dans toutes
recruter des professionnels qui appartiennent à un les épreuves, il s’agit de dégager des lignes de
corps particulier. problématiques et de raisonnement globales,
exigeant d’articuler des éléments cohérents issus
Cette dimension majeure du concours apparaît, de
de pans de cours parfois très éloignés les uns
manière très affirmée, dès le choix des sujets par le
des autres.
jury. En particulier dans les épreuves de composition

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En matière de notation, le primat est donné aux – 
sa vision de la société est-elle compatible avec celle
candidats qui démontrent leur capacité à construire de la Justice ?
une démarche cohérente et à l’exprimer d’une façon – 
sa maîtrise de la langue (orthographe, vocabulaire,
qui semble évidente et fluide au lecteur/correcteur

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syntaxe, grammaire) est-elle correcte ?
de la copie. Cette capacité pèse davantage que la
– 
son style est-il suffisamment sobre, susceptible
précision et le degré de technicité des connaissances.
d’être celui de l’autorité judiciaire qui s’exprime ?
Une telle dominante peut surprendre au sortir de
l’Université, mais elle est une constante des concours
administratifs, et ce pour au moins deux raisons : La seconde clé réside dans la compréhension de
ce qui fait la spécificité du concours de l’ENM,
– d’une part, ce type de concours vise à recruter des
par rapport aux autres concours administratifs.
professionnels qui joueront un rôle dans les insti-
tutions, et, en l’espèce, un rôle de représentation et L ’expérience de l’ISP est ici particulièrement
d’incarnation de l’autorité judiciaire. On attend donc bienvenue dans la mesure où nous préparons à un
d’eux qu’ils sachent exprimer la cohérence du système grand nombre de concours, ce qui nous a permis,
juridique, de ses règles et de ses pratiques. Pour illus- par exemple, de relever qu’un même sujet de droit
tration, en culture générale, ils devront exposer une pénal ne se traite pas de la même façon si on
certaine vision de l’état général de la France contem- veut réussir le concours de l’ENM, le concours de
poraine ainsi qu’une compréhension d’ensemble du commissaire de police ou celui de directeur des
modèle de la société démocratique et de la justice ; services de greffe judiciaires. Chaque concours
– d’autre part, les concours de la fonction publique présente ses particularités propres. Plus encore, au
visent à recruter des professionnels qui auront sein d’un concours déterminé, chacune des épreuves
une carrière longue, pouvant parfois durer plus présente elle aussi des exigences spécifiques.
de quarante ans. Au-delà des connaissances très Ignorer l’ensemble des attentes propres à chaque
pointues et immédiatement opérationnelles, l’enjeu concours et à chaque épreuve revient à prendre le
est donc de s’assurer que les candidats ont des risque d’être disqualifié dès l’introduction, l’exposé
repères suffisamment larges ainsi que des capacités de la problématique ou l’annonce du plan.
de raisonnement personnel très solides. Ils doivent Il est, en revanche, une conviction à laquelle
pouvoir s’adapter à des fonctions extrêmement l’équipe de l’ISP a abouti : le candidat qui maîtrise
diverses (du civil au pénal, du siège au parquet, les spécificités d’une épreuve de l’ENM dispose
voire pourront être appelés à des fonctions institu- effectivement des codes pour affronter cette
tionnelles). Ils doivent être capables de faire face épreuve, quel que soit le sujet proposé le jour J.
aux évolutions tant du droit que de l’organisation Autrement dit, on sait ou on ne sait pas rédiger une
judiciaire qui ne manqueront pas d’intervenir au dissertation ou un cas pratique de droit civil pour
cours des prochaines années et décennies. l’ENM, et si on sait le faire, on a toutes les chances
Ces considérations, propres aux concours adminis- de réussir quel que soit le sujet proposé dans cette
tratifs, ne s’arrêtent pas au stade de la confection matière. La méthode pédagogique utilisée par
des sujets ; elles s’étendent aussi à la façon dont l’ISP consiste donc à comprendre et surtout à bien
ils sont corrigés. Le caractère professionnel de mettre en œuvre les exigences propres à chacune
ces concours est particulièrement affirmé puisque des matières. Le contenu de cet ouvrage en donne
les copies ne sont pas corrigées par des ensei- l’illustration puisqu’au-delà de la diversité des sujets
gnants universitaires mais par des magistrats corrigés, le lecteur attentif saura retrouver des
en fonction. De la première à la dernière ligne de constantes méthodologiques incontournables.
votre copie, des questions vont revenir sans cesse à Ces impératifs méthodologiques s’imposent
l’esprit du correcteur : d’ailleurs au candidat dès la lecture du sujet. Se
–  ce candidat est-il un magistrat en puissance ? préparer au concours de l’ENM, c’est être capable
– son analyse, son expression, sa capacité de démons- de comprendre derrière le sujet apparent quel
tration sont-elles ceux d’un magistrat ? est en fait le sujet caché. Ainsi, en culture

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générale, le candidat ne doit jamais perdre de vue «  Comment la question / l’utopie / l’objectif de la
que l’interrogation réelle posée par le jury porte fin de la violence se traduit concrètement dans notre
toujours sur « la société française contemporaine » société contemporaine ? ». Le sujet réel est donc
et le thème proposé. La société française est comme souvent un sujet plus précis que le sujet apparent.

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un « terme fantôme » ; même lorsque l’on ne le voit L’affirmation ne vaut pas que pour l’épreuve de
pas, il est là. À titre d’illustration, le sujet de 2015 culture générale, mais bien pour l’ensemble des
« La fin de la violence ? » devait immédiatement être épreuves d’admissibilité, notamment dans le cadre
interprété comme posant l’interrogation suivante : de la réforme des concours en 2020.

2. Comprendre la réforme des trois concours de l’ENM


La réforme de 2020 impose désormais de distinguer accueille ou traite le problème considéré. Reste que
au titre des épreuves entre le premier concours, si ce rapport à la société française doit être le cadre
d’un côté, et le deuxième et le troisième concours de de compréhension des sujets de culture générale à
l’autre. l’ENM, il n’est pas non plus interdit de faire preuve de
Pour le premier concours, les candidats seront souplesse. Ainsi, les comparaisons ou les similitudes
soumis à 5 épreuves : une composition de culture avec d’autres sociétés comparables (les sociétés
générale d’une durée de 5h (coefficient 4), une occidentales, démocratiques) sont les bienvenues,
composition en droit civil/procédure civile ou en surtout lorsque la dimension européenne est
droit pénal/procédure pénale (au choix du jury) incontournable comme prolongement de la question
d’une durée de 5h (coefficient 4), un cas pratique posée à la société française ;
en droit civil/procédure civile ou en droit pénal/ – en droit civil, l'épreuve de composition
procédure pénale (sur la matière non retenue par (uniquement pour les premiers concours et encore si
le jury au titre de l’épreuve de composition) d’une le jury en décide ainsi) se distingue d’une dissertation
durée de 3h (coefficient 4), une note de synthèse universitaire ou même d’une dissertation donnée
d’une durée de 5h (coefficient 3) et, enfin, une dans le cadre d’un autre concours administratif en
épreuve composée de deux questions en droit ce que tous les sujets de dissertation de droit civil
public d’une durée de 3h (coefficient 2). ENM comprennent également un « terme-fantôme ».
Pour les deuxième et troisième concours, les Ce « terme-fantôme » est « le juge en droit civil »,
candidats ne sont soumis qu’à 4 épreuves (oui, comme «  la société française contemporaine » l’est
le concours est facilité pour ces candidats) : une en culture générale. Autrement dit, lorsque le sujet
composition de culture générale d’une durée de est « L ’exécution du jugement civil » en 2016 ou « La
5h (coefficient 4), un cas pratique en droit civil/ loyauté de la preuve dans le procès civil » en 2017, il
procédure civile d’une durée de 3h (coefficient 4), convient de les lire respectivement ainsi : « Le juge
un cas pratique en droit pénal/procédure pénale et l’exécution du jugement civil » et « Le juge et la
d’une durée de 3h (coefficient 4), et, enfin, une note loyauté de la preuve en droit civil ». Encore, en 2018,
de synthèse d’une durée de 5h (coefficient 3). le sujet « La contractualisation du droit des couples
et ses limites » imposait au candidat d’apprécier
Disons un mot de chacune des épreuves des nouveaux
la position du juge à l’égard de ce mouvement,
concours de l’ENM :
notamment dans ses conséquences, par exemple, la
– concernant l’épreuve de culture générale, déjudiciarisation du divorce.
elle porte sur une composition de connaissance et
Parfois, le jury, en peine de voir les étudiants se
compréhension du monde contemporain. L’épreuve
rappeler qu’ils passent un concours professionnel
est plus technique qu’il n’y paraît comme cela a déjà
et qu’ils se destinent à devenir magistrat, prend le
été mentionné.
soin de le souligner avec force comme cela a été le
Il ne s’agit pas de partir dans toutes les directions, cas en 2014 avec le sujet « Le juge et l’intangibilité
mais bien d’expliquer comment la société française contractuelle ».
contemporaine (celle issue de 1789) pose, envisage,

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Autrement dit, le prisme du juge commande tant logiquement une épreuve d’admissibilité. Deux
à la problématique qu’au plan de la dissertation observations doivent immédiatement être réalisées :
en cause. Il est nécessaire ainsi pour le candidat de d’un côté, l’on n’apprend pas à l’université au cours
réaliser une démonstration mais aussi un tri dans du cursus à réaliser des notes de synthèse, sinon de

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ses connaissances pour cibler les difficultés qui se manière incertaine dans les IEJ ; de l’autre, la note
posent au quotidien pour le magistrat, pour dérouler de synthèse pour les concours de l’ENM ne saurait
un raisonnement qui serait celui du juge. Pour le se confondre avec, par exemple, la note de synthèse
cas pratique de droit civil, la technique judiciaire pour le CRFPA. Si l’on retient pour modèle, les notes
est au cœur de l'épreuve. Il faut s'attendre à des de synthèse jusque là proposées dans le cadre des
questions ouvertes comme à des questions fermées, épreuves d’admission, la note de synthèse de l’ENM
à des questions de droit substantiel comme à des est particulière, dans son format, dans sa structure
développements procéduraux. Particulièrement sur et même dans le choix des sujets ;
ces derniers, le candidat ne devra pas se comporter – enfin, concernant l'épreuve de droit public,
comme un étudiant d'Université, même très bon, laquelle ne concerne au titre de l'admissibilité que
puisqu'il devra singer la rédaction employée par le les candidats au premier concours, elle propose deux
juge sur les questions de compétence ; questions (cumulatives). Assurément, l'épreuve se
– en droit pénal, eu égard à la technicité de la voudra plus complexe et exigeante que l'ancienne
matière, la principale difficulté, qu'il s'agisse de épreuve présentée sous la forme de trois ou quatre
la composition ou du cas pratique se trouve dans QRC (questions à réponses courtes). Autrement
la compréhension précise du sujet. Le droit pénal dit, la nouvelle épreuve de droit public invite les
et la procédure pénale ne laissent aucune place candidats à réaliser deux « mini-dissertations » en
aux hésitations et incertitudes terminologiques 3h. Dans le présent ouvrage sera proposé la relecture
et juridiques. Concernant plus précisément la des questions d'annales sous l'angle du nouveau
dissertation de droit pénal (seulement pour concours pour permettre un entraînement optimal.
les candidats du premier concours si le jury en Depuis la réforme du concours en 2009, deux,
décide ainsi), là aussi, le sujet réel doit être souvent trois questions sont posées au candidat
recherché derrière le sujet apparent. Le «  terme- (trois questions depuis 2014 et ce, encore dans
fantôme » de l’épreuve de pénal est « les libertés le concours 2018). Certes, les thèmes évoqués ne
fondamentales ». Le libellé du sujet doit toujours recèlent pas de difficultés de compréhension et de
être entendu comme s’il était précédé des mots définition en apparence, mais l’exercice n’en est pas
«  Les libertés fondamentales et… ». L ’enjeu est de moins rude et ardu à décrypter dans ses exigences.
savoir en quoi ces libertés sont affectées par le Il ne suffit pas de connaître son «  cours », il faut
sujet considéré ou l’affecte. Par exemple, en 2018, encore être capable de construire un propos
lorsque le sujet proposé est « L’intention dans logique, qui nécessite tout particulièrement la
les infractions d’atteintes à l’honneur », doit être maîtrise des fondements et de l’actualité des
envisagée la conciliation judiciaire des libertés, et thèmes de l’interrogation. C’est au candidat de faire
notamment de la liberté d’expression, avec l’ordre preuve de synthèse et de clarté pour exposer ces
public et le respect d’autrui. Concernant le cas deux pans majeurs de la réponse.
pratique, l’épreuve de droit pénal et de procédure Rappelons enfin que les QRC de droit public
pénale se révèle difficile à deux égards : d’une n’échappent pas à l’obligation de recherche du
part, elle est particulièrement exigeante du point « terme-fantôme ». Il s’agira plutôt ici de comprendre
de vue de la rigueur qui commande à la matière que, derrière la question apparente, se cachent
et à l’œuvre magistrale ; d’autre part, et surtout, le deux sous-questions : « Quels sont les principes, les
candidat sera confronté à de véritables cas, lesquels fondements du sujet ? » et « Quelle est son actualité ? ».
posent des difficultés concrètes, exposant celui qui Le traitement de ces deux aspects ne constitue pas
doit trancher à des incertitudes, des discussions
nécessairement le plan des développements, mais
dans l’analyse des faits et des preuves ;
le jury doit impérativement trouver une réponse à
– concernant la note de synthèse, elle était jusqu’à chacun d’eux dans le contenu de la copie.
présent une épreuve d’admission. Elle devient plus

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3. S’entraîner avec des annales corrigées
et des sujets originaux

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Le présent ouvrage révèle comment utiliser les La maîtrise de cette méthodologie particulière est
deux clés d’analyse à l’aune de sujets proposés essentielle et ne peut naître que d’un entraînement
dans chacune des épreuves d’admissibilité des constant et répété. Le candidat à l’ENM doit
concours de l’ENM des dernières années et de s’entraîner, s’entraîner et encore s’entraîner.
sujets originaux (dissertations, cas pratiques). Pour ce faire, les corrigés de cet ouvrage vous
Ces sujets sont actualisés à la fois au regard de offrent le résultat idéal de la mise en œuvre de
l’évolution des concours (réforme 2020) et de cette méthode. N’hésitez pas à vous confronter à la
l’évolution du droit. difficulté : vous devez vous tester sur les exercices
La correction de ces trente sujets montre l’importance proposés. Une fois que vous vous y êtes essayé, lisez
de la méthodologie, propre au concours et à chacun les corrigés et comparez !
de ses exercices, que l’étudiant doit mettre en
œuvre. Julie HABERMAN
Présidente du Groupe ISP

Présentation de la réforme du concours 2020


par Jacob Berrebi, Directeur pédagogique de l'ISP

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SOMMAIRE

Partie 1 CULTURE GÉNÉRALE


Sujet 1 Dissertation La démocratie (Annales concours ENM 2019) .................................................................. 15
Sujet 2 Dissertation Comment s’expriment, selon vous, les besoins et les réalités
de la solidarité dans la société française contemporaine ? Des exemples concrets
viendront étayer votre réflexion (Annales concours ENM 2018) ........................................................ 20
Sujet 3 Dissertation La vérité est-elle un impératif dans la société française contemporaine ?
(Annales concours ENM 2017) ..................................................................................................................................... 30
Sujet 4 Dissertation La société numérique (Sujet complémentaire 1) ............................................................. 38
Sujet 5 Dissertation Où est le pouvoir ? (Sujet complémentaire 2) .. ................................................................. 44

Partie 2 DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


Sujet 1 Dissertation Le sexe, le nom, le corps : la place de l’ordre public
en droit des personnes (Annales concours ENM 2019) .............................................................................. 53
Sujet 2 Dissertation La contractualisation du droit des couples et ses limites
(Annales concours ENM 2018) ..................................................................................................................................... 60
  Sujet 3 Dissertation La loyauté de la preuve dans le procès civil
(Annales concours ENM 2017) ..................................................................................................................................... 68
  Sujet 4 Dissertation Le juge et l'intangibilité du contrat (Annales concours ENM 2014) .. ................ 75
  Sujet 5 Dissertation La protection des personnes (Sujet complémentaire) . . ................................................ 85
  Sujet 6 Cas pratique Cas Valentine A et Julien B (Annales concours ENM 2019).................................... 92
Sujet 7 Cas pratique Cas Madame Y et Monsieur X (Annales concours ENM 2018) ............................ 98
  Sujet 8 Cas pratique Cas Monsieur D. (Annales concours ENM 2017) ........................................................ 106
  Sujet 9 Cas pratique Cas Magou (Sujet complémentaire 1) ................................................................................. 111
  Sujet 10 Cas pratique Cas Tom (Sujet complémentaire 2) . . .................................................................................... 118

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SOMMAIRE
suite

Partie 3 DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


Sujet 1 Dissertation Le choix de la peine pour les personnes majeures
(Annales concours ENM 2019).................................................................................................................................... 127
Sujet 2 Dissertation L’intention dans les infractions d’atteinte à l’honneur
(Annales concours ENM 2018).................................................................................................................................... 136
Sujet 3 Dissertation Les droits de la défense durant la phase préparatoire au procès pénal
(Annales concours ENM 2017).................................................................................................................................... 142
Sujet 4 Dissertation Les preuves en matière pénale (Annales concours ENM 2016) . . ....................... 149
Sujet 5 Dissertation Le statut du Ministère public (Sujet complémentaire) ............................................. 156
Sujet 6 Cas pratique Cas Monsieur Martin (Annales concours ENM 2019)............................................... 161
Sujet 7 Cas pratique Cas Dupont et autres (Annales concours ENM 2018) .. ............................................ 167
Sujet 8 Cas pratique Cas Grandchef (Annales concours ENM 2017) . . ........................................................... 173
Sujet 9 Cas pratique Cas Cauchemar à Bali (Sujet complémentaire 1) ....................................................... 179
Sujet 10 Cas pratique Cas Dominique le voyou (Sujet complémentaire 2) .. ................................................ 185

Partie 4 DROIT PUBLIC


Sujet 1 QRC Organisation de l’État et de la justice, libertés publiques et droit public
(Annales concours ENM 2019) .................................................................................................................................. 195
Sujet 2 QRC Organisation de l’État et de la justice, libertés publiques et droit public
(Annales concours ENM 2017) .................................................................................................................................. 199
Sujet 3 QRC Organisation de l’État et de la justice, libertés publiques et droit public
(Annales concours ENM 2016) .................................................................................................................................. 204
Sujet 4 QRC Organisation de l’État et de la justice, libertés publiques et droit public
(Annales concours ENM 2015) .................................................................................................................................. 210
Sujet 5 QRC Organisation de l’État et de la justice, libertés publiques et droit public
(Sujet complémentaire) ................................................................................................................................................... 216

Partie 5 NOTE DE SYNTHÈSE


Sujet Les erreurs judiciaires en matière pénale (Annales Concours ENM 2019) ............................... 225

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CULTURE
GÉNÉRALE

CULTURE GÉNÉRALE
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Sujet

1
DISSERTATION : LA DÉMOCRATIE
(ANNALES CONCOURS ENM 2019)

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CULTURE GÉNÉRALE
Après une année de manifestations, de débat national et d’élections, rien ne semble plus habituel à notre
quotidien que les débats sur la démocratie. Pourtant, cette banalité apparente ne doit pas faire oublier que
la démocratie contemporaine est le fruit d’un paradoxe. Rien ne semblait en effet prédisposer l’exemple
athénien à devenir la référence universelle qu’elle est aujourd’hui.

Dissertation 1
La démocratie apparue à Athènes était même traditionnellement considérée comme une exception sui
generis, n’ayant concerné qu’une seule cité pendant à peine plus d’un siècle et de surcroît, il y a plus
de vingt-cinq siècles. La philosophie politique classique de Platon à Montesquieu considérait d’ailleurs
la démocratie comme un régime impossible voire dangereux. Il faudra attendre le siècle des Lumières
et la Révolution française pour qu’elle redevienne d’actualité même si, nos démocraties contemporaines
diffèrent sur certains points essentiels de la démocratie antique.
À la faveur des révolutions politiques intervenues depuis la fin du XVIIIe siècle et jusqu’aux drames du
XXe  siècle, la démocratie s’est pourtant imposée comme une forme d’horizon indépassable de l’idéal
politique. Il semble même exister un consensus universel en faveur de la démocratie, à telle enseigne que
même les régimes autoritaires se revendiquent tout ou partie du modèle démocratique. La démocratie
n’aurait donc plus d’ennemis de principe. Dans le même temps toutefois, les démocraties les plus avancées
connaissent une crise désormais visible de l’Amérique du Nord à l’Europe en passant par l’Inde et le Brésil.
Travaillée par ses paradoxes et ses mouvements contradictoires, la démocratie refait donc question quant
au point de savoir si elle est toujours conforme à son idéal : « le gouvernement du peuple, par le peuple,
pour le peuple (Abraham Lincoln) ».
Notre démocratie est-elle toujours ce qu’elle devrait, pourrait ou voudrait être ?
En fait, si notre démocratie demeure conforme à sa définition issue du siècle des Lumières, cette dernière
n’a jamais été exempte de tensions et d’ambiguïtés (I). Quant à la crise actuelle, elle ne pourra sans doute
être surmontée que par un approfondissement du fonctionnement de notre démocratie (II).

15
I - Conforme à sa définition, la démocratie contemporaine n’en est
pas moins exempte de tensions

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A - LE MODÈLE DÉMOCRATIQUE CONTEMPORAIN TOUJOURS VIVANT
CULTURE GÉNÉRALE

Nos démocraties correspondent encore largement aux critères de la démocratie contemporaine issus du
siècle des Lumières. Ce dernier a actualisé et complété l’exemple traditionnel d’Athènes.
Ainsi, les éléments de définition traditionnels de la démocratie restent bien visibles. En premier lieu, et de
manière évidente, la participation du peuple au pouvoir (du latin demos kratei), bien que tiraillée constitue
toujours une réalité et continue d’incarner le modèle de la souveraineté (« le gouvernement du peuple
par le peuple »). En second lieu, l’idée d’engagement civique reste très présente, de telle sorte que dans la
démocratie contemporaine demeure la pensée athénienne selon laquelle les citoyens ne sont pas seulement
bénéficiaires du droit de participation au pouvoir, mais ont également le devoir de servir et de considérer
l’intérêt général de la société (« le gouvernement pour le peuple »).
Critère plus récent, mais tout aussi essentiel à la définition du modèle démocratique, la poursuite d’une
protection toujours plus effective des droits fondamentaux ne désenchante pas. Aussi, les démocraties
contemporaines se définissent-elles par la protection des droits de l’homme ainsi que par la séparation des
pouvoirs, ce que la Constitution française affirme à travers les mots de l’article 16 de la DDHC (« Toute
société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a
point de Constitution »). D’ailleurs, cette exigence de protection de l’individu, constitue selon Hannah Arendt
la principale différence entre la démocratie contemporaine et la démocratie antique. En outre, marquée
par l’Histoire, cette protection s’est fortement renforcée après 1945 (CEDH, Cours constitutionnelles,
Dissertation 1

etc.) et constitue désormais, au plan international, l’un des critères essentiels de définition du caractère
démocratique d’un régime.
Nos démocraties satisfont encore aux trois éléments de cette définition et ne cessent même d’en renforcer
certains aspects. En ce sens la révision constitutionnelle de 2008 a solidifié les pouvoirs du parlement,
introduit le mécanisme de la QPC renforçant par la même occasion la protection des droits et libertés
fondamentaux, créée un Défenseur des droits, ou encore instauré le référendum d’initiative partagé. La
même dynamique anime l’Europe et, plus largement, la société internationale : l’année 1998 est marquée
par la création de la Cour pénale internationale, deux ans plus tard c’est l’Union européenne qui adopte une
Charte des droits fondamentaux et cherche à renforcer les pouvoirs du Parlement européen.

B - NOS DÉMOCRATIES REPOSENT NÉANMOINS DEPUIS LEUR ORIGINE SUR UNE FORME
D’AMBIGUÏTÉ

La démocratie contemporaine se distingue sur deux points essentiels de la démocratie antique ce qui peut
faire apparaître cette dernière comme plus authentiquement démocratique.
D’une part, nos démocraties sont essentiellement des régimes représentatifs, ainsi la démocratie
française est en théorie à la fois représentative et directe (Const., art.  3). D’autre part et surtout, nos
démocraties impliquent une représentation élective à l’inverse du système athénien dans le cadre duquel
les représentants politiques résultaient d’un tirage au sort. La démocratie moderne est donc fondée sur
la distinction des citoyens considérés ou choisis comme aptes à exercer des fonctions politiques alors que
précisément la démocratie athénienne était basée sur un principe d’égalité stricte entre tous les citoyens au
regard des fonctions politiques (principe d’isonomie). Or, dans la philosophie politique classique, l’élection
est considérée comme un principe aristocratique (gouvernement par les meilleurs) et non démocratique.

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L’élection peut d’autant plus faire débat que rien ne garantit qu’elle soit forcément à même de sélectionner
les meilleurs gouvernants pour la cité, ce que certains auteurs, tels que P. Manin ou J.-J. Rousseau, n’ont
pas manqué de souligner. C’est finalement de cette ambivalence, tendant à s’inspirer de deux sources
contradictoires, que naît un certain malaise.

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Ces débats ou ces interrogations sont toujours vivants comme l’ont montré les revendications relatives à
l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) dans le cadre du mouvement dit des « Gilets

CULTURE GÉNÉRALE
jaunes  ». À ceci s’ajoute encore la crise de la représentation ou crise des élites qui dépasse la sphère
des seuls dirigeants politiques pour se porter sur les élites économiques, scientifiques, intellectuelles ou
journalistiques. Au-delà des questions relatives à la légitimité d’un groupe identifié comme étant supérieur,
est décriée la compétence même de ces élites.

II - Face à la profondeur de la crise actuelle, un approfondissement


de la démocratie semble aujourd’hui s’imposer

A - LES NOUVELLES FORMES DE LA CRISE DÉMOCRATIQUE

Si les tensions traditionnelles qui caractérisent la démocratie sont aujourd’hui plus vives, elles sont aussi
complétées par des formes de défis inédits.
Les dangers pour le système démocratique semblent d'abord venir de la démocratie elle-même. En effet, les
discours de type populiste critiquant frontalement le système politique mis en place, sont faits au nom même

Dissertation 1
de la démocratie. Les leaders populistes ne se présentent pas comme des adversaires de la démocratie mais
plutôt comme des défenseurs d’une démocratie plus intégrale, directement porte-parole des aspirations du
peuple souverain. Finalement, au nom de la démocratie c’est le système démocratique contemporain qui
est remis en question. Ainsi, sont souvent questionnés plusieurs aspects de notre définition actuelle de la
démocratie. C’est d’abord l’exigence de considérer l’intérêt général rationnellement qui semble laisser place
à l’émotion. C’est ensuite la nécessité d’accepter une délibération respectueuse et tolérante qui apparaît
fragilisée par un certain « dégagisme ». Enfin, c’est la reconnaissance des droits et libertés fondamentaux à
tous les individus, qu’ils soient citoyens ou étrangers, qui est interrogée.
Si ce n’est pas la première fois que la démocratie représentative et libérale connaît une critique faite
au nom même de la démocratie puisque ce fut notamment le cas jusqu’au début des années 1990 avec
l’opposition provenant des « démocraties populaires » d’inspiration communiste, sa base sociale en ressort
nécessairement affaiblie.
Notre démocratie se caractérise également par le fait qu’elle est une démocratie dite libérale, c’est-à-dire
faisant coexister une égalité juridique entre les citoyens avec une inégalité économique et sociale (ce
modèle a d’ailleurs été très critiqué par Marx pour lequel une telle démocratie ne serait qu’une démocratie
« formelle »). Concrètement, le développement de cette démocratie s’est appuyé sur le développement
de la classe moyenne, en particulier depuis la deuxième partie du XXe siècle. Or, on constate aujourd’hui
un affaiblissement de la classe moyenne caractérisé par la montée des inégalités principalement du fait
de la mondialisation et de la libéralisation de l’économie, des multiples crises économiques, etc. Cet
affaiblissement de la classe moyenne, à la fois objectif et subjectif (peur du déclassement et pessimisme des
classes moyennes qui doutent du système économique et politique), nourrit le populisme.
La société apparaît alors de plus en plus fracturée, tant d’un point de vue social, territorial que communautaire,
comme l’a peut-être mis en lumière la crise des Gilets jaunes depuis la fin de l’année 2018.

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B - LE NÉCESSAIRE APPROFONDISSEMENT DE NOTRE MODÈLE DÉMOCRATIQUE

Les démocraties représentatives, électives, dites libérales, sont aujourd’hui de plus en plus mises en cause,
et semblent au milieu du gué. Le maintien des systèmes politiques dans leurs formes actuelles ne semble pas

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répondre aux aspirations démocratiques contemporaines tandis que les mouvements de types nationaux
populistes prospèrent au nom précisément d’une démocratie soi-disant plus authentique.
CULTURE GÉNÉRALE

Dans cette situation l’important réside sûrement dans l’approfondissement de notre démocratie : il
s’agit de la faire évoluer pour répondre aux nouvelles exigences sans pour autant remettre en cause ses
fondamentaux. Cela passe alors par une restauration de la confiance, ce qui a été initié par exemple
avec la mise en place d’une autorité de la transparence, mais il s’agit également de réduire la distance
existante entre le peuple et l’exercice du pouvoir, entre le peuple et ses représentants (décentralisation,
limitation du cumul des mandats). Il peut être souhaitable de développer des procédures de démocratie
directes (référendums) et de démocratie participative à l’image du grand débat national ou des conférences
citoyennes. Au-delà, la démocratie contemporaine ne trouvera son salut qu’en s’attaquant aux causes
sociales et sociétales qui l’effritent. Autrement dit, il semble nécessaire de renforcer la cohésion nationale
en limitant le communautarisme et en rappelant les valeurs partagées par l’ensemble de la communauté
nationale, de lutter contre les fractures territoriales et de promouvoir davantage l’égalité des chances.
Le renouvellement du modèle démocratique doit encore être pensé à l’échelle transnationale, alors même
qu’il fut pensé pour l’État nation en 1789. Comme l’établissait Emmanuel Kant, la paix ne pourra être
établie qu’en se fondant sur le lien unissant les démocraties nationales et le dialogue entre les nations
que celui-ci implique. C’est d’ailleurs sa pensée qui a inspiré les organisations internationales post-1945,
désormais remises en cause par le discours nationaliste/populiste. Aussi faut-il s’atteler à renforcer le
versant externe de la démocratie, ce qui se traduit par la poursuite des sommets internationaux tels que le
Dissertation 1

G20 ou par une prise en compte croissante des représentants de la société civile internationale au travers
les ONG. Encore apparaît la nécessité de réduire le déficit démocratique ressenti entre l’Union européenne
et ses citoyens ; volonté qui se manifeste d’ores et déjà via certaines propositions telles celle d’établir des
listes transnationales pour les élections des parlementaires européens ou encore par la mise en place d’une
armée européenne.
La puissance publique doit également s’assurer que l’échelon politique soit bien celui où se prennent les
décisions organisant la vie de la société, impératif qui se fait d’autant plus urgent que se révèle la puissance
des marchés financiers, des multinationales, des GAFA, voire de la technocratie.
Enfin il semble essentiel de garder à l’esprit que la démocratie ne sera jamais parfaite et même toujours
décevante, compte tenu de la hauteur de son idéal. Elle est donc à la fois vulnérable et en permanence à
réinventer ou renforcer comme le soulignait Alain Etchegoyen.

En définitive, la démocratie est un régime tout à fait particulier qui n’est pas exempt de paradoxes. Longtemps
rejetée comme un régime irréaliste, la démocratie est devenue une référence universelle qui aujourd’hui
fait encore rêver nombre de peuples. Néanmoins, dans les pays où elle est la plus avancée, elle connaît
désormais une crise particulièrement grave. Cette crise n’est pas la première puisqu’alors qu’elle semblait
triompher, elle a rencontré au XXe siècle de nombreux adversaires y compris au nom de la démocratie elle-
même. Les critiques de la démocratie sont telles, qu’aujourd’hui la France n’est pas la seule à devoir sans
doute refonder, réinventer son modèle face à la montée des mouvements de type national-populiste.
Au-delà de ce défi immédiat, la crise de la démocratie participe vraisemblablement plus généralement d’une
crise d’adaptation de notre modèle de société pensé en 1945, lequel est remis progressivement en cause à
partir du milieu des années 1970 et de la fin des Trente glorieuses. En quarante ans, c’est à la fois le contexte

18
économique, social mais aussi technologique et international (mondialisation, construction européenne)
qui ont été complètement remis en cause. Cela vaut pour notre modèle politique (la démocratie) mais
aussi pour l’ensemble de notre modèle de société. À ceci s’ajoute peut-être pour l’avenir un autre défi,
une nouvelle menace à relever : celle du défi écologique (la crise des gilets jaunes est d’ailleurs née d’une

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question de fiscalité écologique). Pour certains auteurs comme Hans Jonas, l’urgence environnementale
risquerait d’être précisément fatale au régime démocratique, incapable de prendre les décisions difficiles

CULTURE GÉNÉRALE
imposées par l’état de l’environnement. La démocratie contemporaine semble donc appelée à être en
permanence confrontée à des défis, la clef de son avenir tient sans doute dans la conviction des citoyens
qui ont un rôle irremplaçable à jouer pour la protéger. En effet « La Cité est fondamentalement périssable. Sa
survie dépend de nous » (Hannah Arendt).

Dissertation 1

19
Sujet

2
DISSERTATION : COMMENT
S’EXPRIMENT, SELON

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VOUS, LES BESOINS ET LES RÉALITÉS
DE LA SOLIDARITÉ DANS LA SOCIÉTÉ
CULTURE GÉNÉRALE

FRANÇAISE CONTEMPORAINE ?
DES EXEMPLES CONCRETS VIENDRONT
ÉTAYER VOTRE RÉFLEXION
(ANNALES CONCOURS ENM 2018)

« Une société ne saurait vivre dans la sécurité et dans la paix si les hommes qui la composent ne sont
pas unis et comme volontairement disciplinés par une même conception de la vie, de son but et de ses
devoirs » : c’est ainsi que Léon Bourgeois, dans sa Doctrine de la solidarité publiée en 1896, définissait
l’impératif de solidarité. De ce fait, la solidarité, comme source de cohésion de la vie sociale dans nos
Dissertation 2

sociétés modernes, apparaît bel et bien comme duale : elle désigne à la fois un rapport d’interdépendance
entre les êtres et le facteur prévenant la dissolution d’un corps organique.
La solidarité répond, d’une part, au besoin de la cohésion sociale, au point d’être perçue comme sa condition
obligée dans nos sociétés complexes. Elle se veut, d’autre part, générale, sinon universelle, en impliquant
l’accompagnement de tous par tous, tel un principe de totalité, susceptible de l’élever à la hauteur d’une
valeur morale et d’en faire une obligation juridique, laquelle désigne également, en droit civil, une forme
de caution spécifique. Dès lors, il n’est pas étonnant que dans nos sociétés démocratiques, construites sur
le principe d’égalité, elle désigne tout particulièrement cette interdépendance des individus par rapport
au groupe et s’avère, en cela, fondamentalement distincte de la charité, qui repose sur une relation de
certains vers d’autres. En ce sens, dans notre société française, dont les fondements ont été confirmés au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec l’application du programme du Conseil national de la
Résistance, la solidarité apparaît bel et bien comme la traduction contemporaine de la fraternité, c’est-à-
dire le troisième élément de notre devise nationale.
La solidarité a vocation à occuper une place majeure dans les sociétés contemporaines, et tout particulièrement
dans notre société française. Mais qu’en est-il dans les faits ? Les mesures et pratiques se réclamant de la
solidarité répondent-elles aux besoins de la société française d’aujourd’hui ? Le récent mouvement dit des
« Gilets jaunes » exprime-t-il un déclin de la solidarité dans notre pays ou plutôt un attachement à cette
valeur constituant une forme d’exception française ?
En fait, notre pays se distingue par un haut niveau d’exigence en matière de solidarité qui subit la pression
de nouveaux besoins (I). En outre, de nouvelles réalités, y compris d’ordre international, appellent à une
réactualisation de notre modèle (II).

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I - Notre pays se distingue par un haut niveau d’exigence en matière
de solidarité qui subit la pression de nouveaux besoins

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A - LA SOLIDARITÉ DEMEURE UNE RÉALITÉ AU CŒUR DE NOTRE MODÈLE DE SOCIÉTÉ

CULTURE GÉNÉRALE
1. La solidarité participe de notre projet politique
La solidarité, comme projet social, est issue du projet révolutionnaire. Les lendemains de la Révolution française
sont taraudés par l’énigme de ce qui peut relier des individus désormais déclarés libres et égaux. Comment
penser le lien entre ces individus « abstraits », indépendants et détachés de leurs appartenances traditionnelles,
suite à l’abolition des corporations par la loi Le Chapelier de 1791 ? Devant les révoltes ouvrières et le risque
d’éclatement de la société, des Lamennais, Pecqueur, Michelet et bien d’autres en appellent à « l’unité perdue
du genre humain » et à l’harmonie universelle. Ils insistent sur la réalité de l’interdépendance entre tous
les membres de l’espèce humaine, interdépendance devenue plus flagrante avec la révolution industrielle
et ces nouveaux « rails de fer » qui multiplient les échanges entre les hommes. Pierre Leroux, imprimeur et
futur député à l’Assemblée constituante de 1848, donne le nom de « solidarité » à cette loi d’interdépendance
mutuelle dans son ouvrage De l’humanité, paru en 1840. Il dit l’avoir emprunté au vocabulaire juridique ; en
droit romain, l’obligation in solidum désigne « l’engagement par lequel les personnes s’obligent les unes pour
les autres et chacune pour tous » dans le but de remplacer la charité, peu en phase avec les idées laïques et
surtout impossible à « organiser ». Le philosophe Charles Renouvier prédit, quant à lui, une immense fortune à
cette magnifique idée « à la fois humaine et divine ». Les chrétiens, d’ailleurs, ne tardent pas à revendiquer ce
mot dans lequel ils reconnaissent le dogme de la rédemption collective, si bien résumé par la phrase de Saint

Dissertation 2
Paul : « Nous sommes tous membres d’un même corps. » La force de la notion est qu’elle récupère la tradition
chrétienne en lui donnant des couleurs laïques. Providentielle ou naturelle, cette loi d’interdépendance nous
indique la direction à suivre : nous devons être solidaires. La notion est d’autant plus puissante qu’elle est
attestée par les sciences. Les naturalistes insistent sur la coopération entre les organes de tout être vivant.
Saint-Simon, le précurseur du socialisme, avait proposé d’étudier le corps social comme « un corps organisé »,
un corps dont aucun des organes ne peut vivre indépendamment des autres.
« Laissons faire la solidarité naturelle », diront des libéraux comme Frédéric Bastiat, qui refusent toute
intervention autoritaire sur le mécanisme des échanges. Il y a une solidarité dans le mal, celle des associations
de malfaiteurs, celle de la propagation des injustices et des maladies. La solidarité qu’il s’agit de développer
est une solidarité visant la justice, et destinée à rectifier les effets nocifs de la solidarité naturelle. Cette
nouvelle solidarité, inspirée par l’expérience des sociétés de secours mutuels qui se sont développées
depuis les années 1830, est à la recherche d’une organisation coopérative et mutualiste. Or les premiers
sociologues, Alfred Fouillée, dans La Science sociale contemporaine (1880), et Émile Durkheim, dans De la
division du travail social (1893), soulignent que, dans des sociétés passées sous le régime du contrat, les
individus sont de plus en plus autonomes, mais deviennent également plus étroitement dépendants les
uns des autres. Cette solidarité « organique », contractuelle et coopérative nécessite l’intervention de la
puissance publique pour faire respecter la juste exécution des contrats.
Cette notion fut également lancée dans la sphère politique à la fin du XIXe  siècle par Léon Bourgeois,
éphémère président du Conseil – de novembre 1895 à avril 1896 – et futur Prix Nobel de la paix. Dans son
livre publié en 1896, Solidarité, le militant radical propose une voie médiane entre les deux grandes causes
qui divisent les sociétés, le libéralisme et le socialisme. Il entend concilier deux exigences apparemment
contradictoires, la liberté individuelle et la justice sociale  : puisque chaque être qui arrive au monde
retire des bienfaits de la vie sociale, il a de ce simple fait des obligations envers ses contemporains et ses
successeurs. Dès lors qu’il accepte la vie collective et profite du patrimoine commun, chacun doit s’engager

21
à concourir au paiement de la dette commune, à la mesure de ce qu’il a reçu. La doctrine vise à justifier
l’impôt progressif sur le revenu, la législation sur les assurances sociales et sur les retraites et la mise en
place de services d’intérêt général destinés à « accroître l’interdépendance mutuelle » selon l’expression du
juriste Léon Duguit. Elle cherche surtout à donner un contenu à cette république radicale qui se veut anti-

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collectiviste tout autant qu’antilibérale. Ce « socialisme libéral », selon les mots de son promoteur, refuse la
résolution des conflits par la lutte des classes et opte pour la voie parlementaire. Elle participe du même
CULTURE GÉNÉRALE

courant d’idées que celles de la sociologie naissante et de la « solidarité organique » thématisée par Émile
Durkheim.
Certes, si l’idée de solidarité perd de son aura au sortir de la Première Guerre mondiale et à la suite de
la Révolution d’octobre, elle incarne la réforme sociale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
De manière pittoresque, la «  solidarité française » désigne dans les années 1930 une ligue fasciste que
dissoudra le Front populaire en 1936. En revanche, la solidarité, comme manifestation privilégiée de l’État-
Providence, apparaît dès lors au niveau national, avec l’application du Programme national la Résistance
en France et du Plan Beveridge en 1942, et, au niveau international, avec le Plan Marshall qui intervient
pour la reconstruction de l’Europe, selon des considérations d’ordre géopolitique il est vrai. Réapparue
progressivement dans la Constitution de 1946 – « la Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les
Français devant les charges qui résultent des calamités nationales » –, elle constitue le substrat du plan
de Sécurité sociale élaboré par Pierre Laroque qui écrit, dans le premier numéro de la Revue française
du travail : « la Sécurité sociale suppose une solidarité nationale : tout le monde est solidaire devant les
facteurs d’insécurité, et il importe que cette solidarité s’inscrive dans les faits et dans la loi ».
Enfin, c’est dans les années 1980 qu’elle connaît son véritable renouveau : luttes de Solidarnosc en Pologne
en 1980 ; premier ministère de la Solidarité en France en 1981 ; en 1987, une encyclique du pape Jean-
Paul II, Sollicitudo Rei Socialis, fait de la solidarité « la vertu chrétienne par excellence » ce qui témoigne de
Dissertation 2

la portée de cette notion initialement laïque et forgée par le radicalisme français.

2. Une relative primauté de la solidarité publique sur les solidarités privées


Ni assurance ni assistance, la solidarité ne conçoit ni les contributions proportionnellement aux risques
auxquels chacun est soumis, ni ne divise le monde entre payeurs et receveurs. Elle se définit comme
la contribution de chacun selon ses capacités et le droit d’en bénéficier selon ses besoins. Dominique
Schnapper, dans Qu’est-ce que la citoyenneté ?, démontre comment on traverse des solidarités privées vers
l’appel à la solidarité publique, en s’appuyant sur l’exemple des personnes âgées, dont la dépendance est
prise en charge par l’Aide aux personnes âgées. 0n pourrait ajouter le droit opposable au logement, en
vertu de la loi du 31 mai 1990 et de la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995, ou encore
l’indemnisation des accidents médicaux non fautifs ou des aléas thérapeutiques.
Avec la complexification des relations sociales et l’affirmation du rôle quasi-omniprésent, sinon omniscient
de l’État, la solidarité nationale en France est censée innerver l’ensemble des soutiens aux difficultés que
peuvent éprouver ses habitants. La solidarité est alors une lutte active contre l’exclusion ; le traitement du
handicap est révélateur de l’ampleur progressive prise par les politiques publiques à partir des années 1960
jusqu’à aujourd’hui, dans la continuité de l’affirmation de l’État-Providence. La lutte contre l’exclusion des
personnes handicapées implique de la sorte une forme de discrimination positive, notamment à l’embauche.
Cette discrimination positive se caractérise aussi par des obligations de résultat pour les employeurs du
secteur privé, depuis 1987, et du secteur public depuis la loi du 11 février 2005 : tous les établissements de
vingt salariés et plus doivent compter 6 % de salariés en situation de handicap. Cette obligation d’emploi
peut se traduire, sous quelques réserves, par des modalités de substitution, comme la passation de contrats
de sous-traitance avec des établissements accueillant des personnes en situation de handicap, ou la
réalisation d’accords d’entreprise.

22
Mais la grande novation des vingt dernières années a été la possibilité offerte aux employeurs assujettis de
transformer légalement leur obligation d’emploi en contribution financière versée à des fonds collecteurs
créés à cette occasion : l’Association pour la gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes
handicapées (AGEFIPH) en 1987 pour le secteur privé, ou le Fonds pour l’insertion des personnes

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handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), en 2005, pour les trois fonctions publiques. Leurs actions,
qui s’ajoutent à celles de l’État, sont exclusivement dédiées à faciliter l’insertion professionnelle des

CULTURE GÉNÉRALE
personnes handicapées grâce à des mesures spécifiques : l’attribution de primes favorisant le recrutement ;
le financement de dispositifs de médiations : le placement avec le réseau Cap-Emploi ; la formation
professionnelle et l’accompagnement ; la gestion de l’accessibilité au travail (l’aménagement des postes et
l’organisation du travail).
Enfin, la France se distingue aussi parmi les pays comparables par un haut niveau de son effort de solidarité
publique. Les dépenses qui y sont relatives représentent près de 55 % du produit intérieur brut, dont plus
de la moitié est consacrée aux interventions sociales. En outre, c'est l’ensemble des domaines de l’action
publique qui est irrigués par d’autres principes qui s’avèrent corrélatifs de celui de la solidarité : le principe
d’égalité, d’une part, devant le service public qui légitime notamment la solidarité envers les différents
territoires, notamment ruraux et très ruraux, de la République et au nom duquel sont maintenus les services
publics postaux, ou encore les lignes ferroviaires, ainsi que les différents mécanismes de péréquation entre
les collectivités territoriales destinés à assurer le mécanisme de financement des services publics locaux ;
d'’autre part, le principe d’égalité des chances, dont bénéficient les individus, avec le financement de l’école
et de la politique de la ville par l’État. La valeur sociale de l’Ecole républicaine est encore rappelée par le
débat actuel sur les grandes écoles – l’ENA en tête – auxquelles est fait le procès de réserver injustement les
meilleures conditions d’enseignements aux étudiants issus des classes sociales les plus aisées.

Dissertation 2
B - LA DIFFICILE CONFRONTATION À DE NOUVEAUX BESOINS DE SOLIDARITÉ

1. La fin des Trente Glorieuses ou la remise en cause d’un modèle de solidarité


Si le principe de solidarité demeure l’une des pierres angulaires de notre édifice social, il connaît de
nombreuses difficultés, en raison de l’émergence de nouveaux besoins depuis son instauration. La solidarité
nationale relève d’un système élaboré lors de la reconstruction de la France à la suite de la Seconde Guerre
mondiale et réalisant, dans un pays connaissant une croissance inouïe durant les Trente Glorieuses, les
systèmes d’accompagnement précisés par le Conseil national de la Résistance. Or, la fin de cette croissance
soutenue – que d’aucuns, comme Nicolas Baverez, définiront comme le prélude à trente années difficiles
qualifiées, par contraste, de « trente piteuses » – a entraîné des pressions contradictoires sur les mécanismes
de solidarité : l’augmentation des prélèvements obligatoires pour remédier à la faiblesse de la croissance
économique au risque de représenter, désormais, près de 45  % du PIB, tout en finançant de nouveaux
besoins, comme le chômage de masse, qui atteint, dès la décennie 1980, près de deux millions de personnes,
dont les chômeurs en fin de droits pour lesquels une allocation dite de solidarité a été créée.
Davantage, l’existence d’un système extensible de solidarité – avec la création notamment du revenu
minimum d’insertion en 1988 puis du revenu de solidarité active en 2007 – peut induire un effet contraire
à l’objectif de résorption des inégalités. Le système de protection sociale français n’est plus à un paradoxe
près. Alors que, depuis plus d’une vingtaine d’années maintenant, les politiques publiques ne cessent
d’accumuler les mesures d’assistance et de promouvoir l’intégration (par le RMI, puis par le RSA au premier
chef), la pauvreté s’est banalisée. Comme l’indique d’entrée de jeu Nicolas Duvoux, dans son ouvrage
Le nouvel âge de la solidarité : pauvreté, précarité et politiques publiques, à l’heure actuelle, les minima
sociaux couvrent nominalement 3,5 millions de personnes, et plus de 6 millions en comptant les ayants
droit. Plus de 13 % de la population française est donc concernée par la pauvreté. Les années 1980 ont

23
été marquées par la création des Restos du cœur, à côté des organismes caritatifs déjà existants, et par la
décision de l’ONG Médecins sans frontières d’intervenir aussi en France.
Autre paradoxe : tandis que certains ont beau jeu de dénigrer cette population bénéficiant de l’assistance,

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les études montrent qu’en réalité le vrai problème est le non-recours. Près des deux tiers des allocataires
potentiels du RSA « activité » ne font pas les démarches nécessaires pour recevoir les aides auxquelles ils ont
pourtant droit. Aux yeux de l’auteur, les politiques de lutte contre la pauvreté demeurent inefficaces. Pire,
CULTURE GÉNÉRALE

elles produisent parfois la précarité, plutôt que de la combattre.


Enfin, le travail ne protège plus contre les difficultés sociales. Alors que c’est au sein même du monde du
travail qu’avaient émergé, à la fin du xixe siècle, les formes de la solidarité moderne, apparaît aujourd’hui le
phénomène des « travailleurs pauvres ». Le mouvement des Gilets jaunes s‘en fait l’écho.

2. La mondialisation menace la solidarité nationale en induisant un creusement des inégalités


Au-delà de la crise, les conséquences de la mondialisation renforcent les besoins existants en matière de
solidarité. Comme l’a souligné le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, dans son ouvrage, la mondialisation
n’est pas coupable, ce phénomène semble accroître les disparités entre les individus, les différentes
catégories sociales, entre les territoires qui bénéficient de la mondialisation et ceux qui en subissent les
effets. En effet, la mondialisation peut devenir un facteur d’accroissement des inégalités, du fait qu’elle
profite aux individus les mieux intégrés. La France serait dès lors coupée en deux. Tel est le diagnostic posé
par le géographe Christophe Guilluy, auteur de La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes
populaires (2014). D’un côté, une France des grandes métropoles, riche, active, mondialisée. De l’autre,
une France des campagnes et des villes moyennes, « abandonnée », fragile, en déshérence. Paris contre la
Creuse, Lyon contre Laon, Lille contre Lens. Dans la première France se trouveraient les « manipulateurs
Dissertation 2

de symboles » – qui valorisent leurs propres compétences créatives – pour reprendre l’expression de Robert
Reich, aux revenus élevés, et dans l’autre, en repli, les « perdants » de la mondialisation et du progrès
technique, qui exprimeraient massivement leur dépit par le vote Front national. Sur les trente dernières
années, la réduction des inégalités des revenus interterritoriaux est intégralement due au fait que les
dépenses publiques et sociales ont vu leur poids augmenter de 20 % dans le PIB. Mais face aux déficits
publics actuels et à une concurrence sociale et fiscale élevée, il est probable qu’un retour en arrière ait
lieu, et que les inégalités de revenu repartent donc bel et bien à la hausse, comme l’a souligné un rapport
du Think Tank Terra Nova de 2011. Ce constat d’une disparité grandissante vaut également au sein d’un
même territoire : dans le Loiret, Orléans, aimant économique de la région, est devenu un véritable pôle de
croissance, tandis que sa voisine, Montargis, a subi, de plein fouet, les effets de la crise.
Un tel creusement des inégalités induit une contrainte supplémentaire sur la solidarité. Comme l’a souligné
Pierre Rosanvallon, dans son ouvrage La crise de l’État-Providence, à la crise de solvabilité qui frappe l’État
vient désormais s’ajouter une crise de légitimité : les individus, gagnants de la mondialisation économique et
de la nouvelle donne qu’elle induit, ont de moins en moins envie de payer pour les perdants, et font preuve
d’incivisme fiscal, voire quittent la France afin d’échapper à l’impôt. Cette crise est d’autant plus sensible
que notre système de solidarité connaît, lui aussi, une crise d’efficacité. En effet, devant la multiplication du
chômage et de l’exclusion, le système peut donner le sentiment de ne plus fonctionner.
En outre, indépendamment de la conjoncture économique, de nouveaux appels à la solidarité proviennent
d’évolutions de la société. C’est en premier lieu le vieillissement de la population, lequel sollicite, non
seulement, les mécanismes traditionnels (assurance maladie, système de retraites) et suscite des besoins
nouveaux : comme la dépendance qui est à l’origine de l’APA ou encore, au niveau des territoires, souvent
très ruraux, des mécanismes de péréquation spécifiques, comme la Caisse nationale de solidarité pour
l’autonomie (CNSA), pour assurer le financement d’une telle prestation sur l’ensemble du territoire national.

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En second lieu, le dérèglement climatique implique, lui aussi, de nouveaux besoins de solidarité, tant
à l’échelle nationale, qu’internationale. En France, cette nouvelle solidarité climatique se manifeste, de
manière ponctuelle, par la déclaration, faite par l’État, de « catastrophe naturelle » suite à des intempéries
particulièrement violentes. Cependant, cette dimension nationale est bien limitée, lorsque l’ampleur des

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conséquences du dérèglement climatique souligne l’urgence d’une solidarité internationale pour réparer, sinon
prévenir, les catastrophes. Comme le souligne Jean-Pierre Dupuy, dans son ouvrage Pour un catastrophisme

CULTURE GÉNÉRALE
éclairé. Quand l’impossible est certain, la « fracture écologique » aggrave la situation des plus démunis. De la
sorte, c’est parce que nous sommes devenus capables de produire et de détruire, avec une puissance inouïe
qui dépasse notre capacité d’imagination et de pensée, que nous devons concevoir de nouvelles formes de
prudence et de prévention. Ce n’est pas le manque de savoir qui est la situation inédite, mais l’incapacité de
penser et d’imaginer les conséquences et les implications de nos actions. En effet le risque existe que les modes
de transports, d’habitat ou d’alimentation vertueux ne sont pas accessibles à toute traduction concrète : seule
une politique volontariste, comme pour le haut débit en France durant les années 2000 ou l’instauration d’une
taxe sur la valeur ajoutée flottante pour atténuer les problèmes sociaux provoqués par la hausse des carburants,
est de nature à adapter les mécanismes de solidarité existants aux nouveaux défis qui se présentent.
C’est pourquoi, comme le souligne Jean-Pierre Dupuy, dans son ouvrage La panique, la réussite de la
transition écologique apparaît donc d’ores et déjà comme un enjeu de solidarité, appelé à devenir de plus
en plus manifeste.

II - Remis en question par de nouvelles réalités, notre modèle


de la solidarité doit être préservé

Dissertation 2
A - LES DÉFIS À NOTRE CONCEPTION DE LA SOLIDARITÉ

1. Une solidarité désormais à l’horizon international


Notre conception de la solidarité a évolué vis-à-vis notamment des États ou des territoires étrangers.
Longtemps assimilée à une forme d’aumône internationale – débutée lors des grandes campagnes de charité
internationale organisées, durant la décennie 1980, en réponse à la crise sanitaire du Sahel –, l’aide au
développement s’est progressivement muée en solidarité. Ainsi, la crise migratoire a amené en Europe à une
prise de conscience nouvelle de l’impératif de développement, comme en témoignent les décisions prises lors
du Sommet de l’Union européenne de la Valette, en 2015. Cette forme n’est pas indemne de considérations
géopolitiques – tout comme l’était le Plan Marshall au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dans la partie
de l’Europe qui n’était pas sous la férule socialiste. La solidarité est la conséquence de la recherche d’un
équilibre, d’une stabilité entre les pays du Sud et ceux du Nord. Elle se fonde sur une communauté de
destins et d’intérêts et illustre le caractère juridique, en droit civil, de la solidarité, entendue comme une
forme de « caution solidaire » qu’exige la réponse aux défis communs, « in solidum », comme la lutte contre
les pandémies et la réponse aux réfugiés environnementaux. À cet égard, le fonds de solidarité, abondé à
hauteur de 100 milliards d’euros et destiné à aider les pays en développement à relever le défi climatique,
augure de cette nouvelle forme de solidarité qui responsabilise les États qui en sont bénéficiaires.
Cette dimension de la solidarité dépasse les simples frontières nationales pour concerner les habitants de la
planète, venant suppléer à l’absence de contenu juridique, reposant sur l’égalité entre droits et obligations,
qui caractérise cette notion de « citoyen du monde ». En outre, la notion de solidarité n’est pas propre à
l’Occident. C’est ainsi qu’en Chine, il existe une forme de solidarité écologique : l’homme est inscrit dans
son milieu vital, conçu comme dépendant du monde physique et social. En Afrique, la solidarité est plutôt

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rituelle, avec une obligation sociale d’entraide basée sur la réciprocité. Enfin, dans les pays musulmans,
il existe, en plus de la solidarité communautaire, une solidarité institutionnelle à travers la futuwwa,
mouvement populaire qui prône l’altruisme et la dhimma, contrat qui offre une protection aux membres
d’autres religions même si cette réglementation a souvent été lue comme discriminante envers les non-

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musulmans. Preuve est donc que la solidarité connaît des variantes dans toutes les civilisations, ce qui en
fait une idée universelle.
CULTURE GÉNÉRALE

2. Une dimension européenne qui demeure le prolongement de la solidarité nationale


Par contraste, la solidarité qui a émergé à l’échelle européenne s’incruste quant à elle davantage en continuité
de la solidarité nationale ; la Communauté européenne était ouvertement fondée sur la solidarité face à la
menace soviétique et s’ancrait dans le désir de bâtir la paix entre les ennemis d’hier. À cet égard, l’insertion
d’une clause de solidarité, à l’article 42 du Traité de Lisbonne, s’inscrit dans cette perspective de défense
mutuelle, en cas d’agression : « Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes
aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les États
qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. » Dans
une même veine, la citoyenneté européenne, définie par le Traité de Maastricht, induit nécessairement
une forme de solidarité consulaire, entre États membres et l’établissement d’une monnaie unique, dont
la gestion incombe, au premier chef, à la Banque centrale européenne, implique une forme de gestion
solidaire, au même sens que celui du droit commercial : les contribuables de la zone ayant financé le plan
d’aide à la Grèce. Enfin, le principe de solidarité entre les différents États membres a été rappelé lors de la
crise migratoire, lors de l’attribution de quotas, en matière de relocalisation de demandeurs d’asile.
Cependant, notre modèle de solidarité pâtit, dans nos sociétés, de l’affirmation de l’individualisme comme
la primauté du bonheur et de l’intérêt personnel sur le bien commun, dans un contexte de crise économique.
Dissertation 2

En cette période de mondialisation sous le signe de l’universalisme des droits de l’homme, elle présente
l’inestimable avantage d’être compatible avec un individualisme radical qui entend ignorer les limites des
États nations. Ce même individualisme valorise les choix personnels, le don et la participation volontaire à
des actions altruistes. Voilà une autre force de l’idée de solidarité : en tant que sentiment d’empathie et désir
d’entraide, elle ne s’oppose pas aux solidarités électives, celles qui se déclinent au pluriel et qui sont bâties
sur les affinités ou la compassion, le lien familial ou le voisinage. Pourtant, si nous voulons éviter que la
solidarité devienne un facteur d’exclusion, il nous reste à élaborer l’articulation entre les liens de cœur et les
liens de raison, entre la solidarité qui relève du libre choix des personnes et celle qui relève de la contrainte
publique. La question n’est plus aujourd’hui de se demander s’il faut revenir à la fraternité ou à la charité,
ni même s’il faut privilégier l’entraide ou l’action publique. L’idée de solidarité retrouve toute sa pertinence
quand elle permet de mettre en avant la dimension consciente et volontaire de toute association humaine,
et non lorsqu’elle devient repli sur soi et engagement en fonction des affinités électives des individus.
Le risque de primauté de la solidarité « choisie » volontaire ou affinitaire pourrait ainsi augmenter avec
le développement des réseaux sociaux ou des communautés virtuelles, à l’instar de ce qui se déroule déjà
avec le CrowdFunding. D’une façon générale, le numérique remet en cause le caractère évident d’un lien de
solidarité reposant sur le seul fait de vivre sur le même territoire, à l’intérieur de mêmes frontières. Internet
crée en effet des appartenances sans lien avec une proximité physique. Le développement de cette nouvelle
dimension pourrait constituer à terme un réel défi à la solidarité, d’abord pensée comme nationale.

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B - UN MODÈLE DE SOLIDARITÉ À RÉAFFIRMER ET À RÉACTUALISER

1. Une réaffirmation nécessaire grâce à l’adaptation aux nouveaux besoins


et aux nouvelles réalités

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C’est sans doute la première raison du regain de faveur actuel dont bénéficie la solidarité. Il faut en ajouter
une deuxième : comme lien d’interdépendance, la solidarité n’ayant pas de limites, ni temporelles ni

CULTURE GÉNÉRALE
spatiales, elle permet de souligner notre responsabilité vis-à-vis des générations futures, mais aussi de faire
l’impasse sur le support national de la solidarité volontaire. Dès lors, dans ce nouveau contexte, il importe de
réaffirmer la place de la solidarité dans l’édifice républicain. Elle doit demeurer un principe d’organisation
sociale à caractère obligatoire et non une option laissée à la bonne volonté de chacun. Certes, on ne peut
que se réjouir du rôle joué par solidarité familiale (en particulier des parents retraités au profit de leurs
enfants et petits-enfants) et il est tout à fait légitime que l’État encourage les organismes caritatifs. Mais
notre modèle de société consiste à garantir un certain niveau de solidarité sans s’en remettre à ces formes
privées. À ce titre, revenir aux dispositions du programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars
1944 qui sont à l’origine des grandes réformes économiques et sociales de 1946, impliquant, le cas échéant,
le recours aux nationalisations au nom de l’intérêt commun, peut redevenir une source d’inspiration. En
outre, face à la tentation de laisser la charité privée prendre le relais, rappelons que, dans d’autres modèles
de société, la solidarité n’a précisément pas de caractère optionnel mais s’avère, pour des motifs sociaux, de
facto obligatoire, car elle est considérée comme une nécessité pour le bon fonctionnement de la société et la
contrepartie de l’indépendance entre ses membres. C’est là toute la philosophie du give back des personnes
qui ont réussi aux États-Unis d’Amérique, à l’instar des nombreux philanthropes. Le philosophe américain
Peter Singer a ainsi analysé les motifs de la philanthropie. La première raison souvent invoquée est que
les donateurs veulent soulager leur conscience ou soigner leur publicité. C’est l’accusation qui a été faite

Dissertation 2
notamment à Bill Gates, qui a construit sa fortune sur le système informatique le plus vendu dans le monde
et fut accusé de monopoliser ce marché. Mais, explique Peter Singer, dans ses Questions d’éthique pratique,
si les riches ne donnent leur argent que pour améliorer leur image, ou se racheter de fautes passées (des
types de fautes très différents de ce que le commun des mortels peut commettre), alors ce qu’ils font n’a pas
de raison d’interpeller notre propre conduite, et cela nous arrange.
En d’autres termes, la société américaine, par l’action philanthropique, parvient à une sorte d’accommodement
social qui rend possible la coexistence de fortunes immenses avec une population en précarité croissante.
En outre, ces fondations, issues de la solidarité des plus riches, peuvent également jouer un rôle d’ordre
géopolitique. L’historien Ludovic Tournès, auteur d’un ouvrage intitulé L’argent de l’influence. Les fondations
américaines et leurs réseaux européens, relève quatre autres points : les fondations soutiennent toutes la libre
entreprise et la démocratie, elles s’appuient sur les « élites du savoir considérées comme principal vecteur
du changement », elles ont une vision mondiale des enjeux, et elles agissent en complémentarité avec la
diplomatie des États-Unis. Il rappelle qu’au moment où Théodore Roosevelt s’impliquait pour la paix et la
résolution des conflits par le droit, la fondation Carnegie a fortement appuyé les mouvements pacifistes
en Europe. Quoi qu’il en soit, l’apport des fondations a été essentiel. En Belgique, la situation alimentaire
préoccupante suite à l’occupation de 1914 oblige un collectif de secours à se tourner vers des mécènes.
Le richissime industriel Herbert Hoover, futur président américain, décrète une mobilisation en faveur
de la « Poor Little Belgique ». À l’armistice, les sommes non dépensées en vivres vont être investies dans
l’enseignement supérieur, public et privé. En outre, durant la seconde partie du siècle, l’engagement des
fondations en Europe de l’Est aura également contribué à l’ouverture et à la formation de nouvelles élites
sensibles à la culture nord-américaine. Tout en servant les intérêts de leur pays d’origine, ces philanthropes
ont contribué à préparer le rôle des ONG dans le jeu diplomatique international.

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En France, cette réaffirmation de notre modèle n’est pas seulement un appel à la primauté du financement
public, mais aussi à la définition par la société elle-même, c’est-à-dire par le jeu démocratique, des modalités
et des priorités de la subsidiarité entre solidarité publique et solidarité privée. Il existe en effet déjà des
dispositifs qui ont dissocié les deux : le système de déduction fiscale des dons à des œuvres caritatives,

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laissés au bon vouloir des contribuables. De même le domaine de la protection sociale illustre de façon
assez sophistiquée la façon dont les différentes formes de solidarités peuvent s’articuler. En matière de
CULTURE GÉNÉRALE

retraite s’articulent ainsi le régime de base, les régimes complémentaires – obligatoires ou facultatifs –, les
plans d’épargne retraite – individuelle ou d’entreprise – et éventuellement la solidarité familiale. Depuis
2017, les mutuelles de santé sont devenues obligatoires venant ajouter une forme de solidarité assurantielle
au régime de base de l’assurance-maladie.
Enfin, la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018 conférant une valeur constitutionnelle au
principe de fraternité pose la question du point de savoir comment la norme politique peut, non plus
obliger mais permettre à la solidarité privée de s’exprimer. Illégale jusqu’alors, l’aide apportée par des
particuliers à des étrangers en situation irrégulière ne l’est désormais plus. Une interdiction collective a
ainsi été retirée pour qu’il puisse être laissé davantage libre cours à des actes de solidarité privée ; c’est un
signe supplémentaire de la reconnaissance croissante de cette dernière.

2. Il importe aussi d’atténuer les doutes quant à la légitimité de notre modèle de solidarité
La crise multiforme, ces dernières décennies, de l’État-providence et les réformes engagées dans les
différents pays européens pour y faire face, ont conduit à une transformation de l’idée même de solidarité.
Et si cette transformation n’est pas directement liée à l’UE, elle n’en constitue pas moins un contexte
d’ensemble dans lequel il faut penser aujourd’hui le principe de solidarité au niveau européen. Soit que
l’on y voit une solution aux difficultés nationales, soit que l’on y voit plutôt une cause d’aggravation de la
Dissertation 2

crise de la solidarité sociale qui traverse les sociétés européennes contemporaines. Cette transformation de
l’État-providence étant désormais concomitante de celle de la construction politique de l’UE, il est légitime
de s’interroger, comme ce fût d’ailleurs le cas au cours des débats sur le TCE dans les différents pays, pour
savoir si la résolution de l’une et de l’autre de ces crises ne pourrait pas précisément se faire à travers
la redéfinition du périmètre institutionnel et de la portée du principe de solidarité en Europe. C’est la
raison pour laquelle, suite à la reconnaissance de la solidarité comme un principe fondamental de l’Union
européenne, par la Cour européenne de justice, il importe, plus que jamais, de faire œuvre de pédagogie,
afin de démontrer l’inanité d’une conception libérale extrême qui tend à considérer la solidarité comme un
frein à l’expansion économique.
En conséquence, la solidarité doit être exposée dans sa conception post-nationale, comme l’apanage de
l’État de droit et l’affirmation de la liberté des États qui adhèrent à la construction européenne et ce,
contre le populisme qui lui nie toute pertinence. Dans ce cadre, la question se pose de l’organisation des
« souverainetés » entre niveau national et niveau européen, voire au niveau régional dans chaque pays. La
solidarité qui a été jusqu’ici du ressort quasi-exclusif de la souveraineté étatique, voire infra-étatique dans les
États régionaux ou fédéraux, n’échappe donc pas à un débat sur son avenir dans le cadre national. Surtout
si on croise cette donnée à celle évoquée plus haut de la crise des finances sociales et de l’État-providence
qui se manifestent désormais dans pratiquement tous les pays européens. Pourtant l’inscription du principe
de solidarité sociale au niveau européen ne va pas de soi. En effet, si la « communauté légale » – c’est-à-
dire une construction juridique protectrice autour de quelques valeurs communes aisément acceptables :
garantie juridique dans les traités et les chartes, voire dans une « constitution » des droits sociaux, syndicaux,
etc. – ne pose pas de problèmes de compréhension et d’adhésion ; en revanche, l’idée d’une « communauté
morale » – c’est-à-dire d’une volonté concrète de partage et de redistribution des transferts sociaux entre
Européens et non plus seulement entre nationaux – n’est pas aussi aisément réalisable.

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On a pu constater comment opère le discours populiste au sujet de la relocalisation des migrants en
Europe, des plans d’aide à la Grèce ou encore, plus largement, des autres dispositifs d’aides structurelles à
destination des autres États européens.

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En outre, garantir la légitimité de notre modèle implique de veiller au partage équitable de l’effort : au
niveau national, c’est la raison pour laquelle le mode de financement de la solidarité évolue, en reposant
de moins en moins exclusivement sur des cotisations assises sur les seuls salaires. De même, la question de

CULTURE GÉNÉRALE
l’évasion fiscale, notamment des GAFAM, devient une question majeure, en ce qu’elle souligne, aux yeux de
l’opinion publique et plus largement dans une perspective morale, qu’on ne saurait bénéficier des richesses
créées dans un pays sans contribuer, à son tour, à la solidarité qui le sous-tend.
La solidarité n’est donc pas seulement économique, mais participe d’un système dont la performance doit
être sans cesse améliorée. En ce sens, le projet de service civique obligatoire est une illustration de la
solidarité, en ce que sa dimension citoyenne – donc politique – s’avère différente de l’engagement social ou
humanitaire purement personnel. Au niveau global, l’urgence des questions climatiques rend impératrice
une solidarité fondée sur le droit, comme le souligne Alain Supiot, dans son ouvrage Grandeur et misère de
l’État social. L’articulation des différents cercles de solidarité sera aussi nécessaire entre solidarités locales,
nationales et continentales, afin d’éviter par exemple les conflits entre les pays payeurs et ceux en crise
qui nécessitent leur aide. Enfin, le renforcement de la responsabilité solidaire permettra de rendre les
entreprises plus responsables des conséquences de leurs décisions comme le recours au travail illégal, les
infractions aux règles de santé et de sécurité, la corruption, la fraude fiscale ou encore la pollution.

Finalement, la solidarité semble affectée par un mouvement général d’interrogation voire de remise
en cause sur des éléments qui constituent le socle des valeurs de la société française depuis 1945. La

Dissertation 2
solidarité innervait le programme de reconstruction du Conseil national de la Résistance dont la mise
en œuvre l’a inscrite au cœur même des nouvelles institutions de la France d’après-guerre. En fait, la
question de la réalité de la solidarité en France, en phase ou non avec les besoins de son corps social,
porte essentiellement sur ses éventuelles réponses aux nouvelles exigences de partage des générations
qui ont suivi la reconstruction de l’Après-1945 et les Trente Glorieuses. Mais, plus fondamentalement, ce
questionnement sur la solidarité pourrait aussi s’entendre au regard d’un autre besoin : celui exprimé par
le citoyen de vivre effectivement dans une société où la solidarité de tous contre tous les protège et qui
éprouvent le besoin, autant politique que moral, de se reconnaître dans un même projet de vivre ensemble.
En outre, la force de ce désir est aujourd’hui remise en cause par une mutation sociologique profonde
qui affecte toutes les sociétés occidentales, à savoir le creusement des inégalités avec pour corollaire
l’affaiblissement du primat de la classe moyenne, qui tend à se paupériser, alors qu’émerge une nouvelle
minorité de possédants qui considèrent la solidarité comme une charge indue et non comme une chance
de consolidation et de cohésion du corps social. Cette dimension sociétale constitue un risque, tandis que
l’horizon de la solidarité dépasse désormais le registre national au profit d’un horizon planétaire. En effet,
il existe entre les membres de la classe moyenne, ce que les économistes appellent un voile d’ignorance, par
lequel il est quasiment impossible de savoir avec certitude si l’on sera plus « gagnant » ou « perdant » à la
solidarité. Le consensus est menacé lorsque la société se polarise et notamment lorsqu’une partie croissante
de la population dépend des transferts sociaux pour vivre et se considère comme abandonnée ou trahie pas
ses élites
Ces mutations avivent le risque du populisme, qui menace directement les fondements mêmes de la
démocratie française, dont la solidarité demeure, l’expression privilégiée.

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Sujet

3
DISSERTATION : LA VÉRITÉ EST-ELLE
UN IMPÉRATIF DANS LA SOCIÉTÉ

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FRANÇAISE CONTEMPORAINE ?
CULTURE GÉNÉRALE

(ANNALES CONCOURS ENM 2017)

Par la formule « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », Blaise Pascal soulignait l’aspect relatif de la
vérité. Ce qui est une vérité pour quelqu'un à un moment ou un lieu donné (en deçà, donc du côté français
des Pyrénées, par exemple) ne l'est peut-être pas pour une autre personne d'une autre époque ou d'une
autre région. Pourtant, dans sa définition donnée par le dictionnaire Littré qui la décrit comme la « qualité
par laquelle les choses apparaissent telles qu'elles sont », la vérité prétend être univoque.
La vérité est un des concepts philosophiques les plus étudiés et les plus débattus. Elle a donné naissance
à des approches et définitions très diverses qui soulignent l’ambiguïté du terme. Le concept est l’origine
d’interminables controverses chez les philosophes pour savoir s'il y a correspondance entre telle ou telle
représentation et ce qui est. La vérité est au cœur des quêtes philosophiques et religieuses de nombreuses
civilisations, en particulier la civilisation occidentale.
Dissertation 3

Sous l’antiquité grecque, Socrate et les autres philosophes avaient défini l’idée d’une vérité ultime et
intangible au-delà des apparences changeantes du monde incarnée par le triptyque du vrai, du beau, et du
bien. L ’Occident chrétien, héritier de cette idée de vérité absolue, identifiait quant à lui la source de la vérité
à la parole du Dieu unique, exprimée par le Christ dans l’Évangile selon Saint Jean : « Je suis le chemin,
la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. » Sous l’influence de la philosophie des Lumières,
la France a joué un rôle essentiel dans l’évolution de l’approche de la vérité, qui caractérise aujourd’hui
la société contemporaine. Peu à peu, la source de vérité et la confiance se sont déplacées de Dieu vers
l’homme. La modernité estime ce dernier capable de percer les lois de la nature aussi bien dans le domaine
scientifique que politique, afin de parvenir au bonheur de l’humanité. La croyance dans le « progrès de
l’esprit humain » selon la formule de Condorcet trouve son expression politique dans la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789, fondée sur « des principes simples et incontestables ». La France
se voulait alors le héraut de la vérité politique consistant au respect des droits et libertés de chacun.
Cependant, le projet révolutionnaire, en accordant la primauté à l’individu et à ses droits et libertés,
a, dans le même mouvement, fragilisé l’existence d’une vérité collective immuable qui transcendait les
perceptions individuelles. L ’avènement de la modernité semble donc avoir atténué la place de la vérité dans
nos sociétés. Celle-ci serait alors multiple, et du ressort de chacun, comme l’indique le titre de la pièce de
Luigi Pirandello « À chacun sa vérité » (1917). La vérité perdrait alors de son intérêt au profit de discours
multiples, voire d’une post-vérité qui accorderait davantage de place aux émotions qu’à la raison. Dans le
même temps la volonté de transparence semble n’avoir jamais été aussi forte au sein de la société française.
Dans une société démocratique comme la France, que reste-t-il alors de la recherche de la vérité ? La vérité
est-elle toujours un impératif ou n’est-elle qu’une exigence secondaire ?
Alors que les principes fondateurs de la société française contemporaine font de l’exigence de vérité un
impératif, elles en redessinent dans le même temps ses contours (I). La notion de vérité est aujourd’hui au
cœur des interrogations de la société française et sa place doit être défendue (II).

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I - Les principes de la société française contemporaine
font de l’exigence de vérité un impératif tout en redéfinissant
les contours traditionnels

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A - L ’IMPÉRATIF DE VÉRITÉ EST UN DES FONDEMENTS DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

CULTURE GÉNÉRALE
Le passage d’une société théocentrée à une société sécularisée n’a pas conduit à l’abandon de la recherche
de la vérité comme vertu cardinale. Elle demeure au fondement de notre projet de société. La vérité est tout
d’abord une valeur centrale des régimes démocratiques. En tant que mandataires du peuple souverain, les
élus de la nation lui doivent la vérité. Ils doivent rendre compte de leur action et les citoyens ont le droit de
leur demander des comptes en vertu de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
qui dispose que « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »
Le Parlement « contrôle l’action du gouvernement » (Constitution, 4 octobre 1958, art. 24) pour s’assurer que
celle-ci soit conforme à l’intérêt général. En matière de finances publiques, l’indépendance institutionnelle et
statutaire de la Cour des comptes est garante de la production d’une information exacte et sincère à destination
des citoyens. L ’indépendance de la justice est constitutionnellement garantie par l’article 64 de la Constitution.
Elle permet d’éviter tout obstacle politique à l’établissement de la vérité lors des affaires judiciaires.
Cette exigence de vérité a trouvé une nouvelle application dans les mesures visant à assurer davantage
de transparence de l’action administrative. Ce mouvement a abouti à l’adoption de la loi du 12 avril 2000
relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration puis d’un Code des relations entre
le public et l’administration en 2016. Celui-ci régit les règles liées à la transparence de l’action publique,
à la diffusion des informations aux administrés, ou encore à la motivation des actes administratifs. Ces

Dissertation 3
obligations de vérité imposées à l’administration ont pour objectif de renforcer la confiance entre décideurs
et citoyens, lien nécessaire au bon fonctionnement des institutions.
Cette exigence de transparence vis-à-vis du peuple exclut donc a priori le mensonge du champ politique et
administratif. Le mensonge, déjà par ailleurs condamné par la morale, semble en effet incompatible avec
l’idéal démocratique. Si cette condamnation du mensonge est unanime au sein de démocraties modernes,
elle se fait à des degrés divers. Il en va ainsi de la société française même si certaines démocraties semblent
adopter une attitude plus stricte face au mensonge politique, à l’image de la société américaine qui a poussé
Richard Nixon à la démission à la suite de la découverte de l’affaire du Watergate.
En outre, la société française est, en tant que société démocratique, fondée sur une promotion d’une vérité
objective par la diffusion d’informations et les progrès de la connaissance.
L 
’existence d’une presse libre et pluraliste est un élément essentiel d’un régime démocratique. Elle
assure la diffusion d’une information objective et doit agir indépendamment du pouvoir. En cela, elle
pose les conditions du débat et permet la confrontation des idées. En France, une autorité administrative
indépendante, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a pour mission de « garantir l'exercice de la liberté
de communication audiovisuelle en France ». La liberté de la presse est d'ailleurs l'un des instruments de
mesure de l’indice de démocratie, créé en 2006 par le groupe de presse The Economist. Le durcissement
d’un régime et son basculement vers l’autoritarisme comme observé récemment en Turquie provoquent
toujours la mise sous tutelle de la presse afin de promouvoir une vérité qui serve les intérêts du pouvoir.
L ’impératif de vérité trouve également un fondement dans la recherche du progrès de la connaissance et
l’élargissement de son accès par l’éducation. Condorcet avait mis en lumière le rôle essentiel de l’éducation
pour la liberté de l’homme et pour la pérennité du régime démocratique dans son ouvrage « Sur la nécessité
de l’instruction publique » (1793). Il promeut l’établissement d’une instruction minimale commune à
tous les citoyens, telle qu’aucun d’eux ne puisse devenir victime de mystifications (religieuse, économique,

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juridique, politique). L ’éducation est aussi une condition de l’égalité et de l’exercice des libertés. Pour
rendre réelle l’égalité des droits, il faut que «  chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même, et
sans se soumettre aveuglément à la raison d’autrui, ceux dont la loi lui a garanti la jouissance ». L ’école
républicaine, portée par les « hussards noirs de la République » chers à Charles Péguy, se place dans ce

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même horizon de conquête de la liberté et de l’égalité par la connaissance.
Les progrès de la connaissance reposent aussi sur la liberté et l’indépendance de la recherche scientifique.
CULTURE GÉNÉRALE

Alors que les régimes totalitaires ont cherché à interdire ou à contrôler à leur profit les travaux scientifiques,
les démocraties s’efforcent de promouvoir l’établissement d’un savoir objectif. En France, les enseignants-
chercheurs jouissent de libertés particulières, notamment l’indépendance. L ’article L. 952-2 du Code de
l'éducation dispose ainsi que « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une
pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement
et de leurs activités de recherche (…) ». La recherche scientifique apparaît comme une recherche progressive
de la vérité à l’exemple de la méthode expérimentale qui consiste à tester par des expériences la validité des
hypothèses. Elle est au fondement d’une société qui recherche des améliorations, qui s’ouvre à l’innovation,
qui a la capacité de se remettre en cause, d’apprendre de ses erreurs et d’évoluer pour un mieux. L ’idée
même du progrès suppose une recherche permanente de nouvelles vérités.
Enfin, il convient de préciser que l'exigence de vérité dans la France contemporaine n’est pas seulement un
héritage des principes fondateurs de la société démocratique. Elle demeure en construction permanente
et connaît de nouvelles avancées notables dans les domaines les plus divers. Par exemple, le droit des
enfants à connaître leurs origines a été reconnu avec la création du Conseil national pour l’accès aux
origines personnelles (CNAOP) en 2002. Sur un sujet très différent, notons qu’un effort a aussi été engagé
afin d’intégrer davantage de vérités historiques dans la mémoire nationale. En 1995, Jacques Chirac
reconnaissait ainsi la responsabilité de l’État français dans la rafle du Vel d’Hiv. Plus récemment, en 2012,
Dissertation 3

François Hollande a effectué une démarche similaire en reconnaissant le massacre d’Algériens lors de la
manifestation du 17 octobre 1961. La loi dite Taubira du 10 mai 2001 traitant du passé esclavagiste s’inscrit
dans la même démarche. Si l’histoire – ensemble de faits objectifs – et la mémoire – construction subjective
– ne sauraient être confondues, ces évolutions sont néanmoins motivées par un désir de vérité et de justice
par rapport au passé, exprimé par la société française.

B - LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE REDÉFINIT L’IMPÉRATIF DE VÉRITÉ

S’il est ainsi placé au fondement de notre société, l’impératif de vérité n’en recouvre pas moins une acceptation
moderne très différente de ce que recouvrait traditionnellement cette notion, parfois même affublée d’un
« v » majuscule. En effet, la vérité immuable et unique a laissé la place à l’expression plurielle des opinions
et cette vérité doit parfois céder devant d’autres impératifs. En premier lieu, les vérités modernes sont des
vérités relatives qui reposent sur l’idée de liberté. La société contemporaine accorde une place prééminente
à la liberté d’opinion, la liberté de conscience, empêchant d'imposer une vérité supérieure.
Dans le champ politique, le débat démocratique suppose bien entendu que chacun puisse défendre sa
conviction de ce qu’est l’intérêt général. Le droit de vote érige même le fait d'avoir une opinion personnelle
en exigence démocratique. Les élections permettent alors de trancher parmi les multiples discours des
membres du corps social. Les partis dits « populistes » sont dès lors problématiques dans la mesure où ils
s’arrogent l’exclusivité de la représentation et de la défense des intérêts du peuple, privant ainsi de légitimité
le pluralisme des opinions pourtant nécessaire au jeu démocratique. Dans « La Crise de la culture » (1968),
Hannah Arendt alertait déjà sur les dangers de tout discours qui prétend détenir le monopole de la vérité.
En matière religieuse domaine de la « vérité immuable » par excellence, l’abandon de toute religion officielle
tend à relativiser la valeur accordée aux différentes doctrines. Elles peuvent certes toujours être regardées

32
comme des vérités par le croyant mais non au point de les faire prévaloir sur toute autre considération.
Cette évolution pour la société prise dans son ensemble n’est pas sans conséquence au niveau de l’individu.
Tel est le constat dressé par Jean-Louis Schlegel dans «  Religions à la carte  » (1995) qui évoque un
phénomène de « désinstitutionnalisation du croire » au profit d’une recomposition des croyances. Les fidèles

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reconstituent ainsi leur croyance par l’emprunt d’éléments à toutes sortes de sources religieuses mais aussi
philosophiques. L ’exigence de respect des autres croyances et du principe de laïcité impose quant à lui au

CULTURE GÉNÉRALE
croyant de respecter les autres vérités et de se soumettre aux lois séculières de la République.
Le caractère relatif de la vérité proposée par la société moderne affecte également le champ de la recherche
scientifique dont l’objet est pourtant d’identifier des vérités solides. La notion de progrès scientifique suppose
en effet une évolution qui conduit certaines théories à être modifiées ou réfutées. Le philosophe Karl Popper
a d’ailleurs fait du critère de réfutabilité l’élément central de la définition de ce qui est scientifique.
En second lieu, non seulement la vérité revêt désormais une valeur plus relative dans la société
contemporaine, mais l’exigence de transparence qui lui est souvent associée se trouve limitée au nom des
droits fondamentaux. Cette exigence est tout d’abord tempérée par le principe de protection de la vie privée
et de multiples secrets protégés par la loi (secret bancaire, secret médical). Comme l’indiquait le vice-
président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, lors du colloque « Transparence, valeurs de l'action publique
et intérêt général » (2011), la transparence doit aussi être conciliée avec le respect des secrets nécessaires
à la protection des intérêts fondamentaux légitimes de l’État ou à la sérénité du processus de décision
publique. Tel est le sens, par exemple, du secret des délibérations du Gouvernement, en tant qu’il protège
en particulier l’élaboration des décisions gouvernementales, ou encore des secrets en matière de monnaie
et de crédit, de sécurité et de défense nationales ou de relations internationales.
Ainsi s'impose l’exigence de vérité, telle que redéfinie par la société démocratique est sécularisée. Cet
impératif est même d’autant plus actuel que la notion de vérité est aujourd’hui confrontée à de nombreux

Dissertation 3
défis et fait l’objet d’une crise.

II - Un impératif de vérité renforcé au service du projet démocratique

A - LA NOTION DE VÉRITÉ EST AU CŒUR DES INTERROGATIONS DE LA SOCIÉTÉ


CONTEMPORAINE FRANÇAISE

La notion de vérité est aujourd’hui traversée par des tensions et des exigences parfois contradictoires.
Tout d’abord, la société française traverse une crise de défiance vis-à-vis des élites qui fragilise son rapport
à la vérité. Les citoyens sont de plus en plus méfiants envers les cadres de la société, parfois accusés de
dissimuler ou de falsifier la vérité. Or, au sein d’une société, c’est le rôle des élites d’éclairer, d’orienter et
d’organiser la vie sociale. Ils servent de médiateurs entre des connaissances complexes et le grand public
et sont un des pivots de « l’alliance du progrès scientifique et de la justice sociale » selon l’expression de
Jacques Julliard (« La faute aux élites », 1997). La distension du lien entre les élites et le peuple trouble
donc profondément le rapport à la vérité de la société. Le syndrome de la suspicion fait désormais partie du
fonctionnement habituel de nos sociétés. Il s’est récemment appliqué à l’incendie de la cathédrale Notre-
Dame ou à celui de l’usine chimique Lubrizol de Rouen.
Cette défiance existe à l’encontre des décideurs politiques dont la parole est de plus en plus systématiquement
mise en doute. C’est un des éléments de la crise de la représentation. Les élus ne relaieraient plus les
attentes de leurs mandants, les élites seraient « coupées du peuple » (Daniel Bougnoux, « La crise de la
représentation », 2006). Au-delà de la parole politique, la défiance s’étend aussi au travail des journalistes

33
dont l’indépendance et l’impartialité voire la bonne foi sont de plus en plus souvent remises en cause. Plus
inédit, la parole scientifique est également interrogée et reçue avec beaucoup plus de scepticisme qu’autrefois.
Les causes de cette défiance sont multiples. Pour la parole politique, la fin des «  Trente Glorieuses  » et

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l’incapacité à répondre efficacement aux crises successives ont entamé la confiance placée dans les hommes
politiques. Au cours des années 1990, était ainsi apparue dans le débat public français la célèbre expression
de « pensée unique », synonyme d’un dogme libéral que les principaux partis politiques, médias et décideurs
CULTURE GÉNÉRALE

économiques auraient décidé ensemble d’imposer comme vérité incontestable. Les tenants de cette thèse
signifiaient ainsi que son but était de cacher la possibilité de politiques alternatives et d’empêcher tout réel
débat.
Plusieurs scandales et mensonges ont également joué un rôle important dans l’affaiblissement du lien
de confiance entre les citoyens et leurs représentants. Déjà La Bruyère dans «  Les Caractères  » (1688)
alertait sur les mensonges des puissants : « Ce sont des hommes polis comme du marbre, qui pratiquent
l’art de dissimuler. » Des cas récents illustrent un recours au mensonge d’État non pour servir la cause du
peuple, mais celle d’une personne ou d’un groupe particulier. Cela s’est produit avec George W. Bush et
le mensonge sur les armes de destruction massive afin de justifier la guerre d’Irak et du même coup sa
position de pouvoir, et avec José María Aznar lors de l’attentat de Madrid en accusant l’ETA et maquillant la
piste d’Al-Qaïda afin de favoriser la réélection du Parti populaire. C’est, plus récemment, le cas de Jérôme
Cahuzac qui a longtemps nié avoir des comptes en Suisse et en Asie avant de le reconnaître. D’autres
scandales ont contribué à décrédibiliser la parole politique. C’est, par exemple, le cas de l’affaire du sang
contaminé, ou encore de l’accident de Tchernobyl. Les scientifiques et journalistes n’échappent pas non plus
aux accusations de partialité et de défense d’intérêts particuliers, souvent financiers.
Cette défiance prend une forme paroxystique à travers la diffusion actuelle des théories du complot. Les
institutions politiques, économiques et judiciaires mais aussi les médias sont accusés d’être au service d’un
Dissertation 3

plan dissimulé aux citoyens. Le mensonge ne serait plus l’exception mais le principe de fonctionnement
de nos sociétés. Un des exemples les plus emblématiques sont les attaques terroristes du 11 septembre
2001, qui selon ces théories auraient été fomentées par l’administration américaine. Ce retour en grâce
des théories du complot, auquel la société française n’échappe pas, peut inquiéter dans la mesure où elle
rappelle les thèses de l’extrême droite européenne au début du XXe siècle fondée sur un faux document,
« Les Protocoles des Sages de Sion ». Ce dernier visait à faire croire à un plan de conquête du monde établi
par les juifs et les francs-maçons («  Histoire d’un mythe, La « conspiration » juive et les protocoles des
sages de Sion », Norman Cohn, 1967). À l’heure de la mondialisation, ces thèses se répandent de nouveau
sous couvert de complot des « Illuminati » popularisé notamment auprès des jeunes au sein de la société
française.
Plus inédit peut-être, il existe aussi un doute sur la vérité scientifique reléguée parfois au rang d’une
opinion parmi d’autres. En matière de réchauffement climatique, l’administration américaine actuelle se
propose d’établir sa fameuse « vérité alternative » pour contrebalancer les conclusions du Groupe d'experts
intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). La France n’échappe pas non plus à la montée du
scepticisme face aux connaissances scientifiques notamment lorsqu’elles concernent la santé.
Parallèlement à la fragilisation de la place de la vérité dans la société, on assiste donc à une soif de vérité
qui peut être en proie à des manipulations.
Ensuite, en réponse à la crise de confiance en la vérité institutionnelle, de nouvelles quêtes de la vérité
apparaissent qui sont elles-mêmes problématiques.
La première forme prise par cette quête est celle du retour à une vérité simple, plus intuitive et plus absolue
en opposition à la complexité du débat démocratique qui confronte une pluralité d’opinions et peut être
sujette aux manipulations et dissimulations. Le régime de Vichy a par exemple proposé une conception
très primitive de la vérité contenue dans la formule du maréchal Pétain «  La terre ne ment pas  », qui

34
sous-entendait un mensonge systématique de la part des institutions élues. Aujourd’hui, les mouvements dits
« populistes » remplacent la complexité du monde par une approche simple voire simpliste en discréditant
les discours institutionnels qui tentent de transcrire la complexité du monde.

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Ce besoin d’une vérité simple et forte est aussi illustré par le phénomène de retour du religieux, décrit par
Gilles Kepel dans son ouvrage « La Revanche de Dieu » (1991). Ce retour du religieux a essaimé depuis
1975, à la faveur des crises économiques et de l’effondrement des idéologies. Le dogme religieux, donné

CULTURE GÉNÉRALE
aux hommes, exclut le doute et le débat. Il concurrence l’offre de vérité en apportant une explication
complète du monde qui s’oppose parfois frontalement au discours scientifique et à la loi.
La soif de vérité simple apparaît également dans le rapport du public au temps. Le temps de la recherche
de la vérité est mis sous pression par le besoin de l’opinion de trouver des explications et des coupables.
Dans le domaine judiciaire, le respect des procédures et des principes comme la présomption d’innocence
est souvent bafoué. Plusieurs affaires politico-judiciaires illustrent cette soif de vérité immédiate. À la fin
des années 1960, l’affaire Markovic a conduit certains milieux parisiens à porter de fausses accusations
à l’encontre de la femme du Premier ministre Pompidou. Plus récemment, aux débuts des années 2000,
l’affaire Patrice Allègre a impliqué des personnalités toulousaines dans des affaires très graves mais
mensongères. On exige une vérité immédiate et il est attendu des médias qu’ils la fournissent.
Enfin, Internet joue un rôle essentiel dans le bouleversement de l’approche de la vérité. Le Web, parce
qu’il permet une massification exponentielle de la diffusion de l’information et une accessibilité sans coût
à cette information a semblé pouvoir donner corps au programme de la « société de la connaissance ».
Cette notion a été définie par Peter Drucker (Drucker, 1969) et le rapport de l’UNESCO « Vers les sociétés
du savoir » (2005) peut être considéré comme son manifeste. Internet devait permettre un accès égal et
universel à la connaissance qui donnerait naissance à des sociétés du savoir fondées sur un développement
humain et durable. Mais l’expérience a montré qu’Internet était aussi le lieu privilégié de diffusion des

Dissertation 3
mensonges et de fausses rumeurs à qui le web offre un écho sans précédent par le partage sur les réseaux
sociaux, les blogs, les sites. Internet aggrave les tensions en troublant encore davantage le rapport à la
vérité. Gérald Bronner a montré dans « La démocratie des crédules » (2013) que le web avait permis à une
petite minorité motivée de donner une audience sans précédent à leurs fausses théories. Ces théories sont
appuyées par un nombre tellement important d’arguments qu’il est presque impossible de les réfuter tous
un par un.
Le foisonnement d’informations fausses au détriment de la réalité des faits conduirait selon certains
auteurs à l’avènement d’une ère de « post-vérité ». Cette expression, élue « mot de l’année » par le très
sérieux dictionnaire d’Oxford, désigne un contexte dans lequel les faits objectifs auraient désormais moins
d’influence pour former l’opinion publique que l’appel à l’émotion et aux croyances personnelles (Harry G.
Frankfurt, « De la vérité », 2008). Ralph Keyes dans « L ’ère de la post-vérité » (2004) souligne quant à lui
que les réseaux sociaux deviennent la première source d’information, au détriment des médias traditionnels,
décrédibilisés. Le web 2.0 devient alors le support principal de cette post-vérité, constituée d’informations
erronées et de sources peu vérifiables. Le progrès espéré vers une plus grande vérité promise par Internet
a donc connu une grande désillusion. Le récent mouvement dit des « Gilets jaunes » a ainsi été ponctué
d’informations contradictoires selon les sources, dont notamment l’agence de presse russe Russia Today.
L ’émergence d’un monde virtuel fait de pseudos et d’avatars du fait des nouvelles technologies informatiques
pose également la question de la frontière entre le réel et le virtuel et complexifie ainsi le rapport à la réalité.
Le rapport à la vérité est profondément troublé au sein de la société française contemporaine et aggrave
ses fractures. Il convient d’apporter une réponse à cette crise de la vérité en luttant contre les écueils du
foisonnement d’informations.

35
B - DÉFENDRE LA PLACE DE LA VÉRITÉ AU SEIN DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
CONTEMPORAINE

Plusieurs pistes peuvent être suivies pour lutter contre la crise actuelle que traverse la notion de vérité.

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Tout d’abord, le développement de la transparence doit contribuer à rétablir la confiance qu’ont les citoyens
dans les institutions et dans l’organisation de la société elle-même. Un des aspects emblématiques de cette
CULTURE GÉNÉRALE

transparence est la moralisation de la vie publique. Des textes récents ont renforcé cette exigence telle la
loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et la loi du 20 avril 2016 relative à
la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Désormais, certains responsables politiques
et fonctionnaires doivent ainsi fournir des déclarations de patrimoine et d’intérêts sous le contrôle d’une
Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) créée en 2014. Ces démarches doivent être
poursuivies.
Ensuite, pour répondre à la tentation des discours simples voire simplistes qui s’érigent en vérités absolues, il
convient de promouvoir toujours et encore une culture de la tolérance, du débat rationnel et du compromis,
ce qui est en principe le propre d’une société démocratique. Dans le champ politique, le renforcement de
la participation des citoyens doit permettre le respect des opinions adverses et une plus grande acceptation
du processus de décision ; la décentralisation, la création des métropoles (qui rapprochent le niveau de
décision des enjeux et du vécu des citoyens) ainsi que les diverses initiatives de démocratie participative
peuvent y contribuer. Cette exigence doit aussi irriguer les relations entre l’administration et ses usagers.
En 2011, le Conseil d’État avait ainsi consacré son rapport annuel de l’année 2011 à ce sujet (« Consulter
autrement, participer effectivement ») ; il proposait un renouvellement des procédures de participation des
citoyens à l’élaboration des décisions dans le cadre d’une « administration délibérative ».
Les évolutions vers davantage de transparence présentent néanmoins plusieurs limites. Un excès de
Dissertation 3

transparence peut poser des questions quant au respect de la vie privée. Le culte de la transparence peut
aussi conduire à une paralysie de la décision publique à cause de la multiplication des consultations et des
outils de participation du public. Finalement, le risque majeur est d’assimiler transparence et vérité. La
transparence a la vertu d’effacer de nombreux doutes mais elle n’est jamais garante d’une vérité absolue.
Contre la diffusion de discours religieux extrêmes revendiquant le primat de leur vérité particulière sur
la volonté générale, la conception française de la laïcité doit être défendue. Il convient de rappeler et de
promouvoir l’idée selon laquelle la liberté de croyance et de culte est d’autant mieux assurée que l’espace
public n’est pas préempté par telle ou telle confession. L ’enseignement du fait religieux à l’école pourrait
peut-être permettre une meilleure connaissance mutuelle entre les différentes confessions propres à faire
reculer les fantasmes qui affectent souvent la religion de l’autre. La conception scientifique de la recherche
de la vérité doit aussi être défendue. Au-delà de l’enseignement et de la recherche, la vulgarisation et la
plus large compréhension de la démarche seront propres à éviter le développement de nouvelles formes
d’obscurantismes.
Enfin, la lutte contre la diffusion de mensonges, de contre-vérités, et de fausses informations sur internet
doit devenir une priorité dans le respect de cet espace de liberté. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de
la presse punit d’une amende de 45 000 euros « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque
moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à
des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la
troubler ». Gérald Bronner (« La démocratie des crédules », 2013) propose de créer pour les journalistes
une commission de sanctions par les pairs à l’image de celles qui existent chez les médecins par exemple.
Dans le même esprit, il faut élargir la lutte contre la diffusion de fausses informations sur internet, au
besoin par des politiques de coopération internationale pour surmonter le caractère transnational de ce
réseau. En France, des évolutions ont montré qu’il était possible d’agir sur internet par le biais d’une

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plus grande responsabilisation des fournisseurs d’accès à internet (FAI). Par exemple, depuis la loi sur
la confiance dans l’économie numérique de 2004, les hébergeurs peuvent être responsables du contenu
hébergé si, ayant été alertés, ils n’ont pas agi « promptement » pour retirer ces données ou en rendre l'accès
impossible.

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CULTURE GÉNÉRALE
L ’exigence de vérité n’est pas seulement un impératif traditionnel de la société française en tant que
démocratie contemporaine. Elle ressurgit aujourd’hui avec une acuité particulière. Le doute et le scepticisme
se développent quant au mode d’administration de la vérité et ses canaux habituels sont remis en cause. Les
médias sont accusés de diffuser des informations partiales au service d’intérêts particulier et, plus inédit,
les travaux scientifiques sont relégués au rang d’opinions. Dans le même temps, le besoin d’une meilleure
compréhension du monde et d’une vérité absolue se fait ressentir et peut conduire la société à s’abandonner
à des discours simplistes qui fournissent une explication complète mais souvent fausse ou mensongère. On
y retrouve les théories du complot ou les discours populistes.
Les critiques actuelles de la recherche de la vérité et ses excès sont liés à la difficulté de faire partager
la vérité dans une société en quête d’identité où chacun est invité à rechercher et à exprimer sa propre
vérité, tant au plan individuel que de groupes ou de communautés. Qui plus est, notre société considère en
principe l’esprit critique et le doute comme des vertus car facteurs de progrès au risque de détruire toute
confiance. Cette ambivalence est rappelée par Paul Ricoeur s’agissant de l’effet sur nos sociétés des œuvres
de ceux qu’il nomme « les maîtres du soupçon », Karl Marx, Friedrich Nietzsche et Sigmund Freud.
L ’impératif est donc que les nouvelles quêtes de vérité qui s’expriment au sein de notre société soient
employées pour en réaliser encore davantage les idéaux et non à en saper les fondements. Mais à faire
d’excès, d’empressements et de manipulations, le risque existe.

Dissertation 3

37
Sujet

4
DISSERTATION : LA SOCIÉTÉ NUMÉRIQUE
(SUJET COMPLÉMENTAIRE 1)

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CULTURE GÉNÉRALE

Le président de la première puissance mondiale gouverne et communique par « tweets » interposés tandis
que les différents secteurs économiques sont, les uns après les autres, hantés par le spectre de l'ubérisation.
Le « numérique », terme quasi inconnu il y a quinze ans, n'est plus synonyme de gadget ou d'un lointain
avenir. Il s'est bien installé au cœur de nos sociétés.
Créé en 1967, dans le giron de l'appareil de recherche militaire américain, Internet ne s'est pourtant
internationalisé et ouvert aux utilisateurs privés qu'au début des années 1990. Investissements privés
et rythme soutenu d'innovation ont provoqué la croissance fulgurante du réseau, devenu le siège de
nombreuses activités informationnelles, au point d’apparaître comme la fondation d’une nouvelle forme de
société. Pour les États, les entreprises et les particuliers, les enjeux de sa régulation concernent l’ensemble
des activités humaines, qu’elles soient économiques, politiques, culturelles, ou encore sécuritaires. Ainsi,
certains auteurs, comme Paul Mathias, voient dans cet essor l'accomplissement du fameux « village global »
de Marshall McLuhan où la communication tend à se propager, par-delà les frontières en bousculant les
repères sociétaux traditionnels. Mais si ces nouvelles technologies de l’information, dans la continuité de
l’Internet, comme le livre numérique ou la multiplication des réseaux sociaux, ont d’ores et déjà bouleversé
Dissertation 4

nos sociétés, peut-on légitimement parler de nouvelle société numérique ? Cette dernière conduit-elle à
l’instauration d’un ordre virtuel susceptible d’entrer, sinon en opposition, du moins en concurrence avec les
cadres de nos vies tant individuelles que collectives ?
L'internet n'est plus seulement une innovation technologique mais le numérique affecte en profondeur
nombre d’activités humaines (I). Proclamer l’établissement d’une société numérique supposerait toutefois
que celle-ci dispose de règles. Or, le besoin le plus urgent est précisément celui d’une régulation (II).

I - Le numérique : une innovation technologique supplantée


par une révolution de la société

Il s’est fallu de peu de temps pour que les innovations technologiques liées au numérique (A) révolutionnent
nombre de domaines de nos vies, de l’intime à la politique (B).

A - D'UNE INNOVATION TECHNIQUE À LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

Dès ses origines, l'informatique a consisté en la décomposition des informations en une combinaison de
nombre (de 1 et de 0). Ce n’est qu’à partir des années 1990 que nombre d’activités vont véritablement
s’engager dans un processus de numérisation. Il en sera ainsi des sons et des images, permettant en
quelques années aux CD et autres DVD de remplacer l’ensemble des supports analogiques et magnétiques.
Outre une profonde mutation de l’ensemble des industries culturelles, on assistera, aussi à travers le

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concept de « multimédia », à une entrée définitive des ordinateurs dans nos vies quotidiennes, du travail
aux loisirs. L ’autre innovation majeure a concerné le développement des télécommunications mobiles et
le développement au milieu des années 2000 de terminaux plus proches de micro-ordinateurs que de
téléphones portables, les smartphones.

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Mais surtout, l’élément central de cette révolution permettant la diffusion quasiment sans limites de ces
informations numérisées fut l’avènement d’Internet. C’est en 1989 que Tim Berners-Lee, informaticien du

CULTURE GÉNÉRALE
Cern, a défini les contours du World Wide Web, dont la base technologique était militaire et datait de 1967,
afin de répondre au besoin de partage automatique d'informations entre des scientifiques travaillant dans
différentes universités et instituts aux quatre coins du monde.
La participation au réseau Internet relève d’une forme de dialogue entre l'homme et la machine. De ce
point de vue, Internet représente un ensemble de normes, d'interfaçage et d'interopérabilité et il relève
d’un système d'administration décentralisé qui repose sur un protocole de communication permettant à
chacune des machines connectées d'être à la fois un client et un serveur. Le protocole est associé à un
système d'adressage qui permet à chacune des machines connectées d'être identifiée avec précision. Cette
décentralisation de l'administration constitue l'innovation majeure d'Internet. Elle assure une connectivité
continue : une fois une machine intégrée dans Internet, elle peut interagir avec toutes les autres machines
du réseau, sans aucun intermédiaire. Cela permet une décentralisation de la production de services en
réseau, car chaque machine connectée peut piloter les autres de manière à gérer l'information ou les
communications de telle ou telle façon. Ce principe est à l'origine du dynamisme d'Internet. Pour augmenter
la palette des services disponibles sur le réseau, il suffit d'y connecter des systèmes offrant de nouvelles
fonctionnalités.
Il convient toutefois de rappeler que si Internet est bien un réseau décentralisé au sein duquel les
interventions étatiques se voient remises en cause dans leur efficacité et leur légitimité, il n'en reste pas

Dissertation 4
moins un espace où existent des éléments de centralisation et où l'État, en particulier l'État américain,
joue un rôle clé. Le réseau a un cœur : son système normatif et son système d'adressage. Il est le produit
des efforts de recherche et de défense de l'État fédéral américain. À la fin des années 1980, ce dernier
décida d'ouvrir Internet aux applications commerciales afin d'inciter le secteur privé à contribuer à son
développement, et de transférer au système productif américain cet outil de développement. Un processus
de transfert du public au privé s'ensuivit et n’a eu de cesse de se poursuivre jusqu’à présent.
L ’essor de cette technologie s’apparente ainsi à une révolution épistémologique, analogue à la Révolution
copernicienne qui a provoqué un « changement de paradigme », au sens qu’en définit Thomas Samuel Kuhn,
c'est-à-dire comme un bouleversement radical de la méthode d’acquisition et d’exploitation de l’ensemble
des connaissances possibles. Ainsi, le pouvoir normatif du monde virtuel issu du réseau Internet déborde
sur le monde réel. Les règles, dont la mise en œuvre peut être garantie par le contrôle d'espaces virtuels,
peuvent concerner des éléments tout à fait tangibles du monde réel. Ainsi, des marchés de biens – que ce
soient des marchés de l'occasion entre particuliers comme ceux qu'on observe sur eBay, ou des marchés de
fournitures professionnelles comme les places de marché qui se développent dans l'industrie – peuvent être
organisés sur les réseaux numériques.
Les applications de ces innovations vont se multiplier en quelques années et vont bouleverser les activités
les plus diverses.

B - LA DIVERSITÉ DES EFFETS DE LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE :


DE LA SPHÈRE PUBLIQUE À L’INTIME

Élément central de la révolution numérique, le réseau Internet a très vite suscité toute sorte de réflexions
prospectives, dont les plus remarquées relevaient, dans les années 1990, de l’utopie collective positive pour

39
Pierre Levy qui y voyait l’annonce d’une sorte d’immense cerveau dématérialisé à venir, une « intelligence
collective » capable d’introduire une rupture de la civilisation par l’accès de tous au savoir ainsi qu’à une
expression politique directe.

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Indignés, Anonymous, militants du Printemps arabe, dissidents chinois, russes ou cubains… Il est difficile
d’énumérer tous les mouvements politiques nés ou développés grâce au réseau Internet au cours des
dernières années. Selon le sociologue Dominique Cardon, le cyberespace est un formidable « laboratoire, à
CULTURE GÉNÉRALE

l’échelle planétaire, des alternatives à la démocratie représentative ». En instaurant une égalité de principe
entre tous les internautes, le Web permet à tous ceux qui n’avaient pas accès à la parole publique de s’adresser
potentiellement à des millions de personnes et de mobiliser les foules. Dans les sociétés autoritaires, le
masque numérique permet d’échapper à la censure et aux pouvoirs de coercition des gouvernements.
Internet a bouleversé l’économie du savoir en permettant son accès à l’échelle planétaire. Ainsi, les
philosophes des Lumières, notamment Condorcet et son ami Thomas Jefferson, envisageaient une
République des lettres ouverte à tout le monde. Il est ainsi possible de réaliser ce grand rêve du XVIIIe siècle
grâce à Internet. L ’idée est de transformer une bibliothèque réservée à une élite d’étudiants et de professeurs
en une bibliothèque ouverte à tous, à l’instar de la « Digital Public Library of America » créée au début des
années 2010. Cette bibliothèque virtuelle totalise déjà près de 7 millions d’objets mis à la disposition du
public américain et international. Comme le souligne l’historien Robert Darnton, dans un avenir proche,
tout le monde aura accès à cette bibliothèque, gratuitement, et de chez soi.
Enfin, cette mutation technologique va bien au-delà des modes de communication en favorisant l’émergence
de nouveaux comportements. Ainsi, en quelques années, les technologies numériques ont bouleversé
notre vie publique, nos habitudes familiales et même notre intimité. Les très jeunes enfants acquièrent
rapidement avec les tablettes tactiles une habileté qui étonne les adultes, les plus grands sont scotchés à des
jeux auxquels les adultes ne comprennent rien et les adolescents semblent gérer leur vie entière depuis leur
Dissertation 4

smartphone. Un tel mouvement ne fait que commencer, plus rien ne sera comme avant. Les technologies
numériques ne sont pourtant que des outils, et il y a loin de leur utilisation à la modification de notre
fonctionnement cérébral que certains appréhendent.
Ces outils ont changé les habitudes. L ’essor du virtuel, comme nouvelle catégorie rectrice de l’agir, est ainsi
mis en avant par le sociologue Serge Tisseron, qui met au jour la diversité des expériences nouvelles, comme
l’accompagnement constant à distance, que le réseau Internet permet d’assurer. Rêveries, imagination,
représentations personnelles sont redevenues essentielles dans la construction des mondes intérieurs d’une
nouvelle classe d’âge. Avec les écrans, notre pouvoir de virtualisation, assisté par ordinateur, se retrouve
amplifié et facilité.
Mais, à côté de ces sources de progrès et d’opportunités, les changements introduits par la révolution
numérique justifient aussi nombre d’inquiétudes nouvelles. N’ont-ils pas davantage remis en cause l’existant
qu’ils n’ont construit une société nouvelle ?

II - L ’émergence d’une véritable société numérique appelle


la mise en place de nouvelles régulations
Concurrençant le « monde réel », le numérique apparaît comme une source de menaces pour la société,
tant au plan individuel que collectif (A). Ces dernières sont d’autant plus inquiétantes en l’absence d’une
gouvernance, qui devra nécessairement dépasser les frontières (B).

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A - LE NUMÉRIQUE CONSTITUE AUSSI UN RISQUE POUR L’ÉQUILIBRE DE NOS SOCIÉTÉS

Le recours au réseau Internet et à ses diverses applications permet à ceux et celles qui s’y adonnent de fuir

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le quotidien et son lot de responsabilités. Ainsi, au Japon où le développement des nouvelles technologies
de l’information et de la communication est l’un des plus poussés, on constate l’émergence d’une sorte
de « cyberautisme ». Désignés comme des « pasokon otaku », c’est-à-dire les « murés de l’ordinateur

CULTURE GÉNÉRALE
personnel », certains individus, dont le comportement a été analysé par le sociologue Antonio Casilli,
se coupent du monde extérieur pour se consacrer entièrement à leur passion » en l’occurrence les jeux
vidéo et la communication en ligne. On parle ainsi d’une « génération Otaku », tant de telles situations
individuelles s’avèrent fréquentes. Ce phénomène n’est nullement limité au Japon, mais concerne tous les
pays où le rapport au réel tend à être supplanté par la prévalence du virtuel. Des personnalités blessées
ont ainsi toujours tenté de trouver refuge dans des sortes de rêveries éveillées qui satisfont un désir de
toute-puissance irréaliste pour faire écran à une réalité amère qu’elles cherchent à fuir. C’est ce que le
psychanalyste Donald Winnicott appelait, dans Jeu et Réalité (1971), la « fantasmatisation compulsive ». En
2018, l’hôpital Cochin à Paris a créé une unité spécialisée pour les adolescents adeptes du jeu vidéo Fornite.
Alors que l’évolution, sur ces trente dernières années, met à jour un processus de concentration des
industries de la communication entre les mains de quelques conglomérats, les NTIC font peser de réelles
menaces sur la vie privée des individus et de nouvelles possibilités de contrôle des moindres faits et gestes
des consommateurs. Facebook n’est nullement un réseau de relations et d’amitiés s’apparentant à un
service public, mais, à l’aune de son cours boursier, une puissante société de métadonnées aux implications
commerciales réelles.
Cette dualité des effets du réseau Internet se retrouve également dans la sphère politique. Ainsi, Internet est
souvent présenté comme une arme. En permettant aux dissidents politiques de se rencontrer, d’échanger des

Dissertation 4
informations et d’organiser la lutte, Internet a donné naissance aux révolutions arabes, aux manifestations
en Iran, aux Indignés et au mouvement Occupy. Une telle affirmation relève, cependant, d’après Evgeni
Morozov (« Facebook et Twitter ne font pas les révolutions », 2011), d’une sorte d’aveuglement. En effet,
dans son livre de 2011, « The Net Delusion », ce chercheur américain d’origine biélorusse critique sévèrement
l’optimisme aveugle que nous avons placé dans ce réseau et ses applications.
Ainsi, le rôle de Twitter et du réseau Facebook dans les révolutions arabes relève, tout au plus, de l’anecdote.
Toutes les révolutions ont utilisé les outils technologiques mis à leur disposition pour s’organiser. Comme
la révolution bolchevique de 1917 utilisa le télégraphe, l’occupation en 2011 de la place Tahrir nécessita
l’aide de Twitter. Mais ce que la dissidence a gagné en utilisant le Web, elle l’a perdu en fournissant à
ses adversaires de précieuses informations. Les activistes ne sont pas les seuls à avoir appris à se servir
d’Internet, les régimes autoritaires y ont également recours.
Loin de devenir un facteur de libération, les médias sociaux ont permis de créer un panoptique numérique
qui contrecarrait la révolution : ses réseaux, qui relayaient la peur publique, ont été infiltrés et complètement
écrasés par l’État, comme en Syrie. De ce fait, les gouvernements ont, avec Internet, à la fois « gagné et
perdu du pouvoir ». Ils en ont certes perdu parce que des médias tels que WikiLeaks leur imposaient une
transparence dans leurs actions, ou parce que les photos qui pouvaient témoigner de la répression policière
font le tour du monde en quelques secondes. Mais ils en ont gagné par la surveillance qu’ils peuvent
exercer sur les citoyens. Plusieurs campagnes électorales récentes ont aussi révélé que loin d'enrichir les
débats sur l'agora démocratique, les réseaux sociaux aboutissaient à ne faire dialoguer entre eux que des
citoyens partageant les mêmes idées. Ceci aboutit à une radicalisation de la pensée et encourage même
la propagation de rumeurs et des fausses informations, faute de débat contradictoire. Face à ce discours
essentiellement pessimiste diffusé depuis l’élection présidentielle américaine de 2016, la crise des « Gilets
jaunes » a toutefois constitué une nouveauté. Des premières mobilisations sur les ronds-points, jusqu’aux
manifestations des samedis, les réseaux sociaux ont joué un rôle essentiel qui ne sera sans doute pas sans

41
suite, comme l’ont démontré les événements de Hong-Kong. Pour nombre d’observateurs, il s’est même agi
du premier mouvement 2.0, supplantant les « « nouveaux mouvements sociaux », expression forgée par le
philosophe Gilles Deleuze pour Mai 68.

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Le même constat prévaut en matière d’effets sur le débat démocratique lui-même. Le cyber-espace ne saurait
fournir la solution pour « réenchanter la démocratie ». Il ne faut certes pas limiter l’apport d’Internet à des
outils. Les structures politiques traditionnelles, les partis, ont tous leur vitrine sur Internet, plus ou moins
CULTURE GÉNÉRALE

sophistiquée, plus ou moins interactive. Mais cet investissement sur Internet ne renouvelle pas en lui-même
la démocratie comme le constate Olivier Blondeau et Laurence Allard (« Devenir Media, l’activisme sur
Internet, entre défection et expérimentation », 2007). Le concept « approche-outil » de la politique manque
l’essentiel : l’enjeu est plutôt d’élaborer à travers la technique des manières et des formes d’agir ensemble,
de produire du commun en tenant compte de la singularité de chacun.
Qui plus est, l’usage du réseau Internet peut être dévoyé et peut servir les intérêts des groupes qui visent
à abattre la démocratie représentative. Selon l’Organisation des Nations unies, les mouvements terroristes
utilisent eux aussi le Web pour recruter, diffuser des supports d’endoctrinement, appeler à la sédition et
aux armes. Cette stratégie est d’autant plus efficace qu’elle leur permet de tisser des liens transfrontaliers,
notamment dans des pays cibles, et d’échapper aux législations locales au besoin. Le constat vaut plus
généralement pour toute activité déviante ou criminelle – appel à la haine, trafic d’armes, blanchiment
d’argent, partage de contenus pédopornographiques. Ces dérives trouvent sur la Toile un terreau favorable
à l’impunité, surtout si les auteurs savent masquer leur identité et leur mode opératoire.
La révolution numérique se présente donc surtout comme une remise en cause de la société actuelle pour
laquelle elle constitue tant de nouvelles opportunités que des menaces inédites. Jeter les bases d’une
société numérique exigerait l’adoption d’un cadre lui garantissant, comme à toute société, des limites et
des mécanismes de préservation de son équilibre. Or, ceci est rendu particulièrement difficile s’agissant d’un
Dissertation 4

phénomène qui échappe aux frontières nationales.

B - DÉPASSER L’INCAPACITÉ STRUCTURELLE DES ÉTATS À METTRE EN PLACE


UNE RÉGULATION EFFICACE

Alors que l’utopie du village planétaire de McLuhan s’inscrit d’emblée dans un cadre mondial, la
question demeure sur le point de savoir si la société numérique sera d’emblée globale, à l’image de
l’Internet, ou s’il s’agira pour chaque société nationale de se redéfinir à l’heure numérique.
Dans tous les cas, force est de constater que les États sont aujourd’hui confrontés à une question nouvelle,
celle de leur souveraineté numérique. Pour y répondre, ils mettent en place, selon des degrés divers, des
outils de contrôle, de filtrage ou encore d’identification des internautes, au risque de porter atteinte à des
principes fondamentaux. Dans chaque pays et à l’échelle mondiale, les débats font rage sur la légitimité,
l’opportunité et l’efficacité de ces mesures, au regard de préoccupations essentielles sur la garantie de la
liberté d’expression, la protection des données personnelles ou le respect de l’État de droit. En France, la
loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme
a permis un contrôle accru du Web, au point d’avoir été dénoncée comme liberticide par la Commission
consultative des droits de l’homme.
Cette question renvoie ainsi à la difficulté de dresser une distinction autre que formelle entre terrorisme
et résistance : d’une part, les outils servant à traquer les criminels pourraient aussi aider des dictatures
à débusquer les dissidents ; d’autre part, les sociétés démocratiques sont loin d’être protégées contre
les dérives  de l’utilisation de l’Internet  : espionnage hors du cadre juridique, ingérence de puissances
étrangères, manipulation de l’opinion en ligne, censure arbitraire. Les scandales se sont multipliés, en
France, en Angleterre ou aux États-Unis, nourrissant la méfiance d’une partie des internautes à l’égard

42
d’une régulation d’État. Chaque fois qu’une plateforme commence à être modérée ou bridée, une autre est
aussitôt créée pour échapper à tout contrôle, et basée au besoin dans un pays doté d’une législation plus
souple.

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En outre, le caractère global de ces activités en ligne génère des conflits de juridiction, entravant la capacité
d’influence des États et rendant difficile l’application des lois. La question de la gouvernance du réseau
Internet est bel et bien géopolitique. Au niveau technique, une régulation se fait jour cependant. Elle est

CULTURE GÉNÉRALE
le fait de trois organismes mandatés par le Gouvernement des États-Unis, à savoir : l’Internet Corporation
for Assigned Names and Numbers (ICann) qui a pour mission de gérer le système d’adressage, l’Internet
Engineering Task Force (IETF) qui assure la normalisation des protocoles de communication et enfin le
World Wide Web Consortium (W3C) qui assure la normalisation des langages multimédia. Un tel dispositif
n'est ni totalement légitime – il n'a été validé ni par l'ensemble des utilisateurs, ni par les citoyens, ni par
la communauté internationale – ni complet puisque, même s'il influence les usages, il n'assure pas leur
régulation. Les États se sont donc progressivement immiscés dans la régulation technique, économique et
sociale du réseau. Ce mouvement s'est heurté à deux difficultés majeures : le débordement, déjà signalé,
des États par les capacités d'autorégulation des communautés globalisées ainsi que la prééminence de
l'État américain. C’est pourquoi, la régulation de l’Internet – épine dorsale de la société numérique –, pose
problème. L ’ensemble des autorités administratives indépendantes dans ce domaine a souligné la nécessité
d'agir au niveau européen pour avoir une chance de peser dans l'environnement concurrentiel mondialisé.
Il importe de prendre en compte le caractère horizontal et la dimension internationale d’Internet tout en
reconnaissant que l'objectif d’édicter des règles a priori demeure utopique. La difficulté réside ainsi dans
la territorialisation du droit qui rend impossible toute régulation efficace d’un phénomène, par essence,
transfrontalier. De ce fait, la problématique de la régulation de l’Internet restera sans issue si l’on s’en tient
à deux conceptions générales antagoniques : l’Internet nouvel espace de liberté ou nouvel instrument de
contrôle. Il s’agit plutôt de trouver des modes de gestion appropriés pour accompagner le développement

Dissertation 4
du monde numérique dont la régulation demeure utopique.
La régulation des activités numérique s'impose aussi pour la pérennité de nos modèles économiques et
sociaux. Il s'agit en particulier d'obtenir que les GAFA s'acquittent de leurs impôts dans des conditions plus
satisfaisantes et que nos modèles de protection sociale ne soient pas minés par une ubérisation généralisée.
Les avancées marquées par l’Union européenne en matière de lutte contre cette évasion fiscale au cours
de l’année 2018 sont encourageantes, puisque Apple a effectivement réglé, en septembre, les 13 milliards
d’arriérés d’impôts en application de la décision de la Commission européenne. De même, un règlement
communautaire devrait être adopté avant la fin de cette même année pour rééquilibrer les rapports entre
les grandes plateformes internet (telles que Booking) et les entreprises dont elles commercialisent les
services.

Finalement, la numérisation des informations et leurs diffusions se présentent comme un phénomène


technique aux conséquences sans précédent qui, tel un nouveau paradigme, implique de repenser non
seulement le rapport des citoyens aux institutions, mais aussi celui des individus à leur quotidien modifié
par l’irruption triomphante de la virtualité. Comme tout changement de paradigme, celui-ci demande du
temps pour être compris, dans la totalité de ses conséquences. Si le numérique a d’ores et déjà changé
nos vies, l’émergence d’une société numérique n’est pas stabilisée. D’ailleurs, le sera-t-elle un jour, tant
les innovations numériques se diffusent à une vitesse difficilement compatible avec les modes actuels de
régulation de notre vie collective ? La coexistence persistante d’une société organisée et d’un monde virtuel,
insaisissable, le complétant ou le concurrençant, constituerait alors un défi de taille lancé à notre vivre-
ensemble.

43
Sujet

5
DISSERTATION : OÙ EST LE POUVOIR ?
(SUJET COMPLÉMENTAIRE 2)

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CULTURE GÉNÉRALE

Le pouvoir est traditionnellement désigné comme la capacité de décider et ainsi de faire. Par extension,
ce terme renvoie également à la capacité de déléguer, c’est-à-dire de faire réaliser, par d’autres, ce qui est
décidé. Cette définition générale peut ainsi être considérée comme générique  : chaque groupe humain,
voire chaque individu, se trouve ainsi dans une situation complexe par rapport au pouvoir lui-même qui est
aussi protéiforme, puisque son exercice dépend du contexte dans lequel on se trouve.

Qu’il s’agisse du pouvoir politique, économique, judiciaire, familial, administratif voire religieux ou encore
culturel, sa perception comme puissance de contraindre peut différer ; l’exemple de la situation du citoyen
dans une démocratie le démontre. En effet, bien que le pouvoir procède de l’assentiment du citoyen – qui
se donne à lire à travers son suffrage –, ce dernier est soumis au pouvoir des autorités politiques reconnues
légitimes par le truchement de l’élection.

La question du pouvoir – entendue comme légitimité et soumission – a donc toujours été complexe. Ainsi,
Marcel Gauchet, dans la Condition politique, remarquait que le passage de la société traditionnelle à la
société politique impliquait la localisation d’un « foyer de pouvoir » depuis l’extérieur vers le sein même
Dissertation 5

de la société en devenir. De ce fait, le pouvoir implique une capacité de commandement, au sein de la


société dont il est l’émanation historique et dont il assure le gouvernement, et conditionne une relation
d’obéissance avec les membres de cette société qui deviennent les gouvernés.

Dès lors, la localisation du pouvoir pose problème et ce, tout particulièrement, dans nos sociétés
contemporaines, suite à deux phénomènes historiques cumulatifs de notre modernité  : d’une part, le
transfert du pouvoir religieux vers le pouvoir politique que Georges Dumézil, dans son ouvrage Jupiter Mars
Quirinus, évoque comme initialement distincts l’un de l’autre – avec la primauté du pouvoir religieux sur
les pouvoirs politiques et guerriers - et que la Révolution française va, en quelques années, avec la nouvelle
constitution civile du Clergé, puis l’instauration de la République, fusionner au profit du pouvoir politique
qui en retire une légitimité renforcée. D’autre part, le primat du pouvoir politique est, du moins dans nos
sociétés, exercé grâce à une organisation démocratique selon lequel les États souverains sont contrôlés par
les peuples souverains auprès desquels ils tirent leur légitimité.

Aujourd’hui, un tel paradigme est-il encore d’actualité ? Les événements de l’hiver et du printemps dernier
– le mouvement de contestation dit des « gilets jaunes » – ne démontrent-ils pas la difficulté de situer le
pouvoir dans nos sociétés contemporaines ?

Dès lors, la localisation de la souveraineté politique semble toujours primer (I.A), mais sans doute davantage
comme principe que réalité (I.B). Cependant, face aux menaces déjà perceptibles (II.A), il est nécessaire de
mieux localiser les pouvoirs (II.B).

44
I - La localisation de la souveraineté politique semble toujours primer
(A), mais sans doute davantage comme principe que réalité (B)

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A - LA LOCALISATION DU POUVOIR DANS L’ÉTAT : UN HÉRITAGE QUI SEMBLE PERDURER

CULTURE GÉNÉRALE
Si le paradigme de la localisation du pouvoir dans l’État souverain, lui-même émanation de l’État souverain,
semble toujours d’actualité, cette existence semble davantage de l’ordre du principe que de celui de la
réalité factuelle.
En effet, cette primauté est un legs de l’histoire moderne : cette consécration de l’État comme lieu d’exercice
et de légitimation du pouvoir se retrouve tout d’abord au niveau international. Les relations qui s’y déploient
sont ainsi héritières de la conception de l’État définie lors du Traité de Westphalie de 1648, dont Henry
Kissinger, dans son ouvrage Diplomatie, a souligné la remarquable résilience dans le monde de l’après-45
marqué par l’émergence de l’Organisation des Nations unies. La « communauté internationale », thématisée
notamment par Raymond Aron, dans Paix et Guerre entre les Nations, comme élaboration d’un système de
sécurité collectif destiné à remédier aux errements de la Société des Nations créée au sortir du premier
conflit mondial, accorde également une place essentielle aux États, comme en témoigne notamment
l’application du droit international public aux espaces, qu’il s’agisse des mers ou des espaces.
En outre, les États – suite à la définition de leurs conditions de possibilité par les penseurs de l’âge classique,
comme Thomas Hobbes dans son Léviathan – se sont vu reconnaître le monopole de la violence légitime,
grâce auxquels ils ont comme fonction d’assurer la sécurité de leurs administrés. Ce « monopole de la
violence légitime », également évoqué par le sociologue Max Weber, dans son ouvrage Économie et société,
désigne l’attribut essentiel de l’État entendu comme puissance nécessairement coercitive.

Dissertation 5
Cependant, pour que la coercition étatique soit légitime, il importe qu’elle soit exercée au profit – par et
pour – le peuple souverain. Cette légitimité résulte de l’histoire  : la souveraineté appartient au peuple,
comme le rappelle l’article 3 de la constitution du 4 octobre 1958 selon lequel : « La souveraineté nationale
appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple
ni aucun individu ne peuvent s'en attribuer l'exercice ».
D’ailleurs, ce principe, posé dès le début de la Révolution française dans la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1789, a entraîné la diffusion de l’idée démocratique dans nos sociétés ;
cette affirmation bénéficiant de la protection des droits du peuple des éventuelles atteintes de l’État suite
à la création d’institutions spécifiques, comme les juridictions administratives en France, mais aussi, à
l’échelle européenne, de juridictions spécialisées comme la Cour européenne des droits de l’homme ; ces
dernières permettant, à la fois, de constitutionnaliser les droits fondamentaux et de protéger ces droits des
atteintes de l’État, fût-il démocratique. Le renforcement de l’État de droit – destiné, finalement, à protéger
les droits des citoyens, trouve encore à s’appliquer avec la création de cours constitutionnelles dont les
prérogatives – comme en témoigne la création en France de la question prioritaire de constitutionnalité –
participent de cette reconnaissance du peuple comme souverain.

B - LA CONCURRENCE PAR DE NOUVEAUX LIEUX DE POUVOIR

Si l’État souverain demeure, en principe, l’incarnation reconnue du pouvoir, il n’en demeure pas moins que
la souveraineté des États, ou du moins sa compréhension traditionnelle, apparaît comme relativisée, sinon
mise à mal, par l’émergence de nouveaux lieux de pouvoir.
L’État se voit concurrencé à deux niveaux : d’une part, le pouvoir politique qui s’y exerce est remis en
cause par d’autres pouvoirs émergents, notamment ceux de la société civile et de ses organes – comme les

45
organisations non gouvernementales – et des instances économiques, à savoir les marchés financiers et les
entreprises, notamment de dimensions multinationales ; ces derniers étant de plus en plus perçus comme
titulaires d’un pouvoir réel s’exerçant au détriment de celui de l’État, considéré davantage comme formel
et ainsi comme illusoire.

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Cette critique n’est pas nouvelle : si les partisans du Front populaire dénonçaient déjà « le Mur de l’argent »
ou les « Deux cent familles », l’internationalisation des flux financiers – déjà amorcée au sortir de la Seconde
CULTURE GÉNÉRALE

Guerre mondiale avant que la fin de la Guerre froide n’en accentue l’impact – suite à la mondialisation a
consacré le modèle du libre-échange et l’ouverture des marchés nationaux dans les marchés et des services.
Dès lors, la prévalence des grands acteurs financiers et des investisseurs internationaux est perçue par les
populations comme s’exerçant au détriment du pouvoir étatique. Pour preuve, la capitalisation boursière
des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) – qui échappent globalement aux normes
notamment fiscales auxquelles doivent se plier les entreprises domestiques – s’avère, en 2019, supérieure à
celle d’un État comme la France, pourtant sixième puissance économique mondiale.
De telles sociétés internationales peuvent également exercer une pression vis-à-vis des États, appuyées par les
marchés financiers qui détiennent la dette publique et maintiennent sous leur influence les gouvernements
légitimement désignés par leur peuple. En outre, les entreprises industrielles et de services sont en mesure
de mettre les différents États en concurrence, pour l’accueil des investissements et la création de nouveaux
emplois.
Ainsi, la mondialisation a accentué un travers inhérent au capitalisme : loin que les entreprises obéissent à
la loi des États, ce sont ces derniers qui ont progressivement été tenus de respecter la loi du marché, c’est-
à-dire les décisions des acteurs économiques. Ce changement de paradigme avait d’ailleurs été anticipé
par Karl Marx, dans le Capital, où il prévoyait que l’influence du marché capitaliste, faute d’une révolution
permettant aux peuples de reprendre leur destin en main, viendrait contrecarrer, au point de l’annihiler,
Dissertation 5

l’influence des États eux-mêmes considérés comme des émanations de la sphère des échanges et de la classe
bourgeoise, bénéficiaire des transferts du pouvoir issu de la féodalité.
D’autre part, le pouvoir de l’État est également remis en cause par rapport à celui d’autres acteurs également
politiques à plusieurs niveaux. Ainsi, à l’échelle internationale, le caractère essentiel de l’État semble
relativisé, qu’il s’agisse de l’Organisation des Nations unies, dont le conseil de sécurité est l’institution
essentielle, ou d’instances plus informelles, comme le G-7 ou le G-20, ou encore d’instances régionales, à
l’instar de l’Union européenne aux pouvoirs grandissants dont celui de seigneuriage défini, par Jean Bodin
au xvie siècle, comme l’attribut essentiel des États.
Par ailleurs, à l’intérieur des États eux-mêmes, l’affirmation du processus dit de décentralisation en Europe
– fût-ce dans des États traditionnellement centralisés comme la France à partir de 1981, ou encore en
Italie avec la régionalisation une décennie plus tôt, ou encore l’autonomisation de l’Écosse en 1996 et la
fédéralisation de la Belgique en 1993 – démontre que le pouvoir politique peut être concurrencé à l’échelon
infranational.
Enfin, une troisième forme de remise en cause du pouvoir de l’État résulte du peuple souverain lui-même.
Celle-ci puise son origine dans la critique récurrente du pouvoir représentatif lui-même que rappelle
notamment Bernard Manin dans sa théorie du gouvernement représentatif : toute représentation politique
implique la désignation d’une minorité – assimilée par cet auteur à une forme d’aristocratie – qui se voit
investie du pouvoir, en lieu et place du peuple lui-même.
D’ailleurs, le modèle inclusif de la démocratie athénienne ne résiste pas à l’analyse historique elle-même :
Claude Mossé, dans son ouvrage la Démocratie athénienne, démontrant que seule une minorité d’habitants
détenait le pouvoir politique dans cette cité considérée comme l’origine de la démocratie directe et de
l’appropriation, par les citoyens eux-mêmes, du pouvoir de décision sur les affaires de la communauté. La

46
question est donc celle de l’effectivité de l’exercice de la souveraineté du peuple dès lors qu’elle implique
nécessairement la désignation de représentants, comme le rappelle d’ailleurs l’article 3 de la constitution
du 4 octobre 1958 précité.

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Cependant, à cette tension rémanente entre le peuple entre ses représentants vient s’ajouter l’interposition
de forces nouvelles qui peuvent parfois aller jusqu’à capter l’ensemble du pouvoir, à l’instar des experts
qui peuvent d’ailleurs être officiellement placés sous la supervision du pouvoir politique. Les élites

CULTURE GÉNÉRALE
technocratiques – que ce soit à Paris, pour la France, ou à Bruxelles, pour l’Europe – constituent ce
gouvernement d’experts qui viennent nécessairement en concurrence avec le pouvoir du peuple, comme
l’avait anticipé, dès les Années 1920-1930, par Walter Lippmann dans la Fabrique du consentement.

II - Face aux menaces déjà perceptibles (A), il est nécessaire de mieux


localiser les pouvoirs (B)

A - DES RISQUES OPPOSÉS LIÉS AU SPECTRE DE L’IMPUISSANCE

Le pouvoir est aujourd’hui confronté à trois types d’écueil.


Premier écueil : Une forme de dissolution perceptible du pouvoir affecte sa légitimité. Loin de sombrer
dans une forme d’anarchie refusant en bloc toute forme de règle sociétale, elle se caractérise plutôt par
une contestation de l’organisation sociale, telle qu’elle est, sur fond de rappel des droits de l’individu. En
d’autres termes, c’est sur le fondement de la déclaration des droits de l’homme, interprétée de manière

Dissertation 5
libérale, en faisant prévaloir « l’utilité commune », que la primauté des individus est rappelée, au détriment
du pouvoir étatique.
A cette première forme de critique correspond une remise en cause de la société telle qu’elle est, s’inscrivant
dans la continuité de la remise en cause des institutions durant les années 1960, en phase avec les écrits
d’Herbert Marcuse. Une telle remise en cause du pouvoir a ainsi conduit à la création d’une sorte d’« ère du
vide » que décrit Gilles Lipovetsky comme « la fin des grands idéaux collectifs ».
Davantage, cette remise en cause du pouvoir conduit à une sorte d’entre-deux entre sécurité et liberté qui
ne bénéficie nullement aux individus, comme l’a démontré Zygmunt Bauman à travers son concept de
« modernité liquide » désignant notre mode d’existence insaisissable et atomisé, au sein duquel la logique
consumériste constitue le seul horizon de nos propres existences.
En effet, la perte de sens liée à l’effritement des repères sociaux pousse les individus à se réfugier dans une
consommation généralisée afin de « s’acheter une vie », donnant ainsi une dimension volatile et éphémère à
tous les domaines de la vie en société. L’identité devient aussi fluctuante que le profil Facebook, les relations
sentimentales ne sont nouées que « jusqu’à nouvel ordre » et le monde du travail se plie à l’impératif de
flexibilité. Ainsi, pour Bauman, nous vivons dans une société qui exige de ses membres de s’adapter au
monde contemporain – d’où le caractère incertain de leur liberté - sans jamais leur en fournir les moyens,
via une sécurité rassurante.
Deuxième écueil  : l’émergence des nouvelles technologies issues de l’internet tend à faire prévaloir –
faussement, du fait des exigences économiques que l’évolution de ce modèle d’abord libertarien a fait
émerger – l’idée d’une société sans hiérarchie ni censure. Comme le déclarait, en 1992, le scientifique David
Clark, considéré comme le père du protocole IP sur lequel repose le réseau internet : « Nous refusons les rois,
les présidents et les votations. Nous croyons au consensus approximatif et au code qui fonctionne. »

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Ainsi, l’extension du réseau internet devait conduire à l’émergence d’une société sans pouvoir et reposant
sur des réseaux horizontaux. Cette vision devait également conduire à l’élévation générale du niveau
éducatif des populations, grâce au libre accès aux connaissances que la technologie de l’internet rendait
possible, comme le soulignait à son tour Bill Gates, le fondateur de Microsoft, au moment de la création

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de sa fondation pour l’éducation. En ce sens, Michel Serres, dans son essai Petite poucette, rappelle que
le numérique était à l’origine d’une mutation anthropologique majeure, s’agissant de l’organisation des
CULTURE GÉNÉRALE

savoirs.
Dès lors, notre postmodernité connaît une crise de l’autorité sans précédent, si l’on entend cette dernière
comme la « subordination consentie » qu’identifiait Hannah Arendt dans son essai Qu’est-ce que l’autorité
de 1958.
C’est sans doute la raison pour laquelle les peuples succombent à la tentation de se donner des pouvoirs
forts, suivant en cela la pente du populisme. Face à la peur de pertes de repères, il peut apparaître tentant
de promouvoir – tel un renversement des valeurs, suite à la « liquéfaction des sociétés » thématisée par
Bauman – des hiérarchies protectrices. Le retour de l’autorité dans certains pays peut d’ailleurs impliquer
la remise en cause de l’organisation des pouvoirs lesquels constituaient la source d’un équilibre nécessaire
au bon fonctionnement des démocraties.
L’émergence de gouvernement à visée populiste et remettant en cause l’équilibre des pouvoirs, comme en
Hongrie, en Pologne, voire en Grande-Bretagne – où le premier ministre Boris Johnson, en suspendant
le Parlement afin d’assurer le « Brexit » au plus tôt, s’est inscrit dans les pas d’Oliver Cromwell et de sa
dictature républicaine du milieu du xviie siècle – illustre également cette montée du souverainisme qui
désigne un nationalisme assumé comme rempart contre un multilatéralisme dépossédant les peuples de
leur pouvoir originel. Une telle tendance ne touche pas seulement les États de taille moyenne, mais aussi les
hyperpuissances, comme les États-Unis dont le président, Donald Trump, se revendiquant de la politique de
Dissertation 5

James Monroe du xixe siècle, privilégie l’unilatéralisme, au nom d’une réaffirmation du pouvoir américain.
Enfin, troisième écueil que l’on peut qualifier de plus paroxystique : la difficulté à localiser le pouvoir a
ainsi suscité un sentiment de défiance qui alimente la théorie du complot. En effet, faute d’être localisé, le
véritable pouvoir serait alors occulte et caché, alimentant la crainte des populations d’être intégralement
spoliées de la souveraineté dont elles sont pourtant les dépositaires officielles. L’idée que des groupes
d’influence – comme les Bidelberg – régissent les affaires mondiales participe de cette théorie du complot
à laquelle 40 % des Français, d’après un sondage, adhéraient en 2018.
Dès lors, ce sentiment est renforcé par le doute sur la fiabilité des informations diffusées, comme le
phénomène des fausses nouvelles («  Fake News »), tend à le propager. Cet ensemble de circonstances
présente de réelles similitudes avec le contexte qui a favorisé la montée des extrémistes et des totalitarismes
et l’éclatement, notamment, de la Seconde guerre mondiale, avec la mise en exergue du Protocole des
Sages de Sion et l’affirmation, au cours des heures les plus sombres de notre histoire, d’un complot judéo-
maçonnique. De tels phénomènes ont ainsi favorisé le populisme à l’origine de la Seconde guerre mondiale.

B - L’URGENCE DE MIEUX LOCALISER LE POUVOIR POLITIQUE

Si cette question de la localisation du pouvoir exprime la peur de la disparition de la forme traditionnelle du


pouvoir, elle avive l’urgence d’une relocalisation du pouvoir redevenant tangible pour nos contemporains.
Adapter le principe de la primauté du pouvoir politique est une nécessité. Une telle démarche implique de
renforcer la position de cette forme originelle de pouvoir face à ses concurrents en veillant à leur inscription,
à l’échelle nationale, dans les lois et, au niveau global, dans la régulation internationale. À cet égard, les
dernières prises de position, en matière environnementale et tout particulièrement sur la lutte contre la

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déforestation amazonienne, du G7 de Biarritz, en août 2019, illustrent cet impératif de relocalisation du
pouvoir à l’échelle internationale qui permet de restaurer la confiance pour les citoyens en identifiant un
centre de décision reconnu globalement.

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La question demeure cependant quant non seulement à la légitimité, mais aussi à l’efficacité de telles
instances nationales dans l’exercice d’un pouvoir s’imposant aux autres États ; l’exemple des différentes
COP, dont celui de la COP 21 qui a eu lieu à Paris en et dont la portée du principal accord s’est avérée ruinée

CULTURE GÉNÉRALE
du fait du retrait des États-Unis sous la présidence de Donald Trump, est révélateur des difficultés d’inscrire
dans la durée les décisions prises par de tels organes. Certes, l’ampleur globale des problèmes auxquels
la communauté internationale est désormais confrontée implique la reconnaissance d’un pouvoir ad hoc,
c’est-à-dire proportionnel aux problèmes qu’il s’agit de résoudre.
Cette restauration du pouvoir politique implique également de prévenir toute dérogation des grandes
puissances économiques à la norme, notamment fiscale d’assujettir les plus grandes entreprises aux activités
mondiales à l’impôt. Une telle démarche – que promeut une commission d’enquête en cours du Sénat sur
la souveraineté numérique, marquerait ainsi l’assujettissement des GAFAM et autres NATU aux principes
mêmes de la citoyenneté ainsi qu’au pouvoir politique, expression de la souveraineté des peuples.
La question de la légitimité et de l’efficacité du pouvoir politique est ainsi cruciale et ce, à l’échelle
tant globale que nationale. À cet égard, la crise dite des gilets jaunes a avivé la confrontation entre la
Représentation politique – censée exercer le pouvoir légitimement au nom du peuple souverain avec le
pouvoir exécutif – et le sentiment de certains citoyens d’être laissés pour compte des politiques conduites.
Face à des difficultés économiques et sociales, cette crise a permis d’identifier la défiance dont les Pouvoirs
publics, accusés d’abandonner certaines populations, dont le quotidien est notamment décrit par Florence
Aubenas dans son ouvrage Le Quai de Ouistreham.
Au-delà du pouvoir politique qui demeure le plus frappé, sous toutes ses formes, par la question de la

Dissertation 5
localisation du pouvoir, d’autres pouvoirs pourraient bénéficier d’une meilleure identification, y compris
dans le secteur privé. Ainsi, il conviendrait d’évaluer l’influence exacte de ces pouvoirs privés auprès
des Pouvoirs publics, en assurant une meilleure transparence des méthodes des groupes de pression et
d’influence (lobbying), afin d’infirmer les principes des différentes théories du complot.
Certes, des registres où sont consignés les représentants des groupes de pression existent notamment
auprès des principales judicatures, comme les Parlements français ou européen. Cette régulation implique
également de recourir à la législation, comme en France, par la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative
à la transparence de la vie publique régissant les conflits d’intérêts ou portant création de la Haute Autorité
pour la transparence de la vie publique (HATVP). Une telle démarche permet ainsi de suivre la participation
de ces groupes de pression à la prise de décision publique, quitte à identifier, au sein des grands groupes
internationaux dont la gouvernance va en se complexifiant, des interlocuteurs spécifiques auprès des
Pouvoirs publics. Ainsi, les grands groupes économiques – en particulier les GAFAM – et les producteurs,
de taille plus modeste, présents dans l’économie circulaire – que vise notamment le projet de loi relatif à la
lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire transmise au Parlement à l’été 2019 - seront en mesure
d’exercer leur responsabilité, tant sociale qu’environnementale, vis-à-vis de la société.
En outre, afin de remédier à cet affaiblissement du pouvoir, y compris dans la sphère plus intime qu’est celle
de la famille, il est essentiel de restaurer l’autorité parentale, qui fait souvent défaut et génère des problèmes
éducatifs et sociaux. Afin d’éviter l’explosion de la délinquance, l’identification de figures tutélaires – avec,
en premier lieu, le pouvoir parental – est une obligation et permet de répondre efficacement à la dilution
décrite par Bauman.

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La question de la localisation du pouvoir résulte de la difficulté du pouvoir politique, pourtant
traditionnellement reconnu, comme le garant de la cohésion sociale, à imprimer sa marque face à d’autres
pouvoirs émergents et concurrents.

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Cette question recoupe celle de sa légitimité auprès de la population, dont il est l’émanation légitime, mais
qui peut être remis en cause ouvertement, à l’instar de ce que la crise des « gilets jaunes » a illustré l’année
dernière. Dès lors, la localisation du pouvoir implique ainsi de redéfinir les critères de sa reconnaissance au
CULTURE GÉNÉRALE

premier rang desquels se trouvent l’efficacité et la dimension politique. Dans cette relation s’impose ainsi
une forme de « principe responsabilité », initialement thématisé par Hans Jonas, qui rend légitime tout
exercice du pouvoir respectant l’intérêt général.
En ce sens, le renforcement de l’État de droit, qui implique la prévalence du politique, constitue une réponse
ferme et adaptée laquelle, en circonscrivant le pouvoir pour mieux le contrôler, lui permet de s’exercer, tant
dans le cadre national qu’à l’échelle internationale, tout en préservant les libertés fondamentales ; gage de
la reconnaissance de la souveraineté populaire.
Dissertation 5

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ET

CIVILE
DROIT CIVIL

PROCÉDURE

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


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Sujet

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DISSERTATION : LE SEXE, LE NOM,
LE CORPS : LA PLACE DE L’ORDRE PUBLIC

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


EN DROIT DES PERSONNES
(ANNALES CONCOURS ENM 2019)

Le Doyen Carbonnier affirmait que le sexe c’est « le partage primordial » : « le nom, le domicile, les actes de
l’état civil demandent des recherches, des justifications, des papiers  : chaque être humain, à l’opposé, porte
sur lui, dans la vie quotidienne, qu’il est un homme ou une femme » (J. Carbonnier, Les personnes, PUF, coll.
Thémis). Aussi, l’identification des personnes est marquée par un ordre public, réel comme virtuel, des plus
prégnant aux fins de protection des personnes.
La notion d’ordre public est consubstantielle à celles de droit et d’État de droit. S’il n’existe pas de définition
définitive de l’ordre public, il est immédiatement possible de l’étayer de trois manières : d’abord, en révélant
le lien intime que l’ordre public entretient avec la morale, puisque les bonnes mœurs sont une composante
de l’ordre public ; ensuite, en relevant que l’ordre public est un ensemble de règles structurelles et de police,
marqueur d’un ordre politique et social ; enfin – et il s’agit là d’une explication de l’absence de définition
définitive attachée à la notion – les contours de l’ordre public sont mouvants, les principes qui sous-tendent
à l’ordre public sont pour certains pérennes, pour d’autres, évolutifs. En témoigne le droit des personnes,

Dissertation 1
à l’origine terrain de prédilection d’un ordre public puissant, aujourd’hui davantage concurrencé. Le droit
des personnes appréhende les personnes physiques et morales, en tant que sujets de droit. Spécifiquement,
la personne physique c’est l’individu, l’être humain tel qu’il est pris en considération par le droit et qui jouit
de la personnalité juridique. D’ailleurs tout le Livre premier du Code civil est consacré aux personnes (C.
civ., art. 7 à 515-3). De nombreux aspects y sont abordés ; au premier rang desquels l’identification des
personnes. En effet, le droit civil est d’abord le droit des identités en ce qu’il institue et garantit l’état des
personnes. Il porte les éléments d’individualisation de la personne physique dans la société ; comme le
nom, l’âge, le sexe, la filiation, la situation matrimoniale, la nationalité ou le domicile. Sous l’angle du droit
civil, l’identité vise donc l’ensemble des éléments qui, aux termes de la loi, concourent à l’identification
d’une personne physique aussi bien dans la société, la famille qu’au regard de l’état civil. En effet, l’identité
d’une personne physique, qui est un être humain considéré comme un sujet de droit, est ce qui fait qu’une
personne est elle-même et non une autre. À un rang plus moderne, le Code civil s’attache également à la
protection du corps humain. Quelque peu négligé jusque-là, le corps humain, substrat de la personne, est,
depuis quelques décennies, l’objet d’une attention particulière et de plus en plus soutenue, non seulement en
ce qui concerne sa protection, mais également en ce qui concerne ses liens avec la personnalité juridique. La
matière est dominée par l’ordre public, c’est la loi, et non la volonté individuelle, qui règle impérativement
les conditions d’acquisition et les conséquences juridiques d’un état. L’état des personnes est indisponible :
est donc nul tout acte juridique portant cession, renonciation ou transaction, même à titre gratuit, sur
un élément touchant à l’état. Les éléments de l’état ont aussi un caractère permanent, immuable. L’ordre
public, notion évanescente et évolutive, éminemment judiciaire constitue un vecteur normatif et matériel
de la protection des personnes et de leurs droits, particulièrement en matière de nom, de sexe et de corps.
Traditionnellement, le droit des personnes est présenté comme un statut d’ordre public dont certains
éléments sont imprescriptibles et indisponibles, car le nom ou le sexe permettent d’identifier la personne
au sein de la société. Pour cette raison, ils figurent au nombre des indications contenues dans l’état civil

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des personnes. Toutefois, ce statut est aujourd’hui en recul. Ainsi, de nombreux éléments de l’état des
personnes peuvent aujourd’hui être choisis (le nom), d’autres modifiés (le corps). Plus largement, c’est une
tendance générale à la contractualisation du droit extrapatrimonial des personnes, permettant à l’individu

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de revendiquer des droits subjectifs et de satisfaire des désirs reflétant sa propre identité. Aussi se pose la
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

question de l’équilibre que doit trouver, en la matière, le juge, à la fois garant des libertés individuelles, et
garant du respect de l’ordre public.
Aussi convient-il d’envisager la vigueur traditionnelle de l’ordre public en droit des personnes (I) et le recul
avéré de l’ordre public en droit des personnes (II).

I – LA VIGUEUR TRADITIONNELLE DE L’ORDRE PUBLIC EN DROIT DES


PERSONNES
Classiquement, le droit des personnes est empreint d’ordre public afin de protéger les attributs de
la personne. Aussi les fondements de l’ordre public en droit des personnes sont solides (A), pour une
matérialisation progressive de la protection des attributs de la personne (B).

A - LES FONDEMENTS SOLIDES DE L’ORDRE PUBLIC PROTECTEUR DES ATTRIBUTS DE LA


PERSONNE

1. L’initiative jurisprudentielle
Dissertation 1

Traditionnellement, les éléments qui participent de l’état civil et contribuent à l’individualisation des
personnes sont considérés comme étant indisponibles pour des raisons précisément d’ordre public.
Toutefois, la matière de l’identification des personnes n’a pas fait l’objet d’une réglementation d’ensemble
dans le Code civil. Jusque vers la fin du XIXe siècle, les seules dispositions en vigueur remontaient au droit
intermédiaire : la loi du 6 fructidor an II posant le principe de l’interdiction des changements de nom et
la loi du 11 germinal an  XI relative aux prénoms et modifications du nom patronymique. L’élaboration
d’un régime juridique du sexe des noms, prénoms et pseudonymes a donc été largement l’œuvre de la
jurisprudence et de la coutume. À titre d’illustration, la Cour de cassation a dû concilier la coutume du nom
d’usage et la loi du 6 fructidor an II, en considérant que viole cette loi le tribunal qui rejette la demande en
nullité de l’avis à tiers détenteur délivré à une femme mariée désignée par les prénom et nom de son mari
(Civ. 1re, 6 février 2001). Aussi a priori, le nom échappe à tout pouvoir de la volonté des personnes. Il en va
également du sexe, puisqu’il n’y a pas de place pour un troisième sexe en droit français. En effet, la Cour de
cassation a confirmé le rejet de la demande d’un requérant visant la rectification de son acte de naissance
afin que soit substituée, à l’indication « sexe masculin », celle de « sexe neutre » ou, à défaut, « intersexe ».
Aux yeux de la Haute juridiction, la loi française ne permet pas de faire figurer sur les actes de l’état civil
l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin. Si l’identité sexuelle relève de la sphère protégée par
l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la dualité des énonciations relatives au
sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime et nécessaire à l’organisation sociale et juridique
(Civ. 1re, 4 mai 2017).
En 1804, l’absence de textes spécifiques relatifs au corps peut s’expliquer par deux justifications. D’une
part, le corps et la personne forment un tout indissociable, de sorte qu’envisager l’une suffit à protéger
l’autre. D’autre part, il s’agit d’une considération récente d’envisager le corps humain, ses éléments et ses
produits pour eux-mêmes. Aussi en l’absence de disposition spécifique, c’est la jurisprudence qui a dû forger

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une protection du corps humain. Avant l’intervention du législateur, dans le cadre de la loi bioéthique du
29  juillet 1994, la Cour de cassation a retenu l’illicéité des conventions organisant une gestation pour
autrui, au triple visa des anciens articles 6, 1128 ancien et 353 du Code civil. Elle a affirmé que « toute

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convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle » (Ass. plén., 31 mai

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


1991). Également, le 3 juin 1969, le Tribunal de grande instance de Paris a eu l’occasion d’annuler un
contrat par lequel une mineure s’était engagée à se faire tatouer les fesses, et qui précisait que « le tatouage,
une fois ôté de votre corps, restera notre propriété pleine et entière ». Ainsi, sur le fondement du droit commun
des conventions, le juge protège le corps humain contre les atteintes que les tiers pourraient prétendre lui
faire subir pour satisfaire des intérêts privés.

2. La consécration légale
Dans le cadre de l’individualisation de la personne, le nom est l’un des principaux moyens. Toutefois, le
Code civil ne réglementait que peu la matière. C’est la loi n° 202-304 du 4 mars 2002, complétée par la loi
n° 2003-516 du 18 juin 2003, qui a créé dans le Code civil une section intitulée « Des règles de dévolution du
nom de famille » composée des articles 311-21 à 311-23 du Code civil, et a mis en place de nouvelles règles
d’attribution du nom de famille. Également, le sexe ne faisait pas l’objet d’une appréhension spécifique par
le Code civil, puisqu’en 1804, il s’agissait d’une évidence. Désormais, le sexe est un élément de l’état des
personnes qui est spécifié dans l’acte de naissance de l’enfant (C. civ., art. 57, al. 1er) et se trouve corroboré
par les prénoms donnés à l’enfant. Si le sexe n’est plus pris en compte dans le cadre de la célébration du
mariage (C. civ., art. 143), la loi attache au sexe de nombreuses conséquences juridiques. Ainsi, la paternité
et la maternité ne peuvent se prouver de manière similaire.
La personne est désormais directement affirmée dans les articles  16 et suivants du Code civil, depuis
l’intervention des lois dites de bioéthique. Ainsi, en protégeant le corps humain, la loi protège aussi la

Dissertation 1
personne et par extension son intégrité morale. La loi du 29  juillet 1994 a introduit dans le Code civil
les articles 16 à 16-9 consacrés « au respect du corps humain ». Si les articles 16 à 16-9 du Code civil sont
consacrés « au respect du corps humain », l’article 16 met la personne au premier plan : « la loi assure la
primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès
le commencement de sa vie ». Plus particulièrement ensuite, l’article 16-1 du Code civil affirme que « chacun
a droit au respect de son corps ». Le respect du corps humain c’est donc non seulement la protection du corps
humain, mais aussi la protection de la vie et de l’espèce humaine et le respect de la dignité de la personne,
principes qui se sont vu reconnaître valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel lors du contrôle
de la constitutionnalité de la loi de 1994 (DC du 27 juillet 1994).

B - LA MATÉRIALISATION PROGRESSIVE DE LA PROTECTION DES ATTRIBUTS DE LA


PERSONNE AU NOM DE L’ORDRE PUBLIC

1. Les principes d’indisponibilité, immutabilité et d’imprescriptibilité


L’indisponibilité de l’état de la personne est le principe selon lequel les éléments qui composent l’état de la
personne sont placés hors du commerce. Dès lors, est nul tout acte juridique portant cession, renonciation
ou transaction, même à titre gratuit, sur un élément touchant à l’état. L’indisponibilité du corps humain doit
être entendue, non pas au sens large, comme l’interdiction de disposer librement de son corps, mais dans
un sens strict comme l’interdiction d’en faire un objet de commerce. La jurisprudence (Civ. 1re, 16 décembre
1975 ; Civ. 1re, 13  décembre 1989), en dégageant le principe d’indisponibilité du corps humain, l’avait
d’ailleurs fondé sur l’ancien article 1128 du Code civil selon lequel « il n’y a que les choses dans le commerce
qui peuvent être l’objet de conventions ». Aussi, l’indisponibilité du corps humain interdit à la personne

55
d’effectuer des actes juridiques de disposition par lesquels s’opère une transmission d’un droit ayant pour
objet son corps humain, par la voie de la cession, à titre onéreux ou gratuit, ou d’un abandon.
Traditionnellement encore, l’état des personnes est imprescriptible. En effet, il ne peut ni se perdre ni s’acquérir

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

par l’écoulement du temps. Étant indissolublement lié à la personne, l’état ne peut naître et disparaître qu’avec
elle. Concrètement, cela implique que l’état des personnes ne donne prise à la prescription extinctive. Ainsi,
la jurisprudence a retenu que le nom est imprescriptible (Req. 14  avril 1934). Néanmoins, le principe de
l’immutabilité du nom ne fait pas obstacle à ce que la possession prolongée d’un nom puisse en permettre
l’acquisition dès lors que cette possession n’a pas été déloyale (Civ. 1re, 31 janvier 1978). Enfin, par principe,
les mentions figurant à l’état civil sont immuables, afin de faciliter l’identification des personnes. Toutefois,
certains événements peuvent remettre en cause cette affirmation. En conséquence, l’immutabilité signifie qu’il
est impossible de modifier son état en dehors des cas dans lesquels une telle modification est admise par la loi,
car la matière est d’ordre public.

2. Les illustrations au travers de la dévolution du nom, de la protection du corps humain et du


traitement juridique et judiciaire du transsexualisme
Le nom, le prénom, le sexe, la nationalité ou encore le domicile sont autant d’éléments traditionnels de la
personne qui figurent comme des énonciations obligatoires dans les actes de l’état civil et qui permettent
d’identifier la personne (C. civ., art. 34). Les articles  34 et  57 du Code civil énumèrent les énonciations
substantielles que doivent contenir les actes de l’état civil. Cela n’exclut pas d’autres mentions complétives,
telles que des titres nobiliaires (Req., 26 octobre 1897). En effet, ces éléments permettent de mieux constater
l’identité de ceux qui y sont dénommés et donc de l’identifier au sein de la société. La question des règles de
dévolution du nom est donc essentielle (C. civ., art. 311-21 et s.). Si la dévolution volontaire du nom de famille
est privilégiée, la loi a néanmoins encore vocation à décider du nom qui sera porté par l’enfant en maintes
Dissertation 1

occasions. Il en est tout d’abord ainsi lorsque les conditions de l’article 311-21 du Code civil ne sont pas
remplies, de sorte que le choix initial du nom de l’enfant est fermé aux parents. Il en est ensuite ainsi lorsque la
faculté de choix est ouverte aux parents sur le fondement de l’article 311-21, mais que ces derniers ne l’ont pas
exercé. Enfin, le sexe est un élément de l’état des personnes qui est spécifié dans l’acte de naissance de l’enfant
(C. civ., art. 57, al. 1er). C’est en raison du caractère indisponible de l’état des personnes que la jurisprudence
a d’abord rejeté les demandes des personnes transsexuelles sollicitant une modification de la mention de leur
sexe à l’état civil (Civ. 1re, 16 déc. 1975).
L’article 16-1 du Code civil déclare, dans une formule calquée sur celle de l’article 9 du même code consacrant
le droit au respect de la vie privée, que « chacun a droit au respect de son corps ». Selon l’article 16-1 du Code
civil, le corps humain est inviolable et l’article 16-3 du Code civil précise « qu’il ne peut être porté atteinte à
l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou, à titre exceptionnel, dans l’intérêt
thérapeutique d’autrui ». Cela signifie qu’un individu est en droit d’exiger qu’aucune atteinte ne soit portée à
son corps, à sa santé ou à sa vie, du moins tant que l’ordre public n’est pas en jeu. Ainsi, en principe, il n’est pas
possible d’imposer à l’individu une opération, une expertise ou un prélèvement. D’ailleurs, la jurisprudence a
eu l’occasion de préciser qu’il résulte de l’article 16-3 du Code civil que nul ne peut être contraint de subir une
intervention chirurgicale (Civ. 2e, 19 mars 1997).
Le droit des personnes a été longtemps présenté comme un domaine privilégié de l’ordre public. Néanmoins,
en raison des progrès scientifiques et de l’évolution des mœurs, l’ordre public en droit des personnes est en
déclin.

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II – LE RECUL AVÉRÉ DE L’ORDRE PUBLIC EN DROIT DES PERSONNES
L’ordre public en droit des personnes est aujourd’hui concurrencé d’une part par les libertés individuelles (A) et

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


d’autre part par la volonté des personnes (B).

A - L’ORDRE PUBLIC CONCURRENCÉ PAR LES LIBERTÉS INDIVIDUELLES

1. La fondamentalisation du droit des personnes


La notion de droits fondamentaux est aujourd’hui en plein essor et trouve un terrain d’élection en droit civil.
En effet, elle s’est développée à la faveur du contrôle de constitutionnalité et du contrôle de conventionnalité,
suivant ainsi un mouvement de fondamentalisation. Concrètement, les droits de l’homme touchent, de
façon majeure, au droit civil et notamment au droit des personnes et des relations entre les personnes. À
titre d’exemple, la révélation de l’orientation sexuelle d’un homme politique, dans un ouvrage portant sur
un sujet d’intérêt général se rapportant à l’évolution de la position d’un parti politique sur la question de
l’union des personnes de même sexe, n’est pas contraire à l’article 9 du Code civil (Civ. 1re, 9 avril 2015). La
fondamentalisation du droit au respect de la vie privée a profondément modifié la mise en œuvre, par le juge,
de l’article 9 du Code civil, une telle influence se manifestant tout autant sur le contenu du droit au respect
de la vie privée que sur la sanction de ce droit en cas de conflit avec d’autres droits d’égale valeur. En effet, les
droits de la personnalité ne s’exercent plus de manière isolée dans l’ordre juridique, ils peuvent entrer en conflit
avec des droits et libertés contraires, comme la liberté d’expression par ailleurs.
Le droit au respect de la vie privée, en tant qu’il englobe le droit à l’autodétermination, explique l’évolution de

Dissertation 1
la jurisprudence en matière de transsexualisme. En effet, la France a été condamnée par la Cour européenne
des droits de l’homme (CEDH, 25 mars 1992, B. c/France) qui a déclaré que la situation réservée en droit
français aux transsexuels était globalement incompatible avec le respect dû à la vie privée. Peu après cette
décision, la Cour de cassation a donc opéré un revirement de jurisprudence et a admis que pouvait obtenir le
changement de son état le transsexuel auquel sa morphologie modifiée et son comportement social confèrent
une apparence le rapprochant du sexe qu’il revendique (Ass. plén., 11 décembre 1992). La Haute juridiction
se montrait cependant exigeante  : pour autoriser le changement de sexe à l’état civil, elle imposait une
réassignation sexuelle totale, c’est-à-dire une ablation des organes génitaux suivie d’une reconstruction des
organes sexuels. Elle exigeait en outre que la réalité du syndrome soit établie par une expertise. Dès lors, l’État
ne peut plus négliger le rôle joué par les individus. Ces deniers sont en effet dotés d’instruments juridiques leur
permettant d’influer sur chacun des composants de leur état, la filiation, le nom, la nationalité, mais surtout
désormais le sexe. L’identité n’est plus seulement imposée, elle peut en certaines circonstances et sous certaines
conditions être choisie.

2. Les illustrations modernes de la fondamentalisation du droit des personnes


En raison du refus, par les juridictions judiciaires (Civ. 1re, 6 avril 2011), de transcrire sur les registres de l’état
civil des actes de naissance, établis à l’étranger, d’enfants nés d’une gestation pour autrui, la Cour européenne
des droits de l’homme a énoncé que « le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de
son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation » et considéré que le droit au respect de la vie privée des
enfants concernés avait été méconnu, ceux-ci se trouvant à cet égard  dans une situation d’incertitude juridique »
(CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France ; CEDH, 26 juin 2014, Labassee c/ France). Par la suite, l’assemblée
plénière, par une décision de principe, a précisé que les actes de naissance dont la transcription est demandée
mentionnent comme père celui qui a effectué une reconnaissance de paternité et comme mère la femme ayant

57
accouché. Ainsi, les règles de transcription sur les actes de l’état civil français (C. civ., art. 47), interprétées à la
lumière de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, doivent s’appliquer au cas d’espèce
(Ass. Plén., 3 juillet 2015). Néanmoins, pour ce qui est de la transcription d’un acte de naissance en ce qu’il

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désigne la « mère d’intention », indépendamment de toute réalité biologique, la Cour de cassation a adressé à
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

la Cour européenne des droits de l’homme une demande d’avis consultatif. La Cour européenne des droits de
l’homme a retenu pour le cas d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui et issu des gamètes du père
d’intention et d’une tierce donneuse et alors que le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été
reconnu en droit interne, le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un
lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à
l’étranger comme étant la « mère légale » (CEDH, avis, 10 avril 2019).
Dans le cadre du corps humain, il résulte des termes de l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique que le
cadre juridique de l’assistance médicale à la procréation a pour enjeu de rapprocher celle-ci le plus possible du
cadre d’une procréation naturelle. Ainsi le transfert d’embryon post-mortem reste interdit. Toutefois, le Conseil
d’État a ouvert une brèche à l’insémination post-mortem (CE, 31 mai 2016). En effet, il a décidé que, dans le
cadre d’un référé-liberté, il lui appartient de vérifier la compatibilité avec la Conv. EDH de la règle (contrôle
in abstracto) et de son application dans le cas soumis (contrôle in concreto). Ce double contrôle le conduit à
affirmer que l’interdiction de l’insémination post-mortem (CSP, art. L. 2141-2) et de l’exportation des gamètes
conservés en France en vue d’une telle insémination (CSP, art. L.  2141-11-1) n’est pas contraire à l’art.  8
de la Conv. EDH. Toutefois, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, le refus constitue une
atteinte manifestement excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante. S’éloignant
également de la procréation naturelle, au profit d’une place prépondérante à la volonté, il est envisagé d’ouvrir
l’assistance médicale à la procréation aux couples homosexuels féminins et aux femmes célibataires (projet de
loi relatif à la bioéthique).
Dissertation 1

B - L’ORDRE PUBLIC CONCURRENCÉ PAR LA VOLONTÉ

1. La place de la volonté en matière de changement de nom et de sexe


Par principe, les mentions figurant à l’état civil sont immuables, afin de faciliter l’identification des personnes.
Toutefois, certains événements peuvent remettre en cause cette affirmation. Ainsi, il n’y a pas immutabilité du
nom de famille. D’abord, dans le cas où la filiation de l’enfant n’est pas établie simultanément à l’égard de ses
deux parents, il peut y avoir changement de son nom d’origine lors de l’établissement du second lien de filiation
(C. civ., art. 311-23). Il en va de même en cas d’adoption (C. civ., art. 357 et 363) Ensuite, toute personne qui
justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom. Le changement de nom est autorisé par décret
(C. civ., art. 61). Ainsi, l’illustration du nom porté par les ancêtres des requérants est de nature à donner un
intérêt légitime à la demande de changement de nom (CE, 28 juill. 2000). Une procédure identique est prévue
pour changer de prénom, à ceci près que la demande est de la compétence des officiers d’état civil depuis la
loi du 18 novembre 2016 (C. civ., art. 60). Ainsi, l’exercice d’une religion peut constituer un intérêt légitime
à changer de prénom (CA Paris, 26  sept. 1996). Enfin, la loi du 18  novembre 2016 a également simplifié
la procédure de changement de nom en mairie. Désormais, toute personne de nationalité française qui est
née à l’étranger peut demander à changer de nom auprès de l’officier de l’état civil dépositaire de l’action de
naissance, et ainsi faire transcrire sur l’état civil français le nom qui a été inscrit à l’état civil étranger. Ce n’est
qu’en cas de difficultés que le procureur de la République pourra faire l’objet d’une saisine (C. civ., art. 61-3-1).
Pour le sexe, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016, toute personne majeure ou mineure
émancipée qui démontre, par une réunion suffisante de faits, que la mention relative à son sexe dans les actes

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de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en
obtenir la modification. Il peut en aller ainsi lorsque la personne est connue sous le sexe revendiqué de son
entourage familial, amical ou professionnel ; lorsqu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe

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revendiqué, ou lorsqu’elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


(C. civ., art. 61-5). La demande est présentée devant le tribunal de grande instance. Le fait de ne pas avoir subi
des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit
à la demande. Le tribunal constate que le demandeur satisfait aux conditions fixées à l’article 61-5 du Code civil
et ordonne la modification de la mention relative au sexe ainsi que, le cas échéant, des prénoms, dans les actes
de l’état civil (C. civ., art. 61-6). Les conditions d’un changement de sexe sont donc désormais démédicalisées,
mais non déjudiciarisées.

2. La contractualisation émergente de l’état des personnes


Chacun peut vouloir protéger son nom contre les utilisations romanesques ou commerciales abusives.
S’agissant des premières, le demandeur doit établir non seulement un risque de confusion, mais encore un
risque de confusion préjudiciable. S’agissant des secondes, l’utilisation commerciale du nom d’autrui sans
autorisation est illicite si elle crée un risque de confusion. Cela suppose qu’il s’agisse d’un nom illustre. En
revanche, l’exigence d’un préjudice n’est pas requise. Il convient par ailleurs de noter que le porteur du nom
peut fort bien en faire une utilisation commerciale et qu’il peut aussi céder le nom qui devient alors un élément
incorporel du fonds de commerce. Cependant, pour assurer la stabilité du commerce, la jurisprudence Bordas
précise que, sauf clause contraire, cette cession est définitive et irrévocable, même si le porteur du nom et
les membres de sa famille cessent de diriger l’entreprise (Com., 12 mars 1985, Bordas). Le nom saisi en tant
qu’objet d’un contrat révèle ainsi sa valeur pécuniaire : il identifie un fonds de commerce et sert à rallier la
clientèle, au même titre qu’une enseigne ou une marque.

Dissertation 1
En matière de corps humain, aucune atteinte ne peut être infligée par contrainte, mais le principe de l’intégrité
se trouve écarté par le consentement (C. civ., art. 16-3). Ainsi, le médecin ne peut, sans le consentement libre
et éclairé de son malade, procéder à une intervention chirurgicale qui n’est pas imposée par une nécessité
évidente ou un danger immédiat pour l’intéressé (Civ. 1re, 11 octobre 1988). Maître de son corps, la personne
jouit d’une liberté physique lui conférant un pouvoir d’autodétermination quant à son corps humain. Toutefois,
certaines personnes se trouvent dans l’incapacité d’exprimer un consentement, soit par suite d’une incapacité
de fait (coma, état d’inconscience, etc.), soit par suite d’une incapacité juridique (mineur ou majeur incapable).
S’agissant d’une incapacité de fait, l’article 16-3, alinéa 2, du Code civil précise qu’une atteinte peut être
portée à l’intégrité corporelle d’une personne sans qu’elle ait donné son consentement lorsque « son état rend
nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir ». L’article 36 du code de
déontologie médicale reprend cette exigence, sachant que, sauf urgence ou impossibilité, si le malade est hors
d’état d’exprimer sa volonté, le médecin doit informer ses proches. L’article L. 1111-6, al. 1er du Code de la
santé publique, affirme que toute personne peut désigner elle-même une sorte de représentant (une personne
de confiance) qui serait l’interlocuteur des médecins dans l’hypothèse où elle se trouverait hors d’état de
manifester sa volonté. S’agissant d’une incapacité juridique, si le patient est mineur ou majeur incapable, le
consentement doit toujours être donné par les titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur.

Pour les rédacteurs du Code civil, la notion d’ordre public trouvait son domaine d’élection qu’en ce qui concernait
l’organisation de l’État et spécifiquement les droits de la personne. Toutefois, en faveur du mouvement
volontariste et individualiste, la personne peut tolérer les atteintes aux droits de la personne. Le juge n’a donc
plus qu’un rôle de contrôle au regard de l’ordre public et de la fondamentalisation du droit. La place centrale de
la personne humaine et la conception plus humaniste du droit justifient une fondamentalisation plus générale
du droit civil.

59
Sujet

2 DISSERTATION : LA CONTRACTUALISATION
DU DROIT DES COUPLES ET SES LIMITES

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

(ANNALES CONCOURS ENM 2018)

La célèbre formule de Balzac selon laquelle « La famille sera toujours la base des sociétés » (Le Curé de village,
1841) apparaît aujourd’hui contrariée à de nombreux égards. La dimension institutionnelle de la famille
semble particulièrement nuancée par l’évolution des mœurs et les réformes légales en droit de la famille. En
matière de couples, une place toujours plus importante est faite à la volonté des individus.
Le couple n’est pas une notion juridiquement définie, sinon au travers de l’idée de l’union de deux personnes,
de même sexe ou non, qui décident de partager une vie commune. À dépasser cette acception sibylline,
la notion de couple se veut indéterminée, parce qu’évolutive. Le Code civil de 1804 est, en droit de la
famille comme dans les autres domaines, un compromis entre les règles traditionnelles et les conceptions
révolutionnaires. Il est marqué par les idées de Napoléon sur les rapports entre le mari et sa femme ; le
Code civil n’appréhende alors que le mariage, postulé comme une évidence et la seule forme de couple
reconnue par la loi. Cette posture demeurera longtemps en jurisprudence, davantage encore dans la loi. Ce
n’est que sous l’impulsion des évolutions sociétales de la fin du XXe siècle et le phénomène alors naissant
Dissertation 2

de fondamentalisation du droit de la famille, que la notion de couple va devenir plurielle. C’est au travers
de la reconnaissance du couple homosexuel, que les formes de couples vont se multiplier dans la loi. La
loi du 15 novembre 1999 relative au pacs constitue ainsi l’une des plus importantes réformes du droit de
la famille depuis 1804. Partant, il n’existe alors pas une forme de couple, mais des formes de couples. Le
concubinage désormais consacré dans la loi – après avoir été reconnu timidement par le juge –, et le pacs
nouvellement créé, viennent désormais concurrencer le mariage, lequel n’est dès lors plus la seule union
civile dans la loi. Consécutivement, le mariage perd progressivement sa place hégémonique. Désormais,
la volonté des membres du couple leur permet, avec le pacs notamment, de déterminer les modalités
de leur vie commune. Leur liberté est plus grande que dans le cadre d’un mariage, dont les effets sont
toujours légaux. Reste que le mariage lui-même ne reste pas indifférent à ce phénomène grandissant de
contractualisation du droit de la famille, des couples particulièrement. La loi du 26 mai 2004 relative au
divorce, la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et la loi dite
«  Justice du XXIe  siècle  » en témoignent avec force. Dès lors, la contractualisation, que l’on peut définir
comme un recours à la technique du contrat de l’article 1101 du Code civil, pour déterminer le droit
applicable à une situation donnée, apparaît, en droit de la famille, comme manifeste de la concrétisation
d’une place toujours plus importante dévolue à la liberté, à l’égalité et à la volonté.
Ainsi, tandis que prend singulièrement de l’ampleur la contractualisation du droit des couples, les différentes
formes de vie en couple se rapprochent et l’ordre public matrimonial traditionnel, construit à partir de la
figure emblématique du couple marié, recule. Cependant, les mutations récentes du droit de la famille
n’ont pas conduit à une totale et radicale désinstitutionnalisation du droit des couples. Le maintien d’une
emblématique cérémonie de mariage comme l’inscription du pacs sur l’état civil des partenaires révèle les
limites de la contractualisation du droit des couples et la pérennité d’une certaine idée institutionnelle.
L’intervention de l’autorité publique et les fonctions de la loi demeurent des aspects essentiels et fondateurs
du droit des couples. C’est au juge qu’est dévolu le rôle de concilier les aspects contractuels et institutionnels

60
du droit des couples, de trouver un équilibre entre le respect de la loi et le respect de la volonté des
membres du couple.
Aussi convient-il d’envisager successivement la contractualisation avérée du droit des couples fondée sur

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


la liberté (I) et la contractualisation entravée du droit des couples fondée sur l’ordre public familial (II).

I - LA CONTRACTUALISATION AVÉRÉE DU DROIT DES COUPLES


FONDÉE SUR LA LIBERTÉ
Le recours au contrat pour normer les relations des personnes vivant en couple est la conséquence directe
de la place toujours plus importante de la volonté en droit de la famille. La liberté de vivre en couple non
marié est désormais incontestable (A), tandis que la volonté et la liberté dominent désormais en matière
de mariage, pourtant institution (B).

A - LA CONTRACTUALISATION CERTAINE DU DROIT DES COUPLES NON MARIÉS

Si l’aspect contractuel du pacte civil de solidarité est une évidence (2), la place du contrat en matière de
concubinage, pourtant union de fait, n’en est pas moins réelle (1).

1. Le concubinage, une union a priori de fait


La liberté des couples dans le choix de la structure et de la forme de leur union ne s’est pas immédiatement
exprimée au travers d’une dichotomie entre institution ou contrat, mais dans l’opposition entre la

Dissertation 2
reconnaissance du droit et la clandestinité. L’union clandestine, le concubinage, est bien l’expression d’une
volonté, mais ne produit pas d’effet de droit. Ignoré dans le Code civil de 1804, en raison du célèbre et
sentencieux aphorisme de Napoléon – « Les concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse d’eux. »
– le concubinage trouve une reconnaissance juridique tardive dans la jurisprudence et dans la loi, en tant
que situation de fait. Dans la jurisprudence, le concubinage n’a été réellement défini que pour souffrir la
comparaison avec le mariage, du point de vue de sa caractérisation (Cass. soc., 11 juill. 1989, refus de
reconnaître l’existence juridique du concubinage homosexuel en droit français) ou de ses effets (Req.,
11 mars 1918, absence de devoir de secours et d’assistance en matière de concubinage, sauf obligation
naturelle novée en obligation civile). Il a fallu attendre la loi du 15 novembre 1999, relative au pacs, pour
que le concubinage trouve une définition dans le Code civil, à l’article 515-8 du Code civil selon lequel
« Le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de
stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».
Ainsi s’agit-il d’une situation de fait, par opposition à une situation de droit, pas d'un contrat ; même si la
volonté joue un rôle essentiel, le concubin n’est pas contractuellement lié à l’autre. Les concubins conservent
donc a priori leur entière liberté, non obligés par convention (C. civ., art. 1101), non tenus par les règles de la
force obligatoire et de l’intangibilité contractuelle (C. civ., art. 1103 et 1193). Il n’existe donc par principe aucun
effet de droit d’origine légal ou conventionnel consécutif à l’existence d’un concubinage – l’article 515-8 du
Code civil qui définit le concubinage est d’ailleurs le seul article spécifique au concubinage disposé dans le
Code civil. Par conséquent, le concubinage ne crée pas per se d’effets entre les concubins ou à l’égard des tiers.
Si le juge a pu imposer des obligations aux concubins, c’est au travers de mécanismes non dédiés. Au mieux
s’agit-il de régler la question d’un point de vue patrimonial sous l’angle du contrat imparfait : le quasi-contrat
d’enrichissement injustifié (Cass. 1re civ., 24 sept. 2008) ou encore la société créée de fait (Cass. 1re civ., 23 juin
2004), dépourvue de la personnalité morale, quand bien même les juges semblent aujourd’hui moins enclins
à ouvrir ces voies de droit aux fins de suppléer l’absence de régime légal (Cass. 1re civ., 20 janv. 2010, 3 arrêts).

61
Dès lors, la juridicisation du concubinage ne résultant ni de la loi ni de la jurisprudence, elle peut naître
de la convention des parties. Les concubins peuvent rechercher à normer leurs rapports à l’égard des tiers
ou entre eux. Le contrat va permettre de sécuriser les rapports juridiques concernés, notamment sous

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un angle patrimonial. À l’égard des tiers, la stipulation d’une clause de solidarité peut permettre à un
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

créancier de sécuriser sa créance et son paiement à l’égard de deux conjoints qui sont codébiteurs. Ainsi,
par la convention et en vertu de l’article 1310 du Code civil, est instaurée, pour la créance en cause, une
solidarité entre concubins qui s’apparente à la solidarité légale entre époux mariés (C. civ., art. 220, al. 1er).
Par ailleurs, sur le fondement de la liberté contractuelle désormais consacrée par l’article 1102 du Code
civil, les concubins peuvent soumettre tout ou partie de leurs rapports patrimoniaux, voire certains aspects
de leurs relations personnelles, à l’obligatoriété de conventions de concubinage ou de déconcubinage.
Réputées par principe licites (Cass. 1re civ., 6 oct. 1959), ces conventions innommées ont respectivement
pour effet de régir les rapports entre concubins pendant la vie commune – par exemple, pour introduire
une contribution aux charges du ménage à l’instar de la contribution aux charges du mariage de l’article
214 du Code civil – ou lors de la séparation, pour régler la question du partage des biens en l’absence de
régime matrimonial. Bien que le pacs concurrence directement ce modèle contractuel, les conventions de
concubinage demeurent l’objet d’un contentieux abondant (par ex., Cass. 1re civ., 29 juin 2011).

2. Le pacs, une union conventionnelle


Dans sa décision du 9  novembre 1999, relative à la loi sur le pacs, qui sera promulguée le 15  novembre
1999, le Conseil constitutionnel affirme, d’une part, que la création dans la loi d’un pacte civil de solidarité
répond à un besoin sociétal, et, d’autre part, que le pacte ainsi instauré est au principal régi par le principe à
valeur constitutionnelle de liberté contractuelle. D’un côté, le pacs apparaît comme un besoin sociétal afin de
permettre d’instaurer une forme de couple égalitaire, hétérosexuel ou homosexuel, qui soit reconnu et régi
Dissertation 2

par le Code civil. Dès lors, le pacs trouve sa place, en tant qu’union contractualisée, entre l’union de fait qu’est
le concubinage et l’union solennelle et institutionnelle qu’est le mariage. Cette position moyenne vaut au pacs
d’être tantôt considéré comme un « concubinage contractualisé » (au risque de la confusion avec les contrats
de concubinage) et un « mariage désinstitutionnalisé » (au risque du non-sens). De l’autre, la convention de
pacs est un acte sous seing privé, même s’il peut prendre la forme authentique ; l’unique formalité réside dans
la déclaration à l’officier d’état civil (depuis la loi Justice du XXIe siècle ; auparavant, la déclaration conjointe
était faite au greffe du tribunal d’instance du ressort de la résidence commune des partenaires).
L’article 515-1 du Code civil dispose que « Un pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux
personnes physiques majeures, de sexe différent ou de mêmes sexes, pour organiser leur vie commune ».
Ainsi, le pacs est une union de droit, certes un contrat spécial, mais bien un contrat. Depuis la loi du 23 juin
2006, le régime des biens du couple est, par défaut, celui de la séparation des biens (C. civ., art. 515-5 et s.).
Mais ce dispositif est supplétif, de sorte que les partenaires peuvent convenir de soumettre leurs biens au
régime de l’indivision (qui était d’ailleurs le régime légal par défaut sous l’empire de la loi du 15 novembre
1999 ; v. également, Cass. 1re civ., 4 mars 2015). Pour le reste, le contenu contractuel n’est pas défini par
la loi, ce qui a conduit à certaines interrogations prétoriennes. On se rappelle l’évocation d’une obligation
de fidélité entre partenaires (TGI Lille, ord., 5 juin 2002) au nom de l’exigence de bonne foi contractuelle
(C. civ., art. 1104). En dehors de ce point particulier, la liberté contractuelle commande à la rédaction du
pacte, lequel reste néanmoins le plus souvent limité du point de vue de son contenu au modèle CERFA
disponible.
Enfin, sinon surtout, c’est au stade de la désunion des partenaires que se révèle avec le plus d’évidence
le modèle contractuel. Le pacs est une convention à durée indéterminée ; l’article 515-7 du Code civil
prévoit quatre modes de dissolution du pacte : d’abord, la mort de l’un des partenaires met naturellement
fin à un contrat nécessairement conclu intuitu personae ; ensuite, le pacs peut être dissout par la volonté
commune des partenaires, ce qui rappelle avec évidence le mutuus dissensus du droit commun des contrats

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(C. civ., art. 1193), encore, la résiliation du pacs peut être unilatérale comme en droit commun (C. civ., art.
1226) sous couvert toutefois d’une signification à l’autre ; pour finir, la seule particularité de la désunion
des partenaires réside dans la dissolution du pacs par la conclusion d’un mariage par l’un des partenaires,

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encore que cela s’apparente potentiellement à une novation lorsque les partenaires se marient entre eux.

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


La dimension conventionnelle du pacs est ainsi une évidence, et devrait logiquement permettre de distinguer
voire d’opposer ce partenariat au mariage, qui est traditionnellement considéré comme une institution. Or,
force est de constater que les couples mariés apparaissent de plus en plus régis par les conventions.

B - LA CONTRACTUALISATION PROGRESSIVE DU DROIT DES COUPLES MARIÉS

Institution normée par la loi, le mariage n’a longtemps laissé qu’une place résiduelle aux aspects
conventionnels. Demeure que la fondamentalisation du droit civil a conduit à l’érection de la liberté
matrimoniale comme principe régissant le droit du mariage (1). Partant, la contractualisation du mariage
a aussi conduit à la conventionnalisation et à la déjudiciarisation de la désunion (2).

1. La liberté matrimoniale
L’érection et l’essor de la liberté matrimoniale constituent d’importantes manifestations de la fondamentalisation
du droit civil, mouvement de rattachement des droits subjectifs aux droits et libertés fondamentaux. La liberté
matrimoniale a été consacrée tant en droit interne qu’en droit européen. En droit interne, sa consécration s’est
faite tant dans la jurisprudence de la Cour de cassation que dans celle du Conseil constitutionnel. Ainsi, d’un
côté, dans l’arrêt Cours Sainte-Marthe (Cass. ass. plén., 19 mai 1978), la Cour de cassation a implicitement
fondé sa décision sur le fondement de la liberté matrimoniale. Le Conseil constitutionnel a définitivement relevé

Dissertation 2
la valeur constitutionnelle de la liberté matrimoniale dans ses décisions du 13 août 1993 et du 9 novembre
1999, cette dernière étant paradoxalement consacrée à la loi sur le pacs. De l’autre, en droit européen, la
liberté matrimoniale est expressément visée aux articles 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne et à l’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Or, l’impact
de la liberté matrimoniale est indéniable lorsqu’est mise en évidence sa parenté avec la liberté contractuelle.
En effet, la liberté matrimoniale s’exprime dans le droit de se marier, de ne pas se marier et de choisir son
conjoint. Ce qui n’est pas sans rappeler les démembrements de la liberté contractuelle que sont les droits de
contracter, de ne pas contracter et de choisir son cocontractant (lequel est particulièrement accentué depuis
la loi du 17 mai 2013, qui permet la contractualisation d’un mariage entre personnes de même sexe). C’est
donc dans la phase de formation du couple que la liberté matrimoniale s’exprime avec force : en premier lieu,
c’est l’exercice de la liberté matrimoniale qui permet à deux personnes souhaitant vivre en couple de choisir
entre le concubinage, le pacs et le mariage. En deuxième lieu, la liberté matrimoniale explique l’absence
d’obligatoriété des fiançailles (Cass. civ., 30  mai 1838). En troisième lieu, la dimension contractuelle du
mariage est idéalement illustrée par l’importance de la volonté dans la formation du couple marié, dès lors
que l’article 144 du Code civil dispose que « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ».
L’article 215 alinéa 1er du Code civil oblige les époux à la cohabitation, sans pour autant exclure toute
portée à la volonté des parties qui peuvent d’un commun accord déterminer leur lieu de résidence (alinéa 2
du même article) ou encore déroger à l’obligation en raison de leurs professions. Encore, la convention
des parties peut jouer un rôle essentiel dans la détermination du régime matrimonial : si, depuis la loi du
13 juillet 1965, la loi prévoit que le régime matrimonial par défaut est la communauté réduite aux acquêts
(C. civ., art. 1400), les époux peuvent conclure, avant ou pendant le mariage, un contrat pour déterminer
une autre organisation patrimoniale telle la séparation des biens ou la communauté universelle (sur la
licéité d’un contrat de mariage même déséquilibré, Cass. 1re civ., 29 mai 2013). Ainsi, la volonté et le contrat
vont déterminer certains aspects patrimoniaux de la dissolution du couple marié.

63
2. La déjudiciarisation du divorce
La contractualisation du droit du mariage s’est prolongée dans le mouvement d’une conventionnalisation
accrue de la dissolution du mariage, du divorce, ce qui a eu pour effet de placer la volonté et le consensus au

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

cœur du processus de divorce. Plus encore, la contractualisation a eu pour corollaire une déjudiciarisation
continue du divorce.
Dans un premier temps, une telle déjudiciarisation était souhaitable et souhaitée. La conventionnalisation du
divorce dans la loi du 11 juillet 1975 a été amorcée avec la création du divorce par consentement mutuel, sorte
de rupture amiable du mariage. Mais la loi de 1975, aussi essentielle fût-elle pour construire le droit moderne du
couple marié et l’égalité dans le couple, était encore l’occasion d’un contentieux complexe, abondant et belliqueux,
faisant du divorce pour faute, la procédure de divorce la plus courante. Le processus de déjudiciarisation s’est
accentué avec la loi du 26  mai 2004, grande loi de simplification et de pacification  : d’un côté, le dispositif
de 2004 a dissocié les cas de divorce des conséquences du divorce permettant non seulement davantage de
célérité dans la procédure, mais encore et surtout en rendant quasi-inutile d’un point de vue patrimonial, la
poursuite de motifs belliqueux entre les époux souhaitant divorcer ; de l’autre, la loi de 2004 invite largement à
la contractualisation du divorce et particulièrement de ses conséquences, tant personnelles que patrimoniales.
Il en est ainsi de l’accord d’un des membres du couple désuni pour que l’autre conserve l’usage de son nom de
famille, usage acquis par le mariage (C. civ., art. 264). Il en est encore ainsi des conventions entre divorcés qui
prévoient les conséquences patrimoniales du divorce pour l’avenir, notamment quant aux modalités de paiement
de la prestation compensatoire (C. civ., art. 270 et s.  ; par ex., Cass. 1re civ., 11 sept. 2013).
Dans un second temps, le mouvement de déjudiciarisation est devenu total. En effet, sous l’empire de la loi de
2004, le divorce par consentement mutuel est devenu le premier divorce en termes statistiques ; ce divorce
amiable – et donc non-contentieux – imposait néanmoins aux époux souhaitant divorcer d’en manifester la
volonté devant le juge, lequel était également chargé de contrôler l’équilibre de la convention des époux et
Dissertation 2

le respect des droits de chacun des membres de la famille, y compris les enfants, avant de l’homologuer. Or,
désormais, la loi du 18 novembre 2016 admet un divorce par consentement mutuel sans juge (C. civ., art. 229-1).
Il est réalisé par un acte sous seing privé expression d’une volonté commune de désunion des époux. Il est à ce
titre moins exigeant encore que ne l’est le mariage pour sa formation (le mariage est un acte cérémonieux et
réalisé devant l’officier d’état civil). En effet, il est moins formel et solennel que celui-ci : l’acte sous seing privé
est seulement contresigné par les avocats des époux avant d’être enregistré par un notaire. Le juge n’intervient
donc plus par principe dans le cadre de ce divorce extra-judiciaire (v. néanmoins C. civ., art. 229-2). Ce divorce
s’apparente désormais à un réel mutuus dissensus connu en droit commun des contrats et dans le pacs. Reste la
question de la préservation des droits des membres du couple et des enfants, qui n’est plus assurée par le juge,
la recherche d’un consensus conventionnel est heureuse, la déjudiciarisation totale ne peut qu’interpeller.
Le recours au contrat en droit des couples permet de donner un socle juridique à la liberté des membres du
couple ; la convention apparaît également comme source de sécurité juridique au travers de la prévisibilité
contractuelle. Ces constats justifient l’essor et le développement de la conventionnalisation du droit des
couples. Demeure que si ce phénomène est avéré, il connaît des limites évidentes et impératives eu égard
au nécessaire respect de l’ordre public familial.

II - LA CONTRACTUALISATION ENTRAVÉE DU DROIT DES COUPLES


FONDÉE SUR L’ORDRE PUBLIC FAMILIAL
Par application des articles 6 et  1162 du Code civil, et de dispositions propres à garantir le respect de
l’ordre public, la contractualisation du droit des couples demeure un phénomène encadré. La mesure de la
conventionnalisation du droit des couples résulte aussi bien de l’imposition de limites légales traditionnelles
(A) et de la nécessaire intervention du juge dans la vie du couple (B).

64
A - DES LIMITES LÉGALES TRADITIONNELLES À LA CONTRACTUALISATION

En matière de mariage particulièrement, mais aussi dans les autres formes de couple, la formation (1) et la

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


vie commune (2) sont relativement encadrées par la loi.

1. Lors de la formation du couple


La formation des couples ne repose pas uniquement sur les principes de la liberté contractuelle et de la
liberté matrimoniale. Le respect de l’ordre public familial est le fondement de conditions communes à la
formation des différentes formes de couple et de limites propres à la formation d’un mariage.
Quant aux limites communes à la formation des couples, la liberté des individus est limitée notamment
dans le choix de la personne avec qui l’on entend partager la vie commune. La prohibition du couple
incestueux est ainsi une évidence tant en matière de mariage (C. civ., art. 161 et s.) que de pacs (C. civ.,
art. 515-2). Elle doit également l’être en matière de concubinage bien que l’interdiction ne soit pas inscrite
dans la loi ; en effet, la notion de couple au sens de l’article 515-8 du Code civil implique une forme
de communauté d’affection entre les membres du couple incompatible avec la prohibition générale de
l’inceste. Encore, l’exigence d’un consentement des membres du couple sert de fondement à l’annulation
d’un mariage alors que l’intention matrimoniale fait en réalité défaut (Cass. 1re civ., 20 nov. 1963, Appietto ;
Cass. 1re civ., 28 oct. 2003) ou qu’il a été contracté par une personne incapable de donner un consentement
réfléchi (Cass. 1re civ., 28 mai 1980). Il en va notamment de même en matière de pacs à l’égard des majeurs
protégés, encore que le juge doit effectivement constater l’insanité d’esprit (Cass. 1re civ., 15 nov. 2017).
De même, la théorie des vices du consentement prévue aux articles 1130 et suivants du Code civil est un
instrument judiciaire de contrôle de la validité des pacs et mariage (C. civ., art. 180 : nullité du mariage en
cas d’erreur sur l’identité, sur une qualité essentielle ou encore en cas de violence). C’est notamment sur ce

Dissertation 2
fondement que le juge œuvre à la lutte contre les mariages forcés depuis la loi du 4 avril 2006.
À la différence du concubinage et du pacs, le mariage n’est pas seulement une convention ; il s’agit aussi
d’une institution. Aussi existent-ils des limites propres à la formation du couple marié. La nécessaire
publication des bans, la tenue d’une cérémonie menée par un officier d’état civil, les portes de la mairie
ouvertes (lorsque le mariage a lieu à la mairie) et de manière plus générale, tous les aspects solennels
témoignent que le mariage est davantage qu’un contrat. Ce constat est corroboré par l’impossibilité pour
les parties de contrevenir par conventions non seulement à l’ordre public, mais aussi aux droits et libertés
fondamentaux. C’est ainsi qu’est connue la critique judiciaire des clauses de célibat ou de non-convol
(CA Paris, 30 avril 1963, époux Barbier c/ Air France), des clauses de jalousie posthume (Cass. 1re civ.,
8 nov. 1965) ou encore des clauses de non-divorce dans les donations, stipulations prohibées en raison du
caractère d’ordre public de l’article 265 alinéa 1er du Code civil (Cass. 1re civ., 14 mars 2012).

2. Dans la vie du couple


La principale différence entre les libertés matrimoniale et contractuelle réside dans la détermination
des droits et obligations des parties. La liberté contractuelle postule la libre détermination du contenu
contractuel par les parties à la convention. Cette libre détermination échappe dans une large mesure aux
époux, sauf en ce qui concerne notamment la détermination du régime matrimonial. En effet, les devoirs
personnels et patrimoniaux, qui constituent le régime primaire applicable aux conjoints tout au long de
la vie maritale, sont déterminés et imposés par la loi, ce qui rappelle à nouveau que le mariage n’est pas
seulement un contrat, mais aussi une institution. Par exemple, l’article 212 du Code civil impose les devoirs
de secours et d’assistance ou encore l’obligation de fidélité. Encore, l’article 215 du Code civil impose une
communauté de vie qui se décline en communauté de toit et en communauté de lit (bien que les parties
puissent aménager l’effectivité de ces obligations légales). L’article 214 du Code civil oblige les époux à
contribuer aux charges du mariage et l’article 220 du même code impose la solidarité matrimoniale.

65
En vertu de l’article 515-1 du Code civil, le pacs est une convention régie par le Code civil qui détermine
précisément les modalités de sa formation et de sa dissolution (C. civ., art. 515-3 et 515-7). Le dispositif
légal de l’article 515-4 impose au cours de la vie du couple, un régime primaire restreint à une solidarité

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des dettes à l’égard des tiers et une assistance matérielle entre partenaires. Demeure que ce socle est
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

solide et résiste à la convention contraire, ce que le Conseil constitutionnel a affirmé, dans sa décision du
9 novembre 1999, en soulignant, d’abord, que l’analyse mutuelle et matérielle s’analyse comme un devoir
des partenaires ; ensuite, le Conseil souligne qu’il en résulte, implicitement, mais nécessairement que, si
la libre volonté des partenaires peut s’exprimer dans la détermination des modalités de cette aide, toute
clause visant à méconnaître cette aide doit être annulée  ; enfin, le Conseil confie au juge judiciaire la
détermination des modalités de l’aide en cas de silence du pacte.
Par ailleurs et au surplus, il est remarquable que le pacs se rapproche du mariage, et acquiert progressivement
une dimension institutionnelle, paradoxale eu égard au mouvement de contractualisation du droit des
couples : l’illustration majeure de ce mouvement à rebours réside, depuis la loi du 23 juin 2006, dans la
mention à l’acte de naissance de chaque partenaire de la déclaration du pacte.
Ainsi, la loi constitue la première et principale mesure du mouvement de conventionnalisation du droit des
couples. C’est au juge d’assurer l’équilibre entre ces deux mouvements antagonistes.

B - UN ENCADREMENT JUDICIAIRE RENOUVELÉ DE LA CONTRACTUALISATION

L’article 16§3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 dispose que la famille « est l’élément
naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État ». L’intervention du
juge est ponctuellement rendue nécessaire en cas de crises du couple (1). Elle est également évidente dès
Dissertation 2

lors qu’il est le garant de la licéité des conventions tant sur le fondement du droit commun des contrats que
sur le fondement du droit spécial de la famille (2).

1. La nécessaire intervention du juge aux affaires familiales en cas de crises


La liberté des membres du couple et la force de leur volonté cèdent devant l’intervention du juge rendue
nécessaire par la survenance de situations de crise entre les membres du couple.
L’intervention du juge aux affaires familiales au cours de la vie du couple est paradoxale eu égard au
droit au respect à la vie privée et à l’intimité familiale identiquement fondés en droit français et en droit
européen. Pourtant, cette intervention est nécessaire dans des hypothèses clairement identifiées et qui vont
conduire le juge à revenir sur la convention des parties. Ainsi, l’article 220-1 du Code civil, issu de la loi
du 9 juillet 2010, dispose que « Si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les
intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces
intérêts ». Il en est de même s’agissant des mesures de protection des victimes de violence des articles 515-9
et suivants, dont on soulignera qu’elles concernent toutes formes de couple, qui permettent au juge aux
affaires familiales de délivrer des ordonnances de protection. Naturellement, les dispositions prises dans
son ordonnance par le juge vont affecter la convention des parties relativement à la détermination de la
résidence de la famille (C. civ., art. 215, al. 2).
En cas de séparation d’un couple non marié, le juge va notamment régler l’éventuel contentieux relatif à
une rupture abusive d’un concubinage ou d’un pacs sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle
pour faute personnelle de l’article 1240 du Code civil. En cas de séparation d’un couple marié, l’intervention
du juge est une évidence à l’exception du divorce par consentement mutuel extra-judiciaire (encore qu’il
convient de souligner à nouveau que même dans cette hypothèse de divorce, le juge est susceptible
d’intervenir dans les hypothèses de l’article 229-2 du Code civil). Son intervention est donc nécessaire en

66
cas d’acceptation du principe de la rupture du mariage, pour établir les conséquences d’un divorce voulu
par les parties, en cas d’altération définitive du lien conjugal pour constater que les conditions sont remplies
et en régler les effets. Enfin, c’est une évidence, mais le rôle du juge est essentiel lorsque le divorce est

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pleinement contentieux, ce qui est le cas du divorce pour faute de l’article 242 du Code civil.

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


2. Le contrôle des conventions par le juge
Consécutivement à ce qui vient d’être mis en évidence, le juge joue un rôle dans le contrôle et la critique des
conventions. Au premier chef, le juge contrôle la convention des parties dans le cadre d’un divorce. Ainsi, en
charge de l’homologation de la convention des époux dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel
avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016 ou dans le cadre d’un divorce par consentement
mutuel judiciaire depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le juge peut refuser cette homologation et ne pas
prononcer le divorce s’il constate que la convention préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou de
l’un des époux (C. civ., art. 232, al. 2). Encore, il est constant que, dans tous les cas de divorce autre que le
consentement mutuel, il appartient aux époux d’élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial
sous le contrôle du juge (C. civ., art. 267 et 268).
Le contrôle des conventions du couple va bien au-delà de la seule question du divorce, puisqu’elle concerne
également la question classique des conventions de mère porteuse, et plus généralement de gestation
pour autrui. Il s’agit là en jurisprudence et dans la loi de l’une des manifestations les plus probantes des
limites de la contractualisation en droit de la famille. En effet, il faut rappeler que la Cour régulatrice a
sanctionné par la nullité absolue la convention par laquelle une femme s’engage, à titre onéreux ou à titre
gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance (Cass. as. plén., 31 mai 1991).
Les juges du droit ont justifié cette nullité en raison, d’une part, du principe d’indisponibilité du corps
humain et, d’autre part, du principe d’indisponibilité de l’état des personnes. Ces principes ont ensuite été

Dissertation 2
consacrés par le législateur à l’occasion des lois bioéthiques du 29 juillet 1994 ; désormais, la prohibition
des conventions de mère porteuse résulte de la lettre de l’article 16-7 du Code civil selon lequel « Toute
convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».
Enfin, il faut rappeler qu’il est des domaines où la contractualisation est exclue par principe. C’est le cas de
la dévolution de l’autorité parentale puisque l’article 376 du Code civil dispose que « Aucune renonciation,
aucune cession portant sur l’autorité parentale, ne peut avoir d’effet, si ce n’est en vertu d’un jugement dans les cas
déterminés ci-dessous ». Et s’il est possible pour les parents de déterminer par pacte les modalités d’exercice
de l’autorité parentale, le juge en contrôle l’opportunité et les conditions eu égard à l’intérêt de l’enfant
(art. 376-1). Enfin, quand bien même il est possible pour les père et mère de déléguer volontairement leur
autorité parentale, une telle délégation ne procède pas de la seule volonté parentale, mais d’une délégation
placée sous le contrôle du juge. Finalement, la question concerne davantage les parents que le couple,
sachant que la notion de couple parental n’a plus de réalité juridique eu égard aux réformes pratiquées
par les lois du 4 mars 2002 et du 16 janvier 2009, laquelle a ratifié l’ordonnance du 4 juillet 2005. Pour se
convaincre de la disparition quasi-totale de la notion de couple parental, il suffit de rappeler que l’article
373-2 du Code civil dispose en ses deux premiers alinéas que, d’une part, la séparation des parents est sans
incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale, et, d’autre part, que chacun des
parents doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant.
Le droit des couples est un droit évolutif notamment eu égard aux mouvements de libéralisation et de
fondamentalisation du droit civil et du droit de la famille. C’est un droit composite, normé par le contrat,
mais aussi par la loi. Le juge intervient notamment en cas de crises du couple et aux fins de protection
des membres de la famille et des tiers. Un même équilibre normatif et judiciaire doit être trouvé dans la
seconde branche du droit de la famille : le droit de l’enfance.

67
Sujet

3 DISSERTATION : LA LOYAUTÉ DE
LA PREUVE DANS LE PROCÈS CIVIL

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

(ANNALES CONCOURS ENM 2017)

Selon H. Motulsky, le principe de loyauté de la preuve provient du «  droit naturel jurisprudentiel ». Ce


principe, renforcé par la jurisprudence ces dernières années, trouve particulièrement à s’appliquer en
matière probatoire. Même si le procès civil constitue un substitut de la vengeance privée, la fin ne justifie
pas tous les moyens. La déloyauté du maniement de certaines armes est susceptible d’en ruiner l’efficacité,
faisant ainsi obstacle à l’objectif pourtant premier de manifestation de la vérité.
La loyauté est le principe selon lequel le juge et les parties doivent, dans leurs comportements procéduraux,
faire preuve de bonne foi et de probité. En d’autres termes, elle vise la droiture dans le cadre de la procédure
suivie en matière civile, commerciale, prud’homale, rurale et sociale devant les juridictions de l’ordre
judiciaire. S’exprimant essentiellement, dans le cadre de la preuve, qui est la démonstration d’un fait ou
d’un acte, dans les formes admises ou requises par la loi, la loyauté n’est pas expressément consacrée, mais
elle s’infère de diverses dispositions du Code de procédure civile. Pendant longtemps, le principe de la
contradiction (ou du contradictoire) ne figura ni dans la loi ni dans les tables alphabétiques des ouvrages
Dissertation 3

de doctrine. Quelques rares décisions de jurisprudence le rappelaient occasionnellement comme une règle
de droit naturel (H. Motulsky, « Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits
de la défense en procédure civile », in Mélanges Roubier, t. 2, p. 175). Ces principes directeurs du procès
civil figurent désormais au chapitre Ier des dispositions liminaires du titre Ier du Code de procédure civile,
ouvrant le livre  Ier consacré aux dispositions communes à toutes les juridictions. Véritable charte de la
répartition des rôles entre juge et parties, les principes directeurs du procès apparaissent ainsi tout à la fois
comme des principes d’inspiration et des règles de droit concourant au respect des garanties fondamentales
d’une bonne justice. À côté des principes consacrés, il faut relever l’essor de nouveaux principes directeurs,
comme la célérité ou la loyauté. H.  Motulsky avait déjà noté que le principe de loyauté constituait à la
fois, pour les parties, une composante importante du droit de la défense et, pour le juge, une obligation de
stricte neutralité de motivation des jugements ; s’agissant du législateur, il ajoutait que la loyauté exigeait
de sa part qu’il organise un système rationnel de voie de recours. La loyauté de la preuve dans le procès civil
constitue l’un de ces nouveaux mécanismes prétoriens de régulation du procès civil.
De l’obscurité, le principe de loyauté est passé à la lumière sous l’impulsion du juge civil en matière de
preuve. Érigé par nécessité, employé au titre d’une bonne administration de la justice, le principe de loyauté
constitue une norme comportementale pour les acteurs du procès civil, source d’équité. Toutefois, si le
principe de la contradiction ou du contradictoire est incontestablement un principe consacré par le Code de
procédure civile, la loyauté n’est pas explicitement visée au titre des principes directeurs. Aussi, dès lors que
la recherche de la vérité absolue reste l’objectif majeur du procès civil, l’application du principe de loyauté
est d’autant plus importante, car elle permet d’assurer la dignité du procès.
Aussi convient-il d’envisager, d’une part, l’érection du principe de loyauté de la preuve (I) et, d’autre part,
la résistance d’une application générale du principe de loyauté de la preuve (II).

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I - L ’érection du principe de loyauté en matière de preuve

Si le principe de loyauté procédurale est implicitement mentionné par le Code de procédure civile au titre

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


des principes directeurs du procès (A), du moins de lege lata, la jurisprudence contemporaine l’a consacré
explicitement en plusieurs occurrences en tant qu’aspect des droits de la défense (B).

A - UNE EXIGENCE TEXTUELLE IMPLICITE

1. Une conduite s’imposant aux parties


Le principe de loyauté dans le procès civil n’est pas expressément visé par la Code de procédure civile ou
le Code civil. Néanmoins, la loyauté est consacrée par le dispositif législatif et la pratique processuelle. Il
est d’abord possible d’en déceler les traces dans les termes de l’article 24 du Code de procédure civile. En
effet, selon ce dernier « les parties sont tenues de garder en tout le respect dû à la justice ». Cette affirmation
est une manifestation du principe de loyauté. Concrètement, les plaideurs doivent avoir une attitude
dans leurs écritures et postures pour que la justice fonctionne avec dignité. En d’autres termes, les parties
doivent recourir à la justice de manière loyale. Ensuite, l’article 9 du Code de procédure civile dispose
qu’« il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
Il s’agit d’une référence implicite à la loyauté, conçue comme le respect de la légalité. En effet, si une preuve
est obtenue contrairement à une disposition légale, elle est considérée comme déloyale. Cette obligation de
loyauté n’est pas restreinte au seul domaine processuel. Elle est aussi connue du droit substantiel et trouve
son fondement à l’article 1104 nouveau du Code civil (C. civ., art. 1134, al. 3 anc.), qui dispose que « les
contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».

Dissertation 3
En droit de l’arbitrage, l’estoppel a trouvé une consécration textuelle puisque, désormais, le nouvel
article  1466 du Code de procédure civile issue du décret n°  2011-48 du 13  janvier 2011 dispose que
«  la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une
irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». Cet article consacre le
principe de l’estoppel, déjà reconnu par la jurisprudence. La jurisprudence définit l’estoppel comme un
comportement procédural « constitutif d’un changement de position, en droit, de nature à induire [l’adversaire]
en erreur sur ses intentions  » (Cass. 1re civ., 3 févr. 2010) et veille à la juste application de ce principe
(Cass. 1re civ., 24 sept. 2014). L ’objectif est de mettre en place un instrument de police processuelle permettant
de s’assurer de la loyauté des débats. La Cour de cassation a ainsi considéré qu’une partie ne saurait,
après avoir expressément sollicité que l’affaire soit jugée au vu des écritures postérieures à l’ordonnance de
clôture et après que celle-ci a été rapportée, critiquer la révocation de l’ordonnance de clôture (Cass. 2e civ.,
20 oct. 2005). Toutefois, la Cour limite la portée de l’estoppel en contrôlant les conditions de sa mise en
œuvre : « la seule circonstance qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement
une fin de non-recevoir » (Cass. ass. plén., 27 févr. 2009). Enfin, récemment la Cour de cassation a précisé
l’étendue de l’estoppel en considérant que cette dernière n’a pas vocation à s’appliquer aux moyens, mais
seulement aux prétentions (Cass. com., 10 févr. 2015).

2. Une conduite s’imposant au juge


La loyauté n’est pas inconnue du Code de procédure civile. Au-delà de l’arbitrage (CPC, art. 1464),
l’article  763 du Code de procédure civile définit clairement la mission première du juge de la mise en
état : «  L ’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle a été distribuée.
Celui-ci a mission de veiller au déroulement loyal de la procédure, spécialement à la ponctualité de l’échange
des conclusions et de la communication des pièces ». Le juge devra ainsi rechercher pourquoi un rapport

69
d’expertise déposé au greffe du tribunal ne se retrouve pas en appel, dans le dossier transmis à la Cour et
interroger les parties à cet égard (Cass. 2e civ., 11 janv. 2006). Cette référence à la loyauté entre les parties
ne se retrouve exprimée devant aucune autre juridiction, mais elle semble se rattacher assez naturellement

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au principe de la contradiction que « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer » (CPC, art. 16, al.
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

1er). Ainsi, pendant la phase d’instruction de l’affaire, ce qui est attendu du juge de la mise en état, c’est
d’abord qu’il fasse respecter ce principe par les parties en veillant à ce qu’elles échangent leurs conclusions
et se communiquent leurs pièces.
Le juge doit plus généralement veiller au bon déroulement de l’instance (CPC, art. 3), ce qui l’autorise à
impartir les délais et ordonner les mesures nécessaires au respect par les parties de l’obligation qui leur
est faite d’accomplir les actes de procédure qui leur incombent dans les formes et délais requis (CPC,
art. 2). Dans cette perspective, il exerce « tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l’obtention et
à la production des pièces » (CPC, art. 770) et dispose ainsi d’un large éventail d’interventions possibles :
adresser des injonctions, avoir des échanges plus ou moins directifs ou incitatifs, voire adresser aux
parties des admonestations et, ainsi, imprimer un certain rythme à la procédure. Il peut, en outre, prendre
des décisions relatives au cours même de l’instance : ordonner le retrait du rôle (CPC, art. 382 et 383),
lorsque toutes les parties en font la demande écrite et motivée (CPC, art. 763), prononcer la jonction et
la disjonction des instances (CPC, art. 766), ou encore, constater l’extinction de l’instance (CPC, art. 769)
lorsque ses constatations le conduisent à considérer que sont réunies les conditions mises au désistement
ou à l’acquiescement par les articles 397 et 410 du Code de procédure civile.

B - UNE EXIGENCE JURISPRUDENTIELLE EXPLICITE


Dissertation 3

1. Dans l’obtention et l’élaboration des preuves

La preuve des faits est une charge pesant sur les parties, en vertu de l’article 9 du Code de procédure civile,
selon lequel « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa
prétention ». Plaçant la preuve dans la sphère des parties, l’article 9 est le prolongement de l’article 6 du
Code de procédure civile. Mais ce n’est pas tant un droit au profit des parties qu’une charge à leur
détriment, puisque celui qui ne peut prouver son droit perd son procès. Lors de cette tentative de preuve,
les plaideurs doivent respecter un principe de loyauté et s’abstenir de toute fraude ou violence (Cass. soc.,
11 févr. 1981). La loyauté trouve à prospérer sur le terrain de l’administration judiciaire de la preuve.
Les solutions jurisprudentielles sont justifiées par la nécessité d’un procès conforme aux valeurs qui
soutiennent l’organisation sociale. Elles trouvent un écho dans l’article  24 du Code de procédure civile
relatif à l’obligation de réserve des plaideurs. Aussi, une preuve n’est conforme à la loi que si elle a été
obtenue loyalement, c’est-à-dire sans ruses ni stratagèmes.
La loyauté de la preuve n’est pas expressément énoncée par le Code de procédure civile ou par le Code
civil, mais elle s’infère des dispositions de l’article 9 du Code de procédure civile. Aussi, la Cour de cassation
a considéré au visa de « l’article 9 du Code de procédure civile, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le principe de loyauté dans l’administration
de la preuve [...] que l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos
tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve » (Cass. ass. plén., 7
janv. 2011). Dès lors, il n’est pas permis de produire des preuves frauduleusement obtenues, comme une
filature organisée par un employeur au préjudice du salarié (Cass. 2e civ., 17 mars 2016). En revanche, il
est possible de produire un SMS envoyé par la partie adverse dès lors que cette dernière est censée savoir
que ledit SMS est susceptible d’être conservé en mémoire dans le téléphone du destinataire (Cass. 1re civ.,
17 juin 2009), ou d’un message vocal (Cass. soc., 26 févr. 2013).

70
2. Dans le cadre des débats
Les éléments de preuve sont soumis au principe du contradictoire, mais également à une exigence de
loyauté. La contradiction suppose la mise en œuvre de certains moyens, à savoir la production et

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


la communication complète des pièces de l’affaire. Elle combine de ce point de vue deux éléments de
définition. Le premier, l’élément matériel vise la communication de tout document comportant un élément
nouveau dont la connaissance est utile pour la partie concernée (CPC, art. 15). Aussi, selon l’article 132
du Code de procédure civile, « la partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer spontanément à
toute autre partie à l’instance ». Le second, l’élément temporel vise la communication des documents dans
un délai suffisant, compte tenu de la nature de la pièce et du temps du procès, la production d’une pièce
hors délai étant inutile et vue comme le signe d’un manquement au devoir de loyauté dans la procédure.
La jurisprudence se montre particulièrement vigilante au respect de l’exigence de loyauté dans le cadre
des débats. Il en est ainsi, lorsque le plaideur communique ses pièces ou ses conclusions très peu de
temps avant l’ordonnance de clôture et met matériellement son adversaire dans l’impossibilité d’en prendre
connaissance et donc d’y répondre utilement (Cass. ch. mixte, 3 févr. 2006). Toutefois, le juge ne peut
pas écarter des pièces ou des conclusions sans préciser « les circonstances particulières qui ont empêché de
respecter le principe de la contradiction ou caractériser un comportement de leur part contraire à la loyauté des
débats » (Cass. 2e civ., 11 janv. 2006).
La Cour de cassation a solennellement proclamé le principe de loyauté comme principe directeur des
débats, reprenant pour l’affirmer les termes de l’article 16 du Code de procédure civile relatif au principe du
contradictoire. En effet, par une formule proche de ce dernier article, « le juge est tenu de respecter et de faire
respecter la loyauté des débats » (Cass. 1re civ., 7 juin 2005). Elle a fondé le principe de loyauté des débats
sur les dispositions combinées de l’article 3 du Code de procédure civile, « le juge veille au bon déroulement
de l’instance » et de l’article 10 alinéa 1er du Code civil, selon lequel « chacun est tenu d’apporter son concours

Dissertation 3
à la justice en vue de la manifestation de la vérité ». L ’article 16 du Code de procédure civile a ainsi servi
de modèle à la Cour de cassation. En effet, elle a repris la formulation de cet article afin de donner une
visibilité, une reconnaissance, une juridicité au principe de loyauté, qu’il n’avait pas jusqu’alors. Cette
proclamation solennelle, reprenant les termes mêmes de l’article 16 du Code de procédure civile relatif au
principe de la contradiction, témoigne du fait que la loyauté apparaît comme une qualité d’honnêteté dans
le contradictoire.
Le principe de loyauté procédurale tend à acquérir une importance autonome et au-delà du domaine de
la preuve, en tant que fin de non-recevoir d’origine jurisprudentielle pour cause de déloyauté procédurale.
Toutefois, sa qualification de nouveau principe directeur de l’instance, applicable à l’ensemble du procès
civil, est discutée au regard des principes directeurs déjà consacrés par le Code de procédure civile.

II - La résistance d’une application générale du principe


de loyauté de la preuve
La jurisprudence de la Cour de cassation a conduit la doctrine à s’interroger sur le point de savoir si la
loyauté ne devient pas, d’un point de vue normatif, un principe directeur nouveau autonome. Demeure que,
d’un point de vue matériel, le principe de loyauté apparaît comme une déclinaison, une mise en application
des principes contenus dans le Code de procédure civile (A). Néanmoins, la loyauté ne s’applique pas à tous
les procès civils (B).

71
A - L ’ABSENCE DE CONSÉCRATION FORMELLE DE LA LOYAUTÉ COMME PRINCIPE DIRECTEUR

1. L ’incertitude d’un principe autonome

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

En droit positif, les principes directeurs du procès ont la même valeur juridique que les autres dispositions du
Code de procédure civile. Toutefois, ces principes ont un rayonnement naturel devant toutes les juridictions
et en toute matière. De plus, ils ont une vertu directrice afin d’interpréter la loi. L ’enjeu est donc important
de déterminer si le principe de la loyauté est un principe directeur du procès. D’un côté, il y a des hésitations
à donner une portée positive à une notion empreinte de morale. D’un autre côté, et le droit des contrats en
est la meilleure preuve en ce qu’il intègre la notion de bonne foi, la référence à la loyauté peut utilement
tempérer les excès auxquelles conduit parfois une application stricte de la règle. Surtout, le rapprochement
entre les dispositions de l’article 16 du Code de procédure civile et l’arrêt du 7 juin 2005 « affirmant que
le juge est tenu de respecter et de faire respecter la loyauté des débats » suggère une telle interrogation, sans
qu’il soit toutefois possible de fournir une réponse tranchée. En reprenant la même formulation, la Cour de
cassation a pu entendre élever le principe de loyauté au même niveau que le principe du contradictoire, ou
à un degré inférieur en s’inspirant de l’article 16 du Code de procédure civile, comme canevas de la loyauté.
Si certains auteurs ont affirmé l’existence d’un principe général de loyauté procédurale (S. Guinchard, « Le
principe de loyauté », Justices 1999-115 et s.), c’est au prix de difficultés sérieuses, imputables notamment
à d’autres principes directeurs du procès.
L ’article 15 du Code de procédure civile met à la charge des parties l’obligation de se faire connaître les
moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve et les moyens de droit
qu’elles invoquent. La droiture procédurale est donc un comportement attendu des parties, dérivant selon
H. Motulsky, des droits de la défense, et mettant à leur charge une « obligation d’observer un minimum
de loyauté » («  Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle : le respect des droits de la défense
Dissertation 3

en procédure civile », in Mélanges Roubier, Dalloz, n°  16, p. 187). Toutefois, il faut être prudent sur la
vertu autonome de l’idée de loyauté. En effet, H. Motulsky y voyait plutôt un devoir sous-jacent, tout
comme le doyen Carbonnier qui la décrivait comme « latent[e] sous des textes fragmentaires » (« Droit civil.
Introduction », 27e éd., PUF, coll. Thémis, n° 188). Enfin, si G. Cornu et J. Foyer ont nommé la loyauté
comme principe non expressément énoncé, ils la considèrent comme sous-jacente de la contradiction,
des devoirs de la défense et de l’obligation de concourir à la manifestation de la vérité (Cornu et Foyer,
« Procédure civile », Thémis).

2. La certitude d’un principe d’interprétation par le juge


La loyauté ne peut pas être fixée avec des repères objectifs. C’est une concurrence très importante au
principe dispositif et au principe de la contradiction. Or, il est possible de délimiter objectivement les
contours du principe de la contradiction. Toutefois, la loyauté échappe à tout repère objectif, plus encore
peut-être que la bonne foi. En effet, la loyauté revêt assurément une connotation morale majeure, ce qui
rajoute à la difficulté de précision de sa définition. Dès lors, faute d’une définition précise, permettant d’en
cerner les contours, il apparaît délicat d’élever la loyauté au rang de principe directeur du procès en raison
du risque d’insécurité juridique. De plus, les ambiguïtés de la loyauté procédurale résultent de la possibilité
de mettre à l’écart des règles techniques de procédure civile et notamment le principe du contradictoire. En
effet, dans l’arrêt du 7 juin 2005, c’est l’article 445 du Code de procédure civile qui a été mis à l’écart ; dans
l’affaire de 2011, cela a conduit à écarter des moyens de preuve parce qu’ils avaient été obtenus de manière
déloyale, ce qui fait penser à la fraude à la loi (fraus omnia corrumpit). La loyauté permet ainsi d’écarter
l’application de règles qui normalement n’auraient pas dû l’être ; et inversement.
Toutefois, le principe de loyauté sert de principe d’interprétation permettant d’apprécier la mise en œuvre
des autres principes directeurs et de surmonter d’éventuelles défaillances textuelles. Ainsi, le principe de

72
loyauté permet au juge d’apprécier le comportement des parties au regard des principes directeurs du
procès. Cette logique s’inscrit d’ailleurs dans la redéfinition des pouvoirs des parties au procès. En effet, sous
l’impulsion de H. Motulsky, convaincu de la nécessité de « prendre conscience de la part active qui revient au

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juge dans la recherche d’une solution qui certes consiste à trancher des conflits d’intérêts privés, mais à laquelle

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


[…] l’idéal de justice ne saurait rester étranger », les rédacteurs du nouveau Code de procédure civile, issu
du décret du 5 décembre 1975, ont souhaité élaborer un compromis entre accusatoire et inquisitoire, tant
en ce qui concerne le déroulement du procès qu’au regard de la matière du litige qui constitue la substance
même de ce dernier. L ’évolution jurisprudentielle a accru ce bouleversement. Manifestement soucieuse
de la même exigence d’efficacité ou d’efficience, la Cour de cassation a imposé aux parties une nouvelle
obligation de concentration des fondements juridiques ou moyens (Cass. ass. plén., 7 juill. 2006). En
d’autres termes, le demandeur aurait dû, par loyauté, invoquer tous les fondements juridiques en même
temps, dès la première demande. On retrouve ici encore l’argumentaire de H. Motulsky, lui qui a vu dans les
droits de la défense (parmi lesquels, la loyauté procédurale) l’expression d’un droit naturel de la procédure
civile. La transformation de l’office du juge, ajoutée à une analyse de la loyauté lui permettant de déroger
aux principes directeurs du procès civil ou à toute autre règle, permet ainsi d’encadrer strictement les
attitudes procédurales de chaque plaideur.

B - LE REFUS D’APPLICATION DE LA LOYAUTÉ À TOUS LES PROCÈS CIVILS

1. L ’indifférence affirmée en matière de divorce

En matière de divorce pour faute les règles sont particulières, la loyauté ne semble pas trouver application

Dissertation 3
dans le cadre de la recherche de la preuve. Comme tout fait juridique, la preuve de la faute se fait par tous
moyens ; dès lors que le mode de preuve est licite et loyal (C. civ., art. 259). L ’appréciation qu’en fait la Cour
de cassation est assez libérale. En effet, sauf preuve de violence ou de fraude de la part d’un époux (C. civ.,
art. 259-1), elle admet certains modes de preuve qui pourraient être considérés comme des atteintes à la
vie privée. Ainsi, après avoir retenu l’admission d’un journal intime pour prouver l’adultère, elle a retenu
que des relations injurieuses pouvaient être établies par des courriels et un rapport d’enquête privé dont la
valeur probante est appréciée souverainement par les juges du fond, en l’absence de violence ou de fraude
(Cass. 1re civ., 18 mai 2005) ou par SMS (Cass. 1re civ., 17 juin 2009). Plus encore, la Cour de cassation a
admis que la preuve de l’infidélité, cause de divorce, peut être faite par un examen des sangs (Cass. 1re civ.,
28 févr. 2006). Dès lors, la loyauté ne trouve pas sa place dans le cadre de la preuve de la faute cause du
divorce, pas plus d’ailleurs que l’atteinte à la vie privée. La fraude et la violence constituent deux procédés
immoraux d’obtention de la preuve, mais dotés d’un certain degré de gravité dépassant même le principe de
loyauté. Néanmoins, une forme de loyauté se rencontre dans la prohibition de l’audition des descendants.

Les règles posées par l’article  205 du Code de procédure civile, qui prohibe l’audition des descendants,
et 259 du Code civil ont été interprétées avec la plus grande rigueur par la Cour de cassation. Elle a
notamment considéré que la remise par un descendant d’une lettre d’un parent relative aux torts du divorce
équivaut au témoignage prohibé par l’article 205 du Code de procédure civile (Cass. 1re civ., 5 juill. 2001).
Plus récemment, elle a considéré que la prohibition de l’audition des descendants sur les griefs invoqués par
les époux à l’appui d’une demande en divorce s’applique aux déclarations recueillies en dehors de l’instance
en divorce. Dès lors, c’est à bon droit qu’une cour d’appel retient que les déclarations des enfants recueillies
lors d’une enquête de police étrangère à l’instance en divorce ne peuvent être prises en considération (Cass.
1re civ., 1er févr. 2012). L ’objectif est de ne pas placer les enfants dans une situation conflictuelle à l’égard
des parents désirant divorcer, en d’autres termes les descendants doivent adopter une position loyale à
l’égard de leur parent.

73
2. L ’indifférence mesurée en matière de vie privée
En l’absence de fondement textuel spécifique, les juges ont eu recours à divers fondements pour parvenir
à leur objectif. Ainsi, ils ont utilisé les articles 9 et 10 du Code de procédure civile ou l’article 10 du Code

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

civil relatif au droit à la preuve et au rôle des parties. Les droits de la personnalité ont également servi de
fondement, notamment la vie privée. Ainsi, au visa de l’article 9 du Code civil, qui dispose que « chacun a
droit au respect de sa vie privée », les juges ont rejeté les preuves obtenues à l’insu d’une partie. Dès lors, la
Haute cour doit concilier, d’une part, le droit à la preuve et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée. Il
ressort de la jurisprudence que le droit de la preuve ne peut prévaloir, que si les juges du fond ont caractérisé
«  la nécessité de la production litigieuse aux besoins de la défense et sa proportionnalité au but recherché »
(Cass. 1re civ., 16 oct. 2008). Essentiellement, c’est en matière de vie privée du salarié que la jurisprudence
s’est développée. Chacun ayant droit au respect de sa vie privée, selon l’article 9 du Code civil, un salarié
peut être victime d’une atteinte à son droit au respect de la vie privée dans le contexte de la relation de
travail. Il a ainsi déjà été jugé qu’une filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité
d’un salarié constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle implique nécessairement une atteinte à
la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les
intérêts légitimes de l’employeur (Cass. soc., 26 nov. 2002).
Dans le cadre d’une preuve déloyale, le juge doit apprécier souverainement la hiérarchie des droits.
Toutefois, la jurisprudence a pu considérer le droit à la vie privée comme un droit inférieur au droit à
la preuve. Ainsi, un assureur peut recourir à un détective privé pour rapporter la preuve de la fraude de
l’assuré, même si le rapport méconnaît gravement la vie privée (Cass. 1re civ., 31 oct. 2012). Également,
le secret des correspondances peut être sacrifié au profit du droit à la preuve (Cass. 1re civ., 5 avr. 2012).
Néanmoins, le contrôle ne se fait pas toujours en faveur du droit à la preuve. En effet, le moyen déloyal
peut être considéré comme disproportionné et par extension irrecevable (Cass. 1re civ., 14 janv. 2010). Plus
Dissertation 3

récemment, la Cour de cassation a affirmé qu’est illicite le moyen de preuve fondé sur un rapport d’enquête
établi par un détective privé qui a, à la demande de l’employeur, procédé à la filature d’un salarié de la
sortie de son domicile jusqu’à son retour à celui-ci (Cass. 2e civ., 17 mars 2016). Cette enquête devait être
considérée comme un moyen de preuve illicite, comme portant atteinte à la vie privée, et est donc déloyale.

La loyauté en procédure civile a fréquemment été associée au principe de la contradiction. Au point, que
la Cour de cassation a repris à l’identique la formulation de l’article 16 du Code de procédure civile sur
le principe de la contradiction, pour consacrer la loyauté des débats. Ainsi, sous l’impulsion du juge, la
loyauté fait désormais figure de principe incontournable. Si sa consécration est souhaitée par une partie de
la doctrine, le rapport Delmas-Goyon sur le juge du XXIe siècle, de décembre 2013, préconise, dans sa 28e
proposition, de faire de « l’obligation de loyauté des parties […] l’un des principes directeurs de la procédure
civile », suggérant d’ajouter à cet effet un second alinéa à l’article 15 du Code de procédure civile.

74
Sujet

4
DISSERTATION : LE JUGE
ET L’INTANGIBILITÉ DU CONTRAT

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


(ANNALES CONCOURS ENM 2014)

« Contre l’imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l’avenir, le remède se trouve dans la faculté de
faire et de tenir des promesses » ! Tel serait, du point de vue de l’action, l’un des aspects de la condition
de l’homme moderne pour Hannah Arendt. (H. Arendt, Condition de l’homme moderne, 1983, Calmann-
Lévy, p. 302). Faire et tenir des promesses, donner sa parole, s’engager par contrat, exécuter ses obligations,
sans retour en arrière, sans se dédire, ni fauter. Le contrat est intangible et oblige ; le juge est le garant du
respect de la parole donnée.
Dans le Code civil de 1804 comme dans celui d’aujourd’hui, pourtant grandement réformé par l’ordonnance
du 10  février 2016 et la loi de ratification du 20 avril 2018, le contrat est défini par l’article 1101 du
Code civil par son objet et sa fonction : il oblige et pour ce faire, il sert d’instrumentum à la création, la
transmission et l’extension des obligations des parties au contrat. L ’obligatoriété contractuelle découle
directement du nouvel article  1103 du Code civil, lequel rappelle que les obligations contractuelles ont
l’intensité des obligations légales pour les contractants. Ce principe resterait pourtant lettre morte, sans

Dissertation 4
son corollaire, son complément : l’intangibilité contractuelle. En effet, l’intangibilité du contrat renvoie
alors à la constance, à la fixité et à l’irrévocabilité de la parole donnée. L ’intangibilité du contrat est un
principe immédiatement subséquent aux principes de l’autonomie de la volonté et de la force obligatoire
des conventions qui dominent la matière contractuelle. Obliger n’est pas obliger, si l’on peut se dédire ou
modifier le contrat unilatéralement. C’est en substance le sens de l’article 1193 du Code civil aux termes
duquel : « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou
pour les causes que la loi autorise ». Ce texte constitue désormais le premier article du Code civil réformé
relatif aux effets du contrat, ce qui souligne à la fois son importance et sa portée. Dès lors, au nom de la
sécurité normative et contractuelle, la convention est intangible dans les termes stipulés et tout au long
de l’exécution de la convention jusqu’à sa terminaison. Cette intangibilité contractuelle s’impose tant aux
parties qu’au juge, qui se trouve le garant de l’exécution de la convention et, le cas échéant, en charge de
son interprétation. Longtemps, ce principe a été mis en œuvre avec force par le juge.
Cependant, l’évolution de la vie des affaires et la multiplication des contrats perdurant dans le temps
comme des contrats déséquilibrés ont conduit à une redéfinition de l’intensité de ce principe. Ainsi, et
bien qu’il s’agisse d’un principe directeur du droit des contrats, l’intangibilité conventionnelle n’est pas
absolue. Il appartient au juge de concilier ce principe avec des impératifs de justice contractuelle, issus de
la loi comme d’une jurisprudence protectrice des intérêts des contractants, notamment des plus faibles. Cet
équilibre est le fruit d’une longue évolution et d'une maturation du droit des contrats sous la plume du juge,
et désormais sous l’égide de la loi, puisqu’il se situe au cœur de la réforme du droit des contrats de 2016 et
de la loi de ratification de 2018.
Aussi convient-il de mettre en rapport le juge confronté à la vigueur traditionnelle de l’intangibilité
conventionnelle (I) et la pondération contemporaine de l’intangibilité contractuelle (II).

75
I - La vigueur traditionnelle de l’intangibilité conventionnelle au nom
de la sécurité contractuelle

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

Si le contrat oblige telle la loi entre les parties, c’est en raison non seulement du principe de l’autonomie de
la volonté, mais aussi eu égard à la confiance que chaque contractant doit avoir dans l’idée que le contrat
sera exécuté tel qu’il a été voulu et convenu. Partant, le principe de l’intangibilité contractuelle constitue
une garantie au service de la sécurité juridique, s’imposant aux parties (A), mais également au juge (B).

A - L ’INTANGIBILITÉ DU CONTRAT S’IMPOSANT AUX PARTIES

L ’exécution du contrat doit se réaliser conformément à la volonté initiale des parties (1) ; seul leur accord
et/ou leur pratique peut modifier le contenu du contrat (2).

1. Le respect de la volonté des parties


Le principe de la liberté contractuelle domine l’élaboration du contrat jusqu’à sa conclusion. Formé, le
contrat devient obligatoire pour les parties ; tel est le principe de la force obligatoire des conventions,
désormais principe directeur, intégré aux dispositions générales du droit des contrats, dans le Code civil,
depuis la réforme de la matière en 2016 et en 2018. La phase d’exécution des conventions est ainsi dominée
par l’obligatoriété du contenu contractuel. Demeure la nécessité de connaître précisément quel est ce
contenu : les obligations qui lient les parties sont, par principe, de la conclusion du contrat jusqu’à son
exécution et sa terminaison, les obligations qui ont été voulues par les parties. Autrement dit, au cours de
la phase d’exécution, la volonté est immuable par principe, et les obligations contractuelles intangibles.
Par la conclusion du contrat, les parties renoncent à leur liberté contractuelle. Ainsi et, a priori, le contrat
Dissertation 4

n’oblige que dans la mesure de la volonté des contractants. Le contenu contractuel résulte d’abord de la
convention elle-même : de ce qui figurait dans l’offre, et ce qui a été accepté. Naturellement, si le contrat
est écrit, le contenu contractuel résulte de la lettre de la convention. Sauf contrat solennel, l’écrit vaut ad
probationem et non ad validitatem. Lorsque le contrat n’est pas écrit, la preuve des obligations est plus
difficile à rapporter.
En toutes hypothèses, l’intangibilité contractuelle implique l’exécution de ce qui a été convenu et tout
ce qui a été convenu entre les parties et ce, jusqu’à la terminaison du contrat. À ce titre, il convient de
faire une différence entre les contrats à durée indéterminée et les contrats à durée déterminée. Quant
à ces derniers, le principe d’intangibilité contractuelle est quasi-absolu. Les parties ne peuvent remettre
en cause la convention de manière unilatérale. Le contrat ne saurait prendre fin par la volonté d’un seul
avant son terme (C. civ., art. 1212). Il existe néanmoins une exception, d’origine prétorienne (Cass. 1re civ.,
13 oct. 1998 ; Cass. 1re civ., 28 oct. 2003), désormais légale : la résiliation unilatérale anticipée du nouvel
article 1226 du Code civil, lequel prévoit, en son alinéa 1er, que « Le créancier peut, à ses risques et périls,
résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur
défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable ». Quant au contrat à durée indéterminée,
dès lors que les engagements perpétuels sont prohibés (jurisprudence constante consacrée par la réforme
du droit des contrats à l’article 1210 du Code civil), chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous
réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable (C. civ.,
art. 1211).
Dans certaines matières, cependant, il est fait exception au principe d’intangibilité contractuelle si
fortement ancré en droit civil. Tel est le cas, en droit de la consommation, notamment dans le cadre de la
conclusion de contrats conclus à distance, le consommateur bénéficie d’un droit de rétractation permettant
la remise en cause unilatérale du contrat après sa conclusion. À l’opposé, dans d’autres matières, le principe
d’intangibilité contractuelle est renforcé dans sa mise en œuvre. Ainsi, en droit du travail, matière dans

76
laquelle le licenciement est fortement encadré, l’employeur ne peut mettre fin à un contrat de travail à
durée indéterminée sans entrer dans l’un des cas de figure prévue par la loi spéciale.
En droit des obligations, l’intangibilité contractuelle implique que la volonté commune des parties soit

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


respectée ; elle s’impose non seulement aux parties, mais encore se trouve garantie par le juge. La seule
limite à cette obligation de respecter la volonté initiale des parties consiste dans la modification du contrat
par les parties elles-mêmes.

2. La modification de la volonté des parties

Le nouvel article 1193 du Code civil dispose à l’instar de l’ancien article 1134 alinéa 2 du Code de 1804
que « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour
les causes que la loi autorise ». Ce texte n’exprime qu’indirectement le principe d’intangibilité contractuelle
et son importance ; pourtant, il en révèle une signification évidente  : seul l’accord de toutes les parties
au contrat peut entraîner une modification des termes du contrat ou y mettre fin (exception faite de
l’application de dispositions spéciales, comme en droit social, relativement au licenciement économique
par exemple). Autrement dit, la volonté unilatérale d’un contractant ne peut modifier le contrat.
Le mutuus dissensus constitue une solution extrême, souvent utilisée par les contractants qui veulent
modifier leur convention initiale, et ne souhaitent pas la moindre ambiguïté du point de vue de la sécurité
juridique. Ils mettent alors fin au contrat, pour convenir d’une nouvelle convention. Demeure que les
parties peuvent, en principe, librement en modifier les termes. Le plus souvent, dans cette hypothèse, elles
procéderont par un avenant au contrat initial. Il s’agit d’un nouvel accord de volonté, mais accessoire au
contrat de base. Cet acte modificatif doit suivre les conditions de fond et de forme du contrat initial. En
principe, ces avenants ne concernent que l’avenir à moins que les parties lui confèrent un effet rétroactif.

Dissertation 4
Le contrat modifié devient aussi intangible que le contrat initial l’était. Le juge est tenu non seulement
par la volonté initiale des parties, mais encore par leur volonté modificative. Au titre de l’intensité de la
modification de la convention, il faut distinguer la simple modification de la novation de contrat. Dans le
cas où la modification des parties se voudrait très importante, notamment, si les parties entendent changer
la qualification du contrat, il ne peut plus s’agir d’une simple modification, mais d’un nouveau contrat
(Cass. soc., 7 juill. 1988 : transformation d’un contrat de travail en mandat social). Il s’agit alors d’une
novation au sens des articles 1329 et suivants du Code civil.
Plus complexe et plus subtile est la question de la modification du contrat par la pratique des parties. Source
d’un abondant contentieux, l’hypothèse oppose la lettre du contrat et les usages des parties contractantes
au cours de l’exécution de la convention. Doit-on considérer que le principe d’intangibilité contractuelle
n’est pas seulement matériel, mais également formel ? Faut-il considérer que la lettre de la convention, le
contrat écrit, est intangible, ou faut-il, au contraire, considérer que le contrat même écrit est modifié par
la pratique des contractants ? La jurisprudence de la Cour de cassation est sans ambages : le contenu du
contrat peut être dicté par le comportement des parties et la pratique qui les unit. Ainsi, des contractants qui
sont habituellement en relation peuvent développer certains usages qui leur sont propres. Leur répétition
peut les faire entrer dans le champ contractuel et leur conférer un caractère obligatoire (Cass. com., 18 mai
2016, à propos des relations entre une banque et son client, la banque offrait davantage de services au
client que ce que la convention des parties ne prévoyait. Par suite, la banque ne peut se retrancher derrière
la lettre du contrat de banque pour refuser lesdits services à l’avenir).
La volonté des parties est intangible à moins que les contractants n’en décident autrement ; c’est le sens de
l’intangibilité contractuelle, principe qui s’impose au premier chef aux parties. Cependant, l’intangibilité
contractuelle ne limite pas seulement la liberté des parties, elle s’impose également au juge, limitant son
action, son immixtion dans la relation contractuelle.

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B - L ’INTANGIBILITÉ DU CONTRAT LIMITANT L’ACTION DU JUGE

Garant de la force obligatoire des conventions, le juge se trouve, comme les parties, lié par le principe

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subséquent de l’intangibilité du contrat. Même invité par les parties à interpréter leur volonté et leur
contrat, le juge ne saurait franchir la barrière érigée par le principe de l’intangibilité (1). Néanmoins, le juge
a parfois dû alimenter le contrat, ajoutant à la volonté des parties (2).

1. L ’interprétation contrôlée du contrat par le juge


Les hypothèses dans lesquelles le juge est appelé à interpréter le contrat des parties sont nombreuses,
soit que les parties n’ont pas convenu de leurs obligations par écrit et qu’elles ne s’entendent pas lors de
l’exécution sur ce qu’elles croyaient être clair, soit qu’elles ont rédigé un écrit, et ne s’entendent pas elles-
mêmes sur l’interprétation d’une ou plusieurs stipulations. L ’exemple le plus topique en matière contractuelle
est relatif à la détermination de l’intensité des obligations stipulées : obligation de moyens ou de résultat.
La Cour de cassation a dû, à ce titre, développer une jurisprudence pour éclairer et conduire l’analyse des
juges du fond (Cass. 1re civ., 14 janv. 2016, à propos de l’obligation de ponctualité de résultat de la SNCF).
De manière plus générale, il est étonnant de constater que le Code civil, qui ne prévoit aucune disposition
relative à l’interprétation de la loi par le juge, impose à ce dernier une véritable méthode d’interprétation
des conventions. L ’imposition par la loi d’une telle grille d’interprétation s’explique de la combinaison à
la fois du principe de l’autonomie de la volonté et de la sécurité contractuelle ; plus précisément, c’est le
principe d’intangibilité contractuelle qui justifie le respect et la précision des articles 1188 et suivants du
Code civil. Si l’interprétation du juge est nécessaire, son immixtion demeure empêchée par ces dispositions.
L ’article 1188 alinéa 1er incline définitivement en ce sens en commandant au juge de prendre en compte
comme premier critère d’interprétation et d’analyse judiciaire des contrats, la commune intention des
Dissertation 4

parties. Encore, l’article 1189 alinéa 1er du Code civil interdit la subjectivité du juge pour rechercher la
cohérence contractuelle.
Ce ne sont pas là les seuls commandements faits au juge quant au respect de l’intangibilité contractuelle
puisque l’article 1192 du Code civil dispose, sous forme de sentence, que « On ne peut interpréter les
clauses claires et précises à peine de dénaturation ». Est ainsi rappelé implicitement le rôle joué par la
Cour de cassation : l’interprétation relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, mais la Cour
régulatrice exerce son contrôle de la dénaturation des clauses claires et précises.
S’il ne peut contredire la volonté des parties, contrevenir à la lettre et au sens du contrat, dénaturer son
contenu, le juge peut imposer des obligations non écrites aux contractants, conformément à l’objectif initial
d’une bonne exécution de la convention.

2. La découverte progressive d’obligations par le juge


Dans le célèbre arrêt Canal de Craponne (Cass. civ., 6 mars 1876), la Cour de cassation a révélé la plus
importante des manifestations du principe d’intangibilité contractuelle à l’égard du juge : il ne saurait
substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement convenues, y compris même dans les
hypothèses où l’équité commanderait une telle substitution. Le juge ne saurait censurer la volonté des
contractants ; encore moins peut-il remplacer celle-ci par la sienne propre. Sans enfreindre cette limite
posée tant par le principe légal d’intangibilité que par sa propre jurisprudence, le juge s’est néanmoins
quelque peu émancipé de carcans trop rigide, lui interdisant toute immixtion dans la relation contractuelle.
Le juge a fait preuve de ce l’on pourrait considérer être une interprétation créative : si le juge ne revient
pas, sans fondement légal, sur le contenu du contrat voulu par les parties, il a parfois ajouté des obligations
non stipulées à la charge des contractants.

78
La découverte par le juge d’obligations à la charge des contractants n’est pas chose nouvelle. Le mouvement
a été initié par la Cour de cassation dès le début du XXe siècle. Sur le fondement de l’ancien article 1135
du Code civil, le nouvel article 1194, lequel dispose que « Les contrats obligent non seulement à ce qui

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y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi », la Cour de

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cassation a créé une obligation de sécurité à la charge des transporteurs de personnes d’abord (Cass. civ.,
21 nov. 1911), des exploitants d’activités sportives et/ou de loisirs ensuite (Cass. 1re civ., 15 déc. 2011),
et même à la charge d’exploitant d’enceinte d’accueil de personnes (Cass. 1re civ., 18 juin 2014, à propos
d’une association étudiante quant à l’organisation d’une soirée ; Cass. 1re civ., 17 févr. 2016, à propos
d’un hôtelier). Au centre de cette création jurisprudentielle, par laquelle le juge ajoute au contrat, dont
l’intangibilité devient relative, se trouve la volonté judiciaire d’offrir un mécanisme de réparation en cas de
dommages corporels. Le même fondement a servi à la création d’autres obligations matérielles implicites
dans des contrats particuliers aux fins de donner à la convention une cohérence quant à sa nature et son
exécution. C’est le cas notamment des obligations de conseil et de renseignement à la charge de certains
professionnels comme les banquiers et courtiers, obligations qui sont aujourd’hui le plus souvent consacrées
par le droit spécial.
Encore, c’est sur le fondement de l’ancien article 1134 alinéa 3 du Code civil, le nouvel article 1104 du
code réformé, c’est-à-dire sur le fondement de l’obligation générale de bonne foi, que l’œuvre créatrice du
juge s’est pleinement exprimée. Sur ce fondement, le juge a édifié un quasi-code de conduite contractuel
à la charge des parties, notamment dans les contrats déséquilibrés, visant à réguler et sanctionner les
comportements des contractants. En ajoutant à la convention de telles obligations comportementales non
déterminées par les parties, le juge s’est offert un moyen de critique nouveau de l’attitude des contractants.
Il ne s’est pas contenté de sanctionner la mauvaise foi et la déloyauté, il a également porté l’idée de
Demogue (R. Demogue, Traité des obligations en général, 1923-1933, particulièrement le tome  VI,

Dissertation 4
p. 17 et s.), que l’obligation de bonne foi pouvait avoir une dimension positive. Concrètement, le juge a
dégagé un certain nombre d’obligations imposant aux parties des actes et comportements actifs, telles que
l’obligation d’information (Cass. 1re civ., 23 janv. 1996 : les juges décident que l’abonné qui constate qu’il
ne reçoit pas de factures du distributeur d’eaux doit avertir ce dernier), l’obligation de loyauté (Cass. com.,
5 oct. 2004, Rover), l’obligation de tolérance (Cass. 3e civ., 15 déc. 1976), l’obligation de collaboration et
l’obligation de coopération (Cass. com., 8 déc. 2002) ; de même, certains principes émergents en matière
contractuelle, qui relèvent également de cette construction  : il en est ainsi des principes de cohérence
(Cass. com., 8 mars 2005) et de proportionnalité (Cass. 3e civ., 21 mars 2012). La question de l’atteinte au
principe d’intangibilité s’est posée lorsque ce mouvement s’est orienté vers la thèse solidariste développée
par certains auteurs (Ch. Jamin, «  Plaidoyer pour le solidarisme contractuel  », in Le contrat au début
du XXIe siècle, Études offertes à J. Ghestin, LGDJ 2001 ; D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité, la
nouvelle devise contractuelle ? », in L ’avenir du droit, Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz, 1999).
Cependant, cette thèse du solidarisme contractuel, après avoir séduit le juge a été abandonnée, tant elle
entraînait un dévoiement de l’obligation de bonne foi, mais aussi du principe d’intangibilité contractuelle :
elle devait conduire dans l’esprit de ses auteurs au sacrifice des droits de la partie forte en faveur de la
partie faible, une sorte de rééquilibrage économique par le déséquilibre juridique. La Cour de cassation a
mis définitivement fin à ce mouvement dans l’important arrêt Les Maréchaux (Cass. com., 10 juill. 2007,
jurisprudence heureusement constante depuis, par. ex. Cass. 3e civ., 26 mars 2013 ; Cass. com., 14 sept. 2016 ;
Cass. com., 2 nov. 2016). Affirmant que le créancier, même de mauvaise foi, demeure créancier, la Haute
juridiction rappelle les principes premiers que sont la force obligatoire des conventions et l’intangibilité
contractuelle, pour mesurer l’extension de l’obligation de bonne foi. Autrement dit, la Cour régulatrice ne
renonce pas aux développements d’obligations comportementales de loyauté et de bonne foi (par ailleurs,
mouvement définitivement consacré par la réforme de 2016 aux articles 1104 et 1112 du Code civil), mais
réaffirme le nécessaire et préalable respect de l’intangibilité du contrat et des obligations convenues par les
parties, y compris en cas de mauvaise foi.

79
Le juge est donc le garant du respect du contrat tel que voulu par les parties. Cependant, il s’est
progressivement autorisé à alimenter la convention, porter des obligations nouvelles, dépassant quelque
peu les limites fixées par la conception traditionnelle du principe d’intangibilité. Il a ainsi cherché et trouvé

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un savant équilibre entre les impératifs en apparence antagoniste de sécurité et justice contractuelles.
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

II - La pondération contemporaine de l’intangibilité conventionnelle


au nom de la justice contractuelle
Si le principe de l’autonomie de la volonté, la liberté contractuelle et la force obligatoire des conventions
demeurent les socles normatifs et matériels de la matière contractuelle, il n’en demeure pas moins
qu’ils ont été relativisés en jurisprudence au xxe siècle, et dans la réforme du droit des contrats du xxie.
Subséquemment, c’est le principe de l’intangibilité contractuelle qui a été mesuré par le juge et la loi,
tant, de manière générale, au nom de l’équilibre conventionnel (A), que, de manière ponctuelle, en cas
d’imprévision (B).

A - L ’INTANGIBILITÉ DU CONTRAT MESURÉE AU NOM DE L’ÉQUILIBRE CONVENTIONNEL

La société économique a évolué depuis 1804 ; la pratique contractuelle également. Le Code civil postulait
une certaine égalité « de force » entre les parties lors de la formation et l’exécution des conventions. Mais
à la fin du XIXe siècle, avec la société de l’industrie, surtout, dans la seconde moitié du XXe siècle, avec
l’avènement de la société de consommation, les contrats déséquilibrés sont devenus « la norme ». Le droit
Dissertation 4

commun des contrats du Code civil de 1804 a été adapté par le juge et dans la réforme, permettant tant la
critique du contenu conventionnel (1), que la remise en cause du contrat (2).

1. La critique du contenu contractuel


Depuis la réforme du droit des contrats pratiquée par l’ordonnance du 10 février 2016, la notion de contenu
contractuel se réfère tout aussi bien aux conditions de validité du contrat (C. civ., art. 1128), qui renvoie
à l’exigence d’un contenu licite (C. civ., art. 1162), qu’aux obligations qui sont l’assiette des principes de la
force obligatoire et d’intangibilité du contrat, principes qui s’appliquent tant aux parties qu’au juge. Pourtant,
l’intangibilité contractuelle a été relativisée au nom de la justice contractuelle. Déjà, en 1804, il en était
ainsi dans des cas limitativement énumérés par la loi, en cas de lésion (C. civ., art. 1118 anc. / art. 1674
nouv.). Depuis la réforme, le juge se trouve doté de pouvoirs afin de critiquer un contenu contractuel
déséquilibré.
De tels déséquilibres se sont particulièrement illustrés dans les rapports fournisseur-distributeur établis
sur le fondement de contrats de distribution. Longtemps, la Cour de cassation a empêché le fournisseur,
réputé fort, d’imposer sa volonté au distributeur, réputé faible, notamment en exigeant un prix négocié,
déterminé ou déterminable (Cass. com., 27 avril 1971). Cependant, une telle solution constituait un frein
au développement économique, de sorte que la Cour régulatrice a porté une solution plus souple, tout
en maintenant sa volonté de protéger la partie faible à la convention : si le fournisseur est libre de fixer
unilatéralement le prix de vente lors de chaque cession, le juge est susceptible d’exercer un contrôle a
posteriori sur le fondement de l’abus (Cass. ass. plén., 1er déc. 1995). Cette solution a été consacrée par la
réforme du droit des contrats à l’article 1164 du Code civil.
Au-delà du prix, ce sont les clauses elles-mêmes qui peuvent être l’objet de la critique judiciaire. Dans
un premier temps, c’est surtout les clauses visant à l’aménagement de la responsabilité contractuelle.

80
Un pouvoir de révision judiciaire en cas d’excès lui est conféré par la loi en matière de clauses pénales
dès avant la réforme du droit des contrats (C. civ., art. 1152 anc. / art. 1231-5 nouv.). Au terme d’une
construction jurisprudentielle importante, partant de l’arrêt Chronopost I (Cass. com., 22 oct. 1996) jusqu’à

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l’arrêt Faurecia II (Cass. com., 29 juin 2010), les juges ont neutralisé, sur le fondement de la cause, les

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


clauses limitatives et exonératoires de responsabilité par trop déséquilibrées. Cette jurisprudence a depuis
été consacrée par la réforme de 2016, à l’article 1170 du code.
Enfin, sinon surtout, la prohibition des clauses abusives, d’abord, en droit de la consommation
(C. consom., art. L. 212-1, anc. art. L. 132-1), ensuite dans le Code de commerce (C. com., art. L. 442-6,
I, 2°, et désormais en droit commun (C. civ., art. 1171), offre un pouvoir considérable de critique sinon
de réfaction du contrat par le juge. Naturellement, le terrain de prédilection de la prohibition des clauses
abusives en droit commun est cantonné aux contrats d’adhésion (C. civ., art. 1110). Le nouvel article 1171,
alinéa 1er dispose, à cet effet, que «  Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre
significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». Ainsi, dans les
principaux contrats déséquilibrés, parce que non négociés, le juge a le pouvoir de priver d’effet, les clauses
qui imposées par le fort au faible, organisent le déséquilibre au profit du premier au détriment du second.
La réforme du droit des contrats a non seulement offert de nouveaux moyens d’action pour le juge de lutter
contre les déséquilibres contractuels, mais elle lui accorde aussi davantage de pouvoirs dans le cadre de la
restauration des équilibres conventionnels en cas d’inexécution contractuelle.

2. La remise en cause du contrat


Le principe de l’intangibilité contractuelle dont le juge est le garant, implique que ce dernier doit, lorsque
cela est nécessaire, forcer l’exécution de la convention, dans le respect de la loi. À moins que les parties n’en

Dissertation 4
aient décidé ensemble le contraire (mutuus dissensus), la convention doit être exécutée dans les termes
des contractants. En cas d’inexécution contractuelle, le juge doit, parmi l’arsenal de sanctions judiciaires,
rechercher la sanction la mieux disante dans cette perspective (Cass. com., 1er juill. 1980 : le juge préférera
par exemple le remplacement de la chose viciée plutôt que la résolution de la vente – il s’agit d’ailleurs d’un
usage en matière commerciale).
Cependant, cette vocation propre à respecter et faire respecter la force obligatoire des conventions et
l’intangibilité contractuelle est parfois contrariée au nom de la justice et de l’équilibre contractuel. C’est le
cas dans la jurisprudence récente dans l’hypothèse des groupes de contrat, d’interdépendance contractuelle.
Les groupes de contrats ou ensembles contractuels ne sont nullement envisagés dans le Code civil de 1804 ;
à raison, ce sont des créations de la pratique du XXe siècle. L ’hypothèse du crédit-bail comme celle de la
location financière sont topiques de ce phénomène. À charge pour le juge de répondre à la question de
l’impact de l’interdépendance entre les conventions d’un même ensemble sur les principes d’intangibilité
et de relativité conventionnelles. Autrement dit, dans le cas où l’une des conventions de l’ensemble serait
anéantie, quel est le sort réservé aux autres contrats du même ensemble ? D’abord, en matière de crédit-
bail (Cass. ch. mixte, 23 nov. 1990, 2 arrêts), ensuite et surtout, en matière de location financière (Cass.
ch. mixte, 17  mai 2013, 2 arrêts), la Cour de cassation a choisi de prendre en considération l’équilibre
économique de l’ensemble plutôt que les stipulations des parties, pour lier le sort des contrats appartenant
à un même groupe. C’est ainsi que dans l’un des arrêts de 2013, la Haute juridiction a décidé que « les
contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière,
sont interdépendants  ; (…) sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette
interdépendance » (Cass. ch. mixte, 17 mai 2013). Cette solution a été consacrée par la réforme du droit
des contrats (C. civ., art. 1186, alinéa 2).
Encore, longtemps, la Cour de cassation a poussé le principe d’intangibilité contractuelle à son paroxysme
dans une hypothèse bien particulière. Ainsi, jugé, en application de l’ancien 1184 du Code civil que,

81
au seul constat qu’une construction était inférieure de 33 centimètres en hauteur par rapport aux prévisions
d’un contrat d’entreprise, un maître de l’ouvrage pouvait obtenir du juge qu’il impose à l’entrepreneur et aux
frais de ce dernier la démolition intégrale et la reconstruction dans le respect du contrat conclu (Cass. 3e civ.,

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11 mai 2005 : « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut forcer l’autre à l’exécution de
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

la convention lorsqu’elle est possible »). Cette solution en parfaite adéquation avec le principe d’intangibilité
a cependant été brisée par la réforme du droit des contrats. En effet, le nouvel article 1221 du Code civil
(modifié une première fois en 2016, puis une seconde fois en 2018) dispose désormais que « Le créancier
d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution
est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour
le créancier ». Autrement dit, le juge est appelé à préférer la cohérence et la proportionnalité à l’exécution
forcée de la convention, appelé à préférer l’équilibre et la logique économique à une intangibilité seulement
juridique.
La lutte contre les déséquilibres contractuels comme la recherche d’une juste exécution conventionnelle
sont au cœur des nouvelles missions du juge en droit des contrats. Se conçoit aisément l’idée que le juge
cherche à remédier à l’imprévision et ses conséquences pour la partie faible au contrat.

B - L ’INTANGIBILITÉ DU CONTRAT MESURÉE EN CAS D’IMPRÉVISION

Malgré le principe d’intangibilité contractuelle, la jurisprudence d’abord (1), la loi finalement (2) ont
contribué à lutter contre les déséquilibres contractuels survenus en cours d’exécution de la convention en
raison d’un bouleversement économique extérieur.

1. Le dépassement de la jurisprudence
Dissertation 4

L ’imprévision est topique du déséquilibre contractuel. À la différence des hypothèses précédentes, le


déséquilibre ne tient pas à la différence de qualité des parties, mais à un bouleversement économique
extérieur. Cette hypothèse n’était pas envisagée dans le Code civil de 1804, lequel ignorait dans une large
mesure les contrats destinés à perdurer dans le temps. Le contrat est formé par les parties en considération
d’une situation économique donnée, cependant, au cours de la phase d’exécution, une évolution des
circonstances économiques a pour conséquence de rendre l’exécution du contrat excessivement onéreuse
pour l’une des parties. Celle-ci espère alors la fin du contrat ou sa révision.
Mais, en vertu du principe d’intangibilité contractuelle, la réponse judiciaire première et évidente a toujours
été d’ordonner de continuer à exécuter conformément à la convention des parties et aux termes initiaux.
C’est le sens de l’arrêt Canal de Craponne qui conduit à refuser au juge le pouvoir de réviser le contrat
en cas d’imprévision (Cass. civ., 6 mars 1876). L ’intervention du juge pour rééquilibrer le contrat serait
pourtant équitable, mais elle ne saurait avoir lieu en raison du principe d’intangibilité (la solution contraire
est portée par le juge administratif, qui révise le prix des contrats administratifs en cas d’imprévision depuis
le célèbre arrêt Cie générale d’éclairage de Bordeaux, CE, 30 mars 1916).
Sans revenir sur le refus de la révision judiciaire pour imprévision, le juge judiciaire a recherché d’autres
remèdes en cas d’imprévision au nom de la justice contractuelle. Deux fondements classiques du droit
commun des obligations ont ainsi été revisités par la Cour de cassation pour servir d’éventuels remèdes
et d’instruments de rééquilibrage du contrat. D’abord, à la fin du XXe siècle, alors que la doctrine porte
l’idée du solidarisme contractuel, la Haute juridiction entend, au nom de l’obligation générale de bonne
foi (C. civ., art. 1134, alinéa  3 anc. / art. 1104 nouv.), imposer une obligation de renégociation en cas
d’imprévision, y compris en l’absence de clause dite de « hardship », pesant sur celui qui ne supporte pas
le coût du bouleversement économique, afin de permettre à son cocontractant de poursuivre utilement

82
le contrat (Cass. com., 3 nov. 1992, Huard  ; Cass. com., 24 nov. 1998, Chevassus-Marche). Cependant,
le glas sonné du solidarisme a mis un terme à cette idée d’une obligation de renégociation imposée,
dont la portée était tout de même limitée, car aucune certitude quant à la bonne fin de la renégociation

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ne pouvait être garantie. Encore, sur le fondement de la cause de l’ancien article  1131 du Code civil,

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


la Cour régulatrice a ouvert la voie à la caducité du contrat en cas d’imprévision (Cass. com., 29  juin
2010, Soffimat). Cependant, les incertitudes et critiques entourant la notion de cause, comme la réforme
alors à venir du droit des contrats, avaient conduit à enterrer cette construction prétorienne tout juste
naissante.
Aussi, les louables, cependant vains efforts prétoriens, ont été suppléés par la réforme du droit des contrats
qui est loin d’aboutir à une solution satisfaisante en cas d’imprévision.

2. La révision pour imprévision dans la réforme du droit des contrats


Comme le juge, le législateur a recherché une solution à l’imprévision contractuelle. Pris en compte les
objectifs de justice et d’équilibre contractuels qui imprègnent la réforme du droit des contrats, il n’y a nul
étonnement à constater qu’un dispositif a été réservé à cette hypothèse ; cependant, l’article 1195 nouveau
en question (on ne manquera pas de remarquer qu’il est disposé à la suite quasi-immédiate de l’article 1193
lequel prévoit le principe d’intangibilité contractuelle) se révèle certes révolutionnaire du point de vue du
principe d’intangibilité, mais à de nombreux égards décevant du point de vue de son efficience. Il suffit d’en
analyser les termes de la quasi-procédure mise en place pour s’en convaincre.
Le premier alinéa de l’article 1195 du Code civil propose, in limine, une définition de l’imprévision
soulignant que le bouleversement économique à l’origine de l’imprévision doit rendre excessivement
onéreuse l’exécution des obligations prévues au contrat pour l’une des parties qui n’en a pas accepté le
risque. L ’ambition d’une définition est louable  ; la substance est critiquable  dès lors que la référence à

Dissertation 4
l’excès est incertaine et source elle-même de contentieux (alors qu’à ce stade, le juge ne saurait être saisi).
In fine, l’alinéa 1er de l’article 1195 du Code civil prévoit que celui qui subit l’imprévision peut demander la
renégociation du contrat à l’autre partie, tout en devant continuer à exécuter la convention. La prescription
est sans intérêt, sans utilité : tout contractant peut demander la renégociation du contrat à l’autre partie,
soit une modification de la convention (par exemple, un salarié qui demande une augmentation de salaire
à son employeur) ; tout contractant est tenu de poursuivre l’exécution de la convention, une fois celle-ci
conclue. En n’obligeant pas l’autre partie à accepter la renégociation, le dispositif mis en place se limite
finalement à rappeler le principe d’intangibilité contractuelle.
Le second alinéa n’offre guère de perspectives d’efficience de la loi en cas d’imprévision. En effet, le
dispositif reprend en soulignant que les parties peuvent mettre fin au contrat d’un commun accord en
cas d’imprévision ; le texte rappelle donc inutilement le mutuus dissensus, stricte application du principe
d’intangibilité. La relativisation du principe résonne davantage à la suite de la lecture du second alinéa de
l’article 1195 du Code civil. Les parties peuvent ensemble demander au juge de fixer le nouveau prix au
contrat (les juges n’auraient pas réussi à se mettre d’accord sur ce prix, qu’elles demanderaient au juge de
le déterminer), ce qui revient à rappeler une pratique connue, celle du tiers estimateur. L ’apport du texte
se révèle toujours aussi résiduel. La véritable nouveauté intervint à l’issue de ce long processus : si les
étapes précédentes n’ont pas heureusement abouti, la partie qui subit l’imprévision peut unilatéralement
demander au juge, de mettre fin au contrat ou de le réviser. Ainsi, finalement, la réforme du droit des
contrats porte une réelle atteinte au principe d’intangibilité contractuelle, en permettant, au terme d’un
processus peu pertinent, au juge judiciaire de réviser le contrat en cas d’imprévision, brisant (au moins
partiellement) la jurisprudence Canal de Craponne.

83
L ’intangibilité contractuelle demeure un principe essentiel de la matière contractuelle. Justifiée tant par
l’obligatoriété des conventions que par l’impératif de sécurité contractuelle, l’intangibilité du contrat est,
depuis la réforme du droit des contrats, à géométrie et intensité variables. L ’intangibilité constitue un

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principe qui reçoit exception, en vertu des nouveaux mécanismes du Code civil, au nom d’une justice
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

contractuelle, entendue comme la protection de la partie faible au contrat. La nécessaire conciliation entre
sécurité juridique et équilibre contractuel se réalise au travers de la casuistique judiciaire, par la mise en
œuvre de mécanismes classiques, telles que l’obligation de bonne foi ou encore la théorie des vices du
consentement, ou encore d’instruments nouveaux, telles que la caducité et la proportionnalité.
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Sujet

5
DISSERTATION :
LA PROTECTION DES PERSONNES

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(SUJET COMPLÉMENTAIRE)

Au temps de la loi des Douze Tables, celui atteint de troubles mentaux graves, qui était qualifié de furiosus,
était placé sous l’autorité des membres les plus proches de sa famille, de façon justement à ce qu’il ne puisse
agir d’une façon déraisonnable. Un tel mécanisme de protection devait se poursuivre sous l’empire du droit
romain. C’est ainsi que sous Justinien, un système de représentation du « fou », qui était appelé curatelle,
devait permettre la sauvegarde des intérêts de cette personne. Désormais, la protection des personnes est
plus étendue et dépasse largement le régime des incapacités.
Afin de la préserver du mal, la personne doit être protégée. La personne est un sujet de droit doté de la
personnalité juridique, c’est-à-dire de l’aptitude à être titulaire de droits et assujetti à des obligations. Seule
une personne peut acquérir un droit et toutes les personnes sont des sujets de droit. L ’expression sujet
de droit est donc dédiée aux personnes, pour désigner leur faculté théorique à être titulaires de droits, à
les exercer en exprimant leur volonté, à les défendre au moyen d’une action en justice, mais aussi à être
tenues par des obligations. L ’intérêt attaché à la reconnaissance de la personnalité explique qu’elle ait

Dissertation 5
été accordée non seulement aux êtres faits de chair et de sang que sont les personnes physiques, mais
aussi parfois à des entités abstraites n’ayant aucune réalité biologique : les groupements reconnus par la
loi que sont les personnes morales. Ainsi, la notion de personne dépasse celle de personne humaine et
caractérise également certaines collectivités, certains groupements de personnes, tels que les sociétés, voire
des groupements de biens, comme les fondations. Néanmoins, la grande diversité des personnes morales
rejaillit sur le plan de leur régime juridique. Aussi, il existe un droit des personnes morales qui dépasse en
ampleur et en richesse le droit des personnes physiques. Il demeure largement étranger au droit civil, car
nombre de ses éléments naissent plus ou moins du droit administratif, du droit commercial et des sociétés
et du droit du travail. Pour les sociétés civiles, les associations et les fondations, si elles pénètrent le champ
civil, elles relèvent d’autres parties du droit civil : des contrats spéciaux ou des libéralités, selon l’acte
juridique qui en est la source.
Dans la lettre du Code civil de 1804, la protection de la personne est circonscrite aux incapacités. La
personnalité juridique est limitée afin de protéger le sujet de droit contre sa propre faiblesse, quelle que soit
la source de celle-ci : l’âge, la maladie, les difficultés de l’existence. Toutefois, les atteintes contemporaines
à la personne humaine ont rendu nécessaire l’instauration d’une protection de l’intégrité de la personne
conçue en elle-même dans la complétude et l’indissociabilité des éléments qui la composent. Le juge a
alors édifié l’essentiel des principes de protection de la personne sur le fondement des textes du droit
commun.
Aussi convient-il d’envisager d’une part, la protection spécifique de la personne incapable (I) et, d’autre
part, la protection généralisée de l’intégrité étendue à toutes les personnes (II).

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I - La protection spécifique de la personne incapable
Le Code civil n’a pas consacré une partie distincte aux incapacités. Toutefois, les titres IX, X et XI de son

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Livre Des personnes sont consacrés aux principales institutions en rapport avec les incapacités. Cette notion
d’incapacité est à adapter en fonction de la minorité (A) ou de la majorité (B).

A - LA PROTECTION NATURELLE DU MINEUR

1. La protection traditionnelle par les père et mère


Selon les termes de l’article 388 du Code civil, « Le mineur est l’individu de l’un ou de l’autre sexe qui n’a point
encore l’âge de dix-huit ans ». Il est considéré comme un être faible et dépendant qui doit être représenté
dans la vie civile, mais aussi éduqué, élevé et protégé dans sa personne. Ses protecteurs naturels sont ses
parents, qui sont titulaires de l’autorité parentale. Cette dernière est définie par l’article 371-1 du Code civil,
comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». Il s’agit d’une véritable
fonction de protection de l’enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, « pour assurer son éducation et
permettre son développement, dans le respect dû à sa personne » et en associant « l’enfant aux décisions
qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ». Il s’agit là d’une véritable fonction parentale,
des droits pour les parents, mais aussi des devoirs. Afin d’atteindre les objectifs définis par l’article 371-1 du
Code civil, les parents doivent se respecter mutuellement et accomplir chacun les efforts nécessaires pour
traduire leurs responsabilités de façon positive dans la vie de leur enfant, notamment en respectant la place
de l’autre parent et en maintenant un nécessaire dialogue entre eux (Paris, 11 sept. 2002).
Afin de remédier à l’incapacité juridique du mineur, la technique de la représentation permet
Dissertation 5

l’accomplissement des actes de la vie civile au nom et pour le compte du mineur par une personne désignée
à cet effet. Il s’agit soit de l’administration légale, soit de la tutelle. La première s’applique au mineur dont
l’un des parents au moins a l’exercice de l’autorité parentale (C. civ., art. 382). La seconde s’applique au
mineur dont aucun des parents n’est apte à exercer l’autorité parentale, comme en cas de décès des père
et mère (C. civ., art. 390). Malgré un principe d’incapacité générale, l’étendue de l’incapacité juridique
dépend en partie de l’âge du mineur concerné. Seul l’infans, c’est-à-dire l’enfant en bas âge, est entièrement
dépendant de ses représentants pour l’accomplissement des actes de la vie civile. Le mineur capable de
discernement se voit reconnaître une certaine autonomie juridique. L ’article 12 de la Convention de New
York sur les droits de l’enfant prévoit d’ailleurs que « Les États garantissent à l’enfant qui est capable de
discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant ». Ainsi, le mineur
non émancipé peut accomplir tous les actes de la vie courante. Il appartient au juge, en cas de litige, de
vérifier au regard des circonstances de l’espèce, si la qualification d’« acte de la vie courante » est justifiée
(Cass. 1re civ., 12 nov. 1998). Également sous l’angle procédural, la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 a assoupli
le régime des incapacités par l’insertion des articles 388-1 et 388-2 du Code civil prévoyant respectivement
l’audition et la représentation de l’enfant en justice. Le mineur ne peut être auditionné par le juge que s’il
est doué de discernement, sans que la jurisprudence ne fixe un âge précis (Cass. 1re civ., 18 mars 2015).
Le mineur non émancipé peut accomplir tous les actes de la vie courante ou les actes spécialement énumérés
par la loi. En revanche, seul le mineur émancipé a la pleine capacité civile, il peut, comme un majeur,
effectuer tous les actes de la vie civile (C. civ., art. 413-6, al. 1er). L ’émancipation d’un mineur résulte de
plein droit du mariage (C. civ., art. 413-1) ou, à certaines conditions, d’une décision du juge des tutelles.
Il n’est donc plus sous l’autorité parentale de ses parents (C. civ., art. 413-7). Les effets de l’émancipation
sont importants puisque « le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie
civile » (C. civ., art. 413-6). Ainsi, le mineur n’a pas à être représenté dans le cadre d’une action en justice
(Cass. 2e civ., 23 oct. 1985). Trois limites demeurent cependant jusqu’à la majorité légale (dix-huit ans), le

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consentement des parents est requis s’il veut se marier ou être adopté (C. civ., art. 413-6, al. 2), il ne peut
être commerçant et il ne peut exercer de droits civiques.

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2. La protection exceptionnelle par l’administration et le juge
Au-delà de la protection par l’incapacité et l’administration légale ou la tutelle, il existe une protection
générale de l’enfant, judiciaire et extra-judiciaire qui lui permet d’être protégé. Dans le cadre de cette
dernière, le Code de l’action sociale et des familles charge le service de l’aide sociale à l’enfance, placé sous
l’autorité du président du conseil départemental, de la protection administrative des mineurs en danger.
Elle peut prendre différentes formes, avec l’accord des parents qui est toujours nécessaire : aides matérielles
ou financières, placement de l’enfant dans une famille d’accueil ou un établissement, suivi de l’enfant. Ce
champ de la protection sociale de l’enfance n’est pas sans lien avec la protection judiciaire, notamment
parce que les travailleurs sociaux travaillent aussi en relation avec le juge des enfants. Enfin, la loi du
14  mars 2016, relative à la protection de l’enfant, ne modifie pas le principe selon lequel la protection
administrative consiste à aider et accompagner les familles. Toutefois, elle élargit le rôle de la prévention
et le contrôle des parents défaillants.
La protection judiciaire de l’enfance en danger est confiée par l’article  375-1 du Code civil au juge des
enfants, juge civil de l’assistance éducative et juge pénal du mineur délinquant. Il est compétent chaque
fois que la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger, ou quand les conditions de son
éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises.
Il peut en être ainsi des enfants appartenant à une secte (Cass. 1re civ., 28 mars 1995). Cette protection
ne constitue pas une sanction à l’égard des parents, comme peut l’être une mesure de retrait de l’autorité
parentale. Le contrôle de la fonction parentale ne peut déboucher que sur des mesures encadrant l’exercice
de l’autorité parentale et le limitant éventuellement, mais qui ne privent jamais en elles-mêmes les parents

Dissertation 5
du droit ni même de l’exercice de ce droit. Ce maintien de l’exercice de l’autorité parentale est si clair que
l’article 378-1 du Code civil prévoit que si les parents s’abstenaient d’exercer les droits et devoirs qui leur
sont laissés par l’article 375-7 pendant deux ans, ils pourraient se voir retirer l’autorité parentale. L ’action
en retrait est portée devant le TGI soit par le ministère public, soit par un membre de la famille ou le tuteur
de l’enfant.

B - LA PROTECTION PROPORTIONNÉE DU MAJEUR

1. Les mesures indépendantes de toute protection


Une personne peut souffrir d’une atteinte passagère à ses facultés, sans pour autant avoir besoin d’une
protection organisée pour tous les actes de la vie civile. Il est inutile d’ouvrir un régime de protection,
mais il est nécessaire de protéger ponctuellement la personne pour l’accomplissement de tel ou tel acte.
Aussi l’article  414-1 du Code civil précise que «  pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit ».
L ’article 414-1 du Code civil érige la santé mentale en condition de validité des actes juridiques et en précise
immédiatement la conséquence : la nullité des actes passés sous l’empire d’un trouble mental, sanction qui
constitue le seuil minimal de protection des personnes insanes indépendamment de la mise en œuvre
éventuelle d’un régime de protection. L ’existence et la gravité du trouble mental relèvent de l’appréciation
souveraine des juges du fond (Cass. 2e civ., 23 oct. 1985). De cette règle générale, le Code civil en fait une
application particulière à l’article 901 du Code civil, qui dispose que « pour faire une libéralité, il faut être
sain d’esprit ». Ainsi, la libéralité consentie par un disposant non sain d’esprit est entachée d’une nullité
relative comme il en est pour la nullité procédant d’un vice du consentement. En principe, la protection du
majeur prend effet à compter de la publicité du jugement ouvrant la sauvegarde de justice, la curatelle ou
la tutelle. Ainsi, afin de protéger la personne vulnérable, les actes antérieurs à l’ouverture d’une curatelle

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ou d’une tutelle peuvent faire l’objet d’une action en réduction ou d’une action en nullité à condition de
rapporter la preuve d’un préjudice (C. civ., art. 464).

Indépendamment de l’état mental, il est prévu un dispositif particulier pour les personnes victimes de

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violence. En effet, le Code civil contient, depuis 2010, un titre XIV au Livre  I «  Des personnes », « Des
mesures de protection des victimes de violences ». Aux termes de l’article 515-9 du Code civil « lorsque les
violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de
solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants,
le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection ».
Cette ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales sur requête permet de fixer
diverses mesures provisoires énumérées à l’article 515-11 du Code civil, parmi lesquelles la résidence de la
famille, l’éloignement de la personne violente ou les modalités d’exercice de l’autorité parentale.

2. Les mesures dépendantes du régime de protection

La personne est au cœur de la protection juridique mise en place par la loi du 5 mars 2007. Aussi, « cette
protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de
la dignité de la personne » (C. civ., art. 415, al. 2). Lorsque le majeur est placé sous régime de protection,
la protection de sa personne est essentielle, et le droit prend en compte l’autonomie réelle du majeur en
l’informant et en le faisant participer aux décisions le concernant autant qu’il est possible. L ’ouverture d’un
régime de protection peut être justifiée dès qu’il y a altération des facultés mentales ou corporelles du
majeur (C. civ., art. 425). Ainsi, le juge ne peut placer une personne sous le régime de la tutelle ou de la
curatelle, pour altération de ses facultés mentales ou corporelles, que si cette altération a été médicalement
Dissertation 5

constatée (Cass. 1re civ., 8 juill. 2015). Néanmoins, la mise en place d’un régime protecteur spécifique
ne doit intervenir qu’à condition qu’il ne puisse être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne
par d’autres techniques, au rang desquelles la loi (C. civ., art. 428) mentionne notamment l’application
des règles de la représentation ou des régimes matrimoniaux. De surcroît, la loi du 5 mars 2007 a inscrit
expressément dans le Code civil les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité qui sont
ensuite mis en œuvre dans le cadre de chaque mesure (C. civ., art. 428).

Sauvegarde de justice, curatelle et tutelle sont, eu égard à la sévérité des règles applicables, les trois
régimes prévus par la loi pour protéger le majeur. La curatelle est un régime de protection intermédiaire
entre les deux autres et emprunte nombre de ses règles à la tutelle. « Le majeur placé sous sauvegarde
de justice conserve l’exercice de ses droits » (C. civ., art. 435). Il n’est donc pas atteint par une incapacité
générale d’exercice. L ’ouverture d’une tutelle suppose que le majeur ait besoin d’être assisté pour tous
les actes de la vie civile, sauf dérogation légale ou judiciaire. Lorsque le majeur est sous tutelle ou
curatelle renforcée, le législateur a élaboré un régime très précis applicable à la gestion de son patrimoine.
Enfin, l’ordonnance du 15  octobre 2015 a créé une nouvelle mesure  : l’habilitation familiale (C. civ.,
art. 494-1 et s.). Elle vise à donner à l’entourage de la personne vulnérable un rôle déterminant dans la mise
en œuvre de sa protection. Par là même est réalisé un allégement des procédures jusqu’alors applicables.
L ’habilitation d’une personne de confiance, choisie parmi les proches de la personne à protéger, peut être
générale ou restreinte à certains actes déterminés. En cas de difficultés dans la mise en œuvre de la mesure,
il revient au juge des tutelles de statuer.

Si la personne bénéficie notamment d’une protection de son patrimoine par le régime des incapacités, la
personne bénéficiera d’une protection des droits extrapatrimoniaux par les droits de la personnalité. On
peut regrouper les droits de la personnalité autour de deux axes, l’intégrité physique et morale et le respect
de la vie privée et familiale de la personne.

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II - La protection généralisée de l’intégrité étendue
à toutes les personnes

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


L ’intégrité est l’état d’une chose qui est entière, qui a toutes ses parties. La protection de l’intégrité de la
personne est une protection de la personne conçue en elle-même, dans la complétude et l’indissociabilité
des éléments qui la composent. Elle sera celle de sa personnalité, sous son double aspect, physique (A) et
moral (B).

A - LA PROTECTION DE L’INTÉGRITÉ PHYSIQUE

1. La consécration du principe jurisprudentiel d’indisponibilité du corps humain


L ’indisponibilité du corps humain doit être entendue, non pas au sens large, comme l’interdiction de
disposer librement de son corps, mais dans un sens strict comme l’interdiction d’en faire un objet de
commerce. La jurisprudence (Cass. 1re civ., 16 déc. 1975 ; Cass. 1re civ., 13 déc. 1989), en dégageant le
principe d’indisponibilité du corps humain, l’avait d’ailleurs fondé sur l’ancien article 1128 du Code civil
selon lequel « il n’y a que les choses dans le commerce qui peuvent être l’objet de conventions ». La même
solution peut être retenue au titre du nouvel article 1162 du code. Aussi, l’indisponibilité du corps humain
interdit à la personne d’effectuer des actes juridiques de disposition par lesquels s’opère une transmission
d’un droit ayant pour objet son corps humain, par la voie de la cession, à titre onéreux ou gratuit, ou d’un
abandon. En matière de gestation pour autrui, la Cour de cassation a ainsi affirmé que « la convention par
laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à
sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de

Dissertation 5
l’indisponibilité de l’état des personnes » (Cass. ass. plén., 31 mai 1991). Elle s’applique au corps humain
en son entier tant qu’il fait la personne et non aux éléments détachés du corps qui, s’ils ne peuvent, en
principe, être vendus, peuvent être donnés (don de sang, d’organes).
Selon l’article  16-1 du Code civil, le corps humain est inviolable et l’article  16-3 précise «  qu’il ne peut
être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou, à
titre exceptionnel, dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ». Cela signifie qu’un individu est en droit d’exiger
qu’aucune atteinte ne soit portée à son corps, à sa santé ou à sa vie, du moins tant que l’ordre public n’est
pas en jeu. Ainsi, en principe, il n’est pas possible d’imposer à l’individu une opération, une expertise ou
un prélèvement. Toutefois, au nom de l’ordre public, il faut subir certaines vaccinations obligatoires, une
prise de sang peut être exigée en cas d’accident automobile, l’analyse comparative de sangs, l’identification
d’une personne par ses empreintes génétiques sont parfois ordonnées par les tribunaux en cas d’action
en recherche de filiation (C. civ., art. 16-10 et 16-11). La constitutionnalité de l’obligation vaccinale a
été confirmée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 20  mars 2015, rendue sur question
prioritaire de constitutionnalité (Cons. const., 20  mars 2015, n°  2015-458 QPC). De la même façon, la
nécessité « médicale » justifie qu’il soit porté atteinte à l’intégrité du corps humain, mais le consentement
de l’intéressé doit être recueilli chaque fois que cela est possible et qu’il est à même de consentir.

2. La concurrence du principe législatif de non-patrimonialité


Le législateur, en 1994, a choisi de ne pas inscrire dans le Code civil le principe d’indisponibilité du corps
humain, dégagé par la jurisprudence. Il lui a préféré celui de non-patrimonialité (C. civ., art. 16-1 et 16-5).
La substitution par le législateur de la non-patrimonialité du corps humain à son indisponibilité s’explique
par la crainte du contresens dont l’indisponibilité aurait pu être l’objet. La règle de non-patrimonialité du
corps humain est posée par l’article 16-1, alinéa 3, du Code civil, aux termes duquel « le corps humain, ses

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éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ». Le principe d’indisponibilité du
corps humain conduit, en effet, à interdire toute convention portant sur le corps humain, quelle que soit
sa nature, gratuite aussi bien qu’onéreuse. Le principe de non-commercialité conduit à frapper de nullité

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les seules conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale (autrement dit : pécuniaire)
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

au corps humain, à ses éléments ou à ses produits (C. civ., art. 16-5), c’est-à-dire les conventions à titre
onéreux ayant un tel objet. Le principe de non-patrimonialité ne serait donc qu’un des composants du
principe plus général de l’indisponibilité du corps humain.
La loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 a inséré un chapitre dans le Code civil (art. 16 à 16-9) consacré au
respect du corps humain : « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le
corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial » (C. civ., art.
16-1). Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. Ils ne
sont pas « dans le commerce » et ne peuvent faire l’objet que de dons (C. civ., art. 16-6) et toujours avec le
consentement de l’intéressé (C. civ., art. 16-3, al. 2), sachant qu’en cas de prélèvement d’organes sur une
personne décédée, elle est présumée avoir consenti au prélèvement si elle n’a pas fait connaître son refus de
son vivant. Depuis les lois du 29 juillet 1994, les conditions dans lesquelles les dons peuvent être effectués
sont très minutieusement précisées par le Code de la santé publique. On distingue les prélèvements
d’organes et le prélèvement de tissus, de cellules ou de produits du corps. Le prélèvement de gamètes et
le prélèvement de sang (qui sont des produits du corps) font l’objet de règles particulières. Les mêmes
règles de gratuité et de consentement du donneur s’appliquent en toutes circonstances. Enfin, la règle de
l’anonymat s’applique à toutes ces situations (C. civ., art. 16-8).

B - LA PROTECTION DE L’INTÉGRITÉ MORALE


Dissertation 5

1. La protection de la vie privée et de l’honneur


Si le corps vivant est la personne, la personne ne se réduit pas à celui-ci. La protection de l’intégrité de la
personne, pour se réaliser pleinement, doit saisir la personne au-delà son corps. Ainsi, l’article 9 du Code
civil affirme que « chacun a droit au respect de sa vie privée » et l’article 8 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que « toute personne a droit au respect
de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». La Cour de cassation consacra
l’autonomie de l’article 9 du Code civil par rapport à l’ ancien article 1382 du Code civil (art. 1240 nouv.),
en affirmant que « la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation » (Cass. 1re civ.,
5 nov. 1996). Toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes
ou à venir, a droit au respect de sa vie privée. La Cour de cassation a eu plusieurs fois l’occasion de rappeler
cette règle fondamentale, concernant notamment les personnages publics dont l’intimité est souvent violée
au titre de la liberté d’expression (Cass. 1re civ., 27 févr. 2007). Toutefois, lorsqu’est en cause une question
utile à un débat d’intérêt général, la CEDH rappelle que « l’article 10, § 2, ne laisse guère de place pour
des restrictions à la liberté d’expression » (CEDH, 10 nov. 2015, req. n° 40454/07, Couderc et Hachette
Filipacchi Associés c/France). Néanmoins, la jurisprudence récente a précisé que seules les personnes
physiques peuvent se prévaloir d’une atteinte à la vie privée au sens de l’article 9 du Code civil, excluant les
personnes morales (Cass. 1re civ., 17 mars 2016).
Si le droit au respect de la vie privée a été consacré par le législateur et trône dans le Code civil, en son
article 9, le droit sur l’image est une création de la jurisprudence. Elle rappelle régulièrement «  qu’en
principe, toute personne a sur son image un droit exclusif et absolu et peut s’opposer à sa fixation, à sa
reproduction ou à son utilisation sans autorisation préalable » (Cass. 2e civ., 24 avr. 2003). Néanmoins, elle
précise aussi que ce droit doit se combiner avec l’exercice de la liberté de communication des informations,
ce dont il résulte qu’une personne ne peut s’opposer à la réalisation et à la divulgation de son image chaque

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fois que le public a un intérêt légitime à être informé (Cass. 2e civ., 30 juin 2004).

2. La protection contre les atteintes à la dignité de la personne

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


L ’article 16 du Code civil consacre le principe de dignité de la personne humaine, principe moral ancien,
progressivement juridicisé à partir des années 1980. En dehors des atteintes au corps humain, la dignité
a permis de protéger les personnes contre les spectacles dégradants. En effet, ont été jugés contraires au
principe de respect de la dignité de la personne humaine les spectacles de « lancers de nains » (CE, ass.,
27 oct. 1995, Cne de Morsang-sur-Orge). Cette solution a été reconduite par le Conseil d’État dans une
série d’ordonnances de référé rendues les 9 et 10 janvier 2014 pour confirmer l’interdiction des spectacles
publics de M. D. M’Bala M’Bala pour les atteintes portées à la dignité de la personne humaine résultant
de propos relatifs à la Shoa (CE, ord. réf., n° 374528, 10 janv. 2014, SARL Les Productions de la Plume et
M. D. M’Bala M’Bala).
La dignité humaine intervient également pour protéger la personne contre les atteintes au corps humain.
Ainsi, dans un arrêt du 27 juin 1913, la Cour d’appel de Lyon a retenu la responsabilité d’un médecin qui
avait, moyennant rémunération, utilisé une femme comme cobaye dans une expérimentation de chirurgie
esthétique (CA Lyon, 27 juin 1913). Cette dignité doit être respectée en tout état de cause, ce qui implique
de ne pas imposer au regard « en des lieux de passage public forcé ou dans certains organes de presse,
l’image fractionnée et tatouée du corps humain », ce qui est « une symbolique de stigmatisation dégradante
pour la dignité des personnes atteintes de manière implacable en leur chair et en leur être, de nature à
provoquer à leur détriment un phénomène de rejet ou de l’accentuer » (CA Paris, 28 mai 1996). De plus,
le respect dû au corps humain ne cessa pas avec la mort (Cass. 1re civ., 29 oct. 2014). Enfin, le principe de
dignité est fréquemment invoqué au soutien de la revendication d’un droit à mourir dans la dignité par les
partisans d’une légalisation de l’euthanasie.

Dissertation 5
Le droit protège aussi bien de manière spécifique la personne vulnérable, par le régime des incapacités, que
de manière générale, toute personne voit son intégrité protégée. Cette protection est, d’une part, nécessaire,
comme le souligne le rapport sur la protection juridique des majeurs vulnérables de septembre 2015, en
raison de l’allongement de l’espérance de vie et de l’apparition de troubles liés à l’âge et, d’autre part, les
progrès scientifiques et techniques ont accru les risques d’atteintes aux corps humain et à la vie privée.

91
Sujet

6 CAS PRATIQUE : CAS VALENTINE A


ET JULIEN B

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

(ANNALES CONCOURS ENM 2019)

SUJET
Valentine A… et Julien B… ont prévu de se marier le 24 juin 2017. Julien B…, 31 ans, est
directeur des ressources humaines dans une grande entreprise. Valentine A…, 30 ans, est
chirurgien-dentiste et exerce à titre libéral au sein de cabinet qu’elle vient d’aménager grâce à
des prêts consentis par sa banque. Souhaitant assurer au mieux la protection de la famille qu’ils
entendent fonder, les futurs époux ont demandé conseil à un notaire. Celui-ci, après les avoir
informés sur les différents régimes matrimoniaux leur a suggéré d’opter pour le régime de la
communauté réduite aux acquêts avec une clause d’attribution intégrale de la communauté au
conjoint survivant et une clause de donation entre époux portant sur l’universalité des meubles
et immeubles composant la succession.
Par acte sous-seing privé en date du 20 décembre 2016, Julien B… et Valentine A… ont par
ailleurs confié à Monsieur C…, photographe professionnel, le soin de réaliser le reportage
Cas pratique 1

photographique de leur mariage. Le 16 juin 2017, Valentine A… et Julien B… versent au


photographe l’acompte de 1 400 € prévu au contrat à valoir sur le montant de la prestation fixé
à 2000 €. Le 20 juin 2017, le photographe les informe que, pour des raisons médicales, il ne
pourra pas exécuter une partie des prestations prévues et peut-être même la prestation dans son
ensemble. Le 22 juin 2017, Valentine A… et Julien
B… indiquent à Monsieur C… qu’ils engagent un autre professionnel pour effectuer le reportage
photographique de leur mariage. Courant juillet, les jeunes époux mettent en demeure
Monsieur C… de leur restituer l’acompte de 1 400 € versé et se heurtent à un refus de la part
du photographe.

Vous répondrez aux questions suivantes.


1. Le régime matrimonial conseillé par le notaire vous semble-t-il adapté à la situation spécifique
de Valentine A… et Julien B… et répondre à leurs préoccupations ? (justifiez votre réponse)
(8 points)
2. Valentine A… et Julien B… ont entendu parler du régime légal québécois de séparation
des biens avec société d’acquêts. Ils vous demandent s’ils pourraient envisager d’opter pour
ce régime dans l’hypothèse où il serait adapté à leur situation. Que leur répondez-vous ?
(3 points)
3. Valentine A… et Julien B… ne souhaitant pas engager une procédure judiciaire, que leur
conseillez (vous pour tenter de résoudre le litige les opposant à Monsieur C…, photographe ?
(6 points)
4. En août 2017, concernant le litige avec Monsieur C…, les jeunes époux ont finalement décidé
de demander la résolution du contrat par voie judiciaire. Quelle juridiction ont-ils dû saisir et
selon quelles modalités ? (3 points)

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I - Sur le choix du régime matrimonial
Des époux envisagent de se marier. Aussi, ils consultent un notaire pour les conseiller sur le choix du régime

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


matrimonial. Le notaire les invite à recourir à un régime de la communauté réduite aux acquêts avec une
clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant et une clause de donation entre
époux portant sur l’universalité des meubles et des immeubles composant la succession.
Le régime matrimonial proposé par le notaire est-il approprié ?
Selon les termes de l’article 1387 du Code civil, les époux sont libres de choisir entre les différentes variétés
de régimes matrimoniaux. De plus, ils sont libres d’apporter aux différents modèles prévus par le Code civil
toutes les modifications conventionnelles qu’ils jugent utiles.
En l’occurrence, le notaire conseille aux époux d’opter pour le régime de la communauté réduite aux acquêts
(C. civ., art. 1400 à 1491). Ce régime a vocation à s’appliquer à tous les couples mariés sans contrat de
mariage ou ayant déclaré opter pour le régime de communauté sans plus de précisions (C. civ., art. 1400).
Dans le cadre de ce régime, les biens communs se réduisent aux seuls acquêts.
Le notaire conseille d’adjoindre une clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant.
Ainsi, à la suite du décès du premier conjoint, l’intégralité du patrimoine commun devient la propriété
exclusive du conjoint survivant sans qu’il soit nécessaire d’ouvrir une succession. Il s’agit d’un accord
matrimonial et non d’une libéralité.
Enfin, le notaire invite les époux à ajouter une clause de donation entre époux portant sur l’universalité des
meubles et des immeubles composant la succession.
Une telle clause est prévue aux articles 1094 et 1094-1 du Code civil. En effet, selon le premier article,
l’époux, soit par contrat de mariage, soit pendant le mariage, pourra, pour le cas où il ne laisserait point

Cas pratique 1
d’enfant ni de descendant, disposer en faveur de l’autre époux en propriété, de tout ce dont il pourrait
disposer en faveur d’un étranger. Selon le second article, pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou
descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de
ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois
autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement.
Le choix du régime matrimonial et de ses éventuelles adaptations dépend de divers critères.
Au premier rang des critères, la profession des époux conditionne le choix du régime matrimonial.
En effet, l’époux dont la profession comporte un risque financier va chercher à préserver son conjoint des
poursuites de ses créanciers.
En l’espèce, il est mentionné que la future épouse exerce une profession libérale, alors que le futur époux
est directeur des ressources humaines.
Or, dans le régime de communauté légale, toutes les dettes nées pour quelque cause que ce soit pendant le
mariage sont communes (C. civ., art. 1413). En conséquence, les créanciers professionnels d’une personne
exerçant une profession libérale mariée sous le régime légal pourront saisir les biens communs pour se
payer de leur créance. Le régime de la communauté présente donc un danger sur le terrain du passif.
L’épouse exerçant une profession libérale expose donc la communauté. Dès lors, il est conseillé de se tourner
vers le régime de la séparation de biens afin de placer la communauté à l’abri des créanciers de son épouse.
Néanmoins, il convient de préciser que Valentine A… a contracté des prêts antérieurement au mariage.
Dès lors, selon l’article 1410 du Code civil, les dettes antérieures à la célébration du mariage demeurent
personnelles.
Ensuite, l’âge des époux est un critère important. En effet, les couples atteignant l’âge de la retraite aspirent
à un régime matrimonial plus favorable au conjoint survivant.

93
Ainsi, la clause d’attribution intégrale de la communauté au dernier vivant (C. civ., art. 1524 et 1525) a
pour effet d’éviter qu’au décès du conjoint prémourant, la communauté universelle soit partagée entre le
conjoint survivant et les héritiers.

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

Or, en l’espèce, Valentine A… est âgée de 30 ans et Julien B… de 31 ans, de telles aspirations ne sont donc
pas pertinentes. Ainsi, la clause d’attribution intégrale de la communauté et la clause de donation entre
époux ne sont pas pertinentes.
En conséquence, un régime de la séparation de biens est plus approprié à la situation des époux.
Ce régime matrimonial est caractérisé par l’absence de biens communs et de passifs communs aux deux
époux (sauf dettes ménagères) et la libre disposition par chacun d’eux de ses biens personnels (C. civ.,
art. 1536 et s.).
Ainsi, dans le cadre de ce régime, chaque époux reste seul tenu de ses dettes, quelle que soit la date
antérieure ou postérieure à la célébration du mariage — de leur fait générateur (C. civ., art. 1536, al. 2).
Dès lors, un tel régime matrimonial est approprié en l’espèce.

II - Sur le choix du régime légal québécois


Valentine A et Julien B ont entendu parler du régime légal québécois.
Peuvent-ils opter pour le régime légal québécois, à savoir la séparation de biens avec société d’acquêts ?

A - SUR LE CHOIX DE LA LOI QUÉBÉCOISE


Cas pratique 1

Les époux, lorsqu’ils établissent un contrat de mariage, peuvent choisir la loi appelée à régir leur régime
matrimonial.
Néanmoins, cette faculté de choix est encadrée par le règlement européen du 24 juin 2016 mettant en œuvre
une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance
et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux. Ce dernier s’applique à compter du
29 janvier 2019.
Ainsi, l’article 22 du règlement dresse une liste de lois que peuvent choisir les époux : la loi de la résidence
habituelle de l’un des futurs époux ou la loi de nationalité de l’un des futurs époux au jour où la convention
est conclue.
En l’espèce, si un des critères de rattachement est rempli, les époux pourront opter pour le régime légal
québécois, correspondant à la séparation de biens avec société d’acquêts.

B - SUR LA SOCIÉTÉ D’ACQUÊTS

Les époux, lorsqu’ils choisissent la loi appelée à régir leur régime matrimonial, peuvent également choisir le
contenu du régime matrimonial, comme le permet l’article 1387 du Code civil en droit français et au nom
de la liberté contractuelle.
Dans le cadre du régime de la séparation de biens, la société d’acquêts est une clause insérée dans le contrat
matrimonial dont l’effet est de créer une masse commune, composée des économies réalisées par les époux
et partagée entre eux à la dissolution du régime.
Concrètement, une telle clause permet d’atténuer la rigueur de la séparation de biens pure et simple en
déterminant une masse de biens communs, plus ou moins étendue.

94
En effet, l’intérêt d’un tel régime est que les époux peuvent délimiter en toute liberté dans leur contrat de
mariage l’étendue de la société d’acquêts (Cass. 1re civ., 15 nov. 2003).
Ainsi, les époux ont la possibilité de limiter la société à certains biens, ce qui permet de réaliser un équilibre

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


entre un régime de communauté qui comprendrait une masse commune trop étendue, et un régime
séparatiste, qui ne serait pas suffisamment participatif.

III - Sur la résolution du litige


Valentine A et Julien B ont confié à un photographe le soin de réaliser le reportage photographique de leur
mariage. Toutefois, il informe les futurs époux que pour des raisons médicales, il ne pourra pas réaliser la
prestation.
Quels sont les remèdes à l’inexécution ? Quelles sont les solutions extrajudiciaires ?

A - SUR LES REMÈDES À L’INEXÉCUTION

Sur le fondement de l’article 1101 et de l’article 1103 du Code civil, le contrat se forme par la rencontre
des volontés.
En l’espèce, les parties ont conclu pareille convention par acte sous-seing privé en date du 20 décembre
2016.
Par conséquent, le contrat passé entre les parties sera soumis aux prescriptions en vigueur à la date de
conclusion du contrat.

Cas pratique 1
Sur le fondement de l’article 1217 du Code civil, l’inexécution contractuelle peut trouver remède dans
l’exception d’inexécution, l’exécution forcée en nature par le débiteur ou par le créancier lui-même, la
réduction du prix par sollicitation, la résolution et la responsabilité contractuelle.
En l’espèce, Valentine A et Julien B ne veulent pas procéder par voie judiciaire. Par conséquent, l’action
en responsabilité n’est pas opportune ni plus que la résolution judiciaire. La résolution pour faute grave et
la résolution fondée sur une clause résolutoire pourraient être opportunes, mais ne permettront pas aux
créanciers la répétition des sommes versées ni le remboursement des frais occasionnés par la conclusion d’un
contrat avec un autre professionnel. L’exception d’inexécution comme la réduction du prix par sollicitation
ne présentent guère d’intérêt, dès lors que les créanciers ont déjà versé un acompte et que la prestation du
débiteur n’a pas été exécutée dans sa totalité.
Reste donc à envisager la question de l’exécution forcée.
Sur le fondement de l’article 1221 du Code civil, l’exécution forcée en nature par le débiteur lui-même peut
être demandée par le créancier en cas d’inexécution contractuelle.
En l’espèce, deux jours avant le mariage, Monsieur C informe Valentine A et Julien B qu’il n’exécutera pas
ses obligations contractuelles nées du contrat conclu le 20 décembre 2016. Les créanciers ont conclu un
nouveau contrat avec un autre professionnel, lequel a effectué la prestation. L’inexécution contractuelle de
Monsieur C est constante. Une exécution forcée en nature par le débiteur a posteriori du mariage n’a ni
intérêt ni sens.
Reste donc à envisager la question de l’exécution forcée par le créancier lui-même ou un tiers.
Sur le fondement de l’article 1222, alinéa 1er du Code civil, « Après mise en demeure, le créancier peut aussi,
dans un délai et à un coût raisonnable, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable
du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement
des sommes engagées à cette fin ».

95
En l’espèce, deux jours avant le mariage, Valentine A et Julien B ont indiqué à Monsieur C qu’ils engagent
un autre professionnel de la photographie. Idéalement, cette indication a respecté les formes de la mise
en demeure. Dans cette hypothèse, ils ont donc fait exécuter l’obligation par un tiers. Rien n’indique les

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éléments relatifs au coût. Le délai est court (deux jours) ; cependant, les créanciers n’ont eux-mêmes été
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

prévenus que deux jours plus tôt.


En somme, il est possible pour Valentine A et Julien B de rechercher le paiement de la prestation du
deuxième professionnel de la photographie par Monsieur C.

B - SUR LES VOIES EXTRAJUDICIAIRES

Plusieurs voies extrajudiciaires de résolution des différends peuvent être envisagées pour Valentine A et
Julien B.
D’abord ils peuvent recourir à une transaction qui est le « contrat par lequel les parties, par des concessions
réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître » (C. civ., art. 2044).
Toutefois, une telle résolution implique des concessions réciproques, ce qui ne semble pas approprié en
l’espèce.
Ensuite, les victimes de l’exécution peuvent envisager une procédure de médiation ou de conciliation
extrajudiciaire (CPC, art. 1530 et s.).
Pour la première, le médiateur, personne physique ou morale, est un tiers impartial et compétent, qui mène
avec toute la diligence requise, un processus structuré par lequel les parties tentent de parvenir à un accord
amiable, sans avoir de pouvoir décisionnel (CPC, art. 1532 et s.).
Cas pratique 1

Pour la seconde, le conciliateur de justice est un particulier bénévole, inscrit sur une liste par le premier
Président de la cour d’appel sur proposition du juge d’instance, après avis du Procureur général, dont la
mission est d’aider les parties à parvenir à un accord pour résoudre à l’amiable des différends (CPC, art.
1536).
Il est également possible à Valentine A, Julien B et à Monsieur C de recourir à une convention de procédure
participative.
Le nouvel article 2062 du Code civil, issu de la loi J21, précise « La convention de procédure participative
est une convention par laquelle les parties à un différend s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne
foi à la résolution amiable de leur différend ou à la mise en état de leur litige ».

IV - Sur la résolution judiciaire du litige


Les époux envisagent d’introduire une action en justice.
Il faut dès lors déterminer la compétence (A) et les modalités de la saisine (B).

A - SUR LA COMPÉTENCE

Pour la compétence matérielle, le tribunal de grande instance est la juridiction de droit commun. En
effet, « Le TGI connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n’est pas
attribuée, en raison de la nature de l’affaire ou du montant de la demande à une autre juridiction » (COJ,
art. L. 211-3).

96
Toutefois, en vertu de l’article L. 721-3 du Code de commerce, les juridictions commerciales sont compétentes
pour connaître des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements de
crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ; de celles relatives aux sociétés commerciales ; de celles

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relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


En l’espèce, la qualité de Monsieur C n’est pas précisée, il est seulement mentionné qu’il s’agit d’un
professionnel.
À ce titre, en ce qui concerne la compétence des tribunaux, le commerçant doit assigner le débiteur civil
devant le tribunal civil tandis que le civil peut assigner le commerçant à son gré devant le tribunal civil ou
le tribunal de commerce (Cass. civ., 8 mai 1907).
Dès lors, les époux pourront saisir les juridictions civiles.
La compétence du TGI vaut pour toutes les actions personnelles ou mobilières ; mais la réserve des textes
quant à la valeur du litige lui fait partager sa compétence, pour ce type d’actions, avec d’autres juridictions :
Le TGI ne peut en connaître qu’au-delà de 10 000 euros et toujours à charge d’appel (COJ, art. R. 211-3) ;
en deçà, le tribunal d’instance est compétent (jusqu’à 10 000 euros et à charge d’appel) (COJ, art. R. 221-4
et art. L 221-4).
En l’espèce, le montant de la demande porte sur la restitution de l’acompte assortie éventuellement de
dommages-intérêts. En tout état de cause, le montant de la demande ne dépassera pas 10 000 euros.
Pour la compétence territoriale, les règles posées aux articles 42 à 48 du Code de procédure civile concernent
toutes les juridictions de l’ordre judiciaire, sauf disposition contraire.
La règle est ici que le demandeur doit porter son action devant le tribunal du lieu où demeure le défendeur
(CPC, art. 42, actor sequitur forum rei).
Les époux devront donc assigner devant le tribunal d’instance du lieu du domicile du photographe.

Cas pratique 1
Toutefois, en matière contractuelle (CPC, art. 46, al. 2), le demandeur a la faculté de porter le litige, selon
la nature du contrat, soit devant la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose, soit devant celle
du lieu de l’exécution de la prestation de services.
Ici, les époux pourront donc assigner devant le tribunal du lieu où la prestation de service aurait dû se
réaliser.

B - SUR LES MODALITÉS DE SAISINE

L’article 829 du Code de procédure civile propose quatre modes d’introduction de l’instance devant le
tribunal d’instance : l’assignation à fin de conciliation et, à défaut de jugement, la requête conjointe, la
présentation volontaire des parties et la déclaration au greffe. L’esprit conciliation est voulu, mais n’a pas eu
le succès que l’on pouvait escompter.
Toutefois, lorsque le montant de la demande n’excède pas 4 000 euros, le tribunal d’instance peut être saisi
par une simple déclaration faite, remise ou adressée au greffe (CPC, art. 843, al. 1er).
En l’espèce, le montant de la demande n’excède pas 4 000 euros, les époux pourront donc saisir le tribunal
par une simple déclaration, remise ou adressée au greffe du tribunal d’instance.
Cette déclaration doit contenir, outre les mentions prescrites à l’article 58, « un exposé sommaire des motifs
de la demande » (CPC, art. 843, al. 2).
Enfin, selon l’article 844 du Code de procédure civile, le défendeur est convoqué par lettre recommandée
avec demande d’avis de réception. La convocation du défendeur vaut citation et doit contenir un certain
nombre de mentions et être accompagnée de la copie de la déclaration au greffe et des pièces qui y sont
jointes.

97
Sujet

7
CAS PRATIQUE :
CAS MADAME Y ET MONSIEUR X

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

(ANNALES CONCOURS ENM 2018)

SUJET
Madame Y… et Monsieur X… vivent ensemble dans une maison appartenant à Monsieur X…
Celui-ci, âgé de 68 ans, divorcé de Madame A… avec laquelle il a eu deux enfants, souhaite
qu’après son décès, Madame Y…, âgée de 50 ans, puisse conserver le droit de demeurer dans
cette maison. Par acte du 31 mars 2006, Madame Y… est devenue l’unique propriétaire de ce
bien sur lequel Monsieur X… s’est réservé un droit d’usage et d’habitation viager conjointement
avec Madame Y… Quatre ans plus tard, les relations entre Monsieur X… et Madame Y… se
dégradent et le couple se sépare en novembre 2010. Madame Y… reste dans l’immeuble et
fait apposer un nouveau verrou sur la porte d’entrée. Ses démarches auprès de Monsieur
X… pour parvenir à un partage amiable n’ayant pas abouti, Madame Y… assigne Monsieur
X… en janvier  2011. Monsieur X… s’oppose à la demande en partage, considérant qu’il ne
saurait y avoir d’indivision entre le droit d’usage et d’habitation et les droits de la propriétaire
Cas pratique 2

du bien ni, subsidiairement, entre plusieurs titulaires d’un droit d’usage et d’habitation. Il
ajoute qu’autoriser un partage en présence d’un droit d’usage et d’habitation revient à affecter
l’existence même de ce droit.
Par ailleurs, Madame Y… qui est également propriétaire d’un garage édifié sur une parcelle
voisine, avait, en janvier 2009, consenti aux époux D…, ses voisins immédiats, un pacte de
préférence pour le cas où elle vendrait ce garage. Depuis la prise de retraite de Monsieur D…,
le couple ne vit plus qu’épisodiquement dans l’immeuble jouxtant celui de Madame Y… et
les relations entre eux se sont naturellement distendues. Courant novembre  2016, d’autres
voisins, les époux B… font à Madame Y… une offre très intéressante pour l’achat de son
garage. Celle-ci serait tentée d’accepter. Mais elle ne voudrait pas risquer des difficultés avec
les époux D…
Elle vient vous consulter à ce sujet, accompagnée des époux B…

Vous répondrez aux questions suivantes.


1. Devant quelle juridiction Monsieur X… a-t-il été assigné en partage et sur quel fondement
juridique ? (2 points)
2. Les moyens développés par Monsieur X… lui permettront-ils de faire échec à la demande en
partage ? (10 points)
3. Madame Y… peut-elle être redevable d’une indemnité d’occupation au profit de Monsieur
X… ? (3 points)
4. Que conseilleriez-vous à Madame Y… et aux époux B… ? (5 points)

98
Madame Y… est en conflit avec Monsieur X… à propos d’une action en partage (I), des moyens pouvant
faire échec à cette demande (II), ainsi que d’une indemnité d’occupation (III). De plus, elle sollicite des
conseils relatifs à un pacte de préférence (IV).

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


I - Sur l’action en partage
Par acte, en date du 31 mars 2006, il a été convenu entre Monsieur X… et Madame Y…, que cette dernière
serait propriétaire de l’immeuble et que Monsieur X… se réserverait un droit d’usage et d’habitation viager
conjointement avec Madame Y…
À la suite de la séparation du couple, la concubine sollicite le partage du droit d’usage et d’habitation.
Quel est le tribunal compétent dans le cadre d’une action en partage portant sur un droit d’usage et
d’habitation ? Quel est le fondement juridique de la demande ?
Il convient d’une part d’envisager le tribunal compétent (A) et le fondement juridique de la demande (B).

A - SUR LA COMPÉTENCE

Il convient de distinguer la compétence matérielle de la compétence territoriale.


Pour la compétence matérielle, le tribunal de grande instance est la juridiction de droit commun. En effet,
« Le TGI connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n’est pas attribuée,
en raison de la nature de l’affaire ou du montant de la demande à une autre juridiction » (COJ, art. L. 211-3).

Cas pratique 2
Néanmoins, « Le TGI a compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements »
(COJ, art. L. 211-4).
Aussi, en matière immobilière, le TGI a une compétence exclusive pour les litiges concernant les actions
immobilières pétitoires (COJ, art. R. 211-4, 5 o) et les actions personnelles immobilières.
Il faut entendre, par matière réelle immobilière, toute action relative à la mise en œuvre d’un droit immobilier.
L’action en partage portant sur un droit d’usage et d’habitation étant une action personnelle immobilière, le
tribunal de grande instance est donc compétent.
Pour la compétence territoriale, les règles posées aux articles 42 à 48 du Code de procédure civile concernent
toutes les juridictions de l’ordre judiciaire, sauf disposition contraire.
Or, en matière réelle immobilière, il convient d’assigner devant le tribunal de la situation de l’immeuble
(CPC, art. 44).
S’agissant d’une action portant sur un droit réel immobilier, il convient donc d’assigner devant le tribunal
de grande instance du lieu de situation de l’immeuble, non précisé en l’espèce.

B - SUR LE FONDEMENT JURIDIQUE

Le droit d’usage et d’habitation est un droit réel principal portant sur le bien d’autrui, qui confère à son
titulaire, l’usager, le droit d’utiliser la chose et d’en percevoir les fruits, mais dans les limites de ses besoins
et de ceux de sa famille (C. civ., art. 625 et s.).
Les droits d’usage et d’habitation sont des droits réels démembrés où le démembrement est plus accentué
que dans l’usufruit.

99
En l’occurrence, il est précisé que par acte, en date du 31 mars 2006, a été instauré un droit d’usage et
d’habitation conjoint entre Monsieur X… et Madame Y…
La spécificité, en l’espèce, est que le droit d’usage et d’habitation n’est pas exclusif à une personne, mais

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DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

est partagé avec le propriétaire dudit bien. En substance, le propriétaire partage l’usus de son bien avec
l’usager.
À cet égard, la jurisprudence a précisé qu’il existe entre le propriétaire d’un bien et le titulaire d’un droit
d’usage et d’habitation sur ce bien une indivision quant à ce droit d’usage et d’habitation (Cass. 3e civ.,
7 juill. 2016).
Dès lors, les règles de l’indivision trouvent application, et spécifiquement que « Nul ne peut être contraint
à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par
jugement ou convention » (C. civ., art. 815).
Madame Y… pourra donc solliciter le partage sur le fondement de l’article 815 du Code civil.

II - Sur les moyens pour faire échec à la demande en partage


La difficulté, et partant le nombre de points octroyés à cette question, réside dans le caractère prospectif
des moyens de Monsieur X… En effet, s’inspirant de l’arrêt de la troisième chambre civile, en date du
7 juillet 2016 (n° 15-10278), les examinateurs souhaitaient que les moyens du pourvoi soient reconstitués
par le candidat.
Quels sont les moyens pouvant être invoqués par le cotitulaire du droit d’usage et d’habitation pour faire
Cas pratique 2

échec à la demande de partage ?


Trois arguments peuvent être soulevés par Monsieur X… : il est possible de discuter la qualification
d’indivision (A) ; ensuite, de soulever le caractère personnel du droit d’usage et d’habitation confronté à
l’indivision (B) et enfin, subsidiairement au partage (C).

A - LA QUALIFICATION D’INDIVISION

L’indivision est la situation juridique née de la loi ou de la convention des parties et qui se caractérise par
la concurrence de droits de même nature exercés sur un même bien ou sur une même masse de biens par
des personnes différentes (les coïndivisaires), sans qu’il y ait une division matérielle de leurs parts (C. civ.,
art. 815 et s.).
Ainsi, l’indivision résulte de la concurrence de droits réels de même nature sur un même bien.
Monsieur X… pourrait donc soulever que les droits ne sont pas de même nature. En effet, ce dernier est
titulaire d’un droit d’usage et d’habitation, alors que Madame Y… est propriétaire du bien.
Autrement dit, il y a d’un côté un droit réel réduit, démembré ; de l’autre le droit de propriété, qui est un
droit réel entier.
En conséquence, il ne serait pas possible de retenir la qualification d’indivision, en l’absence de droits
concurrents.
Néanmoins, cet argument a peu de chance de prospérer.
D’une part, parce que s’il existe plusieurs usufruitiers d’une même chose, il y a indivision de l’usufruit (Cass.
1re civ., 26 sept. 2007). Il pourrait également y avoir, pour le même bien, une indivision sur la nue-propriété
(Cass. 1re civ., 6 févr. 1996).

100
Or, le droit d’usage et d’habitation est classiquement conçu comme un simple diminutif de l’usufruit. Donc
par analogie, il serait possible d’envisager une indivision portant sur un droit d’usage et d’habitation.
D’autre part, le propriétaire exerce sur son bien l’usus, le fructus et l’abusus. Son droit de propriété inclut

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donc nécessairement un droit d’usage et d’habitation. En principe, en cas de constitution d’un droit réel
d’usage et d’habitation, l’usage est ôté de la propriété pour être transféré à l’usager.
Toutefois en l’espèce, le droit d’usage et d’habitation en cause ne portait pas sur la totalité du bien. Comme
le souligne l’acte constitutif, en date du 31 mars 2006, le droit d’usage et d’habitation que le cédant s’était
réservé devait s’exercer « conjointement » avec la propriétaire.
En conséquence, la concurrence des droits porte sur l’usus du droit de propriété, sur la propriété partagée
du droit d’usage et d’habitation. Concrètement une indivision s’est formée, portant sur l’usage et l’habitation
du bien.
Aussi, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt de la troisième chambre civile, en date du 7 juillet
2016, « que le propriétaire d’un bien, qui a le droit de jouir de son bien de la façon la plus absolue, dispose
de droits concurrents avec le titulaire d’un droit d’usage et d’habitation s’exerçant conjointement sur le bien
et qu’il existe par conséquent une indivision entre eux quant à ce droit d’usage et d’habitation ».
En conséquence, contester la qualification d’indivision a peu de chance de prospérer.

B - SUR LE CARACTÈRE PERSONNEL DU DROIT D’USAGE ET D’HABITATION

Monsieur X… pourrait tenter d’arguer le caractère éminemment personnel du droit d’usage et d’habitation
pour faire échec à la qualification d’indivision.

Cas pratique 2
En effet, le caractère éminemment personnel du droit d’usage et d’habitation est si étroitement attaché à
la personne de son titulaire qu’il est incessible (C. civ., art. 631 et 634) ; qu’il n’autorise aucune mise en
location du bien (C. civ., art. 631 et 634).
Dès lors, le caractère éminemment personnel exclut qu’il puisse y avoir indivision entre plusieurs titulaires
d’un droit d’usage et d’habitation portant sur un même bien.
Néanmoins, il convient également de rejeter cette argumentation, en raison du caractère réel du droit
d’usage et d’habitation.
Aussi, la Cour de cassation a considéré que « nonobstant son caractère personnel, ce droit est un droit réel
conférant à son titulaire un droit de jouissance plus limité que celui de l’usufruitier » (Cass. 3e civ., 7 juill.
2016).
En conséquence, un tel argument ne pourra pas prospérer.

C - SUR L’EXCLUSION DE L’ACTION EN PARTAGE

Monsieur X… pourrait, sans discuter la qualification d’indivision, tenter d’exclure les règles du partage
(C. civ., art. 815).
Le droit d’usage et d’habitation s’analyse comme un droit réel, temporaire et viager, accordant à une
personne, dite usager, le droit de se servir de la chose d’autrui et d’en percevoir les revenus, mais seulement
dans la limite de ses besoins et de ceux de sa famille.
Or, le partage porterait atteinte au caractère viager du droit d’usage et d’habitation. D’autant plus, qu’en
l’espèce, l’acte du 31 mars 2006 stipule le caractère viager du droit d’usage et d’habitation.
Ainsi, le partage affecterait l’existence même du droit d’usage et d’habitation.

101
Toutefois, les droits d’usage et d’habitation s’établissent et se perdent de la même façon que l’usufruit
(C. civ., art. 625). Ainsi, par analogie avec le régime de l’usufruit, l’article 815-18 du Code civil précise que
les règles des articles 815 à 815-17 relatives au partage sont applicables aux indivisions en usufruit. Au
surplus, l’article 817 du Code civil précise que « celui qui est en indivision pour la jouissance peut demander
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le partage de l’usufruit indivis par voie de cantonnement sur un bien ou, en cas d’impossibilité, par voie de
licitation de l’usufruit ».
Toutefois, Monsieur X… pourrait objecter que ces articles ne visent pas spécifiquement le droit d’usage et
d’habitation.
Cet argument a de nouveau peu de chance de prospérer. En effet, la Cour de cassation a retenu que les
parties se trouvant en indivision quant au droit d’usage et d’habitation pouvaient demander le partage en
application de l’article 817 du Code civil (Cass. 3e civ., 7 juill. 2016).
En conséquence, il ne reste plus alors qu’à appliquer à cette indivision le principe de droit commun de l’article
815 du Code civil qui consacre le droit fondamental de chaque indivisaire au partage des biens indivis.

III - Sur l’indemnité d’occupation


À la suite de la rupture, Madame Y… a occupé seule depuis novembre 2010 l’immeuble.
Est-elle redevable d’une indemnité d’occupation ?
L’article 815-9, alinéa 2, du Code civil énonce que « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose
indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité ».
Cas pratique 2

Dès lors Madame Y… en raison de l’usage de l’immeuble est redevable d’une indemnité. En effet, Madame
Y… s’est enrichie au détriment de Monsieur X… en usant privativement d’un bien sur lequel ils avaient un
droit égal d’usage et de jouissance.
D’ailleurs, par analogie avec l’usufruit, la jurisprudence a retenu que faute d’accord sur la jouissance divise
des immeubles, et en l’absence de partage, l’usufruitier occupant des biens indivis doit à l’indivision une
indemnité pour jouissance privative (Cass. 1re civ., 19 janv. 1999).
Ici, en dépit de l’acte en date du 31 mars 2006, rien n’est précisé au sujet d’une indemnité d’occupation
conventionnelle.
L’indemnité d’occupation prévue à l’article 815-9, alinéa 2 du Code civil obéit au régime juridique des fruits,
car selon la Cour de cassation, ayant pour objet de réparer le préjudice causé à l’indivision par la perte de
fruits et revenus, elle se substitue à ceux-ci et en emprunte les caractères (Cass. 1re civ., 10 janv. 1990).
Dès lors, ce sont donc les règles de l’article 815-10 du Code civil, relatives aux fruits et revenus, qui
s’appliquent à l’indemnité d’occupation.
Afin d’évaluer le montant de l’indemnité prévue à l’article 815-9, alinéa 2, du Code civil, il faut préciser
d’abord la durée de la jouissance privative prise en compte. L’indemnité est due pour toute jouissance
privative d’un bien indivis entre le début de l’indivision et le partage.
En l’espèce, la jouissance privative de l’immeuble date de novembre 2010 et l’indemnité sera due jusqu’à
la date du partage.
Enfin, c’est l’indivision elle-même qui bénéficie de l’indemnité due par l’indivisaire qui a joui privativement
d’un bien indivis (Cass. 1re civ., 19 janv. 1999).
En conclusion, l’indemnité d’occupation, qui a pour objet de réparer le préjudice causé à l’indivision par
la jouissance privative d’un coïndivisaire, est due par Madame X… à l’indivision jusqu’au partage et doit
entrer dans la masse active partageable.

102
IV - Sur les conseils
En 2009, Madame Y… et le couple D… ont conclu un pacte de préférence portant sur un garage appartenant

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


à Madame Y… En 2016, les époux B… font une offre d’achat à cette dernière concernant ledit garage.

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Avant toute conclusion du contrat de vente définitif, Madame Y… et les époux B… entendent connaître
leurs droits et obligations.
À titre liminaire, l’accord entre Madame Y… et le couple D… datant de 2009 est antérieur à la réforme du
droit des contrats par l’ordonnance du 10 février 2016.
Or, cette ordonnance est entrée en vigueur pour partie à cette date, pour partie le 1er octobre 2016.
Par conséquent, le droit applicable en l’espèce est le droit antérieur à ladite réforme.
Sur le fondement des anciens articles 1101 et 1134 du Code civil, le contrat se forme par la rencontre des
volontés.
En l’espèce, il est constant que les parties se sont accordées sur la conclusion d’un pacte de préférence aux
termes duquel Madame Y… s’engage à vendre son garage en priorité au couple D… si elle se décide à le
vendre. Cet engagement de priorité a un caractère obligatoire pour Madame Y…
Par conséquent, les parties sont liées par un pacte de préférence, obligeant Madame Y… à l’égard des époux
D…, créanciers.
Il convient désormais d’envisager successivement :
- les risques pour les parties en cas de violation du pacte (A) ;
- les solutions qui s’offrent à Madame Y… (B) ;
- les solutions qui s’offrent aux époux B… (C).

Cas pratique 2
A - LES RISQUES POUR LES PARTIES EN CAS DE VIOLATION DU PACTE

Quel est le sort du garage en cas de conclusion de la vente définitive entre Madame Y… et les époux B… ?
Que peuvent faire les époux D…, bénéficiaires, en cas de violation du pacte ?
Sur le fondement de l’ancien article 1134 du Code civil, la Cour de cassation a décidé dans un arrêt rendu
en chambre mixte, le 26 mai 2006, que « si le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger
l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à
l’acquéreur, c’est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte
de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir » (Cass. ch. mixte, 26 mai 2006).
En l’espèce, il semble constant que les époux B… ont eu connaissance du pacte, ce qui ressort avec évidence
du seul fait qu’ils accompagnent Madame Y… pour obtenir conseils. Demeure que la volonté des époux
D…, bénéficiaires du pacte, n’est pas connue, d’autant que les relations entre les parties au pacte se sont
distendues.
Par conséquent, sauf aux époux D… de prouver que les époux B… connaissaient effectivement leur volonté
de lever l’option d’achat, la vente entre Madame Y… et les époux B… ne semble pas pouvoir être annulée,
et il ne leur sera pas possible de demander la substitution.
Il n’en demeure pas moins que leur comportement les expose à des actions en responsabilité.
Sur le fondement de l’ancien article 1147 du Code civil, la responsabilité contractuelle repose sur la réunion
de trois conditions : un manquement contractuel fautif, un préjudice et un lien de causalité.
En l’espèce, Madame Y… s’est engagée à proposer en priorité l’acquisition du garage aux époux D… Si elle
vend directement aux époux B…, elle aura donc nécessairement manqué à son engagement contractuel.

103
Les époux D… ne vivent plus qu’épisodiquement dans la maison jouxtant celle de Madame Y... L’impossibilité
de bénéficier d’un garage ne devient alors plus qu’un préjudice relatif, mais il eut été d’autres ordres que
celui de non-usage, comme un préjudice financier, en ce sens où cela aurait peut-être pu valoriser le bien
immobilier des époux D…
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En somme, à la condition de prouver la réalité de leur préjudice consécutif à ce manquement, les époux D…
pourront engager la responsabilité contractuelle de Madame Y…
Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, la responsabilité délictuelle suppose la réunion de trois
conditions : la faute, le préjudice et le lien de causalité. Encore, la Cour de cassation décide que « Toute
personne qui, avec connaissance, aide autrui, à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur elle,
commet une faute délictuelle à l’égard de la victime de l’infraction » (Cass. com., 13 mars 1979).
En l’espèce, si les époux B… concluent la vente définitive avec Madame Y…, en sachant que Madame Y…
commettait une faute en ne respectant pas son obligation de préférence, les époux B… ont commis une
faute, synonyme de complicité de l’inexécution contractuelle.
Par conséquent, en renouvelant l’exigence de preuve du préjudice, les époux D… pourront engager la
responsabilité délictuelle des époux B...
Il convient donc de manière préventive, d’informer Madame Y… et les époux B… quant à leurs droits et
obligations, afin de permettre leur satisfaction sans violation du pacte de préférence.

B - LES SOLUTIONS QUI S’OFFRENT À MADAME Y…

Que peut envisager Madame Y… pour vendre son garage sans manquer à son obligation de priorité ?
Cas pratique 2

Les faits de l’espèce n’offrent aucune précision concernant la durée du pacte et la détermination d’un prix
dans le pacte. Or, ces deux éléments affectent la liberté contractuelle, les droits et obligation de Madame
Y…
Sur la durée du pacte : sur le fondement de l’ancien article 1134 du Code civil, et en vertu du principe
de la force obligatoire des conventions (al. 1er ) et du principe de l’intangibilité contractuelle (al. 2), le
contractant est obligé d’exécuter le contrat pendant toute sa durée.
En l’espèce, le pacte de préférence semble demeurer en cours d’exécution et Madame Y… ne semble pas
libérée.
Par conséquent, en cet instant, Madame Y… est bel et bien tenue.
Demeure que selon que le contrat est à durée déterminée ou à durée indéterminée, la situation est
susceptible d’évoluer.
Si le contrat est à durée indéterminée, en vertu du principe d’interdiction des engagements perpétuels, un
contractant peut, après en avoir informé son cocontractant et dans le respect d’un préavis stipulé sinon
raisonnable, mettre fin unilatéralement à la convention.
En l’espèce, rien n’indique l’existence d’un terme, et Madame Y… et les époux B… ne semblent pas pressés
de conclure la vente définitive du garage.
Par conséquent, si le contrat est à durée indéterminée, il est opportun de conseiller à Madame Y… de
résilier valablement son engagement avec les époux D…, avant de conclure le contrat de vente avec les
époux B…
Si le contrat est à durée déterminée, le contrat ne saurait être valablement résilié unilatéralement par un
contractant, sauf en cas de clause résolutoire valablement invoquée (C. civ., ancien art. 1184) ou en cas
de faute grave du cocontractant (sur la résiliation unilatérale pour faute grave aux risques et périls de son
auteur, Cass. com., 13 oct. 1998).

104
En l’espèce, rien n’indique l’existence d’une clause résolutoire et un quelconque motif d’invocation d’une
telle clause impliquant une inexécution des époux D... Cette hypothèse est à écarter ! Pour la même raison,
c’est-à-dire l’absence d’une quelconque faute commise par les époux D..., la résiliation unilatérale pour
faute grave est à écarter.

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Par conséquent, si le contrat est à durée déterminée, Madame Y… ne peut pas résilier le pacte de préférence.
Dès lors, la question de la stipulation d’un prix devient opportune.
Sur le fondement des anciens articles  1108 et suivants et de l’ancien article  1134 du Code civil, la
détermination du prix de la chose objet de l’engagement de priorité n’est pas une condition de validité du
pacte de préférence (jurisprudence constante, V. notamment, Cass. com., 5 janv. 2016).
En l’espèce, rien n’indique que le pacte prévoit le prix convenu quant au garage entre Madame Y… et les
époux D…
Par conséquent, il convient de distinguer deux hypothèses :
- Si le prix a été convenu dans le pacte de préférence, Madame Y… est obligée de proposer prioritairement
aux époux D… l’acquisition du bien au prix déterminé. Ce n’est qu’en cas de refus des époux D… qu’elle
sera libre de vendre le garage à un prix plus élevé aux époux B… ;
- Si le prix n’a pas été convenu dans le pacte de préférence, Madame Y… est obligée d’en proposer
prioritairement l’acquisition aux époux D…, à un prix qui ne saurait être supérieur à l’offre des époux B…
En cas de refus des époux D…, elle est libre de vendre aux époux B… à ce prix.

C - LES SOLUTIONS QUI S’OFFRENT AUX ÉPOUX B…

Cas pratique 2
Que peuvent faire les époux B… pour acquérir le bien sans risquer la contestation ultérieure de la vente et
pour éviter d’engager leur responsabilité ?
À noter que si le pacte de préférence conclu est régi par le droit antérieur, l’article 9 de l’ordonnance de
réforme du droit des contrats du 10 février 2016 prévoit que l’action interrogatoire est d’entrée en vigueur
immédiate.
En l’espèce, les faits situent l’offre des époux B… en novembre 2016.
Par conséquent, une telle action peut être menée par les époux B…
À ce titre, l’alinéa 3 du nouvel article 1123 du Code civil dispose que « Le tiers peut demander par écrit
au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de
préférence et s’il entend s’en prévaloir ». Par suite, l’alinéa 4 énonce que « L’écrit mentionne qu’à défaut de
réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu
avec le tiers ou la nullité du contrat ».
En l’espèce, cela permettrait aux époux B… d’interroger les époux D… quant à leur volonté de bénéficier
du pacte de préférence.
En guise de conclusion, si les époux D… renoncent à l’acquisition ou que ces derniers ne répondent pas
dans un délai fixé raisonnablement par les époux B…, ces derniers seront libres d’acquérir le garage auprès
de Madame Y…, sans encourir le risque de contestation future de la vente ou un quelconque risque de voir
leur responsabilité engagée. À l’opposé si les époux D… manifestent leur volonté de bénéficier du pacte, les
époux B… n’auront d’autre choix que de renoncer à l’acquisition du garage.

105
Sujet

8
CAS PRATIQUE : CAS MONSIEUR D.
(ANNALES CONCOURS ENM 2017)
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

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SUJET
Les époux D. sont en pleine crise financière et conjugale. L ’épouse n’exerçant pas d’activité
professionnelle, le mari a toujours subvenu seul aux besoins de la famille qui menait grand
train de vie jusqu’en juillet  2014, date à laquelle Monsieur D. a perdu son emploi. En
septembre 2015, Monsieur D. accepte une offre d’emploi de magasinier au sein de la société
G. malgré l’éloignement de ce lieu de travail et la nécessité pour lui de prendre un logement
sur place. Il hésite d’autant moins qu’il vient de découvrir l’infidélité de son épouse au travers
de photographies et messages non équivoques circulant sur le net.
Au mois de janvier 2016, l’employeur de Monsieur D. lui indique avoir reçu notification d’une
procédure de paiement direct le concernant et lui précise qu’il va devoir retenir sur son salaire,
dès la fin du mois en cours, une somme de 933,33 €, en exécution d’une ordonnance du juge
aux affaires familiales en date du 2 novembre 2015.
Le 20  janvier 2016, Monsieur D. reçoit signification de cette décision le condamnant au
paiement d’une contribution aux charges du mariage de 800 € par mois. L ’avocat qu’il consulte
Cas pratique 3

le 30 janvier 2016 lui apprend que l’assignation qui lui était destinée en vue de l’audience,
a été convertie par l’huissier en procès-verbal sur le fondement de l’article 659 du Code de
procédure civile avec indication des diligences suivantes :
– le destinataire de l’acte n’a pu être rencontré à son domicile de V. que, selon les déclarations
de son épouse, il a quitté depuis le 25 septembre 2015 ;
– il n’a pu être trouvé sur son lieu de travail à la société G. sur la commune de B. malgré
plusieurs passages de l’huissier délégué ;
– appelé à plusieurs reprises par l’huissier sur la ligne de téléphone mobile il n’a pu être joint
ni n’a contacté l’étude comme le lui suggérait le message laissé sur messagerie vocale.
Monsieur D. est d’autant plus furieux qu’il était présent sur son lieu de travail à la date du
procès-verbal et que le numéro de téléphone mentionné dans l’acte ne correspond pas au sien.
Au mois de juillet 2016, Madame D. dépose une requête en séparation de corps devant le juge
aux affaires familiales.
Au mois de novembre 2016, rendant visite à son père qui a été placé sous curatelle par un
jugement du 2 juillet 2016, l’association A. ayant été désignée en qualité de curateur, Monsieur D.
fils apprend que cette mesure de protection est sur le point d’être remplacée par un mandat de
protection future que son père a consenti à son notaire, Maître Y. par acte en date du 26 mai
2011. Le 15 octobre 2016, le notaire a en effet fait viser par le greffe du tribunal d’instance
ledit mandat de protection afin de pouvoir le mettre à exécution.
Le juge des tutelles ayant été saisi par Monsieur D. père, assisté de son curateur d’une demande
tendant à ce que le mandat de protection future soit substitué à la mesure de curatelle ordonnée
par le juge du 2 juillet 2016, Monsieur D. fils écrit au juge des tutelles pour s’opposer à cette

106
demande. Il conteste la validité du mandat signé par son père en 2011 en considérant que

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


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celui-ci, déjà très affaibli, a été influencé par son notaire, Maître Y. Il ajoute que la décision de
placement sous curatelle empêche la mise à exécution du mandat de protection future.

Vous répondrez aux questions suivantes.


1. Monsieur D. va-t-il pouvoir contester l’ordonnance du juge aux affaires familiales du
2 novembre 2015 ? (6 points)
2. Monsieur D. pourra-t-il former une demande en divorce dans le cadre de la procédure
engagée par son épouse en juin 2016 ? (2 points)
3. En l’absence de demande en divorce, Monsieur D. pourrait-il éviter la mise à sa charge par le
jugement de séparation de corps d’une pension alimentaire au profit de l’épouse ? (4 points)
4. Le mandat de protection future pourra-t-il être déclaré nulle part le juge des tutelles si
Monsieur D. rapporte la preuve que les facultés mentales de son père étaient déjà affaiblies
le 26 mai 2011 ? (4 points)
5. La mesure de curatelle décidée le 2 juillet 2016 fait-elle obstacle à la mise à exécution du
mandat de protection future donné le 26 mai 2011 ? (4 points)

Monsieur D., en pleine crise financière et conjugale, rencontre des difficultés relatives à une ordonnance du

Cas pratique 3
juge aux affaires familiales (1), à une demande en séparation de corps (2), à une pension alimentaire (3), à
la nullité d’un mandat de protection future (4) et à la mise à exécution d’un mandat de protection future (5).

1. Monsieur D. va-t-il pouvoir contester l’ordonnance du juge aux affaires familiales


du 2 novembre 2015 (6 points)
Par une ordonnance, en date du 2  novembre 2015, le juge aux affaires familiales sollicite le paiement
direct d’une pension alimentaire auprès de l’employeur de Monsieur D. Ce dernier n’a pas été informé de la
procédure, puisque l’huissier a converti l’assignation en procès-verbal sur le fondement de l’article 659 du
Code de procédure civile.
Les diligences accomplies par l’huissier pour délivrer l’assignation sont-elles suffisantes ?
En application de l’article 214 du Code civil, les époux doivent contribuer aux charges du mariage. L ’alinéa 2
dudit article précise que si l’un des époux ne remplit pas ses obligations, l’autre peut l’y contraindre.
En l’espèce, Madame D., n’exerçant pas d’activité professionnelle, a assigné son époux en contribution aux
charges du mariage. Toutefois, l’huissier n’ayant pu délivrer l’acte à personne, celui-ci a été converti en
procès-verbal sur le fondement de l’article 659 du Code de procédure civile. Or, Monsieur D. conteste les
diligences accomplies.
L ’assignation est l’acte de procédure adressé par le demandeur au défendeur par l’intermédiaire d’un
huissier de justice, pour l’inviter à comparaître devant une juridiction de l’ordre judiciaire.
Afin que la notification soit pleinement effective, elle doit être réalisée au lieu où l’on est le plus sûr de
toucher le destinataire de l’acte. Ainsi, en application de l’article  654 du Code de procédure civile, la
signification doit être faite à personne, remise au destinataire directement, en mains propres, en quelque
lieu qu’il se trouve y compris sur son lieu de travail.
Or en l’espèce, l’huissier n’a pas pu remettre l’assignation à Monsieur D.

107
L ’huissier de justice ne peut s’exonérer de son obligation de signifier à personne posée à l’article 654 du
Code de procédure civile que s’il justifie des raisons qui ont rendu cette remise au destinataire impossible
(CPC, art. 659). L ’huissier de justice doit procéder à toutes les investigations nécessaires pour connaître le
domicile, la résidence ou le lieu de travail du destinataire de l’acte (Cass. 2e civ., 21 juill. 1986). En l’espèce,
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l’huissier a mentionné plusieurs diligences.
Pour la première diligence, il est relevé que l’épouse a informé l’huissier que l’époux a quitté le domicile
depuis le 25 septembre 2015, sans plus de précisions. Or, si l’épouse connaissait le domicile réel de son
époux la signification doit être annulée (Cass. 2e civ., 17 mai 2001).
Pour la seconde diligence, il est précisé que Monsieur D. n’a pu être trouvé sur son lieu de travail, après
plusieurs passages de l’huissier délégué. Or, Monsieur D. soulève qu’il était présent. Satisfaisant aux
diligences de l’article 659 du Code de procédure civile, l’huissier de justice qui, quand le domicile et la
résidence du destinataire de l’acte sont demeurés introuvables, s’est rendu plusieurs fois sur le lieu de
travail de celui-ci sans pouvoir délivrer l’acte à personne (Cass. 2e civ., 19 nov. 2008). Finalement, ce point
se résoudra sur le terrain probatoire.
Enfin, il est indiqué que l’huissier a laissé un message téléphonique invitant Monsieur D. à le contacter. Or,
le numéro de téléphone figurant sur le procès-verbal ne correspond pas au numéro de Monsieur D. Comme
pour le précédent point, la difficulté se résoudra sur le terrain probatoire.
Surtout, les juges du fond doivent vérifier si les diligences sont suffisantes. Ainsi, la jurisprudence considère
que pour une pension alimentaire après séparation de corps, il convient de rechercher si la nouvelle adresse
ne pouvait être obtenue auprès des enfants du couple (Cass. 2e civ., 15 nov. 1995).
Or, en l’espèce aucune diligence ne semble avoir été réalisée en ce sens, alors que le couple a au moins un
enfant. Ainsi, il est possible de déclarer nulle la signification effectuée dès lors que l’huissier de justice n’a
pas fait toutes les recherches nécessaires.
Cas pratique 3

La nullité pour non-respect de l’article 658 du Code de procédure civile est une nullité pour vice de forme
(Cass. 2e civ., 22 nov. 1984).
En vertu de l’adage quod nullum est, nullum producit efficium, la nullité de l’acte de procédure entraîne
en principe l’anéantissement rétroactif de celui-ci. Les conséquences de la nullité sont le plus souvent
restreintes à l’acte de procédure attaqué ; mais elles peuvent s’étendre aussi à tous les actes qui avaient été
accomplis sur le fondement de l’acte annulé.
Ainsi, il convient d’annuler l’ordonnance en date du 2 novembre 2015 qui a été prise sur le fondement de
l’assignation convertie en procès-verbal par l’huissier.

2. Monsieur D. pourra-t-il former une demande en divorce dans le cadre de la procédure


engagée par son épouse en juin 2016 ? (2 points)
L ’épouse, en juillet 2016, a déposé une requête en séparation de corps. L ’époux souhaite lui opposer une
demande en divorce.
Dans le cadre d’une procédure en séparation de corps, le juge peut-il se prononcer sur une demande en
divorce émanant de l’autre époux ?
La séparation de corps est un simple relâchement du lien conjugal, consistant essentiellement dans la
dispense du devoir de cohabitation, alors que les devoirs de fidélité et d’assistance demeurent (C. civ.,
art. 296 et s.).
L ’article 297-1 du Code civil dispose que « Lorsqu’une demande en divorce et une demande en séparation de
corps sont concurremment présentées, le juge examine en premier lieu la demande en divorce. Il prononce
celui-ci dès lors que les conditions en sont réunies. À défaut, il statue sur la demande en séparation de corps ».
Dès lors, Monsieur D. pourra former une demande reconventionnelle en divorce pour faute, en invoquant
notamment l’infidélité de son épouse et le juge devra se prononcer en priorité sur la demande en divorce.

108
3. En l’absence de demande en divorce, Monsieur D. pourrait-il éviter la mise à sa charge par
le jugement de séparation de corps d’une pension alimentaire au profit de l’épouse ? (4 points)
Dans l’hypothèse où aucune demande en divorce ne serait présentée, Monsieur D. peut-il se soustraire à la

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condamnation à la pension alimentaire dans le cadre d’une séparation de corps ?
Le devoir de secours comporte normalement l’obligation, pour chacun des époux, de fournir à l’autre,
s’il est dans le besoin, tout ce qui est nécessaire à son entretien (nourriture, logement, vêtements, soins
médicaux…). L ’article 303 du Code civil précise que la séparation de corps laisse subsister le devoir de
secours et le jugement prononçant la séparation de corps fixe la pension alimentaire, qui est due à l’époux
dans le besoin.
La pension alimentaire due au titre du devoir de secours est fixée en considération de deux éléments visés
à l’article 208 du Code civil. Il s’agit à la fois de l’état de besoin du créancier et du montant des ressources
dont dispose le débiteur. Ces critères sont souverainement appréciés par les juges du fond (Cass. 2e civ.,
10 juill. 1991).
En l’espèce, il est précisé que l’épouse n’exerce pas d’activité professionnelle et que son époux subvenait
seul aux besoins de la famille. Toutefois, l’époux vient de retrouver un emploi de magasinier, ce qui laisse
supposer que ses ressources sont plus faibles que lorsqu’ils menaient « grand train de vie ».
Reste à savoir, si l’infidélité de l’épouse a une incidence.
L ’époux tenu au devoir de secours n’est cependant pas dépourvu de tous moyens de défense puisqu’il peut
invoquer, s’il y a lieu, les dispositions de l’article 207, alinéa 2 (sur renvoi de l’art. 303, al. 2, C. civ.). Cet
article prévoit la déchéance en tout ou en partie du droit aux aliments en cas de manquement grave du
créancier à ses obligations envers le débiteur. Les fautes invoquées par un époux à l’appui de la demande
en séparation de corps aux torts du créancier seront retenues si elles présentent un caractère de gravité

Cas pratique 3
suffisante. Ainsi, une cour d’appel a pris en considération à bon droit de nombreux abandons du foyer par
la femme pour réduire l’obligation du mari (Cass. 2e civ., 11 févr. 1981).
Or, en l’espèce, l’époux a découvert l’infidélité de son épouse à travers des photographies et des messages
diffusés sur Internet.
En conclusion, il convient de décharger totalement ou partiellement l’époux du versement d’une prestation
compensatoire.

4. Le mandat de protection future pourra-t-il être déclaré nul par le juge des tutelles
si Monsieur D. rapporte la preuve que les facultés mentales de son père étaient
déjà affaiblies le 26 mai 2011 ? (4 points)
Le 26 mai 2011, Monsieur D. conclut un mandat de protection future en désignant comme mandataire son
notaire.
Le mandat de protection future peut-il être déclaré nul si les facultés mentales sont affaiblies ?
Le mandat de protection future est le mandat par lequel une personne capable organise sa propre protection
juridique, pour le cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts par suite d’une altération de ses
facultés personnelles, en désignant un tiers de confiance chargé de la représenter dans les actes de la vie
civile (C. civ., art. 477 et s.).
Le mandant est une personne physique majeure ou mineure émancipée. Il ne doit pas faire l’objet d’une
mesure de tutelle (C. civ., art. 477).
En l’espèce, Monsieur D., au 26 mai 2011, ne fait l’objet d’aucune mesure de protection.
Comme pour tout acte juridique, il importe que les parties au mandat de protection future soient saines
d’esprit, ce qui est présumé (C. civ., art. 414-1). S’il est par la suite établi que le mandant était sous l’empire

109
d’un trouble mental au moment de l’acte, le mandat pourra être annulé. Néanmoins, selon les termes de
l’article 414-2 du Code civil, l’action n’appartient, de son vivant, qu’à l’intéressé.
Ainsi, le fils de Monsieur D. ne pourra pas agir en justice à cette fin.
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5. La mesure de curatelle décidée le 2 juillet 2016 fait-elle obstacle à la mise à exécution du
mandat de protection future donné le 26 mai 2011 ? (4 points)
Par un jugement, en date du 2 juillet 2016, Monsieur D. a été placé sous le régime de la curatelle. Une
association a été désignée en qualité de curateur. Toutefois, le mandat de protection future conclu en 2011
est mis à exécution par le mandataire. Monsieur D. et son curateur saisissent le juge des tutelles afin de
substituer le mandat de protection future à la curatelle.
Le juge des tutelles peut-il substituer à une curatelle, un mandat de protection future ?
Le mandat de protection future prend effet lorsqu’il est établi que le mandant ne peut plus pourvoir seul à
ses intérêts (C. civ., art. 477 et 481) pour l’une des causes prévues à l’article 425 du Code civil, c’est-à-dire
en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales soit de ses facultés
corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté. Il appartient alors au mandataire, à peine
d’engager sa responsabilité, de mettre en œuvre la mesure de protection conventionnelle.
En l’espèce, le notaire (mandataire) a mis à exécution, le 15 octobre 2016, le mandat de protection future.
Toutefois, une difficulté se pose dans l’hypothèse où la personne est soumise à une curatelle au moment
de la mise à exécution du mandat de protection future. En effet, le mandat, dans une telle hypothèse, ne
doit pas pouvoir prendre effet dès sa conclusion, à défaut de quoi il permettrait une remise en cause de la
décision de justice ouvrant la curatelle.
A priori donc, le mandat de protection future ne devrait pas être mis à exécution en dehors d’une intervention
Cas pratique 3

judiciaire.
En matière de curatelle, comme de tutelle, les prévisions du juge sont constamment révisables. En effet,
l’article 442, alinéa 3 du Code civil prévoit que « le juge peut, à tout moment, mettre fin à la mesure, la
modifier ou lui substituer une autre mesure prévue au présent titre ». Le mandat de protection future
faisant partie du titre XI, « De la majorité et des majeurs protégés par la loi », le juge des tutelles pourra
substituer à la curatelle, le mandat de protection future conclu en 2011.
Néanmoins, il convient de préciser que le juge des tutelles devra apprécier l’amélioration des facultés
mentales de l’intéressé.
Une autre voie semble envisageable pour le fils de Monsieur D.. En effet, aux termes des articles 484 du
Code civil et 1259-3 du Code de procédure civile, tout intéressé peut saisir le juge aux fins de contester sa
mise en œuvre ou les modalités de son exécution.
Ainsi, le fils de Monsieur D., membre de sa famille, peut agir en contestation de la mise en œuvre du
mandat. Finalement, c’est la jurisprudence qui a apporté la solution. En effet, si le mandat de protection
future mis à exécution prend fin par le placement en curatelle du mandant, tel n’est pas le cas du mandat
de protection future qui n’avait pas été mis en œuvre lorsque la mesure de curatelle a été ouverte et qui
peut donc l’être alors que cette mesure de protection judiciaire est en cours (Cass. 1re civ., 4 janv. 2017).
Une telle solution résulte de la combinaison des articles 483, 2° et 477, alinéa 2, du Code civil et qui ne
peut être mise en œuvre que si le mandat n’a pas été révoqué par le juge, c’est-à-dire à la condition qu’il ne
porte pas atteinte aux intérêts du mandant.
En conclusion, le débat portera sur la question de savoir si une telle mesure porte atteinte aux intérêts du
mandant ou non.

110
Sujet

9
CAS PRATIQUE : CAS MAGOU
(SUJET COMPLÉMENTAIRE 1)

DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE


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SUJET
Jusqu’alors Monsieur Magou avait une vie parfaitement heureuse, mais cette nouvelle année
2018 qui commence promet nombre de difficultés.
C’est en ce mois de janvier 2018 que les difficultés commencent sur un plan professionnel :
– son principal fournisseur lui a récemment proposé l’acquisition de toute une nouvelle
gamme de produits à un prix très attractif. Monsieur Magou a demandé quelques jours de
réflexion, histoire de montrer qu’il est dur en affaires. Cependant, à peine deux jours plus
tard, son fournisseur lui dit qu’il a vendu lesdits produits à un autre distributeur. Monsieur
Magou est furieux d’autant qu’il avait déjà programmé une opération commerciale spéciale
susceptible de lui rapporter plus de 100 000 € nets. Peut-il agir contre son fournisseur ? Que
peut-il espérer obtenir ?
– il s’adresse par la suite à un autre fournisseur dont il rencontre l’un des salariés, Monsieur
Doré. Celui-ci lui offre une ristourne de 40 % pour toute commande si Monsieur Magou

Cas pratique 4
s’engage à s’approvisionner en exclusivité auprès de sa société pendant deux ans. Monsieur
Magou se dit qu’il ne peut laisser passer une telle aubaine et accepte. Mais, dès la première
commande qu’il passe, le fournisseur refuse de lui faire la ristourne, car, selon lui, Monsieur
Doré n’avait pas le pouvoir de passer une telle convention (qui a bien été écrite et signée par
Messieurs Doré et Magou), lui qui n’est qu’un simple salarié, en charge de la démonstration
des produits. Qu’en pensez-vous ?
En ce mois de juin 2018, les galères continuent pour Monsieur Magou : sa femme vient de le
quitter, alors qu’il ne s’y attendait nullement. D’ailleurs, il l’aime toujours, et entend toujours
la reconquérir. Pour elle, la séparation est actée et elle veut obtenir le divorce. Qu’en pensez-
vous ? Quel juge doit être saisi ?
À l’occasion du divorce, deux autres difficultés surgissent :
– d’une part, Madame Magou, avocate, veut conserver comme nom d’usage celui de son mari,
qui est aussi celui des enfants et celui par lequel elle est connue de sa clientèle ? Peut-il s’y
opposer ? Le gardera-t-elle tout de même ?
– d’autre part, Monsieur Magou s’oppose à la communion solennelle de leur fille aînée tandis
que sa mère insiste. Leur fille de 12 ans n’a pas vraiment d’avis. Qu’en pensez-vous ?

111
Au cours de l’année 2018, Monsieur Magou nous interroge sur deux séries de questions parfaitement
distinctes et qu’il convient d’étudier successivement :
I – Sur les questions d’ordre professionnel
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II – Sur les questions d’ordre personnel

I - Sur les questions d’ordre professionnel


En janvier 2018, Monsieur Magou rencontre deux difficultés avec deux fournisseurs distincts :
A – Sur les relations entre Monsieur Magou et le premier fournisseur
B – Sur les relations entre Monsieur Magou et le second fournisseur
[À noter que les faits se déroulant en janvier 2018, il sera fait application du droit des contrats tel qu’issu
de l’ordonnance du 10 février 2016, et non le droit réformé issu de la loi du 20 avril 2018, laquelle n’est
entrée en vigueur que le 1er octobre 2018]

A - SUR LES RELATIONS ENTRE MONSIEUR MAGOU ET LE PREMIER FOURNISSEUR

Le principal fournisseur de Monsieur Magou, distributeur, lui propose l’acquisition de produits. Monsieur
Magou demande quelques jours de réflexion. Il programme une opération commerciale en ce sens. Cependant,
deux jours après la proposition, le fournisseur lui apprend qu’il a vendu lesdits produits à un tiers.
Quelles sont les voies de droit offertes à Monsieur Magou agissant à l’encontre du fournisseur ?
Cas pratique 4

Afin d’envisager les différentes voies de droit qui s’offrent à Monsieur Magou, distributeur, à l’encontre de
son fournisseur, il convient de qualifier juridiquement la situation.

1. Sur la qualification
Les faits rapportés ne permettant pas de déterminer immédiatement la qualification juridique de la relation
entre le distributeur et le fournisseur, il convient d’envisager deux hypothèses : l’existence d’une promesse
unilatérale de vente, d’un côté, et d’une simple offre, de l’autre.
Sur le fondement de l’article 1124 du Code civil, « La promesse unilatérale est le contrat par lequel une
partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont
les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du
bénéficiaire ».
En l’espèce, le fournisseur a proposé des produits déterminés à un prix déterminé. La proposition contient
donc les éléments essentiels du contrat de vente futur. Le distributeur, Monsieur Magou, a demandé un
délai de réflexion, ce qui pourrait laisser penser qu’il entend se donner le droit de consentir ou non à
la proposition. Ces éléments pourraient conduire à la qualification de promesse unilatérale de vente ;
cependant, aucun élément de fait ne témoigne de la volonté commune des deux parties de figer leurs
discussions et négociations dans un accord. Il n’est pas possible d’affirmer que les parties ont conclu un
avant-contrat.
Par conséquent, la qualification de promesse unilatérale ne semble pouvoir être retenue en l’état des faits
rapportés. Reste à envisager la qualification d’offre.
Sur le fondement de l’article 1114 du Code civil, « L ’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée,
comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas
d’acceptation. À défaut, il y a seulement invitation à entrer en négociation ».

112
En l’espèce, le fournisseur a proposé des produits déterminés à un prix déterminé. La proposition contient
donc les éléments essentiels du contrat de vente futur. La proposition apparaît au moment de son émission,
claire, précise et ferme.

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Par conséquent, le fournisseur a effectivement réalisé une offre à destination de son distributeur, Monsieur
Magou.
À noter que l’article 1113 alinéa 1er du Code civil dispose « Le contrat est formé par la rencontre d’une offre
et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager ».
En l’espèce, une offre a bien été émise, mais elle a été rétractée par le pollicitant au moment où le destinataire
a entendu manifester son acceptation. Il n’y a donc pas eu rencontre des volontés.
Par conséquent, aucun contrat n’a été formé sur lesdits produits entre le fournisseur et le distributeur.
La qualification des faits déterminés, il convient d’étudier le régime juridique afférent pour connaître des
voies de droit ouvertes à Monsieur Magou.

2. Sur le régime
En vertu de l’article 1115 du Code civil, l’offre « peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue
à son destinataire ».
En l’espèce, l’offre a été émise directement et présentement au distributeur. Elle lui est donc parvenue.
Par conséquent, l’offre ne pouvait librement être rétractée par son auteur.
L ’article 1116 du Code civil dispose, en son alinéa 1er, que l’offre « ne peut être rétractée avant l’expiration
du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable ». Cette disposition rappelle
l’enseignement prétorien aux termes duquel, toute offre est nécessairement assortie d’un délai stipulé ou

Cas pratique 4
raisonnable (Cass. 3e civ., 20 mai 2009).
En l’espèce, rien n’indique que le pollicitant ait déterminé un délai pour l’acceptation du distributeur qui
a demandé quelques jours de réflexion. En l’absence de délai stipulé, il convient de se demander si la
rétractation du fournisseur intervenue en l’espèce « à peine deux jours plus tard » est constitutive ou non
d’un délai raisonnable. En la matière, si la loi n’offre pas de critère, le juge peut prendre en considération, la
qualité des parties, la valeur de la chose objet de l’offre de vente, la nature de la chose ou encore la pratique
des parties. En l’espèce, il s’agit de négociations entre professionnels de la distribution qui sont déjà en
relation d’affaires et qui négocient un contrat portant sur des produits pour un montant relativement
importants au vu des profits qu’espérait en tirer le distributeur. Ces éléments ne sont pas par eux-mêmes
définitifs, cependant réunis, ils laissent croire qu’un délai très court de moins de deux jours ne semble pas
raisonnable.
Par conséquent, le pollicitant ne pouvait valablement rétracter son offre.
Quelles sont alors les voies de droit ouvertes à Monsieur Magou ?
Le distributeur peut-il exiger la réalisation forcée de la vente ?
En vertu de l’article 1116 alinéa 2 du Code civil, « La rétractation de l’offre en violation de cette interdiction
empêche la conclusion du contrat ».
En l’espèce, il a déjà été souligné qu’il n’y a pas eu rencontre des consentements du fait de la rétractation,
laquelle même non valablement émise, demeure opposable par le pollicitant au destinataire.
Par conséquent, Monsieur Magou ne pourra pas obtenir la réalisation forcée de la vente.
Le distributeur peut-il engager la responsabilité du fournisseur ?

113
Selon l’article 1116 alinéa  3 du Code civil, la rétractation de l’offre «  engage la responsabilité
extracontractuelle de son auteur dans les conditions du droit commun sans l’obliger à compenser la perte
des avantages attendus du contrat ». Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, la responsabilité
délictuelle du fait personnel est engagée lorsque trois conditions sont réunies : une faute, un préjudice et
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un lien de causalité.
En l’espèce, le fournisseur a de facto rétracté son offre avant l’issue d’un délai raisonnable. Cela constitue
une faute. Quant au préjudice, si le distributeur peut faire valoir l’engagement de frais qu’il devra prouver,
il ne pourra pas espérer obtenir réparation des gains qu’il entendait réaliser si le contrat avait été conclu.
Si le préjudice était démontré, les frais constitueraient une perte découlant de la rétractation fautive du
pollicitant.
Par conséquent, la responsabilité personnelle du fournisseur pourra être engagée par le distributeur, mais
ce dernier ne saurait obtenir à titre de dommages-intérêts le profit de 100 000 € espérés.
[NB : Le cas pratique aurait pu être traité sous l’angle du droit spécial et notamment sous l’angle des
pratiques restrictives de concurrence. En effet, la qualification de rupture des relations commerciales
établies – art. L. 442-6, I, 5° du Code de commerce – aurait pu être envisagée utilement SI cela n’avait pas
été hors programme dans le cadre de l’épreuve de cas pratique de droit civil au concours de l’ENM].

B - SUR LES RELATIONS ENTRE MONSIEUR MAGOU ET LE SECOND FOURNISSEUR

Un contrat a été conclu entre Monsieur Magou et une personne qui s’est engagée, salariée d’une société,
au nom et pour le compte de celle-ci. Cependant, la société refuse d’exécuter une partie de ses obligations
arguant que son salarié n’avait pas le pouvoir de l’engager.
Le contrat conclu oblige-t-il le fournisseur à l’égard du distributeur ?
Cas pratique 4

En vertu de l’article 1128 du Code civil, le contrat est valablement conclu dès lors que les parties ont la
capacité de contracter. Sur le fondement de l’article 1156 du Code civil, pris en son alinéa 1er, «  L ’acte
accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté (…) ».
En l’espèce, le salarié ne serait qu’en charge de la simple démonstration des produits et non de la vente. Il
n’aurait donc pas le pouvoir de représenter le fournisseur.
Par conséquent, le contrat semble inopposable au représenté, c’est-à-dire le fournisseur. L ’article 1128 alinéa 
3 du Code civil prévoit que l’inopposabilité comme la nullité peuvent être couvertes par la ratification du
représenté. En l’espèce, le fournisseur refuse d’exécuter les obligations contractuelles convenues par son
salarié.
Par conséquent, l’inopposabilité ne saurait être couverte.
Cependant, l’article 1128 alinéa 1er prévoit une exception à cette inopposabilité de principe, en vertu de la
théorie de l’apparence, dans le cas où le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du
représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
En l’espèce, le salarié ne semble pas s’être comporté comme un simple démonstrateur ; il a négocié la durée
du contrat, une exclusivité conventionnelle et une ristourne, soit le prix des produits. Ce comportement peut
légitimement apparaître comme un pouvoir de négociation et de représentation, et ce, d’autant qu’il ressort
des faits, que fournisseur et distributeur n’étaient pas en relation auparavant et donc que le distributeur ne
pouvait connaître du fonctionnement de l’entreprise du fournisseur.
En conclusion, le distributeur pourra valablement exiger du fournisseur le respect des obligations
contractuelles convenues. En cas de non-respect par le fournisseur de ses obligations, le distributeur pourra
user des voies de droit que l’article 1217 du Code civil lui offre en cas d’inexécution du contrat.

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II - Sur les questions d’ordre personnel
À compter de juin 2018, Monsieur Magou nous interpelle sur trois questions successives :

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A – Sur le divorce et le juge compétent
B – Sur l’utilisation de son nom de famille par son ex-femme à la suite du divorce
C – Sur la communion de leur fille

A - SUR LE DIVORCE ET LE JUGE COMPÉTENT

Madame Magou souhaite divorcer tandis que Monsieur Magou entend la reconquérir.
Quel cas de divorce peut être envisagé par Madame Magou qui souhaite divorcer ? Quel est le juge compétent ?

1. Sur les cas de divorce


L ’article 229 du Code civil prévoit quatre cas de divorce : un cas de divorce non contentieux (le divorce par
consentement mutuel sans juge/avec juge) et trois divorces semi-contentieux ou contentieux (le divorce
accepté, le divorce pour altération définitive du lien conjugal et le divorce pour faute).
Le divorce par consentement mutuel de l’article 230 du Code civil suppose l’accord des époux sur le principe
du divorce et la réalisation d’une convention synonyme d’accord sur ses conséquences. Le divorce sur
demande acceptée de l’article 233 du même code nécessite également l’accord sur le principe du divorce.
En l’espèce, Madame Magou souhaite divorcer, ce qui n’est pas le cas de Monsieur Magou. Ainsi, ces cas

Cas pratique 4
peuvent être écartés.
Concernant le divorce pour faute de l’article 242 du Code civil, il nécessite la caractérisation de trois
conditions cumulatives : le comportement reproché doit être commis sciemment et délibérément ; la faute
doit constituer un manquement grave aux obligations conjugales ; le comportement doit rendre intolérable
la vie commune. En l’espèce, rien dans les faits ne révèle un comportement de Monsieur Magou constitutif
de ces éléments.
En conséquence, en l’absence de preuve d’une faute de Monsieur Magou, Madame Magou ne pourra se
fonder sur ce cas de divorce.
Reste le divorce pour altération définitive du lien conjugal de l’article 237 du Code civil, il est nécessaire de
rapporter la preuve d’une séparation de plus de deux ans lors de l’assignation (C. civ., art. 238).
En l’espèce, les faits rapportent que Madame Magou vient de quitter Monsieur Magou. Dès lors, le délai de
deux ans n’est pas atteint.
En conséquence, ce cas de divorce semble exclu dans l’immédiat.
Cependant, en vertu de l’article 1106 alinéa 1er du Code de procédure civile, « L ’époux qui veut former
une demande en divorce présente par avocat une requête au juge. La requête n’indique ni le fondement
juridique de la demande en divorce ni les faits à l’origine de celle-ci. Elle contient les demandes formées
au titre des mesures provisoires et un exposé sommaire de leurs motifs ». En vertu des articles 1108 et
suivants du même code, le juge, après avoir vainement tenté une conciliation, rendra une ordonnance de
non-conciliation.
En l’espèce, Madame Magou pourra être tentée d’user de cette voie, pour donner date certaine à la
séparation – quoiqu’en l’espèce, ce point ne pose pas de difficultés probatoires apparentes –, engager la
procédure malgré l’absence d’une séparation de deux ans. Elle pourra également rechercher le bénéfice
d’une séparation de corps.

115
En conclusion, en toutes hypothèses, le divorce ne sera définitivement prononcé qu’après un délai de deux
ans à compter de la séparation de fait, sauf à finalement obtenir l’accord de Monsieur Magou. À noter que
si celui-ci devait finalement envisager le divorce, il pourrait reconventionnellement agir dans le cadre d’un
divorce pour faute (C. civ., art. 246, sans que doive être respecté le délai de deux ans).
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2. Sur le juge compétent
En vertu de L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire, le juge aux affaires familiales est compétent en
matière de divorce. L ’article 1070 du Code de procédure civile détermine la compétence territoriale de la
juridiction devant être saisie qui, en principe, dépend du ressort de la résidence des époux lorsqu’ils ne sont
pas séparés. En l’espèce, aucun élément de fait ne permet de déterminer le lieu de la résidence familiale.
En conséquence, Madame Magou devra saisir le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance
du lieu de la résidence du couple.

B - SUR L’UTILISATION DE SON NOM DE FAMILLE PAR SON EX-FEMME À LA SUITE DU DIVORCE

Dans le cadre de la procédure de divorce, Madame Magou fait valoir sa volonté de conserver l’usage du
patronyme de son mari.
Une personne qui a pris à titre de nom d’usage le nom patronymique de son conjoint peut-elle le conserver
à la suite du divorce ? Son ex-conjoint peut-il s’y opposer ?
En vertu de l’article 264 alinéa 1er du Code civil, relatif aux conséquences du divorce pour les époux, « À la
suite du divorce, chacun des époux perd l’usage du nom de son conjoint ».
Cas pratique 4

En l’espèce, Madame Magou peut, jusqu’à l’issue de la procédure de divorce que l’on sait ne pouvoir aboutir
immédiatement, conserver l’usage du patronyme marital.
Demeure qu’elle ne pourra pas en principe conserver l’usage du nom de son conjoint une fois le divorce prononcé.
Cependant, l’alinéa 2 du même article dispose que « L ’un des époux peut néanmoins conserver l’usage
du nom de l’autre, soit avec l’accord de celui-ci, soit avec l’autorisation du juge, s’il justifie d’un intérêt
particulier pour lui ou pour les enfants ».
En l’espèce, Monsieur Magou refuse à son conjoint de conserver ce droit d’usage, lorsque le divorce sera
prononcé. Reste à Madame Magou d’en demander l’autorisation au juge. Elle peut invoquer à cet effet l’intérêt
des enfants et l’idée d’un socle familial et patronymique unique. Cependant, cet argument semble quelque
peu obsolète eu égard à l’évolution de la société (Cass. 1re civ., 26 mars 1980 : le juge du fond doit pouvoir
comparer la situation de fait des parents et enfants de la cause avec les situations des autres parents divorcés
et leurs enfants). Madame Magou avance aussi des raisons professionnelles dès lors qu’elle serait connue de
sa clientèle sous le nom de son mari. Cet argument a pu prospérer devant les juges du fond, souverains dans
leur appréciation (CA Paris, 10 nov. 2004), mais les juges doivent vérifier la réalité de l’intérêt particulier.
En conséquence, les éléments de fait font défaut en l’espèce pour conclure définitivement ; Madame Magou
ne pourra pas en principe conserver l’usage du nom patronymique de son mari, sauf élément déterminant
et prouvé par la suite.

C - SUR LA COMMUNION DE LEUR FILLE

Madame Magou souhaite que sa fille aînée fasse sa communion, acte religieux. Monsieur Magou s’y oppose.
L ’enfant n’exprime aucune volonté particulière.

116
Un parent peut-il décider sans l’accord de l’autre parent la réalisation d’un acte religieux pour l’enfant ?
L ’article 371-1 du Code civil dispose « L ’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant
pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de

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l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre
son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le
concernent, selon son âge et son degré de maturité ». Encore, aux termes de l’article 372 du Code civil, les
parents exercent en commun l’autorité parentale.
En l’espèce, la mère souhaite que l’enfant procède à sa communion religieuse. Le père s’y oppose. L ’éducation
religieuse constitue un acte éducatif au sens de l’autorité parentale. L ’enfant n’exprime aucun avis.
Par conséquent, le principe est que la décision soit prise en commun.
À noter que l’article 373-2 du Code civil rappelle que la séparation des parents est sans incidence sur les
règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale.
En l’espèce, les parents sont séparés.
Demeure que cette séparation est sans effet sur le principe d’une décision en commun.
Cependant, l’article 372-2 du Code civil prévoit que chacun des parents est réputé agir avec l’accord de
l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant.
En l’espèce, la présomption d’accord ne valant que simplement et Monsieur Magou faisant clairement valoir
son opposition, Madame Magou ne pourra être réputée pouvoir agir seule. De plus, les actes d’éducation
religieuse ne semblent pas pouvoir être considérés comme des simples actes usuels au regard de leur
importance du point de vue de l’enfant (CA Nîmes, 20 juin 2012 ; Cass. 1re civ., 23 sept. 2015).
En conséquence, Madame Magou ne pourra pas au vu de l’opposition réaliser la communion solennelle de
leur enfant.

Cas pratique 4
[NB : en vertu des articles 373-2-6 du Code civil, le juge aux affaires familiales peut être saisi des questions
relatives à l’autorité parentale dans le but de sauvegarder les intérêts de l’enfant mineur.
En l’espèce, la persistance du désaccord peut nuire à l’enfant (Cass. 1re civ., 23 sept. 2015).
Par conséquent, Monsieur Magou ou Madame Magou pourront saisir le juge aux affaires familiales qui, après
médiation, sera amené à statuer éventuellement sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale.]

117
Sujet

10
CAS PRATIQUE : CAS TOM
(SUJET COMPLÉMENTAIRE 2)
DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE

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SUJET
Pour ses 50 ans, Tom décide d’acheter un bateau à moteur pour aller à la pêche aux
maquereaux. Après avoir vu une annonce dans le journal Ouest-France, il se rend chez le
courtier maritime, la SARL Ouest Marine située à Saint-Malo, qui a publié l’annonce d’un
Boston Whaler 320 Outrage de 2007 au prix de 90 000 euros, qui appartient à Monsieur
Romain Thomas. L ’annonce précisait que le bateau avait été « entièrement révisé » et que la
motorisation était « en très bon état ». Sans hésiter, Tom achète le bateau à Romain Thomas.
Le 30 avril 2017, partant du port de Dinard, il fait sa première sortie en mer et éprouve de
sérieuses difficultés à naviguer. Aussi, il dépose son bateau au chantier naval de Saint-Malo, le
mécanicien l’informe que les silentblocs du moteur sont vétustes, il a ainsi établi un devis, d’un
montant de 3 456 euros, prévoyant leur remplacement. Toutefois, le lendemain, le mécanicien
constate que le pont est rempli d’eau et que les moteurs sont affaissés endommageant la coque
du bateau. Tom est abattu, jamais il ne retrouvera ce bateau à ce prix. En effet, il y a très peu
de Boston Whaler en France et il y est très attaché.
Cas pratique 5

Vous répondrez aux questions suivantes.


1. Quelles actions judiciaires Tom peut-il intenter ? Vous détaillerez les fondements et le
tribunal compétent.
2. Avant que le bateau ne coule, Tom souhaiterait se ménager rapidement la preuve, comment
peut-il procéder ?
3. Tom a assigné, par acte du 12 mai 2017, la société Ouest Marine et Romain Thomas, lesquels
soulèvent l’article 12 du contrat de vente qui précise que « pour tous les litiges pouvant survenir
dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi
d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction ». Ont-ils des chances d’être
entendus par le tribunal ?
4. Finalement le tribunal a, entre autres, condamné Romain Thomas à indemniser Tom,
en se fondant sur le rapport d’expertise qui a chiffré le coût des réparations à la somme de
17  895 euros. Il est particulièrement étonné que le tribunal se fonde sur une expertise à
laquelle il n’a pas participé. Qu'en pensez-vous ?

Tom est confronté à plusieurs difficultés à la suite de l’achat d’un bateau, qui sont relatives à la responsabilité
(I), à la preuve (II), à une clause d’arbitrage (III) et à une expertise (IV).

118
I - Sur les responsabilités

Après avoir acheté un bateau auprès d’un courtier maritime, Tom éprouve des difficultés à naviguer. Il confie

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donc le bateau à un mécanicien qui l’informe que les supports moteurs sont défectueux. Le lendemain, le
moteur s’est affaissé endommageant la coque et le pont.
Tom souhaiterait donc intenter diverses actions en justice, aussi convient-il de déterminer les différents
fondements (A) et le tribunal compétent (B).

A - SUR LES FONDEMENTS

L ’achat du bateau implique diverses relations qu’il faut qualifier (1), afin d’appliquer le régime approprié (2).

1. La qualification
Sur le fondement des articles 1101 et 1103 du Code civil, le contrat se forme par la rencontre des volontés.
En l’espèce, plusieurs situations contractuelles sont à distinguer.
D’abord, Tom et Romain Thomas se sont accordés sur la vente du bateau. Dès lors, il s’agit d’un contrat de
vente.
Ensuite, le mécanicien a pris en charge le bateau. Si le devis n’a pas été signé et ne permet pas de retenir un
contrat d’entreprise, un contrat de dépôt a en revanche été conclu entre Tom et le mécanicien du chantier
naval de Saint-Malo.
Enfin, un contrat a été conclu entre Romain Thomas et le courtier maritime qui est en charge de la vente

Cas pratique 5
du bateau, il s’agit d’un contrat de mandat, par lequel il représente Romain Thomas auprès d’un acquéreur.
L ’article 1154 du Code civil reprend la distinction classique entre la représentation dite parfaite lorsque le
représentant agit au nom et pour le compte du représenté, et la représentation dite imparfaite, lorsque le
représentant dit agir pour le compte d’autrui, mais contracte en son nom.
En l’espèce, le courtier maritime agit au nom et pour le compte de Romain Thomas. En effet, le premier a
représenté le second, mais le contrat a été conclu par le propriétaire initial.
Dès lors, le représentant est un tiers absolu qui ne peut être tenu des obligations issues du contrat pour
lequel il exerce son pouvoir de représentation (C. civ., art. 1154). En conséquence, il n’y a pas de relation
contractuelle entre Tom et le courtier maritime.

2. Le régime
N. B : À la suite du décret du 13 février 2019, le programme de l’ENM a été modifié. Désormais, les contrats
spéciaux (la vente et le prêt) sont au programme. Dès lors, les règles spécifiques à la vente sont appliquées au
présent cas, alors que pour le mandat et le dépôt, il convient d’appliquer le droit commun des contrats.
a. Sur la vente
La vente est le contrat par lequel une personne, le vendeur, transfère ou s’engage à transférer un bien à une
autre personne, l’acheteur, qui a l’obligation d’en verser le prix en argent (C. civ., art. 1582 et s.).
En l’occurrence, un contrat de vente a été conclu entre Tom et Romain Thomas. Toutefois, le bateau a coulé
à la suite de la vente, en raison du mauvais état des silentblocs.
Aux termes de l’article 1603 du Code civil, « le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et
de garantir ce qu’il vend ». Il convient d’ajouter que selon l’article 1602 du Code civil, « le vendeur est tenu
d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige ».

119
Dans les contrats qui ont pour objet le transfert de propriété ou d’un autre droit, la délivrance désigne
l’obligation de mettre la chose à disposition de l’acquéreur. L’obligation de délivrer la chose emporte alors
obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable
(C. civ., art. 1604 et s.).
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L’obligation de délivrance est le transfert « en la puissance et possession » de l’acheteur. Il s’agit, après que le
transfert de propriété ait eu lieu, de donner à l’acheteur la maîtrise véritable de la chose, selon les termes
du contrat.
Or, en l’espèce le vendeur a satisfait à son obligation de délivrance, puisqu’il a délivré le bateau tel que
défini dans le contrat. Néanmoins, les silentblocs du moteur étaient défectueux.
À la conception matérielle de la conformité se superpose une conception fonctionnelle dans laquelle le
défaut de conformité s’apprécie par référence, non plus seulement aux spécifications contractuelles, mais
aux conséquences du défaut sur l’usage de la chose de la même façon que le vice caché.
Toutefois, opérant un revirement de jurisprudence, la première chambre civile de la Cour de cassation a
décidé que « le défaut de conformité de la chose vendue à sa destination normale constitue le vice prévu
par les articles 1641 et suivants du Code civil » (Cass. 1re civ., 8 déc. 1993).
Dès lors, il convient en l’espèce d’écarter le manquement à l’obligation de délivrance pour s’attacher à la
garantie des vices cachés.
Selon les termes de l’article 1641 du Code civil, « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts
cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent
tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les
avait connus ».
Plusieurs conditions sont posées. Il doit s’agir d’un défaut de la chose vendue qui ne se révèle pas à premier
Cas pratique 5

examen et qui la rend impropre à l’usage auquel elle est destinée, ou qui diminue tellement cet usage que
l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il l’avait connu.
En l’espèce, il y a bien un vice qui tient à l’usure des silentblocs. De plus, il est caché, car l’acquéreur ne
pouvait pas le déceler. Enfin, il rend impropre l’usage du bateau.
Dès lors, la garantie des vices cachés aura vocation à s’appliquer.
L’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à
compter de la découverte du vice (C. civ., art. 1648).
En l’espèce, l’action ne semble donc pas prescrite.
L’article 1644 du Code civil prévoit deux actions pour l’acheteur : « l’acheteur a le choix de rendre la chose et
de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix » c’est-à-dire qu’il
a le choix entre exercer une action rédhibitoire ou une action estimatoire.
En revanche, l’acheteur ne peut, en principe, obtenir la réparation ou le remplacement de la chose (Cass.
civ., 11 avr. 1933).
L’action rédhibitoire est une forme particulière d’action en résolution judiciaire puisqu’elle assure la
destruction rétroactive de la vente. Le vendeur doit alors restituer la chose et l’acheteur le prix qu’il a reçu.
L’action estimatoire est une sorte de réfaction judiciaire de la vente. L’acheteur conservera la chose, mais
obtiendra une réduction du prix.
Cette option est en principe totalement libre pour l’acheteur : le juge ne peut contrarier ce choix pas plus
qu’une clause de la vente qui interdirait par exemple une action rédhibitoire contre un remplacement ou la
réparation de la chose (Cass. 3e civ., 20 oct. 2010).
En l’espèce, il est mentionné que l’acquéreur souhaite conserver le bateau, dès lors il convient de se diriger
vers l’action estimatoire.

120
Toutefois, l’acheteur peut solliciter d’autres dommages-intérêts. L’article 1645 du Code civil prévoit, en
effet, que « si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix, qu’il en
a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur ». Et l’article 1646 du Code civil précise que
« si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu’à la restitution du prix, et à rembourser à

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l’acquéreur les frais occasionnés par la vente ».
Ici, le vendeur ne semblait pas connaître les vices de la chose. D’autant plus, qu’il a sollicité l’aide d’un
courtier maritime.
Aussi, La Cour de cassation a rappelé que le vendeur ayant ignoré les vices cachés ne peut être tenu envers
l’acheteur qui garde la chose vendue qu’à la seule restitution partielle du prix (Cass. 1re civ., 6 avr. 2016).
En conséquence, à l’égard du vendeur, l’acquéreur ne pourra solliciter qu’une restitution partielle du
prix et non la réparation de tous les dommages. Toutefois, il pourra se tourner contre le mandataire et
éventuellement le dépositaire.
b. Sur le dépôt et le mandat
Sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil, un contractant engage sa responsabilité en cas de
manquement contractuel se trouvant à l’origine d’un préjudice.
En l’espèce, lorsque le mécanicien a examiné le moteur et a préconisé le changement des silentblocs, il n’y
avait pas d’eau sur le pont et il n’y en avait pas non plus au moment où le navire lui a été déposé. C’est le
lendemain du dépôt que le mécanicien a constaté que le pont était rempli d’eau, avec les dommages qui
s’en sont suivis.
Or, pèse sur le mécanicien une obligation de moyens de conserver la chose dans l’état et de restituer la
chose dans l’état où elle se trouvait.
En conséquence, le mécanicien engage sa responsabilité contractuelle.

Cas pratique 5
Enfin, le courtier maritime et l’acquéreur, n’étant pas liés par un contrat, sa responsabilité est engagée sur le
fondement de l’article 1240 du Code civil. La responsabilité délictuelle pour faute personnelle est engagée
lorsque trois conditions sont réunies : une faute, un préjudice et un lien de causalité.
En l’espèce, le préjudice avancé par Tom est la destruction partielle du bateau.
Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, la faute se définit comme l’acte de commission ou
d’omission. Cette dernière est caractérisée lorsque le fait doit être accompli en vertu d’une obligation légale
ou réglementaire (Cass. 1re civ., 27 févr. 1951, Branly).
En l’espèce, l’information fournie par le courtier maritime est erronée. En effet, l’annonce précisait que le
moteur avait été « entièrement révisé » et que la motorisation était « en très bon état ». Or, les supports
moteurs étaient en mauvais état.
Le mandataire du vendeur, en sa qualité de professionnel, a donc commis une double faute à l’égard de
l’acquéreur. D’une part, il n’a pas informé le vendeur et l’acquéreur du mauvais état des silentblocs. D’autre
part, c’est lui qui a fait paraître l’annonce vantant le très bon état du navire et de sa motorisation, une
publicité qu’il serait possible de qualifier de trompeuse.
En conséquence, le courtier maritime engage sa responsabilité sur le terrain délictuel.
En conclusion, la responsabilité contractuelle de Romain Thomas et du mécanicien sera engagée, tandis
qu’à l’égard du courtier maritime la responsabilité sera délictuelle.
L’acquéreur étant attaché à son bateau, et face à la rareté de ce dernier, réclamera la réparation du bateau
auprès des trois protagonistes.

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B - LE TRIBUNAL COMPÉTENT

1. La compétence matérielle
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Pour la compétence matérielle, le tribunal de grande instance est la juridiction de droit commun. En
effet, « Le TGI connaît de toutes les affaires civiles et commerciales pour lesquelles compétence n’est pas
attribuée, en raison de la nature de l’affaire ou du montant de la demande à une autre juridiction » (COJ,
art. L. 211-3).
La compétence du tribunal de grande instance vaut pour toutes les actions personnelles ou mobilières, mais
la réserve des textes quant à la valeur du litige lui fait partager sa compétence, pour ce type d’actions, avec
d’autres juridictions.
En l’espèce, il s’agit d’une demande en justice visant à une réparation en nature, donc d’une action personnelle.
Le tribunal de grande instance ne peut en connaître qu’au-delà de 10 000 euros (COJ, art. L. 211-3). En
deçà, on trouve le tribunal d’instance jusqu’à 10 000 euros (COJ, art. L. 221-4).
Ici, la demande principale est supérieure à 10 000 euros puisqu’un rapport d’expertise a chiffré le montant
des réparations à la somme de 17 895 euros.
En conséquence, le tribunal de grande instance est compétent pour connaître de ce litige.

2. La compétence territoriale

Pour la compétence territoriale, les règles sont posées aux articles 42 et suivants du Code de procédure
civile qui concernent toutes les juridictions de l’ordre judiciaire, sauf disposition contraire.
Cas pratique 5

La règle est ici que le demandeur doit porter son action devant le tribunal du lieu où demeure le défendeur
(CPC, art. 42, actor sequitur forum rei).
Tom devra donc porter son action au lieu du tribunal du défendeur. Toutefois, en l’espèce, il y a plusieurs
défendeurs : le courtier maritime, le vendeur et le mécanicien.
Pour une personne morale, il s’agit du lieu où elle est établie (CPC, art. 43), le siège social pour les sociétés.
Le lieu est fixé dans les statuts. Pour le courtier, il s’agit d’une SARL qui est domiciliée à Saint-Malo.
Néanmoins, à l’égard du courtier maritime, la relation étant délictuelle, il est possible de faire application
de l’article 46 du Code de procédure civile, qui ouvre une option : la demande pourra être portée devant
la juridiction où demeure le défendeur, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou
devant celui dans le ressort duquel le dommage « a été subi ».
En tout état de cause, le défendeur est domicilié à Saint-Malo et le dommage s’est produit et a été subi
également dans le ressort du tribunal de grande instance de Saint-Malo.
Ainsi, à l’égard du courtier maritime, le tribunal de grande instance compétent est celui de Saint-Malo. À
l’égard du vendeur et du mécanicien, il est question de relations contractuelles.
Ainsi, en matière contractuelle, le demandeur a la faculté de porter le litige, selon la nature du contrat, soit
devant la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose, soit devant celle du lieu de l’exécution de
la prestation de services (CPC, art. 46, al. 2).
En l’espèce, il s’agit d’un contrat portant sur une chose. On peut supposer que le lieu de livraison était
Saint-Malo.
Enfin, en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur assignera tous les défendeurs devant la juridiction
du lieu où demeure l’un d’eux, à son choix (CPC, art. 42, al. 2).
En conclusion, le tribunal compétent est le tribunal de grande instance de Saint-Malo.

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II - Sur la preuve

Avant que le bateau ne coule, l’acquéreur souhaiterait se préconstituer rapidement la preuve des

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manquements.
Sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, « s’il existe un motif légitime de conserver
ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures
d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête
ou en référé ».
Ce texte permet à tout intéressé de demander sur requête (sans contradictoire) ou en référé (dans le respect
du contradictoire) une mesure d’instruction dite in futurum ou préventive, c’est-à-dire… avant tout procès
à condition de démontrer un motif légitime d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution
d’un éventuel litige.
En l’espèce, il est nécessaire de recourir à une telle mesure d’instruction avant que le bateau ne coule par
voie de référé. De plus, une telle expertise permettra de déterminer l’incidence des diverses fautes des
protagonistes.
Par ailleurs, l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle tant que le tribunal arbitral n’est
pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’État aux fins d’obtenir une mesure d’instruction
sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (CPC, art. 1449).
Ainsi, l’article 12 du contrat de vente ne fera pas obstacle à une demande d’expertise sur le fondement de
l’article 145 du Code de procédure civile.
En conclusion, Tom pourra obtenir en référé, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile,
une expertise.

Cas pratique 5
III - Sur la clause d’arbitrage
L ’article 12 du contrat de vente précise que « pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du
présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout
recours à une autre juridiction ».
L ’avis d’un arbitre est-il un préalable à la saisine du juge ?
Selon l’article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à
faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen du fond pour défaut de droit d’agir, tels
le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Si l’article 122 du Code de procédure civile énonce un certain nombre de fins de non-recevoir, la Cour de
cassation a reconnu qu’il ne s’agissait que d’une liste indicative.
Des fins de non-recevoir peuvent provenir d’une source conventionnelle. C’est le cas des clauses par
lesquelles les parties conviennent d’instaurer un préalable à la saisine du juge, en particulier lorsqu’il s’agit
d’instituer une tentative de règlement amiable d’un litige qui les opposerait (Cass. ch. mixte, 14 févr. 2003).
Or en l’espèce, la clause prévoit qu’en cas de litige, il convient de solliciter l’avis d’un arbitre.
Concrètement, le demandeur devra préalablement mettre en œuvre la clause, avant toute saisine du juge.
À défaut, cela constituera une fin de non-recevoir.

123
Toutefois, la Haute juridiction a précisé que, lorsque les parties n’ont pas pris soin d’assortir la clause des
conditions particulières de sa mise en œuvre, la demande introduite en méconnaissance du préalable prévu
ne peut donner lieu à une fin de non-recevoir (Cass. com., 29 avril 2014).
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En d’autres termes, il faut stipuler les modalités de sa mise en œuvre, qui permettent notamment de
déterminer le moment à partir duquel les parties retrouvent leur liberté procédurale.
Or, l’article 12 du contrat de vente est elliptique et devrait rester sans effet, dès lors qu’elle ne prévoyait pas
les conditions particulières de conciliation.
Néanmoins, la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’est départie de la solution de la chambre
commerciale (Cass. 3e civ., 19  mai 2016). En effet, elle a considéré que la clause précisant que «  pour
tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter
l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction », est un préalable
à la saisine du juge. Plus récemment, la Cour de cassation a retenu que la clause imposant la saisine
pour « avis » de l’ordre des architectes préalablement à toute action judiciaire institue une procédure de
conciliation préalable obligatoire dont la méconnaissance constitue une fin de non-recevoir insusceptible
de régularisation (Cass. 3e civ., 16 nov. 2017).
Concrètement, en dépit de la formulation évasive de la clause, Tom devra respecter l’article 12 du contrat
avant toute saisine du juge.

IV - Sur l’expertise
Le tribunal, se fondant sur un rapport d’expert, a condamné le vendeur. Toutefois, ce dernier n’a pas
Cas pratique 5

participé à l’expertise.
Les vérifications et opérations diverses réalisées par un technicien exigent la présence ou du moins la
convocation des parties (CPC, art. 160 et 161). L ’expert doit en effet veiller à ce que soit respecté le caractère
contradictoire de l’expertise (CPC, art. 16).
En l’espèce, le vendeur n’a pas participé à l’expertise.
Toutefois, la Cour de cassation a jugé en chambre mixte (Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012) que les irrégularités
affectant le déroulement des opérations d’expertise sont sanctionnées sur le fondement de l’article 175 du
Code de procédure civile, ce qui conduit à appliquer le régime des nullités de forme supposant la preuve
d’un grief.
D’ailleurs, la chambre commerciale (Cass. com., 10 déc. 2013) a admis que le défaut de convocation d’une
partie aux opérations d’expertise ne rendait pas le rapport inopposable à cette partie, dès lors que le rapport
a été versé aux débats et soumis à une discussion contradictoire.
Or, ici il est précisé que Romain Thomas n’a pas été convoqué à l’expertise. Toutefois, s’agissant d’une
procédure au fond devant le tribunal de grande instance, l’on peut supposer que les débats se sont déroulés
de manière contradictoire.
En conséquence, Romain Thomas ne pourra pas soulever la nullité de l’expertise.

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ET

PÉNALE
PROCÉDURE
DROIT PÉNAL

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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Sujet

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DISSERTATION : LE CHOIX DE LA PEINE
POUR LES PERSONNES MAJEURES

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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(ANNALES CONCOURS ENM 2019)

« Les hommes ne doivent jamais punir, à moins qu'il n'en revienne quelque utilité. Quand on punit, il faut
nécessairement avoir égard au passé, ou au mal qui a été commis, sans quoi on ne saurait concevoir de
véritable peine ; mais on doit aussi en même temps prendre garde de ne pas faire souffrir sans nécessité
un homme, coupable à la vérité, mais toujours uni avec nous par les liens d'une humanité commune  »
(S. Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, 1732). Le choix de la peine, définie comme la sanction
restreignant ou supprimant un droit ou une prérogative d’un condamné en conséquence de la commission
d’une infraction, est, en effet, gouverné par les principes de nécessité et de proportionnalité. Ceci est vrai,
non seulement pour les personnes mineures, à l’égard desquelles les dispositions de l’ordonnance n° 45-174
du 2  février 1945, relative à l'enfance délinquante, posent le primat de l’éducatif, mais aussi pour les
personnes morales, qui doivent se voir appliquer le principe de proportionnalité des peines (v. not. Cons.
const., 4 déc. 2013, n° 2013-679 DC).
Pour ce qui concerne les personnes majeures, objets de notre étude, le respect des principes de nécessité et de

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proportionnalité des peines s’impose également. Pour autant, historiquement, ces principes ont longtemps
été ignorés au nom de la souveraineté du droit de punir qui ne tolérait aucune contrainte. La punition a, en
effet, longtemps été l’essence même et exclusive de la peine. Par son atrocité, celle-ci était conçue comme
un supplice salutaire. Ainsi en était-il, en droit romain, de la mort donnée par le glaive, de l’exposition aux
bêtes ou du crucifiement. Soucieux de contenir la violence propre aux sociétés en formation, le droit pénal
a longtemps voulu que la peine soit une souffrance inévitable que le criminel, de surcroît, devait affronter
jusqu’au tréfonds de son être.
Une première forme de hiérarchie des peines est apparue avec l’ordonnance royale de 1670 qui prévoyait,
selon la gravité des faits commis, notamment, la peine de mort, la torture, les galères perpétuelles ou le
bannissement perpétuel. L’élan était alors donné pour que, au siècle des Lumières, soit reconnu les principes
de nécessité et de proportionnalité. Ainsi, selon Beccaria, dans son Traité des délits et des peines de 1764,
dans l’objectif de prévention de l’arbitraire, il convient que la loi établisse une proportion exacte entre
la qualification de l’infraction et la peine qui la punit : « Il devrait y avoir une échelle correspondante de
peines, descendant de la plus forte à la plus faible. Mais il suffira au sage législateur d’en marquer les points
principaux et d’en respecter l’ordre, en se gardant d’appliquer aux délits du premier degré les peines du
dernier ».
Dans le prolongement de cette évolution des idées philosophiques, l’article 8 de la Déclaration des droits de
l’Homme et du citoyen (ci-après désignée DDHC) dispose : « La Loi ne doit établir que des peines strictement
et évidemment nécessaires ». Par ailleurs, le Code pénal de 1791, puis celui de 1810, reconnurent une
hiérarchie entre les crimes, les délits et les contraventions qui a été maintenue par le Code pénal actuel
(ci-après désigné CP) dont le premier article dispose : « les infractions pénales sont classées, suivant leur
gravité, en crimes, délits et contraventions » (art. 111-1). Ces principes ont, par ailleurs, été étendus au
droit pénal procédural dont il est désormais admis qu’il ne doit pas permettre le recours à des actes de
contrainte contraires au principe de la stricte rigueur nécessaire, par application, notamment de l’article 9
de la DDHC et de l’article préliminaire du Code de procédure pénale (ci-après désigné CPP).
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Ces exigences de nécessité et de proportionnalité sont en lien avec une nouvelle conception de la peine,
celle-ci ne devant plus seulement avoir pour vocation de châtier le criminel au nom de l’exemplarité
mais, davantage, de réparer le dommage causé à la société en envisageant, notamment, le reclassement
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de l’intéressé. Ceci apparaît logique car attacher à la répression d’un fait une réponse disproportionnée

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constitue à la fois l’application d’une injustice et le risque d’une inapplication de ladite réponse. Pour
autant, la mise en œuvre paroxystique de ces principes de nécessité et de proportionnalité est susceptible
de neutraliser l’efficacité de la répression, mais aussi de la prévention des infractions, et donc de nuire à
la protection de l’ordre public. C’est la raison pour laquelle la question du choix de la peine recèle une
importance capitale dans la recherche, traditionnelle en droit pénal, d’un juste équilibre entre la protection
de l’ordre public et celle des droits et libertés des justiciables. À cet égard, il convient de s’interroger : les
règles gouvernant le choix de la peine pour les personnes majeures permettent-elle de garantir le juste
équilibre, systématiquement recherché en droit pénal, entre la protection de l’ordre public, qui implique
une répression effective des infractions, et celle des droits et libertés des justiciables, notamment des
principes de nécessité et de proportionnalité ?
La réponse à cette interrogation permettra de montrer que, dans l’objectif d’un tel juste équilibre, le choix
de la peine pour les personnes majeures est, non seulement encadré dans son exercice (I), mais aussi
contrôlé dans son résultat (II).

I - L’exercice encadré du choix de la peine pour les personnes


majeures
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Afin de parvenir à un juste équilibre entre la protection de l’ordre public et celle des droits et libertés des
justiciables, l’exercice du choix de la peine pour les personnes majeures est, à la fois, limité (A) et guidé (B).

A - UN CHOIX LIMITÉ

L’exercice du choix de la peine pour les personnes majeures, pour l’autorité normative comme pour l’autorité
judiciaire, est limité par les principes de dignité (1) et de légalité (2).

1. Un choix limité par le principe de dignité


La mise en œuvre du choix de la peine pour les personnes majeures est limitée, en premier lieu, par le
principe de dignité qui implique l’exclusion de tout mauvais traitement à l’égard du condamné. Ceci se
manifeste, d’abord, pour ce qui concerne le choix des peines encourues, de sorte que l’autorité normative se
trouve limitée dans le choix de la peine applicable aux personnes majeures. Ainsi, au-delà de l’interdiction
du recours à la peine de mort, qui expose le condamné, notamment, aux affres du « syndrome du couloir
de la mort », jugé contraire à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme
et des libertés fondamentales (ci-après désignée CESDH) par la Cour européenne des droits de l’Homme
(ci-après désignée CEDH ; v. not. CEDH, 7 juill. 1989, n° 14038/88, Sœring c/ Royaume-Uni), est prohibé
le recours aux peines afflictives et infamantes, telles que la déportation ou les travaux forcés, abolis par
l’ordonnance n° 60-529 du 4 juin 1960. Dans le même ordre d’idée, sur le fondement de la prohibition des
mauvais traitements, posée par l’article 3 précité de la CESDH, la Cour de Strasbourg interdit le recours à
la peine d’incarcération perpétuelle, les États-parties ayant l’obligation de ménager au condamné un espoir
de libération dans un objectif d’amendement. À ce propos, si la « perpétuité réelle » existe dans l’arsenal

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répressif français (v. par ex. les dispositions du dernier alinéa de l’article 221-3, C. pén.), la CEDH ne l’a pas
considérée contraire à la Convention européenne dès lors que l’article 720-4 du CPP permet un réexamen
de la situation du condamné à l'issue d'un délai de trente ans et estime « qu'il ne laisse pas d'incertitude sur

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l'existence d'une “perspective d'élargissement” dès le prononcé de la condamnation » (v. not. CEDH, 13 nov.

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2014, n° 40014/10, Bodein c/ France).
L’exclusion de tout mauvais traitement infligé au condamné se manifeste, ensuite, pour ce qui concerne le
choix des peines prononcées. Il est, ainsi, constant qu’indépendamment de la question de leur responsabilité
pénale réglée par les dispositions de l’article 122-1 du Code pénal, les malades mentaux ne sauraient faire
l’objet d’une mesure d’incarcération lorsque celle-ci ne permet pas la mise en œuvre des mesures adaptées
afin d’assurer la compatibilité de leur état avec les exigences d’un traitement humain, quelle que soit la
gravité des faits à raison desquels ils ont été condamnés (v. not. CEDH, 11 oct. 2006, n° 33834/03, Rivière
c/ France). De manière générale, en effet, la CEDH met à la charge des États-parties une véritable obligation
de protection de l'intégrité du détenu, de sorte que le recours à l’incarcération, lorsqu’il ne permet pas la
mise en œuvre d’un traitement médical adapté, doit être écarté (v. not. CEDH, 14 nov. 2002, n° 67263/01,
Mouisel c/ France). Par ailleurs, parce que le recours au travail forcé mène à une réification de l’Homme
et constitue donc une atteinte à sa dignité, le recours à la peine de travail général ne peut être décidé par
l’autorité judiciaire sans le consentement de l’intéressé (C. pén., art. 131-8).

2. Un choix limité par le principe de légalité


L’exercice du choix de la peine pour les personnes majeures est limité, en second lieu, par le principe de
légalité qui mène à exclure, en principe, toute condamnation portant sur une peine non prévue par un texte
préalable. Ceci se manifeste, d’abord, pour ce qui concerne le choix des peines encourues, de sorte que, là
aussi, l’autorité normative se trouve limitée dans le choix de la peine applicable aux personnes majeures.

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Ainsi, le principe de la non-rétroactivité in pejus, notamment prévu par les dispositions de l’article 112-1
du Code pénal, aux termes desquelles « peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables
à la [date de l’infraction] », implique que la création d’une nouvelle peine ou l’aggravation du régime
d’une peine ne vaut que pour l’avenir et ne peut développer ses effets à l’égard de faits commis avant son
entrée en vigueur. Pour autant, ce principe ne lie l’autorité normative que pour les peines et non pour les
mesures de sûreté. En effet, parce que ces dernières ne répondent pas à la commission d’une infraction,
mais se fondent sur la constatation d’un état dangereux et ont une fonction préventive, voire curative, il est
généralement admis qu’elles peuvent s’appliquer à des faits commis avant leur entrée en vigueur (v. not., à
propos des mesures de sûreté, prévues par les articles 706-135 et suivants du CPP, applicables aux aliénés
mentaux : Cass. crim., 16 déc. 2009, n° 09-85153).
Le nécessaire respect du principe de légalité se manifeste, ensuite, pour ce qui concerne le choix des peines
prononcées. En effet, y compris dans la mise en œuvre des principes de nécessité et de proportionnalité,
l’autorité judiciaire ne peut décider d’appliquer au condamné une peine non prévue par la loi, qu’il s’agisse
de faire preuve de mansuétude ou de sévérité. Il n’est, ainsi, pas possible pour le juge répressif de recourir
au sursis avec mise à l’épreuve lorsqu’il prononce une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans,
hors état de récidive (C. pén., art. 132-41 ; v. not. Cass. crim., 3 févr. 2004, n° 03-85311), ou d’octroyer
le bénéfice de la dispense de peine lorsqu'il n’apparaît pas « que le reclassement du coupable est acquis,
que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l'infraction a cessé » (C. pén., art. 132-59 ;
Cass. crim., 7 mai 2019, n° 18-85729). Identiquement, le juge répressif ne saurait, en situation de concours
d’infractions, décider de prononcer plusieurs peines de même nature (C. pén., art. 132-3 ; v. not. Cass.
crim., 8 mars 2017, n° 15-87422) ou prononcer cumulativement une peine d’emprisonnement avec l’une
des peines privatives ou restrictives de droits prévues à l'article 131-6 du CP, ni avec la peine de contrainte
pénale ou la peine de travail d'intérêt général (C. pén., art. 131-9, al. 1er).

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B - UN CHOIX GUIDÉ

L’exercice du choix de la peine pour les personnes majeures est guidé, non seulement par le principe
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d’individualisation des peines (2), mais aussi par l’orientation procédurale (1).

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1. Un choix guidé par l’orientation procédurale
Conformément aux dispositions de l’article 40, alinéa 1er du Code de procédure pénale, « le procureur
de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner […]  ». En
d’autres termes, informé de la commission d’une infraction, le ministère public dispose de l’opportunité
des poursuites, c’est-à-dire d’un choix entre poursuivre pénalement les faits, recourir à une mesure de
classement sans suite ou engager une procédure alternative aux poursuites. La mise en œuvre de ce choix,
qui intègre une prise en compte par le parquet de la gravité des faits, guide le choix de la peine pour
les personnes majeures, tout particulièrement dans le cadre des alternatives aux poursuites. Ainsi, pour
ce qui concerne le classement conditionnel, il n’est possible de recourir à aucune peine, à proprement
parler, seules les mesures prévues par l’article 41-1 du CPP pouvant être décidées à l’égard de la personne
mise en cause, telles que la réparation du préjudice subi par la victime ou l’obligation de suivre un stage
de nature à favoriser l’insertion ou la réinsertion de l’intéressé. De même, s’agissant de la composition
pénale, seules peuvent être appliquées les mesures prévues par l’article 41-2 du CPP, telle que l’amende de
composition ou la remise du permis de conduire au greffe du tribunal de grande instance, étant rappelé
que la nature punitive desdites mesures impose leur validation par un magistrat du siège (v. Cons. const., 2
févr. 1995, n° 95-360 DC), sous réserve, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019
de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, des délits punis d'une peine d'emprisonnement
d'une durée inférieure ou égale à trois ans pour lesquels le recours à une amende de composition ou à une
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confiscation n'excédant pas le montant de 3 000 euros n’est pas conditionné à une telle validation.
Pour ce qui concerne la voie de l’engagement des poursuites pénales, il convient également de souligner
que le procureur de la République dispose d’une marge de manœuvre certaine destinée à satisfaire les
principes de nécessité et de proportionnalité. Ainsi, le parquet peut recourir à des procédures sommaires et
rapides de jugement, telles que l’ordonnance pénale (CPP, art. 495 et s.), la comparution sur reconnaissance
préalable de culpabilité (ci-après désignée CRPC ; CPP, art. 495-7 et s.) ou la comparution immédiate (CPP,
art. 395 et s.). Dans ces hypothèses, le caractère sommaire de la procédure engagée et la gravité souvent
relative des faits concernés justifient généralement une limitation dans le choix des peines puisque, par
exemple, dans le cadre de l’ordonnance pénale, il n’est pas possible de recourir à une peine privative de
liberté et, dans celui de la CRPC, la durée de la peine d'emprisonnement ne peut être supérieure à trois
ans ni excéder la moitié de la peine d'emprisonnement encourue. À l’inverse, le caractère le plus souvent
flagrant des faits reprochés et la nécessité de protéger immédiatement le corps social justifient que, dans
le cadre d’une comparution immédiate, le tribunal correctionnel puisse avoir recours à un mandat dépôt
quel que soit le quantum de la peine d’emprisonnement ferme prononcé (CPP, art. 397-4), par dérogation
aux dispositions de l’article 465 du CPP. Dans le même ordre d’idée, lorsque le caractère criminel des faits
reprochés a justifié l’ouverture d’une information judiciaire (CPP, art. 80), le ministère public peut requérir
une correctionnalisation judiciaire qui, si elle est finalement décidée par le juge d’instruction, empêche, en
principe, à la juridiction répressive de jugement de se déclarer incompétente au profit de la Cour d’assises
et limite donc le choix de la peine pour la personne mise en cause (CPP, art. 469).

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2. Un choix guidé par le principe d’individualisation
Quel que soit le cadre procédural dans lequel il est exercé, le choix de la peine pour les personnes
majeures impose le respect du principe d’individualisation, à valeur constitutionnelle (Cons. const., 22

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juill. 2005, n° 2005-520 DC), qui impose d’adapter la sanction au regard de la personne du condamné et
des circonstances de l'infraction. Ceci a des incidences, en premier lieu, pour ce qui concerne les peines
encourues puisqu’il appartient à l’autorité normative, dans la détermination du régime juridique des peines
qu’elle édicte, de ménager un pouvoir d’individualisation de la sanction finalement prononcée. C’est la
raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence hostile aux peines accessoires
qui résultent automatiquement de la décision de culpabilité sans que la juridiction ait à la prononcer
(v. not. Cons. const., 11  juin 2010, n°  2010-6/7 QPC). En revanche, n’est pas prohibé le recours par le
législateur à des peines complémentaires obligatoires dès lors que le prononcé de celles-ci peut être écarté
par la juridiction répressive de jugement, le cas échéant, au moyen d’une motivation spéciale (v. not. Cons.
const., 9 août 2007, n° 2007-554 DC : à propos des peines-plancher créées, en matière de récidive, par
la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, et
finalement abrogées par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, relative à l'individualisation des peines et
renforçant l'efficacité des sanctions pénales).
Le principe d’individualisation a également une incidence déterminante pour ce qui concerne les peines
prononcées, de sorte que l’autorité judiciaire est tenue de le prendre en considération dans la détermination
des sanctions qu’elle prononce. Ainsi, aux termes de l’article 130-1 du Code pénal, la peine a pour fonctions,
« afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer
l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime », « de sanctionner l'auteur de l'infraction » et
« de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ». En outre, l’article 132-1 du même Code
dispose, d’une part, que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée » et, d’autre part,

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que « dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines
prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de
sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées
à l'article 130-1 ». Il résulte de l’ensemble de ces dispositions qu’il appartient à la juridiction répressive de
jugement d’opérer un juste équilibre entre les fonctions de neutralisation et d’insertion ou de réinsertion
de la sanction pénale. Ainsi, à propos de la révocation d’un sursis simple préalablement accordé à la suite
d’une condamnation à une peine d’emprisonnement ferme, dont le caractère facultatif a été posé par la loi
précitée n° 2014-896 du 15 août 2014, relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des
sanctions pénales (C. pén, art. 132-36), les juges du fond ne peuvent éluder le débat relatif à la nécessité
et à la proportionnalité d’une telle révocation en affirmant que la réitération des faits n’autorise pas à
envisager une dispense de révocation du sursis (Cass. crim., 18 mai 2016, n° 15-84748).

II - Le résultat contrôlé du choix de la peine pour les personnes


majeures
Au-delà de l’encadrement de son exercice, le choix de la peine pour les personnes majeures voit son résultat
contrôlé à travers sa justification (A) et son adaptabilité (B).

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A - LA JUSTIFICATION DU CHOIX

La justification du résultat du choix de la peine pour les personnes majeures impose une obligation de
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motivation (1), facilitée par plusieurs moyens (2).

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1. L’obligation de motivation
De manière traditionnelle, la Chambre criminelle de la Cour de cassation affirmait que « les juges répressifs
disposent, quant à l'application de la peine dans les limites fixées par la loi, d'une faculté discrétionnaire
dont ils ne doivent aucun compte » (v. not. Cass. crim., 5 oct. 1977, Bull. crim., n° 291). Un condamné ne
pouvait donc utilement critiquer, ni la nature (Cass. crim., 9 févr. 1987, Bull. crim., n° 61), ni le quantum
(Cass. crim., 19 mai 1999, Bull. crim., n° 102) de la peine prononcée à son encontre. Ainsi, les magistrats
n'étaient pas tenus de s'expliquer pour prononcer une peine d’interdiction des droits civiques, civils et de
famille (Cass. crim., 31 janv. 2007, Bull. crim., n° 26), pour fixer le montant d’une amende (Cass. crim., 19
sept. 2007, Bull. crim., n° 216) ou de jours-amende (Cass. crim., 1er juill. 1997, Bull. crim., n° 262) et même
pour porter la durée de la période de sûreté aux deux tiers de la peine prononcée (Cass. crim., 29 janv.
1998, Bull. crim., n° 37). La solution n'était différente que pour certaines peines puisque, ponctuellement, le
législateur avait imposé la motivation, notamment, de la peine d'emprisonnement, lorsqu'elle est prononcée
sans sursis, ni aménagements (C. pén., art. 132-19). Néanmoins, cette obligation était édictée de manière
paradoxale puisque l’objectif était moins d'assurer la transparence de la décision que de dissuader le juge
de recourir à une telle sanction dans un objectif de lutte contre la surpopulation carcérale. À cet égard,
l’effectivité du principe d’individualisation posait question.
Dans un objectif de renforcement de cette effectivité et dans le prolongement de la loi précitée n° 2014-896
du 15 août 2014, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence
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par plusieurs arrêts du 1er février 2017 aux termes desquels, désormais, « en matière correctionnelle, toute
peine doit être motivée au regard de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation
personnelle » (Cass. crim., 1er févr. 2017, nos 15-84511, 15-85199 et 15-83984). Ce revirement sera, par la
suite, confirmé et amplifié, la Chambre criminelle ayant affirmé que la juridiction qui prononce une peine
d'amende, y compris en matière contraventionnelle, doit motiver sa décision au regard des circonstances
de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses
ressources et de ses charges (Cass. crim., 30 mai 2018, n° 16-85777). La loi précitée n° 2019-222 du 23 mars
2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a consacré légalement cette obligation de
motivation des peines, désormais expressément énoncée dans le nouvel article 485-1 du CPP. Par ailleurs,
en matière criminelle, après avoir affirmé que « la Cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine
qu'ils prononcent » (Cass. crim., 8 févr. 2017, nos 15-86914, 16-80389 et 16-80391), la Chambre criminelle
a accepté de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le cantonnement par
l'article 365-1 du CPP de l’obligation de motivation des verdicts d’assises à la seule question de la culpabilité
(Cass. crim., 13 déc. 2017, nos 17-82086, 17-82237 et 17-82858). Par une décision du 2 mars 2018, le
Conseil constitutionnel a affirmé que le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8
de la DDHC, implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément
prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce, de sorte que l'article 365-1, al. 2,
du CPP a été jugé contraire à la Constitution dès lors qu'il n’imposait pas à la Cour d'assises de motiver
le choix de la peine (Cons. const., 2  mars 2018, n°  2017-694 QPC). La loi précitée du 23  mars 2019 a
finalement modifié l’article 365-1 du CPP qui dispose désormais que « la motivation consiste également
dans l'énoncé des principaux éléments ayant convaincu la Cour d'assises dans le choix de la peine, au vu des
éléments exposés au cours de la délibération […] ». De la sorte, l’effectivité du principe d’individualisation
des peines apparaît nettement renforcée, correspondant à la logique européenne qui impose un « contrôle
par les autorités judiciaires internes de la proportionnalité de la restriction légale litigieuse à la lumière des
particularités de chaque espèce » (v. not. CEDH, 17 juin 2004, n° 58278/00, Zdanoka c/ Lettonie).

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2. Les moyens de la motivation
Il apparaît, désormais, qu’en toute matière, le prononcé d’une peine doit donner lieu à une motivation
de nature à garantir l’effectivité des principes de nécessité, de proportionnalité et d’individualisation.

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Encore faut-il, toutefois, que l’autorité judiciaire dispose de moyens utiles lui permettant de recueillir des
informations de nature à alimenter et étayer concrètement cette motivation. À ce propos, au-delà de la
possibilité de recourir à des expertises psychologique et psychiatrique de nature à éclairer le juge sur
la personnalité du condamné, la loi du 23 mars 2019 a développé la possibilité, pour le procureur de la
République ou le juge d'instruction, de saisir le service pénitentiaire d’insertion et de probation aux fins
d'investigations sur la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de la personne poursuivie,
afin d'être informé sur les mesures propres à vérifier la faisabilité matérielle de certaines peines ou
aménagements de peine pouvant être prononcés, exigence ajoutée à celle de l'objectif de la recherche des
mesures propres à favoriser l'insertion, qui existait déjà (CPP, art. 41, al. 7, dans sa rédaction qui entrera en
vigueur le 24 mars 2020). En outre, l’article 73, IV, de la même loi crée le dossier unique de personnalité qui
répond à la volonté d'améliorer la connaissance des personnes prévenues et condamnées pour une meilleure
individualisation de la peine. Il doit également permettre de réduire les obstacles à l'aménagement des
peines en mettant à la disposition de l’autorité judiciaire les éléments utiles à l'évaluation de la situation
personnelle de la personne concernée.
Par ailleurs, dans le cadre de la procédure de jugement, le tribunal qui s’estimerait encore insuffisamment
éclairé peut décider l'ajournement du prononcé de la peine s'il apparaît opportun d'ordonner à l'égard
du prévenu des investigations complémentaires sur sa personnalité et sa situation matérielle, familiale
et sociale. Cette possibilité de césure du procès pénal est prévue par l’article 132-70-1 du Code pénal,
issu de la loi précitée du 15 août 2014, qui a été modifié par la loi du 23 mars 2019 afin d’en accroître
l’efficacité. Ainsi, à compter de l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions le 24  mars 2020, les

Dissertation 1
investigations complémentaires qu’autorise cet ajournement auront pour objectif de « permettre le
prononcé d'une peine de détention à domicile sous surveillance électronique, d'un travail d'intérêt général,
d'une peine d'emprisonnement avec sursis probatoire ou d'une peine d'emprisonnement aménagée ». En
outre, la juridiction qui décidera d’un tel ajournement pourra, jusqu’à l’audience portant sur la peine,
ordonner le placement de la personne mise en cause « sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence
avec surveillance électronique ou, si celle-ci comparait détenue ou selon la procédure de comparution
immédiate, en détention provisoire ».

B - L’ADAPTABILITÉ DU CHOIX

L’adaptabilité du résultat du choix de la peine pour les personnes majeures se manifeste dans le cadre des
voies de recours (1) et dans celui de l’exécution et de l’application des peines (2).

1. Un choix adaptable dans le cadre des voies de recours


Le juge doit désormais justifier la peine qu’il prononce. Il ne s'agit pas de remettre en cause le pouvoir
d’adapter les peines, tant dans leur nature que dans leur quantum, qui relève du principe d’individualisation
et se rattache aux attributions propres du juge pénal. Ce dernier conserve donc sa liberté souveraine,
mais non plus discrétionnaire, pour choisir, sous réserve des limites fixées par la loi, parmi les peines –
principales, alternatives ou complémentaires – celles qui lui paraissent les mieux adaptées aux faits, à la
personnalité et à la situation de l'auteur de l'infraction. Cette obligation de motivation permet de renforcer
l’effectivité du droit, pour le condamné, d’exercer les voies de recours ordinaires – appel ou opposition –
puisque celui-ci ne peut être utilement mis en œuvre qu’autant que l’intéressé connaît les raisons ayant
mené la juridiction répressive de jugement à prononcer telle ou telle peine. À cet égard, la possibilité

133
d’exercer les voies de recours ordinaires apparaît, aujourd’hui plus qu’hier, être le gage du choix de la peine
la mieux adaptée. Ceci est d’autant plus vrai que, comme en matière correctionnelle ou de police, la loi du
23 mars 2019 autorise désormais que l’appel en matière criminelle soit cantonné à la seule question de la
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

peine de manière à garantir, pour les faits les plus graves, le prononcé de la peine la plus juste (CPP, art.

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380-2-1 A, nouv.).
L’exercice de la voie de recours extraordinaire du pourvoi en cassation est également une garantie du choix
de la peine la mieux adaptée aux faits, à la personnalité et à la situation de l'auteur de l'infraction. Certes,
de façon classique, le juge de cassation exerce son contrôle uniquement sur l'existence et la suffisance des
motifs en veillant à ce que la motivation ne soit pas purement abstraite et se réfère aux circonstances de
l'espèce. Pour autant, l’existence d’un tel contrôle oblige désormais les juges du fond à éprouver et justifier
la proportionnalité des peines qu’ils prononcent. L’obligation d’expliquer la décision constitue, en effet, un
préalable à l'exercice, par le juge de cassation, d'un contrôle, quelle qu'en soit l'intensité, du respect du
principe de proportionnalité. Une condamnation encourt ainsi la cassation si la Cour d'appel ne répond pas
à une argumentation formulée sur ce point par le prévenu, ou si elle y apporte une réponse insuffisante ou
contradictoire, de sorte que le renvoi devant une juridiction du fond permettra de garantir la recherche de
la peine la mieux adaptée (v. not. Cass. crim., 30 janv. 2018, nos 17-80878 et 16-87072).

2. Un choix adaptable dans le cadre de l’exécution et de l’application des peines


Conformément aux dispositions de l’article 707 du CPP, texte inaugural du livre consacré aux « procédures
d'exécution » des sanctions pénales, « le régime d'exécution des peines privatives et restrictives de liberté
[...] est adapté au fur et à mesure de l'exécution de la peine, en fonction de l'évolution de la personnalité
et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, qui font l'objet d'évaluations
régulières ». Ce même texte énonce que « le régime d'exécution des peines privatives et restrictives de
Dissertation 1

liberté vise à préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d'agir
en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d'éviter la commission
de nouvelles infractions », puis que « toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine
privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant
compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire,
dans le cadre d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de placement sous surveillance
électronique, de libération conditionnelle ou d'une libération sous contrainte, afin d'éviter une remise en
liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ».
En d’autres termes, à la suite du prononcé de la condamnation, la recherche de la peine la mieux adaptée
à la situation du condamné et aux faits se poursuit dans le cadre de l’exécution et de l’application des
peines. En particulier, si l’article 707, I, du CPP dispose que « les peines prononcées par les juridictions
pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs
délais », l’article 723-15 du même Code prévoit que les condamnés à une peine privative de liberté d’une
durée inférieure ou égale à deux années ou pour lesquelles la durée de la détention restant à subir est
inférieure ou égale à deux ans, ou pour lesquelles, en cas de cumul de condamnations, le total des peines
d'emprisonnement prononcées ou restant à subir est inférieur ou égal à deux ans doivent bénéficier, « dans
la mesure du possible et si leur personnalité et leur situation le permettent […] d'une semi-liberté, d'un
placement à l'extérieur, d'un placement sous surveillance électronique, d'un fractionnement ou d'une
suspension de peines, d'une libération conditionnelle ou de la conversion prévue à l'article 132-57 du Code
pénal ». Il est à noter qu’à la durée de deux années susmentionnées sera substituée une durée d’une année à
compter du 24 mars 2020, date d’entrée en vigueur, sur ce point, de la loi précitée du 23 mars 2019. Afin de
garantir l’effectivité de cette recherche de la peine la plus adaptée, le ministère public doit, préalablement
à la mise à exécution de la ou des condamnations, informer le juge de l'application des peines de cette ou
de ces décisions en lui adressant toutes les pièces utiles à la prise de décision sur le principe et les modalités
d’un éventuel aménagement.

134
Au terme de nos développements, il apparaît que les règles gouvernant le choix de la peine pour les
personnes majeures permettent de garantir un juste équilibre entre la protection de l’ordre public et
celle des droits et libertés des justiciables, notamment des principes de nécessité, de proportionnalité et

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


d’individualisation. À cet égard, le récent revirement de la Cour de cassation consistant à affirmer, en

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application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Cons. const., 26 oct. 2018, n° 2018-742 QPC),
que la période de sûreté fait corps avec la peine, de sorte qu’elle doit faire l’objet d’une décision spéciale,
et motivée, lorsqu’elle est facultative ou excède la durée prévue de plein droit (Cass. crim., 10 avril 2019,
n° 18-83709), est illustratif de la recherche constante de ce juste équilibre.

Dissertation 1

135
Sujet

2
DISSERTATION : L’INTENTION DANS LES
INFRACTIONS D’ATTEINTE À L’HONNEUR
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

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(ANNALES CONCOURS ENM 2018)

Accusé d’avoir participé à l’assassinat de son oncle et détourné des fonds royaux, Mowbray, duc de Norfolk,
s’écrie à l’attention du roi Richard II : « Effacez mon déshonneur, et je cède mon gage. Mon cher Maître,
le trésor plus pur que puisse donner cette vie mortelle, c’est une réputation sans tache : dépouillés de ce
bien, les hommes ne sont plus qu’une terre dorée, une argile peinte » (William Shakespeare, Richard II, acte
premier, scène I, 1595). La protection de l’honneur des individus est une question délicate dans la mesure
où elle doit être conciliée avec le droit à la liberté d’expression prévu et protégé, notamment, par l’article
10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et
l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
À ce propos, la Cour européenne des droits de l’Homme (voir, par exemple : CEDH, 12 juill. 2016, Reichman
c/ France, n° 50147/11) comme le Conseil constitutionnel (voir, notamment : Cons. const., 8 janvier 2016,
n° 2015-512 QPC) admettent que des atteintes soient portées à la liberté d’expression, notamment par la
création d’incriminations pénales, lorsque celles-ci sont nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif
Dissertation 2

poursuivi qui peut consister, comme l’évoque Shakespeare, dans la protection de la réputation et des droits
d’autrui. Encore faut-il bien délimiter le champ des infractions d’atteinte à l’honneur dont l’objectif consiste à
protéger la réputation de la personne visée. En conséquence, ne relèvent pas de cette catégorie d’infractions
les outrages qui ne protègent pas l’honneur ou la réputation, mais la valeur intrinsèque du symbole, de
l’institution ou de l’agent qui est en cause. En réalité, doivent ici être seules étudiées les infractions de
diffamation et d’injure ainsi que leur prolongement dans le cadre du délit de dénonciation calomnieuse
(voir, sur ce point : Cass. 1re civ., 6 déc. 2007, n° 06-15290 : « ne relèvent pas de la loi du 29 juillet 1881, les
agissements d’une personne consistant à porter atteinte à la réputation et à la dignité d’une autre par le biais
de lettres adressées à l’employeur de celle-ci, lesquels constituent des faits de dénonciation calomnieuse »).
À cet égard, l’intention dans les infractions d’atteinte à l’honneur apparaît décisive dès lors qu’elle constitue
un critère essentiel dans la qualification juridique des faits fondés sur l’objectif recherché par l’agent. Cette
intention est également décisive en ce que, conformément aux dispositions de l’article 121-3, alinéa 1er, du Code
pénal, « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre », de sorte qu’il convient de l’établir,
non seulement à l’égard de celui ayant tenu les propos litigieux, mais aussi à l’égard de celui qui les a relayés, le
mécanisme de la responsabilité « en cascade » mis en place par la loi du 29 juillet 1881, relative à la liberté de la
presse, n’ayant pas pour effet de neutraliser l’exigence d’intention (voir, par exemple : Cass. crim., 30 mars 2005,
n° 04-85048) qui, au demeurant, est constitutionnellement protégée (Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411 DC).
Pour autant, l’intention dans les infractions d’atteinte à l’honneur ne saurait être uniquement présentée comme un
élément constitutif desdites infractions ; en effet, il est constant que la liberté d’expression « vaut non seulement
pour les “informations” ou “idées” accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes,
mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population »
(CEDH, 7 déc. 1976, n° 5493/72, Handyside c/ Royaume-Uni). Dès lors, l’intention dans les infractions d’atteinte
à l’honneur peut aussi consister en un moyen de défense dès lors qu’elle s’inscrit dans l’exercice de la liberté
d’expression, tout particulièrement s’agissant de propos relatifs à des débats d’intérêt général.

136
À cet égard, il convient de s’interroger : de quelle manière la prise en compte de l’intention par le droit
pénal, confronté à des faits d’atteinte à l’honneur, permet-elle de parvenir à un juste équilibre entre, d’une
part, la protection de l’ordre public, dont l’une des composantes consiste dans la préservation des droits

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


d’autrui, et, d’autre part, la nécessaire garantie de la liberté d’expression, qui implique le pluralisme, la

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tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique » ?
Dans cet objectif de juste équilibre, l’intention dans les infractions d’atteinte à l’honneur est prise en compte de
manière plurielle, l’abstraction (I) et la contextualisation (II) constituant autant de méthodes de son appréciation.

I - L’abstraction de l’intention dans les infractions d’atteinte à l’honneur


L’abstraction de l’intention dans les infractions d’atteinte à l’honneur se manifeste à la fois dans l’appréciation
de ladite intention (A) et dans sa preuve (B).

A - L’ABSTRACTION DANS L’APPRÉCIATION DE L’INTENTION

Le refus d’une subjectivisation de l’atteinte à l’honneur (1) et l’indifférence des mobiles (2) démontrent
l’abstraction de l’intention dans les infractions d’atteinte à l’honneur.

1. Le refus d’une subjectivisation de l’atteinte à l’honneur


Les infractions d’atteinte à l’honneur impliquent, pour être établies, que le comportement adopté par
l’agent soit intentionnellement contraire à l’honneur, ce qui, afin de prévenir l’arbitraire, est apprécié de
manière abstraite au regard d’une conception idéale de l’honneur et de ce qui est susceptible de l’entacher,

Dissertation 2
indépendamment du point de vue des protagonistes. Certes, récemment, la Chambre criminelle a approuvé
un arrêt d’appel au motif que « les révélations et imputations objet des menaces formulées par le prévenu
étaient de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération de la victime appréciés au regard de sa
situation concrète » (Cass. crim., 13 janv. 2016, n° 14-85905), mais cette position se comprend au regard
du fait que la qualification en cause était celle de chantage qui protège, non l’honneur, mais la propriété.
Ainsi, peu importent les conceptions morales de la personne mise en cause : celle-ci ne peut utilement se
défendre en affirmant qu’elle ne considère pas attentatoires à l’honneur les propos tenus (voir, notamment :
Cass. crim., 30 mars 2016, n° 15-80719, arrêt aux termes duquel il est rappelé que « le caractère diffamatoire
des imputations se détermine exclusivement par la nature des faits allégués »). Peu importent également,
les conceptions morales de la personne visée, de sorte que la diffamation ne peut être caractérisée du
seul fait que le destinataire des propos s’estime déshonoré (voir, en particulier : Cass. crim., 12 nov. 2008,
n° 07-83398 : à propos de personnes s’étant estimées déshonorées par les propos d’un parlementaire ayant
évoqué «  l’infériorité morale de l’homosexualité ») et qu’elle peut, à l’inverse, être caractérisée malgré
l’indifférence manifestée par celui-ci (voir, par exemple : Cass. crim., 24 nov. 2009, n° 09-83256).

2. Le refus d’une prise en compte des mobiles


En principe, dans la théorie générale du droit pénal, l’intention ne nécessite pas, pour être juridiquement
caractérisée, que l’on se réfère aux mobiles de l’agent. Ainsi, les dimensions psychologiques du mécanisme
infractionnel sont extérieures au dol général, la culpabilité pénale négligeant le mobile, c’est-à-dire l’intérêt
ou le sentiment qui a déterminé la personne mise en cause à agir comme elle l’a fait. Cette indifférence des
mobiles se comprend, comme précédemment, dans un objectif de prévention de l’arbitraire lié à une prise
en compte de la subjectivité de l’agent.

137
Ceci se retrouve à propos de la définition de l’intention dans les infractions d’atteinte à l’honneur. Ainsi,
en matière de diffamation, la Chambre criminelle affirme traditionnellement que « le caractère légal des
imputations diffamatoires s’apprécie non d’après le mobile qui les a dictées mais d’après la nature du
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

fait sur lequel elles portent » (voir, par exemple : Cass. crim., 15 mars 1983, n° 82-90533). De même, en

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matière de dénonciation calomnieuse, l’intention de nuire est une notion inopérante dans la caractérisation
de l’élément moral de l’infraction, celui-ci étant constitué par la connaissance de la fausseté du fait imputé
et la volonté de la dénonciation (voir, notamment : Cass. crim., 11 oct. 1983, n° 82-93985).

B - L’ABSTRACTION DANS LA PREUVE DE L’INTENTION

L’abstraction dans la preuve de l’intention se manifeste, non seulement par l’existence de présomptions (1),
mais aussi dans la manière dont cette preuve est établie (2).

1. L’intention présumée dans les infractions d’atteinte à l’honneur


En matière de diffamation et d’injure, l’abstraction dans l’appréciation de l’intention a mené la Chambre
criminelle à affirmer que « l’intention délictuelle résulte de l’imputation diffamatoire elle-même » (Cass.
crim., 22 mars 1966, n° 65-90914) et que « les expressions outrageantes, termes de mépris ou invectives
sont réputés de droit prononcés avec une intention coupable » (Cass. crim., 10 mai 2006, n° 05-82971). En
effet, dès lors que la caractérisation de l’atteinte à l’honneur se fait in abstracto, la personne mise en cause
ne peut ignorer la portée de son comportement, de sorte que l’intention est nécessairement présente.
Pour autant, afin de ménager la présomption d’innocence et les droits de la défense, constitutionnellement
et conventionnellement protégés, la présomption d’intention ainsi dégagée par la jurisprudence n’est pas
irréfragable (voir, à propos de la diffamation : Cass. crim., 6 janv. 2015, n° 14-81189 ; à propos de l’injure :
Dissertation 2

Cass. crim., 20  janv. 2015, n°  14-87279)  ; ainsi, s’agissant de l’indexation par un moteur de recherche
ayant associé le terme « escroc » à la dénomination d’une société, la Cour de cassation a affirmé que « la
fonctionnalité aboutissant au rapprochement critiqué est le fruit d’un processus purement automatique
dans son fonctionnement et aléatoire dans ses résultats, de sorte que l’affichage des « mots clés » qui en
résulte est exclusif de toute volonté de l’exploitant du moteur de recherche d’émettre les propos en cause ou
de leur conférer une signification autonome au-delà de leur simple juxtaposition et de leur seule fonction
d’aide à la recherche » (Cass. 1re civ., 19 juin 2013, n° 12-17591).

2. L’intention prouvée dans les infractions d’atteinte à l’honneur


En matière de dénonciation calomnieuse, afin de ménager la force attachée à la chose définitivement jugée,
une présomption existe également : elle s’attache à la fausseté du fait dénoncé qui « résulte nécessairement
de la décision, devenue définitive, d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n’a pas été
commis ou que celui-ci n’est pas imputable à la personne dénoncée » (C. pén., art. 226-10, al. 2). Toutefois,
afin de ménager les droits de la défense, cette présomption irréfragable a vu son champ d’application
resserré puisqu’avant la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 elle s’appliquait à « la décision, devenue définitive,
d’acquittement, de relaxe ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n’est pas établie ou que celui-ci
n’est pas imputable à la personne dénoncée » (voir, notamment : Cass. crim., 14 sept. 2010, n° 10-80718).
En dehors de ce champ, il appartient aux juges du fond d’apprécier la pertinence des accusations portées
(Cass. crim., 11 juill. 2017, n° 16-83932 et 17 oct. 2017, n° 16-85193).
Néanmoins, il convient de souligner que cette présomption est relative à la condition préalable de l’infraction
et ne concerne pas l’intention, de sorte que les juges du fond ne peuvent en déduire la preuve de l’élément
moral (voir, en particulier  : CEDH, 30  juin 2011, n°  30754/03, Klouvi c/ France et Cass. crim., 8  avril
2014, n° 14-90006) et mettre à la charge de la personne mise en cause l’obligation de prouver sa bonne foi
(voir, par ex. : Cass. crim., 7 déc. 2004, n° 04-81929). En conséquence, à la différence de l’injure et de la

138
diffamation – à propos de laquelle, au stade de la caractérisation du dol général, il importe peu que le fait
imputé soit réel ou imaginaire –, il appartient aux juges du fond d’établir la réalité de l’élément moral de
l’infraction. Pour autant, l’abstraction de l’intention demeure entière dès lors que sa preuve résulte de la

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


seule mauvaise foi de la personne mise en cause définie comme la connaissance du caractère mensonger de

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la dénonciation, indépendamment des motifs l’ayant animée.

II - La contextualisation de l’intention dans les infractions


d’atteinte à l’honneur
Si l’intention dans les infractions d’atteinte à l’honneur est souvent l’objet de mécanismes d’abstraction
destinés à prévenir l’arbitraire, d’autres mécanismes permettent une certaine contextualisation destinée
tantôt à exclure la répression (A), tantôt à en faire une application adaptée (B), afin de respecter au mieux
les principes de nécessité et de proportionnalité.

A - LA CONTEXTUALISATION DE L’INTENTION, EXCLUSIVE DE RÉPRESSION

La contextualisation de l’intention dans les infractions d’atteinte à l’honneur est exclusive de répression
dans la mesure où elle permet de démontrer l’existence de faits justificatifs généraux (1) ou spéciaux (2).

1. La contextualisation de l’intention, caractéristique de faits justificatifs généraux


En droit interne, la Cour de cassation a admis l’applicabilité du fait justificatif tiré de l’ordre ou de
l’autorisation de la loi ou du règlement prévu par l’article 122-4, alinéa 1er, du Code pénal, de sorte que

Dissertation 2
l’intention contextualisée de l’agent permet de justifier les atteintes à l’honneur. Ainsi, constitue un fait
justificatif l’obligation faite à l’employeur par l’ancien article L. 122-14-2 du Code du travail d’énoncer le
ou les motifs du licenciement (Cass. crim., 12 oct. 2004 ; voir, également : Cass. 1re civ., 7 nov. 2006). De
même, le directeur de la publication d’un journal ne saurait encourir aucune responsabilité pénale du fait
de l’insertion d’une annonce, relative à la sanction disciplinaire infligée à un médecin, dont il ne pouvait
légalement se dispenser, conformément aux dispositions de l’article L. 145-2 du Code de la sécurité sociale
(Cass. crim., 17 oct. 1995, n° 93-85440). Identiquement, doit être relaxée la directrice d’une maison de
retraite, poursuivie du chef de dénonciation calomnieuse à raison de l’appréciation portée par elle dans
une fiche de notation, dès lors qu’elle a agi « dans le cadre de ses obligations légales » (Cass. crim., 8 juin
1999, n°  98-81364). À cela, il convient d’ajouter l’insertion par la loi du 9  décembre 2016, relative à
la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, de l’article
122-9 dans le Code pénal concernant le fait justificatif applicable aux « lanceurs d’alerte » qui constitue
également une prise en compte contextualisée de l’intention dans les infractions d'atteinte à l’honneur.
En droit européen, il est constant que la liberté d’expression ne peut connaître d’ingérences étatiques
que si celles-ci sont « nécessaires, dans une société démocratique », notamment pour la protection de « la
réputation ou des droits d’autrui », de sorte que la répression des atteintes à l’honneur doit satisfaire les
principes de nécessité et de proportionnalité. À l’instar de la protection des droits de la défense, élément
neutralisateur de la qualification de recel applicable au journaliste qui, poursuivi du chef de diffamation,
produit pour sa défense des documents couverts par le secret de l’enquête et de l’instruction préparatoire
(voir, notamment : Cass. crim., 11 juin 2002, n° 01-85237), l’exercice de la liberté d’expression constitue
un fait justificatif très généralement employé (voir, par exemple, en matière d’escroquerie : Cass. crim.,
26 oct. 2016, n° 15-83774). Dans la mise en œuvre de ce fait justificatif, qui repose également sur une
contextualisation de l’intention de l’agent, la Chambre criminelle s’inspire de la jurisprudence de la Cour
de Strasbourg, particulièrement soucieuse de la protection du débat public sur des sujets d’intérêt général

139
(voir, not. : CEDH, gde ch., 23 avril 2015, n° 29369/10, Morice c/ France), tels que « le rachat frauduleux
par un organisme bancaire d’une compagnie d’assurances de droit étranger [ayant] entraîné la mise à la
charge de l’État français, et donc du contribuable, de sommes considérables » (Cass. crim., 11 mars 2008,
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

n° 06-84712) ou le « traitement judiciaire d’une affaire criminelle ayant eu un retentissement national »

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(Cass. ass. plén., 16  déc. 2016, n°  08-86295). L’impact du droit européen est tel qu’alors que la nature
même de ce type de propos se concilie mal avec les canons du débat démocratique, l’injure peut désormais
être justifiée par la liberté d’expression, en particulier « dans le contexte d’un débat politique » (Cass. crim.,
9 déc. 2014, n° 13-85401) et lorsque les propos litigieux ont été tenus sur « le mode de l’impertinence
satirique » (voir, en particulier : CEDH, 14 mars 2013, n° 26118/10, Éon c/ France, à propos d’une pancarte
brandie à l’attention du président de la République et Cass. crim., 8 janv. 2019, n° 17-81396, à propos de
« tweets » de Me Eolas concernant l’Institut pour la justice).

2. La contextualisation de l’intention, caractéristique de faits justificatifs spéciaux


En matière de diffamation, la personne mise en cause se voit reconnaître la possibilité de faire la preuve de la
vérité du fait imputé : il s’agit de l’exceptio veritatis. Ainsi, si la diffamation est constituée indépendamment
de l’éventuelle véracité du fait imputé, elle peut être justifiée s’il est démontré, conformément aux conditions
édictées par les articles 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, que l’allégation ou l’imputation correspond à
la vérité (voir, par exemple : Cass. crim., 3 juill. 1996, n° 94-82647). Cette cause d’irresponsabilité pénale
spéciale se fonde sur l’intention contextualisée de l’agent consistant à révéler un fait ayant une portée
sociale, ce que démontre l’interdiction de prouver la vérité de faits relatifs à la vie privée de la personne
diffamée. La même idée se retrouve à propos de la bonne foi, autre cause d’irresponsabilité pénale spéciale
attachée à la diffamation, qui permet de justifier la révélation de faits infamants s’inscrivant dans un
contexte de légitimité de l’objectif poursuivi, celui-ci correspondant le plus souvent à la notion européenne
Dissertation 2

de « débat d’intérêt général » (voir, notamment : Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-82163), de sérieux de
l’enquête, d’absence d’animosité personnelle et de prudence et de mesure dans l’expression.
En matière d’injure, une cause d’irresponsabilité pénale spéciale existe également : il s’agit de l’excuse de
provocation qui n’est, toutefois, applicable que pour les injures envers les particuliers (L. 29 juill. 1881,
art. 33, al. 2). En effet, dans le fonctionnement normal des pouvoirs publics, une provocation émanant d’un
corps ou d’un serviteur de l’État apparaît difficilement concevable. Ce moyen de défense repose également
sur la prise en compte contextualisée de l’intention de l’agent qui correspond à une forme de légitime
défense verbale. C’est la raison pour laquelle il doit y avoir proportionnalité, proximité et corrélation entre
la provocation invoquée et l’injure (voir, notamment : Cass. crim., 10 mai 2006, n° 05-82971). Ceci explique
que la loi du 27 janvier 2017, relative à l’égalité et à la citoyenneté, ait supprimé l’excuse de provocation
en matière d’injure publique à caractère raciste, sexiste, homophobe, transphobe ou handiphobe : ce type
d’injure n’a, en effet, aucun rapport avec ce qui a pu être fait ou dit précédemment.

B - LA CONTEXTUALISATION DE L’INTENTION, FACTEUR DE RÉPRESSION

Loin d’être synonyme exclusivement d’impunité, la contextualisation de l’intention dans les infractions
d’atteinte à l’honneur permet d’adapter la répression, celle-ci étant, tantôt ciblée (1), tantôt renforcée (2).

1. La contextualisation de l’intention, critère d’une répression ciblée


La contextualisation de l’intention de la personne mise en cause, au regard des personnes destinataires du
message attentatoire à l’honneur, est déterminante en matière de diffamation et d’injure. Il convient, en effet,
de vérifier si l’agent a eu l’intention d’adresser le message litigieux au public en général, ou à des personnes
suffisamment nombreuses et diverses pour en être l’expression (voir, par exemple : Cass. crim., 26 févr. 2008,
n° 07-84846), ou à des personnes liées par une « communauté d’intérêts » (voir, notamment : Cass. crim.,

140
18 oct. 2016, n° 15-80682). Dans ce dernier cas, le message n’ayant pas été diffusé de manière publique, seules
sont applicables les qualifications contraventionnelles, de diffamation non publique (C. pén., art. R. 621-1) ou
d’injure non publique (C. pén., art. R. 621-2 ; voir, par exemple : Cass. crim., 8 avril 2008, n° 07-87226).

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


La contextualisation de l’intention de la personne mise en cause, au regard des personnes visées par le

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message attentatoire à l’honneur, est également déterminante en matière de diffamation et d’injure. En
effet, plusieurs dispositions de la loi du 29 juillet 1881 prévoient des incriminations spécifiques pour ce
qui concerne la diffamation et l’injure publiques à l’égard des défunts et la diffamation et l’injure publiques
à l’égard de personnes détentrices d’une qualité particulière (L. 1881, art. 30 et s.). Ainsi, s’agissant de la
première hypothèse, il convient d’établir un dol spécial qui, au-delà de la conscience générale de porter tort
à autrui, consiste dans l’intention de porter atteinte à l’honneur, à la considération des successeurs vivants.
Dans le même ordre d’idée, pour ce qui concerne la seconde hypothèse, les textes exigent que l’atteinte à
l’honneur soit commise envers les intéressés, selon les cas, « à raison de leurs fonctions ou de leur qualité »
ou, pour le témoin, « à raison de sa déposition ». Néanmoins, dans un objectif de cantonnement de ces
incriminations faisant encourir, en matière de diffamation, des peines plus sévères qu’à l’accoutumée, la
contextualisation de l’intention de l’auteur est objectivée par la jurisprudence qui affirme que ces dispositions
spéciales ne doivent être appliquées que lorsque les atteintes à l’honneur, « qui doivent alors s’apprécier,
non d’après le mobile qui les a inspirées ou d’après l’objectif recherché par leur auteur, mais selon la nature
du fait sur lequel elles portent, contiennent la critique d’actes de la fonction ou d’abus de la fonction ou
encore établissent que la qualité ou la fonction de la personne visée a été soit le moyen d’accomplir le fait
imputé soit son support nécessaire » (Cass. crim., 15 déc. 2015, n° 14-85118).

2. La contextualisation de l’intention, critère d’une répression renforcée


En présence d’une diffamation ou d’une injure, publique ou non publique, commise à l’égard d’une personne
déterminée ou d’un groupe de personnes « à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-

Dissertation 2
appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ou « à raison de leur sexe, de
leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap », les peines encourues sont aggravées
(L. 1881, art. 32 et 33 ; C. pén., art. R. 625-8 et R. 625-8-1). Il s’agit là de la prise en compte d’une intention
particulière de la personne mise en cause, d’un dol spécial, qui constitue, à l’instar de ce que prévoient plus
généralement les articles 132-76 et 132-77 du Code pénal, une circonstance aggravante.
Pour l’appréciation de ce dol spécial, est pris en compte le lien de causalité établi entre la diffamation ou
l’injure et l’une des caractéristiques légalement visées. Il faut, en effet, que le propos ait visé la personne
« à raison de » l’une de ces caractéristiques. Ce n’est donc pas l’appartenance ou la non-appartenance de
la personne ou du groupe de personnes visés qui constitue objectivement la circonstance aggravante, mais
plutôt l’explication donnée par l’auteur à son propos qui va alors révéler le racisme ou le sectarisme :
l’intéressé aura ainsi reproché à autrui, à raison de telle ou telle caractéristique légalement visée, d’avoir
fait telle chose ou d’être de telle façon. À cet égard, la contextualisation de l’intention de l’agent constitue
bien le critère d’une répression renforcée.

Les développements qui précèdent ont permis de démontrer que la prise en compte de l’intention par le
droit pénal, confronté à des faits d’atteinte à l’honneur, permet de parvenir à un juste équilibre entre la
protection de l’ordre public et la nécessaire garantie des droits et libertés fondamentaux, en particulier
la liberté d’expression. Pour autant, il convient de rappeler que cette liberté ne peut systématiquement
être prise en compte comme un facteur de pondération de la répression pénale. Rappelons, en effet, que
l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’Homme, relatif à «  l’interdiction de l’abus de
droit », dans sa mise en œuvre par la Cour de Strasbourg, tend à limiter, voire exclure, la protection de la
liberté d’expression « s’agissant d’un discours de haine, terme qui doit être compris comme couvrant toutes
formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie,
l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance » (voir not. : CEDH, 13 mars 2018,
nos 51168/15 et 51186/15, Stern Taulats et Roura Capellera c/ Espagne).
141
Sujet

3
DISSERTATION : LES DROITS
DE LA DÉFENSE DURANT LA PHASE
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

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PRÉPARATOIRE AU PROCÈS PÉNAL
(ANNALES CONCOURS ENM 2017)

Le droit de défense est « un droit qui n’a besoin d’être écrit nulle part pour appartenir à tous. Sans ce droit
exercé largement et librement, la justice pénale n’est pas justice, elle est oppression » (Ortolan, Éléments
de droit pénal. Pénalité. Juridictions. Procédure, 1855, n° 1853). Pour Cornu, les droits de la défense
désignent « l’ensemble des prérogatives qui garantissent à l’inculpé la possibilité d’assurer effectivement
sa défense dans le procès pénal et dont la violation constitue une cause de nullité de la procédure même
si cette sanction n’est pas expressément attachée à la violation d’une règle légale » (Cornu, Vocabulaire
juridique, 8e éd., 2000, PUF, p. 258). Quant à la « phase préparatoire du procès pénal », elle désigne la phase
de mise en état de la procédure pénale, à savoir, non seulement la phase d’information judiciaire, mais aussi
celle des enquêtes de police.
À cet égard, le sujet proposé peut apparaître paradoxal puisque, dans le cadre d’une procédure inquisitoriale,
Dissertation 3

qui est l’ancêtre de la procédure pénale française, aucune place n’est faite aux droits de la défense dans
un objectif d’efficacité répressive. Néanmoins, le développement de la protection du droit à un procès
équitable a eu pour conséquence d’appliquer les droits de la défense à tout le procès pénal : de la phase
d’enquête à la phase d’exécution de la peine. La garantie des droits de la défense s’est accrue. Si elle
intéressait essentiellement la phase de jugement, héritée du modèle accusatoire, la phase de mise en état,
traditionnellement inquisitoire, s’est teintée de garanties des droits de la défense (CEDH, 24 nov. 1993,
Imbrioscia c/ Suisse), jusqu’à ce que ce mouvement parvienne même à gagner l’enquête de police par
l’accroissement du rôle tenu par l’avocat en garde à vue notamment.
Ainsi, s’agit-il de s’interroger sur la manière dont, dans la phase préparatoire du procès pénal, les droits de
la défense sont protégés au prisme de l’équilibre, consubstantiel à la matière pénale, qui doit être ménagé
avec la nécessaire protection de l’ordre public.
Pour être complète, cette interrogation doit se dédoubler et porter, à la fois, sur la question de savoir quelles
sont les personnes destinataires des droits de la défense (I), afin d’en vérifier l’effectivité, et sur celle de la
détermination du contenu de ces derniers, dont la densité apparaît variable (II).

I - La titularité des droits de la défense


L ’essor des droits de la défense dans la phase préparatoire du procès pénal est prégnant à la fois dans la
phase des enquêtes de police (A), mais aussi dans celle de l’instruction préparatoire (B).

142
A - LA TITULARITÉ DES DROITS DE LA DÉFENSE DANS LA PHASE DES ENQUÊTES DE POLICE

Bénéficient des droits de la défense au cœur de l’enquête de police, à la fois le gardé à vue et la personne

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


suspectée entendue librement.

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1. L ’octroi des droits de la défense au suspect gardé à vue
Avant la loi du 4 janvier 1993, il n’existait pas de règle dédiée à la protection des droits de la défense dans
les enquêtes de police. En effet, si le Code de procédure pénale de 1958 avait encadré le recours à la garde
à vue et sa durée, rien n’avait été prévu quant au respect des droits de la défense. La mesure pouvait durer
vingt-quatre heures et pouvait être prolongée de la même durée par le procureur de la République ou le
juge d’instruction. Au regard des droits de la défense, la loi avait simplement mis en place l'intervention
d'un médecin, pour éviter les brutalités policières et faciliter leur constatation quand elles avaient lieu, ainsi
qu’une présentation au procureur de la République, sauf en cas de flagrance.
C’est la loi du 4  janvier 1993 qui a finalement rendu la personne gardée à vue titulaire de droits de la
défense dont la teneur a été amplifiée par la suite. Ainsi, en 1993, le suspect placé en garde à vue s’est vu
reconnaître le droit à l’intervention ponctuelle d’un avocat, dans un objectif de prévention des mauvais
traitements, mais aussi d’organisation de la défense. Par la suite, les droits de la défense se sont renforcés
en garde à vue. D’abord, avec la loi du 15 juin 2000 qui a, notamment, rendu effectif le droit au silence au
moyen de sa notification au suspect et développé le rôle de l’avocat en autorisant son intervention dès le
début de la mesure. Ensuite, avec la loi du 14 avril 2011 qui, d’une part, a, à nouveau, développé le rôle
de l’avocat, puisque celui-ci peut désormais assister le gardé à vue au cours des interrogatoires, et, d’autre
part, a permis l’accès à certaines pièces du dossier.

Dissertation 3
2. L ’extension des droits de la défense au suspect entendu librement
Jusqu’à récemment, dans le cadre des enquêtes de police, l’octroi des droits de la défense était conditionné
au placement en garde à vue, c’est-à-dire à l’exercice d’un acte de contrainte à l’encontre de la personne
concernée. Pourtant, les déclarations faites par une personne entendue librement peuvent se révéler lourdes
de conséquences sur la suite des investigations. C’est la raison pour laquelle, la Cour européenne des droits
de l’Homme a pu constater, à l’encontre de la France, des violations de l’article 6 de la Convention en ce
que le suspect entendu librement ne se voyait pas, non seulement notifier le droit au silence, mais aussi
accorder les droits de la défense, en particulier le droit d’être assisté pas un avocat (voir, notamment :
CEDH, 14 oct. 2010, Brusco c/ France et 27 oct. 2011, Stojkovic c/ France et Belgique). En d’autres termes,
le critère de déclenchement des droits de la défense dans les enquêtes de police, fondé sur l’existence d’un
acte de contrainte à l’égard de la personne mise en cause, n’apparaissait pas assez protecteur des droits de
la défense, qui doivent être garantis dès qu’apparaissent les éléments du soupçon.
Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs perçu la difficulté puisque, sans reconnaître au suspect entendu
librement le droit à l’intervention d’un avocat, il avait émis une réserve d’interprétation aux termes de
laquelle le respect des droits de la défense exige que la personne soupçonnée soit informée de la nature
et de la date de l’infraction supposée et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de
gendarmerie (Cons. const., déc. 18 nov. 2011 QPC). À la suite du renforcement des droits de la défense dans
le cadre de la garde à vue, le législateur est donc, à nouveau, intervenu pour permettre une protection des
mêmes droits de la défense hors l’exercice d’un acte de contrainte à l’égard du suspect. Ainsi, la loi du 27 mai
2014 a inséré dans le Code de procédure pénale un article 61-1 aux termes duquel la personne à l’égard de
laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction
ne peut être entendue librement sur ces faits qu’après avoir été informée, notamment, des faits reprochés
et du droit de garder le silence. Par ailleurs, l’article 61-3 du Code de procédure pénale dispose désormais

143
que toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a
participé, en tant qu’auteur ou complice, à la commission d’un crime ou d’un délit puni d’emprisonnement
peut demander l’intervention d’un avocat. De la sorte, l’audition libre est devenue une mesure créatrice de
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

droits, et les droits de la défense se sont un peu plus diffusés dans la phase des enquêtes de police.

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B - LA TITULARITÉ DES DROITS DE LA DÉFENSE DANS LA PHASE D’INFORMATION JUDICIAIRE

Cette phase du procès pénal n’est pas celle où les droits de la défense s'épanouissent le plus aisément
puisqu’elle est, depuis toujours, fortement teintée du modèle inquisitoire. Pourtant, comme la garde à
vue, la mise en examen est devenue une mesure également génératrice de droits dont l’ampleur s’est
considérablement renforcée jusqu’à irriguer le statut du témoin assisté.

1. L ’octroi des droits de la défense à la personne mise en examen


Dans l’information judiciaire, les droits de la défense – en particulier, le droit d’être assisté par un conseil
reconnu à compter de la loi du 8 décembre 1897 – ont longtemps été réservés à la seule personne suspectée
ayant fait l’objet d’une décision du juge d’instruction d’« inculpation » ou, depuis la loi du janvier 1993, de
mise en examen. Ainsi, la personne suspectée, qui n’était pas formellement inculpée ou mise en examen,
ne pouvait bénéficier des droits de la défense alors même que l’existence de soupçons à son encontre
semblait imposer la reconnaissance de tels droits. En pratique, c’était, le plus souvent, la volonté du juge
d’instruction de placer en détention provisoire le suspect qui l’amenait à décider d’une mise en examen,
préalable nécessaire à un tel placement. À cet égard, comme pour ce qui concerne les enquêtes de police, le
seuil de déclenchement des droits de la défense ne semblait pas fondé sur un critère adéquat puisque ce ne
Dissertation 3

sont pas les actes de contrainte exercés à l’encontre de l’intéressé qui doivent lui permettre de se défendre,
le droit de défense devant être reconnu à toute personne suspectée.
C’est pourquoi, la jurisprudence a développé la théorie dite des « inculpations tardives » et des « inculpations
virtuelles ». Ainsi, s’agissant de la notion d’« inculpation tardive », celle-ci était définie comme l’audition
sous serment et sans l’assistance d’un avocat d’une personne contre qui existent des indices graves de
culpabilité. Une telle audition, qui revenait à contourner les droits de la défense, doit être frappée par la
nullité (voir, notamment : Cass. crim., 16 juin 1955). Ceci explique pourquoi le juge répressif considère
depuis longtemps que, dès lors que le témoin a procédé à des aveux, il ne peut plus être entendu comme
simple témoin (Cass. crim., 13 févr. 1975). Quant à la notion d’« inculpation virtuelle », elle renvoie à la
jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation aux termes de laquelle, même en l’absence
formelle d’une inculpation ou d’une mise en examen, il y a lieu de conférer les droits de la défense à
certaines personnes en raison de leur désignation dans certains actes de procédure. Ainsi en était-il, en
particulier, pour les personnes nommément visées dans un réquisitoire introductif (voir, notamment :
Cass. crim., 24 mai 1971). De la sorte aussi, il s’agissait de garantir les droits de la défense en en prévenant
le contournement.

2. L ’extension des droits de la défense au témoin assisté


Dans le prolongement de cette jurisprudence sur les inculpations tardives, la loi du 30 décembre 1987 a
créé le statut de témoin assisté dont le champ d’application a été, par la suite, étendu (CPP, art. 113-1 et s.).
Ainsi, doivent bénéficier du statut de témoin assisté, notamment, les personnes nommément visées par un
réquisitoire introductif ou supplétif du procureur de la République, si elles ne sont pas mises en examen, les
personnes nommément visées par une plainte avec constitution de partie civile ou une mise en cause par la
victime et qui, auditionnées par le juge d’instruction, lui en font la demande et les personnes à l’encontre
desquelles existent des indices graves et concordants de culpabilité et qui n’ont pas été mises en examen

144
(CPP, art. 105). Peuvent, par ailleurs, bénéficier de ce statut, les personnes qui sont mises en cause par un
témoin et les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices rendant vraisemblable qu’elles aient pu
participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des faits dont le juge d'instruction est saisi.

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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La raison d’être de l’octroi de ce statut réside dans la prise en compte de la jurisprudence relative aux
« inculpations tardives » et aux « inculpations virtuelles » dans un objectif de prévention du contournement
des droits de la défense. Le statut du témoin assisté n’est, en effet, pas sans rappeler celui du mis en examen
puisqu’il bénéficie notamment du droit d’être assisté d’un avocat et d’accéder au dossier de la procédure. En
prévoyant l’octroi obligatoire de ce statut à certaines personnes, clairement identifiées comme suspectes,
le législateur a voulu mettre un terme à la pratique des « inculpations tardives » tout en consacrant la
jurisprudence relative aux « inculpations virtuelles ». Il reste que, dans certains cas, l’octroi du statut de
témoin assisté demeure facultatif, de sorte qu’il demeure encore un risque de fraude aux droits de la défense.
En effet, comme le souligne un auteur, « seule la personne contre laquelle une plainte avec constitution
de partie civile a été déposée peut exiger d’être entendue sous ce statut ; celle qui est soupçonnée peut
être entendue par le juge d’instruction jusqu’aux limites des indices graves et concordants de l’article
105 dès lors qu’en présence d’« indices rendant vraisemblable » qu’elle ait pu participer à une infraction,
le juge d’instruction « peut » mais non « doit », lui conférer ce statut, de sorte que paradoxalement « le
suspect est mieux protégé devant les enquêteurs que devant le magistrat instructeur » (Ch. Guéry, « Le juge
d’instruction et le suspect », AJ Pénal 2017, pp. 384 et s.).

II - La densité des droits de la défense


La phase préparatoire du procès pénal est devenue de plus en plus contradictoire au regard du contenu des

Dissertation 3
droits accordés au suspect qui consistent, pour l’essentiel, dans le droit d’être informé (A) et dans le droit
de se défendre (B).

A - LE DROIT D’ÊTRE INFORMÉ

Le suspect dispose du droit, parfois limité, d’être informé sur les faits qui lui sont reprochés, mais aussi du
droit de provoquer cette information.

1. Le droit de recevoir l’information


Qu’il s’agisse des enquêtes de police ou de l’information judiciaire, la personne mise en cause est, en
principe, informée, dans le cadre de son éventuelle convocation et lorsqu’elle est entendue, sur les faits
reprochés, des droits dont elle dispose afin de garantir leur effectivité. En particulier, la personne mise en
cause doit être informée de son droit de garder le silence, corollaire du droit à la présomption d’innocence.
Pour ce qui concerne la garde à vue, la question de la notification du « droit au silence » a longtemps posé
difficulté. Rendue obligatoire par la loi du 15 juin 2000, puis atténuée par la loi du 4 mars 2002, elle a été
supprimée par la loi du 18 mars 2003. Néanmoins, certainement sous l’impulsion du droit européen qui
impose une notification du droit au silence au suspect (voir, notamment : CEDH, gde chambre, 27 nov. 2008,
Salduz c/ Turquie), certains juges du fond ont décidé d’annuler des gardes à vue sans notification du droit
au silence (CA Agen, 18 févr. 2010) et, surtout, le Conseil constitutionnel a considéré que l’absence d’une
telle notification méconnaissait l’article 16 de la DDHC et abrogé – avec effet différé au 1er  juillet 2011 –
le régime de droit commun de garde à vue (décision QPC du 30 juillet 2010). C’est la raison pour laquelle,
la loi du 14  avril 2011, dont les dispositions ont été reprises par celle du 27  mai 2014, a finalement
réintroduit la notification du droit au silence (CPP, art. 63-1 ; voir : Cass. crim., 17 janv. 2012).

145
Par ailleurs, dans les enquêtes de police, si la personne mise en cause est informée des faits qui lui sont
reprochés, elle ne dispose que d’un accès parcellaire aux pièces relatives aux investigations entreprises afin de
garantir l’efficacité de la recherche de la vérité. Ainsi, dans le cadre de la garde à vue, la loi du 14 avril 2011
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

n’autorise la défense qu’à consulter le procès-verbal de placement en garde à vue et de notification des

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droits, l’éventuel certificat médical relatif à l’état de santé du gardé à vue et les éventuels procès-verbaux
d’interrogatoire antérieur (CPP, art. 63-4-1 ; sur la conformité de cette disposition au droit européen des droits
de l’Homme et au droit de l’Union européenne : Cass. crim., 31 janvier 2017). À l’inverse, dans l’information
judiciaire, la personne mise en examen et le témoin assisté disposent d’un droit d’accès à l’intégralité des
pièces figurant au dossier, sous réserve de dispositions particulières destinées à garantir l’efficacité des
investigations (CPP, art. 114 et s.). Les lois du 27 mai 2014 et du 3 juin 2016 se sont efforcées de compenser
cette disparité dans la protection des droits de la défense en prévoyant, par exemple, la possibilité pour la
personne mise en cause dans l'enquête de police de solliciter du procureur de la République, dans certains
cas, la communication de tout ou partie de la procédure (v. en particulier, CPP, art. 77-2).

2. Le droit de provoquer l’information


Le législateur contemporain a fortement accentué le caractère contradictoire de l’information judiciaire.
Ainsi, le mis en examen peut solliciter toute mesure utile à la manifestation de la vérité : audition,
confrontation, transport sur les lieux, etc. Il dispose, dans un souci d’égalité des armes, de prérogatives
très proches de celles du ministère public et de la partie civile. Toutefois, jusqu’à récemment, la personne
mise en cause ne pouvait formuler de telles demandes d’actes d’investigation que dans le cadre d’une
information judiciaire (CPP, art. 82-1), sachant que le refus de procéder à de tels actes peut être contesté
au moyen d’un appel soumis au filtre du président de la Chambre de l’instruction. Afin de compenser cette
disparité dans la protection des droits de la défense tout au long du procès pénal, dans un premier temps,
Dissertation 3

la loi du 27 mai 2014 a permis à la personne faisant l’objet d’une citation directe ou d’une convocation
par officier de police judiciaire de solliciter, du président du tribunal correctionnel ou du tribunal lui-
même, la réalisation d’actes nécessaires à la manifestation de la vérité (CPP, art. 388-5). Dans un second
temps, la loi du 3 juin 2016 a prévu la possibilité de solliciter, du procureur de la République, la réalisation
d’actes dans le cadre de l’enquête de police (CPP, art. 77-2). Ainsi, lorsque les conditions sont réunies, le
procureur avise l’avocat de l’intéressé, ou l’intéressé s’il n’est pas assisté, de la mise à disposition d’une
copie de la procédure, de la possibilité de formuler des observations, ainsi que des demandes d’actes utiles
à la manifestation de la vérité. L ’avocat, l’intéressé et/ou la victime disposent, après cette information,
d’un délai d’un mois pour consulter le dossier, faire leurs observations et demandes et pendant ce délai, le
procureur ne peut prendre aucune décision sur l’action publique, hormis l’ouverture d’une instruction, la
mise en œuvre de l’article 393 ou le recours à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable
de culpabilité. Le mouvement actuel du législateur semble ainsi se diriger vers l’instauration d’une enquête
de police de plus en plus teintée de contradictoire.
Par ailleurs, au-delà de la possibilité donnée à la personne mise en cause de formuler des demandes d’actes
d’investigation afin de provoquer, notamment, la révélation d’informations utiles à sa défense, il convient
de souligner la grande marge de manœuvre dont disposent les parties privées, dont le suspect, dans la
recherche des preuves. En effet, il est de jurisprudence constante que, dans la recherche des preuves au
soutien de la défense de leurs intérêts, les particuliers peuvent avoir recours à tout procédé, y compris des
méthodes déloyales, voire illégales. Ainsi, le juge d’instruction ne peut refuser de joindre au dossier une
preuve administrée par la partie civile et obtenue éventuellement de façon déloyale (Cass. crim., 7 mars
2012, sur l’admissibilité d’enregistrements audio effectués par un ancien salarié démontrant la commission
d’infractions). Bien plus, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré, d’une part, qu’une preuve
obtenue au moyen d’une infraction pénale est recevable devant les juridictions répressives (Cass. crim.,
31 janv. 2012 et 27 nov. 2013, à propos de preuves volées) et, d’autre part, que l’infraction ainsi commise peut

146
être justifiée au moyen d’une cause d’irresponsabilité pénale sui generis, dès lors qu’elle apparaît strictement
nécessaire à l’exercice des droits de la défense (Cass. crim., 11 mai 2004). À cet égard, les droits de la défense
font l’objet d’une protection particulièrement forte.

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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B - LE DROIT DE SE DÉFENDRE

Informé des faits qui lui sont reprochés, le suspect dispose du droit de se défendre en ayant recours à l’aide
d’un avocat et en exerçant les recours qu’il estime nécessaire.

1. Le droit à l’intervention d’un avocat


Dès le 8 février 1996, la Cour de Strasbourg a affirmé que le droit à l’intervention d’un avocat dans la phase
préparatoire de la procédure pénale débute dès le début des investigations (CEDH, 8 févr. 1996, John Murray
c/Royaume Uni). Ainsi, en France, dans le cadre des enquêtes de police, comme dans celui de l’information
judiciaire, la personne mise en cause dispose du droit d’être assistée par un avocat lorsqu’elle est entendue
sur les faits reprochés. En particulier, dans le cadre de la garde à vue, le suspect dispose, non seulement du
droit de s’entretenir avec un avocat, mais aussi du droit d’être assisté par lui pendant les interrogatoires.
Néanmoins, dans ce cadre particulier de la garde à vue – qui intervient, le plus souvent, au tout début des
investigations – et afin de garantir un certain équilibre entre la protection de l’ordre public et celle des
droits des justiciables, il est possible de différer l’intervention de l’avocat pour permettre, notamment, le bon
déroulement d’investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves, en particulier en
matière de criminalité et de délinquance organisées. Pour autant, un garde-fou a été créé par le législateur
puisque le dernier alinéa de l’article préliminaire du Code de procédure pénale dispose qu’« en matière

Dissertation 3
criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul
fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui ».
Cette intervention de l’avocat dans l’enquête de police se révèle limitée au regard du droit général dont
dispose la personne mise en examen et le témoin assisté dans le cadre de l’information judiciaire. Ainsi,
l’avocat ne peut intervenir que dans le cadre d’une garde à vue, voire d'une audition libre, et son rôle
est cantonné à l’assistance passive de son client pendant l’interrogatoire puisqu’il ne peut émettre des
observations – voire poser des questions – qu’à la fin dudit interrogatoire. Bien plus, cette intervention n’est
pas prévue lors des perquisitions alors même que le suspect pourrait être amené à tenir des propos auto-
incriminants. Certes, la loi du 3 juin 2016 a étendu l’intervention de l’avocat aux opérations de reconstitution
et aux séances d’identification des suspects (CPP, art. 61-3), mais les perquisitions ne sont pas concernées.
À ce propos, il convient de noter qu’au soutien de leurs questions prioritaires de constitutionnalité dirigées
contre la loi du 14  avril 2011 relative à la garde à vue, les requérants invoquaient la méconnaissance
des droits de la défense, en ce que l’intervention de l’avocat n’est prévue que pendant les auditions et
les confrontations (CPP, art. 63-4-2) et non lors des autres actes d’investigation menés en présence du
suspect, tels que les perquisitions. Malgré tout, dans sa décision du 18 novembre 2011, le Conseil a écarté
l’argumentation en considérant que les nouvelles dispositions du Code de procédure pénale « instituent
des garanties de nature à assurer que la personne gardée à vue bénéficie de l’assistance effective d’un
avocat » et assurent, « entre le droit de la personne gardée à vue à bénéficier de l’assistance d’un avocat et
l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions, une conciliation qui n’est pas
déséquilibrée ». Par ailleurs, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que l’article 6, § 3, de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales n’exige pas que
la personne ayant reçu notification officielle du fait qu’elle est suspectée d’avoir commis une infraction soit
assistée d’un avocat lorsqu’elle est présente lors d’une perquisition au cours de laquelle elle n’est ni privée
de liberté ni entendue sur les faits qui lui sont reprochés (Cass. crim., 3 avril 2013).

147
2. Le droit d’exercer les voies de recours
La personne mise en examen et, sous certaines réserves, le témoin assisté, peuvent interjeter appel et former
des requêtes en nullité devant la Chambre de l’instruction (CPP, art. 170 et s.). Cette faculté n’est toutefois
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

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pas accordée à la personne mise en cause dans le cadre des enquêtes de police puisque cette phase de la
procédure pénale n’est pas juridictionnelle et ne peut donc faire l’objet d’un contrôle juridictionnel tant que
les poursuites n’ont pas été engagées. Ceci pose difficulté au regard de l’effectivité des droits et libertés, en
particulier les droits de la défense, susceptibles d’être mis à mal dans le cadre desdites phases d’enquête
devenues de plus en plus coercitives. À cet égard, il convient d’évoquer l’arrêt Abdelali c/ France dans lequel
la Cour européenne des droits de l’Homme a constaté une violation de l’article 6, § 1er, de la Convention
en ce que le requérant, n’ayant pas été considéré comme partie à la procédure en cause, n’avait pas pu
exercer les voies de recours à l’encontre d’un certain nombre d’actes d’investigation et avait, de la sorte, été
privé du droit « de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve [litigieux] et de s’opposer à
son utilisation » (CEDH, 11 oct. 2012, Abdelali c/ France). A ce propos, apparaît comme un renforcement
des droits de la défense, l’insertion par la loi du 23 mars 2019, de programmation et de réforme pour la
justice, d’un article 802-2 dans le Code de procédure pénale aux termes duquel toute personne ayant fait
l'objet d'une perquisition et qui n'a pas été poursuivie devant une juridiction d'instruction ou de jugement
au plus tôt six mois après l'accomplissement de cet acte peut saisir le juge des libertés et de la détention
d'une demande tendant à son annulation.
Une fois les poursuites engagées, par l’ouverture d’une information judiciaire ou la saisine directe
d’une juridiction répressive de jugement, les voies de recours sont effectivement ouvertes à la personne
mise en cause, en particulier les requêtes en nullité. Or, la méconnaissance des droits de la défense
constitue généralement une cause de nullité assimilée à une cause de nullité d’ordre public, de nature
à garantir leur effectivité (voir, en matière de garde à vue : Cass. crim., 3 déc. 1996). Néanmoins,
Dissertation 3

l’appréciation in globo de l’équité de la procédure est de nature à éroder cette effectivité. À ce propos,
la grande Chambre de la Cour de Strasbourg s’est prononcée dans le cadre d’une affaire au cours de
laquelle le requérant, placé en garde à vue, s’était vu dénier illégalement le droit d’être assisté par un
avocat pendant trois jours. Pour autant, les juges européens n’ont pas estimé qu’il y avait eu violation
de l’article 6 de la Convention en ce sens que les garanties offertes à l’intéressé dans le reste de la
procédure lui avaient permis de bénéficier d’un procès globalement équitable (CEDH, 12  mai 2017,
Simeonovi c/ Bulgarie ; voir, également : CEDH, 9 nov. 2018, Beuze c/ Belgique). Cette position contraste,
sans nul doute, avec la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle la méconnaissance du droit
à l’assistance relève des nullités assimilées aux nullités d’ordre public, et avec la nécessaire effectivité des
droits de la défense.

Le législateur contemporain a assumé sa volonté de rendre l’enquête comme l’instruction préparatoire de


plus en plus contradictoires et respectueuses des droits de la défense. Ainsi, récemment, la loi du 28 février
2017, relative à la sécurité publique, conformément à la décision du 16 septembre 2016 du Conseil
constitutionnel ayant censuré l’article 197 du Code de procédure pénale, a renforcé les droits de la défense
dans la procédure devant la Chambre de l’instruction en permettant aux parties non assistées par un avocat
d’avoir accès aux réquisitions du ministère public. Désormais, les avocats des parties ou, si elles n’ont pas
d’avocat, les parties peuvent se faire délivrer copie de ces réquisitions sans délai et sur simple requête
écrite, sans préjudice de leur faculté de demander la copie de l’entier dossier en application du quatrième
alinéa de l’article 114. Jusqu’à la tenue de l’audience, les droits de la défense sont donc, là aussi, ménagés.

148
Sujet

4
DISSERTATION : LES PREUVES
EN MATIÈRE PÉNALE

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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(ANNALES CONCOURS ENM 2016)

La preuve se décline en autant de moyens qu’il est de nécessité d’établir la réalité d’une infraction, a fortiori
suivant sa gravité. Elle est ainsi un défi lancé à la matière pénale qui a dû s’adapter à l’évolution de la
criminalité pour trouver, au-delà du droit, des relais pour y répondre. À la croisée du droit et des faits, la
preuve s’est diversifiée autant qu’elle s’est réinventée, au gré des évolutions techniques et scientifiques.
Domat a défini la preuve comme «  ce qui persuade l’esprit d’une vérité  », ce qu’exprime également la
maxime latine « idem est non esse et non probari ». C’est pourquoi, « les preuves de la culpabilité doivent
être plus claires que le jour à midi », selon un adage de l’Ancien droit inspiré du Code Justinien. Il s’agira
essentiellement pour la partie poursuivante de rapporter la preuve de la culpabilité d’un auteur supposé
par la démonstration de la constitution d’une infraction recouvrant ses éléments matériel et moral (à
l’exception des contraventions, par principe, purement matérielles). La preuve revêt ainsi une importance
particulière en matière pénale en ce qu’elle engage l’honneur et la liberté de la personne mise en cause.
Eu égard aux intérêts en présence, elle doit résister à la tolérance de ceux qui pourraient la tenir trop

Dissertation 4
facilement pour acquise sous la pression des nécessités de la répression. « Il vaut mieux hasarder de sauver
un coupable que de condamner un innocent » (Voltaire, « Zadig ou la destinée », 1747).
Le verdict (ou la vérité dite) n’est que l’aboutissement du procès pénal de sorte que la preuve pénale dont
il ressort est nécessairement tributaire de la conception que l’on peut avoir de cette notion, évolutive
dans le temps et dans l’espace. Du ve  siècle jusqu’au Moyen-Âge, la procédure rejoignait largement le
modèle accusatoire avec des preuves qui pouvaient parfois ressembler davantage à des épreuves (ordalies,
serments purgatoires, etc.). Progressivement (et notamment à partir du xiiie  siècle), la procédure pénale
française va se départir de ce modèle pour celui de l’inquisitoire qui trouvera notamment à s’exprimer dans
l’ordonnance criminelle de Saint-Germain-en-Laye de 1670. La Révolution française, portée notamment par
les critiques de Montesquieu et de Cesare Beccaria dans leur ouvrage respectif («  L ’esprit des lois », 1748
et le « Traité des délits et des peines », 1764), marque l’avènement d’un autre système de justice pénale : là
où le principe de légalité est désormais consacré, le système des preuves légales est abandonné. Alors que
le premier consiste à prouver un fait par tous moyens propres à en établir l’existence, le second implique
non seulement d’organiser légalement les moyens de rechercher et d’établir la culpabilité, mais aussi de la
tenir légalement pour démontrer toutes les fois où les preuves légalement exigées auront été rapportées.
Sans doute le choix du législateur était-il dicté par la teneur des intérêts en présence. Deux parties vont
alors s’affronter et chacune va apporter, au soutien de ses prétentions et pour défendre sa position, les
preuves qu’elle estime déterminantes et qui sont susceptibles d’emporter la conviction du juge ou plus
précisément, en matière pénale, son intime conviction. On le sait, la charge de la preuve de la culpabilité
repose sur le ministère public mais cette règle, contrairement à la présentation qui en est souvent faite, tient
moins au principe de la présomption d’innocence qu’à un principe de droit commun selon lequel la charge
de la preuve incombe au demandeur. Cela ne signifie pas que l’accusation ait le monopole dans la recherche
des preuves, bien au contraire, le juge comme les personnes privées disposent également de prérogatives
afin de rechercher et d’administrer les preuves qu’ils auront pu recueillir.

149
Toutes les parties au procès pénal sont ainsi engagées sur le terrain probatoire même si celui-ci relève du pré
carré des autorités policières et judiciaires qui veillent à sauvegarder l’objectif à valeur constitutionnelle de
protection de l’ordre public. À mesure où celui-ci est exposé par une criminalité toujours plus organisée et
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

exacerbée sous le prisme du terrorisme, les autorités policières et judiciaires ont vu leurs pouvoirs renforcés

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au gré des lois successives. On songe notamment à la loi du 9 mars 2004 qui a, notamment, rendu possibles
les sonorisations de lieux et fixations d’images de lieux publics ou privés, à la loi du 14 mars 2011 qui a permis
la captation informatique, ou encore à la loi du 6 décembre 2013 qui a étendu les infiltrations policières
et les dispositions relatives aux repentis aux infractions relevant de la grande délinquance économique,
financière et fiscale. Plus récemment, la loi du 13  novembre 2014 a donné naissance à l’enquête sous
pseudonyme. La loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement a placé les moyens de preuve du renseignement
sous le contrôle de l’autorité administrative et dernièrement celle du 3 juin 2016 a, entre autres, autorisé
l’utilisation de l’IMSI catcher dans le cadre des investigations relatives aux infractions de criminalité et de
délinquance organisées.
Aussi convient-il de se demander comment la matière pénale parvient à concilier cet impératif de protection
de l’ordre public avec la nécessaire préservation des droits et libertés des justiciables.
Dans l’objectif d’apporter une réponse équilibrée à cette interrogation primordiale, la matière pénale oscille
entre un principe de liberté encadré (I) et un principe de légalité cantonné (II).

I - La liberté des preuves pénales : un principe encadré


Le principe de liberté de la preuve présente une double signification (A) dont la portée implique un
encadrement (B) afin de prévenir les atteintes non nécessaires ou disproportionnées aux droits et libertés.
Dissertation 4

A - LA DOUBLE SIGNIFICATION DU PRINCIPE DE LIBERTÉ

Le principe de liberté des preuves s’illustre à deux égards : d’abord dans la production des preuves puis
dans l’appréciation de ces dernières.

1. La liberté dans la production des preuves


L ’essence même du procès pénal réside dans la recherche de la vérité matérielle qui consiste à rapporter
la preuve de la commission d’une infraction. Contrairement au droit civil où la preuve repose sur des
faits et des actes, en matière répressive, la preuve doit porter sur le fait, sur l’imputation de ce fait à la
personne concernée ainsi que sur l’intention qu’elle avait de commettre un tel fait. La difficulté réside ici
dans l’impossibilité de se pré-constituer de telles preuves. C’est pourquoi, le droit pénal est gouverné par
le principe de liberté de la preuve qui consiste à prouver un fait par tous moyens afin d’emporter ou non
l’intime conviction du juge répressif. L ’article 427 du Code de procédure pénale dispose ainsi qu’« Hors les
cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge
décide d’après son intime conviction. »
Ce principe de liberté de l’établissement de la preuve par tout moyen est affirmé à propos du tribunal
correctionnel et s’étend aux juridictions d’instruction et de jugement. Le dessein du droit pénal étant la
répression, et donc la manifestation de la vérité, le système ne peut ainsi exclure, a priori, de modes de
preuves (voir, récemment, à propos de l’admission de la recherche en coparentalité au moyen du FNAEG :
Cass. crim., 28 juin 2017). Pour autant, afin de garantir l’effectivité du principe, le législateur incrimine
certaines atteintes aux preuves. On songe ainsi au délit de subordination de témoin (C. pén., art. 434-15),
au délit de fuite (C. pén., art. 434-10 et 434-45) ou encore à l’article 434-4 du Code pénal qui punit de trois

150
ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende le fait de modifier l’état des lieux de commission d’un
crime ou d’un délit ou de détruire ou détériorer un document ou objet de nature à faciliter la découverte
d’un crime ou d’un délit.

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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2. La liberté dans l’appréciation des preuves
Deux méthodes dans l’appréciation des preuves se sont succédées dans l’histoire. L ’Ancien droit était teinté
du principe de preuves légales, selon lequel si la preuve requise était rapportée, le juge n’avait aucune
marge d’appréciation et il devait condamner le prévenu. Cette nécessité présentait l’inconvénient de la
nécessaire obtention de l’aveu, consenti suite à un interrogatoire, ou forcé, lorsqu’il était obtenu par la
méthode de la question (autrement dit la torture). L ’abolition de la torture et le rejet de l’arbitraire ont
naturellement conduit à la suppression de ce principe en faveur de celui de la preuve morale ou de l’intime
conviction.
Le juge pénal n’a plus aujourd’hui l’obligation de condamner le prévenu lorsque certaines preuves sont
réunies alors même qu’il est convaincu de son innocence. Toutes les preuves sont ainsi soumises à son
appréciation et ne représentent que de simples présomptions de l’homme : le juge en apprécie la valeur
probante. Il forge sa conviction en son âme et conscience. Ce principe présente le double avantage de
garantir la fonction essentielle du juge pénal – celle d’évaluer les preuves qui lui sont soumises – et de
ménager la séparation des pouvoirs – le législateur ne devant pas évaluer les preuves à la place du juge.
Pour autant, l’autorité judiciaire ne peut se prononcer que sur les preuves qui lui ont été apportées au cours
des débats et contradictoirement discutées devant lui (CPP, art. 353, 427, 512 et 536).

B - L ’ENCADREMENT DU PRINCIPE DE LIBERTÉ

Dissertation 4
Afin d’éviter que le principe de liberté de la preuve ne conduise à l’arbitraire, le législateur est venu l’encadrer
doublement : d’une part, quant à la production des preuves et, d’autre part, quant à leur appréciation.

1. La légalité dans la production des preuves pénales


Pour certaines infractions, la preuve n’est pas libre, le législateur déterminant les preuves dont la production
est recevable devant le juge répressif. Ainsi, l’article 537, alinéa 1er du Code de procédure pénale prévoit
que les contraventions sont prouvées, soit par procès-verbaux de constatation d’infraction ou rapports,
soit – à défaut de procès-verbaux et rapports – par témoins (Cass. crim., 16 mars 2005 ; 6 déc. 2011 et
7 déc. 2011). Par ailleurs, les articles L. 234-1 et suivants du Code de la route détaillent les conditions
dans lesquelles la conduite sous l’empire d’un état alcoolique ne peut être que strictement rapportée. Un
dépistage préalable de l’état d’imprégnation alcoolique doit d’abord être effectué (alcootest). Ce dépistage
effectué, l’opération de vérification destinée à établir la preuve de l’état alcoolique est ensuite opérée soit
par analyses et examens médicaux cliniques et biologiques – le plus souvent par prise de sang –, soit par
analyse de l’air expiré – par le biais d’un éthylomètre.
Surtout, la production des preuves est tributaire des conditions de leur obtention. Ainsi, en premier
lieu, toute méthode d’investigation attentatoire aux droits d’autrui doit être autorisée et encadrée par
la loi. C’est ainsi que la Chambre criminelle a admis les prises de vues par les enquêteurs d’individus
se trouvant sur la voie publique – dans la mesure où leur vie privée n’est alors pas mise en cause –,
mais refusé d’admettre de tels enregistrements portant sur des images provenant d’une propriété privée
(Cass. crim., 15 févr. 2006 ; 21 mars 2007 ; voir également, à ce propos, la jurisprudence de la CEDH en
matière d’interceptions de télécommunications ou de géolocalisation dynamique). En second lieu, certaines
méthodes d’investigation sont interdites. Ainsi, notre système procédural prohibe l’administration de

151
preuves incompatibles avec le respect des droits de la défense et l’idée que l’on se fait de la justice : tel est le
cas s’agissant de l’impossibilité de faire état de la correspondance écrite échangée par l’avocat et son client
(CPP, art. 432) ou de l’impossibilité d’avoir recours à des détournements de procédure (pour la sonorisation
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de cellules de garde à vue : Cass. ass. plén., 6 mars 2015). Par ailleurs, sont évidemment interdits tous
les procédés contraires à la dignité de l’Homme. Il n’est donc pas possible d’avoir recours, afin d’obtenir
des aveux, à la violence, à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants (CESDH, art. 3  ;
voir, notamment : CEDH, 27 août 1992, Tomasi c/ France ; 28 juill. 1999, Selmouni c/ France ; voir, pour le
« menottage » et la garde à vue d’un tétraplégique : Cass. crim., 4 mai 2008). De même, parce qu’il mène à
une instrumentalisation de l’Homme, le recours à la narco-analyse (« sérum de vérité » ; v. Trib. corr. Seine,
23 févr. 1949) ou à l’hypnose (Cass. crim., 12 déc. 2000 ; 28 nov. 2001) est interdit.

2. La légalité dans l’appréciation des preuves pénales

Dans certains cas, le juge n’est pas libre dans l’appréciation des preuves pénales. Ainsi en est-il lorsque
le législateur attribue une valeur probante spécifique à certaines preuves. Tel est le cas, par exemple, en
matière contraventionnelle puisque l’article 537 du Code de procédure pénale dispose que les procès-
verbaux ou rapports établis, en la matière, font foi jusqu’à preuve contraire, sachant que cette preuve
contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins, ce qui signifie qu’en l’absence d’une telle
preuve contraire, même intimement convaincu de l’innocence du prévenu, le juge répressif est tenu de
le déclarer coupable. Ainsi en est-il également lorsque le législateur a recours au mécanisme, emprunté
au système des preuves légales, de la corroboration qui peut être illustrée par référence aux dispositions
du dernier alinéa de l’article préliminaire du Code de procédure pénale aux termes duquel « en matière
criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le
seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par
Dissertation 4

lui. » En d’autres termes, conformément à ce texte, le juge, même intimement convaincu de la culpabilité,
ne peut condamner s’il ne dispose que des aveux de la personne mise en cause obtenus alors qu’elle n’avait
pas été mise en mesure de s’entretenir avec un avocat et d’être assistée par lui.
Par ailleurs, afin d’éviter que le principe de l’intime conviction ne soit synonyme d’arbitraire, le législateur
encadre l’action du juge. Ainsi, en premier lieu, conformément aux dispositions de l’article 427, alinéa 2, du
Code de procédure pénale, « le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées
au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. » Le juge ne saurait donc fonder sa décision
sur des éléments puisés dans leur notoriété publique, pris dans la connaissance personnelle qu’il aurait
d’une affaire (Cass. crim., 22 juin 1977) ou encore, par exemple, d’une pièce qui n’aurait pas été discutée
par toutes les parties. En second lieu, l’intime conviction ne constitue pas un mode de preuve de sorte que
le juge doit motiver sa décision. Ainsi, selon les articles 485, 543 et 593 du Code de procédure pénale, les
jugements et arrêts, en matière correctionnelle et de simple police, doivent contenir les constatations sur
lesquelles est fondée leur décision. De même, la loi du 10 août 2011 a inséré dans le code un article 365-1
qui impose désormais au président de la Cour d’assises ou à l’un de ses assesseurs d’énoncer les « principales
raisons, qui pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la Cour d’assises ».

II - La légalité des preuves pénales : un principe cantonné

Il convient désormais de réfléchir aux conséquences d’une preuve qui contreviendrait aux règles
susmentionnées. À ce propos, il convient de constater que le principe de légalité de la preuve subit un
cantonnement « ratione materiae » (A) et « ratione personae » (B).

152
A - LE CANTONNEMENT « RATIONE MATERIAE » DU PRINCIPE DE LÉGALITÉ

La légalité de la preuve est cantonnée par des obstacles procéduraux et matériels.

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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1. Les obstacles procéduraux à l’effectivité de l’illégalité
Bien qu’obtenues de manière illégale, certaines preuves demeureront au dossier et pourront fonder la
décision du juge. Il s’agit d’évoquer, ici, les « purges » des nullités intervenant lors de l’information judiciaire
et du jugement. Ainsi, par exemple, on sait que l’envoi de l’avis de fin d’information adressé aux parties
ouvre un délai de trois mois – ou d’un mois en cas de détention provisoire – afin qu’elles puissent adresser
des observations écrites au juge d’instruction. Dans ce même délai, les parties vont alors pouvoir formuler
des demandes ou présenter des requêtes en nullité. À l’expiration de ce délai, elles ne sont plus recevables
à formuler ou présenter de telles demandes ou requêtes (CPP, art. 175, al. 3). De même, devant la
juridiction correctionnelle ou de police, une nullité de procédure ne peut être soulevée qu’« in limine litis »,
c’est-à-dire avant que le juge vérifie « la réalité des faits et leur qualification juridique » (CPP, art. 385 ; voir,
notamment : Cass. crim., 22 févr. 2012).
Ces mécanismes de purge, destinés à garantir la célérité de la justice et à prévenir les comportements
dilatoires, sont susceptibles de poser difficulté au regard de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg
relative au droit de contester devant un juge les conditions d’obtention d’une preuve pénale. En effet,
dans un arrêt du 11 octobre 2012, la Cour européenne des droits de l’Homme a constaté une violation de
l’article 6§1 de la Convention à propos de la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle
une personne en fuite et vainement recherchée au cours de l’information n’a pas la qualité de partie au sens
de l’article 175 du Code de procédure pénale et ne peut donc exciper devant le tribunal correctionnel d’une
quelconque nullité d’actes de la phase préparatoire. Dans leur arrêt, les juges européens affirment qu’il se

Dissertation 4
déduit du droit à un procès équitable le droit pour la personne mise en cause « de remettre en question
l’authenticité de l’élément de preuve [litigieux] et de s’opposer à son utilisation » (CEDH, 11 oct. 2012,
Abdelali c/ France).

2. Les obstacles matériels à l’effectivité de l’illégalité


Seules les irrégularités pour lesquelles le législateur a prévu la sanction de la nullité sont susceptibles de
mener au retrait du dossier des preuves concernées. Mais, cela ne suffit pas, puisqu’en principe, seules les
irrégularités causant grief à celui qui les invoque mènent à un tel retrait. Ainsi, aux termes des dispositions
de l’article 802 du Code de procédure pénale, la cause de nullité textuelle est définie comme la « violation
des formes prescrites par la loi à peine de nullité ». En d’autres termes, l’illégalité d’une preuve ne peut
être sanctionnée par la nullité que dans l’hypothèse où les dispositions particulières de ce code, relatives
aux méthodes mises en œuvre pour l’obtention de ladite preuve, prévoient une telle sanction. Ainsi, en
l’absence d’indication par la loi de ce que l’irrégularité fait encourir la nullité, celle-ci ne pourra être
prononcée à propos de l’obligation d’indiquer la teneur des questions posées lors d’un interrogatoire ou
d’une audition (Cass. crim., 21 sept. 2005). Par ailleurs, aux termes communs des articles 802 et 171 du
Code de procédure pénale, les nullités de procédure pénale répondent à la règle « pas de nullité sans
grief », de sorte qu’en l’absence de la démonstration d’un tel grief, l’illégalité de l’acte accompli ne sera pas
sanctionnée par la nullité. Ceci montre donc bien que l’effectivité de l’illégalité de la preuve pénale n’est que
parcellaire (voir, par exemple, à propos des sonorisations : Cass. crim., 6 févr. 2018).
Le rôle du juge pénal apparaît alors primordial, comme gardien de la légalité, en ce qu’il dispose de la
possibilité de dégager, non seulement, des causes de nullités virtuelles, mais aussi, des causes de nullité
pour lesquelles le grief est présumé. Ainsi, au sens de l’article 802 du Code de procédure pénale, une cause
de nullité substantielle consiste en « l’inobservation des formalités substantielles ». Contrairement à ce qui

153
est le cas pour les nullités textuelles, aucune disposition du code ne donne d’exemple formel de ces nullités
substantielles. Pour les formalités prévues au code, il appartient au juge de s’interroger, matériellement,
sur leur caractère substantiel, c’est-à-dire fondamental. Tel est le cas, par exemple, en ce qui concerne
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les garanties offertes à la personne suspectée et faisant l’objet d’une garde à vue (voir, notamment :
Cass. crim., 3 déc. 1996). De même, en ce qui concerne la règle « pas de nullité sans grief », le juge dispose
de la possibilité de découvrir des nullités « assimilées » aux nullités d’ordre public pour lesquelles la nullité
pourra être prononcée sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence d’un grief, celui-ci étant présumé.
Ainsi, est-ce le cas, par exemple, en ce qui concerne le principe selon lequel la personne poursuivie doit
avoir la parole en dernier à l’audience (Cass. crim., 18 oct. 2006).

B - LE CANTONNEMENT « RATIONE PERSONAE » DU PRINCIPE DE LÉGALITÉ

Si le dispositif probatoire s’est considérablement durci en matière répressive, on assiste à un affaiblissement


des obstacles à la preuve produite par les particuliers. La Cour de cassation maintient toutefois quelques
garde-fous.

1. L ’ineffectivité de l’illégalité des preuves produites par les particuliers


À la différence des autorités publiques, à l’égard desquelles s’impose, sous réserve de dispositions
spécifiques, une obligation de loyauté (voir, encore récemment : Cass. ass. plén., 10 nov. 2017). Pour les
particuliers, l’encadrement des preuves pénales est, en principe, inexistant puisque la jurisprudence estime
que la preuve déloyale, voire illégale, peut être produite par un particulier devant le juge répressif. Ainsi,
le destinataire d’appels téléphoniques anonymes répétés est en droit de les enregistrer et de les produire
Dissertation 4

en justice (Cass. crim., 17 juill. 1984), de même que toute conversation téléphonique (Cass. crim., 31 janv.
2007). Identiquement, le juge d’instruction ne peut refuser de joindre au dossier une preuve administrée
par la partie civile et obtenue éventuellement de façon déloyale (voir, notamment : Cass. crim., 7 mars
2012, sur l’admissibilité d’enregistrements audio effectués par un ancien salarié démontrant la commission
d’infractions par le dirigeant d’une société). La juridiction de jugement elle-même ne peut refuser de
l’examiner, comme cela a été souligné s’agissant de la pratique du « testing » (Cass. crim., 11 juin 2002 ;
27 nov. 2012). La Chambre criminelle de la Cour de cassation a même considéré qu’une preuve obtenue au
moyen d’une infraction pénale était admissible (voir, notamment : Cass. crim., 31 janv. 2012 ; 27 nov. 2013).
Ceci se justifie par le fait que les règles relatives aux nullités de procédure ne concernent que les investigations
menées par les autorités publiques (voir, à propos de l’exclusion de l’application des nullités de procédure aux
actes étrangers : Cass. crim., 19 sept. 2017 et 4 oct. 2017). Ceci est également expliqué par le fait qu’en toute
hypothèse, la preuve déloyale ou illégale sera soumise au contradictoire et pourra donc être critiquée par la
partie à laquelle on l’oppose. De manière sous-jacente, cette position jurisprudentielle se comprend comme
une volonté de rétablir l’égalité des armes, l’accusation disposant de considérables moyens d’investigations
dont ne disposent pas les particuliers (ce qui renvoie, dans une certaine mesure, à la jurisprudence civiliste
relative au « droit à la preuve »).

2. Vers une effectivité de l’illégalité des preuves produites par les particuliers
Pour autant, ce risque est limité, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation qui affirme que la
preuve obtenue au moyen d’une infraction pénale, si elle est recevable devant les juridictions répressives,
est susceptible d’engager la responsabilité pénale du plaideur qui l’a ainsi obtenue (sous réserve de
l’application du fait justificatif tiré de « l’exercice nécessaire des droits de la défense » ; voir, notamment :
Cass. crim., 11 mai 2004).

154
Par ailleurs, sous l’impulsion de la jurisprudence européenne relative à la protection des droits et libertés
fondamentaux (voir, par ex., CEDH, 10 oct. 2006, L. L. c/ France), l’action des particuliers, même dans la
perspective de l’obtention d’une preuve, peut se trouver cantonnée par la Cour de cassation, en particulier

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à l’aune du droit au respect de la vie privée (Cass. crim., 24 avril 2007 : à propos d’une preuve produite en
violation du secret professionnel, la Chambre criminelle a estimé que la juridiction de fond devait rechercher
si l’examen public et contradictoire devant elle de telles pièces « constituait une mesure nécessaire et
proportionnée à la défense de l’ordre et à la protection des droits de la partie civile au sens de l’article 8 de
la Convention européenne des droits de l’Homme »).

L ’objectif poursuivi en procédure pénale – la manifestation de la vérité – ne saurait justifier l’emploi


de méthodes probatoires contraires aux droits et libertés fondamentaux, comme ces droits et libertés
fondamentaux ne doivent pas être un carcan trop rigide afin de permettre la répression des infractions et le
rétablissement de l’ordre public. Tel est l’enseignement que l’on doit tirer de l’ensemble des développements
précédents qui ont permis d’illustrer le difficile équilibre opéré, en la matière, par le législateur et par le juge.
À cet égard, la consécration, mais aussi l’encadrement, par la loi du 23 mars 2019, de programmation et de
réforme pour la justice, de techniques spéciales d’investigation est illustrative de la recherche constante de
cet équilibre.

Dissertation 4

155
Sujet

5
DISSERTATION : LE STATUT
DU MINISTÈRE PUBLIC
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

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(SUJET COMPLÉMENTAIRE)

Si les récentes critiques attribuées au sommet du pouvoir exécutif et portant sur l’institution judiciaire et
plus précisément sur les magistrats du parquet ont sans doute fragilisé les relations entre la sphère politique
et le monde judiciaire, elles ont surtout mis en évidence la relativité d’un lien de subordination entre le
ministère public et l’autorité régalienne autrefois absolu.
En effet, historiquement le ministère public a été créé par le pouvoir politique central désireux de se doter
d’une partie poursuivante complètement acquise à sa cause et assurant la défense de l’intérêt général
devant les juridictions royales. Ainsi, dès le xiiie siècle, les « procureurs du Roi » représentaient les intérêts
du souverain dont ils recevaient directement leurs instructions. La loi des 16-24 août 1790 a, par la suite,
institué des accusateurs publics chargés de diriger l’action publique, l’institution étant cependant amenée
à connaître de graves excès à l’occasion de la période révolutionnaire. Après la Révolution française, la
Constitution de 1795 vint réaffirmer l’institution des magistrats spécialisés du ministère public, étroitement
soumis à l’autorité hiérarchique et connaissant par la suite plusieurs ajustements jusqu’à prendre sa forme
Dissertation 5

finale en 1804.
Ainsi, le statut du ministère public actuel se dessine au travers de l’héritage Napoléonien où le parquet
était intégré dans un corps unique avec les juges du siège, alors même que l’adage selon lequel « la justice
est rendue au nom du peuple français par les magistrats du siège et du parquet », évoquait l’idée d’un
statut équivalent à tous les magistrats. Cette confusion a été réaffirmée par l’ordonnance du 22 décembre
1958, portant loi organique relative au statut de la magistrature, qui ne distingue pas statutairement entre
les magistrats du siège et du parquet et qui demeure aujourd’hui encore la principale source normative
régissant le statut du ministère public en droit français.
Or, depuis une décennie, cette appartenance conjointe du parquet et du siège à l’autorité judiciaire a été
formellement remise en cause par les juges européens de la Cour de Strasbourg qui, en soulevant l’absence
d’indépendance – et d’impartialité – du ministère public français, ont menacé l’organigramme juridictionnel
tout entier. Cette défiance européenne à l’encontre du modèle français semblait avoir sonné le glas de son
statut si particulier en enjoignant au législateur de le doter de gages d’indépendance à l’égard du pouvoir
exécutif afin de répondre aux exigences posées par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Cependant, à rebours des constats de violation prononcés par ladite Cour européenne, suivis par une
jurisprudence audacieuse de la chambre criminelle de la Cour de cassation, il apparaît que le législateur,
indirectement soutenu en cela par le Conseil constitutionnel, n’a pas souhaité procéder à une telle réforme
posant dès lors la question de savoir comment se justifie l’appartenance du ministère public à l’autorité
judiciaire, si ardemment défendue en droit interne.
En effet, malgré les critiques, il est apparu que, pour le législateur français, l’orientation du ministère
public vers une indépendance totale n’est, à l’heure actuelle, ni souhaitable, ni même nécessaire. Ainsi,
dénoncé comme participant d’une institution impartiale cumulant les rôles de « juge et partie », le statut
du ministère public, s’il a été indéniablement fragilisé par ces critiques (I), n’en demeure pas moins, pour
le moment, conforté dans sa forme si atypique (II).

156
I - Une spécificité contestée

La place particulière accordée au ministère public au sein de la procédure pénale française a posé plusieurs

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difficultés au regard, en particulier, des principes issus de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH). Ces difficultés ont, d’abord, favorisé une
limitation des prérogatives du parquet (A) et, ensuite, remis en cause sa qualité d’autorité judiciaire (B).

A - LES LIMITATIONS SUR LA FORME DES PRÉROGATIVES DU MINISTÈRE PUBLIC

Engageant une critique sévère des modèles procéduraux consacrant une confusion des rôles ou une trop
grande proximité entre le ministère public et les magistrats du siège, les juges européens de la Cour de
Strasbourg ont censuré de nombreuses attributions avantageant auparavant le parquet sur les autres
parties.
Ainsi, en premier lieu, alors qu’il était d’usage au sein de la Cour de cassation belge que le ministère public
assiste au délibéré sans prendre la parole ni voter, cette pratique a été définitivement condamnée par la
Cour européenne (CEDH, 30 oct. 1991, Borgers c/ Belgique). En ce sens, la France a d’ailleurs connu une
condamnation similaire dans deux arrêts Reinhardt et Slimane-Kaïd contre France du 31 mars 1998 puis
Slimane-Kaïd contre France du 25 janvier 2000 à l’occasion desquels la Cour européenne des droits de
l’Homme a considéré que la communication à l’avocat général et non au requérant du rapport et du projet
d’arrêt rédigés par le conseiller rapporteur constituait une violation des garanties du procès équitable telles
que consacrées par l’article 6§1 de la CEDH. Ce constat de violation a conduit la Cour de cassation française

Dissertation 5
à modifier sa pratique en scindant le rapport du conseiller rapporteur en deux parties : une partie reprenant
l’exposé des faits et des moyens avancés, transmise tant aux parties qu’au ministère public, et une partie
relative au projet d’arrêt du rapporteur, qui n’est plus communiquée aux parties et au ministère public en la
personne de l’avocat général. Cette nouvelle pratique a dès lors été validée par la CEDH comme conforme
aux garanties du procès équitable (CEDH, 2 nov. 2004, Fabre c/ France).
En second lieu, c’est le législateur lui-même qui, à la suite de décisions européennes, s’est attaché à limiter
certaines prérogatives particulières reconnues au ministère public. À ce propos, par exemple, en vertu du
principe de l’équilibre entre les parties, la Cour européenne a constaté une violation de l’article 6§1 de la
Convention s’agissant du délai plus long dont disposait le procureur général – deux mois, au lieu de dix jours
pour la partie privée (CPP, art. 505) – pour interjeter appel d’un jugement correctionnel et l’impossibilité
pour la partie mise en cause de former un appel incident dans le même délai (CEDH, 3 oct. 2006, Ben
Naceur c/ France ; 22 mai 2008, Gacon c/ France). C’est la raison pour laquelle, la chambre criminelle de
la Cour de cassation a déclaré irrecevables les appels formés par les parquets généraux au-delà du délai de
dix jours (Cass. crim., 17 sept. 2008 ; 10 févr. 2009). Par la suite, la loi du 24 novembre 2009 a modifié
l’article 505 du Code de procédure pénale qui dispose désormais qu’« en cas de jugement de condamnation,
le procureur général peut également former son appel dans le délai de vingt jours à compter du jour du
prononcé de la décision ». L ’alinéa 2 de l’article 505 prévoit lui que, « sans préjudice de l’application des
articles 498 à 500, les autres parties ont alors un délai de cinq jours pour interjeter appel incident. Même
en l’absence d’appel incident, la cour d’appel peut en cas d’appel formé par le seul procureur général en
application du présent article, prononcer une peine moins importante que celle prononcée par le tribunal
correctionnel ».

157
B - LA REMISE EN CAUSE SUR LE FOND DE L'APPARTENANCE DU MINISTÈRE PUBLIC
À L’AUTORITÉ JUDICIAIRE
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Outre ces limitations, c’est surtout l’appartenance du ministère public à l’autorité judiciaire, avec les
garanties que cela suppose au regard des principes consacrés en droit européen des droits de l’Homme,
qui a été mise en cause par la Cour de Strasbourg à l’occasion de décisions relatives à la possibilité pour
le parquet de contrôler la légalité des conditions de privation de liberté avant jugement. Ainsi, de manière
annonciatrice, la CEDH avait dénié au parquet roumain la qualité d’autorité judiciaire alors même qu’il
présente, dans son organisation et son statut, de très grandes similitudes avec le ministère public français
en termes de subordination hiérarchique au ministre de la Justice. Sur le fondement de l’article 5§3 de
la CESDH, aux termes duquel « Toute personne arrêtée ou détenue (...) doit être aussitôt traduite devant
un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires (…)  », la CEDH a
ainsi condamné la pratique confiant au ministère public le contrôle de la légalité d’une mesure privative
de liberté au stade des poursuites (CEDH, 3 juin 2003, Pantea c/ Roumanie). De manière prévisible, la
sanction du statut du ministère public français n’a pas tardé, à l’occasion d’un contentieux lié au contrôle
de la garde à vue. Les juges européens ont mis en évidence l’ambiguïté des attributions du ministère
public français au stade de l’enquête. En effet, alors que l’article 41 du Code de procédure pénale dispose
qu’« il dirige l’activité des officiers de police judiciaire et des agents de police judiciaire » de son ressort,
l’alinéa 3 de ce même article ajoute que le procureur de la République « contrôle les mesures de garde
à vue  ». Ainsi, si la décision de placement en garde à vue constitue un pouvoir propre de l'officier de
police judiciaire, il appartient au ministère public de contrôler la régularité de la mesure, étant d'ailleurs
le seul à pouvoir la prolonger. Son rôle actif dans la poursuite des investigations, jugé incompatible avec la
neutralité attendue de l'autorité judiciaire, lui a donc valu de se voir réfuter la qualité de magistrat habilité
à exercer des fonctions judiciaires par la CEDH, considérant que « le magistrat doit présenter les garanties
Dissertation 5

d’indépendances à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite
contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public » (CEDH, gde ch., 29 mars 2010,
Medvedyev et autres c/ France – CEDH, 23 nov. 2010, Moulin c/ France).
S’agissant d’une jurisprudence susceptible de mettre en péril l’organisation judiciaire, les juridictions
françaises, invitées à se prononcer sur cette question, ont exprimé davantage de réserves. Saisi d’une
question prioritaire de constitutionnalité sur le régime de la garde à vue, le Conseil constitutionnel a ainsi
réaffirmé l’appartenance des magistrats du parquet à l’autorité judiciaire, en rappelant classiquement que
l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet (Cons. const., 30 juill.
2010). Par ailleurs, plus récemment, à propos d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à
l’article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de
la magistrature, les Sages ont estimé que, si la Constitution consacre l'indépendance des magistrats du
parquet, dont découle le libre exercice de leur action devant les juridictions, cette indépendance doit être
conciliée avec les prérogatives du gouvernement, de sorte qu'elle n'est pas assurée par les mêmes garanties
que celles applicables aux magistrats du siège. En particulier, le Conseil a souligné que, si l'article 16 de
la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 dispose que « toute société dans laquelle la
garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution »,
l’article 20 de la Constitution précise que le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation,
notamment en ce qui concerne les domaines d'action du ministère public, ce qui justifie l’organisation
hiérarchique du parquet sous l’autorité du garde des Sceaux (Cons. const., 8 déc. 2017). La chambre
criminelle de la Cour de cassation s’est, en revanche, alignée, sur le principe, sur la position des juges
européens en nuançant toutefois sa justification et en estimant que le contrôle de la garde à vue par le
parquet demeurait justifié dans certaines limites temporelles (Cass. crim., 15 déc. 2010 ; 18 janv. 2011).
Pour autant, la Cour de Strasbourg a maintenu sa position. Ainsi, dans son arrêt Vassis contre France du
27 juin 2013, portant sur une contestation relative à une garde à vue placée sous le seul contrôle du

158
procureur de la République durant ses quarante-huit premières heures, la Cour européenne a constaté, au
regard de la non-appartenance du ministère public français à l’autorité judiciaire, une violation de l’article
5§3 de la CESDH (CEDH, 4 déc. 2014, Ali Samatar c/ France et Hassan c/ France).

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Toutefois, ces incitations nombreuses à modifier le statut du parquet en améliorant son indépendance et
son impartialité n’ont que modérément impacté les réformes finalement intervenues, de sorte que le statut
particulier du ministère public demeure.

II - Un particularisme préservé
Malgré les vives critiques européennes du modèle français, le ministère public a conservé son statut
particulier d’acteur prépondérant de la procédure pénale française (B), au prix d’efforts destinés à accroître
son indépendance et son impartialité (A).

A - L ’AMÉLIORATION DES GARANTIES D’INDÉPENDANCE ET D’IMPARTIALITÉ


DU MINISTÈRE PUBLIC
Le ministère public demeure soumis à une subordination exercée par le pouvoir exécutif et consacrée par
l’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, portant loi organique relative au statut de la magistrature, qui
dispose que « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques
et sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice ». Ainsi, le ministère public est organisé en une
structure pyramidale permettant la diffusion des instructions du sommet vers la base. Surtout, ce niveau
sommital, constitué par le garde des Sceaux, présente la particularité de relever du pouvoir exécutif tout en

Dissertation 5
ayant autorité sur les procureurs généraux près les cours d’appel qui ont eux-mêmes autorité sur l’ensemble des
procureurs de la République du ressort de leur cour. De la sorte, le garde des Sceaux dispose de la possibilité
d’adresser aux magistrats du ministère public des instructions générales d’action publique par l’intermédiaire
de circulaires ayant une valeur interprétative. La subordination exercée par le pouvoir exécutif sur le ministère
public se manifeste également au regard des conditions de nomination des magistrats du parquet qui sont
désignés par décret du président de la République sur proposition du ministre de la Justice, après avis simple
du Conseil supérieur de la magistrature. À cela vient s’ajouter le fait que les membres du ministère public
ne bénéficient pas des garanties d’inamovibilité et d’irrévocabilité octroyées aux juges du siège. Surtout, la
désobéissance d’un membre du parquet constitue une faute disciplinaire à l’égard de laquelle le ministre de la
Justice a compétence pour exercer son pouvoir disciplinaire. Cette faute disciplinaire peut relever notamment
d’un défaut d’exécution des instructions hiérarchiques, ainsi que le permet l’article 30 du Code de procédure
pénale aux termes duquel que « Le ministre de la Justice conduit la politique d’action publique déterminée par
le gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République ».
Pour autant, le ministère public français peut s’appuyer sur un socle de règles tendant à lui conférer une
certaine indépendance, voire une certaine impartialité. Ainsi, si la loi du 9 mars 2004 avait consacré la
possibilité pour le ministre de la Justice d’adresser des instructions individuelles aux membres du ministère
public afin de leur enjoindre d’engager ou de faire engager des poursuites (CPP, art. 30 anc.), le législateur,
prenant en compte les critiques européennes sur le manque d’indépendance du ministère public à l’égard
du pouvoir exécutif, a mis fin à cette prérogative avec la loi du 25  juillet 2013 qui a modifié l’article
30 du Code de procédure pénale de sorte que celui-ci dispose désormais que le ministre de la Justice
« adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales. Il ne peut leur adresser aucune
instruction dans des affaires individuelles ». Par ailleurs, les articles 40 et 41 du Code de procédure pénale
dotent le procureur de la République d'un pouvoir propre qui en fait le seul intervenant légitime dans le
ressort de sa juridiction d'affectation : ainsi, nul ne peut se substituer à lui et agir à sa place tandis que

159
les actes qu'il réalise en violation des instructions hiérarchiques reçues demeurent valables. En outre, les
membres du ministère public bénéficient de l'adage en vertu duquel « la plume est serve mais la parole
est libre  », qui signifie que si le parquetier est tenu, dans ses réquisitions écrites, de se conformer aux
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instructions hiérarchiques reçues, il peut néanmoins, lors de ses réquisitions orales, « développer librement
les observations qu’il croit convenables au bien de la justice » (CPP, art. 33). Enfin, la loi du 25 juillet 2013
a modifié l'article 31 du Code de procédure pénale qui dispose désormais que le ministère public exerce
l'action publique et requiert l'application de la loi, « dans le respect du principe d'impartialité auquel il est
tenu », ce qui constitue un écho à l'obligation déontologique des magistrats.

B - LE MAINTIEN DU STATUT DU MINISTERE PUBLIC COMME ACTEUR MAJEUR


DE LA PROCÉDURE PÉNALE

Le ministère public a vu ses prérogatives maintenues, voire accrues, à l’occasion des dernières réformes.
Ainsi, son rôle de directeur d’enquête a été renforcé, notamment par la loi du 3 juin 2016, renforçant la
lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties
de la procédure pénale, qui a inséré dans le Code de procédure pénale un article 39-3 aux termes duquel,
« en tant que directeur d’enquête, le procureur de la République peut adresser des instructions générales
et particulières aux enquêteurs ». La loi lui confère ainsi le pouvoir de contrôler la légalité des moyens mis
en œuvre par les enquêteurs, la proportionnalité des investigations au regard de la nature et de la gravité
des faits, l’orientation donnée à l’enquête et la qualité de celle-ci. Par ailleurs, aux termes du même article,
le procureur de la République « veille à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité et
qu’elles soient accomplies à charge et à décharge, dans le respect des droits de la victime, du plaignant et
de la personne suspectée », ce qui revient à confier au magistrat du parquet des prérogatives qui ne sont
Dissertation 5

pas sans rappeler celles dévolues au juge d’instruction.


Ce rapprochement du rôle du parquet par rapport à celui du juge d’instruction, magistrat du siège, se manifeste
également par l’accroissement des pouvoirs d’investigation dont le ministère public dispose, notamment en
matière de géolocalisation dynamique, d’interceptions de télécommunications et de sonorisations de lieu
et fixations d’images. En outre, la loi précitée du 3 juin 2016, a modifié les dispositions de l’article 77-2 du
Code de procédure pénale aux termes duquel les personnes ayant fait l’objet d’une garde à vue, mais
également celle qui ont fait l’objet d’une audition libre, peuvent désormais demander à consulter le dossier
de la procédure et formuler des demandes d’actes utiles à la manifestation de la vérité, ce qui, là aussi,
rappelle fortement les règles relatives à l’information judiciaire. Enfin, au stade de l’exercice des poursuites,
le ministère public a acquis de plus en plus de prérogatives si bien que certains évoquent son statut de
« quasi-juge » s'agissant, par exemple, de son pouvoir d'initier la sanction dans le cadre de procédures de
composition pénale et de procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Le ministère public demeure un acteur majeur, voire l’acteur majeur, de la procédure pénale si l’on se réfère
aux réformes successives qui ont accru ses prérogatives. À cet égard, la protection des droits et libertés appelle
une évolution statutaire afin de garantir l’indépendance et l’impartialité du parquet. À ce propos, dans la
continuité du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace,
finalement retiré, le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique, présenté en
Conseil des ministres le 28 août 2019, prévoit que les magistrats du parquet seront désormais nommés sur
l'avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature et non plus sur avis
simple, et que cette formation statuera à leur égard comme conseil de discipline. Sur ce point, dans son avis
du 20 juin 2019, le Conseil d’État a estimé qu’en rapprochant le régime de nomination et de sanction des
magistrats du Parquet de celui des magistrats du Siège, les « mesures envisagées contribueront à renforcer
l'indépendance des magistrats du Parquet, sans pour autant que ne soit remise en cause l'autorité que le garde
des Sceaux tient de l'article 20 de la Constitution ».

160
Sujet

6
CAS PRATIQUE : CAS MONSIEUR MARTIN
(ANNALES CONCOURS ENM 2019)

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SUJET
Dirigeant de la SARL MTO, spécialisée dans le commerce des métaux de récupération,
M. MARTIN a porté plainte auprès d’un service de police en exposant avoir découvert, par des
vérifications ayant suivi la réception d’une lettre anonyme, que son prédécesseur, M. JACQUES,
avait vendu régulièrement des quantités importantes de métaux de la société à des entreprises
ou à des particuliers, sans facture et en obtenant des règlements en espèces. Pour étayer sa
plainte, M. MARTIN a remis aux policiers l’enregistrement d’une conversation téléphonique
qu’il avait eue avec M. JACQUES au sujet des ventes litigieuses, enregistrement réalisé à l’insu
de celui-ci.
L’enquête préliminaire qui a suivi ayant établi la vraisemblance des faits dénoncés, une
information a été ouverte par le procureur de la République du chef d’abus de biens sociaux à
l’encontre de M. JACQUES qui était ensuite mis en examen de ce chef.
Les investigations conduites sur commission rogatoire allaient révéler d’autres faits ignorés

Cas pratique 1
lors de l’ouverture de l’information. Les policiers, cherchant à établir l’ampleur des ventes
effectuées par M. JACQUES dans les conditions précitées, découvraient incidemment que
celui-ci détenait du cuivre en grande quantité dans le garage attenant à son domicile. Le juge
d’instruction aussitôt informé de ces faits, après avoir entendu brièvement sur cette possession
M. JACQUES qui prétendait acheter ce métal et le payer en espèces à des particuliers sans
justificatif de son origine ou de sa provenance, le mettait supplétivement en examen du chef
de recel de vol.

Vous répondrez aux questions suivantes :


1. V
 ous examinerez, en analysant la jurisprudence en vigueur, les conditions de validité, en
l’espèce, des actes d’enquête préliminaire suivie d’une information ayant pour point de
départ la fourniture aux policiers d’un élément de preuve obtenu par un particulier dans les
conditions qui sont indiquées (5 points).
2. V
 ous examinerez, en les analysant notamment au regard de la jurisprudence que vous
exposerez, si tous les éléments constitutifs de l’infraction d’abus de biens sociaux sont réunis
à l’encontre de M. JACQUES, sachant que celui-ci invoque notamment l’absence de preuve
qu’il ait agi dans son intérêt personnel et contrairement à l’intérêt de sa société (6 points).
3. V
 ous expliquerez à quelles recherches vous devez vous livrer pour déterminer le point de
départ de la prescription de l’action publique concernant l’abus de biens sociaux reproché
à M. JACQUES, après avoir rappelé l’évolution de la jurisprudence applicable à ce type
d’infraction (4 points).
4. A
 u regard des règles gouvernant la saisine du juge d’instruction que vous rappellerez, vous
examinerez la validité de la mise en examen de M. JACQUES pour recel (5 points).

161
Question 1
Cette question appelait un traitement d’ordre exclusivement procédural portant sur la régularité des
investigations accomplies en l’espèce par les différents agents qui s’étaient succédé.
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

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Pour apprécier celle-ci, il convenait de tenir compte de la qualité des investigateurs ainsi que du cadre en
application duquel les preuves avaient été recueillies, l’analyse des mesures en cause pouvant suivre l’ordre
chronologique du récit.
La principale originalité du cas tenait au fait que les premiers actes d’enquête avaient été accomplis non
par des autorités policières, mais par un particulier (M. MARTIN) ainsi que le soulignait la question. À
l’appui de sa plainte contre M. JACQUES, M. MARTIN indiquait en effet avoir enregistré la conversation
téléphonique qu’il avait eue avec ce dernier à son insu. Or cette conversation, parce qu’elle portait sur les
ventes de métaux qu’il soupçonnait son prédécesseur d’avoir effectuées illégalement, devait lui permettre
d’étayer sa plainte. Il convenait dès lors de s’interroger sur la régularité de cette première pièce à l’aune de
la jurisprudence spécifique à l’administration de la preuve par des personnes privées.
Cette question fait plus directement écho au respect du principe de loyauté des preuves, autour duquel la
Cour de cassation a développé une jurisprudence distinguant le niveau d’exigence quant à la recevabilité
des preuves pénales selon qu’elles sont administrées par des personnes dépositaires de l’autorité publique
ou par des personnes privées.
Si la Haute juridiction récuse toute preuve administrée par les autorités policières au moyen d’une
provocation à la commission de l’infraction1 ou d’un stratagème propre à vicier la recherche et l’établissement
de la vérité2 ont pas usage de violence et qu’ils sont bien les seuls à l’initiative du recueil de la preuve
obtenue même illégalement3. Ainsi a-t-elle admis qu’un groupe de particuliers ait recours à un procédé
dit de testing pour provoquer la preuve de faits discriminatoires4, qu’un époux produise le procès-verbal
Cas pratique 1

d’huissier retranscrivant l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre lui et son épouse pour
établir le caractère mensonger de l’attestation qu’elle avait fournie dans leur procédure de divorce5 ou,
dans la fameuse affaire Bettencourt, que le maître d’hôtel de la milliardaire, tiers à la procédure, ait produit
l’enregistrement de conversations privées réalisé à l’insu des personnes concernées6.

Il n’est pas douteux, en l’espèce, que M. MARTIN a pris l’initiative de l’enregistrement de la conversation
susceptible d’étayer sa plainte. S’il apparaît davantage comme un tiers à la procédure que comme la
victime directe (qui serait par définition la SARL MTO s’agissant de faits d’abus de biens sociaux), les
conditions d’obtention de son enregistrement n’apparaissent pas pour autant contestables au regard de la
jurisprudence libérale évoquée ci-dessus. Il fallait par conséquent considérer que cet élément de preuve
avait été régulièrement administré.

1. Pour une illustration, voir not. Cass. crim., 27 février 1996, n° 95-81366, Bull. crim. n° 93.
2. V. not. l’arrêt d’assemblée plénière du 6 mars 2015, n° 14-84339.
3. Voir not. l’affaire de chantage ayant impliqué le roi du Maroc dans laquelle la chambre criminelle de la Cour de
cassation avait refusé d’admettre la validité d’enregistrements clandestins obtenus par des particuliers, en raison
de la participation indirecte d’autorités policières (Cass. crim., 20 septembre 2016, n° 16-80820). Cette solution
fut toutefois désavouée par l’assemblée plénière, qui considéra pour sa part qu’aucune participation de cette sorte
n’était établie (Cass. ass. plén., 10 novembre 2017, n° 17-82028).
4. Cass. crim., 11 juin 2002, n° 01-85559, Bull. crim. n° 131.
5. Cass. crim., 31 janvier 2007, n° 06-82383, Bull. crim. n° 27.
6. Cass. crim., 31 janvier 2012, n° 11-85464, Bull. crim. n° 27.

162
Dans une moindre mesure, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter de l’origine des soupçons ayant conduit
M. MARTIN à procéder à un tel enregistrement car, vis-à-vis d’un particulier, la jurisprudence ne pose
aucune exigence comparable à celle conditionnant l’ouverture d’une enquête de flagrance par des autorités

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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policières à l’existence d’un « indice apparent d’un comportement délictueux »7. Ajoutons que la valeur et
l’antériorité (non renseignée) des éléments de preuve rapportés par M. MARTIN étaient sans incidence sur
la possibilité qu’ont toujours les autorités policières d’ouvrir une enquête préliminaire (CPP, art.75).

Question 2
L’examen de cette question devait se traduire par une application des règles du droit pénal spécial au
cas particulier de l’infraction d’abus de biens sociaux. Après avoir rappelé, de manière générale, que le
principe de la légalité des délits et des peines subordonne toute recherche de responsabilité pénale d’un
individu à l’existence préalable d’un texte incriminant le comportement considéré, il convenait d’identifier
en l’espèce l’article L. 241-3, 4°, du Code de commerce compte tenu de la forme de la société victime des
faits concernés (une SARL). Ce texte prévoit, en son 4°, qu’« est puni d’un emprisonnement de cinq ans et
d’une amende de 375 000 euros […] Le fait, pour les gérants, de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit
de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une
autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».
Les éléments constitutifs de ce délit étaient-ils réunis à raison du fait pour M. JACQUES d’avoir vendu
« régulièrement » des quantités importantes de métaux de la société dont il était alors le dirigeant, sans
produire de facture et en obtenant le règlement en espèces ?
Du point de vue de la matérialité des faits, l’on pouvait tout d’abord constater, à la lumière de la jurisprudence,
que l’usage des biens ou du crédit de la société s’applique sans difficulté aux actes de disposition d’éléments
du patrimoine social, visant par exemple à dissiper celui-ci au moyen d’une cession d’actions à un prix

Cas pratique 1
dérisoire8.
Pouvait-on en dire autant des ventes litigieuses ici ? Sans doute pas aussi aisément en l’absence d’informations
sur la valeur des métaux cédés et le prix de la cession réalisée en espèces. Il n’en demeure pas moins que les
ventes de métaux réalisées par M. JACQUES ont affecté le patrimoine de la société et qu’à défaut d’avoir été
facturées, elles ne pouvaient être inscrites dans les comptes de la société. Il en résultait nécessairement un
appauvrissement du patrimoine social et potentiellement un risque de sanctions pénales ou fiscales pour la
SARL du fait de la dissimulation des recettes issues des ventes. Ce faisant, de telles opérations traduisaient
à l’évidence un acte contraire à l’intérêt social.
Dans une affaire (très) proche du présent cas, la chambre criminelle a d’ailleurs récemment approuvé une
cour d’appel d’avoir condamné un dirigeant pour abus de biens sociaux après avoir constaté qu’il avait
procédé à des ventes, en l’absence de factures, de métaux et reçu en contrepartie des espèces et que ce fait,
indépendamment du point de savoir quel emploi il avait fait des liquidités reçues, qui avait eu pour effet de
détourner frauduleusement à son profit une partie de l’actif de la société dont il était le gérant, constituait
le délit d’abus de biens sociaux au préjudice de cette société9. Pour la Cour de cassation, « la dissimulation
d’une partie de l’activité de vente de métaux de la société, exposant celle-ci à un risque anormal de sanctions
pénales ou fiscales, caractérise l’usage abusif des biens de cette société ». Cette position s’inscrit dans la droite
ligne d’une jurisprudence ancienne sur l’exposition de l’actif social à un risque injustifié de pertes, même
sans contrepartie10.

7. Cass. crim., 11 juillet 2007, n° 07-83427, Bull. crim., n° 183.


8. Voir par exemple Cass. crim., 23 mai 2013, n° 12-81222.
9. Cass. crim., 6 avril 2016, n° 15-81859.
10. Cass. crim., 8 décembre 1971, Bull. crim. n° 346.

163
De ce point de vue, le fait que l’ancien dirigeant se défende d’avoir agi dans son intérêt personnel ne saurait
faire obstacle à la constitution de l’infraction car la Cour de cassation a jugé, dans de telles circonstances (et
dans la même affaire), que « le produit de ces opérations, dont il n’est pas justifié qu’il ait été utilisé dans le seul
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intérêt de la société, l’a nécessairement été dans l’intérêt personnel du dirigeant social qui s’est vu remettre les
sommes en espèces »11. C’est dire qu’une présomption de recherche d’intérêt personnel pèse sur le dirigeant,
à qui il incombe alors de justifier que les biens ont été utilisés dans le seul intérêt de la société, facilitant
ainsi tout à la fois la preuve des éléments matériel et moral du délit d’abus de biens sociaux.
L’article 121-3, alinéa 1er du Code pénal pose le principe selon lequel il n’y a point de crime ou de délit sans
intention de le commettre. Sur le plan intentionnel, le délit d’abus de biens sociaux suppose, au préalable, la
connaissance ou conscience du caractère contraire à l’intérêt social de l’usage observé. Il requiert, ensuite,
la volonté d’agir en connaissance du caractère contraire à l’intérêt social, c’est-à-dire la mauvaise foi du
dirigeant. Enfin, l’article L. 241-3, 4° du Code de commerce évoque un usage « à des fins personnelles ou pour
favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il [le gérant] est intéressé directement ou indirectement ».
Au vu des circonstances dans lesquelles les ventes litigieuses ont été conclues et leur produit dissimulé, il
est permis de considérer que l’intention délictueuse de M. JACQUES était suffisamment établie au regard
de la position sévère de la jurisprudence évoquée ci-dessus.
Il s’expose en conséquence à une peine de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.

Question 3
À la jonction des règles substantielles et procédurales applicables en matière pénale, se posait ensuite
la question de la détermination du point de départ de la prescription de l’action publique concernant le
délit d’abus de biens sociaux. En l’absence d’indication sur la datation des faits, l’objet de cette question
posée abstraitement (« à quelles recherches… ») était de recueillir un état des connaissances autour du sort
Cas pratique 1

particulier que la jurisprudence, mais désormais aussi la loi, réservent à une telle infraction.
Si la prescription de l’action publique pour les délits est en principe de six années à compter à compter du
jour où ils ont été commis (pour rappel, le délai a été doublé par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017),
l’article 9-1 du CPP prévoit en effet, en son troisième alinéa, que ce délai court, en présence d’infractions
occultes ou dissimulées, à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des
conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l'action publique, sans toutefois qu’il puisse
excéder douze années révolues pour les délits à compter du jour où ils ont été commis. Le même article
précise ce qu’il faut entendre par infraction occulte ou dissimulée dans ses deux derniers alinéas :
- « Est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de
l’autorité judiciaire » ;
- « Est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en
empêcher la découverte ».
C’est précisément à l’une ou l’autre de ces catégories d’infractions que la jurisprudence rattachait déjà
l’abus de biens sociaux avant l’entrée en vigueur de ces dispositions dans leur rédaction résultant de la
réforme précitée du 27 février 2017. Après avoir consacré le caractère occulte de l’abus de biens sociaux
par un arrêt du 7 décembre 196712, puis rendu cette infraction quasi-imprescriptible en décidant qu’elle
ne pouvait être poursuivie qu’à partir du moment où elle était apparue et constatée « dans des conditions
permettant l’exercice de l’action publique »13, la chambre criminelle a posé quelques limites à la possibilité
de poursuivre ce délit en précisant, à compter de 1997, que « la prescription de l’action publique court, sauf

11. Cass. crim., 6 avril 2016, préc.


12. Cass. crim., 7 décembre 1967, Bull. crim. n° 321 : « en matière d’abus de biens sociaux, le point de départ de
la prescription triennale doit être fixé au jour où ce délit est apparu et a pu être constaté ».
13. Cass. crim., 10 août 1981, Bull. crim. n° 244.

164
dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont
mises indûment à la charge de la société »14. Il résulte de cette évolution que la publication annuelle des
comptes sociaux constitue le point de départ de la prescription de l’abus de biens sociaux, confirmant ainsi

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le caractère occulte par nature de cette infraction, à moins que des manœuvres imputables à l’auteur des
faits n’aient conduit à lui conférer un caractère dissimulé propre à justifier un report du point de départ de
la prescription.
Le véritable changement engendré par la réforme de 2017 réside, à cet égard, dans l’introduction d’un
« délai butoir » de douze années révolues pour les délits (et de trente années révolues pour les crimes), à
compter du jour où l’infraction a été commise, au-delà duquel la prescription doit être considérée comme
acquise, nonobstant le caractère occulte ou dissimulé du délit.
Que les faits de l’espèce trouvent leur origine avant ou après l’entrée en vigueur de cette réforme (ce que
l’on ignorait), il y avait tout lieu de penser, en conclusion, que le point de départ de la prescription de
l’action publique devait être reporté au moment de la découverte des ventes litigieuses (par le nouveau
gérant a priori) et que le délit pouvait en conséquence bien faire l’objet de poursuites au moment où
l’information judiciaire a été ouverte (celle-ci valant exercice de l’action publique).

Question 4
Pour finir, la mise en examen pour recel de vol de M. JACQUES devait conduire à s’assurer des conditions
dans lesquelles le juge d’instruction peut étendre, de sa propre initiative ou sous réserve d’une demande en
ce sens, le champ de ses investigations alors qu’il avait été initialement saisi pour des faits d’abus de biens
sociaux.
Rappelons que le juge d’instruction n’a pas le pouvoir de s’autosaisir et qu’il ne peut informer, en vertu de
l’article 51 du CPP, qu’après avoir été saisi :

Cas pratique 1
- soit par le réquisitoire introductif d’instance émanant du procureur de la République, quelle que soit la
gravité de l’infraction (CPP, art.80, I) ;
- soit par la plainte avec constitution de partie civile déposée par la partie lésée en cas de crime ou de délit
(CPP, art. 85).
Conformément au principe de la saisine in rem, c’est-à-dire quant aux seuls faits qui lui sont dénoncés, le
magistrat instructeur ne peut, par ailleurs, instruire sur d’autres faits que ceux pour lesquels il a été saisi
par le réquisitoire introductif ou la plainte avec constitution de partie civile.
Il s’ensuit que lorsque des faits nouveaux, non visés au réquisitoire, sont portés à la connaissance du
juge d’instruction, celui-ci ne peut valablement étendre le champ de sa saisine que sur la base d’un
réquisitoire supplétif du procureur de la République (CPP, art. 80, I, al. 3). Pour cela, le juge d’instruction
doit immédiatement communiquer au parquetier les plaintes ou les procès-verbaux constatant les faits
nouveaux. Interdiction lui est faite de procéder entretemps à des actes d’investigation autres que la
consignation des faits nouveaux dans un PV ou l’accomplissement en urgence des vérifications sommaires
pour en apprécier la vraisemblance15.

14. Cass. crim., 5 mai 1997, Bull. crim. n° 159.


15. Cass. crim., 30 mai 1996, Bull. crim. 226.

165
Le magistrat instructeur ne pouvait dès lors interroger de sa propre initiative M. JACQUES sur les faits de
recel de vol16 et encore moins le mettre en examen supplétivement, sauf à justifier de l’existence d’un lien
indivisible entre ces faits et ceux d’abus de biens sociaux17. Cela paraissait toutefois peu évident ici (les
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marchandises volées n’ayant visiblement pas été achetées au nom et pour le compte de la société, de sorte
qu’elles ne pouvaient être celles qui avaient été revendues en espèces ensuite), donc une cause de nullité
pouvait être envisagée à ce titre.
Cas pratique 1

16. Comp. Cass. crim., 8 juin 2017, n° 17-80709 : Des questions posées par le juge d’instruction, auxquelles le fils
de la personne mise en examen a répondu en qualité de témoin de manière circonstanciée, excèdent de simples
vérifications sommaires, ce dernier ayant été conduit à confirmer, hors la présence d’un avocat, ses déclarations
incriminantes antérieurement reçues par les services de police.
17. Voir, en ce sens, Cass. crim., 29 juill. 1875 où la Cour de cassation a exigé des tribunaux qu’ils établissent
l’existence, entre les infractions en présence, d’« un lien tellement intime que l’existence des unes ne se compren-
drait pas sans l’existence des autres, l’ensemble formant un tout indivisible ».

166
Sujet

7
CAS PRATIQUE : CAS DUPONT ET
AUTRES (ANNALES CONCOURS ENM 2018)

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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SUJET
Une information judiciaire était ouverte sur les agissements de plusieurs individus qui, à la
faveur d’expositions d’objets d’art dont certaines organisées par eux, entraient en relation
avec des clients potentiels, en utilisant de faux noms et la fausse qualité de marchands d’art
immatriculés au registre du commerce, spécialisés notamment dans le rachat de collections.
Ces individus se rendaient au domicile des personnes intéressées, au prétexte d’évaluer des
œuvres dont ceux-ci entendaient se défaire, leur laissaient en dépôt une sculpture présentée
comme un jade précieux datant d’anciennes dynasties chinoises, en réalité une grossière copie
contemporaine en marbre valant tout au plus quelques centaines d’euros.
Ils faisaient ensuite intervenir un prétendu expert, présentant une carte professionnelle
mentionnant faussement cette qualité, lequel évaluait l’objet à plusieurs dizaines de milliers
d’euros, estimation très supérieure à celle faite par les prétendus marchands d’art, déterminant
ainsi les dépositaires à s’en porter acquéreurs. Les investigations révélaient le même mode
opératoire, utilisé au détriment de multiples victimes dont M. Lenoir, par un groupe d’individus,

Cas pratique 2
membres ou alliés d’une même famille sous l’égide de Jacques Dupont et de son beau-frère
Pierre Martin, en recourant notamment au service de faux experts dont Paul Moreau. Ces trois
hommes ainsi que des complices étaient renvoyés par le juge d’instruction devant le tribunal
correctionnel. Le préjudice global s’élevait à vingt millions d’euros.
Une procédure distincte ultérieure portait sur des mouvements de fonds suspects, en lien
avec les faits précités dont avait notamment été victime M. Lenoir. En effet, était constatée
l’ouverture d’une quarantaine de comptes en Europe par trente personnes, toutes plus ou
moins en lien familial ou d’amitié avec les malfaiteurs qui avaient vendu les faux jades. Un
millier d’opérations de virements et retraits portant sur près d’une vingtaine de millions d’euros
étaient réalisées sur ces comptes. Une ventilation de ces sommes était opérée sur quatre
comptes successifs avec des retraits d’espèces, par des groupes d’individus en vue d’opérations
bancaires concertées en Andorre. Parmi les personnes impliquées dans ces faits figurait la belle-
mère de Paul Moreau, Mme Bernard, de nationalité française, qui avait ouvert un compte dans
une banque espagnole à Irun (Espagne) sur lequel avaient été crédités à deux reprises la même
année successivement 250 000 et 500 000 euros, fonds provenant du compte d’un certain
M. Gilbert que Mme Bernard prétendait ne pas connaître. Il s’avérait que ces montants avaient
ensuite été retirés en espèces par la mise en cause qui prétendait avoir ouvert ce compte pour
les seuls besoins de son activité commerciale de marchande de tapis à Irun qu’elle avait cessée
au bout de trois mois. Cette justification donnée à l’existence de ce compte était contredite par
les nombreuses opérations observées sur une période de trois ans jusqu’à un solde quasi nul,
sachant, en outre, que Mme Bernard disposait de trois autres comptes personnels en France.

167
Vous répondrez aux questions suivantes 
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

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1. Vous expliquerez les éléments qui sont susceptibles de caractériser l’infraction d’escroquerie
à l’encontre de MM.  Dupont, Martin et Moreau. Vous examinerez de manière motivée
les éléments qui vous permettent ou non de retenir la circonstance de bande organisée
relativement à cette infraction (6 points).
2. S’agissant du délit de blanchiment susceptible d’être reproché à Mme Bernard, infraction
ne présentant pas de lien d’indivisibilité avec l’escroquerie précitée, vous exposerez quelles
sont les règles d’application des lois dans l’espace qui sont concernées et vous vérifierez
si les informations dont vous disposez en l’espèce suffisent à établir la compétence de la
juridiction française pour juger ces faits (5 points).
3. À supposer que l’infraction d’origine qui a procuré les fonds ultérieurement placés par
Mme Bernard n’ait fait l’objet d’aucune procédure ou que la prescription de l’action publique
concernant ladite infraction d’origine soit acquise, l’infraction de conséquence que constitue
le blanchiment peut-elle être néanmoins poursuivie  ? Vous exposerez votre analyse en
indiquant à quel examen doit se livrer le juge pour caractériser un blanchiment (5 points).
4. Le tribunal correctionnel, devant lequel Mme Bernard a comparu, envisage de prononcer
une peine de dix-huit mois d’emprisonnement ferme. À quelle obligation de motivation
la juridiction doit-elle se soumettre pour se conformer aux exigences d’individualisation
posées par les articles 132-17 et suivants du Code pénal ? (4 points).
Cas pratique 2

1 - Vous expliquerez les éléments qui sont susceptibles de caractériser l’infraction


d’escroquerie à l’encontre de MM. Dupont, Martin et Moreau. Vous examinerez de manière
motivée les éléments qui vous permettent ou non de retenir la circonstance de bande
organisée relativement à cette infraction (6 points).
L’article 313-1 du Code pénal incrimine « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par
l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou
morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs
ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. »
L’escroquerie, pour voir son élément matériel caractérisé, nécessite que soient relevés cumulativement une
manœuvre, un résultat et un lien de causalité.
S’agissant de la manœuvre, l’escroquerie impose la démonstration d’une tromperie, caractérisée soit par un
usage de faux nom ou de fausse qualité soit par l’usage de manœuvres frauduleuses.
L’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité est admis largement par la jurisprudence pour autant qu’il résulte de
manœuvres positives de la part de l’agent qui a ainsi œuvré délibérément afin d’induire la victime à se déterminer,
de telles manœuvres ne pouvant se satisfaire du fait de laisser la victime dans l’erreur (Cass. crim., 14 avril 2015).
En l’espèce, ces manœuvres sont caractérisées sans difficulté de la part de MM. Dupont, Martin et Moreau
qui utilisent des faux noms et de fausses qualités de marchands d’art immatriculés au registre des commerces
et des sociétés pour induire les victimes en erreur. De même, l’intervention à leur initiative d’un prétendu
expert présentant une fausse carte professionnelle participe de ces manœuvres en les crédibilisant aux
yeux des victimes ainsi que le consacre traditionnellement la jurisprudence estimant que dès lors que
le mensonge est conforté par des manœuvres, comme l’intervention d’un tiers, il y a escroquerie, grâce,
précisément aux manœuvres frauduleuses (Cass. crim., 16 déc. 1969).

168
S’agissant de l’usage de manœuvres frauduleuses positives, rappelons que de telles manœuvres ne sauraient
se satisfaire de simples omissions ou mensonges isolés et non étayés d’autres manœuvres (Cass. crim.,
20  juill. 1960). Le mensonge, pour fonder la tromperie et les manœuvres frauduleuses, exige ainsi une

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certaine consistance, en étant notamment conforté par un acte matériel tel que la fourniture de fausses
attestations, déclarations ou factures ou encore s’agissant d’une simulation ou d’une mise en scène.
En l’espèce, ces manœuvres frauduleuses positives sont caractérisées à l’égard des mis en cause, s’agissant
du stratagème destiné à mettre en confiance les victimes et à leur faire croire, par l’intervention d’un faux
expert, à la nature précieuse du jade chinois laissé en dépôt pour les déterminer à s’en porter acquéreur à
une somme très largement supérieure à leur valeur réelle.
La seconde composante de l’élément matériel de l’escroquerie réside dans son résultat. Celui-ci est entendu
largement par la jurisprudence qui admet outre la remise d’un bien au préjudice d’autrui, le préjudice
moral. La chambre criminelle de la Cour de cassation affirme en effet, que « le préjudice, élément constitutif
du délit d’escroquerie, n’est pas nécessairement pécuniaire et est établi lorsque l’acte opérant obligation
n’a pas été librement consenti par la victime mais a été obtenu par des moyens frauduleux » (Cass. crim.,
28 janv. 2015). Ces conditions relatives à l’existence d’un résultat au préjudice de la victime sont aisément
remplies en l’espèce s’agissant de la remise de fonds pécuniaires obtenus en échange de faux jades à un prix
largement supérieur à leur valeur réelle, dépossédant nécessairement les victimes.
Enfin, le lien de causalité entre les manœuvres utilisées et le résultat est avéré, les victimes n’auraient
nullement procédé à la remise des fonds sans ces artifices déployés afin de les tromper.
S’agissant de l’élément moral de l’escroquerie, il est double  : en effet, l’escroquerie étant toujours une
infraction intentionnelle, cet élément moral exige, s’agissant du dol général, la connaissance par l’auteur
du caractère frauduleux des moyens employés et, s’agissant du dol spécial déployé, la conscience d’un
préjudice pour la victime.

Cas pratique 2
Le délit d’escroquerie est donc caractérisé à l’égard des trois mis en cause, la détermination de la peine
imposant de s’intéresser à l’existence en l’espèce d’une éventuelle circonstance aggravante de bande
organisée. La bande organisée est définie par l’article 132-71 du Code pénal comme « le groupement formé
ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une
ou de plusieurs infractions ». La bande organisée nécessite donc la caractérisation de deux éléments :
une préméditation et une « organisation structurée ». L’article 132-72 du code définit la préméditation
comme « le dessein formé avant l’action de commettre un crime ou un délit déterminé ». Ici, le fait pour
les mis en cause d’avoir organisé des expositions d’objets d’art afin d’entrer en relation avec des clients
potentiels caractérise cette préméditation et la volonté de mettre en confiance les victimes en prévision
des tromperies mises en œuvre. S’agissant de l'organisation structurée, la description du rôle de chaque
protagoniste s'inscrivant dans la durée, la bande organisée doit s’articuler autour d’un nombre minimal de
participants que le Code pénal n’a pas précisément consacré mais qu’il était d’usage de conditionner à un
minimum de trois participants, conformément aux termes de la circulaire du 14 mai 1993 présentant les
dispositions du nouveau Code pénal, lecture confirmée par le Conseil constitutionnel définissant la bande
organisée comme « un groupe structuré de trois personnes ou plus » (Cons. const., 2 mars 2004). Ne se
satisfaisant plus de ce seul critère quantitatif, la chambre criminelle de la Cour de cassation l’a par la suite
doublé d’un critère qualitatif en précisant les contours de cette structure à travers trois éléments (voir,
notamment : Cass. crim., 8 juill. 2015 et 20 juin 2018) : la hiérarchie structurant le groupe, caractérisé
sans peine ici, l’énoncé évoquant des agissements «  sous l’égide » d’un donneur d’ordre, une nécessaire
répartition des rôles entre les protagonistes, présente également en l’espèce, chacun occupant dans la mise
en œuvre du stratagème un rôle très particulier et prédéfini et une certaine durée qui résulte de l’énoncé
des faits.
Ainsi, la bande organisée étant caractérisée, les mis en cause s’exposent à la répression aggravée prévue
par l’article 313-2 dernier alinéa du Code pénal portant les peines encourues à 10 ans d’emprisonnement
et 1 000 000 euros d’amende.

169
2 - S’agissant du délit de blanchiment susceptible d’être reproché à Mme Bernard, infraction
ne présentant pas de lien d’indivisibilité avec l’escroquerie précitée, vous exposerez quelles
sont les règles d’application des lois dans l’espace qui sont concernées et vous vérifierez
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si les informations dont vous disposez en l’espèce suffisent à établir la compétence de
la juridiction française pour juger ces faits (5 points).
La question qui se pose est celle de savoir s’il est possible de poursuivre en France le blanchiment effectué
à l’étranger du produit d’une infraction commise en France. Deux règles pourraient permettre de retenir
la compétence française : en premier lieu, la compétence territoriale. En effet, l’article 113-2 alinéa 2 du
Code pénal consacre une fiction territoriale particulièrement extensive disposant qu’«  il suffit, pour que
l’infraction soit réputée commise sur le territoire de la République, qu’un de ses faits constitutifs ait eu lieu
sur ce territoire  ». L’infraction initiale (l’escroquerie) constituant la condition préalable du blanchiment,
il est permis de considérer que cette disposition est applicable au blanchiment commis à l’étranger et
provenant d’une infraction commise en France ainsi que l’a d’ailleurs consacré la jurisprudence en matière
de recel commis à l’étranger et provenant d’une infraction commise en France (Cass. crim., 26 sept. 2007).
Cette compétence territoriale est redoutable puisque la réciprocité d’incrimination entre le fait principal
commis à l’étranger et l’acte de complicité réalisé en France n’est pas exigée en l’espèce, le blanchiment
constituant une infraction en propre et non un simple acte de complicité.
La compétence française peut également se justifier au nom des règles de compétence personnelle  : la
compétence personnelle active d’une part, l’article 113-6 du Code pénal disposant que la loi pénale française
est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République, cette règle posant
néanmoins deux difficultés : la réciprocité d’incrimination et sa limitation au champ criminel.
Dans ce cadre, c’est la compétence personnelle passive qu’il convient de retenir en l’espèce : l’article 113-7
du Code pénal consacrant en effet l’applicabilité de la loi pénale française à tout crime ou délit commis à
Cas pratique 2

l’étranger lorsque la victime est française. Cette règle de compétence, applicable en l’espèce au regard de
la nationalité des victimes, doit être privilégiée car elle est applicable aux crimes comme aux délits punis
d’emprisonnement, auxquels appartient le blanchiment et qu’elle n’exige pas de réciprocité d’incrimination.

3 - À supposer que l’infraction d’origine qui a procuré les fonds ultérieurement placés par
Mme Bernard n’ait fait l’objet d’aucune procédure ou que la prescription de l’action publique
concernant ladite infraction d’origine soit acquise, l’infraction de conséquence que constitue
le blanchiment peut-elle être néanmoins poursuivie ? Vous exposerez votre analyse en
indiquant à quel examen doit se livrer le juge pour caractériser un blanchiment (5 points).
Il convient en premier lieu d’étudier la caractérisation éventuelle de l’infraction de blanchiment en l’espèce.
Conformément aux dispositions de l’article 324-1 alinéa 1 du Code pénal, « le blanchiment est le fait de
faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un
crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ». L’alinéa 2 du même texte dispose
que « constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement,
de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ». Le blanchiment
constitue donc une infraction qui nécessite à titre préliminaire l’existence d’une infraction principale
punissable. Il peut s’agir indifféremment d’un crime ou d’un délit, seule importe la nécessité que les juges
du fond aient caractérisé « les éléments constitutifs d’un crime ou d’un délit principal ayant procuré à son
auteur un profit direct ou indirect » (Cass. crim., 25 juin 2003).
Il convient de préciser doublement le champ du caractère punissable de l’infraction d’origine : en premier
lieu, notons que si l’infraction d’origine doit être punissable, elle ne doit pas nécessairement être punie,
le blanchiment pouvant être ainsi poursuivi en dépit d’obstacles à la poursuite de l’infraction d’origine.
En second lieu, l’article 324-1, alinéas 1er et 2 du Code pénal désigne une infraction d’origine susceptible de
procurer à son auteur un « profit direct ou indirect » ou de générer un « produit direct ou indirect », dont il

170
pourra bénéficier, ce bénéfice pécuniaire étant entendu largement et pouvant résulter tant d’une infraction
contre les biens réprimée par le Code pénal que d’une infraction plus complexe se rapportant au droit pénal
des affaires ou à la matière fiscale. Enfin, les éventuels biens de substitution issus de la réutilisation des

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biens d’origine dans une optique de dissimulation sont inclus dans ce « produit direct ou indirect ».
S’agissant de ses éléments constitutifs, le blanchiment est constitué classiquement d’un élément matériel
et d’un élément moral.
Un élément matériel, tout d'abord : le Code pénal désigne « le fait de faciliter, par tout moyen, la justification
mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à
celui-ci un profit direct ou indirect », s’agissant également du fait « d’apporter un concours à une opération
de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ». La
jurisprudence analyse ainsi la matérialité du blanchiment de deux manières. Dans sa version la plus basique,
le blanchiment « lavage », voit son auteur agir comme un « facilitateur » pour l’auteur de l’infraction d’origine
en lui fournissant une justification mensongère immédiate de ses biens et revenus pour leur donner une
apparence de légitimité (fausses factures, faux contrats, vente fictive, donation déguisée…). Plus élaborée,
la seconde modalité du blanchiment dite blanchiment «  recyclage » est davantage complexe puisqu’elle
repose sur le cumul de différentes opérations financières permettant la réinjection des biens, obtenus
frauduleusement, dans les circuits économiques afin de faire perdre toute trace de leur origine frauduleuse.
En l’espèce, les agissements de Mme  Bernard caractérisent sans difficulté les actes matériels constitutifs
d’un blanchiment « lavage », cette ressortissante française, belle-mère de l’un des coauteurs de l’escroquerie
d’origine, ayant accueilli sur deux comptes à son nom et domiciliés en Espagne des sommes importantes
(250 000 et 500 000 euros) provenant d’un individu qu’elle prétend ne pas connaître pour avoir ensuite retiré
en espèces ces sommes, le tout justifié par l’existence d’une activité commerciale sans consistance véritable.
Un élément moral, ensuite : le blanchiment est toujours une infraction intentionnelle reposant sur un dol

Cas pratique 2
général, s’agissant de la connaissance de l’infraction préalable, limitée à la connaissance de la commission
d’une infraction et de fonds à blanchir et non à son contenu précis ainsi que l’a récemment réaffirmé la
Cour de cassation (Cass. crim., 18 janv. 2017) et sur un dol spécial reposant sur la volonté de participer à
l’opération de blanchiment.
En l’espèce, Mme Bernard ne parvient pas à justifier l’origine des fonds suspects crédités puis retirés de
son compte, permettant de caractériser à son encontre le dol général, tandis que les multiples opérations
financières réalisées démontrent avec certitude sa volonté de participer au blanchiment.
Ainsi, l’infraction de blanchiment est constituée à l’encontre de Mme Bernard. Plus encore, l’énoncé évoquant
un dispositif très élaboré de blanchiment en cascade dans différents pays d’Europe reposant sur plus d’un
millier d’opérations de virements et impliquant de nombreux individus concertés, il convient de considérer
que les développements relatifs à la bande organisée réalisés en amont sont applicables au blanchiment en
l’espèce, faisant notamment encourir à Mme Bernard 10 ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende
(C. pén., art. 324-2).
Quant au caractère poursuivable du blanchiment : il convient d’envisager successivement deux hypothèses
pouvant éventuellement affecter la poursuite du blanchiment :
S’agissant en premier lieu de l’hypothèse de l’infraction d’origine n’ayant fait l’objet d’aucune procédure ;
si l’infraction d’origine doit être punissable, elle ne doit pas nécessairement être punie, le blanchiment
pouvant être ainsi poursuivi malgré l’existence d’obstacles à la poursuite de l’infraction d’origine. La
jurisprudence retient de longue date, en matière de blanchiment, le régime répressif sévère appliqué au
recel dans un but d’efficacité répressive, en empêchant le receleur de se dégager de sa responsabilité pénale
sur le fondement des obstacles affectant la poursuite de l’infraction d’origine. En ce sens, à la faveur d’une
jurisprudence ancrée, la Cour de cassation délie le sort des poursuites à l’encontre de l’infraction d’origine
ayant procuré le produit à blanchir et celles visant le blanchiment, considérant que cette dernière infraction

171
demeure poursuivable quand bien même l’auteur de l’infraction d’origine n’a pas été identifié (Cass. crim.,
3 mars 1955) ou condamné (Cass. crim., 4 janv. 1963).
S’agissant en second lieu d’une prescription de l’action publique de l’infraction d’origine : la même solution
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de sévérité s’applique, la Cour de cassation considérant le blanchiment toujours poursuivable en dépit de
l’acquisition de la prescription de l’action publique de l’infraction principale (Cass. crim., 31  mai 2012).
Plus encore, la prescription de l’action publique du blanchiment voit son point de départ jouir des règles de
report de la prescription au jour de la découverte des faits occultes, l’infraction de blanchiment elle-même
appartenant à la catégorie des infractions occultes, dès lors que ses conditions de réalisation lui assurent une
absolue clandestinité (Cass. crim., 11 sept. 2019).

4 - Le tribunal correctionnel, devant lequel Mme Bernard a comparu, envisage de prononcer


une peine de dix-huit mois d’emprisonnement ferme. À quelle obligation de motivation la
juridiction doit-elle se soumettre pour se conformer aux exigences d’individualisation posées
par les articles 132-17 et suivants du Code pénal ? (4 points)
La jurisprudence récente a précisé les exigences du législateur qui, à l’occasion de la loi du 15 août 2014,
a consacré l’impératif de motivation pesant sur le juge désireux de retenir une peine d’emprisonnement
ferme sans aménagement. Ainsi, par trois arrêts du 29 novembre 2016 rendus en formation plénière et par
un quatrième arrêt rendu le lendemain, la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé l’étendue
de l’exigence de motivation pesant sur le juge pour prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis ni
aménagement. Au visa de l’article 132-19 du Code pénal, la haute juridiction a ainsi rappelé que d’une part,
« le juge qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard des faits
de l’espèce, de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur, et du caractère inadéquat de toute
autre sanction ». Elle a ajouté que d’autre part, « si le juge décide de ne pas aménager la peine, il doit, en
Cas pratique 2

outre, motiver spécialement sa décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné
ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle ». Elle a cependant
précisé le champ de cette motivation renforcée en retenant que « les juges ne sont tenus de spécialement
motiver leur décision au regard de la situation matérielle, familiale et sociale du prévenu que pour refuser
d’aménager la peine d’emprisonnement sans sursis qu’ils prononcent, lorsque cette peine est d’une durée qui
n’excède pas deux ans, ou un an en cas de récidive, et non pour justifier la nécessité d’une telle peine ».
La Cour de cassation entend ainsi donner sa pleine portée à l’exigence consacrée par le législateur de
motivation renforcée de recours aux courtes peines d’emprisonnement ferme sans sursis issue de la
modification de l’article 132-19 du Code pénal. C’est précisément le cas en matière correctionnelle comme
en l’espèce puisque conformément à l’alinéa 2, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être
prononcée «  qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent
cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ». Ainsi, et ce même en cas
de récidive légale, le juge a l’obligation de motiver sa décision de prononcer une peine d’emprisonnement
ferme sans sursis au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de l’auteur et de l’inadéquation
de toute autre sanction. Par le biais de sa jurisprudence précitée, la Cour de cassation a rappelé entendre,
par sa rigueur, donner son plein sens à cette exigence de motivation renforcée.
En l’espèce, le juge désireux de retenir une peine d’emprisonnement ferme de 18 mois à l’encontre de
Mme Bernard devra nécessairement, pour répondre aux impératifs légaux précités, préciser en quoi tant la
gravité de l’infraction, le caractère inadapté de toute autre sanction ainsi que la personnalité de la mise en
cause imposent de ne pas aménager cette courte peine envisagée.

172
Sujet

8
CAS PRATIQUE : CAS GRANDCHEF

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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(ANNALES CONCOURS ENM 2017)

SUJET
Monsieur Jacques R., cadre d’une grande entreprise du Nord de la France déposait plainte au
commissariat de Lille le 26 janvier 2017 à l’encontre de son employeur, Monsieur Grandchef.
Il expliquait que ce dernier lui tenait des propos violents qui l’humiliaient devant ses
subordonnés et que son quotidien au travail était devenu un enfer. Des tâches contradictoires
lui étaient constamment demandées, son bureau avait été vidé et Monsieur Grandchef lui avait
supprimé du jour au lendemain son secrétariat.
Monsieur Jacques R. se disait diffamé et ajoutait qu’il avait dû consulter son médecin en raison
des pressions qui étaient exercées sur lui et de la tension qui s’ensuivait. Il ajoutait que son
employeur lui avait fait parvenir dans un laps de temps très court un nombre considérable
de lettres recommandées avant de le licencier. Il fournissait des attestations de témoins qui
avaient constaté la dégradation de son état physique.
Une enquête était diligentée par le commissariat local suite à la plainte de Monsieur Jacques R.

Cas pratique 3
et Monsieur Grandchef était convoqué 15 jours après et acceptait d’être entendu. Il expliquait
être excédé par Monsieur Jacques R. qui selon lui n’en faisait qu’à sa tête depuis de nombreux
mois et déposait plainte à son tour contre Monsieur Jacques R. en raison de ses allégations
qu’il estimait mensongères. Après que sa plainte eût été recueillie, il se mettait alors en colère
et décidait de mettre fin à l’audition. Les deux procédures étaient transmises au parquet de
Lille pour suite à donner.

Vous répondrez aux questions suivantes 


1. Q
 uel est le type d’enquête adapté à la situation ? (2 points)
2. D
 ans quel cadre juridique Monsieur Grandchef est-il entendu ? (4 points)
3. Q
 uelles sont les formalités à respecter vis-à-vis de Monsieur Grandchef ? (4 points)
4. Q
 uelles sont les orientations procédurales envisageables ? (3 points)
5. L
 e délit de diffamation vous paraît-il pouvoir être retenu à l’encontre de Monsieur Grandchef ?
D’autres infractions peuvent-elles être retenues à son encontre ? (5 points)
6. Q
 uelle infraction pourrait être retenue dans le cadre de la plainte de Monsieur Grandchef à
l’encontre de Monsieur Jacques R. ? (2 points)

173
1 - Quel est le type d’enquête adapté à la situation ? (2 points)
En l’absence de toute mention quant à une commission rogatoire délivrée aux policiers illustrant l’ouverture
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

d’une information judiciaire, il convient de considérer que l’on se trouve dans le cadre d’une enquête de

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police.
L ’enquête de police est préliminaire lorsqu’elle ne répond pas aux conditions de la flagrance. Selon l’article
53, alinéa 1 du Code de procédure pénale, « est qualifié de crime ou délit flagrant le crime ou délit qui se
commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un
temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée
en possession d’objets, ou présente des traces ou indices laissant penser qu’elle a participé au crime ou au
délit ».
L ’enquête de flagrance répond à trois exigences : un critère de gravité suffisante des faits poursuivis (crime
ou délit), un critère temporel et un critère d’apparence. Le critère de gravité implique une qualification
criminelle ou correctionnelle des faits qui est assurée ici au regard des premiers actes d’enquête et de la
transmission au parquet de Lille. Le critère temporel exige que la commission de l’infraction ait eu lieu
dans un temps très voisin de l’intervention des policiers, la jurisprudence consacrant traditionnellement
une durée maximale de 48 heures depuis la commission des faits (Cass. crim., 8 avril 1998). En l’espèce,
les faits remontent à plusieurs semaines avant le dépôt de plainte et le début des investigations,
invalidant cette proximité temporelle exigée. Enfin, s’agissant du critère d’apparence, la jurisprudence
exige que les policiers aient pu constater « un indice apparent d’un comportement délictueux » (Cass.
crim., 22 janv. 1953), cette apparence pouvant ressortir de manière alternative d’éléments divers, qu’il
s’agisse des constatations matérielles faites par les policiers et leur révélant l’infraction ou encore de
l’appel téléphonique qui requiert l’intervention des forces de police. En l’espèce, les faits sont portés
Cas pratique 3

à la connaissance des autorités de poursuite par le biais d’un dépôt de plainte, invalidant le critère
d’apparence.
En l’absence de ces deux critères de la flagrance, il convient de considérer que l’enquête va se poursuivre
dans le cadre préliminaire. Prévue aux articles 75 et suivants du Code de procédure pénale, l’enquête
préliminaire se caractérise par son absence de coercition, imposant de recueillir le consentement de la
personne poursuivie en matière de visites domiciliaires, de perquisitions et de saisies (CPP, art. 76), ainsi
que l’accord du procureur de la République pour son arrestation.

2 - Dans quel cadre juridique Monsieur Grandchef est-il entendu ?


Monsieur Grandchef est convoqué au commissariat local afin d’être entendu  : il convient d’écarter tout
placement en garde à vue puisqu’il est indiqué qu’il consent à être entendu et de considérer qu’il est
entendu librement, ce qui peut désigner deux statuts juridiques : le témoin et l’audition libre.
En premier lieu, l’audition du témoin, telle que prévue par l’article 62 du Code de procédure pénale
permet d’entendre librement « Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible
de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction. » Ce statut de témoin prévoit,
en outre, que « Toutefois, si les nécessités de l’enquête le justifient, ces personnes peuvent être retenues
sous contrainte le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée puisse excéder quatre
heures. » Enfin, si, au cours de l’audition du témoin apparaissent des raisons plausibles de soupçonner qu’il
a commis ou tenté de commettre une infraction, il doit être entendu sous le régime de l’audition libre, sauf
si son placement en garde à vue est nécessaire.
En l’espèce, les dénonciations de la victime ainsi que les attestations de témoins confirmant la dégradation
de son état de santé constituent des indices laissant présumer l’implication pénale de Monsieur Grandchef
et imposent d’écarter la qualité de témoin à son égard.

174
L ’audition sans contrainte peut, en second lieu, résulter de l’audition libre prévue par l’article 61-1 du
Code de procédure pénale, s’agissant de « La personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles
de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction » dès lors que les conditions de la

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garde à vue ne sont pas satisfaites. Ainsi, il doit exister des raisons plausibles de soupçonner que le mis en
cause a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement. En l’espèce, les
dénonciations de Monsieur Jacques R. ainsi que les attestations témoignant de la dégradation de son état
de santé sans mettre directement en cause Monsieur Grandchef sont des éléments suffisants pour constituer
de telles raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction et justifient
le recours à l’audition libre.

3 - Quelles sont les formalités à respecter vis-à-vis de Monsieur Grandchef ?


Le recours à l’audition libre étant justifié en l’espèce, il convient de vérifier si les droits procéduraux
entourant la mesure ont été respectés. Soulignons qu’avant la loi du 27 mai 2014, si l’audition était dite
« libre », c’est notamment en raison de l’absence de contrainte pesant sur l’officier de police judiciaire
qui n’avait comme obligation que celle d’informer l’intéressé de son droit de quitter les locaux à tout
moment.
L ’audition libre est ainsi devenue à l’occasion de la loi du 27 mai 2014 une audition encadrée qui
ouvre au bénéfice de l’intéressé plusieurs droits : en premier lieu, un droit à l’information prévu à
l’article 61-1 du Code de procédure pénale. Ainsi, dans la convocation qui lui est adressée en vue de
son audition libre doit figurer l’infraction dont il est suspecté, sa date et son heure de commission.
Cette obligation est renouvelée lors de son arrivée dans le service d’enquête où ses autres droits doivent
lui être notifiés s’agissant de son droit d’être assisté d’un interprète et de son droit d’être assisté d’un
avocat lors des auditions, des confrontations, des reconstitutions et des séances d’identification des

Cas pratique 3
suspects dont il fait partie (CPP, art. 61-3). De même, il doit être informé de son droit de faire des
déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, de son droit d’être assisté par
un interprète et de son droit de bénéficier gratuitement de conseils juridiques émanant d’une structure
d’accès au droit. En l’absence de mentions contraires, il s’agira de considérer que ces exigences sont
remplies en l’espèce.
En second lieu, l’article 61-1 du Code de procédure pénale subordonne la validité de l’audition libre à
l’absence de toute contrainte exercée sur la personne suspectée. Ainsi, il n’est plus possible de recourir à
l’audition libre lorsque la personne suspectée a été conduite par la contrainte devant l’officier de police
judiciaire. En l’espèce, il est indiqué que Monsieur Grandchef a accepté de répondre à la convocation,
ce qui permet de retenir l’absence de coercition. En outre, la loi ne consacrant pas de durée maximale
de l’audition libre, l’intéressé doit être informé de son droit de quitter à tout moment les locaux où il est
entendu, modalité remplie en l’espèce puisqu’il est indiqué que Monsieur Grandchef a décidé de lui-même
de mettre un terme à l’audition.

4 - Quelles sont les orientations procédurales envisageables ?


Le parquet de Lille s’est vu transmettre les deux procédures pour appréciation et il s’agit de déterminer la
suite qui va leur être donnée. Il convient de considérer que le parquet va décider la jonction de ces deux
procédures étroitement liées, puisque du résultat de la première dépendra l’issue de la seconde. Par ailleurs,
en l’état des investigations, de nombreux éléments font défaut et le parquet demandera aux enquêteurs la
réalisation d’actes supplémentaires, s’agissant notamment a minima d’une confrontation entre Monsieur
Grandchef et Monsieur R., d’une audition des témoins et d’une enquête de voisinage dans l’entreprise afin
d’entendre tout témoin utile et de procéder aux constatations permettant de vérifier les dires de la victime
(changement de bureau, suppression du secrétariat…).

175
S’agissant des orientations procédurales, en premier lieu, le procureur de la République pourra décider,
après la réalisation de ces actes d’enquête, de faire délivrer une COPJ (convocation par officier de police
judiciaire) à l’encontre de Monsieur Grandchef, prévue par l’article 390-1 du Code de procédure pénale qui
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dispose que « Sur instruction d’un magistrat, un officier de police judiciaire peut remettre à une personne
une convocation à se rendre au tribunal, soit pour faire l’objet d’une mise en examen, soit pour faire l’objet
d’un jugement. »
En second lieu, et tout particulièrement dans ce type de contentieux, il convient d’envisager la voie
de la citation directe. Prévue par l’article 390 du Code de procédure pénale, la citation directe permet
à une victime de saisir directement le tribunal de police en matière contraventionnelle ou le tribunal
correctionnel en matière délictuelle comme en l’espèce. Elle permet également à la victime de demander,
outre la condamnation de l’auteur, l’indemnisation de son préjudice au travers de dommages-intérêts. Elle
est délivrée à personne dénommée par exploit d’huissier (elle est donc impossible lorsque l’identité du
prévenu est inconnue), étant précisé que le prévenu peut se faire assister d’un avocat.

5 - Le délit de diffamation vous paraît-il pouvoir être retenu à l’encontre de


Monsieur Grandchef ?
D’autres infractions peuvent-elles être retenues à son encontre ?
La diffamation consiste dans l’imputation d’un fait non avéré qui porte atteinte à l’honneur ou à la
considération d’une personne. Le Code pénal distingue la diffamation publique et non publique, selon
qu’elle est diffusée publiquement ou qu’elle est adressée à un public déterminé. La diffamation est non
publique lorsqu’elle est adressée à des personnes déterminées, liées entre elles par un cadre commun
(familial, professionnel…). En l’espèce, les faits intervenant dans le cadre de l’entreprise, il convient de
privilégier la diffamation non publique.
Cas pratique 3

L ’article R. 621-1 du Code pénal dispose que « La diffamation non publique envers une personne est punie
de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe. La vérité des faits diffamatoires peut être
établie conformément aux dispositions législatives relatives à la liberté de la presse. »
Matériellement, la diffamation exige l’imputation d’un fait particulier, non-avéré et de nature à porter
atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne, tandis que l’élément moral réside dans la
connaissance par l’auteur de la nature fausse de ces faits et la volonté de porter atteinte à l’honneur de la
victime. En l’espèce, il est fait état de propos violents qui humilient Monsieur Jacques R., sans davantage
de précision, ce qui est insuffisant pour pouvoir caractériser la diffamation.
Il convient d’envisager d’autres infractions. En premier lieu, peut ainsi être évoquée l’injure non publique,
prévue et réprimée par l’article R. 621-2 du Code pénal qui dispose que « L ’injure non publique envers
une personne, lorsqu’elle n’a pas été précédée de provocation, est punie de l’amende prévue pour les
contraventions de la 1re classe ». Matériellement, l’injure repose sur une expression vulgaire ou méprisante,
non précédée d’une provocation, tandis que l’élément moral réside dans la volonté d’humilier le destinataire.
En l’absence de précision quant à la teneur des propos reprochés, il n’est pas possible de caractériser
l’injure.
En outre, en l’absence de toute mention quant à une ITT, il s’agit d’envisager la qualification de violences
volontaires légères, de nature contraventionnelle, prévue et réprimée par l’article R. 624-1 du Code pénal
qui dispose qu’«  Hors les cas prévus par les articles  222-13 et 222-14, les violences volontaires n’ayant
entraîné aucune incapacité totale du travail sont punies de l’amende prévue pour les contraventions de la
4e classe. »
Les violences volontaires reposent matériellement sur un acte positif de l’auteur, un résultat dommageable
pour la victime et un lien de causalité entre ces deux éléments. L ’élément moral repose quant à lui sur la
volonté délibérée de porter atteinte à l’intégrité de la victime.

176
En l’espèce, les propos violents adressés par Monsieur Grandchef à Monsieur Jacques R. peuvent constituer
de tels actes positifs de violence, la jurisprudence n’exigeant pas de contact physique entre l’auteur et la
victime et admettant de longue date les violences « qui, sans atteindre matériellement la personne sont

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cependant de nature à provoquer une sérieuse émotion » (Cass. crim., 19 févr. 1892). Le lien de causalité
est également constitué, la victime affirmant que son quotidien au travail est « devenu un enfer ». En outre,
l’élément moral ne fait pas défaut, Monsieur Grandchef ne pouvant ignorer les conséquences néfastes de
ses agissements sur la victime. Ce délit est donc caractérisé et fait encourir à Monsieur Grandchef une
amende de 4e classe (135 euros).
Enfin, au regard des faits évoqués par Monsieur Jacques R., il convient d’envisager la qualification pénale
de harcèlement moral dans le cadre du travail, prévue et réprimée par l’article 222-33-2 du Code pénal
s’agissant du « fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour
effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité,
d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, puni de deux ans
d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».
L ’élément matériel du harcèlement moral exige la caractérisation d’agissements répétés imposés à la
victime  : le harcèlement ne peut donc pas reposer sur des actions isolées qui ne sont intervenues que
de manière ponctuelle. Cette répétition est caractérisée en l’espèce par la diversité des actes reprochés à
Monsieur Grandchef, s’agissant des humiliations et des propos violents imposés à la victime, des tâches
contradictoires données, de la dégradation de ses conditions de travail issue de la suppression de son bureau
et de son secrétariat et de la multiplication des courriers envoyés à la victime avant son licenciement.
L ’élément moral du harcèlement moral repose sur un dol spécial : la volonté délibérée de nuire à la victime
en portant atteinte à ses conditions d’existence et d’épanouissement et en compromettant son avenir
professionnel.

Cas pratique 3
En l’espèce, la multiplication des agissements de Monsieur Grandchef à l’égard de Monsieur R. ne peut
consister en une démarche neutre et œuvre à une dégradation objective de ses conditions de travail dont
l’auteur, en tant que responsable hiérarchique, ne peut ignorer la portée. La consultation par la victime d’un
médecin ainsi que les attestations témoignent de la dégradation de ses conditions de vie, remplissant ainsi
l’élément moral. Le délit de harcèlement moral est donc caractérisé à l’encontre de Monsieur Grandchef qui
encourt 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
Au regard de ces deux qualifications pénales pouvant être retenues contre Monsieur Grandchef, il convient
d’envisager l’hypothèse d’un concours réel d’infractions, tel que prévu par l’article 132-3 du Code pénal et
entendu comme la concurrence de plusieurs infractions sans qu’un jugement définitif ne soit intervenu entre
elles. Cependant, au regard de la proximité des qualifications pénales en l’espèce, il s’agit davantage d’un
concours idéal d’infractions amenant à ne retenir, en l'absence d'intérêts protégés distincts, que l’infraction
de harcèlement moral (la plus globale) et à exclure celle de violences.

6 - Quelle infraction pourrait être retenue dans le cadre de la plainte de Monsieur Grandchef
à l’encontre de Monsieur Jacques R. ?
Monsieur Grandchef dépose plainte à son tour contre Monsieur Jacques R. en raison de ses allégations
qu’il estime mensongères. Il convient donc d’envisager l’infraction de dénonciation calomnieuse, prévue
et réprimée à l’article 226-10 du Code pénal s’agissant de « la dénonciation, effectuée par tout moyen et
dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires,
administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu’elle est adressée
soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir
d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la
personne dénoncée, est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

177
En l’espèce, si les faits dénoncés par Monsieur Jacques R. s’avéraient mensongers, cette infraction pourrait
être constituée par la dénonciation à l’autorité judiciaire de faits constitutifs d’un délit, s’agissant du
harcèlement moral et ayant entraîné des investigations de la part des autorités de poursuite (élément
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matériel) en toute connaissance de cause par l’auteur de leur caractère calomnieux (élément moral).
Enfin, si la voie de la citation directe était retenue et venait à conduire à la relaxe de Monsieur Grandchef,
cela entraînerait de fait une telle qualification pénale puisque l’article 226-10 du Code pénal in fine dispose
que « La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d’acquittement,
de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n’a pas été commis ou que celui-ci n’est pas imputable à la
personne dénoncée. »
Cas pratique 3

178
Sujet

9
CAS PRATIQUE : CAS CAUCHEMAR
À BALI (SUJET COMPLÉMENTAIRE 1)

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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SUJET
Sophie est ravie, elle a gagné une semaine de vacances sur l’île des Dieux à Bali, elle part
avec sa meilleure amie Émilie. Dès leur arrivée à l’hôtel, elles sentent l’euphorie les emparer,
plage, eau turquoise, soleil, le paradis sur terre  ! Le soir, elles font la rencontre de Mike et
Andy, deux étudiants australiens en vacances. Tout de suite, Sophie remarque Mike, et les deux
nouveaux amis ne tardent pas à faire une promenade sous le ciel étoilé. Malheureusement, la
nuit romantique tourne au cauchemar, Mike attrape violemment Sophie, la caresse et se munit
d’un préservatif mais n’arrive pas à la pénétrer. De son côté, Émilie, pendant l’absence de Sophie,
sympathise avec Nyoman, le barman de l’hôtel. Les vacances se passent, Sophie se morfond dans
sa chambre suite à la mésaventure avec Mike, tandis qu’Émilie va de fêtes en fêtes avec Nyoman.
Le jour du départ approche, Nyoman offre une magnifique statue représentant un Dieu balinais.
À leur retour en France, Émilie, la statue dans les bras, est interceptée après son passage en
douanes par les forces de l'ordre, puis placée en garde à vue, il est 16 heures. En effet, l’OPJ
Hubert a été prévenu que deux kilos de cocaïne arrivaient en provenance de Bali transportés

Cas pratique 4
dans une statue par une fille dont la description ressemble étrangement à celle d’Émilie. À
l’arrivée dans les locaux à 17 heures, ses droits lui sont notifiés, et elle demande à voir Me
Schum, l’avocat de la famille. Malgré le message laissé par l’OPJ Hubert sur le répondeur de
Me Schum, ce dernier, en raison de la grève des avocats, ne se déplace pas. Son interrogatoire
commence à 18 h 45, et elle essaye en vain d’expliquer la situation. Quant à Sophie, quelques
jours après leur retour, elle porte plainte pour viol.

Vous examinerez la situation de Sophie et d’Émilie.

1 - Les faits subis par Sophie

La situation de Sophie soulève deux difficultés. La première relève du droit pénal spécial et concerne
la caractérisation de l’infraction commise par Mike. La seconde relève du droit pénal général et a
trait à la possibilité juridique de poursuivre cet individu devant les juridictions pénales françaises. Deux
points à examiner tour à tour.

I - La qualification de tentative de viol


L ’article 222-22 du Code pénal exige que l’atteinte sexuelle ait été commise « avec violence, contrainte,
menace ou surprise », ce qui tend à démontrer l’absence de consentement de la victime. Ici, le défaut de

179
consentement est évident : l’acte sexuel n’a été possible qu’en raison de la contrainte dont Sophie, qui avait été
attrapée violemment par Mike, a été l’objet et dont le caractère irrésistible n’a pu qu’abolir le consentement.
L ’élément moral de l’infraction ne pose ici encore aucune difficulté particulière. Le viol ou l’agression
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sexuelle sont des infractions intentionnelles qui supposent toutes les deux que l’auteur ait conscience
d’imposer à la victime une relation sexuelle à laquelle celle-ci n’a nullement consenti. En l’espèce, la preuve
de l’intention coupable procède naturellement des moyens employés (usage de la violence) par Mike pour
assouvir ses pulsions sexuelles, la passivité de la victime ne pouvant, compte tenu des circonstances de
l’espèce, être considérée comme une forme d’adhésion aux actes dont Sophie a été victime.
Les deux qualifications se distinguent en revanche d’un point de vue matériel. La loi définit le délit
d’agression sexuelle (C. pén., art. 222-27) par opposition au crime de viol qui est constitué par « tout acte de
pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui » (C. pén., art. 222-23).
Or, il est précisé que Mike n’a pas pénétré Sophie. L ’élément matériel n’est donc pas constitué. Partant, ces
faits ne peuvent être appréhendés sous la qualification de viol. En revanche, les faits peuvent être qualifiés
de tentative de viol. En effet, bien que Mike ait dans un premier temps caressé Sophie, ce qui constitue le
délit d’agression sexuelle au sens de l’article 222-27 du Code pénal (Cass. crim., 31 mai 2000), il convient
d’exclure la qualification d’agression sexuelle dès lors qu’il est précisé par la suite qu’il voulait en réalité
pénétrer Sophie puisqu’il s’est muni d’un préservatif, mais qu’il n’y parviendra pas.
Il faut d'abord s’assurer que la tentative de viol est légalement punissable. Ce point ne soulève aucune
difficulté dès lors que, selon l’article 121-4 du Code pénal, la tentative de crime est toujours punissable et
que le viol constitue en toutes circonstances un crime eu égard à la peine encourue : 15 ans de réclusion
(C. pén., art. 222-23, al. 2).
Aux termes de l’article 121-5 du Code pénal, « La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un
commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet que par des circonstances
Cas pratique 4

indépendantes de la volonté de son auteur ». La tentative n’est donc punissable que si deux conditions sont
établies, à savoir un commencement d’exécution et une absence de désistement volontaire.
Le commencement d’exécution est notamment défini par la jurisprudence comme « des actes qui tendent
directement au crime avec intention de le commettre » (Cass. crim., 29 déc. 1970 – Cass. crim., 11 juin
1975). Concrètement, cela suppose de constater des actes matériels qui, d’une part, révèlent l’intention
irrévocable de l’auteur de commettre une infraction et, d’autre part, établissent un lien de causalité
certain entre le comportement de l’auteur et l’infraction projetée, ce qui implique que le commencement
d’exécution se situe dans un temps assez proche de celui de la consommation proprement dite. Tel est le
cas en l’espèce puisque le fait pour Mike d’agresser Sophie, physiquement puis sexuellement (il la caresse),
puis de sortir un préservatif ne peut s’expliquer que par la volonté de celui-ci d’avoir un rapport sexuel, ce
qui constituerait un acte de pénétration sexuelle sur autrui au sens de l’article 222-23 du Code pénal, quelle
que soit la nature de ce rapport, y compris des actes de pénétration buccale (Cass. crim., 22 févr. 1984) ou
anale (Cass. crim., 24 juin 1987).
Concernant ensuite le désistement, celui-ci est volontaire – et la tentative est alors exclue – si la suspension
ou l’interruption de l’acte est provoquée par un sentiment purement personnel à l’auteur, tel que la peur
ou le remords (Cass. crim., 20 mars 1974) ; il est en revanche involontaire – ce qui caractérise le second
élément constitutif de la tentative d’infraction – chaque fois qu’il apparaît que l’absence de résultat est due à
une cause externe à l’auteur (Cass. crim., 19 juin 1979, intervention de la police. – Cass. crim., 5 juill. 1951,
intervention d’un témoin). En l’espèce, il est indiqué que Mike a dû suspendre son action en raison d’une
défaillance physique après s’être muni d’un préservatif. C’est donc un facteur externe qui est seul à l’origine
de l’échec, ce qui caractérise la tentative de viol (en ce sens, Cass. crim., 10 janv. 1996).
Dès lors que la tentative d’infraction est punie comme l’infraction consommée (C. pén., art. 121-4), Mike
encourt, comme indiqué précédemment, une peine de 15 ans de réclusion criminelle.

180
II - La compétence des juridictions françaises

La plainte déposée par Sophie n’aboutira cependant à la condamnation de Mike que pour autant que les

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faits commis relèvent de la compétence des juridictions françaises. Or, à cet égard, force est de constater
que l’action s’est déroulée à Bali, ce qui exclut la compétence territoriale (C. pén., art. 113-2). De même,
la compétence personnelle active ne pourrait être retenue dans la mesure où Mike a la nationalité
australienne (C. pén., art. 113-6). Cependant, il est possible d’envisager la compétence des juridictions
françaises au regard du système de la compétence personnelle passive consacré à l’article 113-7 du Code
pénal, aux termes duquel « la loi française est applicable à tout crime (…) commis par un Français ou par
un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment
de l’infraction ». En effet, il est précisé dans l’énoncé « à leur retour en France », ce qui laisse entendre que
Sophie a la nationalité française.
Pour être complet, on précisera enfin que les faits constituant un crime, leur poursuite pourra intervenir
non seulement à la requête du ministère public, mais pourra aussi être exercée directement par la victime
qui aura tout loisir de porter plainte avec constitution de partie civile en cas d’inertie du parquet, les
dispositions de l’article 113-8 du Code pénal étant limitées aux seuls délits. Par ailleurs, il faut encore
préciser que Mike soit mis à la disposition de la justice française, ce qui suppose que l’État français sollicite
et obtienne de l’Australie son extradition.

2 - La procédure à l’encontre d’Émilie

Cas pratique 4
Émilie est placée en garde à vue à son retour en France par l’OPJ Hubert, et demande à être assistée de
l’avocat de la famille Me Schum.

I - Le cadre de l’enquête

Selon l’article 67 du Code de procédure pénale, les policiers ne peuvent recourir à la contrainte que si
les faits poursuivis constituent un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Cette condition
ne soulève en l’espèce aucune difficulté. Les faits peuvent en effet être qualifiés d'importation illicite de
stupéfiants punis de 10 ans d’emprisonnement et de 7  500 000 € d’amende selon l’article 222-36 du
Code pénal.
Il importe ensuite que les faits répondent à la définition de la flagrance au sens de l’article 53 du Code
de procédure pénale. Selon ce texte, est qualifié de crime ou de délit flagrant, le crime ou le délit « qui se
commet actuellement, ou qui vient de se commettre ». Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, « dans un
temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée
en possession d’objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou
au délit ». Il convient donc, pour relever l’existence d’une infraction flagrante, d’établir deux conditions
cumulatives.
La flagrance suppose tout d’abord un critère temporel, la loi faisant référence à un crime ou un délit « qui se
commet actuellement, ou qui vient de se commettre », ou se plaçant « dans un temps très voisin de l’action ».
En l’espèce, cette condition ne saurait être discutée puisque l’infraction est en train de se commettre lorsque
les policiers sont appelés et au moment de l’interpellation d’Émilie.

181
Mais cette condition n’est pas suffisante. La jurisprudence se réfère en outre à un autre critère, celui de
l’apparence. En effet, selon la Cour de cassation, « pour pouvoir agir en enquête de flagrance, les officiers
de police judiciaire doivent avoir eu connaissance au préalable, d’indices apparents d’un comportement
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révélant l’existence d’une infraction en train de se commettre ou qui vient d’être commise » (Cass. crim.,
12  mai 1992). À cet égard, il ressort de l’énoncé que les policiers ont été prévenus que deux kilos de
cocaïne arrivaient en provenance de Bali apparemment transportés par Émilie dans une statue, mais
on ignore si la dénonciation a été ou non anonyme. Ce détail est primordial car si la dénonciation non
anonyme constitue un indice apparent d’agissements délictueux déjà commis ou en train de se commettre
caractérisant la flagrance (Cass. crim., 1er oct. 2003), il est constant qu’une dénonciation anonyme ne
répond pas de cette définition et ne permet d’ouvrir qu’une enquête préliminaire (Cass. crim., 2 févr. 1988).
Il n’en va différemment que si l’information obtenue anonymement est confortée par des indices précis
et concordants obtenus préalablement à l’opération policière (Cass. crim., 23 oct. 1991). Tel est le cas en
l’espèce. On peut en effet légitimement penser que les forces de police ayant aperçu la statue dans les bras
d’Émilie, elles ont pu constater par elles-mêmes des indices de l’infraction qui était encore en train de se
commettre.
Il apparaît dans ces conditions que les policiers ont agi selon les règles de l’enquête de flagrance. À ce titre,
au vu des éléments d’ores et déjà recueillis, ils étaient fondés à interpeller Émilie et à la placer en garde
à vue.

II - Le placement en garde à vue d’Émilie


Cas pratique 4

En vertu de l’article 62-2 du Code de procédure pénale, la « garde à vue est une mesure de contrainte décidée
par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à
l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté
de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des
enquêteurs ». Le placement en garde à vue est soumis à trois conditions cumulatives :
– d’une part, la mesure de garde à vue doit être décidée par un officier de police judiciaire, ce qui est le
cas de l’OPJ Hubert ainsi qu’il est précisé dans l’énoncé ;
– d’autre part, il doit exister des raisons plausibles de soupçonner qu’Émilie a commis ou tenté de
commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement. Les indices apparents qui ont été décrits
pour justifier l’état de flagrance peuvent être envisagés comme des raisons plausibles de soupçonner qu’elle
a pris part au transport et à la détention illicites de stupéfiants ;
– enfin, la garde à vue doit constituer « l’unique moyen » de parvenir à l’un au moins des objectifs suivants :
1° permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
2° garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse
apprécier la suite à donner à l’enquête ; 3° empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices
matériels ; 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur
famille ou leurs proches ; 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles
d’être ses coauteurs ou complices ; 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le
crime ou le délit. En l’espèce, la garde à vue est justifiée, notamment, par les investigations impliquant la
participation d’Émilie.
La décision de placer Émilie en garde à vue est ainsi parfaitement régulière.
Si la mesure est régulière dans son principe, il convient à présent d’en étudier le déroulement.

182
III - La notification des droits

Il convient de vérifier qu’Émilie a reçu notification de ses droits, et ce « immédiatement » ainsi que la loi en

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fait l’obligation (CPP, art. 63-1), étant précisé que, selon une jurisprudence constante, « tout retard dans la
mise en œuvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement
atteinte aux intérêts de la personne concernée » (Cass. crim., 31 mai 2007). Or, en l’espèce, force est de
constater que plusieurs minutes se sont écoulées entre le placement en garde à vue d’Émilie (à 16 heures)
et la notification de ses droits afférents (à 17 heures). La Cour de cassation considère toutefois qu’il est
possible de déroger au principe d’immédiateté pour des considérations tenant au délai de route, matérialisé
par le temps nécessaire pour conduire un individu du lieu de son arrestation au lieu de la garde à vue. Elle
a ainsi eu l’occasion de juger que n’est pas tardive, la notification, avec ses droits, du placement en garde à
vue, intervenue dès l’arrivée de la personne dans les services de police, dix minutes après son interpellation
(Cass. 1re civ., 27 mai 2010). La Haute juridiction a de même dit justifié un retard de 45 minutes dans la
notification des droits motivé par le délai de route entre le lieu d’une rétention douanière et le service de
police chargé de la garde à vue subséquente (Cass. crim., 26 nov. 2008) ou décidé que le délai d’1 heure 25
entre l’interpellation et la notification de droits ne constitue pas une cause de nullité dès lors que cette
dernière a eu lieu dès l’arrivée au service de police (Cass. 1re civ., 9 janv. 2008). Encore faut-il cependant
s’assurer de deux choses  : d’une part, que le temps qui s’est écoulé entre le placement en garde à vue
(matérialisé par le pouvoir de contrainte des forces de police) et la notification des droits soit strictement
nécessaire au transport, et, d’autre part, que le gardé à vue a été informé de ses droits « immédiatement »
à compter de son arrivée au poste de police. En l’espèce, il est constant que les policiers se sont transportés
sans délai au commissariat en suite de l’arrestation d’Émilie (rien dans l’énoncé ne permettant d’affirmer le
contraire) et que celle-ci a été informée de ses droits une fois « arrivée dans les locaux ». La procédure est
donc régulière de ce point de vue.

Cas pratique 4
IV - L ’information du procureur de la République

Il importe que le procureur de la République soit informé « dès le début de la garde à vue » (CPP,
art. 63, al. 2), la Cour de cassation considérant là encore que « tout retard dans la mise en œuvre de cette
obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de la
personne concernée » (Cass. crim., 29 févr. 2000). Or, au cas présent, l’information au procureur de la
République n’est intervenue qu’à 17 h 05, soit 1 heure et 5 minutes après le placement en garde à vue. Il
est possible de justifier ce délai au titre du délai de route.

V - L ’assistance d’un avocat

Concernant le droit à l’assistance d’un avocat, prévu par les articles  63-3-1 et s. du Code de procédure
pénale, il est indiqué que, à la suite de la demande formulée par Émilie, un policier a immédiatement
pris contact avec Me Schum, ainsi que la loi en fait l’obligation. Mais, celui-ci étant absent, le policier se
contentait de laisser un message sur son répondeur. Une telle démarche est-elle suffisante ? À l’évidence,
oui. Il incombe en effet seulement à l’officier de police judiciaire d’accomplir les diligences nécessaires pour
que l’intéressé puisse exercer son droit dans les délais prévus par la loi.
Ainsi que l’a énoncé la Cour de cassation à plusieurs reprises, si la nullité est encourue lorsque, en dépit
de la demande de la personne retenue, celle-ci n’a pu s’entretenir avec un avocat et qu’aucun élément de
la procédure ne justifie des diligences effectuées par l’officier de police judiciaire afin de lui permettre

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l’exercice de ce droit (Cass. crim., 10 mai 2001), la procédure est régulière dès lors qu’il ressort du procès-
verbal de garde à vue que l’avocat (ou le bâtonnier de l’Ordre) a été immédiatement informé de la demande
d’un gardé à vue de s’entretenir avec un avocat (Cass. crim., 17  mai 2000). Dans ces conditions, seul
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importe le point de savoir si, une fois que la personne gardée à vue a sollicité la présence de son avocat (ou
celle d’un avocat commis d’office), l’officier de police judiciaire a mis en œuvre les mesures nécessaires pour
contacter ce dernier (ou le bâtonnier). Or, au cas particulier, il est avéré que le policier a immédiatement
pris contact avec l’avocat désigné par Émilie. Celui-ci a donc effectué les diligences requises et satisfait à
ses obligations, quand bien même il n’a fait que laisser un message sur le répondeur de l’avocat, sans avoir
pu communiquer avec ce dernier (en ce sens, Cass. crim., 29 oct. 2008).
De même, la circonstance qu’Émilie n’ait pas vu le moindre avocat durant sa garde à vue est sans
effet sur la régularité de la procédure dès lors que la loi ne fait aucune obligation à l’officier de police
judiciaire de rendre effectif l’entretien avec cet avocat (Cass. crim., 13 févr. 1996). Aucune nullité ne
saurait en effet être prononcée lorsque l’impossibilité pour le gardé à vue de s’entretenir avec un
avocat est le résultat de circonstances insurmontables, extérieures aux forces de police, telles que la
décision prise collectivement par un barreau de suspendre toute participation des avocats au service
des commissions d’office (Cass. crim., 9  mai 1994) ou, comme le refus de l’avocat de se déplacer
(Cass. 1re civ., 26 oct. 2011). Aussi, le fait qu’Émilie n’ait pu s’entretenir avec son avocat durant sa garde à
vue est exclusivement imputable à ce dernier. Si celui-ci n’avait pas l’envie de se rendre au commissariat,
pour cause de grève, pour y assister Émilie, il lui appartenait d’en informer les policiers. Émilie aurait alors
pu solliciter du policier de contacter un autre avocat, désigné ou commis d’office, demande à laquelle le
policier aurait dû satisfaire.
Pour être complet, on indiquera enfin que, conformément à l’article 63-4-2 du Code de procédure pénale,
les policiers, avant d’entendre Émilie (à l’exception de l’interrogatoire d’identité), auraient impérativement
Cas pratique 4

dû attendre l’expiration d’un délai de 2 heures. En l’espèce, ce délai n’a pas été respecté dans la mesure
où l’interrogatoire a commencé à 18 heures 45 avant l’expiration de ce délai légal de carence, ce qui vicie
l’audition réalisée, étant rappelé que la violation d’un tel droit de la défense constitue une cause de nullité
assimilée à une nullité d’ordre public, donc dispensée de la preuve d’un grief pour celui qui l’invoque. Dès
lors, les procès-verbaux d’audition d’Émilie devront être retirés du dossier.

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Sujet

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CAS PRATIQUE : CAS DOMINIQUE
LE VOYOU (SUJET COMPLÉMENTAIRE 2)

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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SUJET
Le samedi 5 août 2019, Renée et Virginie se baladaient sur la commune d’Aix-en-Provence
lorsqu’elles ont été abordées par Dominique, individu défavorablement connu des services
de police, qui exhibant une matraque dans leur direction leur intimait de lui remettre leurs
téléphones portables. Seule Virginie s’est exécutée, Renée n’en possédant pas, étant réfractaire
à toute technologie. Dominique est parvenu à s’échapper tandis que Renée et Virginie se
rendaient immédiatement aux services de police pour y dénoncer les faits subis.
Manu, officier de police judiciaire, a recueilli, le jour même, la plainte de ces dernières et a
procédé à des réquisitions auprès d’une banque dont la caméra enregistrait des images sur le
lieu de commission des faits. Il a obtenu le jour même les images des faits qui ont confirmé les
déclarations des victimes.
Le mardi 8 août 2019, Manu, de retour de week-end, a informé les services de la Brigade
Anticriminalité de cette affaire et leur a demandé d’interpeller Dominique habitué à commettre
des mauvais coups dans le centre-ville d’Aix-en-Provence. Les services de police de la BAC sont

Cas pratique 5
parvenus à localiser ce dernier en train de regarder avec insistance le sac à main d’une dame
âgée installée sur une terrasse d’un restaurant. Les policiers l’ont interpellé, avant qu’il ait pu
commettre son méfait, l’ont menotté et l’ont remis à la disposition de Manu qui le plaçait en
garde à vue. Manu s’est rendu au logement de Dominique accompagné par ce dernier et y a
procédé à une perquisition qui s’est avérée fructueuse puisqu’ont été retrouvés le portable de
Virginie ainsi que la matraque utilisée lors de la commission des faits. Dominique, après avis
du placement en garde à vue de ce dernier auprès de son curateur, a reconnu les faits qui
lui étaient reprochés. Manu a contacté la permanence téléphonique d’Aix-en-Provence, en la
personne de Monsieur Robert, vice-procureur, qui a ordonné la destruction de la matraque et
a envoyé Dominique en comparution immédiate.

Vous répondrez aux questions suivantes.


1. Quelles sont les qualifications pouvant être retenues à l’encontre de Dominique ?
2. Que pensez-vous de l’orientation de cette affaire par Monsieur Robert ?
3. Quelles sont les irrégularités qui pourraient affecter la procédure ?

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1 - Quelles sont les qualifications pouvant être retenues à l’encontre de Dominique ?
DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE

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I - Les faits subis par Virginie
Aux termes de l’article 311-1 du Code pénal, le vol est défini comme la soustraction frauduleuse de la chose
d’autrui. Pour être caractérisé, le vol suppose la réunion de conditions préalables et d’éléments constitutifs.
S’agissant des conditions préalables, le vol doit porter sur une chose appartenant à autrui  : l’infraction
portant sur le téléphone de Virginie, cette condition est bien remplie.
L ’élément moral du vol nécessite l’intention frauduleuse de son auteur, c’est-à-dire la volonté de se
comporter même momentanément comme le propriétaire de la chose. Il résulte des circonstances factuelles
du cas pratique que Dominique a eu cette intention.
Ensuite, l’élément matériel du vol réside dans la soustraction de la chose d’autrui, action nécessairement
positive qui se traduit par le fait d’appréhender une chose appartenant à autrui contre son gré. La
jurisprudence a consacré de longue date que cette matérialité devait impliquer une action positive de
« prendre, enlever, ravir » (Cass. crim., 18 nov. 1837). Or, au regard des faits, cet élément fait défaut car
il est indiqué que Virginie remet le téléphone à Dominique, ce qui exclut cet acte positif d’appréhension
exigé par le texte d’incrimination. Il convient ainsi d’écarter la qualification de vol pour privilégier celle
d’extorsion.
En effet, l’article 312-1 du Code pénal dispose que « l’extorsion est le fait d’obtenir par violence, menace
de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un
secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque ».
Sur le plan matériel, l’infraction d’extorsion nécessite un acte de violence, de menace de violence ou une
Cas pratique 5

contrainte qui a déterminé la victime à s’exécuter. En l’espèce, cet élément est caractérisé sans difficulté
puisque Dominique a exhibé une matraque, action qui a conduit la victime à remettre son téléphone
portable.
L ’élément moral de l’extorsion consiste dans la conscience de se faire remettre un bien par violence ou
menace de violences et se déduit des éléments factuels de l’énoncé.
L ’extorsion est donc caractérisée s’agissant des faits commis par Dominique à l’encontre de Virginie.
Néanmoins, pour déterminer la peine encourue, il convient d’envisager la circonstance aggravante de
commission de l’extorsion sous la menace d’une arme. En effet, l’article 312-5 du Code pénal prévoit
l’usage d’une arme ou la menace d’une arme comme une circonstance aggravante des faits d’extorsion.
La matraque exhibée peut-elle être légalement qualifiée d’arme ? L ’article 132-75 du Code pénal définit
comme une arme « tout objet conçu pour blesser ou tuer », ce qui correspond sans difficulté à l’objectif
poursuivi par la matraque, tandis que l'article R. 311-2 du Code de la sécurité intérieure classe la matraque
au sein des armes de catégorie D.
Par conséquent, pour des faits d’extorsion commis sous la menace d’une arme, Dominique encourt une
peine de 30 ans de réclusion criminelle et de 150 000 euros d’amende.

II - Les faits subis par Renée


Renée n’ayant pas satisfait à l’ordre de Dominique de remettre son portable, il convient d’envisager la
tentative d’extorsion, la tentative de crime étant toujours punissable (C. pén., art. 121-4).

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L ’article 121-5 du Code pénal considère la tentative punissable dès lors que les faits laissent apparaître
un commencement d’exécution et une absence de désistement volontaire. Le commencement d’exécution
ressort sans difficulté de l’ordre exprimé par Dominique de se voir remettre le portable de Renée, tandis que

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le désistement est bien involontaire, ne trouvant sa source que dans le fait que la victime ne possède pas
de portable, ce qui renvoie à l'hypothèse d'une infraction impossible, répréhensible sur le fondement de la
tentative (Cass. crim., 16 janv. 1986, Perdereau).
La tentative est donc punissable et fait encourir à Dominique la peine réprimant l’extorsion aggravée
consommée, l’article 121-4 du Code pénal assimilant l’infraction consommée et l’infraction tentée.
Au regard de ces deux infractions pouvant être reprochées à Dominique, il convient d’envisager l’hypothèse
d’un concours réel d’infractions, entendu comme la concurrence de plusieurs infractions sans qu’un
jugement définitif ne soit intervenu entre elles. L ’article 132-3 du Code pénal prévoit en telle hypothèse un
cumul plafonné des peines encourues, la juridiction de jugement ne pouvant prononcer qu’une seule peine
de même nature dans la limite du maximum légal le plus élevé : pour l’extorsion et la tentative d’extorsion,
Dominique encourt ainsi une peine de 30 ans de réclusion criminelle et de 150 000 euros d’amende.

2 - Que pensez-vous de l’orientation de cette affaire par Robert ?

I - Une orientation erronée sur la base d’une qualification


criminelle

Cas pratique 5
Le choix procédural décidé par le parquet semble, à première vue, erroné. En effet, aux termes de l’article
79 du Code de procédure pénale, l’instruction préparatoire est obligatoire en matière de crime. Ainsi,
le vice-procureur aurait dû rédiger un réquisitoire introductif visant les faits d’extorsion avec arme et
saisissant ainsi un juge d’instruction.

II - Une orientation justifiée par la pratique


de la correctionnalisation
Toutefois, lorsque les faits paraissent établis par les preuves recueillies durant l’enquête de police, que
le préjudice matériel et physique subi par la victime est moindre et que l’ouverture d’une information
judiciaire n’apporterait guère de nouveaux éléments, la pratique judiciaire consiste à procéder à une
correctionnalisation des faits criminels.
En effet, en omettant de mentionner la commission sous la menace d’une arme, les faits reprennent une
qualification correctionnelle, pouvant dès lors suivre l’orientation procédurale de la comparution immédiate.
En l’espèce, cette correctionnalisation peut apparaître en effet opportune s’agissant de faits non complexes
qui ont été filmés et ont été reconnus et pour lesquels il ne reste plus guère d’investigations à réaliser. Ainsi,
Monsieur Robert pouvait ne viser que les faits d’extorsion en omettant l’usage ou la menace d’une arme,
rendant les faits reprochés punissables de 7 ans d’emprisonnement (C. pén., art. 312-1) et pouvant donc
donner lieu à une poursuite sous la forme d’une comparution immédiate, ainsi que le prévoit l’article 395 du
Code de procédure pénale.

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III - Une correctionnalisation à laquelle le tribunal
correctionnel peut s’opposer
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Cependant, le tribunal correctionnel pourrait s’opposer à cette correctionnalisation sur le fondement de
divers textes. L ’article 469 du Code de procédure pénale dispose en effet que « si le fait déféré au tribunal
correctionnel sous la qualification de délit est de nature à entraîner une peine criminelle, le tribunal renvoie
le ministère public à se pourvoir ainsi qu’il avisera ». En l’espèce, le dossier de Dominique entre dans le champ
d’application des dispositions susvisées, dès lors qu’il porte sur un fait qualifié d’extorsion (délit) qui en
réalité est de nature à entraîner une peine criminelle (extorsion avec arme punissable d’une peine de 30 ans
de réclusion criminelle).
Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 27 mai 2003 a pu considérer
que « le tribunal peut, s’il estime que la complexité de l’affaire nécessite des investigations supplémentaires
approfondies, renvoyer le dossier au procureur de la République ».
Par conséquent, le tribunal correctionnel pourrait renvoyer le parquet d’Aix-en-Provence à mieux se
pourvoir, à charge pour ce dernier de saisir un juge d’instruction au travers de la rédaction d’un réquisitoire
introductif. Précisons qu’au regard de la simplicité des faits de l’espèce, cela ne semble ni opportun, ni
probable.

3 - Quelles sont les irrégularités qui pourraient affecter la procédure ?


Cas pratique 5

Cette procédure, qui paraît simple, l’est beaucoup moins au regard des nombreuses irrégularités l’affectant
quant au cadre d’enquête applicable, s’agissant d’une procédure menée contre un majeur protégé et ayant
donné lieu à la décision du vice-procureur Robert d’ordonner la destruction de la matraque saisie.

I - Irrégularités tenant au cadre d’enquête applicable

Au départ de cette enquête, les faits commis par Dominique paraissaient relever de la flagrance. Selon
l’article 53 alinéa 1 du Code de procédure pénale « est qualifié de crime ou délit flagrant le crime ou délit
qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque,
dans un temps très voisin de l’action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou
est trouvée en possession d’objets, ou présente des traces ou indices laissant penser qu’elle a participé au
crime ou au délit ».
L ’enquête de flagrance répond donc à trois exigences : un critère de gravité suffisante des faits poursuivis,
un critère temporel et un critère d’apparence :
– s’agissant du critère de gravité, l’enquête de flagrance ne peut être initiée qu’en matière de crimes ou
de délits, ce qui ne pose pas de difficulté en l’espèce au regard de la qualification correctionnelle voire
criminelle de l’extorsion ;
– s’agissant du critère temporel, la commission de l’infraction doit avoir eu lieu dans un temps très voisin
de l’intervention des policiers, la jurisprudence ayant toléré jusqu’à une durée maximale de 28  heures
depuis la commission des faits (Cass. crim., 8 avril 1998). En l’espèce, les investigations débutent dès le
dépôt de plainte des victimes dans la foulée immédiate des faits, remplissant ce critère ;

188
– s’agissant du critère d’apparence, la jurisprudence exige que les policiers aient pu constater « un indice
apparent d’un comportement délictueux » (Cass. crim., 22 janv. 1953, Isnard). Une telle apparence peut
ressortir de manière alternative d’éléments divers, qu’il s’agisse des constatations matérielles faites par les

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policiers et leur révélant l’infraction ou encore de la plainte des victimes comme en l’espèce.
Cependant, aux termes de l’article 53 alinéa 2 du Code de procédure pénale, « à la suite de la constatation
d’un crime ou d’un délit flagrant, l’enquête menée sous le contrôle du procureur de la République dans les
conditions prévues par le présent chapitre peut se poursuivre sans discontinuer pendant une durée de huit
jours ». En l’espèce, la continuité des investigations (à savoir la réalisation d’au moins un acte d’enquête par
jour) a été rompue lors du week-end, Manu ne reprenant son enquête que le lundi.
Aussi, le lundi, l’enquête avait basculé dans le cadre préliminaire, alors même que Manu a continué d’utiliser
des prérogatives réservées à la flagrance :
– s’agissant de l'interprétation, l’officier de police judiciaire ne pouvait pas contraindre Dominique
à comparaître sans l’autorisation préalable du procureur de la République (CPP, art. 78), qu’il n’avait
visiblement pas sollicité. En outre, il serait inexact de penser que son interprétation faisait suite à la
caractérisation d’une nouvelle flagrance  : en effet, en l’absence de tout commencement d’exécution,
regarder avec insistance un sac à main ne suffit aucunement à remplir le critère d’apparence précité ;
– s’agissant de la perquisition en enquête préliminaire, les dispositions de l’article 76 du Code de procédure
pénale n’ont pas été respectées. La perquisition réalisée et la saisie consécutive nécessitaient l’autorisation
de celui chez qui elle se déroulait ou à défaut une autorisation du juge des libertés et de la détention en
cas d’infraction punissable d’au moins 5 ans d’emprisonnement. En l’espèce, la lecture du sujet permet de
considérer qu’aucun de ces éléments n’avait été recueilli lors de la réalisation de cette perquisition.
Ainsi, conformément à la position consacrée de la Cour de cassation en matière d’actes de procédure viciés,

Cas pratique 5
doivent être annulés les actes affectés par la nullité et ceux dont ils sont le support nécessaire. En l’espèce,
il convient donc d’annuler la garde à vue de Dominique, ses auditions, la perquisition réalisée et la saisie
des objets à son domicile. En revanche, la saisine du tribunal correctionnel, y compris par un procès-verbal
de comparution immédiate, reste valable dès lors qu’elle repose sur d’autres éléments que les actes annulés
(Cass. crim., 26 mars 2008), l’audition des victimes et la vidéosurveillance saisie ayant suffi à emporter la
conviction du magistrat. Par conséquent, le tribunal correctionnel reste valablement saisi.

II - Irrégularité liée au statut de majeur protégé


de Dominique
Le mis en cause étant un majeur protégé, il convient de rappeler les dispositions spécifiques concernant,
d'une part, la garde à vue et, d'autre part, la décision de poursuite.
S'agissant de la garde à vue, il y a lieu de rappeler que la loi du 14 avril 2011 a prévu que la personne gardée
à vue pouvait faire prévenir son curateur ou son tuteur. À ce propos, toutefois, le Conseil constitutionnel
a estimé que la simple possibilité d'informer le « curateur ou le tuteur » n'était pas suffisante à garantir
l'effectivité des droits de la défense, puisque le gardé à vue, qui souffre d'un déficit psychologique ou
psychiatrique, peut ne pas avoir la lucidité suffisante pour demander la satisfaction de ce droit, dont l'exercice
peut être indispensable à la satisfaction des autres, en particulier celui de bénéficier de l'intervention d'un
avocat (Cons. const., 14 sept. 2018, n° 2018-730 QPC). C'est la raison pour laquelle la loi du 23 mars
2019 de programmation et de réforme pour la justice a inséré dans le Code de procédure pénale un article
706-112-1 aux termes duquel, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d'une personne
font apparaître que celle-ci fait l'objet d'une mesure de protection juridique, l'officier ou l'agent de police
judiciaire en avise le curateur. Il est précisé que si la personne n'est pas assistée d'un avocat ou n'a pas fait

189
l'objet d'un examen médical, le curateur peut désigner un avocat ou demander qu'un avocat soit désigné
par le bâtonnier, il peut également demander que la personne soit examinée par un médecin. Sauf en
cas de circonstance insurmontable, qui doit être mentionnée au procès-verbal, les diligences incombant
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aux enquêteurs en application de ces nouvelles dispositions doivent intervenir au plus tard dans un délai
de six heures à compter du moment où est apparue l'existence d'une mesure de protection juridique. Le
procureur de la République peut toutefois, à la demande de l'officier de police judiciaire, décider que l'avis
prévu au présent article sera différé ou ne sera pas délivré si cette décision est, au regard des circonstances,
indispensable afin de permettre le recueil ou la conservation des preuves ou de prévenir une atteinte grave
à la vie, à la liberté ou à l'intégrité physique d'une personne. Tel est notamment le cas si le curateur est
soupçonné d'être complice ou co-auteur des faits reprochés à la personne protégée.
S'agissant de la décision de poursuite, il convient d'insister sur trois points. Tout d'abord, l'article 706-113
du Code de procédure pénale, tel que modifié par la loi du 23 mars 2019, prévoit que le procureur de la
République doit aviser le curateur ainsi que le juge des tutelles de sa décision de poursuivre. Le curateur
peut prendre connaissance des pièces de la procédure dans les mêmes conditions que celles prévues pour
la personne poursuivie. Par ailleurs, le curateur est avisé de la date d'audience. Lorsqu'il est présent à
l'audience, il est entendu par la juridiction en qualité de témoin.
Ensuite, l’article 706-115 du Code de procédure pénale prévoit que la personne poursuivie doit être soumise,
avant tout jugement au fond et au besoin dès le stade de l’enquête par le procureur de la République, à une
expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits et en particulier déterminer
s’il était atteint ou non d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement ou
ayant aboli ou entravé le contrôle de ses actes, afin de permettre à la juridiction d’appliquer les dispositions
de l’article 122-1 du Code pénal.
Toutefois, l’oubli de la satisfaction de cette exigence légale ne met pas nécessairement en péril la procédure
Cas pratique 5

car la juridiction pourra régulariser la situation en renvoyant ce dossier à une date ultérieure et en ordonnant
l'expertise. Enfin, l’article 706-116 du Code de procédure pénale prévoit que la personne poursuivie doit
être assistée par un avocat et qu’à défaut de choix d'un avocat par la personne poursuivie ou son curateur
ou son tuteur, le procureur de la République fait désigner par le bâtonnier un avocat, l'intéressé étant
informé que les frais seront à sa charge sauf s'il remplit les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle.

III - Irrégularité liée à la destruction de la matraque

L ’ancien article 41-4 du Code de procédure pénale consacrait le pouvoir du procureur de la République de


destruction de biens saisis au cours de l’enquête.
À l’occasion d’une décision QPC du 11 avril 2014, le Conseil constitutionnel a toutefois abrogé ce texte,
considérant « qu’en permettant la destruction de biens saisis sur décision du procureur de la République
sans que leur propriétaire ou les tiers ayant des droits sur ces biens et les personnes mises en cause dans la
procédure en aient été préalablement avisés et qu’ils aient été à même de contester cette décision devant
une juridiction afin de demander, le cas échéant, la restitution des biens saisis, les dispositions du quatrième
alinéa de l’article 41-4 du Code de procédure pénale ne sont assorties d’aucune garantie légale et que dès
lors elles méconnaissent les exigences découlant de l’article 16 de la déclaration de 1789 » (Cons. const.,
11 avril 2014, n° 2014-390 QPC).
En ce sens, la loi du 3  juin 2016 est venue préciser les conditions légales de la destruction d’objets
saisis : ainsi, le nouvel article 41-4 du Code de procédure pénale reconnaît le pouvoir du procureur de la
République ou du procureur général de décider, d’office ou sur requête, de la restitution des objets placés
sous-main de justice. Néanmoins, l’alinéa 2 de ce texte prévoit qu’il n’y a pas lieu à restitution lorsque le

190
bien est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ou lorsque le bien saisi est l’instrument
de l’infraction, étant précisé que cette décision de destruction peut être contestée par l’intéressé devant la
chambre de l’instruction dans un délai d’un mois suivant sa notification.

DROIT PÉNAL ET PROCÉDURE PÉNALE


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Dès lors, pour autant que Dominique se soit vu régulièrement notifier la décision de destruction de la
matraque par le procureur de la République, celle-ci sera valide.

Cas pratique 5

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DROIT
PUBLIC

DROIT PUBLIC
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Sujet

1
QRC : ORGANISATION DE L’ÉTAT ET
DE LA JUSTICE, LIBERTÉS PUBLIQUES

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ET DROIT PUBLIC
(ANNALES CONCOURS ENM 2019)

DROIT PUBLIC
SUJET
Question 1 : Le droit souple (7 points)
Question 2 : 
La liberté de manifestation sur la voie publique en droit interne
(hors sanctions pénales) (7 points)
Question 3 : L’indépendance du Parlement (6 points)

Question 1 : Le droit souple

QRC 1
L’étude annuelle de 2013 du Conseil d’État consacrée au droit souple a permis de mettre en lumière la
nécessité de mieux appréhender ces instruments, qui traduisent une mutation des pratiques administratives.
Le rapport propose une définition du droit souple au travers de plusieurs critères. Il s’agit d’un droit qui
n’emporte pas d’obligation par lui-même, il a pour objet de modifier ou d’orienter des comportements
de destinataires en suscitant, autant que possible, leur adhésion. Il ne crée pas par lui-même de droit et
d’obligation. Enfin son degré de formalisation, tant par le contenu que par le processus de son élaboration
rappelle les règles de droit.
Le recours au droit souple n’est pas exempt de critiques, deux principales lui sont adressées. D’une part, son
recours contribuerait à la dégradation du droit. En effet, aussi bien le Conseil d’État dans ses études (1991
et 2006) que la jurisprudence du Conseil constitutionnel déplore pour l’un et censure pour l’autre l’énoncé
de textes dépourvus de portée normative. D’autre part, le droit souple marquerait un contournement des
institutions démocratiques.
En dépit de ces critiques, le recours au droit souple permet d’éviter un excès de précision dans les lois
ou les décrets. Son usage, bien encadré, permet de faciliter l’harmonisation de comportements et semble
particulièrement bien adapté à certaines missions de l’administration, comme la régulation. Bien que ce
type d’instrument existe depuis longtemps (les plans par exemple) le recours au droit souple est de plus en
plus fréquent. Sans pour autant être exhaustif, on peut considérer comme relevant de cette catégorie les
circulaires, les lignes directrices (anciennes directives) et les recommandations, principalement des AAI. Il
est également nécessaire de relever que le recours au droit souple n’est pas une exclusivité du droit français,
on en trouve également dans les relations internationales ainsi que dans le droit de l’UE.
Face à ces nouvelles pratiques administratives, le juge a dû adapter sa jurisprudence, faisant ainsi preuve
de pragmatisme et de modernité. Ainsi, il accepte d’adapter les règles de recevabilité des recours dirigés
contre ces actes.

195
C’est dans un premier temps les circulaires qui vont faire l’objet d’une jurisprudence subtile, distinguant
tout d’abord les réglementaires des non réglementaires (CE, 1954, Notre Dame du Kreisker), avant
d’abandonner cette distinction au profit d’un critère d’impérativité. Ainsi, les dispositions générales et

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impératives des circulaires peuvent faire l’objet d’un recours (CE, 2002, Duvignères). Le cas des directives,
que l’on peut qualifier d’instrument d’harmonisation des pratiques administratives ayant pour but de guider
l’administration dans l’usage d’un pouvoir discrétionnaire, est un peu différent. Comme l’avait initialement
consacré le Conseil d’État, la directive, sauf situation particulière, ne peut faire l’objet d’une contestation
DROIT PUBLIC

contentieuse. La jurisprudence administrative a néanmoins consacré par la suite que : « ces délibérations
se bornent à définir des orientations et ne font pas obstacle à ce que, en fonction de la situation particulière de
chaque demandeur, les autorités du fonds s'écartent des directives qui leur sont ainsi adressées ; que, dès lors,
ces délibérations, dont les termes, ainsi qu'il a été dit ci-dessus sont dénués de caractère impératif, ne sont pas
susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir » (CE, 2004, Comité Jussieu anti-amiante), a
contrario on comprend bien que le caractère impératif des dispositions d’une directive puisse faire l’objet
d’un recours. L’étude de 2013, tout en rappelant l’intérêt de cet instrument avait néanmoins préconisé un
renouvellement sémantique des directives au profit des « lignes directrices », préconisation justifiée par
le risque de confusion lié aux directives de l’UE. C’est désormais le terme consacré (CE, 2014, MOJC).
La jurisprudence en encadre depuis l’usage : « Considérant, en deuxième lieu, que les lignes directrices par
lesquelles les autorités de régulation définissent, le cas échéant, les conditions dans lesquelles elles entendent
mettre en œuvre les prérogatives dont elles sont investies, peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de
pouvoir, introduit par un requérant justifiant d'un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu'elles sont
de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d'influer de
manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elles s'adressent ; que, dans ce dernier cas,
il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité de ces actes
en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose
l'autorité de régulation » (CE, 2017, Bouygues Telecom). Un tel raisonnement est bien entendu transposable
QRC 1

aux recommandations (de bonne pratique médicale par exemple) notamment celle des autorités de
régulation. Ainsi, selon la jurisprudence récente du Conseil d’État (CE, 2016, Fairvesta et Numéricâble) :
« Considérant que les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de
régulation dans l'exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir
lorsqu'ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu'ils énoncent des prescriptions
individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ; que ces actes peuvent
également faire l'objet d'un tel recours, introduit par un requérant justifiant d'un intérêt direct et certain à leur
annulation, lorsqu'ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont
pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent ».
Le Conseil d’État a ainsi su faire évoluer sa jurisprudence en prenant en compte ces nouveaux procédés
d’administration et en développant des critères de recevabilité adaptés à cette évolution du droit.

Question 2 : La liberté de manifestation sur la voie publique en droit interne (hors


sanctions pénales)

Si les libertés de réunion et de manifestations ne figurent pas expressément dans la Déclaration des droits
de l’Homme de 1789, elles peuvent toutefois se déduire de son article 11 aux termes duquel « La libre
communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut
donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par
la Loi ». C’est d’ailleurs cette démarche qui a été retenue par le Conseil constitutionnel qui a consacré « le
droit d’expression collective des idées et des expressions » (Cons. const., 18 janv. 1995, loi d’orientation et de
programmation relative à la sécurité). Le critère de la distinction entre réunion et manifestation a été précisé
par le commissaire au gouvernement dans ses conclusions rendues sur l’arrêt Benjamin (CE, 19 mai 1933) :

196
« La réunion constitue un regroupement momentané de personnes formé en vue d’entendre l’exposé d’idées ou
d’opinions en vue de se concerter pour la défense d’intérêt ». À l’inverse, il y a manifestation lorsque la finalité
du rassemblement sur la voie publique est l’expression d’opinions, d’idées ou de revendications du fait

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même de ce rassemblement, la prise de parole des participants n’ayant alors qu’un caractère accessoire. La
manifestation doit également être distinguée de l’attroupement, lequel est défini de façon assez imprécise
comme un rassemblement sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public
(C. pén., art. 431-3). L’attroupement se caractérise par son caractère spontané et non organisé, ainsi que

DROIT PUBLIC
par les menaces de troubles à l’ordre public qu’il emporte. Après deux sommations, adressées par le préfet,
le sous-préfet, le maire ou un officier de police judiciaire, l’attroupement pourra être dispersé par la force.
Les manifestations relèvent d’un décret-loi du 23 octobre 1935 qui soumet à un régime de déclaration
préalable « tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations
sur la voie publique ». Cette réglementation ne concerne pas les manifestations conformes aux usages locaux
(processions religieuses, carnaval…). La déclaration préalable doit s’effectuer en mairie au moins trois
jours francs avant la date prévue et doit indiquer les noms, prénoms et domiciles des organisateurs, le but
de la manifestation, son lieu, sa date et l’heure du rassemblement. L’article 3 du décret prévoit que cette
déclaration peut déboucher sur une interdiction « si l’autorité investie du pouvoir de police estime que la
manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public ». Le non-respect de cette interdiction expose les
organisateurs à une amende de 7 500 euros et six mois d’emprisonnement.
S’agissant de l’interdiction des manifestations, le principe de liberté semble commander un contrôle
juridictionnel aussi rigoureux que celui auquel se livre le juge administratif s’agissant des mesures
restrictives de la liberté de réunion conformément à l’arrêt Benjamin (CE, 19 mai 1933). Pourtant, le
Conseil d'État s’est contenté, dans un premier temps, de contrôler la réalité de la menace de troubles à
l’ordre public, renonçant au contrôle de proportionnalité de la mesure adoptée (CE, 19 févr. 1954, Union
des syndicats ouvriers de la région parisienne). Un arrêt du 12 novembre 1997 marque une évolution de

QRC 1
cette jurisprudence dans un sens plus protecteur (CE, 12 nov. 1997, Ministre de l’Intérieur c/ association
communauté tibétaine en France et ses amis). Pour le Conseil d'État, « s'il appartenait au préfet de police de
prendre toutes mesures appropriées, notamment aux abords de l'ambassade de Chine, pour prévenir les risques
de désordres susceptibles d'être occasionnés par les manifestations envisagées par l'association " La communauté
tibétaine en France et ses amis" », il ne pouvait prendre un arrêté d'interdiction générale qui excédait les mesures
qui auraient été justifiées par les nécessités du maintien de l'ordre public à l'occasion de la visite en France
du président de la République populaire de Chine ». En outre, le Conseil d'État retient, dans cet arrêt, une
conception restrictive de l’ordre public en précisant que « le motif tiré de ce qu'une manifestation pouvait
porter atteinte aux relations internationales de la République, qui ne fait pas référence à des risques de troubles
à l'ordre public, n'est pas, en lui-même, de nature à justifier l'interdiction de cette manifestation ».
L’un des principaux enjeux est alors d’assurer le déroulement paisible des manifestations. Afin d’éviter
des débordements, le préfet peut, depuis l’adoption de la loi du 21 janvier 1995 et sous réserve que les
circonstances fassent craindre « des troubles graves à l’ordre public », interdire pendant les 24 heures qui
précèdent une manifestation et jusqu’à sa dispersion, le port et le transport, sans motif légitime d’objets
pouvant constituer une arme. Dans le contexte des violences survenues à l’occasion des rassemblements des
« gilets jaunes », a été adoptée la loi du 10 avril 2019 visant à prévenir les violences lors des manifestations
et à sanctionner leurs auteurs. En vertu de ce texte, sur réquisition du procureur, des officiers de police
judiciaire pourront procéder à des fouilles de bagages et véhicules à proximité d’une manifestation, et ce,
dans le but de chercher des armes ou des armes par destination. En revanche, le Conseil constitutionnel a
censuré les dispositions de l’article 3 de la loi qui permettaient à l'autorité administrative d'interdire à titre
préventif, « par arrêté motivé », à une personne de participer à une manifestation sur la voie publique dans sa
décision du 4 avril 2019. Cette interdiction particulière pouvait être prononcée à l'encontre d'une personne
constituant « une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public » par « ses agissements » à l'occasion

197
de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l'intégrité physique des
personnes et à des dommages importants aux biens ou par la commission d'un « acte violent » à l'occasion de
l'une de ces manifestations. De même, le préfet pouvait interdire à cette même personne de « prendre part

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à toute manifestation sur l'ensemble du territoire national pour une durée d'un mois maximum », s'il existait
« des raisons sérieuses de penser » qu'elle pourrait participer à toute autre manifestation que celle qui lui
avait été interdite d'accès. La répression prévue en cas de non-respect de cette interdiction était de 6 mois
d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. Sans remettre en cause le principe d’une interdiction
DROIT PUBLIC

administrative de manifester, le Conseil constitutionnel a jugé que cette faculté n’était pas suffisamment
encadrée par le législateur qui n’a donc pas assuré une conciliation équilibrée entre la protection de l’ordre
public et la liberté d’expression collective des idées et des opinions.

Question 3 : L’indépendance du Parlement

Aux termes de l’article 24 de la Constitution, le Parlement vote la loi, contrôle l’action du Gouvernement et
évalue les politiques publiques. Ces missions ne sauraient être exercées de façon efficace si le Parlement ne
disposait pas de solides garanties d’indépendance, tant à l’égard de l’Exécutif que de l’autorité judiciaire.
D’un point de vue organique, l’indépendance du Parlement est assurée par son pouvoir d’auto-organisation.
Ainsi, les Assemblées adoptent leurs propres règlements intérieurs afin d’organiser leur fonctionnement.
Elles disposent d’organes de travail propres, exclusivement composés de parlementaires, tels que le bureau
ou la conférence des présidents. Elles peuvent également créer des commissions permanentes, dans les
limites fixées par la Constitution, à savoir huit au maximum depuis 2008 ; des délégations parlementaires
ou encore des commissions d’enquêtes, dotées de pouvoir étendus. L’indépendance ne signifie pas pour
autant la souveraineté. Ainsi, les règlements des Assemblées sont automatiquement déférés au Conseil
constitutionnel. Par ailleurs, les commissions d’enquête ne peuvent être créées lorsque des poursuites
judiciaires sont en cours. Cette restriction demeure toutefois relative, puisqu’il est admis qu’elles peuvent
QRC 1

connaître de faits afférents à une procédure judiciaire, pourvu que leur champ d’investigation en diffère,
comme l’a illustrée récemment la création des commissions d’enquête sur l’affaire dite Benalla.
L’indépendance du Parlement passe aussi, naturellement, par celle des parlementaires. Le statut de ces
derniers leur offre, en la matière, de solides garanties. Disposant d’un mandat représentatif, l’article 27
de la Constitution prévoyant la nullité de tout mandat impératif, ils disposent également d’un principe
d’irresponsabilité pour les actes rattachables à leurs fonctions (Const., art. 26). Pour le reste, ils ne peuvent
faire l’objet de mesures privatives ou restrictives de liberté (garde à vue, contrôle judiciaire) que si le
Bureau l’a autorisé, exception faite des cas de flagrant délit et les poursuites dont ils font l’objet peuvent
être suspendues à la demande de la majorité des membres de la chambre à laquelle ils appartiennent.
Reste que l’indépendance du Parlement voit sa portée limitée par l’affirmation de la discipline partisane
et du fait majoritaire. Ce dernier assure un soutien quasi inconditionnel de la majorité des députés à la
politique du Gouvernement. Il n’a toutefois pas la même portée à l’égard du Sénat, soit que celui-ci soit
d’une couleur politique différente soit, plus généralement, parce que les sénateurs disposent d’une plus
grande liberté à l’égard du parti, de par leur mode d’élection et la durée de leur mandat. L’affaire Benalla a
d’ailleurs illustré l’indépendance du Sénat et la relative docilité de l’Assemblée nationale.

198
Sujet

2
QRC : ORGANISATION DE L’ÉTAT
ET DE LA JUSTICE, LIBERTÉS PUBLIQUES

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ET DROIT PUBLIC
(ANNALES CONCOURS ENM 2017)

DROIT PUBLIC
SUJET
Question 1 : La protection des libertés publiques à l’épreuve de l’état d’urgence (7 points)
Question 2 : Modalités, opportunités et limites de l’expérimentation législative prévue par la
Constitution (7 points)
Question 3 : La mise en cause de la responsabilité du gouvernement devant le Parlement
(6 points)

QRC 2
Question 1 : La protection des libertés publiques à l’épreuve de l’état d’urgence
(7 points)

Suite aux attentats du 13  novembre 2015, l’état d’urgence a été déclaré par un décret en Conseil des
ministres du 14 novembre 2015. Il a été prorogé par le Parlement à plusieurs reprises et est toujours en
vigueur. Prévu par la loi du 3 avril 1955, modifiée par les lois du 20 novembre 2015 et 21 juillet 2016,
le régime de l’état d’urgence permet à l’administration d’apporter aux libertés publiques des restrictions
accrues, aux fins de prévention des atteintes à l’ordre public. Diverses mesures peuvent ainsi être prises par
le ministre de l’Intérieur ou le Préfet parmi lesquelles les perquisitions administratives, les assignations à
résidence, la dissolution d’associations ou encore la fermeture de lieux de cultes. Toutefois, l’état d’urgence
ne saurait conduire à renoncer, même temporairement, à l’État de droit et il convient d’assurer, pendant
qu’il est mis en œuvre, une protection effective des libertés publiques. Celle-ci est assurée par le Conseil
constitutionnel et par le juge administratif.

I - Le contrôle de constitutionnalité des dispositions législatives


relatives à l’état d’urgence
Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de la plupart des
dispositions relatives à l’état d’urgence, soit dans le cadre du contrôle a priori, à l’occasion des modifications
successives décidées par le législateur depuis 2015, soit dans le cadre de la procédure de la question

199
prioritaire de constitutionnalité (ci-après QPC). S’il a jugé conforme à la Constitution la plupart des mesures
contestées devant lui, il a toutefois censuré les dispositions qui permettaient à l’autorité administrative de
copier toutes les données informatiques auxquelles il était possible d’accéder au cours d’une perquisition

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administrative. Après avoir relevé que cette mesure était assimilable à une saisie, il a considéré que le
législateur n’avait pas prévu de garanties légales propres à assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif
de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée. En effet,
la loi n’encadrait ni les conditions dans lesquelles ces données pouvaient être copiées, ni les conditions de
DROIT PUBLIC

leur utilisation (Cons. const., QPC 19 févr. 2016, « Ligue des droits de l’Homme »). La loi du 21 juillet 2016
a réintroduit la faculté de copier des données informatiques mais l’a assortie de garanties. Ce nouveau
cadre a été validé par le Conseil constitutionnel (n° 2016-600 QPC, 2 déc. 2016, M. Raïme A). Dans une
décision QPC du 16 mars 2017, le Conseil a par ailleurs censuré les dispositions de la loi du 19 décembre
2016 qui prévoyaient l’autorisation préalable du Conseil d’État pour prolonger une mesure d’assignation à
résidence au-delà de douze mois. Pour le juge constitutionnel, ces dispositions méconnaissaient le principe
d’impartialité et le droit à exercer un recours juridictionnel effectif en ce qu’elles attribuaient au Conseil
d’État la compétence d’autoriser, par une décision définitive et se prononçant sur le fond, une mesure
d’assignation à résidence sur la légalité de laquelle il était susceptible de devoir se prononcer ultérieurement
comme juge de dernier ressort.

II - Le contrôle de légalité des mesures administratives


prises dans le cadre de l’état d’urgence
La mise en œuvre de l’état d’urgence conduit à transférer de l’autorité judiciaire vers le juge administratif
la fonction de protection juridictionnelle des libertés publiques. Ce transfert a été admis par le Conseil
QRC 2

constitutionnel dès lors que les mesures susceptibles d’être adoptées par l’administration, bien que
particulièrement restrictives de liberté, ne sont pas attentatoires à « la liberté individuelle » dont l’autorité
judiciaire est gardienne au sens de l’article 66 de la Constitution et qu’il ne revêt qu’un caractère temporaire
lié à l’état d’urgence. Cette protection assurée par le juge administratif n’en demeure pas moins effective
et efficace.
D’une part, loin d’être nouvelle, cette fonction est assurée de longue date par le juge administratif qui
a intégré dans le bloc de légalité administrative les grandes libertés publiques et qui, en application du
principe selon lequel « la liberté est la règle et la restriction de police l’exception », a consacré de façon
assez ancienne le contrôle de proportionnalité des mesures de police administrative (CE, 19  mai 1933,
Benjamin). Par ailleurs, bien qu’il soit issu historiquement de l’administration, le juge administratif dispose
de solides garanties d’indépendance, jugées conformes aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention
EDH (Cour EDH, 9 nov. 2006, Sacilor-Lormines).
D’autre part, les procédures juridictionnelles disponibles devant le juge administratif sont de nature à
prévenir et à sanctionner les atteintes arbitraires ou excessives aux libertés publiques prises dans le cadre
de l’état d’urgence. Parmi ces procédures, figure plus spécifiquement le «  référé-liberté  » qui permet au
juge de prononcer dans un délai de 48 heures toutes mesures en vue de faire cesser une atteinte grave
et manifestement illégale aux libertés fondamentales causée par l’administration dans l’exercice de ses
pouvoirs (CJA, art. L. 521-2). Cette procédure a d’ailleurs conduit le juge à suspendre plusieurs mesures
d’assignation à résidence, notamment lorsque les faits retenus par l’administration pour les prononcer
n’étaient pas suffisamment probants (CE, ord., 9  févr. 2016, M.C). À cela s’ajoute la faculté d’agir en
responsabilité contre l’État à raison des dommages causés par les mesures adoptées sur le fondement de
la loi de 1955. Dans une décision du 6 juillet 2016, le Conseil d’État a ainsi défini le régime de l’action
en responsabilité à raison des perquisitions administratives. Les personnes concernées par la perquisition

200
peuvent engager la responsabilité de l’État pour faute. Une telle faute peut résulter de toute illégalité
affectant la décision qui ordonne une perquisition mais elle peut également être commise dans l’exécution
des perquisitions. Pour ce qui concerne les tiers, la responsabilité de l’État est engagée sans faute, sur le

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fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, en cas de dommages directement causés
par des perquisitions. Il faut également relever que l’autorité judiciaire n’est pas totalement exclue du
processus de contrôle des mesures administratives prises dans le cadre de l’état d’urgence, le juge pénal
restant compétent pour contrôler leur légalité par voie d’exception (Cass. crim., 13 déc. 2016).

DROIT PUBLIC
S’il résulte de ces éléments qu’une protection des libertés publiques est assurée dans le cadre de l’état
d’urgence, ce dernier ne saurait revêtir qu’un caractère temporaire et exceptionnel et ne doit pas devenir
un état permanent.

Question 2 : Modalités, opportunités et limites de l’expérimentation législative


prévue par la Constitution (7 points)

La volonté d’améliorer l’efficacité des politiques publiques est susceptible de se traduire par le recours à
l’expérimentation législative. L ’objet de cette technique est de tester temporairement diverses mesures
à un échelon local avant, le cas échéant et après évaluation, de les généraliser. Prévu et encadré par la
Constitution, le recours à l’expérimentation demeure toutefois assez limité.

QRC 2
I - La consécration constitutionnelle du recours
à l’expérimentation législative

Bien que son principe ait été admis par le Conseil constitutionnel dès 1993 (Cons. const., 28 juill. 1993,
loi relative aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel), l’expérimentation
législative a fait l’objet d’une inscription expresse dans la Constitution de 1958 par la loi constitutionnelle
du 28  mars 2003. Elle figure, aujourd’hui, dans deux articles de la Constitution. L ’article 37-1 dispose
que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère
expérimental ». Et l’article 72, al. 4 prévoit que, « dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque
sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement
garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement
l’a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou
réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ».
Ces deux techniques ne semblent pas répondre exactement aux mêmes finalités. La première doit permettre
d’expérimenter une politique publique au niveau local, sans que cela débouche nécessairement sur un
transfert de compétence vers les collectivités territoriales, à supposer que l’expérimentation soit jugée
concluante. La seconde vise en revanche à tester provisoirement l’exercice d’une compétence par une
catégorie de collectivité territoriale. Cette faculté doit donc être rattachée au principe de « subsidiarité »
également inscrit dans la Constitution en 2003 et en vertu duquel « les collectivités territoriales ont vocation
à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur
échelon » (Const., art. 72, al. 2).

201
II - Les limites de l’expérimentation législative
La lecture des articles 37-1 et 72, alinéa 4 de la Constitution laisse apparaître une asymétrie contestable.

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Alors que l’expérimentation déroge par principe à l’égalité des citoyens devant la loi, elle n’est quasiment pas
encadrée par l’article 37-1. Le Conseil constitutionnel a toutefois considéré que son objet et ses conditions
doivent être suffisamment précisés par le législateur et que la loi doit en fixer le terme. À l’inverse, l’article
72, alinéa 4 offre un cadre bien plus contraignant en ce qu’il exclut de l’expérimentation les conditions
DROIT PUBLIC

essentielles d’exercice des libertés publiques ou d’un droit fondamental et renvoie à la loi organique le soin
de préciser ses modalités de mise en œuvre. La loi organique du 1er août 2003 prise en application de ces
dispositions prévoit que la loi autorisant une expérimentation doit préciser l’objet de l’expérimentation, sa
durée, celle-ci ne pouvant excéder cinq ans, les collectivités susceptibles d’expérimenter et les dispositions
auxquelles il pourra être dérogé. Il appartient alors aux collectivités de manifester leur intention par
l’adoption d’une délibération motivée. Puis le Gouvernement fixe, par décret, la liste des collectivités
admises pour l’expérimentation. Avant la fin prévue de l’expérimentation, le gouvernement transmet un
rapport d’évaluation au Parlement qui détermine alors si l’expérimentation est soit prolongée, ou modifiée,
pour trois ans maximum, soit maintenue et généralisée, soit abandonnée.
En tout état de cause, l’expérimentation est encore assez peu utilisée. La loi du 13 août 2004 avait autorisé,
sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution, l’expérimentation en matière de gestion des fonds
structurels européens, de lutte contre l’habitat insalubre ainsi que l’élaboration de schéma de développement
économique par les régions. Sur le fondement de l’article 72, al. 4 de la Constitution, la loi du 21 août 2007
a également permis l’expérimentation du revenu de solidarité active (RSA) au niveau du département mais
ce dernier a été généralisé avant même la fin de la période d’expérimentation. Enfin, expérimentée dans
deux cours d’appel, la participation de citoyens assesseurs aux formations correctionnelles a pris fin de
façon prématurée à compter du 30 avril 2013.
En dernier lieu, il apparaît qu’à l’issue de l’expérimentation, seules deux solutions sont envisageables :
QRC 2

le renoncement ou la généralisation, de sorte que le cadre constitutionnel et législatif actuels ne permet


pas une décentralisation « à géométrie variable » qui conduirait, par exemple, à permettre à certaines
collectivités seulement d’exercer de façon durable des compétences nouvelles sur la base du volontariat,
quand d’autres pourraient y renoncer.
C’est pour remédier à cette limite que le projet de révision constitutionnelle de 2018 entend reconnaître
un « droit à la différenciation » pour les collectivités territoriales. Il permettrait, d’une part, que certaines
collectivités puissent se voir attribuer des compétences dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de
la même catégorie et, d’autre part, que les collectivités territoriales et leurs groupements, lorsque la loi ou le
règlement le prévoit, puissent déroger pour un objet limité aux dispositions législatives ou réglementaires
qui régissent l’exercice de leurs compétences à titre pérenne, le cas échéant, après l’expérimentation prévue
à l’article 72 al 4 de la Constitution.

Question 3 : La mise en cause de la responsabilité du gouvernement


devant le Parlement (6 points)

Aux termes de l’article 20, alinéa  3 de la Constitution, « le gouvernement est responsable devant le
Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 ». En réalité, c’est
uniquement devant l’Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct, que cette responsabilité pourra
être engagée. Surtout, dans le cadre de la rationalisation du parlementarisme, la mise en cause de la

202
responsabilité du gouvernement devant le Parlement a fait l’objet d’un strict encadrement par l’article 49 de
la Constitution. Il résulte de ces dispositions que la responsabilité du gouvernement peut être mise en cause
à l’initiative même du Premier ministre ou à l’initiative des députés.

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I - La mise en cause de la responsabilité du Gouvernement

DROIT PUBLIC
à l’initiative du Premier ministre
En premier lieu, le Premier ministre peut, après délibération en Conseil des ministres, engager la
responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale (Const.,
art. 49, al. 1). Il s’agit là d’une faculté et non d’une obligation, ce qui revient à dire qu’il n’existe pas, sous
la Ve  République, de procédure d’investiture du Premier ministre ou du Gouvernement. Si la confiance
est refusée, le Premier ministre est tenu de présenter au président de la République la démission du
Gouvernement (Const., art. 50).
En second lieu, la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement peut intervenir dans le cadre
de la mise en œuvre de l’article 49, alinéa  3 de la Constitution, c’est-à-dire lorsque le Premier ministre
décide, après délibération en Conseil des ministres, d’engager la responsabilité du Gouvernement sur le
vote d’un texte. En effet, dans cette hypothèse, le texte est considéré comme adopté sauf si une motion de
censure, déposée dans les 24 heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’article 49 alinéa 2.
Concrètement, lorsque l’article 49, al. 3 est mis en œuvre, la seule possibilité pour le Parlement d’empêcher
l’adoption du texte est de faire chuter le Gouvernement. En raison de sa « brutalité », la technique du 49,
al. 3 a été encadrée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui ne permet son utilisation que
pour un seul texte par session parlementaire, à l’exception toutefois des lois de finances et des lois de
financement de la sécurité sociale.

QRC 2
II - La mise en cause de la responsabilité gouvernementale
à l’initiative des parlementaires
La mise en cause de la responsabilité du Gouvernement peut prendre la forme du dépôt spontané d’une
motion de censure par les députés sur le Bureau de l’Assemblée nationale. Cette motion a pour objet
d’exprimer une désapprobation politique à l’égard de l’action gouvernementale. La motion de censure est
très réglementée pour éviter l’instabilité gouvernementale qui avait caractérisé les IIIe et IVe Républiques.
D’abord, la motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée
nationale. Ensuite, le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés,
alors, les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres
composant l’Assemblée. En outre, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au
cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire.
Outre ce strict encadrement juridique, l’apparition du « fait majoritaire » a eu pour effet de rendre vaines
toutes les tentatives de mise en cause de la responsabilité gouvernementale, aucune motion de censure
n’ayant été adoptée depuis 1962. La motion de censure est devenue un instrument avant tout symbolique
et le contrôle de l’action gouvernementale s’exprime aujourd’hui par d’autres voies.

203
Sujet

3
QRC : ORGANISATION DE L’ÉTAT
ET DE LA JUSTICE, LIBERTÉS PUBLIQUES

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ET DROIT PUBLIC
(ANNALES CONCOURS ENM 2016)
DROIT PUBLIC

SUJET
Question 1 : 
Avantages et inconvénients des primaires dans un pays comme la France
(7 points)

Question 2  : Indépendance et impartialité des magistrats (7 points)

Question 3 : La révision constitutionnelle selon la Constitution du 4 octobre 1958 (6 points)


QRC 3

Question 1 : Avantages et inconvénients des primaires dans un pays comme la France
(7 points)

NB : le présent corrigé tient compte des évènements politiques survenus postérieurement à la date du
concours et qui ont indéniablement contribué à modifier la perception des primaires.
L 
’importance de l’élection présidentielle sous la Ve  République, encore renforcée par le passage au
quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, pose avec acuité la question du mode de désignation
des candidats des principales formations politiques à celle-ci. L ’organisation de primaires a pu apparaître
comme un instrument propre à y répondre. Utilisée de longue date aux États-Unis, la primaire permet en
effet que la sélection d’un candidat par le vote soit réservée aux militants, dans le cadre de primaires dites
« fermées », soit à l’ensemble des sympathisants, dans le cadre de primaires dites « ouvertes ».
En 2011, le parti socialiste fut le premier parti politique à organiser des primaires ouvertes afin de désigner
son candidat à la présidence de la République. Le vainqueur de cette consultation fut François Hollande,
élu président de la République l’année suivante. Ce succès conduisit l’opposition à organiser à son tour des
primaires de la droite et du centre en 2016. Elles furent remportées par l’ancien premier ministre François
Fillon. Le parti socialiste organisa également une nouvelle primaire au début de l’année 2017 dont le
vainqueur fut Benoît Hamon. Cette généralisation des primaires ne va pas sans soulever des questions
quant à ses incidences sur le fonctionnement de nos institutions. Si elles semblent constituer un réel progrès
démocratique (I), les primaires posent des difficultés importantes au regard des spécificités du régime
politique de la Ve République (II).

204
I - Les primaires au service d’un meilleur fonctionnement
de la démocratie représentative

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L ’organisation de primaires présente un double intérêt démocratique.

Tout d’abord, il s’agit d’un mode de sélection des candidats de nature à prévenir l’inflation des candidatures

DROIT PUBLIC
à la présidentielle. En effet, la règle dite des « 500 parrainages » n’a pas réellement permis de limiter
le nombre de candidatures à l’élection présidentielle. Or, si la diversité des candidatures est un signe
de pluralisme, elle peut également nuire à la «  clarté démocratique  » du scrutin et pose des difficultés
organisationnelles considérables. Les primaires permettent d’organiser une sélection interne aux principaux
« camps » politique, dans le but d’éviter des situations de candidatures concurrentes comme a pu l’illustrer
l’affrontement fratricide entre Édouard Balladur et Jacques Chirac en 1995. Sous réserve d’être organisées
dans des conditions équitables et transparentes, les primaires permettent aux citoyens de rendre, en la
matière, un arbitrage difficilement contestable.

Ensuite, la primaire est de nature à opérer une légitimation démocratique des candidats par les électeurs.
Dans un contexte de crise de la représentation et de défiance à l’égard du politique, elle permet de réinvestir
les citoyens dans la démocratie, à travers l’organisation de ce qui s’assimile, dans une large mesure, à
un « super premier tour ». Le succès des primaires en témoigne d’ailleurs. En 2011, environ 2  millions
et demi de personnes participèrent au premier tour de la primaire organisée par le Parti socialiste. En
2016, ils furent 4,3 millions pour le premier tour de la primaire de la droite et du centre. Si le niveau de
la participation a été plus faible pour la primaire de la gauche de 2017, il reste significatif eu égard à la
situation politique que connaissait alors le parti socialiste…

QRC 3
II - Les effets pervers de la primaire : un mode de sélection
peu adapté aux spécificités du régime politique de la Ve

Les effets positifs de la primaire ne sauraient être surestimés. En effet, contrairement aux États-Unis, la
France reste un pays de multipartisme, de sorte que si la primaire limite les candidatures au sein d’un parti
ou d’une famille politique, elle n’a pas pour effet de véritablement restreindre le nombre de candidatures
(11 candidats en 2017 contre 10 en 2012 et 12 en 2007). L ’efficacité des primaires dépend largement, en
réalité, de leur degré d’ouverture. L ’exemple de 2017 est particulièrement révélateur dans la mesure où
Benoît Hamon, pourtant largement vainqueur des primaires de la gauche, a dû faire face à la concurrence
de M. Macron à droite et de M. Mélenchon à gauche qui avaient tous deux refusé d’y participer.

Encore, la primaire est-elle véritablement en adéquation avec la logique de l’élection présidentielle telle
qu’elle a été conçue sous la Ve République ? Si l’on considère que celle-ci a pour objet la rencontre d’un
homme ou d’une femme et du peuple, il est permis d’en douter. Parce qu’ils s’adressent à une fraction
de l’électorat, les candidats à la primaire peuvent être tentés de radicaliser leurs programmes et leurs
positions. Il leur sera difficile de se démarquer ultérieurement de leurs prises de position sans donner
l’impression de trahir leur électorat. Cette situation est de nature à exacerber les clivages et à saper l’image
d’un « Président de tous les Français ».

Le sort de MM.  Fillon et Hamon, éliminés dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2017, ne
manquera pas de relancer le débat sur l’utilité des primaires.

205
Question 2 : Indépendance et impartialité des magistrats (7 points)
Dans un État de droit, les droits et libertés reconnus aux citoyens ne doivent pas seulement être consacrés

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mais également protégés de façon effective, par des magistrats indépendants et impartiaux. L ’exigence
d’indépendance et d’impartialité de la justice découle de sources tant constitutionnelles, notamment
l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 64 de la Constitution de 1958
que de sources conventionnelles et, plus particulièrement, de l’article 6 § 1 de la Convention européenne
DROIT PUBLIC

des droits de l’Homme (ci-après Conv. EDH).


Les magistrats peuvent se définir comme les membres professionnels des juridictions de l’ordre judiciaire,
bénéficiant d’un statut constitutionnel, regroupés en un corps unique et chargés d’assurer l’application de
la loi dans les litiges qui leur sont soumis. Au sens large, sont des magistrats aussi bien les membres du
Parquet que ceux du siège. Il convient également de relever que la loi du 6 janvier 1986 a reconnu la qualité
de magistrats aux membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

I - Une indépendance garantie par un statut protecteur

L ’indépendance se conçoit dans le cadre de la séparation des pouvoirs. Elle peut être définie comme étant
« la situation d’un organe public auquel son statut assure la possibilité de prendre ses décisions en toute
liberté à l’abri de toute instruction et pression » (Cornu, « Vocabulaire juridique », PUF). Il importe que le
juge soit pleinement indépendant tant du pouvoir exécutif, que du pouvoir législatif. L ’indépendance de
l’autorité judiciaire est consacrée par l’article 64 de la Constitution. Quant aux juridictions administratives,
leur indépendance résulte d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. const.,
22 juill. 1980, Validation d’actes administratifs).
QRC 3

Le Conseil constitutionnel a réaffirmé qu’appartiennent à l’« autorité judiciaire », au sens de la Constitution,


les magistrats du siège et ceux du parquet (décision QPC du 30 juillet 2010 sur la garde à vue). Ces
deux catégories de magistrats disposent toutefois de garanties d’indépendance différenciées. S’agissant
des magistrats du siège, ils bénéficient de garanties renforcées. D’une part, leur inamovibilité est
constitutionnellement consacrée, cela implique qu’ils ne peuvent faire l’objet d’aucune mesure individuelle
de destitution, de déplacement, de suspension en dehors des cas prévus par la loi, ni ne peuvent recevoir,
sans leur consentement, une affectation nouvelle, même en avancement. D’autre part, le Conseil supérieur
de la magistrature (ci-après CSM) exerce un pouvoir décisionnel à leur égard, s’agissant de leur nomination
et en matière disciplinaire. Il est à noter que les magistrats de l’ordre administratif bénéficient de garanties
d’indépendance comparables. La loi du 6 janvier 1986 consacre leur inamovibilité et crée, sur le modèle
du CSM, un Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des Cours administratives d’appel, également
doté d’un pouvoir décisionnel pour ce qui concerne leur carrière et le contentieux disciplinaire.
Quant aux magistrats du Ministère public, ils ne bénéficient pas de la garantie d’inamovibilité et sont
« placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des Sceaux ».
Le CSM ne dispose que d’un pouvoir consultatif s’agissant de leur carrière ou du contentieux disciplinaire.
La Cour européenne des droits de l’Homme leur dénie par conséquent la qualité d’« autorité judiciaire »
au sens de l’article 5 de la Conv. EDH (CEDH, 23  nov. 2010, Moulin c/ France). Un renforcement de
l’indépendance du Parquet est aujourd’hui revendiqué. C’est dans cette finalité qu’a été adoptée la loi
du 25  juillet 2013 interdisant au ministre de la Justice d’adresser aux procureurs de la République des
instructions individuelles. Si le parquet a désormais le plein exercice de l’action publique, le ministre de la
Justice reste toutefois responsable de la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Pour ce faire,
il peut adresser des instructions « générales » aux magistrats. Afin d’accroître les garanties d’indépendance
du parquet, un projet de loi constitutionnelle avait également été présenté en Conseil des ministres le

206
13 mars 2013 par M. Jean-Marc Ayrault. Ajourné en raison de l’opposition du Sénat, il fut relancé par Jean-
Jacques Urvoas en 2016. Edulcoré par rapport à sa version initiale, le texte permettait au CSM d’émettre
un avis conforme sur la nomination des magistrats du Parquet et de statuer à leur égard en matière

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disciplinaire, à l’instar des magistrats du siège. Il s’est à nouveau heurté à l’opposition du Sénat. Le projet de
révision constitutionnelle de 2018 initié par le Président Macron reprend toutefois ces deux propositions.
En dernier lieu, il convient de remarquer que le Conseil constitutionnel a rendu une décision QPC de
grande importance sur le statut des magistrats du parquet (8 déc. 2017, USM). Il a admis, à cette occasion,

DROIT PUBLIC
la constitutionnalité des dispositions de l’article 5 de la loi du 22 décembre 1958 sus-évoquées selon
lesquelles les magistrats du parquet sont placés « sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques
et sous l'autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice ». Le Conseil constitutionnel a considéré que
ces dispositions assurent une conciliation équilibrée entre le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire
et les prérogatives que le Gouvernement tient de l'article 20 de la Constitution et qu’elles ne méconnaissent
pas non plus le principe de séparation des pouvoirs.

II - Une impartialité assurée dans le cadre de la procédure


juridictionnelle
L ’impartialité désigne l’absence de préjugé. Elle signifie que le juge n’a pas, avant même de statuer, une idée
préétablie quant au sens de la solution qu’il rendra.
Cette impartialité présente, tout d’abord, une dimension subjective. Elle concerne tout ce qui peut affecter
la neutralité personnelle du juge et est garantie, devant les juridictions judiciaires et administratives,
par les techniques du déport et de la récusation. D’une part, le magistrat qui estime «  en conscience  »
devoir s’abstenir a la faculté de se déporter d’une affaire. D’autre part, les parties peuvent demander la
récusation d’un magistrat. Dans cette hypothèse, soit le magistrat acquiesce à la demande, soit il reviendra

QRC 3
à la juridiction supérieure de prononcer celle-ci hors la présence du magistrat visé par la demande (Décret
6 mai 2017).
Ensuite, l’impartialité se conçoit également de façon objective : « le tribunal doit être objectivement impartial
c’est-à-dire offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime » (Cour EDH,
1er oct. 1982, Piersack c/ Belgique). Il s’agit là d’une impartialité « structurelle » ou « organisationnelle »
tenant à la manière dont fonctionne la justice. Par exemple, le magistrat qui a déjà jugé une affaire ne peut la
rejuger. Le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement en constitue indéniablement un
corollaire (Cons. const., 2 mars 2004, loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité). À
titre d’exemple, la procédure de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité n’est conforme
à la Constitution que dans la mesure où la peine, proposée par un magistrat du Parquet, est homologuée
par une ordonnance d’un magistrat du siège. À l’inverse, violent le principe d’impartialité les dispositions
législatives qui prévoient la présidence du tribunal pour enfants par le juge des enfants ayant instruit une
affaire concernant un mineur. Le Conseil constitutionnel considère qu’« en permettant au juge des enfants qui
a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le
mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des
peines, les dispositions contestées portent au principe d’impartialité des juridictions une atteinte contraire à
la Constitution » (Cons. const., QPC 8 juill. 2011). S’agissant des membres des juridictions administratives,
la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que la participation du Commissaire du gouvernement
au délibéré de jugement était contraire au principe d’impartialité, dès lors que le Commissaire a rendu des
conclusions sur l’affaire (Cour EDH, 7 juin 2001, Kress c/ France ; 12 avril 2006, Martinie c/ France). Tirant
les conséquences de cette jurisprudence, le décret du 1er août 2006 interdit désormais au Commissaire du
gouvernement devenu, en 2009, le rapporteur public, d’assister au délibéré, sauf devant le Conseil d’État
mais sous réserve, dans cette dernière hypothèse, que les parties ne s’y opposent pas.
207
Question 3 : La révision constitutionnelle selon la Constitution du 4 octobre 1958
(6 points)

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« Les constitutions ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil des morts ». Cette affirmation de Royer-
Collard vient rappeler la nécessité de faire évoluer les règles constitutionnelles pour tenir compte des
nouvelles aspirations de la société. Pour autant, en tant que norme fondamentale, la Constitution doit être
protégée contre des révisions trop fréquentes ou qui remettraient en cause ses éléments les plus importants.
DROIT PUBLIC

C’est la raison pour laquelle la plupart des constitutions sont dites « rigides », c’est-à-dire qu’elles ne peuvent
être modifiées que dans le respect de règles spécifiques qu’elles définissent elles-mêmes. Tel est le cas de
la Constitution du 4 octobre 1958. Cette dernière consacre son titre XVI à la révision, lequel ne comporte
qu’un seul article, l’article 89. La question se pose toutefois de savoir si la procédure référendaire de l’article
11 ne pourrait pas constituer une alternative à celle définie par l’article 89.

I - La révision constitutionnelle encadrée par l’article 89


de la Constitution
La procédure de révision constitutionnelle comporte trois étapes. En premier lieu, l’initiative de la révision
appartient concurremment au président de la République sur proposition du Premier ministre et aux
membres du Parlement. Une seule révision d’initiative parlementaire a toutefois abouti depuis 1958, à savoir
celle du 2 octobre 2000 sur le passage au quinquennat. En deuxième lieu, le projet ou la proposition de loi
constitutionnelle doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. Il y a ainsi un bicaméralisme
égalitaire en matière de révision constitutionnelle. En troisième lieu, l’adoption définitive de la révision
se fait en principe par la voie du référendum. Le président de la République peut néanmoins décider de
QRC 3

faire adopter la révision par le Congrès, soit la réunion des deux chambres, à la majorité qualifiée des trois
cinquièmes des suffrages exprimés. Cette faculté ne peut être exercée qu’à l’égard des projets et non des
propositions de révision. Il est à noter que, depuis 1958, le référendum constituant de l’article 89 n’a été
utilisé qu’une seule fois, en 2000, pour réviser la Constitution.
L ’article 89 de la Constitution énonce également des interdictions quant à la révision. D’une part, aucune
procédure de révision ne peut être engagée lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire et, par
extension, lorsque sont mis en œuvre les pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution (Cons.
const., 2 sept. 1992, « Maastricht 2 »). D’autre part, la révision ne peut porter sur la « forme républicaine du
gouvernement ». L ’article 7 de la Constitution prévoit une autre limite au pouvoir de révision qui ne peut
s’exercer lorsque le Président du Sénat exerce à titre intérimaire les fonctions de président de la République.
La portée de ces interdictions est toutefois incertaine, dans la mesure où le Conseil constitutionnel refuse de
contrôler la constitutionnalité d’une loi référendaire (Cons. const., 6 nov. 1962, loi relative à l’élection du
Président de la République au suffrage universel direct ; 23 sept. 1992 loi autorisant la ratification du traité
sur l’Union européenne) et d’une loi adoptée par le Congrès (Cons. const., 26 mars 2003, organisation
décentralisée de la République).
En définitive, la Constitution du 4  octobre 1958 présente une rigidité constitutionnelle relative, la
procédure définie par l’article 89 n’ayant pas fait obstacle à la multiplication des réformes constitutionnelles
(24 révisions à ce jour). La révision constitutionnelle n’est toutefois pas une simple formalité. La révision du
23 juillet 2008 a ainsi été adoptée à deux voix près (539 votes pour alors que 538 votes étaient requis) et le
projet de révision proposé par F. Hollande au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 afin d’inscrire
l’état d’urgence dans la Constitution et de permettre la déchéance de nationalité des personnes condamnées
pour des actes de terrorisme a échoué. Quant au projet de révision constitutionnelle de 2018 initié par le
Président Macron, il pourrait se heurter à l’opposition du Sénat.

208
II - La procédure « concurrente » de l’article 11 de la Constitution
Le référendum législatif de l’article 11 de la Constitution a été utilisé à deux reprises par De Gaulle pour

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réviser la Constitution, afin d’éviter l’étape contraignante du Parlement prévue par l’article 89 de la
Constitution. En 1962, De Gaulle utilise l’article 11 pour réviser le mode d’élection du président de la
République. Cette révision constitutionnelle, qui avait pour objet de faire élire le président de la République
non plus par un collège électoral mais au suffrage universel direct, fut adoptée à une large majorité. En

DROIT PUBLIC
1969, De Gaulle fait de même s’agissant de la révision constitutionnelle du Sénat mais c’est un échec qui
provoquera sa démission.
Le principal argument invoqué par De Gaulle pour justifier son recours à l’article 11 était de dire que
« l’organisation des pouvoirs publics », sur laquelle peut porter un tel référendum, inclus leur révision. Par
ailleurs, l’article 3 de la Constitution dispose que « la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce par
ses représentants et par la voie du référendum ». Ces arguments sont très contestables dans la mesure où,
comme vu précédemment, la Constitution consacre un titre spécifique à la révision excluant a contrario toute
autre procédure que celle déterminée à l’article 89. Par ailleurs, si cette méconnaissance de la Constitution
n’a pas été sanctionnée par le Conseil constitutionnel, c’est uniquement parce que ce dernier a décliné
sa compétence pour contrôler la constitutionnalité d’une loi référendaire (Cons. const., 6  nov. 1962).
Ainsi, bien qu’il ait permis d’opérer l’une des révisions les plus importantes de la Ve République à travers
le changement du mode d’élection du chef de l’État, le recours à l’article 11 de la Constitution apparaît
contraire à la Constitution. En outre, l’échec de 1969 conduit à exclure l’idée d’une « deuxième voie de
révision » qui aurait été validée par le peuple souverain.

QRC 3

209
Sujet

4
QRC : ORGANISATION DE L’ÉTAT
ET DE LA JUSTICE, LIBERTÉS PUBLIQUES

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ET DROIT PUBLIC
(ANNALES CONCOURS ENM 2015)
DROIT PUBLIC

SUJET
Question 1 : Le bilan de la QPC (7 points)

Question 2 : L ’importance des élections locales (7 points)

Question 3 : Le Défenseur des droits (6 points)


QRC 4

Question 1 : Le bilan de la QPC (7 points)

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a créé une nouvelle procédure de contrôle de constitutionnalité
des lois a posteriori inscrite à l’article 61-1 de la Constitution. Elle permet la transmission au Conseil
constitutionnel, sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, d’une question de constitutionnalité
soulevée, à l’occasion d’un procès, par une partie à celui-ci. Cette réforme avait déjà été envisagée en 1989,
à l’initiative de Robert Badinter puis en 1993, à l’initiative de Georges Vedel, mais ces projets avaient
été abandonnés pour des raisons essentiellement politiques. Les modalités de cette nouvelle procédure
ont été précisées par une loi organique du 10  décembre 2009 qui en a fait la « question prioritaire de
constitutionnalité » (ci-après QPC) et fixé son entrée en vigueur au 1er mars 2010. Plusieurs années après
cette entrée en vigueur, il apparaît nécessaire de dresser un premier bilan quant à son utilité et à ses effets.

I - Un succès indéniable
La QPC a permis au justiciable de se prévaloir des droits et libertés que la Constitution lui reconnaît à
l’encontre de la loi et constitue, en ce sens, un progrès considérable pour l’État de droit. Son succès est
indéniable, les justiciables s’étant largement emparés du mécanisme de la QPC. En 2015, le Conseil d’État
et la Cour de cassation avaient déjà saisi le Conseil constitutionnel de 465 QPC, soit, respectivement,
207 décisions de renvoi du Conseil d’État et 258 décisions de renvoi de la Cour de cassation. Certes, ce
succès doit être tempéré en raison du filtrage exercé par les Hautes juridictions. Ainsi, sur les 856 dossiers

210
transmis au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État, 24 % étaient des décisions de renvoi et sur les 1 504
dossiers transmis par la Cour de cassation, 18 % étaient des décisions de renvoi. Les questions relatives à la
constitutionnalité de lois de grande importance n’ont pas été transmises au Conseil constitutionnel. À titre

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d’exemple, la Cour de cassation a dans un premier temps refusé de transmettre une QPC relative à la « loi
Gayssot » incriminant le négationnisme (Cass. crim., 7 mai 2010) avant de revenir sur cette position (Cass.
crim., 6 oct. 2015). De même, le Conseil d’État a refusé de transmettre une QPC relative aux dispositions
qui lui confèrent une double fonction, à la fois consultative et contentieuse (CE, 16 avril 2010). Les Hautes

DROIT PUBLIC
juridictions ont néanmoins globalement « joué le jeu » de la QPC, en saisissant le Conseil constitutionnel
de questions sensibles. Ont par exemple été renvoyées au Conseil constitutionnel des questions relatives
à la constitutionnalité des dispositions législatives relatives à la garde à vue (Cass. crim., 31 mai 2010),
des dispositions législatives relatives au harcèlement sexuel (Cass. crim., 29  févr. 2012) ou encore des
dispositions législatives déniant aux officiers d’état civil la possibilité de refuser de célébrer un mariage
entre personnes de même sexe (CE, 18 sept. 2013).

II - Une reconfiguration du système juridictionnel français


La création de la QPC a induit trois grandes modifications du système juridictionnel français.
En premier lieu, par le mécanisme du « filtrage », les juridictions, appelées à vérifier le caractère « sérieux » ou
« nouveau » de la question de constitutionnalité, participent désormais, indirectement mais nécessairement,
au contrôle de constitutionnalité des lois, alors même qu’elles se sont toujours refusées à exercer un tel
contrôle (CE, 6 nov. 1936, Arrighi). Certaines décisions de non-renvoi ont d’ailleurs une motivation très
détaillée qui confine au contrôle de constitutionnalité.
En deuxième lieu, la QPC a contribué à un mouvement de juridictionnalisation du Conseil constitutionnel.

QRC 4
D’une part, ce dernier relève de la qualité de « Tribunal » au sens de l’article 6 §  1 de la Convention
européenne des droits de l’Homme lorsqu’il statue dans le cadre d’une QPC (Cour EDH, 1993, Ruiz-Mateos
c/ Espagne), de sorte que la procédure suivie devant lui doit respecter les principes du procès équitable
tels que l’impartialité et le contradictoire. D'autre part, le Conseil constitutionnel s’est reconnu la possibilité
d’adresser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne ce qui signifie qu’il
estime relever de la qualification de « juridiction » au sens de l’article 267 TFUE (décision du 4 avril 2013,
Jérémy F).
En dernier lieu, la QPC confère au Conseil constitutionnel un rôle accru, au point que certains auteurs
comme le professeur Bastien François le présente comme une « quasi Cour suprême ». En effet, au-delà
des dispositions législatives stricto sensu, le Conseil s’est reconnu la faculté de contrôler les interprétations
jurisprudentielles constantes de la loi qui donnent à cette dernière sa portée effective (décisions QPC du
6 octobre 2010 et du 14 octobre 2010). Pour autant, le Conseil a su faire preuve de réserve dans l’exercice
de son contrôle afin de répondre aux craintes parfois exprimées d’un «  gouvernement des juges  ». Il a
notamment utilisé à plusieurs reprises son pouvoir de modulation dans le temps des effets de ses décisions
afin de laisser au Parlement le temps d’adopter de nouvelles règles et de préserver la sécurité juridique,
comme l’illustre la décision dite « garde à vue » du 30 juillet 2010. Sur les questions les plus sensibles, il
rappelle également qu’il ne dispose pas d’un pouvoir d’appréciation équivalent à celui du Parlement.
En conclusion, il est possible de souligner que la création de la QPC a conduit à renforcer les critiques
relatives à la composition du Conseil constitutionnel. Celle-ci est-elle réellement adaptée au rôle que joue
désormais ce dernier ? Il est à noter qu’une proposition de loi constitutionnelle a été déposée sur le bureau
de l’Assemblée nationale le 17 mai 2013 afin de modifier les règles relatives à la composition du Conseil
et d’en faire une véritable « juridiction constitutionnelle ». Une réforme du Conseil constitutionnel a par
ailleurs été annoncée par le gouvernement en 2017.

211
Question 2 : L ’importance des élections locales (7 points)

Si l’article 1er de la Constitution dispose que la France est une « République indivisible », il précise également,

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depuis la révision constitutionnelle du 28  mars 2003, que son « organisation est décentralisée ». Cette
précision vient consacrer le vaste mouvement de décentralisation qu’a connu la France depuis 1982 et
l’adoption des « lois Deferre ». La Constitution reconnaît l’existence de collectivités territoriales librement
administrées, ce qui implique qu’elles sont gérées de façon autonome par des organes élus. Sont ainsi
DROIT PUBLIC

organisées, à intervalles réguliers, des élections locales, à savoir, les élections municipales, les élections
départementales et les élections régionales. Il importe de s’interroger sur l’enjeu que présentent de telles
élections dans un État centralisé, de tradition jacobine et qui a fait, par ailleurs, de l’élection présidentielle
l’« élection politique reine ».

I - Des élections participant à l’avènement d’une démocratie locale


L ’importance des élections locales tient à ce que les collectivités territoriales se sont vues reconnaître
des compétences administratives de plus en plus importantes par les lois de décentralisation, dans des
domaines qui touchent à la vie concrète des citoyens comme l’urbanisme, le développement économique,
l’aménagement du territoire ou encore la formation professionnelle. L  ’élection locale tend ainsi à
« rapprocher le pouvoir du citoyen ». Les décisions des collectivités sont en effet prises soit par l’organe
délibérant, composé des élus locaux, soit par l’exécutif local qui est issu de cet organe. L ’élection locale
est alors l’occasion pour le citoyen de choisir un programme de politique locale mais aussi de sanctionner,
positivement ou négativement, les équipes sortantes.
Il est à noter que les élections municipales ont, aujourd’hui, un rôle encore plus important car le système de
QRC 4

« fléchage » mis en place par la loi électorale du 17 mai 2013 permet aux électeurs d’élire en même temps leurs
conseillers municipaux et les membres de l’organe délibérant de l’établissement de coopération intercommunale
(EPCI) auquel appartient la commune. Cette réforme confère une plus grande légitimité démocratique aux
EPCI qui exercent des compétences sans cesse plus importantes, en lieu et place des communes.
La limite de l’avènement d’une véritable démocratie locale tient toutefois à la grande complexité de la
répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités qui ne permet pas toujours au
citoyen d’identifier les actions respectives des communes, EPCI, départements et régions.

II - Les enjeux nationaux des élections locales


Les élections locales ont également des incidences nationales significatives tant d’un point de vue politique
que juridique.
D’une part, les élections locales apparaissent comme des consultations « intermédiaires », en ce sens qu’elles
interviennent pendant l’exercice des mandats respectifs du président de la République et des députés. Elles
peuvent être un moyen, pour les citoyens, de sanctionner politiquement la politique gouvernementale.
D’autre part, les élections locales ont une influence directe sur la composition du Sénat qui, en vertu des
dispositions du quatrième aliéna de l’article 24 de la Constitution, « représente les collectivités territoriales ».
En effet, dans chaque département, les sénateurs sont élus par un collège électoral de grands électeurs formé
d’élus de cette circonscription  : députés et sénateurs, conseillers régionaux, conseillers départementaux
et conseillers municipaux. C’est ce qui explique que la reconnaissance du droit de vote des étrangers aux
élections locales implique une révision constitutionnelle (Cons. const., 9 avril 1992, Maastricht).

212
Enfin, l’interdiction du cumul des mandats consacrée par la loi organique et la loi ordinaire du 14 février
2014 contribue à renforcer le poids des élections locales dès lors que les titulaires d’un mandat exécutif
local, faute de pouvoir siéger dans le même temps au Parlement, doivent se consacrer à plein temps à la

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gestion de la collectivité qu’ils dirigent.

DROIT PUBLIC
Question 3 : Le Défenseur des droits (6 points)

Le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la


Ve République, dit Comité « Balladur », a recommandé en 2007 le changement d’appellation de l’institution
du médiateur de la République, créée en 1973, en «  Défenseur des droits fondamentaux » ainsi que sa
constitutionnalisation. Cette proposition s’est concrétisée à l’occasion de la révision constitutionnelle du
23 juillet 2008 qui a introduit un Titre XI bis dans la Constitution consacrant un « Défenseur des droits ».
L ’article 71-1 de la Constitution dispose que ce dernier « veille au respect des droits et libertés par les
administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que tout organisme
investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences ».
Il peut être saisi par « toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un
organisme visé au premier alinéa » et peut également se saisir d’office. Le statut du défenseur des droits lui
procure de solides garanties d’indépendances. Ses missions sont étendues et il dispose, pour les assumer,
d’un large pouvoir de recommandation.

QRC 4
I - Le statut du Défenseur des droits : une autorité constitutionnelle
indépendante

Afin de garantir tant son indépendance que sa légitimité, la Constitution prévoit que le Défenseur des droits
est nommé par le chef de l’État pour un mandat de six ans non renouvelable après l’avis public rendu par les
deux commissions permanentes de deux Chambres, le chef de l’État ne pouvant procéder à la nomination
lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des
suffrages exprimés au sein des deux commissions (Const., art. 13). En vertu de la loi organique du 29 mars
2011 relative au Défenseur des droits, celui-ci est nommé par décret en Conseil des ministres. Il ne peut
être mis fin à ses fonctions que sur sa demande ou en cas d’empêchement dans des conditions définies
par décret en Conseil d’État. Le Défenseur des droits est donc une autorité constitutionnelle indépendante
(L. org., art. 2). Le Conseil constitutionnel a considéré que le Défenseur des droits « constitue une autorité
administrative dont l’indépendance trouve son fondement dans la Constitution » et qu’il ne doit donc pas
être compté « au nombre des pouvoirs publics constitutionnels » (décision du 29 mars 2011). Il ne reçoit
par ailleurs, dans l’exercice de ses attributions, aucune instruction. Ses adjoints et lui-même ne peuvent être
poursuivis, recherchés, arrêtés, détenus ou jugés à l’occasion des opinions qu’ils émettent ou des actes qu’ils
accomplissent dans l’exercice de leurs fonctions.
Pour éviter tout conflit d’intérêts, l’article 3 de la loi organique de 2011 énonce une règle d’incompatibilité
entre les fonctions de Défenseur des droits et celles de ses adjoints avec celles de membre du Gouvernement,
du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil économique, social
et environnemental ainsi qu’avec tout mandat électif. Les fonctions de Défenseur des droits et celles de
ses adjoints sont également incompatibles avec toute autre fonction ou emploi public et toute activité

213
professionnelle ainsi qu’avec toute fonction de président et de membre de conseil d’administration,
de président et de membre de directoire, de président et de membre de conseil de surveillance, et
d’administrateur délégué dans toute société, entreprise ou établissement.

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II - Les fonctions du Défenseur des droits
DROIT PUBLIC

La création du Défenseur des droits a été l’occasion d’opérer une certaine rationalisation des autorités
administratives indépendantes que le Conseil d’État avait appelée de ses vœux dans son rapport public de
2001. Les fonctions dévolues au Défenseur des droits regroupent ainsi dans une large mesure celles des
quatre autorités administratives indépendantes qu’il « absorbe », à savoir le Médiateur de la République,
le Défenseur des enfants, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE)
et la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Il est chargé, en premier lieu, de défendre les
droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’État, les collectivités territoriales,
les établissements publics et les organismes investis d’une mission de service public. Il lui appartient, en
deuxième lieu, de défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant consacrés par la loi
ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France. En troisième lieu, il se
voit conférer une mission de lutte contre les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou
par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir
l’égalité. Il doit, en dernier lieu, veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités
de sécurité sur le territoire de la République.
L ’une des principales innovations par rapport au Médiateur de la République consiste dans la possibilité de
saisir directement le Défenseur des droits. Les requêtes peuvent concerner des agissements de personnes
publiques ou privées chargées de missions d’intérêt général. À l’instar du Médiateur, il peut en outre se saisir
QRC 4

d’office ou être saisi par les ayants droit de la personne dont les droits et libertés sont en cause. Par ailleurs,
une réclamation peut être adressée à un député, à un sénateur ou à un représentant français au Parlement
européen, qui la transmet au Défenseur des droits s’il estime qu’elle appelle son intervention. La saisine du
Défenseur des droits est gratuite et est précédée de démarches préalables auprès des personnes publiques
ou des organismes mis en cause. Comme la saisine du Médiateur, celle du Défenseur des droits n’interrompt
ni ne suspend par elle-même les délais de prescription des actions en matière civile, administrative ou
pénale, non plus que ceux relatifs à l’exercice de recours administratifs ou contentieux.

III - Un pouvoir de recommandation étendu


Afin d’accomplir ses missions, le Défenseur des droits dispose d’un pouvoir de recommandation étendu. Il
peut ainsi faire toute recommandation qui lui apparaît de nature à garantir le respect des droits et libertés
de la personne lésée et à régler les difficultés soulevées devant lui ou à en prévenir le renouvellement.
Il peut recommander de régler en équité la situation de la personne dont il est saisi. Les autorités ou
personnes intéressées informent le Défenseur des droits, dans le délai qu’il fixe, des suites données à ses
recommandations. À défaut d’information dans ce délai ou s’il estime, au vu des informations reçues, qu’une
recommandation n’a pas été suivie d’effet, le Défenseur des droits peut enjoindre à la personne mise en
cause de prendre, dans un délai déterminé, les mesures nécessaires. Lorsqu’il n’a pas été donné suite à son
injonction, le Défenseur des droits établit un rapport spécial, qui est communiqué à la personne mise en
cause. Le Défenseur des droits rend publics ce rapport et, le cas échéant, la réponse de la personne mise
en cause, selon des modalités qu’il détermine. Le Défenseur des droits peut aussi proposer à l’auteur de la
réclamation et à la personne mise en cause de conclure une transaction dont il peut recommander les termes.

214
Le Défenseur des droits peut aussi recommander de procéder aux modifications législatives ou réglementaires
qui lui apparaissent utiles. Il peut être consulté par le Premier ministre sur tout projet de loi intervenant
dans son champ de compétence. Il peut également être consulté par le Premier ministre, le président de

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l’Assemblée nationale ou le président du Sénat sur toute question relevant de son champ de compétence.
Il contribue, à la demande du Premier ministre, à la préparation et à la définition de la position française
dans les négociations internationales dans les domaines relevant de son champ de compétence. Il présente
chaque année au président de la République, au président de l’Assemblée nationale et au président du

DROIT PUBLIC
Sénat, d’une part un rapport qui rend compte de son activité générale et comprend une annexe thématique
relative à chacun de ses domaines de compétences d’autre part, un rapport consacré aux droits de l’enfant
à l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant.

QRC 4

215
Sujet

5
QRC : ORGANISATION DE L’ÉTAT
ET DE LA JUSTICE, LIBERTÉS PUBLIQUES

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ET DROIT PUBLIC
(SUJET COMPLÉMENTAIRE)
DROIT PUBLIC

SUJET
Question 1 : L ’élection du président de la République sous la Ve République (7 points)

Question 2 : Enseignement public et principe de laïcité (7 points)

Question 3 : La réunion des deux chambres sous la Ve République (6 points)


QRC 5

Question 1 : L ’élection du président de la République sous la Ve République (7 points)

« Le suffrage universel est un sacre bien autrement divin que l’huile de Reims ou le sang de Saint Louis.
Il ne faut pas tenter Dieu, encore moins l’homme. Le président pourra dire à l’Assemblée  : vous n’êtes
que les neuf centièmes du peuple. Je suis à moi seul le peuple entier ». Les propos du député Piat lors des
débats à l’Assemblée constituante de 1848 traduisent une méfiance à l’égard de l’élection du président de
la République au suffrage universel direct. Ils devaient s’avérer prémonitoires puisque le premier chef de
l’État directement élu par le peuple fut Louis Napoléon Bonaparte qui, faute d’avoir pu obtenir le droit
d’exercer un second mandat, procéda à un coup d’État en 1852. Ce précédent va conduire à un rejet de
l’élection populaire du président de la République. Sous la IIIe comme sous la IVe République, ce dernier
sera simplement élu par le Parlement.

I - La consécration de l’élection du président


au suffrage universel direct
Dans son discours de Bayeux du 16  juin 1946, Charles de Gaulle a souligné la nécessité de renforcer
la fonction présidentielle. Cela implique, notamment, de conférer au chef de l’État une légitimité
démocratique propre. C’est ainsi fort logiquement que les constituants de 1958 ont modifié son mode
d’élection. Toutefois, en 1958, l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct est écartée. Elle se

216
heurte, en effet, à d’importantes difficultés théoriques et pratiques. La question se pose, tout d’abord,
de l’éventuelle participation des populations des territoires d’Outre-Mer à cette élection. Par ailleurs,
l’hypothèse de l’élection d’un chef de l’État communiste présente un risque important en plein contexte

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de «  guerre froide  ». Enfin, dans son discours devant le Conseil d’État du 27  août 1958, Michel Debré
rejette le régime présidentiel auquel l’élection du chef de l’État par le peuple conduirait nécessairement.
Par conséquent, c’est le principe d’une élection par un collège de grands électeurs (environ 80 000) qui est
retenu. L ’année 1962 va néanmoins marquer un tournant s’agissant de l’élection présidentielle. Soucieux

DROIT PUBLIC
de pérenniser une pratique présidentialiste qui a conduit à faire du chef de l’État un véritable gouvernant,
de Gaulle souhaite donner de façon durable à ce dernier une légitimité incontestable. C’est pourquoi il fait
adopter par référendum l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct. Le principe de l’élection du
président de la République au suffrage universel direct est désormais inscrit à l’article 6 de la Constitution
et ses modalités sont précisées par l’article 7 ainsi que par la loi du 6 novembre 1962 modifiée à plusieurs
reprises.
S’agissant des effets de l’élection présidentielle au suffrage universel direct sur le fonctionnement des
institutions, ils se sont révélés considérables. Le président apparaît désormais clairement comme « l’homme
de la Nation » (de Gaulle). Elu sur programme, en général avant les députés, il est devenu l’homme fort de
l’Exécutif devant lequel le premier ministre et le Gouvernement sont responsables en pratique, alors même
que la Constitution ne prévoit pas une telle responsabilité. Après avoir critiqué cette présidentialisation,
F. Mitterrand lui-même s’y est conformé suite à son élection en 1981. Toutefois, la puissance du chef de
l’État demeure subordonnée à l’existence d’une majorité présidentielle au Parlement. À l’inverse, en cas
de cohabitation, le Gouvernement est en mesure de déterminer et de conduire la politique de la Nation
et le Premier ministre d’en diriger l’action, conformément à la lettre de la Constitution. Le passage au
quinquennat ainsi que l’inversion du calendrier électoral, qui résultent, respectivement, de la révision
constitutionnelle du 2 octobre 2000 et de la loi organique du 15 mai 2001, ont néanmoins conduit à limiter
les hypothèses de cohabitation et à faire de l’élection présidentielle l’« élection reine », à savoir celle qui

QRC 5
structure le jeu politique. Les législatives apparaissant alors comme des élections de « ratification ».

II - Les modalités de l’élection présidentielle


au suffrage universel direct

S’agissant des modalités de l’élection, celle-ci se déroule en deux tours, sauf si un candidat a obtenu la
majorité absolue des suffrages dès le premier tour. Ne peuvent se maintenir au second tour que les deux
candidats arrivés en tête au premier. Depuis la loi organique du 14 avril 2011, tout citoyen âgé de plus
de 18 ans (au lieu de 23 ans auparavant) et jouissant de la totalité de ses droits civils et politiques est
éligible. Cette condition nécessaire n’est cependant pas suffisante pour se porter candidat à l’élection. Un
système de sélection a été instauré visant à limiter le nombre des candidatures pour éviter la multiplication
des candidatures dites « fantaisistes ». Ce système repose sur la nécessité d’obtenir le parrainage d’un
certain nombre d’élus. Lors des trois premières élections présidentielles faites au suffrage universel (1965,
1969 et 1974) le parrainage de 100 élus était exigé. Cette règle n’ayant pas empêché la multiplication
des candidatures, la loi organique du 18  juin 1976 a porté ce nombre à 500. Les parrainages doivent
émaner des parlementaires ou des élus locaux. En outre, les parrainages doivent provenir d’au moins
30 départements ou collectivités d’outre-mer différents ce qui vise à éviter les candidatures liées à la
défense d’intérêts purement locaux. De plus il ne faut pas que plus d’un dixième d’entre eux provienne du
même département ou de la même collectivité d’outre-mer. Enfin, la réforme de 1976 impose que les noms
des élus parrainant un candidat soient rendus publics huit jours au moins avant le premier tour de scrutin,
dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature. Cette exigence a été jugée conforme

217
à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décision n° 2012-233 QPC, 21 févr. 2012, M. Le Pen). La
règle des 500 parrainages n’en demeure pas moins controversée : elle ne permet toujours pas d’éviter
la multiplication des candidatures mais est à l’inverse susceptible de faire obstacle à la candidature de

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certaines personnalités. La « Commission Jospin » a proposé dans son rapport de 2012 que le parrainage des
candidats par 500 élus au moins soit remplacé par « un parrainage citoyen » d’au moins 150 000 signatures.
Cette proposition n’a pour le moment pas été suivie.
L ’élection doit se dérouler 20 jours au moins et 35 jours au plus avant l’expiration des pouvoirs du président
DROIT PUBLIC

de la République sortant. Le déroulement de la campagne électorale est prévu par la loi organique du
6  novembre 1962 relative à l’élection du président de la République et par le décret du 8  mars 2001,
également modifié par le décret du 21 avril 2006. La campagne électorale officielle s’ouvre le deuxième
lundi précédant le premier tour de scrutin et s’interrompt la veille du scrutin, à zéro heure. Elle reprend
le jour de la publication au Journal officiel des noms des deux candidats restants et s’achève la veille du
second tour, à zéro heure. L ’article 7 de la Constitution prévoit que si, dans les sept jours précédant la date
limite du dépôt des présentations de candidatures, une des personnes ayant, moins de trente jours avant
cette date, annoncé publiquement sa décision d’être candidate décède ou se trouve empêchée, le Conseil
constitutionnel peut décider de reporter l’élection. Par ailleurs, si, avant le premier tour, un des candidats
décède ou se trouve empêché, le Conseil constitutionnel prononce le report de l’élection. Enfin, en cas de
décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats les plus favorisés au premier tour avant les retraits
éventuels, le Conseil constitutionnel déclare qu’il doit être procédé de nouveau à l’ensemble des opérations
électorales. Il en est de même en cas de décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats restés en
présence en vue du second tour.
Afin de respecter le principe de pluralisme, les différents candidats doivent recevoir les mêmes conditions de
traitement de la part des pouvoirs publics. La Commission nationale de contrôle de l’élection présidentielle
(CNC) veille au respect de cette égalité de traitement entre candidats. Dans le domaine audiovisuel,
QRC 5

il appartiendra au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) de comptabiliser les temps de paroles des
différents candidats. Une stricte égalité devra être respectée pendant la durée de la campagne officielle. Il
est à noter que si, initialement, les sondages d’opinion ne pouvaient plus être publiés pendant la semaine
précédant chaque tour afin de préserver la liberté de choix des électeurs. La loi du 19  février 2002 a
modifié ce point pour tirer les conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait jugé cette
interdiction contraire à la liberté d’expression (Cass. crim., 4 sept. 2001, Amaury). Aux termes de la loi, les
sondages peuvent désormais être publiés jusqu’à la veille de chaque tour de scrutin.
Un autre enjeu essentiel de l’élection présidentielle réside dans l’encadrement juridique du financement
de la campagne électorale. Ce financement s’effectue selon deux modalités : d’une part, un financement
public, organisé par la loi organique ; d’autre part, un financement privé, provenant en majorité des partis
(cotisations), mais aussi de personnes privées. Les candidats doivent respecter un certain nombre de règles.
Ils doivent, notamment, tenir un compte de campagne qui retrace très précisément l’origine des recettes
et la nature des dépenses engagées étant précisé que le candidat ne peut pas le gérer personnellement
et doit nommer un mandataire. Depuis la loi organique du 5 avril 2006, le compte doit être déposé à la
Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) – et non plus
au Conseil constitutionnel – au plus tard le neuvième vendredi suivant le second tour de scrutin, afin
qu’en soit vérifiée la régularité. Un plafonnement des dépenses est prévu. Un remboursement des frais
de campagne est prévu dont l’importance varie selon les résultats obtenus par le/la candidat(e). Enfin,
il a été procédé à la limitation des dons des personnes privées à 4 600 euros, tout don égal ou supérieur
à 150 euros ne pouvant être effectué en espèces. Depuis la loi du 19 janvier 1995, les dons et avantages
en nature des entreprises privées ont été interdits. Des sanctions pécuniaires et pénales sont prévues en
cas d’infraction. Ainsi, un candidat ayant dépassé le plafond des dépenses doit verser au Trésor public le
montant du dépassement.

218
Question 2 : Enseignement public et principe de laïcité (7 points)

Consacré par les lois « Ferry » du 16 juin 1881 et du 28 mars 1882, le droit à une instruction laïque, gratuite

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et obligatoire, fait aujourd’hui l’objet d’une protection constitutionnelle sur le fondement du Préambule de
1946 dont le 13e alinéa dispose : « L ’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés
est un devoir de l’État ». Le principe de laïcité de l’enseignement public implique une neutralité religieuse
de l’État qui doit se traduire tant du point de vue du contenu de l’enseignement que du comportement des

DROIT PUBLIC
agents publics. S’agissant des usagers, s’ils sont principalement les bénéficiaires de cette neutralité, ils sont
également susceptibles de voir leur liberté religieuse restreinte sur le fondement de la laïcité.

I - La nécessaire neutralité du service


En premier lieu, l’État a le devoir d’organiser le service public de l’enseignement dans un souci de neutralité
religieuse. Notons d’ailleurs que si cette exigence trouve ses sources dans le bloc de constitutionnalité, elle
découle également de l’article 2 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme
(droit à l’instruction) combiné avec l’article 9 de ladite Convention (liberté de conscience et de religion).
Il est ainsi interdit aux enseignants des écoles, collèges et lycées publics d’exprimer leurs convictions
religieuses, notamment en arborant un signe religieux. Déjà, dans l’arrêt « abbé Bouteyre » le Conseil
d’État avait admis le refus opposé à un prêtre de se présenter à l’agrégation de philosophie en se fondant
sur les exigences du service public de l’enseignement (CE, 10 mai 1912). En second lieu, d’une façon plus
générale, l’État ne saurait faire de l’enseignement un instrument de propagande religieuse en imposant,
par exemple, des cours de religion obligatoire ou en apposant des signes religieux sur les bâtiments publics
d’enseignement. Diverses atténuations à cette exigence de neutralité peuvent toutefois être relevées.
Tout d’abord, il faut rappeler le régime dérogatoire en vigueur en Alsace-Moselle où s’applique encore le

QRC 5
concordat de 1801. Le Conseil constitutionnel a tiré argument de l’intention des constituants de 1946 et de
1958 pour admettre que cette spécificité n’était pas contraire au principe de laïcité (décision QPC, 21 févr.
2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité). Quant à la présence de crucifix dans les
écoles publiques, la Cour EDH a estimé qu’elle ne violait pas, par elle-même, l’exigence de neutralité dès
lors qu’elle ne s’accompagnait pas d’une forme d’endoctrinement religieux, en soulignant que l’État dispose
en la matière d’une « large marge d’appréciation » (Cour EDH, Gde. ch., 18 mars 2011, Lautsi c/ Italie).
Ensuite, l’exigence de neutralité ne s’applique pas avec la même rigueur à l’enseignement supérieur dès lors
que « les auditeurs sont en âge de juger » (Helbronner, conclusions sur l’arrêt Bouteyre précité).

II - La promotion relative de la neutralité dans le service


Le principe de laïcité produit certaines conséquences à l’égard des usagers du service public de l’enseignement.
Dans un avis rendu le 27 novembre 1989, le Conseil d’État avait considéré que le port d’un signe religieux
n’était pas « par lui-même » contraire au principe de laïcité, tout en admettant des restrictions possibles de la
liberté religieuse des élèves sur le fondement de l’ordre public ou des exigences liées au bon fonctionnement
du service public. La loi du 15  mars 2004 a remis en cause cette jurisprudence en insérant un article
L. 141-5-1 dans le Code de l’éducation qui interdit aux élèves des écoles, collèges et lycées publics de
porter des signes manifestant ostensiblement leur appartenance à une religion. Le Conseil d’État a précisé
ultérieurement que cette interdiction s’appliquait également aux signes et tenues démontrant une affiliation
religieuse par le simple comportement de l’élève (CE, 5 déc. 2007). En revanche, le port de signes religieux
discrets reste autorisé. Il convient de préciser que la loi de 2004 a été jugée compatible avec l’article 9 de la
Convention EDH (CEDH, 30 juin 2009, Aktas, Ghazal, Singh et autres).

219
En guise de conclusion, il sera relevé que deux débats ont trait, actuellement, à la portée du principe de laïcité
à l’égard de l’enseignement public. La première porte sur une éventuelle extension du champ d’application
de la loi du 15 mars 2004 à l’Université, étant rappelé que la Cour EDH a admis que l’interdiction du port

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du voile dans les universités turques était compatible avec l’article 9 de la Convention EDH (Cour EDH, Gde
ch., 10 nov. 2005, Leyla Sahin). La seconde concerne la situation des accompagnateurs et accompagnatrices
de sorties scolaires. Dans une étude rendue en décembre 2013, suite à une saisine du Défenseur des droits,
le Conseil d’État a estimé que la neutralité ne leur était pas applicable puisqu’ils ne sont ni des agents de
DROIT PUBLIC

l’État, ni des collaborateurs du service public. Néanmoins, il a estimé que les directeurs d’établissements
pouvaient les inviter à ne pas manifester leurs convictions religieuses au nom des exigences de bon
fonctionnement du service public.

Question 3 : La réunion des deux chambres sous la Ve République (6 points)

L ’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que le Parlement est composé de deux chambres :
l’Assemblée nationale et le Sénat qui participent toutes deux à l’exercice de la souveraineté nationale (Cons.
const., 9 avril 1992, Maastricht). Si elles siègent en principe séparément, ces deux chambres peuvent être
exceptionnellement réunies pour exercer certaines attributions définies par la Constitution.

I - La réunion du Congrès
QRC 5

En premier lieu, les deux chambres peuvent être réunies en «  Congrès  » dans trois hypothèses. Tout
d’abord, lorsque le chef de l’État exerce son droit de message sur le fondement de l’article 18 alinéa 2 de
la Constitution. Le discours donne lieu à un débat mais non à un vote ce qui traduit le principe de
l’indépendance et de l’irresponsabilité du Président devant le Parlement. Ce mécanisme largement inspiré
du « discours sur l’état de l’Union » pratiqué aux États-Unis, a été introduit dans la Constitution par la
révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il permet ainsi d’établir un rapport direct entre le président
de la République et les élus de la Nation, tirant les conséquences de la présidentialisation du régime. C’est
précisément parce qu’il tendrait à exacerber le présidentialisme que le droit de message a été fortement
critiqué, notamment par la gauche, en 2008. L ’ironie du sort a voulu que ce soit dans le cadre de l’article 18,
al. 2 de la Constitution que F. Hollande s’adresse au Congrès, au lendemain des attentats du 13 novembre
2015. Quant au Président Emmanuel Macron, il a annoncé sa volonté de réunir le Congrès chaque année
pour préciser les grands axes de sa politique, sur le modèle du discours sur l’état de l’Union prononcé
annuellement par le Président des États-Unis.
Ensuite, le Congrès peut être réuni à Versailles, sur le fondement de l’article 89 de la Constitution, afin
d’approuver une révision constitutionnelle. En effet, si, en principe, les propositions et les projets de loi
constitutionnelle doivent être soumis à référendum ; par exception, le président de la République a la
faculté, pour les seuls projets de révision, de les faire approuver par le Congrès à la majorité des trois-
cinquième des suffrages exprimés. En pratique, seules deux révisions sur vingt-quatre ont été approuvées par
un référendum depuis 1958 : en 1962 pour l’élection du président au suffrage universel direct et en 2000
pour le quinquennat. C’est dire si la procédure, théoriquement exceptionnelle, est devenue, en pratique, la
procédure de droit commun. Enfin, le Congrès peut, depuis 2008, approuver dans les mêmes conditions de
majorité l’entrée d’un nouvel État dans l’Union européenne, ce qui permet là encore d’éviter l’organisation
d’un référendum, lequel était systématiquement exigé depuis la révision constitutionnelle du 1er mars 2005.

220
II - La réunion de la Haute Cour
En second lieu, les deux chambres peuvent être réunies en « Haute Cour » afin de se prononcer sur une

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éventuelle destitution du chef de l’État sur le fondement de l’article 68 de la Constitution en cas de
manquement grave à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice du mandat. La destitution est
prononcée dans le respect des règles procédurales fixées par ce même article ainsi que par la loi organique
du 24 novembre 2014. La réunion de la Haute Cour résulte de l’adoption par chacune des deux chambres

DROIT PUBLIC
statuant séparément de propositions de résolutions ayant cet objet, dans un délai de quinze jours à la
majorité qualifiée des deux-tiers. La Haute Cour dispose alors d’un délai de un mois pour se prononcer
sur la destitution. Cette dernière ne peut être prononcée par la Haute Cour qu’à la majorité qualifiée des
deux-tiers. Le vote a lieu à bulletins secrets et les votes blancs, nuls ainsi que les abstentions comptent
automatiquement contre la destitution. Il est à noter qu’afin de mieux affirmer le caractère exclusivement
politique de la responsabilité du chef de l’État devant la Haute Cour, la Commission de réflexion présidée
par Lionel Jospin a proposé, dans son rapport remis à François Hollande en 2012, de remplacer le terme de
« Haute Cour » par celui de « Congrès ».

QRC 5

221
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NOTE DE
SYNTHÈSE

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LES ERREURS JUDICIAIRES
EN MATIÈRE PÉNALE

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(ANNALES CONCOURS ENM 2019)

NOTE DE SYNTHÈSE
SUJET
Rédigez, à partir des documents joints, une note de synthèse de quatre pages environ sur les
erreurs judiciaires en matière pénale

Liste des documents

Document n° 1 : Eléments de diagnostic de l’erreur judiciaire à la lumière de l’analyse des


systèmes, par Claude Lienhardt (extraits)
Document n° 2 : Les erreurs judiciaires, mémoire de DEA présenté par Aline Ficheau (extrait)
Document n° 3 : Pour une politique active de prévention des erreurs judiciaires, Philippe Astruc
Document n° 4 : Le nouvel âge de l'erreur judiciaire, par Denis Salas (extrait)
Document n° 5 : Réflexions sur l’erreur judiciaire, Christine Lazerges
Document n° 6 : L’effet d’ancrage ou l’apport de la psychologie cognitive à l’étude de la décision
judiciaire, Julien Goldszlagier
Document n° 7 : Rapport fait au nom de la commission d’enquête chargée de rechercher les
causes de dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des
propositions pour éviter leur renouvellement (extrait)
Document n° 8 : La réduction des risques d’erreurs et des dysfonctionnements dans l’organisation
judiciaire : une approche européenne, Jean-Paul Jean
Document n° 9 : L’erreur judiciaire, Florence Bussy
Document n° 10 : Vous jurez de n’écouter ni la haine, ni la méchanceté… Les biais affectant les
décisions de justice, Arnaud Philippe
Document n° 11 : Les erreurs judiciaires et leurs causes, par Maurice Lailler, Henri Vonoven,
1897 (extrait de la table des matières)

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CORRIGÉ

Selon Paul Ricoeur, l’acte de juger suppose d’opiner, d’estimer, de tenir pour vrai ou juste, afin de prendre

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position. Cette définition, précisée par Habermas qui l’envisage comme un « agir juridictionnel », intègre
inévitablement la possibilité d’erreur (doc. 5).
Appréhendée comme le reflet d’un système, la question de l’erreur judiciaire en matière pénale est

NOTE DE SYNTHÈSE
aujourd’hui centrale. L’intérêt qui y est porté traduit alors l’importance qu’a prise la Justice dans la société
française contemporaine (doc. 4).
Bien que les définitions et les causes de l’erreur judiciaire soient toujours en débat (I), de nombreuses
réflexions portent sur les moyens permettant d’en éviter la réalisation (II).

I - L’erreur judiciaire en matière pénale : des définitions et des causes


en débat
La notion d’erreur judiciaire est évolutive et débattue tant dans sa définition (A) que dans ses causes (B).

A - LA DÉFINITION DE L’ERREUR JUDICIAIRE, TRIBUTAIRE DE L’ÉVOLUTION DE LA SOCIÉTÉ

La définition de l’erreur judiciaire se révèle aujourd’hui, en droit, insatisfaisante. En effet, la définition


donnée par le Professeur Cornu, bien que constituant la référence, ne semble plus correspondre à la réalité.
Celle-ci ne prenant en compte ni l’erreur de droit, ni l’erreur dans l’analyse des éléments de fait, fait naître
un premier débat quant aux contours de la notion (doc. 3).
En outre, la notion d’erreur judiciaire a évolué en même temps que changeait la perception de la société
à l’égard du système judiciaire. Longtemps envisagée comme la condamnation d’un innocent, voire
comme un outil au service du pouvoir politique, l’erreur judiciaire est aujourd’hui perçue à travers les
dysfonctionnements d’un système. L’erreur ne résulte plus d’un choix politique. Elle ne sert plus à dénoncer
une justice de classe comme avaient pu le faire Sartre et Foucault dans les années 1970, mais constitue
la manifestation d’une défaillance souvent involontaire, et, partant, d’une mauvaise protection du corps
social (doc. 4). L’affaire d’Outreau est un exemple de cette évolution. En effet, au sens strict, aucune erreur
judiciaire n’avait été commise dans ladite affaire. La voie de l’appel ayant permis d’acquitter l’ensemble des
mis en cause, il s’agissait davantage d’un dysfonctionnement, ce qui n’a pourtant pas empêché de parler de
« fiasco judiciaire » (doc. 5).

B - LES CAUSES DE L’ERREUR JUDICIAIRE, MULTIPLES ET DÉBATTUES ELLES AUSSI

Dès 1897, la doctrine relevait de multiples causes à l’erreur judiciaire. Ont ainsi pu être identifiés la passion
publique, les témoins, les experts, le déroulement de l’instruction et de l’audience ou encore l’inégalité
entre l’accusation et la défense (doc. 11). Les discussions autour des causes de l’erreur judiciaire persistent
aujourd’hui. D’une manière générale, la pression accrue pesant sur le système judiciaire semble réduire
d’autant la tolérance à l’égard de ses défaillances (doc. 4). Le phénomène de judiciarisation, perceptible
partout en Europe, a conduit à une multiplication des affaires à traiter, laquelle influe sur la qualité de
la justice rendue. D’autant plus que celle-ci ne dispose pas nécessairement des moyens adéquats. C’est

277
notamment ce qu’a pu dénoncer un magistrat de la cour d’appel de Rennes qui, au moment de sa prise de
poste, a été contraint de faire face à un retard d’audiencement de près de cinq ans (doc. 8).
De manière plus précise, l’absence de travail en équipe a également pu être analysée comme une cause

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d’erreur judiciaire. L’isolement du magistrat dans ses fonctions ne permettrait pas la remise en question
de ses pratiques et, en conséquence, la prévention de certaines erreurs judiciaires. Des nuances peuvent
néanmoins être apportées concernant les magistrats du parquet (doc. 7). Encore, le défaut de transmission
NOTE DE SYNTHÈSE

d’informations lors de la succession d’un magistrat à son prédécesseur a pu être identifié comme participant
aux risques d’erreurs judiciaires (doc. 7). Enfin, certains biais cognitifs, tel le biais d’ancrage, ont pu être
analysés comme une source d’erreur judiciaire. Des études en psychologie ont ainsi pu mettre en exergue
l’importance que le juge accordait aux premières informations qui lui étaient communiquées, au détriment
des dernières paroles accordées à l’accusé (doc. 6). Certains auteurs ont même pu considérer que les
informations transmises par les médias les jours précédant un verdict influaient sur la décision rendue
(doc. 10).

II - L’erreur judiciaire en matière pénale : des moyens pour l’éviter


Face aux risques d’erreur judiciaire la procédure demeure une garantie (A), tout comme restent essentiels
le rôle personnel du magistrat et son environnement (B).

A - LA PROCÉDURE COMME GARANTIE CONTRE L’ERREUR JUDICIAIRE

La prévention des erreurs judiciaires se fait au premier chef au moyen des règles procédurales, même si
celles-ci ne doivent pas être surévaluées dans leur efficacité (doc. 1 et 9). Sont principalement concernés
le principe du contradictoire, le principe de collégialité et l’obligation de motivation des décisions de justice
(doc. 9). Bien que des études psychologiques aient estimé que la collégialité constituait une condition
insuffisante pour résister au biais d’ancrage, son extension au stade de l’instruction a pu être envisagée
suite à l’affaire d’Outreau (doc. 5 et 6). Reste que pour être efficace, celle-ci doit être réelle et non fictive
(doc. 5). De même, si le principe du contradictoire participe à la prévention des erreurs judiciaires, il ne
doit pas être idéalisé et peut être biaisé par les biais cognitifs (doc. 6). Enfin, les experts ont également un
rôle à jouer en termes de garantie contre l’erreur judiciaire dès lors qu’ils constituent une aide impartiale et
scientifique pour les magistrats. Néanmoins, cette aide ne semble pertinente qu’à la condition que l’expertise
soit compréhensible par les juges et les jurés et qu’elle puisse être totalement fiable (doc. 2).
Au-delà, la Cour européenne des droits de l’homme a dégagé des standards de qualité à partir de l’article 6
de la Convention. Il en va ainsi du respect des principes du procès équitable qui permettent de définir des
conditions de jugement. Ces standards doivent permettre aux États membres de présenter le maximum de
garanties face aux risques d’erreur judiciaire. Ils doivent ainsi permettre d’éviter des situations comme celle
de l’arrêt Makhfi où l’audience avait duré au total 17 h 15 (doc. 8).

B - LE RÔLE PERSONNEL DES MAGISTRATS ET L’IMPORTANCE DE LEUR ENVIRONNEMENT

Parce que le juge est avant tout un humain, l’erreur judiciaire semble inéluctable (doc. 5). Confronté à ses
propres difficultés personnelles, tel qu’un divorce, ou à la fatigue, le magistrat peut être déstabilisé dans son
travail (doc.1). Un moyen de prévention général peut être trouvé dans la culture du doute. Cette dernière
impliquant humanité et humilité chez les magistrats, doit aboutir à l’éthique du juge tendant à toujours

278
reconnaître chez le justiciable « un prochain » et à aborder les éléments présentés avec prudence (doc. 3
et 5). Quant au biais d’ancrage, le juge est appelé à s’en prémunir, notamment en s’obligeant à considérer
les opposés (doc. 6).

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Encore, et au-delà des moyens budgétaires et humains qui doivent être renforcés, la mise en place de
structures d’analyse de risques pourrait constituer une garantie efficace. Certains auteurs ont ainsi pu
suggérer de recourir à des audits processuels (doc. 1). D’autres ont également proposé de développer des

NOTE DE SYNTHÈSE
cellules d’analyse des « accidents judiciaires ». Ces dernières conduiraient à une analyse systématique des
erreurs judiciaires et auraient pour mérite de restaurer le lien de confiance que les citoyens doivent avoir
avec leur système judiciaire (doc. 3). Enfin, l’erreur judiciaire peut être évitée grâce à l’exercice des voies
de recours (doc. 5).

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ENM
CONCOURS 2020

La publication de cet ouvrage est toujours un Les devoirs corrigés (compositions de culture
événement pour les candidats aux concours générale, compositions juridiques en droit pénal
de l’ENM, d’autant que ces mêmes concours et en droit civil, cas pratiques de droit pénal et
ont été réformés pour 2020. Il est le fruit d’un de droit civil, questions dissertatives en droit
partenariat éditorial entre le Groupe ISP et public et note de synthèse) qui constituent cet
Lextenso/Gualino, deux signatures de réfé- ouvrage sont autant d’application d’une méthode
rence pour les étudiants en droit. qui répond à ces fameuses « exigences du jury ».
C’est ensuite le constat réalisé par les ensei- Citons parmi celles-ci la capacité de l’étudiant à
gnants de l’ISP qu’il n’y a pas de continuité entre comprendre, derrière le sujet apparent, quel est en
le cursus juridique universitaire et l’admission fait le sujet caché.
aux concours de l’ENM. Dans la réalité, le can- Au final, ces 31 devoirs corrigés (sujets d’annales
didat qui réussit est celui qui sait décoder le et sujets originaux) constituent d’innombrables
logiciel des concours ENM, celui qui en détient occasions pour s’entraîner et se préparer avec
les clés, c’est-à-dire les exigences spécifiques efficacité à réussir les épreuves d’admissibilité du
de chacune des épreuves d’admissibilité. concours de l’ENM.

Prix : 30 €
ISBN 978-2-297-07483-4
www.gualino.fr

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