Les Affaires D'haiti 1883-4 Louis Joseph Kanvier

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•CD AFFAIRES D'HAiTI


(1883-1884)
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PAR

LOUIS-JOSEPH JANVIER

DEUXIEME EDITION

F LES EDITIONS «PANORAMA


1926 Rue du Peuple, No. 127
J35 ?0RT-AUJ»RINCE — HAÏTI
1885A
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ROBA
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University of Ottawa

http://www.archive.org/details/lesaffairesdhaitOOjanv
LES

AFFAIRES D'HAÏTI
(1883-1884)

PAR

LOUIS-JOSEPH JANVIER

DEUXIEME EDITION

LES EDITIONS « PANORAMA »


Rue du Peuple, No. 127

PORT_AU-PRINCE — HAÏTI
A LA GRANDE BLESSEE î
n « LES AFFAIRES DUAITI 1883-1884 «

sième |Kar lequel ils proclamaient la déchéance de M. le Gé-


néral iSalomon^ président constitutionnel de la République
iiaïtîeniie.

Le mandat en vertu duquel ils rendaient ces décrets qui le


leur avait conféré? Le peuple souverain, disaient-ils en tête
de ces décrets.
Où et àr quelle heure, comment et à quel jour avaient-ils
reçu ce mandiat? Personne ne le sait.

Pour motiver le décret de déchéance, ils| faisaient au pré-


sident les reqproches d'avoir gaspillé les ressources de l'Etat

accru la dette intérieure et la dette extérieure de la R^u-


blique, violé le secret des lettres^ violé la Constitution et les

lois ordinaires.

Cl est bon de faire observer que, d'âpre la Cmistitution de


1867, seul programme économique et politique de ces insur-
gés^ aussi bien qu'aux termes de la Constitution de 1879 la-

quelle est actuellement en vigueur et qu'ils répudiaient, en


se fondant sur on ne sait quel droit imaginaire, chimérique,
le président d'Haïti n'est pas responsable; que le moindre de
ses actes pour être valable^ exécutoire, doit être contresigné
par un ministre qui en répond devant le Parlement; que sa
déchéance ne peut être prononcée que par la Chambre des
Députés et le Sénat réunis en Assemblée nationale.
Dès les premiers jours d'Avril, la viUe de Miragoâne était

cernée de très près par les troupes du gouvernement.

Le 23 Mai, la ville de Jérémie se mit en rébellion contre


l'autorité légitime. Elle le fit en publiant un manifeste de
griefs d'une logique plus que bizarre et qui contient notam-
ment cette phrase à l'adresse du magistrat suprême que la
nation tout entière représentée par ses mandataires, agissant
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » HI

par eux daiis la plénitude des droits souverains au-dessus


desquels! il n'est point d'autres, s'était donné, pour sept ans,
au mois d'Octobre 1879: «La Révolution s'impose en deh<n*s
de ce que vous appelez malicieusement NATIONAUX ET
LIBERAUX- Elle est tout à fait étrangère aux dénominations
de partis politiques.»
Les rebelles de Jérémie peu versés dans la terminologie

politique ignorant qu'un président de la république ne peut


que doiuier sa démission et qu'un souverain seul peut abdi-
quer le pouvoir, terminaient leur curieux manifeste en récla-
mant du président d'Haïti son abdication.
Le 16 Juillet eut lieu à Port-au-Prince la capitale, la séance
d'ouverture du Parlement.
M, le Sénateur Montasse Président de l'Assemblée natio-
nale, prenant la parole au nom du pays légal, adressa au pré-
sident un discours où, entre autres choses il lui disait ceci:

«Président au moment où, la session extraordinaire close,


la paix publique assurée Votre Excellence envisageait sérieu-
sement et sans illusion la situation difficile de la République^
et après avoir demandé afin d'y remédier, le concours de
toutes les bonnes volontés sans exception allait adopter, pour
soumettre au corps législatif, les mesures les plus propres à
améliorer les finances du pays et à diminuer sinon à faire
disparaître dans un avenir prochain le malaise générai qui
l'oppresse; au moment où les grands pouvoirs publics, le chef
de l'Etat le premier voulant contribuer au relèvement de n©s
finances j venaient de donner l'exemple du sacrifice en aban-
donnant une partie de leurs traitements et indemnités, c'est

à ce moment que des enfants d'Haïti, toujours dévorés d'am-


bition et se disant animés du meilleur i>atriotisme, sont venus
tout remettre en question en se jetant âsaas la plus aventu-
IV « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

reuse et dans la plus criminelle des entreprises: ils ont allumé

la guerre civile qui est pour un peuple le plus affreux des

suicides!

«Nous n'avons pas, Monsieur le Président, à nous étendre


ici surj cette grave et douloureuse conjoncture.

«Le bon sens public fait justice de cette tentative. Est-ce


que presque toute la république n'a pas prouvé par de con-
solantes adresses déposées entre vos mains qu'elle est avec
votre gouvernement (1)?
«L'Assemblée nationale vous donne Monsieur le Prési-

dent, par mon organe, l'assurance de sa ferme volonté de


concourir avec vous à tout ce qui tendra au rétablissement
de la paix publique, au relèvement de nos finances, à la ré-

génération de la Patrie».
Comme pour narguer l'Assemblée nationale, la ville de
Jacmel imita le fâcheux exemple qu'avait tracé la ville de
Jérémie.
Le 23 Juillet^ Jacmel articula ses griefs par un manifeste
aussi inepte dans le fond que ridicule et filandreux en la

forme et dont voici un passage qui vise encore la seule


persomie irresponsable du gouvernement, le Président:

«Vous avez violé le secret des lettres, oubliant que l'U-

nion Postale vous regardait indignée, et que chaque mot


qu'on lit dans une lettre est un viol de la propriété »

(1) Nombre d^adresses de communes avaient été publiées avant le

23 Mai, date de la rébellion de Jérémie; les autres communes de la

République envoyèrent les leurs qui jurent publiées avant le 23

Juillet, date de V insurrection de Jacmel. Ces adresses parurent toutes

dav^ Le Monitem-, journal officiel de la République haïtienne.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » V

Par son magnifique et patriotique message en date du


25 Juillet, l'Assemblée nationale répondit à l'insurrection

de Jacmel. Le président du Congrès s'exprima ainsi: «L'As


semblée nationale, d'après l'exposé de la situation diffici-

le que vient de lui faire le Président d'Haïti en personne,


tant sous le rapport financier que politique du pays, re-

connaissant la justesse de ses appréciations patriotiques et


voulant lui domier tous les éléments nécessaires pour con-
jurer cette malheureuse situation^ lui donne maintenant
un nouveau témoignage de confiance, et se déclare prête
à le seconder dans tout ce qu'il pourra entreprendre pour
sauvegarder la paix et ramener la confiance dans le pays.»

Il ressort clairement des faits ci-dessus exposés que la

très grande majorité du pays, soutenue par tout le pays

légal blâmait la conduite coupable des deux villes qui s'é-

taient prononcées dans le même sens que les prétendus


libéraux de Miragoâne.

On a toujours appliqué, et bien à tort, aux insurgés de


Miragoâne, de Jérémie et de Jacmel la qualification col-

lective de libéraux. On vient de voir que ceux de Jéré-


mie raisonnables en quelque sorte au milieu de leur déraison^
refusaient d'accepter ime dénomination politique quelconque,

attendu que de progranune politique ils n'en avaient aucim.

Quelques naïfs pour lesquels c'est ime jouissance exquise


que de vivre dans l'ignorance, quelques candides pour les-

quels c'est une délectation sans seconde que de se complaire


dans l'erreur se figurent encore que les singuliers libéraux

dont il est ici question furent et restent les plus patriotes, les

plus intelligents, les plus instruits, les plus doux, les plus
VI « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

probes les plus délicats, en un mot^ les plus parfaits des Haï-
tiens.

Jacmel avait été complètement investie avant la fin du


mois de Juillet. Vaincus, le 3 août, dans im combat qu'ils

soutinrent contre les troupes du gouvernementales rebelles

de cette ville furent refoulés en désordre vers l'iintérieur


de la place. Pour assouvir leur vengeance, ils massacrèrent
de sang-froid quatorze citoyens, officiers et fonctionnaires

civils, qu'ils tenaient en prison comme otages et dont le seul

dime était leur attachement bien connu au gouvernement

€(Mistitutionnel.

Nom contents de cet exploit^ ils pillèrent la Trésorerie na-

tionale.

Au commencement du mois août^ entra dans la rade de


Jacmel le steamer anglais de la Malle Royale qui porte aux
Antilles le courrier d'Europe.

Les insurgés volèrent les lettres^ les décachetèrent, les lu-

rent, et par excès de maladresse et de cynisme, osèrent

publier celles des particuliers.

Durant que les trois villes révoltées se débattaient contre

les murailles humaines qui, chaque jour, se resserraient et

s'épaississaient autour d'elles, le 22 Septembre, une émeute


éclatait à Port-au-Prince. Elle fut réprimée avec vigueur.

Une explication est ici nécessaire.

Quelles étaient au point de vue de la métaphysique po-


litique, de la philosophie sociale, les causes de l'insurrec-

tion?...
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » VU

«Il y a deux sortes de guerres civiles: les unes qui sont


des guerres d'organisation intérieure et qui ont lieu durant
la grande période de développement des peuples; les autres

qui sont des guerres de désorganisation sociale et qui é-


clat^it durant la période d'affaissement et de décadence
(1).-

De toutes les luttes intestines qui ont éprouvé Haïti de-


puis son indépendance, la dernière, plus qu'aucune autre,
peut être rangée dans la catégorie des guerres civiles d'orga-
nisation intérieure. Les preuves à l'appui de cette manière de
voir abondent dans ce livre.

Ainsi que l'a magistralement démontré un des plus émi-


nents professeurs de l'Ecole des Sciences Politiques qui
m'ait directement honoré de ses conseils, M. Funck-Bren-
tano, «la cause des luttes intestines des peuples durant leur

période d'organisation^ c'est cette organisation même» (2).

«La coordination des efforts^ dit-il^ le travail, la fortune pri-

vée et publique ne s'établissent point au sortir de l'état sau-


vage et barbare sans des revendications violentes; l'intelli-

gence des passions et des caractères ne se développe pas


sans frottements, et par conséquent sans désordres; les

croyances ne cimentent les peuples qu'après que les divergen-


ces originaires ont été brisées; les mœurs et les coutumes
les institutions sociales et politiques ne s'affermissent point
sans que la réciprocité des devoirs auxquels elles remontent
n'ait été souvent mise en question. Il faut, en un mot, pour

(1) Funck^Brentaiio. «La Civilisaticm et ses Lois», page 402.

(2) Funcfc_Brentauo. «La Civilisation et ses Lois», page 403.


VIII « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

qu'un peuple parvienne à sa plus grande puissance d'activité

sociale, que tous les éléments de désordres et les traces des


époques sauvages et barbares aient disparu^ disparition qui

ne peut avoir lieu que par la violence. Aucun peuple au


monde ne s'élève à la coordination la meilleure) de ses efforts,

à l'intelligence des caractères et des passions^ à l'uniformité

des croyances et à de fortes institutions^ sans des tâtonne-


ments infinis et des secousses profondes. Il faudrait que dès
l'origine il eût la science infuse; qu'il fût civUisè sans l'être.»

L'histoire entière de la civilisation atteste que ces paroles


sont autant de fortes que d'exactes vérités.
La morale qu'un penseur peut tirer de la connaissance de
ces faits, c'est que les nations vieilles auraient dû se montrer

bien plus indulgentes qu'elles ne le sont généralement pour

les jeunes peuples qui essaient de marcher sur leurs traces,

pour les sociétés, pour les races neuves qui ne font qu'entrer
dans la route qu'elles ont déjà entièrement parcourue.

On ne doit point se dissimuler que l'importance des inté-

rêts économiques et sociaux qui, l'année dernière^ entraient

en lutte en Haïti, l'emportait de beaucoup sur celle des inté-

rêts politiques qui étaient en jeu.

C'est ce qui explique^ sans l'excuser aucimement^ la condui-


te coupable tenue à l'étranger par quelques individus nés en
Haïti qui ont volontairement émigré de ce pays et dont la

plupart ne l'avaient abandonné que momentanément^ avec

idée de prompt retour.


Dès le mois d'Avril, dès après que la nouvelle du débarque-
ment opéré à Miragoâne eut été connue à l'extérieur, des
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884» IX

groupes de politiciens haïtiens qui vivaient à la Jamaïque, à


Saint-Thomas, aux Etats-Unis, en France^ adressaient foule
de lettres anonymes et de télégrammes aux journaux de ces

divers pays pour diffamer le gouvernement d'Haïti.


Un jeune peuple a besoin de sa bonne réputation pour
prospérer pour grandir. Il doit impitoyablement clouer au
pUori de son histoire tous les félons^ tous les renégats; il doit

flétrir à jamais pour l'enseignement des générations futures,


les noms des insensés et des traîtres qui, à l'étranger, se cons-
tituent les assassins de l'Honneur collectif-

Connaissant l'immensité du préjudice dont le crédit du


peuple haïtien tout entier a eu à souffrir par suite de criti-

ques injustes dirigées contre ses gouvernements antérieurs il

me sembla qu'il ne m'était pas permis de laisser amoindrir une


nouvelle fois en Europe le capital immatériel, le prestige,

l'honneur de mon pays même par ses fils, que ceux-ci fussent
ignorants ou bien renieurs. Four tous les politiques sérieux^

ce n'est jamais le gouvernement qu'on insulte^ ce ne sont ja«

mais les gouvernants qu'on hait ou qu'on méprise au dehors ;

c'est la natiom Tous les patriotes vraiment dignes de ce titre

qui résident ailleurs que sur le sol natal ne reconnaissent


qu'un seul drapeau : celui du gouvernement légal, légitime du
gouvernement accepté, reconnu par toutes les puissances avec
lesquelles il entretient des rapports.

Dans plusieurs journaux de Paris appartenant à des nuan-


ces politiques différentes où je possédais des amis influents,
je fis campagne pour renseigner toutes les fractions de l'opi-

nion, pour défendre la renommée politique des administra-


teurs de ma patrie, afin de conserver à celle-ci l'amitié, l'esti-

me et le respect auxquels elle eut toujours droit.


X « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

Je réunis aujourd'hui mes articles publiés en France l'année


dernière les faisant suivre de ceux qui parurent ou qui de-
vaient paraître dans les colonnes des journaux d'Haïti,
Au tout j'ajoute un plan de politique rigoureusement natio-

nale et scientifique.
On n'écrit pas froidement quand la patrie est meurtrie, en-
sanglantée ruinée par la guerre civile; alors que nul ne lui

rend justice et que tous la menacent; quand on sent qu'elle va


perdre son indépendance.
Je ne m'excuse point. J'explique.
J'aime ma patrie et ma race de furieuse amour. Je les ai

défendues avec toute la fougue que je mets à les armer. EUle

ne saurait m'être reprochée par les patriotes, les politiques et

les penseurs.

Citoyen haïtien, jouissant de la plénitude de mes droits et

connaissant toute l'étendue de mes devoirs, j'ai agi de mon


propre mouvement et selon ma conscience, de proj>os déli-

béré et selon mes convictions.


J'entends endosser l'entière responsabilité de mes actes.

D'où qu'elles viennent ou puissent venir, les injures et les me-


naças me laissent et me laisseront froid.

Je ne mendie pas plus les compliments que je ne redoute les

rancunes et les colères.

La patrie ne me doit rien : Je n'ai fait que mon devoir.

LlS-iJos-Jver.

Paris le 4 Septembre 1884.


LIVRE PREMIER
PRESSE FRANÇAISE
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » U

CHAPITRE I

(d'Avril à Septembre 1883)

LES SiTUATIONS

LA VERITE SUR LES AFFAIRES D'HAÏTI.

20 Avril 1883.

n y a quelques jours des télégrammes datés de New- York


annonçaient qu'une révolte venait d'éclater en Haïti contre le
gouvernement constitutionnel du général Salomon (1).

D'autres télégranunes datés de Washington — mais fabri-


qués à Paris^ — ont porté à la connaissance du public la nou-
velle de la défaite des troupes que lei gouvernement avait
envoyées contre les mutins (2).

La petite ville de Miragoàne qui^ seule^ est aux nuiins des


insurgés n'est pas plus grande que le jardin du Luxembourg :

or d'après un avis officiel reçu d'Haïti par la voie de la Ja-

maïque et publié par la légation haïtieime de Paris, elle était

(1) Ces télégrammes en dates des 11^ 12^ 13 airril furent insérés sur

plusieurs journaux de Paris, notamment sur la LIBERTE du 13 Avril,

le RAPPEL du 14 Avnl, la LIBERTE du 14 Avril le RAPPEL du 15

Avril, la LIBERTE du 15 Avril, le RAPPEL du 16 AvnL


(ij Le RAPPEL du 15 Avril.
12 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

étroitement cernée dès les premiers moments de sa ré-


bellion (1).

L.e succès des troupes du gouvernement ne saurait être dou-

teux.

On a aussi essayé de faire croire que le général Salomon.

président d'Haïti était l'élu d'une fraction de la nation haï^

tienne et qu'il était cruel (2). Double erreur! M. Salomon a

été porté à la première magistrature à la presque unanimité


des votes librement exprimés du Parlement de son pays; de
tous ceux qui ont occupé le pouvoir en Haïti. — depuis 1804, —
il est certainement un des plus cléments^ un des plus probes,
lui des plus patriotes un des mieux intentioimés un des plus
populaires et incontestablement le plus instruit et par consé-
quent le plus capable de faire le bien et de conjurer le mal.

La démocratie haïtiemie si honnête et si pleine de bon sens


toute la masse de la bourgeoisie intelligente et sérieuse qui a

des intérêts matériels à sauvegarder^ la Chambre des représen-


tants et le Sénat de la république antiléenne ont pleine con
fiance en lui; et si — par impossible — il venait à descendre

du pouvoir même par un effet de sa propre volonté, avant l'ex-


piration de son septennat constitutionnel^ on peut demeurer
persuadé qu'aucun autre ne saurait occuper le fauteuil prési-

(1) Le RAPPEL du 16 Avril

(2) La LIBERTE du 14 Avril, On y lit : «Cii assure que les insurges

qui se sont emparés de Miragoâne sont des mulâtres qui se sont révoltés

contre le gouvernement nègre du président Salomon, à la suite des

cruautés commises par ce dernier."

Ce télégramme a été certainement rédigé par un Haitien,


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »
13

dentiel ni plus dignement ni plus longtemps que lui. - Le peu-


ple liaitien sait cela, et voilà pourquoi son concours moral et

son dévouement effectif le plus absolu sont entièrement acquis


au seul gouvernement qui donne et peut maintenir une paix
durable, la quiétude, la stabilité, le travail et par conséquent la
richesse dans la grande république noire de 1» mer des An-
tilles.

Quant aux Haïtiens indignes de ce nom qui salissent à Paris


l'homieiu- de leur patrie, — aidés en cela par quelques coupe-
jarrets de la finance, — ils en seront pour la ruine de leurs
espérances, aussi inavouables qu'insensées et coupables et leur
conduite, aussi ininiîelHgente qu'elle est antipatriotique sera
énergiquement flétrie par la nation haïtienne tout entière qui
n'aime point les traitres et qui méprise les renégats.

F.t il» signe

Dr. Louis Joseph Janvier


(d-Haïti) (1)

(1) In PAPILLON du 29 avril. Mes articles étaient signés de mon nom,


en toutes lettres. Dans ce livre, et seulement pour ne pas trop la répé_

ter, je ne maintiens ma signature qu'au has des articles dont la phrase

finale est construite de -façon telle que la signature, en en faisant pour


ainsi dire partie intégrante, ne peut être supprimée sans qu^il n'y ait, eu

quelque sorte, faute de logique.


14 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

II

EN HAIT!

Un Haïtien^ résidant à Paris depuis plusieurs années, M,


Louis Joseph Janvier^ nous communique, à propos d'un récent
article que nous avons publié (1)^ une lettre de M. Chancy,
secrétaire du conseil des ministres d'Haïti^ sur les événements

dont la petite république nègre est actuellement le théâtre.


Voici d'après cette lettre, quelle est la situation exacte du
pays :

«Le 27 Mars dernier, cent six exilés, parmi lesquels MM.


Boyer Bazelais et Boileau Laforest ont débarqué à Miragoane
et se sont emparé dfe cette petite ville. A la nouvelle de cette
audacieuse tentative le président Salomon a envoyé des trou-

pes qui ont cerné Miragoane par terre tandis que deux vais-
seaux de guerre bloquaient le port. Les insurgés sont donc en-
fermés dans la place sans aucun espoir d'être secourus. Aux
dernières nouvelles, les troupes régulières se disposaient à
bombarder la ville rebelle.

«La lettre ajoute que la popularité du président Salomon


s'accroît de jour en jour et que le triomphe du gouvernement
ne fait pas l'ombre d'un doute.
«Nous souhaitons sincèrement que l'avenir ne vienne pas dé-
mentir les pronostics optimiste^ de M. Chancy. Aussi bien.
Haïti^ où Ton parle notre langue et où nos compatriotes ont
toujours trouvé le meilleur et le plus cordial accueil a droit à
toutes nos sympathies.
«Malheureusement^ il en est de l'histoire comme de la me

(ï.jl Voir la FRANCE du 28 Avnl


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 ..
15

téorologie : Le temps passé est un sérieux indice pour prévoir


le temps futur.
«Sans doute il y a des exceptions. Il peut arriver un mo-
ment où les calculs les? mieux établis sont détruits par les évé-
nements. L'histoire du Mexique, pendant ces dernières années
en est un exemple concluant.
«Ce beau et sympathique pays qui semblait pour toujours
livré aux révolutions chroniques^ a dû au dernier président^
Porfirio Diaz^ et à son successeur Gonzalès de goûter de lon-
gues années de paix. Aujourd'hui le pli est pris et se conser-
vera.

«Le général Salomon parviendrait-il à jouer en Haïti, le

rôle réparateur que Diaz a joué au Mexique? Nous osons


l'espérer^ sur la foi de nos( honorables correspondants et nous
ajouterons que c'est là un de nos plus chers souhaits (1).»

(1) Aitisi qit'on peut s^en ass^irer en lisant, la FRANCE dxi 30 Avril^

cet article est de M. Lucien Nicot. La lettre dont il est ici question ht'

fut communiquée afin de détruire le mauvais effet qu'aurait pu produire


son article du 28 où il parlait des <idém,entis singuliersy> adressés à In

presse par la légation d'' Haïti à Paris. Le chef de cette légation, M. Char,
les Villevaleix, n^avait pas osé affirmer que l'insurrection serait répri,

mée.
16 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

III

NOUVELLES D'HAÏTI (1)

Le Joui-nal des Débats (numéro du 20 Mai) nous mettait au


courant de la situation politique de la Ucpublique haïtiemie
par les phrases suivantes :

«La malle partie de Port-au-Prince le 24 Avril nous appor-


^

te le Moniteur Off ciel d'Haïti du 14 Avril.


«L'organe du gouvernement dément la plupart des bruits
semés en Europe et aux Etats-Unis à l'occasion du coup de
main de Boyer Bazelais sur Miragoâne. Il nie notamment que
les généraux de l'armée régulière, A. Prophète Lindor^ P.E.
Laporte, Lamartinière aient été tués; que les généraux H, Pi-
quant et Vériquain aient passé aux insurgés; que les villes de
Cap-Haïtien de la Grande- Rivière du Nord du Port.de-Paix
du Môle Saint Nicolas de Jérémie^ de Jacmel, se soient pro-
noncées contre le gouvernement régulier; enfin que le général
I, Michel Pierre secrétaire d'Etat de la guerre, délégué du
gouvernement dans les départements du Nord et du Nord-
Ouest^ ait été contraint de fuir et se soit rendu du Cap aux
Gonaives.»

Le MONITEUR nie également que le général Salomon chef


de l'Etat, soit malade et mourant^ comme on en avait fait courir

le bruit. Il ajoute :

«La vérité sur la situation, la voici : Le reste de la Républi-

que est très calme, les populations des villes et des campagnes^

s'occupent paisiblement de leurs travaux.

«Quant aux troupes qui opèrent contre la ville de Mira-

(î) — Le Rappel du 23 Mai


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 > 17

goâne elles continuent à se montrer dignes des chefs qui les


commandent. Miragoâne étant très accidentée et présentant

des positions assez difficiles^ il a fallu de la méthode^ de la pa-


tience et de la persévérance pour les occuper.

«Ces positions étaient déjà en possession des insurgés quand


se présentèrent les forces du gouvernement; et grâce à la com-
pétence de nos généraux au courage de nos soldais et par

suite de vigoureuses attaques faites par eux, ils se sont


rendus maitres de ces positions telles que le pont de Miragoâ-
ne, le carrefour Desruisseau le fort Brice et le morne Blanc.
Aujourd'hui^ les insurgés sont parqués sur un seul point de 1î«

ville assiégée^ vu le péril qui les menace ailleurs attendant


ainsi le châtiment qui ne tardera pas à les frapper.

«Le gouvernement en aurait déjà fini avec les insurgés s'il

avait bombardé la ville de Miragoâne; mais, en raison des preu-


ves de fidélité que les habitants de cette ville lui donnent par
le vide obstiné qu'ils font autour de Bazelais^ Lafcrest et les
leurs, il a hésité à recourir à ce moyen. Il a hésité d'autant
plus à le faire^ que la ville de Miragoâne n'a été que trop
éprouvée déjà par de fréquents incendies.»
Le lendemain, on pouvait lire ceci dans trois journaux du
matin :

«Washington^ 20 Mai»,
«D'après les derniers avis d'Haiti les rebelles auraient battu
les troupes du gouvernement dans plusieurs rencontres impor-
tantes.

«L'insurrection gagne du terrain.»

Ce télégramme dit tout le contraire de la vérité et les jour-


naux qui l'ont inséré l'ont fait parce qu'ils ne s'étaient point
aperçus qu'il avait été rédigé à Paris le jour même et qu'on
18 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

l'avait fabriqué pour répondre à l'article des DEBATS et pour


détruire le bon effet qu'il aurait pu produire.
Les auteurs de ces nouvelles alarmantes, s'ils sont des Hai-
tieuîs, montrent qu'ils n'aiment point leur patrie et ils font
moins encore l'affaire des insurgés de Miragoâne qu'ils pensent
servir.

Si — par impossible^ — ceux-ci arrivaientau pouvoir et y


restaient, le crédit du commerce et du gouvernement haïtiens
ébranlé à l'étranger les empêcherait de rien entreprendre pour
améliorer la situation économique et sociale du peuple haï-
tien.

En de certaines circonstances, la politique


du silence est la
meilleure.
En l'occurrence surtout où la parole
est aux événements
- et toute aux événements, - je rappelle aux patriotes haï^
tiens de Paris que le silence est d'or
<c LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 ».
19

IV

L'EMEUTE D'AQUIN (1)

Le dernier courrier venant dTHaïti nous apporte les nou-


velles suivantes :

Les insurgés de Miragoâne sont réduits à la dernière extré-


mité. Us n'ont plus de vivres et leurs munitions sont épuisées.

Miragoâne est en flammes. Le général Henri Piquant conduit

le siège avec la plus grande vigueur. Sous peu, la ville sera

prise d'assaut.

L'arrondissement de la Grande-Anse a été mis en état de


siège et les rebelles de Jérémie seront bientôt faits prison-
niers.

Une émeute avait éclaté à Aquin; elle a été réprimée avec


autant de célérité que de vigueur.
Le reste du pays jouit du calme le plus parfait.

Le popularité du Président Salomon est plus grande que ja-

mais. Partout son nom est acclamé avec le plus sincère en-
thousiasme.
La majorité de la nation haitienne veut la paix. Elle n'en-
tend plus se laisser tromper par les conspirateurs et les rené-
gats qui après l'avoir ruinée l'insultent à l'étranger.

(l) Le PARIS du 30 Juin : «En Haiti-.- Voir aussi LE VOLTAIRE du


ÎO Juin, le RAPPEL du 30 Juin et L'INTRANSIGEANT du 2 Juillet,
20 « LE3 AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

QUESTIONS haïtiennes (1)

Paris 5 Juillet
j

Monsieur,
Permettez-moi de répondre quelques mots à un article qui a
été publié dans la «France»^ ces jours-ci sur la question haï-
tienne^ et qui fourmille d'erreurs historiques et géographi-
ques.

On a insinué que le droit était pour ceux qui^ le 27 Mars


dernier avaient surpris la petite ville de Miragoâne et s'en
étaient emparé sans coup férir. C'est là une erreur et voici

qui le démontre : le général Salomon a été élu président de la


République haïtienne par la Chambre et le Sénat réunis en
Assemblée nationale. Le mandat prési<3entiel lui est confié

pour sept ans. La Chambre et le Sénat se réunissent en ce mo-


ment à la capitale, et la Constitution de 1879^ qui n'est nulle-
ment calquée sur la Consititution fédérale des Etats-Unis mais
qui ressemble bien plutôt aux lois constitutionnelles françaises
de 1875^ est en pfeine vigueur dans toute l'étendue de la Ré-
publique, excepté sur les territoires des deux arrondissements
de la Grande-Anse et de Nippes, lesquels sont déclarés en état

de siège parce qu'y sont situées les villes de Miragoâne et de


Jérémie occupées en ce moment par les insurgés.

D'aucuns répètent que M. Salomon est imbu de préjugés de


couleur et qu'il nourrit des rancunes contre les mulâtres
d'Haïti. Rien n'est plus faux. Dans un discours qu'il a pronon-

(1) Le PARIS du 6 Juillet


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »>
21

ce à Port-au-Prince, le 29 Avril de cette année, il a fait justi-

ce de toutes ces calomnieuses et sottes imputations. Il a insisté

sur ce fait, à savoir que sa femme était une blanche, une Pa-
risienne, et que, s'il avait eu des enfants, d'elle, ceux-ci se-

raient des mulâtres; il a montré combien sa conduite avait été


magnanime envers tous ceux qui, pendant vingt ans, l'avaient
tenu éloigné du sol natal, qui avaient fa't fusiller ses parents
et qui l'avaient injurié alors qu'il était pauvre, seul, abandon-
né sur la terre d'exil. Il aurait pu ajouter que son ministre da
l'intérieur M. Ovide Cameau était un mulâtre; que le repré-
sentant d'Haïti à Washington, M. Preston. était un homme de
couleur aussi blanc de peau qu'un Belge; il aurait pu faire

observer que tel était aussi le cas de M. Charles Villevaleb:.

le ministre résident d'Haïti à Paris et à Londres; que tel était

le cas de M. Thomas Madiou l'intérimaire du ministère de la

guerre, lequel est titulaire des portefeuilles de la justice et des


cultes. Nombre d'officiers commandant les divisions adminis-
tratives de la République sont des mulâtres, entre autres le

général Fontange Chevalier qui est à la tête de l'arrondisse-

ment des Cayes, où il déploie un zèle très louable au service du


chef constitutionnel. D'ailleurs ainsi que M. Schoelcher l'a-

vait déjà prouvé et ainsi qu'il est rapporté dans mon livre in-

titulé : «La République d'Haïti et ses Visiteurs » les noirs


r'ont jamais eu de préjugés de couleur; au contraire ce sont
eux qui en ont toujours souffert (1).

M. Salomon a si peu pillé le Trésor, ainsi qu'on l'en accuse,

(1) Après la répressiœi de ViTisurrection et le 16 Février 1884, le gé^

néral Faiitange Chevalier, dmis un discours qu'il prarumiçait aux Cayes

devant un nombreux axuditoire disait textuellement ceci, {l'adressant au

président Salomon : «Vos ennemis, les ennemis du pays ont voulu divi-
22 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

que c'est grâce à son administration que les capitaux français

commiencèrent à circuler en Haïti^ cela depuis qu'il y a fondé


une Banque Nationale laquelle fait toutes les opérations de
trésorerie de la République,

Les échanges de cette «De merveilleuse», qui d'ailleurs «ne


produit plus dte sucre» ces échanges s'annonçaient brillants

pour cette année, et ce sont les insurgés de Miragoane^ dont


le premier soin a été de déclarer par décret dit révolutionnai-

re (?) que tous Ites impôts étaient abolis^ ce sont eux qui pa-

ser les enfants d'Haiti en s'appuyant s^cr une ridiciile question de nuan,

ces. Ils ne veulent pourtant qu'une chose : asservir une majorité d'hom-
mes inoffensijs',

A ces nobles paroles qui partaient d'un coeur généreux et fraiiic, le

président d'Haiti répondait en ces termes : «Puisque le général Cheva^

lier qui est mulâtre me parle de cette question de couleur^ je vais vous

en dire quelques mots, mes amis : J'ai dit quelque part que les libéraux

avaient voulu ^vous ramener à la fuiieste époque de la lutte entre Tous-

saint et Rigaud: qu'ils voulaient jaire revivre la question du nègre et du


mulâtre. C^est, en effet, ce qu'ont tenté Boyer Bazelais et les ^ns. Dans
cette pensée, ils se sont adressés à tous mes lieT.i tenants qui so^it mulâ_

très. Ils ont écrit au général Séide Télémaque, inulâtre au général Che-

valier, mulâtre, au général Larrieux^ mulâtre, au général Turenne Jean

Gilles, mulâtre, au général Hérard Laforest, mulâtre au député Bréa,

m.ulâtre, pour insimier qu'ils ne devaient pas servir un gouvernemev.t


dont le chef est un noir. Mes lieutenants^ officiers d'Jumneur, patriotes

sincères, m'ont tous envoyé les lettres qtii leur avaient été adressées,

dans ce but criminel par Thoby Délinois, Camille Bruno et tant d'au,

très.

«La preuve que l'insurrection qui vient d'être a^iéantie avait pour
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »
2Z

ralysent pour l'instant les affaires commerciales de tous les


ports d'Haïti.

Ces «homiêtep» gens» n'ont aucun respect des lois qu'ils

croient au-dessous d'eux. Ils savent que le Sénat et la Cham-


bre sont les principaux gardiens de la Constitution; ils n'igno-

rent point que ces deux Chambres ont seules le droit d'agir ai:

nom de la Constitution; ils savent que c'est au Parlement haï-

inohilc la question de couleur, c'est que cinq noirs sexdement se tron-

vaient parmi les quatre_vingt-dixjnnt insurgés débarqués à Miragoâne

le 27 Mars de Vannée dernière: c'est que dxins Jérémie. dans Jacmel. sur

chaque centaine d'insurgés, on ne comptait à peine^ que dix noirs; et


c'est la inêtne proportion qu'on a remarquée lors de l'emharqueinent à
Port-au-Prince des insurgés du 22 Septembre qni étaient réfugiés dans

les divers consulats de cette ville. On sait qu'ici, aa/x Cayes, un individu
s'était chargé de recruter des mulâtres pour Vinsurrection, Cet individu

payait le passage des jeunes gens de couleur qu'il dirigeait sur les villes

rebelles. On le connait celui-là et gare à lui,

"Mais heureusement que les insensés, les criminels de la ba^ide baze„

laisiste sont en petit nœnhre ainsi que viennent de le prouver les

événements. Et c'est grâce aux efforts des noirs et des jaunes, grâce à

Ventente qui a constamment régné entre eux, que Vitisurrection est vain-

cue et que la faction libérale est à jamais anéavtie,

«Ma dernière recommandation, ma dernière prière^ en descendant d^

cet autel de la Patrie, est un suprême appel que je vous fais, mes amis :

Restons à jamais unis et vivons en frères!^ (Moniteur haHtien du 1er,

Mars 1884).

Toute la question du préjuge de couleur en Haïti est pour ainsi dire

éliicidée en ces quelques phrases de MM. Chevalier et Saiomon, On voit

maintenant pourquoi les insurgés de Jérémie refusaient de prendre toute


24 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

tien qu'appartient le devoir de régler les libertés nécessaires

au peuple Haïtien dont il est le mandataire formel, et pour-


tant^ méprisant les amnisties présidentielles, ils ont mieux aimé
livrer leur patrie qu'ils disent tant aimer à toutes les chances,

à tous lies dangers, à toutes les tristesses, à toutes les horreurs


à toutes les désolations de la guerre civile.

Les véritables libéraux sont ceux qui respectent la loi qui


n'ont d'autre arme que l'article de journal^ le livre^ la parole.

dénomination politique et n'élaboraient aucun prograimne éconoviique.

en fait de couleur politique ils n^en avaient qu'une ; La couleur plus on


tnoins foncée de leur peau. On conviendra qiLe pour les politiques qui

sont doublés de philosophes et de penseurs, pour les liommes d'Etat se.

rieux, la raison n'est pas suffisante.

Qu'on ne s^y trompe point d'ailleurs, le préjv.né de couleur du mulâ-

tre contre le noir n'est que le prétexte habilement mis en avant; derrié_

Te lui se dissimule toujours le vrai motif de toute insurrection : la prise

de possession du pouvoir et la remise de ce pouvoir à un mulâtre ou îi

un noir ignorant qui devient un rnannequin politique entre les mains de

ses ministres mulâtres.

Que les antinationaux ne viennent pas parler de principes, de lïbéra-

lism>e : Ils n'ont pas de principes sociaux et ne sont nullement des lihé^

Taux, C^est ce que les artisans, les paysans sentent très bi&n^ et voilà

pourquoi le pouvoir des chefs mulâtres n^a jamais été que précaire; voilà

potirquoi ils n'ont jamais pu bâtir que sur du sable. Ils n'auront jamais

la confiance du vrai peuple, s'ils ne prouvent, au préalable, par toute

une existence de labeurs, par une condiùte pleine de respect pour les

lois du nombre et pour la loi écrite, que le préjugé de couleur ne fit ja-

mais partie de leur bagage politique. Puissent^ils me comprendre pour le

plus grand bien de la patrie.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »
25

le bulletin de vote, et qui, dans aucune circonstance ne veulent


livrer leur pays à la guerre intestine à l'anarchie.

Les insiu"gés n'occupent que le littoral de la ville de Jérémie


et un quartier de la ville âe Miragoane. Le gouvernement est
si peu avide de leur sang si plein de mansuétude^ qu'il vou-
drait les porter à se rendre par la famine plutôt que d'ordon-
ner im assaut dans lequel nulle vie ne serait épargnée.
De toutes parts de nombreuses adresses sont couvertes de
sigiiatiures des Haïtiens les plus marquants et les plus honora-
bles et elles sont envoyées au président d'Haiti pour l'assurer
de la confiance de la nation; les commerçants étrangers ont mis
spontanément un million à la disposition du gouvernement, et

ils ont fait remettre au président la plus flatteuse de ces


adresses.

On a soutenu que depuis 1804 il y avait eu soixante dix ré-


volutions en Haïti. Cette assertion est tellement ridicule

qu'elle en est puérile ou sénile. Au fond, il n'y en a jamais eu


qu'une seule : c'est celle que Salomon vient d'opérer en Jan-
vier de cette année en faisant prendre une loi agraire aux ter-

mes de laquelle les propriétés de l'Etat seront morcelées de


mamère que chaque paysan puisse devenir propriétaire fon-
cier.

Des chefs d'Etat haitiens dont il est parlé de façon fort

inexacte Péiion resta onze ans au pouvoir comme président et


comme dictateur, Christophe pendant treize ans et Boyer
pendant vingt cinq ans.

En France, depuis Louis XV^ aucun chef n'a exercé la su-


prême magistrature pendant vingt cinq ans.

Faustin Soulouque^ président en 1847^ empereur en 1849,


abdiqua en 1859; Geffrard sur le compte duquel on est fort mal
26 « LES AFFAIRES D'KAITI 1883 — 1884 »

renseigné en Europe, fut président pendant huit ans^ et Nissa-


§e Saget est resté à la présidence pendant le terme quadrien-
nal que la Constitution lui avait assigné.

Le général Salomon fera son septennat.

De même que M. Salomon tous les ministres qui sont ac-


tuellement au pouvoir sont animés des meilleures intentions
envers la France et Us songeaient à resserrer les liens qui les

rattachent au pays où tous ont vécu et où plusieurs ont étu-


dié quand ils ont été traversés dans leurs projets pacifiques
et civilisateurs.

Un mot pour finir : La maison d'arrêt de Port-au-Prince ne

peut pas contenir douze cents prisonniers les empilât-on les


uns sur les autres. Quelques suspects politiques ont été mis en
état d'arrestation, mais ils seront tous relaxés dès que l'insur-
rection aura mis bas les armes c'est-à-dijre sous peu.
Toutes ces nouvelles je les donne d'après les lettres et les

journaux que j'ai directement reçus de Port-au-Prince et du


Cap-Haitien aussi bien que d'après les documentisi imprimés
qui m'ont été envoyés je ne sais d'où et par qui^ mais qui par-
tent tous le timbre dé la Jamaique.
Tous ceux en France qui aiment leur pays et qui s'intéres-

sent à l'avenir d'Haiti et de la ratfe noire doivent désirer


qu'aucune guerre civiîe ne déchire à nouveau ce jeune peuple
qui fait tant d'efforts pour mériter l'estime^ la sympathie et le

respect des vieilles nations où ^le envoie ses fils puiser l'esprit
de tolérance^ le respect de la volonté nationale et de la loi la

patience l'amour des siensi poussé jusqu'à l'abnégation, au sa.


crifice^ et les liunières politiques qu'ils devront mettre plus
tard au service de la patrie.
-

« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 ».


27

VI

LE PARLEMENT HAÏTIEN

«Le Dr. Louis Joseph Ja;îvicr (d'Haïti) nous communique les

nouvelles suivantes qu'il vient de recevoir de son pays par le


dernier bateau arrivé des Antilles (1) :»

L'Armée du gouvernement opérant devant Miragoâne occu-


pe toutes les hauteurs et tous les forts qui dominent la Basse
Ville dernière retraite des révoltés. Cernés de tous côtés,
n'ayant point de vivres point de munitions et aucun moyen de
fuite, leur position n'est plus tenable.
La ville et la commune des Abricots sont au pouvoir fe
troupes depuis le 24 Juin. Le 27 Juin elles ont occupé le fort
Marfranc. La ville de Jérémie se trouve resserrée au point de
ne pouvoir tirer des vivres du dehors. Son port est en état de
blocus. Menacée par la famine et le bombardement Jérémie
ouvrira ses portes avant longtemps. Les insurgés, d'ailleurs,
sont divisés et les commerçants de cette ville qui craignent
d'être ruinés^ sont en pourparlers avec eux pour les amener à
se rendre avant l'assaut.

Le reste de la République haitienne jouit du calme le plus

parfait.

Le 2 Juillet^ ime imposante manifestation se produisait dans

les rues de Port-au-Prince.


Le 6 Juillet^ la Chambre des députés s'est réunie dans la
salle de ses séances et a coi^titué son bureau.
D'un autre côté sur trente nïembres dont se compose le Sé-

(1) Le RAPPEL du 1er Août.


28 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

nat, v:rgt-deux étaient présents à la capitale et la session

allait s'ouvrir.

Le gouvernement est assez fort pour n'être pas rigoureux


envers les égarés; il épuisera les voies de conciliation pour les
ramener par la douceur.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 29

VII

LES AFFAIRES HAÏTIENNES (1)

n a paru dans le Moniteur des Consulats, du 4 Août^ un


article injurieux pour le caractère politique et pour la person-

ne du général Salomon^ président d'Haiti. La place nous man-


que pour relever toutes les erreurs géographiques, historiques
et politiques que contient cet article.

Toutefois il faut éclairer l'opinion publique en France afin

qu'elle ne soit point trompée par ceux qui ont intérêt à le

faire. Le général Salomon, ancien ambassadeur d'Haiti près la

cour des TuUeries sous l'empereur Napoléon III^ est certaine-

ment l'homme politique haitien dont la carrière est la plus lon-

gue la plus glorieuse et la mieux remplie. C'est un esprit cul-

tivé ferme et conciliant; depuis trois ans qu'il occupe la prési-

dence, il a rendu à son pays d'éminents services de ces ser-


vices qui comptent dans la vie d'un peuple. H a permis l'intro-
duction des capitaux français en Haïti pour la création d'une
Banque Nationale; il a fait entrer le pays dans l'Union moné-
taire latine (2)^ dans l'Union du mètre français^ dans l'Union
internationale d'es postes et par ainsi, il l'a entièrement lancé
dans le courant de la civilisation moderne.
Il est président constitutionnellement élu pour sept ans. La
Chambre des députés et le Sénat réunis à Port-au-Prince en
cemoment participent avec lui à la confection des lois et

(1) La PATRIE du 10 Août 1883.

(2) Si nous n'y sommes point encore^ la faute en est à M. Damier, Il

serait à désirer que la Chambre et le Sénat lui fissent rendre compte de


sa gestion.
30 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

veillent à l'observance de la Constitution de 1879 qui est eu


pleine vigueur.

Comme on ne peut articuler contre lui aucun grief politique

sérieux, on essaie de reproduire contre le président Salomon


le reproche qu'on a adressé à plusieurs de ses prédécesseurs :

celui de s'appuyer sur la plus nombreuse fraction du peuple


haitien pour gouverner l'Eîtat. Il n'agit pas autrement qu'on
agit ailleurs et que n'agiraient ses détracteurs si^ par impossi-
ble ceux-ci arrivaient au pouvoir. On ne gouverne pas avec
les minorités, si insolentes soient-elles.

Les ennemis du président d'Haïti le calomnient quand ils ré-

pètent qu'il n'aime pas les mulâtres. Voici des preuves : Mme
Salomon est une blanche^ née Française; le ministre de la
Justice et le ministre de l'Intérieur les ministres résidents
d'Haiti à Paris et à Washington sont des mulâtres. H en est

de même de bon nombre des fonctionnaires civils et militaires

qui entourent M. Salomon et qui ont été nonunés par lui aux
charges qu'ils occupent ou conservés dans celles qu'ils occu-
paient (1).
Les rebelles qui se tiennent dans les deux petites villes de
Miragoâne et de Jérémie, sont étroitement cernés par les trou-

pes du président légal qui n'attendait qu'un vote des Cham-


bres pour en finir complètement avec l'insurrection.

(1) Ces arguments, présentés comme réponses à des calomnies souvent

repn-oduites, seront souvent répétés.

Toutes les redites qite l'on poxirrait rencontrer dans ces pages écrite!7

d^ailleurs au jour le jour, sans plan arrêté, aa husard de la polémique.

sont des ripostes à des redites. Elles peuvent être regardées co^nvie abso_
lument nécessaires et légiUrties; les articles eux-mêmes doivent être

considérés comme absolument isolés les uns des attires.


« LEJ AFFAIRES D'HAÏTI iSS3 — 1884 » 31

Le départentent du Sud est tout acquis à l'ordre de choses


établi par les deux Chambres du Parlement haïtien; et, d'ail-

leurs témoin les nombreuses adresses qui sont envoyées au


président de tous les points de l'Ile d'Haiti, la majorité paisible

et travailleuse entend soutenir^ par tous les moyens^ le gou-


\ emement constitutionnel qui lui assure la paix^ la sécurité et

le travail et qui seid peut les lui garantir à l'avenir.

Le président Salomon sait trop ce qu'il se doit à lui-même et

ce qu'il doit à sa patrie et à sa race pour ne pas faire respec-


ter la loi et pour ne pas remplir son devoir jusqu'au bout.
32 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

VIII

« LA VICTOIRE NOUS RESTERA! (1) »

Les journaux d'Haïti apportent de ce pays le: nouvelles sui-

vantes :

Les deux Chambres du Parlement haitien sont réunies à

Port-au-Prince. Elles ont modifié l'article 31 de la Constitu-


tion afin d'armer le gouvernement de pouvoirs suffisants pour
la répression de la révolte et pour le châtiment des rebelles et

de leurs complices qui ont tenté d'incendier la capitale.


La ville de Miragoâne est cernée plus que jamais, et les in-

surgés loin d'en pouvoir sortir pour marcher sur Léogane,


songent au contraire, à s'enfuir ou se donnent la mort.
Jérémre privée de munitions et privée d'eau, est sur le point
de capituler.
Dans sa séance du 25 Juilîet, l'Assemblée nationale, par un
vote unanime et d'acclamation, a donné au président d'Haiti
une nouvelle marque de sa confiance; elle a déclaré, par un
message, qu'elle était prête à seconder le président Salomon
dans tout ce qu'il pouvait entreprendre pour sauvegarder la

paix et ramener la sécurité dans le pays.


Dans la nuit du 23 Juillet, quelques meneurs qui s'étaient
réfug'és au consulat anglais de Jacmel, en sont sortis et ont

pris les armes dans cette ville. La population des campagne?,


sur laquelle ils comptaient, n'a pas répondu à leur appel. Dès
le 28 la ville éîiait étroitement investie par les forces du gou-
vernement, à la tête desquelles se trouve le général Parlan- .

qué.

(1) LE NATIONAL du 30 Août 1883. Haïti,


« I ES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 33

Le 3 Août se voyant vigoureusement attaqués et chassés des


remparts quHls avaient élevés à la hâte^ les insurgés se sont

repliés sur le centre de la ville.

Entourés dans leurs nouvelles positions ils ont assassin»

dans les prisons plusieurs vaillants officiers et honorables ci-

toyens dont le seul crime était leur fidélité au gouvernement


constitutionnel (1).

L'acte de sauvagerie commis par les soi-disant libéraux d;

(1) Voici le texte de la proclamation adressée au peujolc et à Varmé


jxir le président de la République haïtienne pour porter à leiir coanair^

sance la noi^ivelle des événements dont Jacmcl jut le théâtre dans lus

premiers jours du mois d'Août :

Haïtiens,

Les insensés qui, à Miragoâne, à Jérémie et à Jacmel, sont en armes

contre le gouvernement légal et au nom, disent-ils des principes de Ut

liberté et de la civilisation, viennent de donner la preuve la pluus écki^

tante qu'ils ne sont pas seulement des rebelles: ils sont aiLSsi et sn.irtou

des assassins!!!

Attaqués à Jacmel par les forces du gouvernement le 3 de ce mois t)

dix heures du matin^ et refoulés dans leurs derniers retranchements, ces

misérables ont assouvi leur vengeance en égorgeant dans les prisons de


cette ville les lieutenants et les amis d« gouvernement qu'ils avaient
surpris au moment de leur prise d'armes, le 23 du mois dernier.
Les victimes, dont le seul crime était leur fidélité ati, gouvernement
constitutionnel, sont : les généraux Joachim \/ériquain, chef de mon
état.major, délégué du gouvernement dans l'arrondissement de Jacmel:
Millien Jean^Jacques fils, commandant l'arrondissement: Pierre-Augustin

Désiré ancieii commandant de l'arrondissement; Miaille Jean-Jacqiies.

directeur de l'arsenal: Village Hilaire^ chef de la police administrative,

Kernisan Etienne, contrôleur à la douane; Joinisse Sanmerville. sous.chcf


34 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

Jacmel a provoqué par toute la République une explosion d'in-


dignation contre les scélérats qui en ont été les auteurs et
contre leurs partisans.
La nation haitienne veut la paix. De tous les côtés, on de-
mande au gouvernement de mettre promptement fin à la ré-

ie la police administrative; Merlo Maliqiie, dit Dumay, directeur de

Vhôpital militaire; le citoyen Leclerc Merlo, comptable au Trésor de Jac-

mel et d^autres citoyens.

Haïtiens,

Un tel acte dépasse les bornes de l'imagination, lorsqu'on se rappelle

surtout que le général Vériquain une des malheureuses et regrettées

victimes de cette triste journée^ a toujours été respecté de ses ennemis

tnêmes; qu'il a toujours couvert de sa protection et qu'il avait com,hlé

de bienfaits ses assassins d^ aujourd'hui.

Le général Vériquain, comme les généraux Désiré, Millien Jean..

Jacques et autres ont d'autant moins mérité le sort qui leur a été fait à

Jac7nel, quHls se sont toujours conduits dans l'accomplissement de leurs


devoirs, de façon à satisfaire et le gouvernement et la société de
Jacmel.

Le gouvernement, tout en poursuivant énergiqueinent la répression

des révoltes de Jacmel, de Jérémie et de Miragoâne dénonce au pays et

au monde ciinlisé le crime de Jacmel, contraire même à toutes les lois

de la guerre.

Ha^itiens,

Vou^ avez été témohis de toutes les mesures qite j'ai prises pour évi-
ter de terribles rnalheurs; à ma modération les rebelles ont répondu par

un abominable assassinat, par le massacre de plusieurs de mes lieute.

liants.

En face de cette nouvelle sitUM,tion que me créent ces iTisensés, je


,

« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »


35

bellion en ordonnant qu'on enlève d'assaut les villes de Mira-


goâne de Jérémie et de Jacmel. Il en sera ainsi fait car la
mesure est comble. '

Les criminels qui occupent ces trois villes seront punis de


façon exemplaire.

n''oublierai pas mon devoir: je l'accomplirai à la satisfaction de la patrie

dont les destinées m'ont été librement confiées,

Mimgoâne, Jérémie et Jacmel, ces repaires d^assassins, se sont abrites

sous le viême étendard.

C'est au nom de Bayer Bazelais, qu'ils se sont prononcés contre mon


gouvernement. Une guerre à mort est donc déclarée entre eux et le pays
dont je suis le chef; la victoire nous restera!!

Vive la souveraineté du peuple!


Vive la constitution!

Vivent la paix et la tranquillité!

Donné au Palais Nationnl de Port-au-Prince, le 6 Août 1883 an 80e de

l'indépeiuiance

SALOMON

Après avoir rapporté le texte de cette proclaimition, l'Evé>:ement du. 30

Août le faisait suivre de ces quelques lignes :

^Tous les Haitiens réprouvent les criminels attentats d^une poignée de

jactieux. Le président de la République reste fort de Vappui du Parle,

ment et de l'armée,

ail est probable que le prochairi courrier d'Haïti nous apprendra la

déroute des rebelles, refoulés dans leurs derniers retranchements et la

fin de l'insurrection,'»
,

36 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

IX

LA REVOLTE EN HAÏTI (1)

La «France» d'hier a publié un article iiititulé La Révolution


d'Haïti.

Cet article contient autant d'inexactitudes que celui qui

avait paru à la date du 3 Juillet cîemier dans les colonnes du


même journal et sous la même signature. Documents officiels

en mains, on peut prouver que la bonne foi de son auteur a

été surprise.

n y est dit que le président d'Haïti, le général Salomon,


«ancien ambassadeur à Paris, est un noir; qu'il a les défauts

de sa race, et que c'est un vrai tyranneau».


Peu de gens en sont à savoir que les plus grands tyrans dont
l'histoire ait enregistré les noms n'appartenaient nullement à

la race noire (2).


Pour traiter des questions haïtiennes, il ne suffit pas d'avoii

quelques vagues notions sur l'histoire d'Haïti laquelle est des

plus épineuses et demande ime étude particulière et très

approfondie.

(1) Le PARIS du 1er. Septembre J893,

(2) Tibère, Néron, Héliogabale^ Pierre le Cruel, Charles IX. Henri

VIII, César Borgia furent des tyrans dont VEuropc occidentale ne sauraii

oublier les nœns. Ils n'étaient pas des nègres. Je défie qu'on cite le norn

d'un seul chef noir qui les ait égalés en férocité. Il serait grand tempr.
ow'oii fût juste indulgent envers la race noire; qu^on l'innocentât sur-

tout de tous les crimes et forfaits dont il était de mise autrefois de char
<jer la mémoire de ses types les plus étninents ou les plus célèbres.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »
37

Selon le signataire de l'article, le président Boyer gouverna


«douze ans Haiti» et le lit «avec économie et modération».

U y a là une triple erreur historique, Boyer occupa la pré-


sidence pendant vingt-cinq ans^ du 30 Mars 1818 au 13 Mars
1843; ce fut un tyran; il n'arriva au pouvoir que par l'intrigue

et n'y resta qu'en énervant le peuplé et en le privant de toute


lumière; sa politique extérieure d'une parfaite ineptie fut la

plus funeste à la ination haïtienne; et elle est cause de toiu;

les malheurs actuels. - Puis donc, la présidence d'Haiti n'est


pas un fief héréditaire !

M. Boyer Bazelais, le chef des rebelles de Miragoâne^ est

un homme dont l'esprit est tellement «ouvert et éclairé» et «il

partage tellement» les idées politiques qui ont cours dans les
«pays les plus avancés d'Europe», qu'il n'a pas craint de dé-

chamer la guerre civile sur son pays^ déjà tant éprouvé par les
luttes intestines. A cette heure^ le ccnunerce et l'agriculture

chôment^ toutes les écoles sont fermées, tout travail est sus-
pendu parce que ce factieux croit avoir reçu du ciel la mission
de diriger les destinées de la nation haïtienne cela contraire

ment au voeu du peuple qui l'a chassé en 1879 et dont les


mandataires directs sont en ce moment réunis à Port-au-
Prince^ autour du chef constitutionnelîement élu.

Au fond, M, Boyer Bazelais n'a pas plus «de grande intelli-

gence» que de «bon jugement» et son prétendu libéralisme


n'existe qu'en paroles. Son obstination singulière à vouloir
escalader le pouvoir^ même en versant le sang de ses conci-
toyenSj prouve qu'il a tous les instmcts despotiques de son fu-
neste aïeul le président Boyer.
^
Quand on est vraiment inteUi-
gent et sincèrement libéral on arrive au pouvoir autrement
38 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 >»

qu'en désolant sa patrie par la grue^re civile et. en la faisant

avilir à l'étranger.

Contrairement à ce qu'on avance^ la Banque Nationale


d'Haïti fondée au capital de dix millions de francs, dont cinq
ont été souscrits à Paris fonctionne admirablement. EUe est

sipeu ruinée qu'U y a trois mois à peine elle distribuait un


dividende de dix pour cent à ses actionnaires français, les-

quels peuvent tous en témoigner.


Notre contradicteur est fort mal renseigné quand il écrit

que c'est «à la prise de Jérémie» que les rebelles ont fait

passer par les armes sept généraux faits prisonniers.

La vérité la voici : Quatorze prisonniers tant civils que mi-


litaires dont le seul crime était leur fidélité au gouvernement
constitutionnel ont été lâchement et froidement massacrés
dans les prisoiis de Jacmel par les soi-disant libéraux de cette
viUe^ après qu'Us y {eurent levé l'étendard de la révolte contre
l'ordre des choses régulièrement établi.

Cet acte inqualifiable commis par ces prétendus «honnêtes


gens», a soulevé contre eux et leurs partisans une indignation
générale dans toute la République.
On ne peut rien attendre de M. Boyer Bazelais. Sa candida-
ture à la présidence est tuée à jamais. Si par impossible il

montait au pouvoir il en serait immédiatement renversé. Il

n'obtiendra jamais la confiance et l'estinne du peuple que ses

partisans maladroits font insulter chaque jour en Europe et en


Amérique.
Jacmel^ Jérémie et Miragoâne sont les trois seules places
occupées par les insurgés. Elles sont étroitement investies tou-
tes trois, et^ au lieu de songer à marcher sur Port-au-Prince
par la route de Léogâne, ces malheiu^ux égarés de Miragoâne
;< LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 >»
39

se suicident meurent de faim et de soif ou vont faire leur


soumiission entre les mains des assiégeants.

Ces trois villes seront l'une après l'autre bombardées et em-


portées par les forces de terre et d'e mer du gouvernement^
aussitôt qu'arrivera dans les eaux haïtiennes le navire de
guerre que l'Etat vient d'acheter aux Etats-Unis.
La Chambre et le Sénat^ expression du vote libre de la ma-
jorité de la nation resteront en session permanente à la capi-
tale. Es ont déclaré par un message en date du 25 Juillet der-

r.ier qu'ils étaient prêts à seconder M. Salomon «dans tout ce


qu'il pourra entreprendre potu- sauvegarder la paix et rame-
ner la confiance dans le pays».

L'Assemblée nationale, en séance solennelle du 27 Juillet, a

modifié l'article 31 de la Constitution et a remis^ par cela mê-


me au président d'Haiti les armes dont il avait besoin pour
donner une leçon au parti dit libéral qui à vrai dire n'est

composé que de prétendus aristocrates^ vaniteux et anarchis-


tes, lesquels se croient trop grands seigneurs pour obéir aux
lois et d'un certain nombre de simples hommes du peuple fa-

natisés par les premiers.

Avant peu «l'affaire sera décidée d'une façon définitive»,

mais en faveur du parti de la légalité de l'ordre et de la re-


présentation nationale.
40 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 •

L'INSURRECTION HAÏTIENNE (1)

«Le Dr. Janvier^ qui nous a déjà communiqué d'intéressanîs


renseignements sur l'insurrection d'Haiti^ nous adresse aujour-
d'hui la communication ci-dessous^ qui démontre combien sont

I>eu libérales et démocratiques les revendications des fac-


tieux:»

Miragoâne, Jacmel et Jérémie sont trois villes situées à de


grandes distances l'une de l'autre. Elles sont étroitement in-

vesties par les troupes du gouvernement. Aucun autre point du


territoire n'a imité leur exemple. On peut être certain que la
révolte sera comprimée, pour le plus grand bien de la pairie.

Les officiers et employés qui ont été massacrés par les insur-

gés de Jacmel servaient un gouvernement légal^ constitution-

nellement établi et fonctionnant constitutionnellemenl. Ils

étaient plus honorables que tel des prétendus libéraux de Mi-


ragoâne. A tous les points de vue ils ne valaient pas moins
que ceux qui sont cités conune des patriotes intègres et intellj

gents^ encore qu'ils appartiennent au parti dit libéral.

La Chambre et le Sénat^ en session à Port-au-Prince, sont


composés d'hommes instruits qui tous comprennent leurs de-
voirs; leur patriotisme et leur courage civique sont à toute
épreuve, et au-dessus de tout éloge.
Sij par impossible^ le parti soi-disant libéral avait le desssus

il ne pourrait dissoudre le Parlement sans violer la constitu-

(1) L'EVENEMENT du 11 Septembre 1883. C'est une réponse à un


article publié par le PARIS du 6 Septembre,
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 41

tion et sans replonger le pays dans la guerre civile; s'il ne le

dissolvait pas^ il ne pourrait gouverner pendant un mois.


D'après la Constitution de 1879, aussi bien que d'après celle
de 1867 le président de la République haïtienne ne peut être
élu que par l'Assemblée nationale; or, elle ne donnera jamais
la présidence à l'un des insurgés de Miragoânte de Jérémie ou
de Jacmel.
Le président Salomon n'a jamais fait mettre à mort aucun
enfant ni aucun vieillard et sous son gouvernement^ il n'y a

jamais eu d'exécution capitale à Saint-Louis ou à Cavaillon.

La réputation d'intégrité et de capacité administratives

qu'on fait au chef des révoltés est absolument surfaite. Le tact

politique et la science économique de M. Boyer Bazelais ne


valent pas plus que ceux de son aïeul ^ le président Boyer ^ dt

triste mémoire,
M. Bazelais et ses partisans ont été ceux qui ont d'abord fait

renier l'emprunt contracté par Haïti en 1875.


Le règlement de cet emprunt qui fut plus tard proposé par

lui était tel qu'il ne fut pas accepté par les porteurs français,

et qu'il nous valut même des observations de la part du gou-


vernement français. Sous son inspiration, les Chambres décré-
taient en 1877 la réduction du chiffre des obligations sans mê-
me consulter les porteurs. Dans son outrecuidance M. Bazelais
croyait pouvoir modifier à lui seul un contrat synallagmatique
A la suite de cette décision arbitraire des millions furent
expédiés par les soins du gouvernement du président Boisrond
Canal^ et non par ceux de M. Bazelais à M. Noël, banquier,
pour le service des coupons; les porteurs n'acceptant point le

règlement^ cet argent resta improductif dans les caisses du


banquier. Pour sortir de l'impasse et essayer de réparer les
42 «ÎES AFFAIRES D'^'MTI 18.<?3 — iss-t »

bévues de ce «curieux financier»^ les ministres du président


Boisrond Canal se virent obligés de remettre la question sur
le tapis.

Le correspondant anonyme a peu connaissance des questions


qu'il a la prétention de traiter; il confond le règlement adopté
en 1877 avec le projet soumis au gouvernement de Boisrond
Caiial en 1878; celui-ci devait modifier et même annuler le

preincr. Non content de cette confusion, il attribue la paterni-

té de ces deux règlements à M. Bazelais ce qui constitue une


erreur. Le président Salomon, arrivé au pouvoir en 1879, ne
prêta pas la main à ces combinaisons. H fut loyal il s'entendit

directement avec les principaux intéressés; les porteurs réunis


à Paris arrêtèrent avec le ministre des finances d'Haïti un rè-

glement qui fut sanctionné par le Corps législatif. Ne pouvant


rendre le public français responsable des fautes commises par
les gouvernants haïtiens le jeune peuple ,noir reconnaissait
l'emprunt au taux de 500 francs, chiffre de l'émission.

Les coupons en souffrance furent payés et le service n'en

fut suspendu qu'en présence du pressant besoin d'argent né-


cessité par l'imminence de l'insurrection de Miragoâne.
De ces deux règlements, quel est le plus honnête, quel est le

plus favorable aux intérêts français? Celui décrété en 1877


par M. Bazelais et ses caudataires sans le consentement de.s

porteurs français ou celui qui leur fut proposé par le prési-

dent Salomon et librement accepté par eux?...


M. Salomon a passé vingt ans de sa vie à l'étranger. Après
avoir été ministre pendant onze ans en Haïti, il a été ambassa-
deur à Paris et à Londres. Un pareil homme ne peut croire à
aucime superstition, qu'elle vienne d'Afrique ou d'Europe.
La véritable cause de l'insurrection la voici: En Février de
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 43

cette année, le président d'Haiti a fait rendre une loi en vertu


de laquelle les terres de l'Etat seraient morceiées et distri-

buées en toute propriété aux paj-sans qui s'engagent à les

cultiver- Les soi-disant libéraux^ dont les aïeux avaient es-


camcté les plus belles terres à leur profit, ont compris que
si cette loi recevait s,a pleine exécution, ils ne pourraient plus
vivre aux dépens des paysans dont ils confisquent le travail

(1). Ils ont vu que, la terre passant entre les mains des pay-
sans, ceux-ci deviendraient de véritables citoyens ayant ccn>
cience de leurs droits, au lieu que jusqu'à cette heure, ils

vivotent dans un demi-servage sur les grandes propriétés ru-


rales, et que ce sont eux seuls qui sont soldats. Au fond la

iutie est aussi sociale que politique, et même plus économi-


que que constitutiom^eUe entre la nation et les rebelles. Ceux-
ci en seront pour leurs frais. La nation ne paiera point leurs
dettes. Elle ne se laissera point gruger par ses ruineurî
d'hier et d'aujourd'hui et par ses hisuiteurs de demain
Quelle que soît l'issue des événements les soi-disant libé-

raux ne pourront ni porter atteinte à l'indépendance du peu-


ple haïtien^ ainsi qu'ils le complotent ni le juguler, l'énerver
et l'abêtir conune autrefois.
Les deux Chambres du Parlement, réunies dans la capitale,

s::iî£ seules chargées^ avec les ministres^ de rendre compte à

la nation de leur conduite vis-à-vis d'elle.

Pour ceux qui sont libéraux sincères, îe fusil n'est jamsh


un argument. Dans l'état malheureux où se trouve actuel-
lement le peuple haïtien, grâce à Timpéritie des pères des libé-

(1) Voir la BATAILLE du 4 Septembre le magistral article de


M. A, Crié qui résume admirablevient la qtiestion.
44 «LES AFFAIRB6 D'HAIÏI 1883 -> 1884 «
|

raux de Miragoâne et grâce à la leur lorsqu'ils étaient au pou-


voir^ toute prise d'armes est non seulement un crime de lèse-
uation, mais im crime de lèse-humanité.

A r«Histoire d'un crime en Haiti» je répondrai par r«His-


toire des Constitutions Haïtiennes». Je la prépare.
« LI^S AFFAIRES D'HAÏTI 1S83 — 1884 » 45

XI

LES QUESTIONS D'HAÏTI (1)

Airsi qu'on l'a dit, elles sont vraiment intéressantes et méri-


tent de fixer l'attention.

Aussi ceux qui les vp^ulent traiter doivent-ils le faire de fa-

çon sérieuse^ et après qu'ils en ont étudié les tenants et les

aboutissants.
On fait remarquer qufe j'ai demandé le partage des terres
de l'Etat en Haiti^ et l'on ajoute : «Le partage des terres n'est

pas une loi d'essence démocratique; c'est un procédé césa-


rien; c'est le système des empereurs romains; avec ce système^
on flatte la plèbe on n'élève pas lui peuple.»
Je fais observer que ce système qui depuis a servi à la colo-

nisation dé l'Algérie (2) fut introduit en Haïti par Pétion^ le-

quel passe aux yeux des prétendus libéraux de Jacmel pour

(l-J L'EVENEMENT du 14 Septembre 1883, Cet article réfute tin arti-

cle diL PARIS du 12 Septe^nhre où j'étais désigné en toutes lettres et mes


doctrines éconcxmiqucsl dénoncées comme subversives.

(2) N'en déplaise à V inspirateur de l'article du PARIS du, 12 Septeiv„

bre, le partage des terres est tnie loi d'essence démocratique: il n'est

devenu «un procédé césarien» qu'après avoir été employé plusieurs fois

sous la Républiqiie romaine. Au surplus, on peut consulter Rollin, «His-

toire romaine», Cantu, tiHistoire des Italiens^, Mommsen, ^Histoire romai

ïie», et Duruy, -^Histoire d^s Romains», pour s'assuret que je ne dis rien

ici qui ne soit de la plu,s exacte vérité. Pour plus amplement informé, je

renvoie le lecteur à la note A à la fin du volume. De nos jours, on a eii

recoiLrs aussi au partage des terres pour colonisa nombre de pays ré-
publicains. Voir Paiil Leroy.Beaulieu, aColonisation chez les peuples mo-
dernes», et Paul Leroy-Beaulieu, '^Essai sur la répartition des richesses».
46 AVrAlRES D'HAÏTI 1S83 — 1SS4 »-

être le président modèle le Washington d'Haïti^ Je n'ai fait

que demander qu'il fût remis en usage (1).

Il est erroné de prétendre que la presse soit bâillonnée en


Haiti. Aucun journaliste n'a été emprisoimé pour le fait d'a-
voir commis des délits de presse.

On soutient aussi que «le rêve caressé par le président Sa-


lomon est celui-ci : La division de la famille haïtienne par la

distinction des nuances de l'épiderme» et l'on ajoute^ en par-


lant de moi : «L'apologiste de M. Salomon ne parle-t-il pas

aussi du jeune peuple noir?»

Le président d'Haiti n'a pas plus de haine préconçue contre

les mulâtres qu'il n'a fait fusiller d'impubère. Je l'ai déjà


prouvé dans «Pars» du 6 Juillet, en faisant observer que l'é-

pouse de M. Salomon est une blanche née Française, et que


ses agents diplomatiques à Paris^ à Londres à Washington ^t:

ses ministres en Haiti sont des mulâtres.


N'en déplaise à quiconque, d'après tous les auteurs classi-
ques, notanunent d'après Levasseur (de l'Institut), Onésime
Reclus, Cortambert le peuple haitien est un peuple noir. Dans
tous les ouvrages d'histoire et de géographie aussi bien que
dans les relations de voyages postérieurs à 1859 Haiti est ainsi

désignée : «République noire de la mer des Antilles» (2). II en

(Ij Voir mon oxivrage : aRépuhlique d''Haiti et ses visitenirs», ivote A.

page 581 et siàvantes. Voir atissi la note B, à h, fin du présent volume.

(2) Les ioumalistes de tous les pays commencent à être au courant de


ces choses. Et iMnci qui le prouve :

'Les noirs forment en Haiti la très grande majorité de la population^


car sur environ un million dTxxLbitants on ne compte guère plus de ci»-
.

« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1833 — 1884 « 47

sera toujours ainsi jusqu'au jour où l'on aura décrété que les
Haïtiens appartiennent à la race caucasique ou à la race mon-
golique. Je doute que ce jour luise jamais (1).

D'après la Constitution (articles 23, 186 et 187), tout Haïtien

qu<Liite mille viulâtres. (Le Propagateur, journal de la Martinique, 1883)

uLes viulâtres forment à peine le dixième de la population; loin d'ê-

tre exclus des emplois publics ils sont appelés à partager une hou'ne

partie des fonctions publiques. Des cinq secrétaires d'Etat du président


Salom-on. deux sont mulâtres, sa femme est une blanche», (Le New York
Herald du 14 Avril 1884t')

'L. P. Janvier. Les Antinationau^. Paris, 1884. page 42-

L^aiionyme. dont les correspondaiwes au PARIS ont servi de canevas

pour la rédaction de l'article du 12 Septembre a été bien mal inspire

quand, après m^avoir désigné, il a écrit cette phrase : «L'' apologiste de


M. Sakmion ne parle-t-il pas aussi du «jeune peuple noir»? Dans une

vraie démocratie existe^t-il des questio7is de race, de distitictions de

couleur? Non.*

Pour moi, — et j^ai déjà expliqué la chose tout au long de ma uRépu-


bliqiie d'HaiU et ses visite^irs. — tous les Haitiens sans exception sonz

des nègres. Par conséquent, il est absurde et puéril do soutenir, d'insi,

nuer même que j'établis des distinctions de couleur entre les Hai-

tiens.

(l)]Il serait à désirer qu'uni Haïtien, quelle que soit la coulei.Lr de sa

peau, écrivit, sipecialement pour son pays, un livre court et précis où il

serait démontré que le mulâtre est un hybride et qu'il n^existe pas de

race mulâtre; que noirs et mulâtres devraient vouloir se qualifier de

*nègres>, qu'en Europe et en Amérique le m-ulâtre et le nègre ne font

qu'un; gu'oux Etats-Unis et eiii France, par exemple, on ne fait aucune


48 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

peut être appelé à servir. Ceux que le gouvernement arme^


— et il n'arme personne de piques — sont des soldats consti-
tutionnels. Ils peuvent être des montagnards, Haiti est toute

distinction entre un mulâtre et un nègre instruits; qu'on n^en fait non


plus aucune entre un mulâtre et un noir ignorants; qu'eu tant qu'on

établisse distinction entre un nègre instruit et un mulâtre ignorant, l'avan

tage est tout entier en faveur du nègre. En se servant des journaux


français de la première quinzaine d'août 1884, où il est retidu comprc
des débats du Congrès de Versailles et de Vattitude de ce Congrès envers

M, Gerville^Réache, député de la Guadeloupe et Mulâtre très clair de

teint: en se servant des journaux (sij^éricains qui reivdent compte de l'é_

lection de M. Blaine à la candidature présidentielle aux Etats-Unis par


kl convention de Chicago dont un mulâtre, M, Lynch, fut le président,

on pourrait avoir foule de renseignements pour bien traiter cette ques-

tion, Daiis les journaux français. M, Réache, dans les journaux améri-

cains, M. Lynch sont constamment appelés nègres. Ils ne sauraient

s'' offenser et ne s'offensent point d^une dénomination qui leur revie^ut

et dont ils peuvent s'enorgueillir au lieu de s'en attrister ou de s'en


courroucer. C'est la race noire qui a des reproches à faire à la race

blanche; c'est la race noire qui a été pendiant trop longtemps sacrifiée,

méconnue, exploitée, calomniée par sa soeur, et calomniée cruellement.

Ceux qui font la preuve de Végalité intellectuelle et morale de la race

noire avec les autres races peuvent être fiers, mais ils ne doivent ni on^

blier, ni renier leurs frères, quel que soit l'état d'infériorité momenta-
née dans laquelle se trouveraient quelquesjuns de ceux~ci. Un pareil

livre, mis entre les mains de tous, éclairerait tous les cerveaux, serait un
puissant facteur de paix et détrxiirait finalement le préjugé de coulexir

du mulâtre contre le noir, tel qu'il existe encore en Haati,

Ce sont les ignorants qui ont peur d'entendre évoquer le spectre dv.

préjugé de couleur. Il est des morts qu'il faut qu'on tue.


,

« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 49

montagnes mais ils ne sauraient être des bandits ainsi qu'on


essaie de le faire croire (1).

L'article 201 de la Constitution est ainsi conçu : «Le pou-


voir législatif, sur la proposition de l'une des deux Chambres
ou du pouvoir exécutif^ a le droit^ à n'importe quelle époque^
de déclarer qu'il y a lieu à reviser telles dispositions constitu-

tionnelles qu'il désigne.» C'est en vertu de cet article et des.

deux qui le suivent que la Constitution a été revisée en Juillet


dernier.

Quand on cite un auteur, il est meilleur de ne pas tronquer


ses phrases. Voici le texte exact du passage tiré de mon livre :

La République d'Haïti et ses V^iteurs passage que le corres-


pondant anonyme a jugé bon de citer tout en en retranchant
quelques mots : «Il est clair qu'il est préférable d'avoir des
îïouvernements despotiques, ainsi que le furent ceux de Pé-
tion, de Boyer de Faustin 1er et de Geffrard^ lesquels encou-
rageaient le travail donnaient de l'extension à la puissance
productrice du pays, garantissaient la sécurité des propriétés
et la vie des citoyens paisibles et laborieux que de subir des
périodes d'anarchie comme celles de 1843 à 1848 de 1867 à
1870 où le règne des lois était suspendu où les propriétés, ne
pouvaient être ni garanties^ ni respectées, et où toutes les li-

bertés étaient bien plus foulées aux pieds que jamais.»


(page 492)

(1) Uauteur de l'article que je réfute ici parlait des piquets haïtiens.
Les piquets étaient des paysans qui, n^ayant d'autres armes que des
piques avaient osé demander, en plusieurs fois, aux gouvernements réat:-

tionnaires d'autrefois, les terres de l'Etat que cehii,.ci laissait improduc-

tives. Je renvoie à ma brochure intitulée^ le VIEUX PIQUET. Toutes les

revendications des piquets étaient justes et bien fondées au point de vue


de la justice et du droit^ comme au point de vue économiqtie
50 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — i»«4 »

Cette phrase vient en manière de réflexion à la suite de


plusieurs paragraphes où je démontre combien inutiles et
sanglantes/ et ruineuses^ et funestes à tous égards, ont été les
révoltes qui ont désolé Haïti depuis 1806 jusqu'à nos
jours (1).
Celles de Miragoâne et de Jérémie auront le sort des précé-
dentes.
Puisqu'on cite la Républ.que d'Hdjlti et sajj Visiteurs^ qu'on
veuille bien relire attentivement ce livre; on y verra que mon
opinion sur Boyer n'a pas varié; que j'ai énergiquement com-
battu le préjugé de couleur dont il fut un des principaux pro-
pagateurs, et que j'ai prouvé que les noirs n'avaient jamais eu
ce préjugé, mais qu'au contraire ils continuent à souffrir de
ses détestables effets. Il y a été cité plus de vingt pages extrai-
tes des divers ouvrages de l'illustre négrophile Schoelcher^
pour mieux démontrer que ce préjugé n'existe que dans la

cervelle de ceux qui de par la simple couleur de leur peau^ se

prétendent supérieurs à d'autres honunes^ et croient avoir le


droit de mépriser et d'insulter leurs semblables (2).

L'insurrection est localisée sur trois points de l'Ile. Voilà

(1) Voir in REPUBLIQUE D'HAÏTI ET SES VISITEURS, le chapitre

intitulé: Les Oppositions en Haiti.

(2) Voici e<n quoi consiste le préjugé dà couleur : dans toutes les An-
tilles, autrefois, et dans certaines Antilles, dans les Antilles à métropole,

l'iuintenant encore, un blanc^ jût-il absolument illettré et savetier cji

vharcutier de son état, se croyait et se croit supérieur à un noir ou à un


inulâtre, cetLX-ci fussent.ils très instruits et gros contribuables.

Aujourd'hui, en Haiti encore que les iTidividvs qui en sont imhus le

montrent le moins possible, et qu'ils soient pev. nombreux, ce préjugé


consiste en ceci ; un mulâtre, absolum.ent ignorant et ne possédant que
:< LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 51

l'exacte vérité d'après les nouvelles qui m'ont été envoyées


de Jacniel et de la Jamaïque, et que j'ai reçues hier. D'ailleurs,
elle serait encore étouffée^ eût-elle en son pouvoir le Départe-
ment du sud tout entier. J'ose l'affirmer.

Je répète que quand on est sincèrement libéral et qu'on a


la prétention d'être instruit ce n'est pas par le sabre qu'on
monte à la présidence. C'est là, de plus, une coutume dange-
reuse, et qui donne d'insolentes et illégitimes espérances aux
sabreurs de profession.
Les révolutions sanglantes et armées ont ruiné mon pays et
lui feront perdre son autonomie. Voilà pourquoi sans jamais
recevoir d'inspiration de personne j'ai toujours combattu sans
relâche tous ceux qui. Haïtiens ou prétendus Européens ayant
vécu en Haiti, les fomentent pour s'enrichir pendant que ma
patrie en meurt.

Et je signe :

Louis JANVIER.

ses deux mains pour tout capital^ de par la ccmlciw de sa peau, se figure

quelquefois être un individu supériexir ou mie-iix né qii'un noir pur qui

serait docteur en médecine de la Faculté de Paris. Voir au surplus mon


livre : La République d^Haiti et seà visiteurs.
52 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

XII

LES REPUBLIQUES SOEURS (1)

Le dernier courrier arrivé des Antilles nous apporte les


journaux de Port-au-Prince, D'après eux, l'insurrection haï-
tienne touche à sa fin. Les villages de Marigot et de Bainet ont
été occupés par les troupes du gouvernement. La troupe insur-
gée que commandait Cléovil Mode a été détruite. La ville de
Jacmel est étroitement cernée par les forces placées sous les
ordres du secrétaire d'Etat François Manigat délégué du pré-
sident d'Haïti. Les femmes et les enfants abandonnent la ville

avant l'assaut.
Le bombardement de Miragoâne continue. Les pointeurs ont

fait taire le feu des insurgés et démoli une partie des remparts
qu'ils avaient élevés. H reste à renverser ceux construits dans
la nouvelle cité et derrière lesquels se tiennent les partisans

de Boyer Bazelais.

Devant Jérémie le fort Salomon a été repris sur les insur-

gés, et leur chef, le général Kerlegrand^ s'est réfugié dans un


consulat. Les troupes du gouvernement se préparent à enlever

le fort Télémaque. Les départements du Nord-Ouest^ de l'Ar-


tibonite et du Nord sont en pleine tranquillité.

Une note du Moniteur^ journal officiel^ annonce le départ

des Etats-Unis de la corvette de guerre achetée récemment


dans ce pays par le gouvernement haïtien.

Le président du Venezuela et le président de la République

(î) LE RAPPEL du 30 Septembre 1883. Cette ^wte parut aussi dans îo

REPUBLIQUE RADICALE du 7 Octobre.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 53

Doininicaine ont écrit au président Salomon pour lui mander


qu'ils souhaitaient la prompte pacification de la République
d'Haiti.

La Chambre et le Sénat sont toujours en session à Port-au-


Prince.
54 « IFFAIKES D'EAÎTï 1883 — 1884

CHAPITRE II

(OCTOBRE - DECEMBRE 1883)


ACTIONS DECISIVES

CORPS A CORPS

Le 4 Octobre, plusieurs journaux de Paris, et parmi eux le

«Rappel» inséraient ces trois dépêches :

lo. «Une émeute d'hommes de coideur aurait éclaté le 22

Septembre à Port-au-Prince (Haïti). Les noirs^ fortement exci-

tés, se seraient livrés à des voies de fait contre les négociants


étrangers. Il y a eu pillage^ incendie et même des morts. Les

légations ont été protégées avec peine par les armes de leurs
marines respectives. Les désordres ont cessé après ^ne menace
de bombardement contre le fort et le palais.

«Le Chasseur»^ envoyé, comme on le sait, pour la protection

de nos nationaux^ sous les ordres de M, le capitaine de frégate

Courejolles, a donné asile à 180 réfugiés.


«Un accord complet règne entre tous les consuls et les na-
vires de guerre sont présents sur rade.»

2o. «Saint-Thomas^ 2 Octobre


«Des avis de Port-au-Prince^ émanant du gouvernement haï-
tien annoncent Pinsuccès de la prise d'armes du 22 Septembre

dans la capitale.

«L'ordre est rétabli et la sécurité est complète».


3o. «Le ministiie haïtien la reçu des nouvelles de Port-au-
Prince amionçant la ré;>ression du mouvement insurrectiomiel
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 55

qui avait éclaté dans cette ville. L'ordre y est actuellement ré-
tabli et la sécurité y est complète.»
Le plus simple bon sens et le plus vulgaire patriotisme me
commandaient de rassurer de mon côté les commerçants qui

avaient des intérêts à Port-au-Prince, ainsi que tous les Euro-


péens qui s'intéressaient aux questions haïtiennes et qui^ de-
puis le mois d'Avril s'étaient habitués à suivre les journaux
dans lesquels je donnais des nouvelles de mon pays.
Je pris sur moi-même de faire publier la note suivante dans
le numéro de la «République Radicale» du 5 Octobre et de la

faire reproduire sur «L'Etendard» du 6^ dans le «Courrier In-


teamational» des 11 . 18 du même mois :

Des dépêches télégraphiques parties de Saint-Thomas et de

New- York le 2 Octobre, nous apprennent que le 22 Septembre


une tentative insurrectionnelle avait eu lieu à Port-au-Prince.

Elle a été immédiatement réprimée. La vie des commerçants


étrangers qui habitent Port-au-Prince n'a jamais été menacée.
Toutes les mesures ont été prises pour les protéger.

Le président d'Haïti est soutenu par la Chambre et le Sénat.

Il ne pourrait diriger d'émeute contre les Européens qui habi-


tent son pays. Ses sympathies pour la France sont connues.
C'est lui qui a ouvert Haïti aux capitaux français. Sa femme
est une blanche, née française.

Le navire de guerre du gouvernement est parti de Philadel-


phie depuis le 26 Septembre. Avant peu, l'iasurrection sera
comprimée à Jacmel, à Jérémie et à Miragoâne
II

LA QUESTION SOCIALE EN HAÏTI (1)

Les causes d» rinsurrection qui désole en ce momient la Ré-


publique haïtieime sont bien plus économiques et sociales
qu'elles ne sont d'ordre purement politique ou constitutionnel.
Les paysans haïtiens ont toujours vécu dans un demi-serva-
ge depuis que la nation a conquis son indépendance.
Le système agricole^ institué par les colons de Saint-Domin
gue, consistait dans l'exploitation d'immenses plantations ap-
pelées «habitations», véritablfôî prisons sans murs, manufac-
tures odieuses, produisant pendant des siècles du tabac du
caféj du sucre et consommant des esclaves.

Après la proclamation de l'indépendance et de 1804 à 1807


la barbarie de ce sx^tème fut à peine atténuée, des considé-
rations d'ordre primordial se rapportant à l'existence et à

l'organisatioai du nouvel Etat qu'on venait de fonder l'exi-

geant impérieusement ainsi.

De 1807 à 1818^ Pétion, premier président d'Haiti, morce-


la les terres dans l'Ouest et dans le Sud et les distribua aux
officiers et à un petit nombre de soldats de l'armée républi-

caine. Christophe, roi d'une partie dUaiti, n'imita cet exem-


ple dans le Nord et dans l'Artibonite que vers 1819, une an-
née avant sa mc«l.
En 1821, le président Boyer successeur de Pétion et de
Cliristophe, reviait au système de la grande propriété fon-
cière. Plus que jamais, les paysans furent étroitement par-
qués sur tes habitations sucrières et cotounières. Us restèrent
attachés à la glèbe^ maint^ius dans cet état dégradant par
im code rural qu'interprétait à sa guise une gendarmerie

(l) REPUBLIQUE RADICALE des 6 et 21 Octobre


56 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 >»

champêtre dont les inspections étaient des plus abusives

et des plus vexatoires.

En 1843 le président Boyer fut chassé du pouvoir.


Dans le cours des deux années 1843 et 1344, les paysans

demandaient, en toute proi>riété pour les faire cultiver et

fructifier les terres de l'Etat, que celui-ci laissait improduc


tives; en même temps, ils réclamaient l'instruc ion primaire

pour leurs enfants.


Ces paysans qu'on a appelés «piquets», et dont les reven-

dications étaient entièrement justes et bien fondées^ furent

massacrés ou dispersés par les troupes régulières que les

gouvernants réactionnaires qui siégeaient à Port-au-Prince,


envoyèrent contre eux. Jusqu'à aujourd'hui^ en Haïti et à
l'étranger, des publicistes mal renseignés ou peu sincères con

tinuent d'insulter à la mémoire de ces vaillants prolétaires.

De 1843 à 1883, la situation continua d'être déplorable

pour les paysans. Ds travaillaient sur des terres qui étaient

détenues par de soi-disant propriétaires, dont les droits é-

taient souvent contestables et quelquefois absolument pro-

blématiques et qui, pourtant, s'emparaient audacieusement


de la moitié et même des deux tiers' de leurs récoîts-:. Seuls^

avec les artisans ils étaient sodats; seuls a^ec les artisaii",

ils payaient les impositions les plus lourdes ei les plus injus-
tes- On eût dit que, encore qu'ils constituassent le subsÉra-
tum de la nation la nation les tenait uour des parias.
A partir de la présidence de Geffrard^ la situation des arti-

sans devint à peu près la même que celle dans laquelle vi-

votaient -les paysans.


Dès 1860, la petite industrie haïtienne qui naissait à peine,

fut tuée par la concurrence étrangère^ grâce à l'avidité de3


« LES AFFAiKES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 57

grands commerçants et grâce à l'impéritie ou plutôt à la com-


plicité du gouvernemeiîit, dont ils étaient les bailleurs de fonds
et les soutiens intéressés.

A cet état de choses^ le président Salomon, qui avait vieilli

en exil parce qu'il avait servi dans sa jeunesse la cause des


opprimés^ devait vouloir porter un prompt remède dès son
arrivée à la première magistrature.
Dans les grandes lignes, son programme peut être ainsi ré-
siuné:

Création d'une banque nationale industrielle et commer-


ciale;

Entrée de la République Haïtienne dans l'Union internatio-


nale des postes et dans l'Union monétaire latine;

Création d'une banque agfricole;

histruction primaire généralisée et obligatoire et même pour


les filles et les garçons des campagnes;
EIxtension de l'enseignement supérieur; extension de l'ensei.
gnement secondaire et dei l'enseignement professionnel indus
tiiel et agricole;

Création de caisses d'épargne et d'associations ouvrières;

Expositions nationales d'Haïti quinquennales et annudUes.


générales et r^onales;
Réorganisation de l'armée et de la marine, de TadministFa-
tion et des finances;

Dénonciation du Concordat et rédaction nouvelle d'un con-


trat religieux reposant sur des bases philosophiques^ nullement
en d^cordance avec la libre pensée et le inrotestantisine eni

Haïti;

Dêtribution des terres de l'Etat aux paysans;


Etablissement et péréquation de l'impôt foncier, d'apares mh
58 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

cadastre général; impôt personnel et mobilier taxes somptuai-


res; neutralisation de l'île d'Haïti et — si possible — confédé-
ration quisquéyenne;
Etablissement de chemins de fer, de tramways et de lignes
télégraphiques entre les principales places commerciales; ex-
ploitation des mines et des forêts; création d'une Bourse à Port -

au-Prince; réorganisation des services de ministères et des


chancelleries;

Plus qu'aucun autre gouvernement celui qui tient en ce

moment le pouvoir en Haiti s'est activement occupé de l'amé-


lioration du sort du peuple,

n a diminué les droits d'exportation dont le café était frappé^


afin de permettre à cette denrée de faire conciu*rence aux pro-
duits du Brésil sur les marchés d'Europe.
Le peuple se reposait, pour l'amélioration de son sort, sur la
vigilance bien connue, la science et le patriotisme incontesta-

bles de M, Salomon et de ses ministres quand ceux-ci furent


traversés dans leurs projets civilisateurs.
Soutenue ouvertement par le gouvernement local de la Ja-
maïque, qui a tout intérêt à paralyser le développement du
conuherce haïtien^ dont la concurrence est gênante pour celui
de la colonie anglaise la faction étiquetée libérale sans doute
par antiphrase, car elle n'est composée que de grands proprié-
taires fonciers, de leiu^ courtisans égoïstes et corrompus ou de
leurs clients bornés d'esprit, ne pouvait voir d'un bon oeil la
prise en i&Misidératidn et l'exécution de réformes politiques et
sbcialéé qui, si elles aboutissaient, décupleraient en vingt aiis
la production générale du pays, lui permç^raient d'éteindre sa
dette, enrichiraient la nation tout entière en mêimie temps
qu'elles empêcheraient désormais ïe paysan de se laisser me-
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 59

lier mécaniquement^ lui donneraient une pleine coimaissance


de sa valeur comme cellule sociale et fermeraient à tout jamais

rère désastreuse des révoltes^ des pronunciamientos et de la

misère.
Les principaux chefs de cette faction, exilés par le gouverne-

ment provisoire qui précéda celui définitif de M. Salomon re


fusèrent toutes les amnisties qui leur étaient offertes par le
président élu en 1879. Ils se réservaient de pénétrer en Haiti
les armes à la main pour s'emparer du pouvoir afin de payer
leurs dettes et surtout afin de soumettre le peuple à leur domi.
nation de grands seigneurs en chrysocale (1).
L'insurrection de Miragoâne, suivie de celles de Jérémie et

(1) La cohésion intellectuelle est chose capitale et la discipline esi

chose supérieure. Les Prussiens savent se soumettre les uns aux axitres :

de là leurs triomphes,

La Discipline coercitive, celle qui donne à Venfant Vliahitude de se con

former aux lois; le sentiment d'allégeance et de loyauté (loyalisme an-

glais) qui existe aussi dans une démocratie où l'on croit à la liberté, à

Pégalité, au peuple; Vesprit de nationalité qui lie tous les hommes en-
semble dans une nation, leur donne un grand respect de Vhonneur du

pays, tout cela manque absolument aux prétendus libéraux haïtiens. Ils

ne savent pas obéir et aspirent tous au commandement, encore qu'ils

ne fassent absolument rien pour le mériter, pour le tenir de ceux qui

en sont les véritables dispensatetus. Ils ne comprennent pas le bour-

geois; ils n'ont jamais devvné l'artisan. Quant au paysan, ils Vignorent.

Ils se figurent que les montagnards n'ont rien dans le cerveau, ce en

quoi ils se trompent grossièrement. De Vhistoire de leiir pays, ils savent

à peine les noms ou les renient; les idées dxi passé, celles du présent et

de Vavenir, on dirait quhm brouillard les leur dérobe. Ils sont aveugles

et sourds. Qitos vult perdere Jupiter dementat. Un esprit superstitieux


60 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

de Jacmel^ sont les préludes de l'action politique tentée par les


faux libéraux pour remettre à nouveau le peuple haïtien sous
un joug aussi écrasant qu'insultant^ ou pour établir sur leur

pays le protectorat d'une puissance anglo-saxonne : l'Angle-


terre.

La question est précise, nette et claire. D'un côté sont des


hcmmes que la soif de l'or et du pouvoir et l'inéluctable attrac-
tion de grossiers et ignobles plaisirs entraine à comploter la

ruine de leur pays et son asservissement; de l'autre côté sont


des patriotes sincères qui^ par l'amélioration du sort des classes
laborieuses^ veulent la marche ascensionnelle de leur pays tout
entiei^ dans la voie d'une civilisation ininterrompue.
M. Salomon est président constitutionnellement élu pour
sept ans. Il est essentiellement l'ami de la France et il est le

premier chef d'Etat haïtieii qui ait sérieusement ouvert son


pays aux capitaux français. Le Parlement le soutient. La nation
haïtienne le maintiendra au pouvoir (1),

dirait qu'ils expient le crime du Pont-Rouge. Moi je dis qu^ils expient

les attentats contre la justice et le droit, tous les mensonges que leun

pères et eux ils ©«t co^nmis de 1801 à 1883, Une fatalité effrayante et

mystérieuse pèse sur eux. Le peuple se ve^ge. Il est Destin, Fatum.

(1) La Nation, c'est l'Etat vivant, c'est l'être, le corps; le gouverne^


ment, c'est l'Etat pensant et cessant, c'est le cerveau, l'esprit.

Le Citoyen instruit doit respecter le cerveau tout en signalant à celui-


ci ses défaillances, tout en tnauaillant patriotiquememt et pacifiquemeni

à Vempêcher de commettre des fautes, qui pourraient être préjudiciabler

non seulennent aux générations vivantes, mais encore aux génératioru:

futures. Ce devoir, un des plus glorieux parce qu'il est un des plus diffi,

ciles, il doit le remplir en tout temps, en tout lieu, même fiu péril de sa
vie.
«LES AFFAIRES D'HAITi 1883 — 1884» 61

Elle saura ne point se laisser tromper par les fallacieuses et

hypocrites promesses de ces aristocrates de contrebande qui


ont hérité de tous les préjugés et de toutes les sottes vanités
qui distinguèrent le président Boyer et ses néfastes collabora-
teurs, lesquels ont énervé paralysé perverti et appauvri la

nation haïtienne de 1818 à 1843.


L'impartiale histoire et la science économique donneront rai-
son au président Salomon sur ses calomniateurs et sur ses
adversaires.

L'incapacité et la duplicité parfaites l'impopularité notoire,


ainsi que l'impuissance administrative de ceux-ci ne sont un
mystère que pour les gens de mauvaise foi pour les éloignés

ou pour les ignorants.


62 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

III

UN FORCEUR DE BLOCUS (1)

L'incident de l'Alps n'a pas eu pour théâtre la rade de Port-


au-Prince, mais bien celle de Jérémie^ et Jérémie est située à
la pointe Sud'Ouest d'Haïti^ à 52 lieues de la capitale. Le pré-

sident d'Haïti n'y est pour rien. Le port de Jérémie avait été
déclaré en état de blocus par un arrêté présidentiel pris en
conseil des ministres et publié dans le courant du mois de
Juillet. Le blocus avait été régulièrement dénoncé aux agents
diplomatiques accrédités à Port-au-Prince. De plus, ce port a

été fermé au commerce étranger par une loi qu'a votée l'Assem
blée nationale dans sa séance du 6 Août 1883. «L'Alps»^ navire

marchand sortant de Port-au-Prince, ne pouvait ignorer cet

état de choses, et il violait par trois fois les règles du droit in-

ternational en entrant dans la rade de Jérémie^ et en forçant


deux fois le blocus.

D'ailleurs, on ne doit pas ajouter foi aux nouvelles d'Haïti^

qui arrivent en Europe par la voie de la Jamaïque. La rédac-

tion des dépêches expédiées de cette île anglaise aux Etat"^-

Unis suffirait pour établir le peu de véracité. Ainsi un passage


de la dernière dépêche publiée par le «New. York Herald» est

ainsi conçu:

«A trois milles du port de Jérémie^ le consul britannique


qui se trouvait en mer sous pavillon américain^ dans la crainte

que sa chaloupe ne fût prise pour celle de «l'Alps»^ monta sur


le steamer, et au moment où il mettait le pied à bord^ le fort

(1) «INTRANSIGEANT^, <<NATIONAL^ et «RAPPEL,> du 20 Octobre.

Voir otissi dans la «BATAILLE^ des 20 et 23 Octobre les articles de

M. A. Crié.
LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 >> 63

lança une autre bombe. Celle-ci n'arriva pas jusqu'au navire,


mais sur le pont on ramassa des éclats du projectile.»
L'enquête dont est chargé le navire de guerre anglais Did*»

ne relèvera aucun fait, à la charge du gouvernement haïtien,

qui puisse nécessiter une intervention de l'Angleterre dans les


affaires ultérieures de la République haïtienne (1).

antiimtionaux
(1) Quelques jounuilistes charitables, stylés par les

voir l'Angleterre donner à


Haïtiens, souhaitaient, dans leurs articles, de
XIXème Siècle du 19 Octobre). Il est
Haïti une bonne leçon, (Voir le

petites nations lorsque le droit


peu honorable de donner des leçons aux
est de leur côté.

*A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.^

Le temps approche où les prétendues grandes nntions qui aiment don-


tour. Que dire de
ner de bonnes leçons aux petites en recevront à leur

ces Haïtiens qui demaiidaient que V Angleterre intervint dans les affaires

de leur pays?
64 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

IV

LE 22 SEPTEMBRE 1883 (1)

Nous appelons spécialement l'attention de Inos lecteurs sur


la correspondance qu'on va lire et qui donne les plus curieux
renseignements sur les derniers événements d'Haïti»:
Voici exactement ce qui s'est passé à Port-au-Prince, le 22
Septembre dernier :

Trois bandes d'émeutiers ont tenté un mouvement insurrec-


tionnel en faveur des insurgés de Miraçoâne et de Jacmel, Un
certain nombre d'entre eux se ruèrent sur la maison du gou-
verneur militaire de Port-au-Prince^ le général Pénor Benja-
min^ et le massacrèrent. Une autre bande prenait possession de
plusieurs maisons du quai tandis qu'une troisième occupait di.
verses maisons de la principale rue de la ville tirait sur les
femmes et les enfanis et assassinait tous les amis du gouver-
nement qui se rendaient à leurs postes respectifs.

Le général Brénor Prophète secrétaire d'Etat de la Guerre


assisté de ses principaux lieutenants fit attaquer de toutes
parts les émeutiers dont on eut raison après une demi-heure
de combat.
Pour se ménager une retraite les brigands mirent le feu
aux plus beaux quartiers de la ville.

Les assassinats commis de sang-froid et sans provocation,


exaspérèrent la population dont le général Benjamin était très
aimé.
Voici le plus important passage de la proclamation du prési-

dent d'Haïti publiée à l'occasion de ces événements:

(T) REPUBLIQUE RADICALE du 27 Octobre 1883,


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 >>
65

«Haïtiens
««Le gouvernement après des prodiges de modération et de
patience, jure de purger le pays de tous ces incorrigibles qui
ont résolu^ coûte que coûte^ l'anéantissement de la patrie en
y arborant l'étendard du brigandage.
«Toutes les mesures sont prises pour assurer la sécurité des

familles».

Les insurgés haïtiens n'ont pris les armes que pour empê-
cher le gouvernement de distribuer les terres de l'Etat aux
paysans.
Le patriotisme des soi-disant libéraux, qui sont en ce mo-
ment cernés à Jacmel à Miragoâne et à Jérémie^ et celui des

prétendus républicains qui ont incendié Port-au-Prince est

tel que leurs partisans à l'étranger sollicitent une interven-


tion anglaise dans les affaires intérieures de leur pays.

Les correspondances qu'ils n'osent signer, adressées par eux


aux journaux européens ne prouvent que mieux le peu de
sincérité qu'ils apportent dans la discussion des affaires haï-
tiennes et le peu d'amour qu'ils ont pour leur patrie.
66 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

V
UNE MANOEUVRE (1)

Monsieur le rédacteur^

Hier il a paru une brochure intitulée : «Le Cas de M. Jar-


vier». Elle ne porte ni nom d'auteur, ni nom d'éditeur^ ni nom
d'imprimeur.

Je défie quiconque de s'en déclarer l'auteur.

Moi qui signe tout ce que j'écris^ qui combats à visage dé-
couvert je ne puis sérieusement me justifier d'imputations

contenue dans dtes brochures anonymes.


Je vous prie de donner l'hospitalité à ma protestation et d'a-

gréer l'expression de ma haute considération (2).

(1) REPUBLIQUE RADICALE du 29 Octobre 1883.

brochure eontenalt surtout des calomnies dirigées contre


ma
(2) Cette

persontie. Je crus qu'il ne m'était pas permis de rn'occuper de moi lors-

que la patrie était en danger et que je me devais tout à elle. Toutefois,

plus tard, j'ai réfuté, détruit les assertions de mes calomniateurs en

publiant une brochure intitulée : «Les ANTINATIONAUX :


ACTES ET
PRINCIPES*. (Paris Août 1884).

R était tout naturel que le défenseur de la patrie fût vilipendé par les

renégats de la patrie. Je m^y attendais et n'en éprouvai nulle émotkm.

Il doit renoncer à la politique celui qui ne se sent pas le courage d^être

injurié, diffamé chaque jour. En politique surtout, la calomnie est un

baptême et une consécration.


«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 67

VI
L'AMNISTIE DE SEPTEMBRE (1)

Par un arrêté en date du 27 Septembre, le président Salo-

mon, usant du droit que lui confère l'article 114 de la Constitu •

tion^ a accordé amnistie pleine et entière à tous ceux qui^ le 22


Septembre, avaient pris les armes à Port-au-Prince. Ont été

exceptés de cette amnistie dix des principaux meneurs.


Le même jour le gouvernement faisait appel au bon sens des

citoyens et invitait les familles qui s'étaient réfugiées dans les


consulats et à bord des navires en rade à rentrer dans leurs
foyers, leur donnant la garantie qu'elles ne seraient nullement
inquiétées.

n ressort d'une enquête faite par le Conseil communal de


Port-au-Prince que trente personnes au lieu de quinze cents
auraient été tuées pendant les événements du 22 Septembre.
Les noms de vingt-six de ces personnes figurent dans le Mo-
niteur du 6 Octobre que nous avons sous les yeux.
Le 2 Octobre la corvette de guerre récemment achetée aux
Etats-Unis par le gouvernement haïtien est arrivée à Port-au-
Prince.
D'après le journal port-au-princien, «l'OEil» (numéro du 6
Octobre), la capitale avait retrouvé sa physionomie des anciens
jours le calme était rétabli et les affaires avaient repris leur
cours.

(J) REPUBLIQUE RADICALE du 30 Octobre 1883. Haiti.


^

68 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

VII

CIRCULAIRE DIPLOMATIQUE (1)

Nous lisons dans le Moniteur haïtien du 6 Octobre la cir_

culaire suivante^ qui donne un compte rendu détaillé des évé-

nements dont la ville de Port-au-Prince a été le théâtre dans

les journées des 22 et 23 Septembre derniers :

Cette circulaire, datée de Port-au-Princé le 28 Septembre


1883 et adressée par M. Salomon président d'Haïti au corps
diplomatique et consulaire^ s'exprime ainsi ;

«Je viens vous renouveler, par cette présente^ les déclara-

tions que je vous ai faites et les assurances que je vous ai don-


nées dans votre réunion au palais^ lundi dernier^ 24 courant.
«Le Port-au-Prince était préoccupé^ mais était calme, quand

le samedi 22 Septembre^ à dix heures du matin des individus ^

armés se ruèrent sur le commandant de l'arrondissement, re-

tendirent raide mort dans son hôtel, y mirent le feu et, se di-

visant en trois bandes, se portèrent sur d'autres quartiers de ia


ville oii ils tuèrent, entre autres persomies, un officier de l'état-

major général hommes du gouvernement, qui


et plusieurs

étaient accourus pour combattre le mouvement qui venait


d'éclater. C'est là le point de départ de tout ce qui s'est passé

de triste et de déplorable dans les journées de samedi et de


dimanche pendant lesquelles l'autorité a été impuissante à ré-
primer les désordres et les excès.

«C'est ainsi que payant de ma personne, le dimanche, dans


la matinée l'on me coucha en joue au moment où j'ordonnais

l'arrestation d'un pillard du magasin de M. Carré. Sur d'autres

(li LE RAPPEL du 30 Octobre 1883.


«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 69

points encore ma vie se trouva exposée; mais telle était ma


volonté de voir l'ordre se rétablir le plus vHe possible, que je
dornai mon consentement au débarqueinent des soldats des
bâtiments de guerre étrangers en ce moment sur rade afin

d'avoir leur concours.

«Les responsables des malheurs arrivés au pays sont ceux


qui ont attaqué le gouvernement légal^ le 22 Septembre et
ceux qui^ à Miragoâne, à Jacmel et à Jérémie troublent cette
paix et cette tranquillité de trois années que j'avais données
au pays. Aujourd'hui l'ordre est rétabli et je le maintiendrai
pour l'honneur de mon gouvernement pour la sécurité et la

garantie de tous et^ notamment, des étrangers qui ont quitte


patrie et famille pour venir s'établir paimi nous.

«Les ennemis de mon gouvernement font courir toutes sortes


de bruits dans le but de le discréditer. C'est ainsi qu'ils me
prêtent l'intention de faire massacrer une partie des citoyens,
et que^ poussant l'infamie jusqu'à l'absurde, ils vont jusqu'à
dire que je veux faire assassiner les blancs. Cependant, ce sont
ces mêmes ennemis qui, dans leurs pamphlets d'abord, et lors
de leurs tentatives contre mon gouvernement, en 1880 et 1881.
à Saint-Marc, m'ont présenté au pays comme indigne de sa
confiance, atteondu qvie j'avais épousé une blanche^ et qu'en
conséquence j'aUais vendre le pays aux blancs. Faut-il que je
le répète? c'est de l'étranger que nous vient la lumière, et c'est
en marchant sur ses traces qu'Haïti pourra avancer et pro.

gresscr.
•Quant à mon dessein de faire disparaître une partie de mes
ccmcitoyens, ma conduite depuis que je suis au pouvoir et

l'anmistie que j'ai signée hier protestent contre cette mons-


trueuse calomnie. Les efforts que J'ai constamment faits pour
70 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

épargner à mon pays les horreurs d'une guerre civile se trou-


vent dans tous mes actes sont attestés par mes discours pro-
noncés dans différentes audiences notamment dans celui du
25 Février 1883 et reproduit par le Moniteur dont je vous re-

mets sous ce pli des exemplaires.


«Aussi est-ce sous l'empire d'une triste et patriotique préoc_
cupation que j'entends dire qu'un débarquement sera fait sur
cette capitale. Au Port-au-Prince se trouvent concentrés les
plus grands intérêts étrangers qu'il s'agît de protéger au prix:

des plus grands efforts.


«Attaqué, le gouvernement se défendra et^ pourtant son plus
grand désir serait de ne pas voir la capitale exposée aux mal-
heurs d'ime lutte sanglante.
«Sur ce point j'appelle toute votre attention et toute votre

sollicitude^ Messieurs; à part la question d'intérêt^ il y a aussi


une question d'humanité!
«Mon gouvernement espère donc, Messieurs^ que vous lui

prêterez votre concours pour le maintien de la paix et de la


sécurité des familles dans cette capitale (1).

(IJ LE RAPPEL du 30 Octobre contient aussi la note qu'on vient de

lire à la page 80 et sous ce titre : L'Amnistie de Se'ptemhre.

La circulaire et la note furent reproduites dans le numéro du .^Cour.


rier IntemaHonal^ des 1 . 8 Novembre .1883, sous la rubrique : N'Ouvelles

d'Haïti.-:^-;- - .. ... .,- ;.,:.' ,^


''' .-:'''
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 ^ 71

VIII

AU PIED DU MUR (1)

Monsieur le Directeur^
La prétendue réfutation qu'on a voulu présenter à mes deux
articles, publiés dans la «RépubI que radicale» des 6 et 21 Octo-
bre m'oblige à revenir sur les motifs qui ont déterminé l'in-

surrection dont mon pays est en ce moment le théâtre. (2)

On a soutenu que M, Salomon, président de la République


haïtienne s'est moins que tout autre chef d'Etat haïtien ^

occupé d'améliorer le sort du peuple. C'est là une double


erreur, historique et économique.
Rivière Hérard^ Guerrier^ Pierrot^ Riche, Salnave, prési-
dents éphémères, ont eu, moins que lui^ le temps et l'occasion

de s'occuper de l'amélioration du sort du peuple. Je maintiens


que plus qu'aucun autre magistrat suprême et depuis 1804,

M. Salomon a été probe éminent, patriote. D a créé la Banqur


franco-haïtienne, institution rêvée depuis soixante-dix ans : I

a fait entrer Haïti dans l'Union internationale des postes; il îi

permis l'introduction de capitaux français en Haiti; il donne


droit de naturalité haïtienne à toutes les compagnies étrangè-
res industrielles ou agricoles^ qui voudraient exploiter le sol

(1) REPUBLIQUE RADICALE du 4 Novembre 1883, -Haiti.

(2) Cette prétendue réfutation avait été adressée au directeur de la

République Radicale, l'honorable M,' Laisant, député, qui Vinséra après

nthivair averti et dans te désir où il était que la lumière fût faite par

son journal sur les questions haïtiennes. Elle fut faite et si bien^faite

que M, Laisant écrivit luijmême un. magistral article


' en faveur de la

politique du président iSalomon.


72 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

haïtien. Il a imprimé une vigoureuse impulsion à rinstriictioa


populaire. (Voir La Républque d'Haïti et ses Visiteurs, page

333 et suivantes.) 11 est essentiellement l'ami de la France^ et

c'est pourquoi le ministre de France^ en Haïti^ M, Burdel^


le soutient de toutes ses forces.
Les insurgés ont pris les armes en Mars, un mois après que
les Chambres haïtiennes eurent voté cette mesure, afin d'em-

pêcher qu'elle ne fût mise à exécution sur tout le territoire de


la République.

Que ceux qui msultent à Paris leur race, leur pays et leurs
gouvernants disent en toute franchise, en toute conscience,
pourquoi les insurgés n'avaient jamais songé à prendre les
armes avant le vote de la loi dont je parle!...

Ils n'ont pas voulu que le paysan devînt le maître du sol

dont ils étaient un peu trop détenteurs, mais dont ils ne savent
ni ne peuvent rien tirer par eux-mêmes. Dans leur bouche le

terme Ibéirtai n'est qu'un mot. Leur libéralisme n'est même


pas un libéralisme politique; il n'est nullement un libéralisme
économique et social. Au fond, M. Salomon est plus libéral,

plus démocrate qu'eux.


C'est par la liberté par l'indépendance du paysan que sera
fondé en Haïti et pour toujours le règne de la liberté politi>

que.
Voilà le vrai.
Qu^ils laissent M. Salomon achevetr son oeuvre. Cela profilera
à tout le monde, à eux autant qu'aux paysans et aux artisans.

M. Salomon a refusé la dotation de 250.000 et non de 500.000


francs qui lui avait été offerte par les Chambres. Qui soutient
le contraire est un ignorant ou un imposteur.
n ne pense point à faire aucune émission de papier-monnaie.
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 73

De concert avec la Banque Nationale d'Haïti et avec le Par-

lement, il va faire aiigfmenter le chiffre des billets de cette-

Banque actuellement en circulation^ tout en donnant couri^

forcé à cette monnaie fiduciaire.

Il faut être un novice en science financière pour ignorer que


l'Angleterre a fait la même chose sous le ministère du second
Pitt^ pendant la guerre contre la France, et que le cours forcé
de son papier de banque n'a cessé qu'en 1819; il faut n'avoir
pas étudié méthodiquement la science politique moderne pour
ne pas savoir que la Russie et l'Autriche ont dans ce siècle don
né la même excuse; qu'en Italie le cours forcé n'a cessé que
Tannée dernière, sous le ministère Depretis.Magliani; que les
Etats-Unis émirent les green-backs pendant la guerre de sé-
cession et que la France donna le cours forcé aux billets de la
Banque de France, en 1848, et tout dernièrement encore, en

1870, au moment de la déclaration de guerre contre l'Allema-


gne.

Aussitôt l'insurrection comprimée aussitôt cessera le cours


forcé du billet de banque haïtien.
74 «LES AFFAIRES D'HAITi 1883 — 1884»

IX

AU PIED DU MUR (1)

Monsieur le Directeur

Permettez-moi d'ajouter à ma lettre précédente que vous


avez bien voulu insérer, quelques considérations économiques
sur lesquelles il importe de rétablir la vérité,

M. Salomon ne songe nullement à céder l'Ile de la Tortue


aux Américains. H ne le peut ni ne l'oserait. Et le voudrait-il

que les Chambres qui siègent en permanence seraient là pour


l'en empêcher. C'est l'île de la Gonave qui doit être affeo-rriée

à une Compagnie française. Le projet de loi est à l'étude; il

viendra en discussion en séances publiques de la Chambre et

du Sénat. Je me propose même de le critiquer (2).

Les ennemis de M. Salomon ont employé tous les moyens


pour faire croire au peuple haïtien que le président^ ayar:t

épousé une blanche^ une Française, voulait vendre le pays aux


blancs. C'est là une infâme calomnie.

C'est M. Salomon qui, en 1880, a fait reconnaître par le

Parlement haïtien l'emprunt contracté à Paris en 1875 par


Haïti, emprunt que les soi-disant libéraux^ en ce moment en
rébellion, avaient fait renier en 1876, alors qu'Us étaient à la

tète de l'administration.

M. Salomon est arrivé au pouvoir en Octobre 1879, Ses ernie-

(1) REPUBLIQUE RADICALE du 5 Novembre. Haiti.

(3) J^ai teniL parole. Voir ma brochure intitulée : «Haiti aux

Haïtiens».
« LES AFFAIRES D'HAÏTI ISS.Î — 1884 >» 75

mis d'aujourd'hui étaient déjà en exil, H leur fit proposer de


rentrer dans leurs foyers car lui qui avait été banni par les
parents et amis des prétendus libéraux il savait mieux que
personne combien l'exil est cruel, déplorable et dur. Les exilés
ont dédaigneusement repoussé ses offres^ l'ont berné bafoué
insulté, et ont finalement répondu qu'ils reviendraient le fusil

à la main. Ds ont tenu parole pour le malheur d'Haïti.

Le parti dit libéral à Port-au-Prince ne correspond nulle-


ment au parti républicain français. A quel parti républicain
d'abord (1)? En France, les partis républicains sont ouverts à
tous. Là.bas le parti dit libéral est exclusif fermé. C'est le

parti national qui est ouvert. En France, jamais un républicain,


fut-il collectiviste, radical, opportuniste, conservateur fut-il

insurgé même, ne violerait le secret des lettres. Les insurgés


de Jacmel ont violé le secret des miennes. La chose ne leur
profitera pas. En France, pas un républicain ne voudrait esca-
lader le pouvoir les armes à la main. Les insurgés haïtiens au
lieu de chercher à renverser le gouvernement de M. Salomon
par la persuasion, par le livre, par le journal ou en champ clos

de Parlement, entrent en insurrection contre la nation contre


la volonté nationale, contre l'Assemblée nationale. Et leurs

(1) Tous les Haïtiens sont républicains. Il faut qu'un individu soit cra-

puleusement ignorant en politique pour qu'il puisse croire qu'un repu,


hlicain jrançais lequel aime son pays à l'adoration et est toujours prêt à

se faire hacher pour lui, puisse ressembler, même de loin, à un préten-


du libéral ha:itien qui refuse d'hêtre s:oldat, cpii juit toute responsabilité

civique, qui, vivant à l'étranger, y insulte son pays et sa race sous le

voile d'un lâche anonyme, .


76 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

coreligionnaires à l'étranger ont la maladresse de calomnier et

de renier leur race (1).

En ce qui touche les malheureux événements dont Port-au-


Prince a eu le spectacle les 22 et 23 Septembre^ on peut lire
dans le «Rappel» dans le «Temps» dans la «République Radi-
cale», que le cabinet de Port-au-Prince d'abord désarmé, avait
eu une attitude des plus louables pendant l'émeute et des plus

magnanimes après sa répression. Trois jours après sa victoire à

Port-au-Prince il accordait une amnistie aux émeutiers de


cette ville.

A l'heure où j'écris la parole est définitivement au canon.


La flotille de guerre du gouvernement haïtien fait peut-être
entendre sa voix devant Jérémie ou devant Miragoâne. Dure,
mais inéluctable nécessité!
Attendons les lettres et non les télégrammes.
Dans un état démocratique on ne doit considérer que l'inté.

rêt du plus grand nombre. M. Salomon et ses ministres ont


pris en main la cause du plus grand nombre^ la cause des
paysans. Ceux qui habitent les montagnes de Jacmel l'ont si

bien compris qu'ils viennent d'offrir en don^ et spontanément^


à la patrie toute leur récolte annuelle de café. Ce fait nous ra-
mène aux plus beaux jours de Sparte ou de Rome, aux époques
glorieuses de la Révolution française.

(1) On sHmagine trop facilement qu'un parti libéral et un parti con^

servatexLT sont opposés absolument. C^est une erremr. Les partis diffé-

rents en France sont essentiellement français. Le parti libéral français

diffère entièrement du parti libéral de n'importe quel pays du globe.

Un libéral français ne ressemble pa^ à un libéral italien,

Funck - Brentano - Cours de VEcole des Sciences Politiques.

Leçon du 22 Janvier 1884,^ Notes pers(ynnelles.


• LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 77

M. Salomon veut affranchir les paysans de la serviture maté-


rielle et immatérielle dans laquelle ils croupissent depuis qua-
tre vingts ans. La cause est noble et sainte. D réussira.

J'ajoute que sans l'affranchissement, l'éducation et la ri-


chesse du paysan^ il n'y aura jamais ni véritable liberté ni lé-

gitime richesse pour le bourgeois haïtien.


Si même il était sincère^ politique, rigoureusement consé-
quent avec lui-même^ le parti dit libéral n'aurait jamais pris
les armes, et 1«5 ayant prises il désirerait être vaincu.

Vainqueur et montant au pouvoir à la suite d'une insurrec-


tion, son autorité serait illibérale illégitime comme son origi-
ne. II aurait menti à son programme menti à son nom. Les in-

surrections répétées renverseraient l'oeuvre sortie d'une in-

surrection, n est vaincu d'avance.

On peut espérer que vers la fin du mois prochain la pacifica-


tion complète de la République d'Haïti sera un fait accom-
pli.

n y a intérêt capital à ce que la nation haïtienne puisse évo-


luer en paix : elle est la sentinelle avancée de la civilisation

noire-latine.
78 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

X
LEURS AVEUX (1)

Monsieur le Directeur^

Le numéro de la «République Radicale» du 14 Novembre


contient une lettre qui vous a été adressée par un correspon-

dant haïtien et dans laquelle l'auteur prétend vous renseigner


sur les affaires de mon pays.
Il y dit que les membres du parti dit libéral^ aujourd'hui en
révolte contre l'Assemblée nationale laquelle siège en perma-
nence à la capitale, avaient autrefois réglé le service de la

dette extérieure d'Haïti. En effet ils l'avaient réglé mais ce


fut en reniant l'emprunt contracté à Paris, en 1875, par la na-

tion haïtienne. Le procédé était simple^ facile^ commode, mais


peu scientifique. A si bon compte^ quel gouvernement ne ré-

glerait immédiatement le service de la plus lourde des dettes


publiques?...

Ces scrupuleux financiers n'ont point été exilés par M. Sa-


lomon dont, au contraire^ ils n'ont jamais voulu accepter les
amnisties. Je l'ai déjà prouvé dans le numéro de votre journal
qui porte la date du 5 Novembre et votre correspondant l'a-

vait lui-même reconnu dans sa précédente lettre du 2 Novem-


bre.

H reproche au gouvernement légal d'Haïti d'avoir violé le

secret des lettres. Lois même que la chose serait vraie, y


aurait.il là motif à insurrection?

11 est prouvé que les insurgés de Jacmel, des libéraux (?)^


ont violé le secret des lettres d'un citoyen qui depuis six ans.

(1) REPUBLIQUE RADICALE du 16 Novemhrp. 1883. Haiti.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 79

vit à l'étranger dans le plus profond respect des lois de soir


pays. Non contents de cela, ils les ont publiées dans un journal
qu'ils rédigent. Plus maladroits encore que ces malheureux
surexcités ou énervés leurs amis de Paris ont fait reproduirj-

ces lettres dans une brochure spéciale tout le long de laquelle


ils calomnient^ sous le voile d'un triple anonjme de la façon
la plus grave, la réputation d'un de leurs compatriotes dont ils

sont certains pourtant de la parfaite honorabilité. Sont-ce iii

les agissements dignes de véritables libéraux?

J'ai fait observer aussi, par le bienveillant concours de votre


journal^ que le président d'Haïti avait refuse la dotation
extraordinaire que les Chambres lui avaient accordée.

Quant à ce qu'on dit de la Banque Nationale d'Haïti, il est

navrant d'avoir à discuter avec quelqu'un qui semble ignorer


que le premier effet de toute crise politique est de rendre l'ar-

gent rare et de faire monter le taux du change. C'est de la


finance élémentaire pourtant.

Les soi-disant Ubéraux ont revendiqué les droits du peuple


par la plume. Ils l'ont fait si mal^ ou bien ils avaient si peu rai-

son que le peuple leur a donné tort. Us ont eu recours à la ré-

volte, dit_on, «devenue pour eux un devoir». D'abord, la peti-

te phrase de La Fayette : «Quand la Constitution est violée^

l'insurrection est le plus saint des devoirs,» est parfaitement


démodée.

La saine politique en rejette les conséquences et vous avez


bien eu raison^ Monsieur le directeur, d'ajouter ces mots sous
forme de conmientaire à la lettre du 14 Novemhre :

«S'il fallait se mettre en révolte, les armes à la main dès que


le gouvernement vous déplait^ nous connaissons d'autres pays
80 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

que la République haïtienne où la révolution serait déchaî-


11 ée.»

En effet^ à ce compte, tous les pays de la terre seraient per-


pétuellement en révolution.
Les prétendus libéraux n'ont jamais soutenu une seule fois,

à la Chambre et au Sénat, que la Constitution fut vicJée.


Pourtant le député des Abricots, un sénateur et un député de
Jérémie sont les trois chefs de l'insurrection de cette ville. La
Chambre et le Sénat viennent de les déclarer déchus de leur
mandat et dé les mettre hors la loi. (Moniteur haïtien du 13
Octobre 1883).
La loi sur la cession des terres aux paysans est le véritable

motif de l'insurrection non seulement parce que les insurgés


sont de grands propriétaires fonciers inhabiles et pratiquant

l'absentéisme mais parce qu'ils savent que le dictateur haïtien


Pétion ne fut si populaire que parce qu'il concéda des terres à
ses officiers et à un petit nombre de soldats libérés du service

qui devinrent des paysans. Si le parti national fait le paysan


propriétaire, il deviendra inexpugnable au pouvoir. De là l'in-

surrection.
D'ailleurs les coreligionnaires des insurgés l'ont implicite-
ment avoué dans un journal qui s'occupe un peu de questions
maritimes (1). Le 4 Novembre dernier, ils y publiaient un arti»

cle dans lequel ils disaient que les rebelles se décidèrent tout

à fait à une action armée après qu'eut été votée une loi en
date du 7 Mars, et qui, par conséquent, est postérieure à celle
du 28 Février.
Les insurgés de Miragoâne étaient réunis à la Jamaïque, à

(1) Le MONITEUR des Intérêts Maritimes du 4 Novembre.


- LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 ». 81

deux jours de mer d'Haïti^ prêts à un coup de main^ et la ré-

volte s'organisait depuis longtemps.

Us s'embarquèrent.
La loi du 28 Février est la plus grande loi qui ait été votée
en Haïti depuis quatre vingts ans. Elle contient, en sa brièveté,
une triple révolution. Elle est agraire, elle est économique et

financière elle est politique. On n'en saisit point encore l'im-

mense portée.

Si peu de gens peuvent comprendre la quintessence des


choses î

Les insurgés ont tiré l'épée, on leur répond par l'épée. Tout
ce qu'on pourra écrire maintenant ne changera rien au cours
des choses là-bas. En ce moment, on est à l'action décisive.

Le président Salomon sera clément pour les pauvres d'esprit


qui avaient eu la folie de croire aux fallacieuses paroles de ces
éminents fmanciers. Ils savent insulter, ils savent calomnier
leur patrie^ ils savent déchaîner au milieu d'elle la guerre ci-

vile tant exécrable^ si funeste^ si ruineuse et si divisante, mais


comme ils savent mieux fuir lorsque sonne l'heure de la
«discussion définitive»!
82 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 «v^

XI

LES DEUX PARTIS HAÏTIENS (1)

E est bon d'attirer l'attention surf les hommes et sur les clw-
ses de ce jeune pays, qui traverse en ce moment une crise poli-
tique assez intense et dont quelques journaux européens mal
renseignés n'ont pu parler que d'une manière trop sommaire
ou trop intéressée pour qu'elle fût impartiale et sérieuse.

Une nation noire vivant de sa vie propre^ ayant des


lois particulières codifiées, une magistrature des tribunaux^ un
système financier, des douanes des journaux^ un système élec-
toral un parlement^ une littérature fille de la littérature fran-

çaise tel est l'intéressant et curieux tableau qui nous est offert

par la république d'Haïti.


Cette société d'un million d'hommes est indépendante, auto-
nome depuis quatre vingts ans^ mais malheureusement les

dissensions intestines ont trop souvent désolé Haïti ruiné son


commerce et empêché l'évolution inmterrompue de ce jeune
peuple, dont l'esprit est pourtant des plus ouverts des plus
perfectibles et le caractère moral des meilleurs.
On connaît mal cet Etat qui fait un important commerce avec
les Etats-Unis l'Angleterre, la France et l'Allemagne dont le

sol est si riche et dont les productions furent ou sont tant ex-
cellentes et si renommées. Le plus communément il n'en a été
tracé que des peintures fantaisistes ou injurieuses et par cœi-
séquent de nulle valeur.
Deux partis politiques sont en présence dans l'Etat noir de
l'archipel des Antilles : Le parti national et le parti Ubéral;
mais au fond, ce sont les nationaux qui ont lesi idées vrcùment

(I) Courrier international du 22 au 29 novembre 1883. - En Haiti.


«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 83

libérales et civilisatrices. Le parti national est en ce moment


au pouvoir. Il est dirigé par des hommes d'un patriotisme in-

contestable et éprouvé. Leur haute culture intellectuelle^ leur

probité financière leur sincère amour de la chose publi-


que et la foi qu'ils ont dans l'avenir de leur race, tout fait

présager qu'ils y resteront longtemps encore.


Le parti national est arrivé aux affaires en 1879. Son chef,
M. Salomon a été élu président pour sept ans presque à l'una-

nimité des voix, par le Congrès. Le pays était alors fatigué des

querelles mesquines et journalières qui divisaient les membres


du parti libéral et dont le déplorable effet se faisait sentir sur

le commerce sur les finances et sur l'agriculture (1).


Les libéraux n'ont jama's pu s'entendre pour gouverner fruc-
tueusement; leur popularité n'a jamais été que superficielle ou
éphémère; ils n'ont jamais eu la confiance de la masse du peu-
ple. La campagne qu'on a menée à l'étranger et au cours de la-

quelle la nation haïtienne a été insultée vil'pendée dans la

personne de ses mandataires directs^ ne fera que grandir enco-


re la répugnance dont le parti libéral a toujours été l'objet,
M. Salomon est un homme de soixante huit ans. Membre et

secrétaire du Sénat de 1846 à 1848; ministre des finances de

1848 à 1859; après la chute du gouveriî^ement de Faustin 1er, il

fut arbitrairement exilé par ses emiemis politiques qui redou-

(I) «Chaque Nation ne peut se civiliser qu^en créant des partis politi

ques. Ceux-ci créent la vitalité natio-iiale par Vémulation. Tout gouver

nement doit être reconnu par tous, à Vintérieur comme à ^extérieur.

On 7i.'a pas à tenir covipte du parti politique qui gouverne, puisque,

dès Vinstant que le parti devient gouvertiement, du viéme coup il de

vient la. Nation.^ Funck-Bretano. COURS DE L'ECOLE DES SCIEN.


CES POLITIQUES. Leçon du 22 janvier 1884. NOTES PERSONNELLES.
84 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

taîent son influence et ses critiques. Il vécut à Paris conune


exilé jusqu'en 1867^ observant et étudiant tout, aBn de rendre
plus tard de nouveaux seirvices à sa patrie. De 1867 à 1870, il

fut chargé de représenter le gouvernement d'Haïti, près des

cours de Saint-James et des Tuileries. C'est un écrivain plein

de fougue et de talent II possède à fond la connaissance des


langues anglaise et française. Sa femme est une blanche^ une
Européenne.
Depuis son arrivée à la présidence, M. Salomon a fait entrer

la République Haïtienne dans l'Union internationale dœ pos-

tes; il a doté son pays d'une Banque nationale, institution dont

le besoin se faisait vivement sentir depuis plus de soixante-dix


ans. H vifent d'ouvrir le pays aux étrangers de toute race en
faisant rendre ime loi qui accorde droit de naturalité à toutes
les compagnies étrangères, industrielles ou agricoles, qui vou-
draient se former poiur l'exploitation du sous-sol et du sol

liaïtiens.

M. Boyer Bazelais, qui est à la tête d'une fraction du parti

libéral, avait fait renier en 1876, l'emprimt d'Haïti conclu en


1875. Plus tard, en 1878, étant membre du Parlement il s'oppo-
sa énergiquement, avec ses amis politiques, à la prise en consi-
dération d'une demande de revision de la Constitution présen-
tée par les ministres du président Boisrond Canal qui vou-
laient faire rayer du pacte fondamental la disposition constitu-

tionnielle en vertu de laquelle le droit de propriété est refusé,

en Haïti aux étrangers.


C'est au contraire, M. Salomon qui en 1880, a fait reconnaî-

tre par le Parlement, comme dette nationale, l'emprunt con-

tracté à Paris en 1875 et renié en 1876.


Les Chambres lui avaient accordé, en 1881, une dotation de
250.000 francs : M. Salomon la refusa.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 85

Les ministres qui l'assistent de leurs patriotiques conseils


ont tous fourni une honorable carrière politique.
C'est à M. C. Fouchard^ ancien président de la Chambre,
que sont confiés les portefeuilles ministériels des finances, du
commerce et des relations extérieures. M. Fouchard est très

Versé dans la science des finances.


Le ministre de la guerre et de la marine, M. Michel Pierre,
a rempli successivement les délicates fonctions de ministre de
président de la Chambre et de président du Sénat.
M. Frarçois Manigat, Secrétaire d'Etat de l'Instruction Pu-
blique et de l'Agriculture a fait toutes ses études en Fran.

ce. M. Manigat a été tour à toiu- professeur de belles-

lettres au lycée du Cap-Haïtien membre de coruseil d'arrondis-

sement membre du Conseil supérieur de l'irstruction publi-

que député du peuple, président du comité de l'instruction pu-

blique à la Chambi'e, président de la Chambre des représen-

tants.

Le ministre de l'intérieur et des travaux publics est M. B.


Prophète : c'est un administrateur distingué et très actif^ un

esprit politique supérieur. M. Ovide Cameau est chargé des

portefeuilles de la justice et des cultes.

L^ m-nistres contre-signent les actes du président et sont

seuls responsables devant le Parlement; ainsi le dit formelïe-

menft la Constitution. En ce moment la Chambre et le Sénat


sont en session à la capitale.

Le parti libéral ne présente pas les garanties nécessaires

pour gouverner. Ses chefs ne sont ni patriotes ni instruits. La


preuv« la meilleure c'est qu'ils sont en armes contre l'Assem-
blée nationale, lorsqu'ils auraient dû vouloir arriver au pou-
voir par la science, l'adresse, la patience et la discussion^ s'ils
86 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

étaient véritablement intelligents, sincèrement libéraux. Libé-


raux ils le sont si peu qu'ils violent le secret des lettres et font
tout ce qu'il faut pour démontrer que leur programme de libé-

ralisme n'est qu'un leurre^ un trompe-l'oeil pour séduire les


éloignés et les ignorants.
Us ont pris les armes au mois de mars de cette annéet en dé-
clarant que la Constitution était violée ce qu'ils n^nt jamais
pu démontrer devant les Chambres et qui même, n'a jamais

été soutenu en champ clos de Parlement. Le véritable motif de


l'insurrection le voici : ils ont voulu empêcher qu'une loi vo-
tée en février de cette année, et en vertu de laquelle les

terres de l'Etat seront morcelées et distribuées aux paysans qui


en feraient la demande fut mise à exécution par tout le terri-

toire de la République.
L'effet de cette loi serait de donner une puissance considéra-
ble au gouvernement et de lui conquérir pour toujours la sym-
pathie des masses des paysans.
C'est ce que les libéraux ont compris, c'est ce qui leur a mis
les armes à la main contre l'Assemblée nationale qui avait voté
cette loi. Toutes leurs dénégations ne sauraient prévaloir contre
cette vérité.
Trois villes du Sud-Ouest : Miragoâne^ Jacmel et Jérémie
sont au pouvoir des insurgés. Ces trois villes sont étroitement
bloquées.
Les départements du Nord de l'Artibonite, du Nord-Ouest
et de l'Ouest et la plus grande partie du département du Sud,
c'est-à-dire les dix neuf vingtièmes du, pays^ sont toujours

restés fidèles au gouvernement régulier.

Le gouvernement actuel peut seul ouvrir le pays aux. étran-


gers et guider franchement Haïti dans la voie des progrès inin-
terrompus, car seul, il possède et peut posséder l'entière con-
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 87

fiance du vrai peuple, des paysans et des artisans; seul encore

il peut garantir la paix et la sécurité aux commerçants étran-


gers; c'est encore à lui que se raUikeront tous les patriotes vrai-

ment instruits et bien intentionnés qui savent ce que coûte la

guerre civile.

Si^ par impossible^ les pseudo-libéraux parvenaient au pou-


voir^ ou bien ils seraient obligés de dissoudre la Chambre dont
le mandat n'expire que dans trois ans et alors ils auraient vio-
lé la Constitution et jetteraient le pays dans une nouvelle
guerre civile, ou bien ils seraient obligés de la conserver par
respect de la Constitution. Dans ce second cas, comme la

Chambre et le Sénat sont composés en très grande majorité dfe

nationaux les prétendus libéraux ne pourraient administrer.

D'ailleurs comme le président rie peut être élu que par


l'Assemblée nationale on peut croire que légalement le pou-
voir ne serait jamais confié à un libéral^ à un ancien chef d~
révoltés.

n est à désirer que l'insurrection soit vite réprimée et la

République haïtienne pacifiée afin qu'elle puisse évoluer en


paix, surtout quand on songe que l'isthme de Panama sera

bientôt coupé; quand on sait que^ en vertu des dispositions


d^une loi qui est sur le point d'être votée par les deux Cham-
bres le peuple haïtien appelle encore les capitaux européens
à venir coloniser la Gonâve^ la principale des Iles adjacentes

d'Haïti.

Tous les philanthropes et tous les politiques qui s'intéressent

au sort des jeunes peuples de l'Amérique voudront voir cesser


en Haïti ces luttes sanglantes et fratricides qui n'ont jamais
avancé l'heure d'aucune liberté^ d'aucune réforme^ d'aucun
progrès mais qui au contraire^ par les haines et les défiances
88 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

qu'elles excitent et perpétuent^ ont tout stérilisé et ont empê-


ché le jeune peuple noir de marcher d'un pas plus alerte et
pkis sûr à la conquête du rôle glorieux qu'il doit remplir dans

le monde. Il est le fils aine de la race noire : il doit lui servir

de modèle et d'initiateur. Il est exemple^ il doit être espoir.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 89

XII
L'EMEUTE DE PORT-AU-PRINCE (1)

On a mené grand bruit autour des événements dont la ville


de Port-au-Prince a été le théâtre pendant les journées des 22
et 23 Septembre dernier. Des journaux illustrés ont même pu-
blié des gravures où^ par des caprices de l'imagination on
essayait de représenter la capitale de la république anti-
lëenne.

Des journalistes auxquels on fait la réputation de pouvoir

reaseigner leurs compatriotes sur les questions extérieures,


mais qui n'ont que des notions fort imparfaites sur l'histoire

la géographie et l'ethnographie d'Haïti^ ont porté sur les hom-


mes et sur les choses de ce pays des jugements fantaisis-

tes qui font sourire ceux qui connaissent à fond les questions

haïtiennes et ceux qui ont quelque peu étudié le droit interna-


tional moderne.
On a été jusqu'à insinuer que le président Salomon^ ancien
ambassadeur d'Haïti à Paris^ dont l'épouse est une blanche née
française et qui a accordé toutes sortes d'avantages financiers

aux Français là-bas^ était une espèce d'agent de l'Allemagne^


délégué à la présidence d'Haïti. C'est à faire pouffer!
Le 22 Septembre au matin^ une centaine d'individus tentè-
rent un mouvement insurrectionnel à Port-au-Prince en faveur
des insurgés actuellement bloqués à Miragoâne et à Jérémie et
dont le sort va bientôt se décider.
Ces émeutiers se divisèrent en trois bandes. L'une surprit
l'hôtel du gouverneur de la viUe et y massacra quelques sol-

dats et le gouverneur lui-même^ le général Pénor Benjamin.

(1) PAPILLON du 18 novembre 1883.


90 « LES AFFAIRES D HAÏTI 1883 — 1884 »

Les deux autr^ occupèrent quelques maisons de la rue des


Fronts-Forts et de la rue du Quai^ d'où elles dirigèrent un fe-
nourri sur toutes les personnes qui passaient à la portée de
leurs fusils.

Port-au-Prince est une ville de 35.000 âmes, mais par les

jours de grand marché^ le samedi sa population s'augmente


d'une quinzaine de mille âmes en moyenne car on y vient
acheter et vendre des provisions de dix à douze lieux à la ron-
de. Le 22 Septembre était un samedi. Les paysannes qui ve-
naient d'arriver en ville, saisies d'une panique folle, en enten-
dant siffler les balles s'empressèrent de fuir dans toutes les

directions.

Cependant le gouvernement d'abord désarmé par la mort


du commandant de l'arrondissement^ lançait ses troupes sur
les maisons occupées par les émeutiers et les faisait enlever.

Ceux-ci, en se retirant, mirent le feu pour protéger leur retrai-


te et gagnèrent les consulats dont^ malheureusement^ Port-au-
Prince fourmille.

Disons en passant que le gouvernement haïtien fera bien,

sitôt l'insun^ection comprimée, de retirer leur exéquatur à tous


les consuls qui pullulent dans les villes d'Haïti et qui, plus

souvent que de raison s'arrogent le droit d'arborer les cou-

leurs des pays qu'ils croient représenter, lors même que ces
pays ne font aucun commerce avec Haïti ou n'y ont pas de
nationaux. Il est temps que cet abus prenne fin d'autant plus
que ces agents commerciaux se mêlent trop des affaires poli-

tiques haïtiennes et que quelques-uns d'entre eux affectent

même ime attitude trop impertmnte et absolument intolérable


vis-à-vis des gouvernants haïtiens.

Les émeutiers embarqués pour l'étranger, se répandirent


«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 91

dans les Antilles. De Saint-Thomas et de la Jamaïque, ils câ-

blèrent à New- York et à Paris !es fausses nouvelles que plu-


sieurs journaux ont accueillies dans les premiers jours d'octo-
bre.

Ils disaient en leurs télégranmies, que 1.500 personnes


avaient été tuées à Port-au-Prince; que la moitié de la ville

avait été incendiée et que îes pertes matérielles s'élevaient au


chiffre de 25 millions de francs. Ce n'es^ pas en fuyant qu'on
peut apprendre tant de choses à la fois.

La vérité c'est que trenite personnes seulement et non quin-


ze cents ont été victimes de cette déplorable équipée.
Les cadavres ont été enterrés par les soins du conseil muni-
cipal de la ville qui a fait constater leur identité et qui a pu-
blié la liste des noms. Il n'y a eu qu'un petit nombre de mai-
sons de la rue du Quai et de la rue des Fronts-Forts qui aient
été incendiées. Quelques magasins d'épiciers ont été il est

vrai, saccagés par les paysans^ lesquels revenus de leur ter-


reur, étaient furieux d'avoir perdu leurs provisions ou leurs*

marchandises. Les dégâts ne sont pas encore estimés. Us nc^


sont pas considérables. Ils seront vite réparés.
En toute cette affaire, le gouvernement s'est admirablement
conduit. Trois jours après la répression de la rébellion, il ac-
cordait magnanimement une amnistie à tous les émeutiers en
en exceptant les cinq chefs. Le ministre de la guerre le géné-
ral Brénor Prophète a lui-même mené les troupes à l'attaque
des positions qu'occupaient les mutins. Le président d'Haïti
M. Salomon, malade et alité le samedi^ s'est levé le Dimanche
est sorti du palais et a été haranguer les soldats lesquels,
exaspérés par la perte du général Benjamin qu'ils adoraient
voulaient mettre tout à sac.
^2 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 >

Toutes îes nations ont eu leur luxiu*e de sang a dit le Dante.

Ces soldats avaient été aveuglés par la colère^ absoliunent com.


me l'onti été les marins qui, en coopérant à la prise de Hué il

y a quelques semaines^ se souvenaient de l'héroïque comoman-


dant Rivière; absolument comme le jfurent ceux qui regrettent
l'effusion du sang de la semaine de mai 1871.
Quant à Tultimatum lancé par les consuls le 23 Septembre^
lorsque tout était fini^ le gouvernement d'Haïti n'avait pas à
en tenir compte. Il n'était pas sériteux^ ayant été signé par des
consuls de Venezuela et de Norvège^ lesquels menaçaient le
gouvernement de Port-au-Prince lorsque, moins que personne^
ils avaient le droit de s'ingérer dans les affaires politiques

d'Haïti car non seulement ils ne «ont que des agents purement
commerciaux^ mais les pays dont ils montrent le pavillon n'ooit

pas de nationaux en Haïti. De plus si signataires qu'ils fussent

d'un ultimatum^ d'ailleurs mal rédigé^ il n'y avait pas à leur


disposition, en rade de Port-au-Prince aucun navire de guerre
suédois ou vénézuélien (1).

Tout l'odieux et tout le ridicule de la campagne menée con-


tre le gouvernement d'Haïti^ lequel est foncièrement et notoi-

rement ami de la France retombera sur quelques plaisantins


haïtiens qu'on dirait des acéphales lesquels dans leur haine
enfantine contre un ministère légal soutenu par un parlement
qui siège en permanence à Port-au_Prince^ vont partout col-

(l^,Uagent commercial de la Belgique, vice^ccmsul de Grèce (?) à

Port-au-Prince avait aussi signé ce comique ultim,atum.

Hditi ne fait pas d^affaires directement avec la Grèce. Un consul de

Grèce à Port-au-Prince est chose bizarre et superflue; quand cet agent


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 93

portant les nouvelles les plus calomnieuses pour l'honneur de


leur patrie et de leur race. Ils sont un objet de risée pour les

journalistes auxquels ils vont porter leurs communications


sur les hommes et sur les choses de leur pays, communications

se mêle des affaires politiques du jmys où il ne représeyite que des in-


térêts commerciaux absolument fictifs il commet une incongruité diplo-

matique, D^un autre côté, la Belgique ?i'a pas de marine de guerre. Un


consul de Belgique qui lance un ultimatum collectif que, pour sa part,

il ne peut faire exécuter puisqu'il n'est qtt'ageut commercial et qu'il ne


dispose d^aucun moyen matériel, covimet une double bravade aussi inu_

tile que déplacée.

Le gouvernement haïtien a pour devoir de retirer Vexéquatur aux

agents comynerciaux qui se sont payés la fantaisie de le menacer et de

demander le rappel des agents diplomatiques giti ont signé ^ultimatum.

dit 23 septembre. HaA.ti a coopéré à l'indépendance du Venezuela, ce pays

est trop notre obligé pour que son consul ait eu l'outrecuidance de nous
insulter. La conduite du ministre des Etats-Unis lui fait le plus grand

honneur. Plus de la moitié du commerce d'Hdïti se fait avec les Etats-

Unis : le représenvtxmt de ce grand pays a pourtant respecté les droits de


notre gouvernement agissant dans la plénitude de son pouvoir sitr son

propre territoire. Noxis ne Voublierons pas.

Toute réparation à une injure publique, si tardive qu'elle sait, doit

être publique surtout; quand iHnjure est e^idurée par tout un peuple.

Nous flétrissons nettement cette attitiide équivoque de prétendus avàs

qui nous humilient en publie, devariit tout l'univers, et qui -nous présen-

tent à la muette, dans le silence des cabinets diplomatiques des excuses

qui restent ignorées par le plus grand nombre.


94 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

jrtissi antipatriotiques qu'elles sont inutiles et qui seront


toujours nuisibles pour les individus qu'ils pensent servir^
Je l'ai déjà dit ici et je le répète: encore qu'elle soit naïve,

douce et bien trop bonne la nation haïtienne n'aime point les


traîtres et méprise les renégats. J'ajoute : La noble et grande
et fière nation française aussi ne les aime pas (1).

(1) « L'amour de la patrie est regardé x>ar les Fraivçais comvie la plus

hante vertu », a dit Heiiri Heine, dans sa Lutèce. Les Français méprisent

souverainement les étrangers qui viennent en France vilipeiider le pays

dont ils sont originaires; en même temps ils donnent toujours raison à
l'étranger qui. en France, d^jend les hommes et les choses de sa patrie

même contre les écrivaiits français. De tout ceci, j'ai fait expérience

personnelle. Vannée dernière. Et les Français ont bien raison. Qui trahit

sa patrie peut tout trahir; qui renie son pays peut tout renier.
<. LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 95

XIII

LA GONAVE ET L'ANSE- A. VEAU (1)

Nous lisons dans les journaux haïtiens :

Le budget de 1883-1884 a été voté le 15 Octobre et, le 6 du


même mois l'Assemblée nationale autorisait le gouvernement
à emprunter 1 million de gourdes à la Banque d'Haïti.

Le secrétaire d'Etat Manigat a pris toutes ses dispositions


pour bombarder Jacmel.
Les ministres de France, d'Allemagne et d'Angleterre s'é.

talent rendus par mer de Port-au-Prince à Jérémie pour tenter


une démarche collective auprès des insurgés de cette ville à
l'effet de les porter à déposer les armes. Cette démarche n'au-
rait point abouti.

Le siège de l'arrondissement financier de Nippes qui était


autrefois à Miragoâne a été transporté à l'Anse.à-Veau. On
espère que le port de cette ville sera ouvert définitivement au
commerce étranger.

Le projet de contrat présenté pour l'exploitation de l'île de


la Gonâve a été rejeté par la Chambre.
A la date du 27 Octobre, le président d'Haïti a adressé au
corps diplomatique et consulaire une circulaire dont voici les
principaux passages :

«On ne saurait confondre avec le droit d'asile l'abus qui

tend à faire des légations et des consulats étrangers un asile

pour toutes les conspirations un foyer d'intrigues d'où partent


et où reviennent armés les ennemis du gouvernement auprès
duquel ces légations et ces consulats sont accrédités dans un

(1) REPUBLIQUE RADICALE du 1er décembre 1883.


96 « LES AFFAIRES D HAÏTI 1883 — 1884 »

but bien différent; enfin^ une garantie d'impunité pour ceux-


là même dont les délits ou les crimes n'ont aucun rapport avec
la politique.

«Je m'abstiens de montrer combien certains actes ont été en


contradiction flagrante avec les prescriptions de la loi inter-
nationale tels, par exemple le droit d'asile accordé à des sol-
dats et officiers déserteiu^ à des débiteurs contre lesquels ju-
gement portant contrainte par corps a été rendu à des voleurs
que l'autorité recherche à des escrocs etc., etc. Je me borne
Mess curs à vous signaler le danger^ persuadé que votre
loyauté y mettra fin par un acte consacrant votre complète
adhésion aux principes de droit international.»

Dans une note annexée à la circulaire diplomatique du 27


Octobre le gouvernement haïtien rappelle, à tous ceux qu'il

appartiendra que tout Etat en vertu du principe de la souve-


raineté des Etats et aux termes de la loi internationale consa-

crée sous le nom d'arrêt du Prince, a le droit^ dans le cas de


guerre civile ou de guerre extérieure^ de fermer tel port qu'il

lui convient au commerce étranger sans qu'U soit besoin, à cet

effet d'un blocus effectif

«Les navires qui violent ce princ'pe, malgré les avertisse-

ments donnés en temps utile aux autorités dont ils relèvent^

mettent l'état lésé dans l'obligation de faire respecter^ par tous

les moyens en son pouvoir^ son droit le plus essentiel, le plein

et entier exercice de sa souveraineté.» (Calvo)


«L'arrêt du Prince est l'interdiction de commercer avec un
pori bloqué ou en état de révolte : les Etats ont toujours le

droit, en vertu de leur souveraineté, de régler la police de la

navgation dans leurs eaux territoriales.» (Fimck-Brentano)


Eln réponse à la dépêche présidentielle et le 29 Octobre, la
« LES AFFAIRES D'HAITÏ 1883 — 1884 » 97

Légation de la République française adressait au gouverne-


ment une lettre ainsi conçue :

«Monsieur le Président
«La légation de France n'éprouve aucune hésitation à conve-
nir que la question que vous avez posée au corps diplomatique
et consulaire, touchant le droit d'asile, doit être résolue dans
le sens que vous avez indiqué, car cette solution est conforme
audroit, au sens commun et aux instructions que jai reçues de
mon gouvernement, il y a quinze mois.

«Quant à la seconde, consistant à déterminer si l'Etat, qui a


juridiction sur les eaux et les ports qui lui appartiennent,
peut en interdire l'accès aux navires étrangers j'ai éprouvé
l'embarras que cause en cette matière l'article du traité de
Paris qui veut que le blocus soit effectif pour qu'il soit res-
pecté.

«Toutefois, laissant de côté la question de fait qui est sujette

à varier je ne puis méconnaitre le droit qu'a le gouvernement


lésé de poursuivre lexécution de ses arrêts par tous les moyens
qui sont en son pouvoir.»

Dans une lettre en date du 31 Octobre, le chargé d'affaires


de la République de San.Salvador consul général du Pérou et

consul de la Bolivie disait ceci au président d'Haïti :

«Pr^ident,
«J'ai eu l'honneur de recevoir la dépêche en date du 27 cou-
rant, ainsi que la note qui l'accompagne, que Votre Excellence
a bien voulu adresser au corps diplomatique et consulaire au
sujet des abus résultant du droit d'asile et de l'interdiction des

ports insurgés en vertu du principe de l'arrêt du Prince con-


sacré par le droit bitemational.
98 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

«J'adhère entièrement, au nom des gouvernements que je


représente ici, à la doctrine consacrée par ces deux documents^
et je serais heureux de voir mes collègues se rallier aux prin-
cipes si nets et si concluants appuyés de l'autorité des meil-
leurs auteiu^ dont Votre Excellence réclame à juste titre la

stricte applicat on.


.

.<LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 99

XIV
ECHO DIPLOMATIQUE (1 - 2)

Le XIXe Sdèole du 28 Novembre, publiait l'iniorniation sui.

\aiite :

«On assure que M. VUIevaleix^ à la suite du sac de Port-au-


Prince par les troupes et les partisans du général Salomon a
doniiié sa double démission de ministre résident à Paris et à
Londres.
«Cette double démission a été communiquée au ministère
des Affaires étrangères à Londres et à Paris.
«M. V:llevaleix a fait preuve de dignité et de patriotisme

(1) PAPILLON du 2 décembre.

(2) Soiis la rubrique : LE MINISTRE D^AITI A PARIS la ^^BA-

T AILLE" du 29 iiovenibre publiait ceci :

'Le ministre résidant d^Haïti à Paris et à Londres, M. Villevaleix, vient

de donner sa démission pour jnotester, disent les jeuilles conservatrices,

contre la conduite du président Saloinon «qui a jait piller et brider sa

capitale».

« Pour ceux qui savent que ce sont justement leé insiirgés réaction-

naires, amis secrets de M. Villevaileix, qui ont commis à Haïti v.ombre

(Pactes de brigandage, Vassertion du diplomate (?) haïtien est simple-

ment outrecuidante.
' Le gouvernement haïtien doit singulièrement se féliciter d'hêtre dé_

barrasse d'un chargé d'affaires qui )i'a jamais cessé de marcher avec les

ennemis de ceux qui le payaient. »

Et VEVENEMENT du 1er décembre disait ceci ;

«On sait que M. Villevaleix, ministre résident d^Haïti à Paris et à

Londres, vient de donner sa démission. On ncnis assure que M. Villeva-

leix a simplement pris les devants sur la révocation qui le menaçait. »


100 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

en cessant d'être le représentant d'un gouvernement dont le


chef a livré sa propre capitale au pillage à l'incendie et au
massacre.»
L'émeute de Port-au-Prince a été réprimée le 23 Septembre
et. dès le 2 Octobre les nouvelles de cette répression parve-
naient en Europe. Les événements des 22 et 23 Septembre ont
été ridiculement grossis enfantinement exagérés par des Haï-
tiens que le fanatisme politique aveugle jusqu'à les faire insul.
ter leur patrie et leur race. La conduite du gouvernement du
président Salomon ne mérite le blâme de personne. Elle est

entièrement patriotique^ nationale, irréprochable.


Si, réellement M. Villevaleix a donné sa démission^ il a mis

trop de temps à se décider pour qu'on ne croie pas que des


raisons plus sérieuses reposant sur des faits moins imaginai,
res que ceux indiqués plus haut l'ont porté à prendre la déter

mination qu'on dit qu'il a prise et à ne pas la tenir secrète

ainsi qu'il en avait le strict devoir.

Un ambassadeur ne ferait pas preuve de dignité et de patrie,


t'-sme, si étant encore à l'étranger^ il donnait un soufflet au
gouvernement de son pays.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 » 101

XV
LA FRANCE AUX ANTILLES (1)

De tout temps Haïti a offert une hospitalité généreuse et


fraternelle aux blancs et donné des emplois grassement rétri-

bués aux individus de race africaine qui fuyant la misère ou la

persécution y ont été établir leurs pénates.


La nation haïtienne a toujours eu à se repentir de sa senti-
mentalité à l'égard des uns et des autres. Dès l'instant qu'ils

ne sont plus faméliques, ces hôtes reconnaissants calomnient le

pays qui les a hébergés ou qui les nourrit.

Ce^t ainsi que quelques petits trafiquants — pour le plus


grand nombre nés dans les Antilles et qu'on confond toujours
avec les Haïtiens — qui habitent Port-au-Prince, ont cru de-
voir écrire à M. Gerville-Réache, député de la Guadeloupe,
pour lui faire un récit circonstancié et détaillé des événe-
ments qui ont eu lieu dans cette ville les 22 et 23 Septembre
1873.

M. Réache dont la bonne foi ne peut être mise en doute, a

été certainement trompé par ses correspondants^ pour honora-


bles qu'il les veuille tenir, et il est facile de démontrer^ à tra-

vers le fatras de leurs assertions fantaisistes ou hasardeu-


ses, l'ignorance où ils sont des principes les plus élémentaires
du droit international (2).

(1) REPUBLIQUE RADICALE du 22 décembre 1883.

(2) Ces joiirnées des 22 et 23 septembre sont fertiles en enseignements,

bons à retenir. Si les gouvernants haïtiens vetdent continuer à être

sentimentaux envers les étrangers qui ont insulté Vhonneur national et

les finanç'aillons, ils perdront toute popularité. Je les préviercs. Si éloigné

que je sois de vion pays, j^ai la viain sur son coeur et je le sens battre.
102 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

Ainsi d'après un de ces naïfs correspondants, un marin, un


commandant d'aviso, peut signer un ultimatum diplomatique
en lieu et place d'un ministre-résident officiellement accrédité^
dans le cas même que cet agent diplomatique refuse formelle-

ment de signer ledit ultimatum.


D'après un autre le corps diplomatique de Port-au-Prince
aurait pu demander la «confiscation des droits de douanes
d'Haïti jusqu'au parfait payement des pertes éprouvées par les

étrangers, et à l'occupation de la ville de Port-au-Prince, en


cas de non-acceptation par les puissances les plus autori-

sées».

Les épiciers peuvent n'être pas au courant des règles du


droit des gens, mais on est étonné de voir que^ dans la séance
de la Chambre des députés du 14 Décembre^ M. Réache ait pu
venir soutenir à la tribune que le corps diplomatique de Port.
au-Prince aurait pu signifier un ultimatum au gouvernement
d'Haïti pour porter celui-ci à empêcher que ne se produisis-
sent des événements qui n'étaient pas prévus ou que personne
ne pouvait prévoir.
Aucun homme qui a fait des études politiques consciencieu-
ses ne peut ignorer qu'un agent diplomatique qui se permet

d'intervenir dans les affaires intérieures d'un pays où il est

accrédité peut recevoir du gouvernement de ce pays ses passe-

ports.

C'est ce qu'a fort bien compris le ministre du pays qui fait

le plus grand commerce avec Haïti : le chargé d'affaires des

Etats-Unis n'a voulu signer aucune note portant menace contre


le gouvernement haïtien.

M. Réache a encore prétendu que les Haïtiens acceptaient

toujoiu^ en principe, de payer des indemnités aux étrangers,


mais qu'ils ne les payaient point.
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883—1884» 103

C'est là luie allégation aussi attentatoire à l'honneur d'un


peuple très chatouilleux de son orgueil national que dénué
de fondement^ et M. Jules Ferry a iininédiatement et victo-
rieusement fourni une preuve de l'erreur dans laquelle les
correspondants de M. Réache avaient eu soin de le tenir.
Que le député de la Guadeloupe permette à un Haïtien qui
ccnnait les choses des AntUles^ de lui rappeler ici que ce sont
les lourdes indenuiités quHaiti a trop souvient payées aux
aventuriers de toutes les couleurs qui l'ont ruinée et la rui-
nent encore; que foule d'injustes réclamations, adressées aux
divers gouvernements haitiens et acceptées par eux ont en-
richi illicitement des étrangers, et que la nation haïtienne
est maintenant décidée à ne faire droit aux réclamations qui
lui seront ultérieurement adressées qu'après avoir minutieu.
sèment vérifié la légitimité.

La République haitienne est souveraine autonome et ses

gouvernants n'ont à rendre compte à personne de la façon


dont ils répriment les émeutes. Si les étrangers ne se trouvent
pas en sûreté en Haïti qu'ils n'y aillent point. Ils y vont de
leur bon gré. Personne ne les retient.
Quand on va se fixer dans un pays avec l'intention d'y

tenter fortune c'est que, implicitement^ on se soumet à ses


hasards, à ses usages et à ses lois. H n'y a que les ambassa-

des les légations qui jouissent du plein droit d'arborer leur

drapeau cela par privilège d'exterritorialité^ l'hôtel d'im ré-

sident étranger, officiellement accrédité^ étant censé une par-


tie de la patrie qu'il représente.

En tant que particulier, un étranger n'a jamais le droit de


faire flotter le drapeau de sa nation sur la maison qu'il habite.

S'il plante un drapeau chez lui^ il commet un abus auss^ fib-

£urde qu'mtolérable, U agit contre le bon sens et la raison.


104 «LES AFFAIRES D'HAITÏ 1883 — 1884 »

Les Haïtiens peuvent voir de quels sentiments sont animés


envers eux les gens de toutes provenances qui vont en Haiii
sous prétexte de faire des affaires commerciales. C'est aux
patriotes d'Haiti^ qui ne sont pas hantés par la manie des
sentimentalités enfantines^ de restreindre le plus possfble les
droits des étrangers dans leur pays^ et de ne pas donner
droit de propriété foncière à des individus qui sont si près
de recourir aux dernières extrémités de la violence pour ap-
puyer leurs réclamations excessives, alors même qu'ils n'ont

eu à déplorer que la perte momentanée de quelques minces


intérêts mobiliers (1).

(1) Les Européens qui vont s^étahlir en Haiti soils prétexte de jaire

le commerce veulent toujours se cwiduire chez nous comme s'ils étaient

<eni pays conquis. Pour que soient accomplis les machiavéliques desseins

qu^ils nourrissent contre n<Mre indépendance, ils voudraient nou^ voir

oublier les recommandations lea plus sages et les plus sacrées que nous

ont faites nos aïeux; ils ne paient pas dhmjpôts, et pourtant à chaque

\nstant ils nous mettent le poignard sur la gorge pour nous réclamer des

indemnités odieusement exorbitantes et vexatoîres, en réparation de per-

tes ^natérielles que, le plus souvent, ils n'oiit point éprouvées.

La singulière attitude de leurs gouvernements respectifs les encourage

à suivre cette condidte déplorable dcmt les conséquences sont préjudi-

ciables aux iyitérêts de tous : les Haïtiens se voyant rançonnés trop sou.

vent refusent plus que jamais d'ouvrir leur pays aux étrangers.

Le 5 février 1884. M. Jules Ferry, miniatre des affaires étrangères en

France, adressait une dépêche à M. Burdel, chargé d^affaires de France


eii Haïti, pour lui mander que "le règlement des dominages subis par
les Français, habitant Port-au-Princei au 22 septembre, ne porterait au-
cun préjudice au paiement des indemnités dues pour faits antérieurs.

D^avttre part, ajoutait.il, il demeure entendu que «les Chambres haïtien-


-

«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 105

Pour finir, il faut qu'on apprenne à M. Pierre Alype qu'un


commandant de navire de guerre n'a le droit, dans aucun
cas dé commettre acte d'hostilité dans un pays qui n'ost pas
en guerre avec celui dont son va'sseau porte les couleurs.

En droit international strict cette théorie comme toutes

nés n'^auront à délibérer que sur le mode de paiement, Inexistence et

Vobligation de la dette devant rester en dehors de toute contestation".

En signant cette dépêche, M. Ferry ne faisait que partager la manière de


voir' de l'ambassadeur d'/talie à Paris, lequel, d^ordre de son gouverne-

ment, av.ait remis à M. Ferry une note en ce sens pour êtra envoyée en

Haïti. Je. ne sais, comment pareille dépêche eût été reçue par le Parle

ment des Etats-Unis, mais il est plus que probable qu'on n'eût pas parlé
de lui dans des termes si dédaigneux. Le Parlement haïtien avait le

droit de contester l'existence de cette dette ou tout au moins de recourir


à un arbitrage pour en reconnaître la légitimité,

M. le ministre des affaires étrangères de France terminait sa dépêche

par cette phrase significative : < Vous ne moucherez pas, d'ailleurs, de


me tenir au courant du résultat de vos démarches, et de mon côté, si

une intervention collective était reconnue nécessaire, pour hâter la li^

quidation promise, je n'hésiterais pas à négocier une entente avec les

diverses puissances intéressées, sur les dispositions à prendre. » (Docu-


ments diplomatiques de la République d'Haïti, 1881-1884. Imprimés par
ordre du gouvernement haïtien, Port-au_Prince, 1884, Ire partie, page
10.) Tout de suite la menace, tout de siiite le ton comminatoire pour

exiger pyaiement d'indemnités qui, légalement, ne sont point dues. Et les

nation? européennes s'étonnent de reiicontrer partout des murailles de

Chine devant' elles. La prudence la plus ordinaire nous conseille, à nous


Haïtiens, de n'être plus sentimentaux, confiants jusqu'à la témérité, jus-

qu'à l'enfantillage.

D n'y a jamais eu de menace dMntervention collective de la oart des


166 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

les précédentes, d'ailleurs, serait pour le moins singulière.


On les peut qualifier de bizarres lorsqu'elles sont formulées
par la bouche de députés français qui passent pour réptdrfi»
cains et instruits. Elles méritent bien plus encore cette qua-
lification lorsqu'elles sont produites à la tribune au couis d'u-
ne discussi<m de petite importance relative aux affaires 'd'une
jeune république noire, fille et amie de la République fran-
çaise.

Que MM. Pierre Alype et Réache se souviennent que tou-


tes les doctrines de la Révolution française, dont on se ré-
clame aux Antilles comme en France, peuvent être résumées
cristallisées dans cette seule phrase de Meriin de Thionville:
«Guerre aux châteaux, paix aux chaumières.»

Eiu-opéens contre les Etats-Unis depuis 1866; et pourtant, d^mie la fia

die la guerre de sécession, le gouvememenit fédéral refv^e de payer le&

indemnités aux Eur<^>éens qui ont perdu toute leur fortune par le fait

de cette guerre.
Le droit international doit être un pour tous, le même contre et pour

les iort3, c[ue pour et contre les faibles, sans quoi le principe : *La force
prime le drait» serait le seul arbitre des affaires du monde. Ce principe

est contraire aux idées de la Révolution française at n^est en somme


qu'un retour à la barbarie du m4>yen âge.
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 107

XVI

CAPITULATION DE JEREMIE (1)

La ville de Jérémie a capitulé et les troupes du gouverne,


ment y s<Mit entrées le 18 Décembre (2).

Un télégramme du ministre de l'intérieur d'Haiti^ le géné-

ral Brénor Prophète^ directement adressé au Dr. Janvier et


reçu ce matin à 6 heures «anmmce la bonne nouvelle.
Contrairement aux assertions fantaisistes de quelques Haï-

(i)—PAPILLON du 30 Décembre.

(2) —Voici le texte de la note insérée dans les DEBATS du 27 Deee»i-

hre 1883: «La légaitfm d*Haiti à Paris a reçu le 2fi Décembre courant
un télégramme annonçant que la viUe rebelle de Jérémie a capitulé^
Les troupes du gouvernement y soivt entrées le 18 Déce-mbre. Ce télé..,

gramme confirme que Miragoâne a aussi demandé à se rendre. LHn-


surrection peut être considérée comme virtuell&ment terminée.*

La REPUBLIQUE FRANÇAISE du
nouvelle fut reproduite dans la

28 Décembre, LA LIBERTE, LA FRANCE, LE TEMPS et L^EVENE-

MENT du même jour. Sous la rubrique HAÏTI, la REPUBLIQUE RA-


DICALE du 28 iTiséra cet entre Jilet:
*U résulte de télégrûmmes reçus par la voie de la Jamaïque que-
la ville insurgée de Jérémie a capitulé, en engagea^it Jacniel et Mira-
goâne à suivre son exemple.

«Les troupes du gouvernement sont entrées à Jérémie le 18 Décembre-..


mOn confirme en même temps la nouvelle, déjà doiuiée par nous^

de la demande de capitulation de Miragoâne. En dépit de toutes le»


caUmmies dont il a été Vobjet, le président Salomon a épuisé toutes

les voies de conciUaHon dans le hut d'éviter autant que possible Vef.^
108 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884>»

tiens qui, tout en restant à Paris poussent leurs concitoyens


T la guerre civile^ le président Salpmon loin de vouloir l'ef-

fusion du sang de ses compatriotes a épuisé toutes les voies

de conciliation pour que les villes de Jacmel de Miragoâne

fusion du sang. Il doit se féliciter en voyant que ses efforts ont été

couronnés- de succès et que Jérémie s'eat rendue d*elle-mêm,ô au. lieu

d'être prise d^ assaut. •

"Nous avons le ferme espoir qu^il en sera bientôt de même pour les

deux autres villes insurgées, et que tous les Haitiens vraiment patriotes

comprendront que leur devoir eat de travailler maintenant à assurer


la paix, la reconstitution et la prospérité de leur pays.»

La BATAILLE du 29 Décembre fit une nouvelle fois la lumière, sur

la question, par ces quelques lignes:

'Il résulte de télégrammes reçus par la voie de la Jamaiqrue que la

ville insurgée de Jérémie a capitulé, en engageant Jacmel et Mira-

goâne à suivre son exemple.

ttMiragoâne a demandé à capituler.

.«LaBATAlLl^E a été le premier des journaux parisiens, ç, 4^re et à

prouver -7- qu'il ne fallait point voir dans les. insurgés d^Haiti les soL

dji^ts de la Liberté que les feuilles opportunistes se plaisaient à nous

peindre avec de si séduisantes couleurs. Nous avons montré qu'il y


avait aîi fond de toute cette affaire non une question politique, m,dis

des intérêts économiques; qu'il ne s'agissait pas d^enlever la prési.

dence de la République à M, Salomon et de la transférer à M. Boyer

Bazelais, mais d'enrnpêcher la mise e^x pratique de la démocratique vie-

sure prise par le premier de. partager aux paysans les terres de PEtat,

contrairemeni^t auy:, intérêts des grands propriétaires de Vile.

«Noîi^ ne pouvons donc que nous réjouir de la défaite des insurgés

réaiCtio.nnaix^s d^Haiti."
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 109

el de Jérémie, au lieu d'être prises d'assaut^ se rendissent


d'elles-mêmes. Jérémie a donné l'exemple.
Nous avons bon espoir que Jacmel et Miragoâne ijwHeront
bientôt Jérémie.

Encore une fois la sagesse et le patriotisme du président


Salomon ne peuvent être contestés que par ceux qui «aiment
point la patrie haïtienne et la race noire.
Paris, 26 Décembre.
CHAPITRE ffl

COMMENCEMENT DE LA FIN

UNE CONFERENCE SUR HAÏTI (1)

4 Janvier

Hier soir^ du boulevard des Capucines, il a été


à la salle
donné une conférence des plus intéressantes. Le conférencier
nous a entretenus pendant une heure d'horloge des derniers
événements d'Haiti. H nous a appris que M. Salomon, prési-
dent actuel de la république antiléenne^ était intelligent et fut
fort goûté autrefois dans les salons de Paris^ mais qu'il était

cruel,comme si tout homme, même l'Européen^ ne l'était point

à un moment donné; que Bazelais^ le chef des insurgés de Mi-


ragoâne pouvait passer pour un génie transcendantal^ parce
qu'il avait conquis sa licence en Droit à la Facidté de Paris;
que Jacmel était située vis-à-vis de la Jamaïque; que le pré.

jugé de couleur n'avait jamais existé en Haïti de 1804 à 1843 et


beaucoup d'autres choses encore infiniment curieuses, entre
autres celle-ci: qu'un pays qui ne vit que par son conunerce
pouvait se passer d'importation et d'exportation. Il nous a ré-

vélé mille secrets de la politique et de l'histoire d'Haiti, les-

quc^Oies sont paraît*il^ des plus faciles à étudier^ aussi bien


que l'ethnographie des Antilles.

&icoie que Jacmel et Miragoâne^ les detix villes insurgées,

(IJf PAPILLON du 23 Janvier


112 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

agcrJsent sous les boulets îe conférencier a soutenu que


bientôt le Président Salomon serait chassé de Port-au-Prince.
C'est beau la confiance.

Où il a rendu service à la nation haitîenne^ c'est quand il

a prétendu que la France avait pour devoir d'intervenir dans


les affaires intérieures d'Haiti parce qu'elle était créancière
de ce pays pour cent millions.
n se trompait de soixante millions seulement, mais passons.
n a admis encore que les Etats-Unis s'empareraient un jour
d'Haiti si les intérêts de la République Etoilée y devenaient
prépondérants; il a insinué que telle était, au fond^ la même
pensée qui hantait le cerveau de quelques hommes politiques

allemands.
Nous le remercions du plus sincère de notre coeur (1). Nous
aimons les aveux dépouillés d'artifice.

Les Haïtiens ont la rage de contracter des emprunts à l'é-

tranger. Ils croient candidement qu'on les aime pour eux-


mêmes. On les détrompe. C'est bien. Adversaire acharné des
emprunts nous sommes dans le ravissement d'avoir à enregis-
trer l'avertissement qui leur a été donné hier. Qu'ils se sou-

viennent de ces deux exemples: La Tunisie^ l'Egypte.

(i^ Ce conférencier n^est pas Haïtien. «Les Adversaires sont des


précepteurs qui ne nous coûtent rien», a écrit M, de Lesseps, Ce soir^

là il a rendu un immense service aux nationaux haitiens et fait un


tort considérable aux antinationaux.
L^étranger ayant toujours des intérêts opposés à ceux de la nation

dans les affaires de laquelle il veut intervenir, les Haitiens qui Vont

applaudi ce soir-là ont été traîtres à leur pays,

C^est pourquoi leur conduite est flétrie avec violence dans les deux
artAcles qui viennent immédiatement après celui-ci.
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 113

Qii'Haiti se tienne sur ses gardes. Elle doit déjà iine qua-

rantaine de millions et on la menace dans son indépendance.


Qu'elle s'arrête «pour prendre haleine».
C'est aux patriotes haitiens de faire tous leurs efforts pour
que leur pays n'emprunte plus im centime à l'étranger; c'est

à eux de ne plus prodiguer d'avantages économiques aux étran_


gers dans leur pays; c'est au gouvernement de créer des cais-
ses d'épargne et des impôts nouveaux; d'agir en sorte qu'Haiti
reste toujours aux seuls Haitiens.

Au cours de la conférence M. Salomon a été traité de vieux


polisson. Ce qualificatif manquait à la liste déjà si longue de
ceux qui ont été appliqués au président noir. M. Salomon
s'en consolera en se rappelant que Racine a pu mériter la

même épithète sans que sa mémoire en ait bien souffert.


na été aussi fait discrète allusion à un jeune Haitien^ qui^

ne consultant que son patriotisme, a toujours cru devoir aver-


tir son pays toutes les fois qu'il courait un danger ou qu'il

allait être trahi par ceux en qui il avait mis sa confiance.


Cet Haïtien nous croyons le connaître (1). Tous ceux qui
ont quelque chose à dirte^ mais qui ont peiu* des responsabili-
tés viennent à lui. Il parle dans les gazettes haitiemies et

(lY' C^est moi. J^étais assis au premier rang des auditeurs. J'écou-
tais parler le conférencier et, sans m^émouvoir de ses paroles, je pre.

nais des noites sur mon carnet. Je îi'ai jamais été plus vivant, plu^ gai

et pltts content de mon attitude que ce soir- M:.

Le lendemain, je lus sur le MORNING NEWS à qui il avait été en-

voyé de Londres par l'Agence Reuter, le télégramme, Utiicé de New


York qui annonçait la chute de Jacmel. Je ne voulus pas m^en servir

en écrivant cet article. J'avais mes raisons.

Jacmel capitula le 28 Décembre. Deux jours auparavant, un navire


et un vaisseau anglais avaient forcé le blocus de cette ville,, en violant
114 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

partout — sans souci du lend^nain. Il signe toujours ce qu'il


écrit.

n dit à tous et partout: Voyez^ — et il criera toujours jus-


qu'à ce que son poumon éclate.

On a dit de tous ceux qui, dans tous les temps ont cherché
à améliorer le sort de leurs concitoyens qu'ils étaient des
assassins, des scélérats ou des mouchards. I>es faibles d'esjprit

ont toujours eu peur; les vaillants, les convaincus ont laissé


dire ont agi ont rendu service à leur patrie.
L'Histoire réhabilite.
D'aucuns de ses compatriotes ont applaudi quand on a ré-
pété que cet Haitien serait fusillé. Il sait^ qu'il le sera. En tout
cas, il remercie. Il n'en continuera pas moins. Il estime qu'il

faut savoir se faire fusiller quand on veut mériter l'honneur


d'être réhabilité plus tard par les générations qu'on a éclairées

ou tirées du servage.
Puis donc, celui-là met certaine coquetterie tout son or_
gueil et toute sa gloire à être insulté quand on insulte sa pa-

trie, traîné dans la boue quand on y traînie sa race.


Il est fier de constater qu'on l'injurie toujours toutes les

fois qu'on injurie le gouvernement de son pays.


Tout lui importe peu. Ce qu*il veut, c'est que sa patrie soit

avertie. Elle l'est. Le reste n'est rien.

toutes les règles du droit international. Furieusemenit canonyiée par

les assiégeants, la ville se rendit.

Le 19 Janvier, le TEMPS, les DEBATS, U CLAIRON, U PARIS, le

NATIONAL publièrent le télégramme envoyé de New York qui an-

noihçaàt la prise de Miragoane et la fin de l'msurrection.. Ce dernier

télégramme fwt reproduit par le RAPPEL et l*INTRANSIGEANT du


20 Janvier.
-LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884». 115

OSWAUD DURAND (1)

Peu savent ou se souviennent que là-bas là.bas par d^à


les mere^ bien loin des bords peu fleuris que la Séquane ar.

rose, à travers les forêts du Canada^ aux confluents des ri-

vières de la Louisiane^ au milieu des flots multicolores qui


entourent Bourbon et l'Ile Maurice, sous les cieux frangés d'or
qui embrassent les Antilles, le soir quand le firmament se

diamante, quand les bobres madécasses et les banzas haitiens


résonnent sous les doigts des robustes noirs, que dansent les
lucioles sur les étangs et que s'hexalent des résédas, des ma-
gndi&rs, des érables des tchatchas, du basilic et du letchi

mille senteurs odorantes encore aujourd'hui se promènent,


sous le regard ami des espaces profonds, des poètes qui chan-
tent dans la langue harmonieuse de Musset^ de Sarazin^ de
Racine et de Ronsard.
D'aucuns de ces charmeurs de syllabes magiques sont en-
tièrement originaux. Celui-ci garde la piquante et naïve sa-
veur du terroir natal dans la moindre de ses productions;

celui-là qui s'endort au pétillement des cascatelles, au ga-

(l) Pour littémire qu'il paraisse, cet article est purement poUtique.
Il a sa place ici. Il /ut publié dans le PAPILLON du 20 Janvier et

scms ce :titre: LA POESIE FRANÇAISE I>'OUTRE-MER. M. Oswald

Durand, réfugié dans un des consulats du Cap^Haitien, voulait émi-


grer. J^appris ces faits par une lettre que m'écrivit M^ Thaïes Manigat.
JHntervins.

Cet article produisit Veffet que j'en attendais. Actuellement, M. Du-


rand est dans les bonnes grâces du Gouvernement qui Va. appelé au

Port-au-Prince et lui a donné de Vemploi. Les ministres et le prési.

dent se te disputent pour lui /aire le pius charmant accueil.


116 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

zoiiillis du colibri et du pipiri, au concert du musicien n'a


jamais vu la lune éclore caressant de ses clartés discrètes les

murailles d'une des villes dé la métropole intellectuelle ce.

pendant que, dans l'air qui s'irise tinte la voix des campa-
niles et le rire des buveuses de vin et de rorolis.

Tel est le cas du poète haitîen Oswald Durand. Pourtant


c'est un notateur exact des symphonies amoureuses de «son
peuple» un inspiré qui a vécu et qui vit dans la confidence
du sucrin et du pivert, en communion d'âme avec la vanille^

les Libellules et les papillons blancs; il sait fairfe voir qu'il se

complait en la compagnie des frangipanes, des mimosas et des


jambosiers; qu'il peut analyser la sensation qu'éprouve la mer
lorsque après avo:r été vierge chaque nuit^ au matin elle

s'éveille sourit et s'étale quand le soleil la déflore par l'éja„

culation de ses maies rayons.


L'oeuvre fait connaître l'ouvrier. Citons ces strophes ailées
qui bercent de leur musique le coeur de celui qui sait se sou-
venir l'emplissant d'une émotion délicate, toute de tendresse
immatérielle et fétichiste exquisement capiteuse et griseuse:

IDALINA

Sur le rivage où la brise

Tord et brise

Les rameaux des raisiniers (1)

(ID, Le raisinier est un arbre de moyenne grandeur, aux feuilles

épaisses et larges. Il croît généralement sur le bord de la mer, vient

aussi dans les terrains bas ou sablonneux, mais se plaît surtooLt au .mi-

lieu des marais salants. En botanique on le déiwmme Cocoloba uvijera.

h. J. J. . .
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»» 117

Où les merles font briiire


De leur rire
l'éventail des lataniers

Je m'çn allais triste et sombre


Cherchant l'ombre
Propice aux amants jaloux,
Ecoutant la blanche lame
Qui se pâme,
En mourant sur les caiUoux;

Je me disais, la pensée
Oppressée:
«Quoi! devant moi, nulle enfant,
«Pour m'accueiUir n'est venue
«Ingfâjue,

«M'offrir so© front triomphant!. .


. >»

Je regrettais en mon âme


Cette flamme
Qui me brûle vainement,
Et désirais que ma lèvre, .

Pour sa fièvre,
Trouvât un doux aliment.

Mais tout à coup elle arrive

Sur la rive
'
La gentille Idalina

La bnme fille des grèves


Qu'en mes rêves,

Le ciel souvent amena!


118 «LES AFFAIRES DUAITI 1883 — 1884»

Sa légère chevelure
A Talluie
De nos joyeux chsunps de riz,
Quand ses boucles, sous la brise
Qui tes frise,

Bondissent en petits plis...

Le veot, entr'ouvsœt sa robe,

Montre un ^obe
Double; — telles Poeil peut voir
Deux sapotes veloutées (1)
Surmontées
De deux grains de raisin noir;

Sa lèvre qu*un dieu décore


Est encore
Bien {dus brune que sa peau
Car de notre caïmite
Elle imite

Le violet (nir et beau.

J'étais caché sous les branches


Ses dents blanches

(1) En Haitî, la sapote porte <iu*si le iwm de m jaune d^oeufi parce

que son fruit, parvenu à maturité, ressemble au jaune d^un oeuf dur.
La sapote Achras matumosa et le sapotillier Achras sapota sont deu-x

plantes de la fam^ille des Sapotées à laquelle appartiennent aussi le

caîmitfier ChrysophyUum. cainito, Vicaquier, Chrysohalaiu>s icaco et

Visonandra guitta, Varhre dont on tire la gutta percha.

Dr. L.J. J
«LES AFFAIRES DUAITI 1883 — 1884». Il!l

Mordaient le raisin des mers:


Elle restait, Tingénue^

Jambe nue
Jouant dans les flots amers...

Sur le rivage où la brise


Tord et brise

Les Rameaux des raisiiii«rs,

Où les meries fos&t bruire


De leur rire
L'Eventail des latanfers.

Lorsque la première étoile


Vintj sams voile.
Briller dans le vaste azur,

Et que la nuit souveraine

Sur la plaine
Déploya son crêpe obscur...

Quand la cloche aux sons funèbres^


Aux ténèbres
Jeta le triste Angélus^
Que la brise, sur son aile,

Prend et mêle
Aux bruits des bois chevelus,

Ma nonchalante griffonne
Abandonne
Ecume blanche et cailloux.
^

120 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

Et voit en tournant sa tête


Inquiète
Mes yeux sur ses yeux si doux.

Alors, avec un sourire,

Sans rien dire


Les amoureux sont des sourds!
Cet ange m'embrasa l'âme
De la flamme
De son regard de velours...

Depuis toujours à la même heure


Elle effleure

Le. sable de son pied nu, .

Regardant toute pensive.


Vers la rive

Attendant son inconny...:

Sur le rivage où la hrvie.

Tord et brise

Les rameaux des raisiniers,

Où les merles font, bruire^

De leur rire.
L'éventail des lataniers!-

Cette ravissante idyUe vit palpite et fait vibrer toutes les

cordes sensorielles. Elle a été écrite à Saint-Louis du Nord,


ten 1870. Depuis lors du fécond cerveau du poète il en est

sorti plusieurs autres, toutes pour le moins aussi jolies aussi


fraiches, aussi pimpantes que celle dessus citée. J'ai gardé
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 12Ï

bien au fond de ma mémoire le ranïentevoir de l'une d'elles:

Les Cailloiix de Baiiïet Elle surpasserait celle-ci en douceur


de rythme, en sonorité db rimes^ en ton cavalier et vainqueur^

en grâce ondoyante et piquante^ — si faire se pouvait.

M. Oswald Durand est aussi une bouche à parole reten-

tissante. Sa lyre est tour à tour d'or et d'airairu D fut un jour


la voix de son pays. C'était dans une occasion solennelle le
19 Juin 1872. La pièce qu'il composa à cette date: CES ALLE-
MANDS est l'iambe haïtien le plus fier^ le plus vigoureux de
forme et de fond le plus vraiment patriotique que je con-
naisse.

Mieux que les froides excuses diplomatiques qui furent plus


tard présentées à la nation noire, elle la vengea et la lava de
l'affront qu'on lui avait fait essuyer quand profitant de ce
qu'elle était débitrice pour une somme de cent miUe francs
en faveur de deux sujets de l'Empire d'Allemagne une flotille

allemande^ commandée par le capitaine Batch insulta le pa-

villon bicolore dans la rade même de Port-au.Priince cela


parce que en 1870, à l'heure de la guerre Franco-prussienne,
les Haïtiens n'avaient pas tu leurs sympathies pour la nation

dans l'orbe de laquelle gravite la leur.

Voici cette pièce:

CES ALLEMANDS!
PuniLssons puiisque nous sommes l'histoire^

Victor Hugo
Que même leurs enfants exècrent leur mémoire!
Que ce vieillard leur chef
Soih mis épaide nue^ afin que par l'Histoire
n soit marqué d'une F!

(O. D. — Ode à la France)


122 <LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

Quand le tigre cruel eut déchiré sa proie.


Le fort et superbe lion;

Quand le mufle rougi par les restes qu'il broie.

Oubliant la loi du talion^

Dans son antre fétide, ainsi qu'une couleuvre^


n eut rampé les yeux baissés;
Alors ivre de joie et contemplant son oeuvre,
E dit: «Non ce n'est point assez!

«Je comptais rançonnant la nation guerrière^

«Le pays des héros chéris^

«Avoir non seulement milliards et flotte fière,

«Mais encore Pondichéry!


«Car c'est un beau joyau pour ma couronne unique.
«Lourde de rapt et de larcin^

«Que le moindre morceau de cette Inde magique^

«Recelant de l'or dans son sein!

«Us m'ont donné l'argent^ sueur de mes victimes


«Ainsi qu'on jette un os aux chiens...

«Est-ce que c'est assez dites vainqueurs sublimes,


«Allemands doublés de Prussiens?...»
Alors les yeux tournés vers notre île fertile

Ils ont dépêché leur agent;


Et comme quelquefois un prétexte est utile
Ils ont réclamé de l'argent.
On hésite. — La nuit, heure qu'aiment les crimes
Us s'emparent de nos vaisseaux;
Ils attendent le jour certains que leurs victimes
Padraient comme simples vassaux;
Puis — joiu* sans précédent! — c^ célèbres Cartouches
Que l'on surnomme les Césars,

Pointèrent leurs canons dont on voyait les bouches


««LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 12!?

Prêtes à briser nos remparts!


Mais — ainsi quei ïa France, — à la bande guerrière^
Allemands d criblés de Prussiens^
Nous jetâmes l'argent le front liaut, l'âme fière
Ainsi qu'on jette un os aux chiens!

Celui qui a écrit ces vers à travers lesquels on sent courir


un si noble frisson de civisme et circuler tant de niâleté
honore son pays et sa race. La terre haïtienne qu'il a si bien
chantée^ tant admirée et si éloquemment défendue serait vrai-
ment veuve si l'abandonnait pareil amant^ le plus tendre, l'un
des plus sincères^ l'exquis et l'excellent entre les meilleurs.
C'est pourquoi^ au nom des lettrfes haïtiennes, je supplie
le gouvernement de mon pays de ne point souffrir que s'en
éloigne cette «chair de sa chair» ^ de l'appeler au contraire à
Port-au-Prince et de le nommer professeur d'Histoiro et de
littérature haïtiennes au lycée de la capitale. La place mérite
d'être créée pour l'homme et pour les chosies. Il y fera des
patriotes^ des vaillants de coeur et de cerveau. La patrie en
a bon besoin pour l'avenir, car elle ne peut ni ne doit plus
compter sur ceux qui ont fait cause commime avec ses détrac-

teurs ou qui — ce qui pis est —- ont été soit anonymement


soit au su de tous^ ses insidteurs à l'étranger.
124 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 »

m
FUSILUEURS ET LIBERAUX (1)

Oh les singuliers libéraux! Ds savent qu'en Haïti les sept

dixièmes de la popidation ne peuvent saisir les fines nuances


des mots et des discussioi^ politiques; que peu de personnes
s'intéressent pendant longtemps aux problèmes sociaux aux-
quels l'existence de la collectivité nationale est liée et ils ré-

clament, mais pour eux seuls^ la liberté entière et immédiate


de la presse encore qvte^ pourtant, pas un d'eux ne sache
bien tenir une plume.
Ds voudraient ces prétendus libéraux^ avoir le mon(q>ole
db tout dire celui d'insulter les Chambres, le Ministère, le
Gouvernement^ la Nation; ils voudraient qu'on les laissât

salir par leurs diffamations tous ceux qui ne se courbent point

devant leur infime minorité et qui Ttefusent de partager leurs


eri^urs de parvenus leurs préjugés de rétrogrades et d'aristo-
crates en faux; ils auraient voulu exercer tous les droits qui^

dans les pays trop civilisés^ dans les pays ii^truits, dans les

pays où tout le monde sait lire et lit ne sont pas exercés sans
danger pour la sécurité publique, mais ils ne veulent point
que leurs adversaires critiquent leur conduite perverse et

combattent Iteurs doctrines subversives par les armes dont ils

comptent se servir.
Un écrit destiné à une seule personne est envoyé en Haïti
par un Haïtien qui n'a jamais eu peur de mettre son nom
au bas des consultations de métaphysique politique les plus
décisives et les plus solennelles. Ces libéraux bizarres^ d'une
^pèee à nulle autre pareille, après avoir violé le secret des

(1) PAPILLON du 20 Janvier


«LES AFFAIRES DUAITI 1883 — 1884» 125

correspondâiTces par un oubli du plus édémentaire des prin-


cipes sociaux, publient cet écrit, par un second oubli des mê-
mes principes puis le reproduisent encore dans une nouvelle
publication^ en foulant encore leurs principes aux pieds et^

enfin, commettant une violation des principes qui dépasse


toutes les autres, ils font déclarer par im conférencier à leur
dévotion que Pauteur de l'écrit doit être fusillé. Et, pendant
que leur porte.parole gestictdait gaillardement dans le vide,

€iux de leiu^ battoirs ils applaudissaient à tout rompre.


C^est admirable! Et cela fait pouffer de rire.
Mais, triples ruminants et simple libéraux que vous êtes,
le signataire de cette lettre aurait pu porter à la c<mnaissance

de cent mille personnes les faits qu'il a jugé bon de porter à


ia connaissance d'une seide; il aurait pu la faire tirer à \m
million d'exemplaires, que vous n'auriez point le droit de
trouver à redire à sa conduite.

Ne criez-vous pas à rendre sourd les geas, ne criez-vous


pas bien haut que si les vôtres étaient au pouvoir chaque
citoyen pourrait librement manifester ses sympathies ou ses
haines politiques?...

Au fond vous craignez beaucoup la liberté de la presse, et


vous avez raison d'en redouter les effets, car vous n'ignorez
point conspirateurs étemels et toujours impunis, que si la

lumière luisait pour tous en Haïti vous seriez bisemi vite ré-

duits au silence ou considérés comme quantité négligeable.


Vous menacez de mort ceux qui savent parler et poturtant

vous avez la prétention de vouloir faire croire que vous lais-

seriez rendre publique toute parole quelle qu'elle soit, même


si cette parole devait être prononcée devant une assemblée de
dix mille personnel
126 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884 >

Quand oii veut plus cm doit vouloir moins^ pourtant. Vous


manquez de logique et vous êtes des inconséquents libéraux
en toc.

Quoi que vous fassiez^ il vous sera impitoyablement appliqué


les vra's priitcivtas et les lois fondamentales, celles de la jus-

tice^ dé la cinacrasie^ du plus grand nombre des majorités


fermes^ sclMes^ compactes, dirigées par des esprits scientifi-
ques.

C'est vous qui êtes de véritabk s. polissons politiques, dé-


serieurs de l'armée haïtienne^ rédacteurs et distributeurs de
brochures dont vous avez vous-mêmes tellement honte que
vous sentez si mensongères et si sottes que vous ne les met-
tez pas dans le commerce^ que vous les faites paraître à la

muette, sans nom d'imprimeur sans nom d'éditeur sans nom


d'auteur, afin que personne n'en soit responsable afin que
la police ne les puisse saisir nulle part^ afin qu'elles ne
soient point poursuivies par une autorité judiciaire! (1)

Et vous faites cela en France où les écrivains sont d^ vail-

lants! Que vous êtes couards et que vous méritez bien le dé-

goût dont on vous accable partout vous^ vctra faction si peu

(1} Le 9 Janvier 1884, au moment oïl j'allais faire une conférence

à la Société des Elèves de VEcole des Sciences Politiques sur les

Routes de Panama et l'Infliience Française en Haïti, im Haitien dont

y ignore encore le nom vint distribuer devant la porte de VEcole tin

certain nombre d^exemplaires d'une brochure trois fois ayionyme et

ineptement calomniatrice pour mon honneur. Quand je sortis pour le

faire arrêter il avait déjà disparu. Le président de la conférence, en

me remerciant des renseignements que je venais de donner, ni'ass^ira

de l'estime de mes collègues et flétrit en termes énergiques la lâche

cœiduite de mes adversaires masqués.


«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 127

patriote et si niaise et vos agissements de saltimbanques qui


ont peur des coups de pied et des coups d'épée!
Vous avez été plus maladroits que jamais, naïfs applnudis-
seurs du 3 Janvier. Vous faites rire de pitié et de dédain.
Décidément vous n'êtes pas forts. Vous démasquez trop vite

vos batteries. Votre libéralisme autoritaire ainsi que l'a bap-


tisé M. Liautaud Ethéart, est jugé et condamné.
Quand vous viendrez encore en vanter les mirifiques beau-
tés^ quand vous reviendrez en entretenir le peuple haïtien
que vous faites insulter à l'étranger après que vos pères ont
essayé de l'abêtir pour le mieux dévorer et que

vous venez
i

de ruiner par la guerre civile la plus odieuse^ le peuple baitien


vous fera des nasardes et si vous insistez plus que de raison
pour placer votre mauvaise marchandise, une autre fois en-
core vous serez fouaillés jusqu'au sang.
Au lieu de menacer^ faites les chiens couchants, drôles; tâ-

chez de vous faire oublier imposteurs et renégats; faites si-

lence devant la volonté de l'Assemblée nationale devant la


volonté du peuple; au lieu de faire les capitans et les mata^
moreSj mfettez-vous à genoux, fusilleurs en chambre et libéraux
de carton. C'est la seule attitude qui vous convienne désormais.
Et c'est signé:

Louis Joseph Janvier


-

128 «LES AFFAIRES DUAITI 1883 — 1884»

IV

LA PAIX EN HAÏTI (1)

Cernés dans les villes de Jacmel^ de Jérémie et de Mîia.


goane, les insurgés haïtiens qui avaient pris les armes pour
empêcher que les terres de l'Etat ne fussent distribuées aux
paysans, ont fait leur soumission au gouvernement constitu-
ticmnel du président Salomon.
La République noire fille et amie de la République fran-

:{1) Cet anticle parut smis ma signature, dans le RAPPEL du 5 Fé,

^rier 1884. C^est sous ce mêm titre que, dans l'EVENEMENT du 28

Janvier, M, Galli disait ceci:

iLes nouvelles d'Haïti font considérer comme définitivement termi-

née Vinsurrection d'Haiti.

iLes troupes du gouvernememt ont pris possession des villes de

Jérém^ie, Jacmel et Miragoâne.

<^0n sait que le représentant d'Haiti à Paris, M. Villevaleix, a donné

sa démission, à la suite de désaccords qui s'étaient élevés eiitre ses

secrétaires et lui. Des journaux d'HoA.ti Vuvaient accusé de favoriser

à Paris la cause de Vinsurrection. La lettre de démission de M. Ville

valeix, très violente contre le président Salomon et son gouvernement,

prouve que ces accusations n'étaient pas erronées.


"Il est probable que le nouveau représentant d'Haiti à Paris ne sera

pas nommé avant quelques mois».

La REPUBLIQUE RADICALE du 28 Janvier fut plus explicite que

L'EVENEMENT du même jour. Oit y lit:

€<Les journaux opportv/nistes —Le PARIS notamment— ont mené,

il y a quelques semaines, grand tapage sur la démission de M. Ville.

valeix, minist're résident de Haiti à Londres et à Paris, M. Villevaleix,


«LES AFFAIRES D'HAÏTI 18«3 — 1884» 129

çaise va entrer pour n'«i plus sortir^ nous Pespérons^ dans


une ère de paix et de prospérité.
Nous mettons sous les yeux de nos lecteurs la proclama,
tion suivante qui est un document irréfutable à Tappui de
Topinion qui a cours que les Haïtiens sont déjà parvenus à
un état de culture intellectuelle, et ont déjà acquis une ins-

truetion et une modération p<ditiques qui méritent l'estime

de FEurope:

tcdfisaient-ils, ne vmilait pas s^associer, en qualité de fonctionnaire

ahaithen, aux horreurs commises par ce gouvernement».

'Nous n' y reviendrons pas. Quant à ce qui coTiceme M. ViUevaleix,


nos lecteurs savent à quoi s'en tenir sur ces prétendues horreurs. Les

riotijvelles que lunts apportent les derniers journaux d^Hcuti VOEIL,


entre autres, contredisent de la mamère la plus formelle les appré-
ciations de îios confrères opportunistes,

iM. Villevaleix n'a démissionné que parce que, après trois otis de
protestatioftis de son dévoilement hypocrite au gouviement,€nt du prési-
dent ScUoTnon, U s^est aperçu, que le double jeu qu'il jouait en com-
pagnie des plus acharnés ennemis de ce gouvernement, s'étoit trouvé

découvert, et parce qu'il croyait d'ailleurs, sur la foi de télégrammes

reçus de New York, Kingston et Saint^Thomas, que c''en était fait du


président Salomon et que son gou/oemevient devait tom,her avant la

fin de Novemhre,

«L'espoir de M. Villevaleix a été déçu: le gouvememnt dxi Général

Salovion est debout et plus fort que jamais. Quand à Vancie^i mi-

nistre résident de Hditi à Paris, il en est pour sa honte d'avoir servi

avec de gros émoluments et pendant trois années consécutives ce gou-


130 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

AU PEUPLE ET A L'ARMEE
Concitoyens
Il y a quatre ans en prenant !es rênes du pouvoir^ je vous
disais que mon premier souci serait d'assurer la paix, condi-

tion indispensable à l'oeuvre inaugurée à cette date par nos

pères. — Je connaissais trop par une cruelle expérience les

partis politiques pour ne pas prévoir que dès mes premiers


pas je me heurterais à des passions devant lesquelles je de-

verneinent qu'il a déclaré 'détestable et méprisable...' lorsqu^il Va

cru renversé'.

Le 31, la REPUBLIQUE RADICALE disait ainsi;

«Les lettres récites par le courrier distribué hier matin conjirinev.-:

les télégrammes qui ont annoncé la fin de Vinsurrection et le rétabUs-

sement complet de la paix. Les villes de Jacmel et de Jérémie ont été

rouvertes au commerce étranger.

«Nous savons que les rapports du président Salomon avec les reprc,

sentants des puissances étrangères sont excellents. Tous s'accordenz

à l? jéliciter de la conduite qu'il a suivie dans les moments difficiler,

«Mcis un fait à nder, entre autres, est Vempressennent qu'a mi.^

M. Hunt, Consul général d'Aivgleterre, à venir complimenter le prési-

dent Salomon. M. Hunt a donné, le 25 Décembre, un grand dîner, en

Vhonneur du président.
"Celui-ci a été invité à visiter les escadres anglaise et américaine pré.

sentes sur la rade de Port-au-Prince. On lui a rendu les phis grands

honneurs et on Va reçu avec enthousiasme».

Le 2 Février, le journal de M, Laisant revenait encore sur l^f

questions de mon pays et les traitait avec la même compétence, la

même finesse politique et la même fraternité déniocratiqxie que to^i-

jours:

«Les dernières dépêches d'Haïti eonfir~ment tout ce que nous avonfi


«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 131

vrais subordonner les progrès rêvés par moi à la défense


de votre sécurité. — Toutefois^ jfe ne désespérais pas de les
éteindre peu à pcii^ par la régénération morale et matérielle
du pays. "Mais, après m'avoir entravé dès mon avènement

dit sttr la fin de V insurrection qiù a désolé pendant trop longtempr-

la République.

«Le 27 Décembre, a eu lieu Uentrée des troupes dans la vtlle de

Jérémie, et cela au milieu de Pordre le plus- complet. Aucune exécu-


tion n'a- été faite, auctmeai-restation n'a été opérée. Les ins^irgés

déclarent se reposer s^ir la générosité du pf ésident Salomon.


"Celui-ci 'parait disposé à suivre une politique de clémence et de,

réorganisation; il fait appel à toutes les forces pacifiques du pays pour


rétablir la prospérité; et pour assurer la sécurité de ^avenir.

«Le 8 Janvier, Miragoàrie, la dernière ville insurgée, a été réduite


à son tour.

aUattituAe de M. Burdel, notre chargé d'affaires en Haiti, a été

l'objet de Vapprobation générale. Une réunion de sujets français a eu

lieu chez lui le 3 Janvier, pour examiner les demandes d'indemnités


déposées à la légation, à l'occasion des événements des 22 et 23 Sep-

tembre dernier.

«Les membres de cette ré^inion ont déclaré, à Vunanim,ité, qu'iîs

avaient pleine confiance dans le patriotisme et dans la sagacité de M.


Burdel, et ils lui ont donné pleins pouvoirs pour la suite que doivent

recevoir les réclamations.

<La situation actu^eïle est doJic bonne à tmis égards; bonne poiLr la

République d'Haïti, qui voit enfin s'ouvrir devant elle une ère de paix
et de prospérité, sous un gouvernement habile est justement populaire:

bonne pour la France, qui conserve et voit s^accroitre les sympathies

dont yios compatriotes furent depuis longtemps entourés en Haiti».

Re: page 150 du livre et feuillet 84


132 «LES AFFAIRES DTIAITI 1883 — 1884»
ces passions éclataient, hier, vous savez avec quelle intensité
et quelles tristes conséquences!
Ce phénomène n'est pas nouveau dans lliistoire: On ne
désarme pas^ en lui jour, un parti politique dont les £autes

passées sont autant d'aii^uillons et qui puise dans l'ardeur de


ses ressentiments l'illusion d'une puissance imaginaire. —
Cependant, connaissant les douli^u^ de Texil, j'avais tout fait

pour en éi»rgner l'amertume à ceux qui s'y étaient exposés. —


Mes appels ont été vains: on y a rép<nkdu par les armes. Le
gant était jeté; j'ai dû le ramasser, non sans appréhensions,
sinon sur le résultat final de la lutte, du moins sur l'explo-

sioQ que faisait pressentir le sourd frémissement d'un peuple


trop longtemps exploité et provoqué.
Après neuf mois d'une lutte acharnée, marquée, hélas! par

des ruines de toutes sortes, la victoire a couronné nos com-


muns efforts. Grâce à la fidélité du peuple, au courage des
généraux et soldats, à la confiance du haut commerce et de
tout ce qu'il y a d'h<mnête dans le pays, nous touchons au
terme. Je me plais ici à rendre im éclatant témoignage, au
nom des illustres fondateuis de notre indépendance, à tous
ceux nationaux et étrangers, dont le concours me permet
aujourd'hui de célébrer avec vous cet anniversaire à jamais
béni à ceux surtout qui, en dépit des intrigues auxquelles
les exposaient leurs missions officielles, ont reconnu, par
une impartiale neutralité, les droits de notre souveraineté
nationale et consacré, en quelque sorte, par l'hommage du
monde civilisé l'oeuvre des héros de 1804.
Concitoyens cette consécration de nos droits souverains
par l'Europe et l'Amérique, nous saurons la justifier en imi-
tant la conduite de ces nations dans des situations pareilles
à la nôtre. Pour cela il nous faut apporter dans la victoire
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 1Z3

la modération qui sied à la force; il faut, sans se départir des

précautions nécessaires, jeter en faveur de ceux qui revien


^

dronft sincèrement le voile de l'oubli sur des événements


dont le retour ne pourrait que compromettre notre autonomie.
Ces événements que traverse le pays sont assez graves;
ils ont coûté assez de ruines et de sang pour qu'on puisse
espérer qu'ils marquent notre dernière étape dans la voie
des troubles civils.

Un grand enseignement ressort de cette crise; c'est l'im-

puissance radicale d'un parti quelconque à imposer sa vo-


lonté à la volonté nationale à surprendre et à forcer le cou-
rant de l'opinion publique. Puisse-t-U être entendu! Puissent
les partis renoncer aux funestes expédients du recours aux
armes^ et chercher uniquement dans la satisfaction des besoins
généraux^ dans de sages réformes, dans les modifications len.
tes mais sûres des sentiments et des idées de ces couches
profondes du peuple qui forment les ass'-ses de toute société
le triomphe d'une politique sage patiente et conciliatrice.

Sains cette patiente sagesse notre nationalité ne saurait

longtemps durer et cela, en raison même d^ faveurs de la

fortune qui semble conspirer pour nous.

Partout, en effet^ autour de nous^ on s'occupe du mouve^


ment maritime et noble qui va bientôt centupler notre impor-
tance. A Cuba^ à Curaçao, à Santo-Domingo on se prépare
en vue de ce grand événement; nous seuls, absorbés par nos
étemelles et stériles querelles, nous restons soiu^ à la voix
de la civilisation; cependant son appel doit être entendu sous
peine de vie ou de mort.
J^etofis.nous donc réKolument dans la voie du progrès; eUe
est une nécessité d'autant plus impérieuse qu'aux ruines d^
134 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

si nombreuses du passé sont venues s'ajouter celles de ces der.


niers temps. Là est le salut pour l'individu comme pour l'Etat;

les familltes ont à réparer leurs pertes^ l'Etat doit faire face

à des obligations considérables nées de la lutte. En sauvegar.


dant l'oeuvre de nos illustres aïeux nous mettrons fin à ces
lutîies périodiques conune aux convoitises qu'elles font naître
ailleurs.

Inaugurons donc, concitoyens cette nouvelle année sous


les auspices des idées qu'invoquaient nos héros.
Vive l'indépendance!
Vivent la paix et le progrès!
Vive l'union de la famille haïtienne!

Donné au Palais National de Port-au-Prince, le 1er Janvier


1884 an 81ème de l'Indépendance (1).
Salomon
A la date du 8 Janvier le pays était complètement pacifié.

Le président Salomon^ qui a longtemps vécu à Paris et dont


la femme est une blanche née Française veut donner et donne

le plus possible, en Haiti^ la prépondérance aux idées, aux


moeurs et aux intérêts économiques français.
En ce moment où l'Allemagne les Etats-Unis et l'Angle-

(1) Cette proclamation du président d'Haiti fmt reproduite dans les

colonnes de la REPUBLIQUE RADICALE du 7 Février, Le rédacteur

de ce journal la fit suivre de ce commentaire:

KC*est là un langage jerme, honnête et politi(tii,e, qui pourrait

servir de modèle à plus d^un de nos hommes d'Etat de VEurope occi-

dental et même de la France».

LeMONITEUR DES COLONIES du 10 Février rapporta en son

entier mon article du RAPPEL du 5 du même mois, mais ne jugea

pas nécessaire de laisser mon nom au bas de mon travail.


«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884» 135

terre ont les yeux tournés vers la grande Antille indépen-


dante^ c'est aux politiques du Palais Bourbon et du Luxem-
bourg de resserrer les liens d'amitié qui unissent la nation
noire à son ancienne métropole, de faire en sorte que sur la
route de Panama^ non loin de ses possessions antiléennes, la
France puisse exercer^ mieux que jamais^ la salutaire et lé.

gitime influence à laquelle elle a droit en qualité de première


émancipatrice et d'éducatrice de la race noire.
136 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 — 1884»

V
LES LOIS AGRAIRES EN HAÏTI (1)

Avant qu'il soit longtemps, le beau rêve de Nunez de Balboa


sera devenu une réalité; Tisthme de Panama sera coupé^ et les

navires pourront se rendre de New-York à San Francisco sans


avoir besoin d'aller doubler le Cap Hom. Les nations com-
merçantes songent déjà à se disputer effectivement^ et par tous
les moyens en leur pouvoir les nouveaux débouchés qui leur
seront offerts dans l'océan Pacifique; celles d'entre ell^ qui
possèdent des colonies dans la mer des Antilles pensent à y
fortifier leurs positions ou à en acquérir de plus nombreuses;
celles d'entre elles qui n'en possèdent point en cherchent à tout
prix. C'est donc, plus que jamais le moment d'attirer l'atten-

tion des savants des politiques et des commerçants, sur la

grande Antille indépendante, et surtout sur la portion occiden.

taie de l'île d'Haïti, où la civilisation française s'est développée


avec une rapidité qui, pour trop ignorée qu'elle soit en Euro,
pe n'en est pas moins sérieuse, digne d'estime et d'encourage-

ment.

fi> Cet article fut publié dans le numéro de la REVUE DU MONDE


LATIN du 25 Janvier 1884. Dans ce livre et pour suivre Vordre chro-
nologique que je m'étais imposé, il aurait dû vernir immédiatement
après Varticle intitulé FUSILLEURS ET LIBERAUX qui parut sur le

PAPILLON du 20 Janvier.

Comme cette étude est une compositfLon didactique, un travail d^en^

semble qui résume et répète Unis mes articles publiés par les joumaur
quotidiens ou hebdomadaires de Paris du mois d* Avril 1883 au mois de
Janvier 1884, je crois qu'il est meilleur de la détacher afin de la pré^
senter en un chapitre spécial, de la faire lire ici en dernier.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 >• 137

Haïti fait un important trafic avec la France, les Etats-Unis^


l'Allemagne et l'Angleterre. En 1878^ le total général de ce

trafic s'élevait à une somme de cent millions de francs^ tant à


l'importation qu'à l'exportation. Ces chiffïtes peuvent être dé-
cuplés en vingt ans si les mesura qu'a prises le gouvernement
actuel produisent leur plein et entier effet, au milieu dit calme
d'une période pacifique dans un moment de développement
régulier de toutes les forces sociales.
La République haïtienne est un Etat qui traverse encore sa
phase agricole. Le mode d'appropriation des terres qui s'y est
maintenu pendant trop longtemps tel qu'il y était il y a un
siècle, a causé de tels préjudices^ porté de telles entraves au
travail agricole^ que l'on peut dire que des raisons sociales et
non politiques^ des idées économiques et non constitutionnelles
ont jusqu'ici paralysé l'essor du pays en paralysant le libre^

essor de l'agriculture.

Peu de gens savent que les causes de la (îemière insurrec-


tion qui a éclaté en Haïti sont d'ordre purement économique.
Si l'on pouvait tenir compte des témoignages superficiels, des
dires des personnes incompétentes on irait facilement jusqu'à
croire que des causes d'un ordre secondaire relevant de la po-
litique piu-Cj l'avaient seules motivée.

Nous avons cru qu'il serait excellent d "étudier à fond le pro-


blème haïtien et d'en mettre la solution sous les yeux de nos
lecteurs.

Haïti est indépendante depuis 1804. On sait que, sous le nom


de Saint-Domingue^ eUe fut une des plus florissantes colonifes

françaises. La Convention avait doiuié la liberté aux noirs des


colonies; mais, en 1802, le Premier Consul voulut rétablir l'es-

clavage à Saint-Domingue. Les noirs de cette île combattirent


138 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

pour garder leur liberté. Après des prodiges d'héroïsme accom-


plis de part et d'autre l'armée^ coimnandée par le général Ro-

chambeau évacua l'Ile, la laissant à ceux qui avaient juré d'y


vi\rr3 en hommes ou de mourir.
Notons en passant, que les premières révolutions d'Haïti
sont nées d'idées françaises; que ce sont les philosophes du
XVIIIème siècle, Diderot et Raynal et leurs élèves de la Cons„
tituante et de la Convention^ qui ont armé les Haïtiens pour la

conquête de leurs droits.

L'Etat noir, constitué en 1804^ demandait à être réorganisé.


Tout était à refaire, à créer^ tout ayant été détruit pendant la

lutte pour l'mdépendance qui avait duré dix.huit mois.


Dessalines dictateur^ puis empereur laissa subsister les ré-

gimes de la grande propriété foncière et de la grande culture


qui existaient aux temps de la domination coloniale. La raison

d'Etat le vouiait ainsi. Tout était réglé sur le pied de guerre de


façon que la popidation valide de telle grande propriété nu'ale
ou de tel village formait, à elle seule le contingent d'une com-
pagnie ou d'un bataillon de guerre ayant son chef désigné d'a-
vance et prêt à marcher au premier signal.

Chacune des populeuses plantations d'autrefois était deve-

nue une grande famille militaire, assez semblable pour l'orga-


nisation aux petites marches ou aux grandes manses germani-

ques du Moyen Age.


En 1806 le premier empereur dHaïti voulut porter

quelques-uns de ses concitoyens à produire les titres en vertu


desquels ils prétendaient exercer des droits de propriété sur
certaines portions de terrain qui auraiefnt dû revenir au domai-
ne national mais dont ils s'étaient emparés par fraude ou par
force; en même temps il exigeait d'un petit nombre d'individus
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 139

qiii avaient occupé sans en avoir le droit, des plantations ayant


appartenu à d'anciens colons dont ils portaient les noms, de
prouver^ par actes ou témoignages authentiques^ qu'ils étaient
les fils ou les parents de cts anciens colons et qu'ils en pou-
\ iiient hériter. Ces titres, ces actes ou ces témoignages peu de
persomies étaient en mesure de les produire. Les faux proprié-
taires fomentèrent une révolte à laquelle on prit la précaution
de donner ime couleur politique pour en masquer la véritable

cause, et le dictateur acclamé en Janvier 1804 fut assassiné au

Pont-Rouge^ près de Port-au-Prince, le 17 Octobre 1806 (1).


Après sa mort^ une assemblée constituante fut convoquée à
Port-au-Prince prétendument pour doter le pays d'um pacte
fondamental aux termes duquel le chef de l'Etat serait investi

(1 ) Malgré ses périphrases, sa phraséologie ridiculement pompeuse

et hypocritememt sentimentale, Hérard Dumesle est obligé d^avouer

la véritable cause de Vassassinat de Dessalines, Pages 335 et 336 de

son livre, rarissime aujourd'hui, intitulé VOYAGE DANS LE NORD


D'HAÏTI, il dit ceci: «Après l'eocpulsion de V armée française i-a jornie

«du gouvernement d'Haiti était m,ixte. J. J, Dessalines, gouverneur

«de VEtat et chef de Varmée érigea l'empire... Son règne cruel ')nois-

^sonna de nombreuses victimes: mais ce que n'ont pu faire ni ses

criumtés, ni ses entreprises contre la libert?. l'intê^'êt le fit. On souf-

afrait patiemment que les coups du deopo'^.isme ev.3::c:it fait dispa^

".raitre un citoyen vertueux du sein de la société; quj i.on oeil innesti-

<^gateur scrutât les plus secrètes pensées des citoyens; mais, dès

«qu'il conçut le dessein de dépouiller les propriétaires, un murmure


général s'éleva, on énuméra ses torts, et les mécontents éclatèrent..

«Messeraux, citoyen du Sud, asseynbla un petit nombre d'amûs

•-et d/ynna le branle à cette sainte insurreoitAon, en arrêtant le

général Moreau, au Garatras, Son exemple fut généralement suivi,


140 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

d'une autorité moins dictatoriale que celle qui avait été confé-
rée à l'empereur défunt en exécution de la teneur des articles
de la Constitution de 1805. Malheureuj^ementj la nouvelle
Constitution, rédigée à la hâte, fut à peine discutée. C'était une
charte bâclée; elle était toute politique. On avait eu soin de
n'y point faire mention d'un changement à opérer dans le ré-
gime des terres.

Au contraire^ elle consacrait les prétendus droits des faux

propriétaires et disait expressément en l'article 8 des Disposa-

tioais Généinailies : «La propriété est inviolable et sacrée; toute

personne soit par elle-même, soit par ses représentants a la


libre disposition de ce qui est (reconnu lui appaaleoiir. Quicon-
que porte atteinte à ce droit se rend criminel envers la per-

sonne troublée dans sa propriété.»


En l'article 22, elle s'exprimait ainsi : «C'est sur le maintien
des propriétés que reposent la culture des terres, toutes les
productions, tout moyen de travail et tout l'ordre social.» De
plus, elle déclarait par l'article 171 que «La culture source de
la prospérité de l'Etat, serait protégée et encouragée».

«et Dessalines, renversé de son cheval vers le Pont Rouge, expira sous
«les coups de V armée*.

B, Ardouin, Etudes sur l'Histoire dïtaïti, tome Vl, chapitre VIII ^


IX, et T. MadioUf Histoire d'Haïti, tome III, malgré toutes leurs cir-

conlocutions autour de la question et tous les prétextes plus mi

moins puérils qu'ils cherchent à donner pour excuser les assassins

de Dessalines, font la même confession qu^Hérard Dumesle. Saînt-

Rémy, Pation et Haiti, tome IV, est plus net qu'eux encore, quand

ii appelle la vérification des titres de propriété, ordonnée par Des.,

salines, "une funeste mesure».


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 141

Des dissensions d'une nature entièrement politique éclatè-

rent avant même qu'elle eût été votée^ entre le général Chris-

tophe et le général Fétion, lieutenants de Dessalines, qui se

disputaient la succession à la première magistrature.


Christophe se fit président et généralissime^ puis roi dans le
Nord.Ouest tandis que Pétion fut placé à la tête du pouvoir
libns le Sud-Ouest.

Cet état de choses dura de 1807 à 1818. Pétion^ toujours en


état d'hostilité avec Christophe, aurait été vaincu par son rival

couronné s'il n'avait eU! l'excellente idée de distribuer les

terres de l'Etat aux principaux officiers de son armée et à un


petit nombre de fonctionnaires civils qui lui étaient dévoués
H n'oublia pas dans ses libéralités les vétérans, sous-officiers

ou simples soldats, qui s'étaient distingués sous ses yeux ou


qui lui avaient été particulièrement recommandés par leurs
chefs immédiats.
Pétion fut tantôt président constitutionnel tantôt dictateur.
On lui a toujours pardonné d'avoir usurpé le pouvoir parce
qu'U avait su placer à côté de lui une foule de favoris qui na-
turellement, eurent tout intérêt à le servir de son vivant et
dont les descendants se sont constamment appliqués à le gran.
dir, après sa mort, aux yeux de la postérité.
Son gouvernement ne fut qu'un nonchalant despotisme poli-
tique doublé d'une féodalité militaire.

Sur les terres qu'il avait données ou amodiées aux officiers

de son armée, les soldats étaient tenus de labourer gratuite-


ment^ alors même que, pour leur compte personnel, ilsi étaient
propriétaires d'un petit domaine. Dans la République du Sud-
Ouest que gouvernait Pétion existait aussi le système du petit
fermage. Par l'effet de celui-ci le paysan, fermier de l'Etat
142 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

pour ciiiq à six carreaux de terre pouvait amasser peu à peu


des économies et devenir petit propriétaire, en achetant les
parcelles mises en vente par l'Administration des Domaines.

Christophe avait conservé dans le Nord le régime foncier an-


térieur à l'Indépendance, Ses généraux et ses employés civi^
étaient peu rétribués en numéraire. On leur concédait des ha-
bits crxs^ grandes exploitations rurales sur lesquelles ils feri-

saisut travailler les paysans à leur profit. Vers 1819, Christo-


phe commença de distribuer des terres aux vétérans de scoi

rrmée qu'il renvoyait du service. D avait été à même de cons-


tater que l<& régùne économique institué par Pétion permettait
à cslui-ci d'exercer un très grand ascendant moral sur les hom-
mes qui habitaient les départements de l'Ouest et du Sud.

Pétion mourut en 1818 et Boyer lui succéda à la présidence


dans la République occidento-méridicnale; et Christophe étant
mort en 1820 Boyer devint le chef reconnu de toute l'ancienne
partie française d'Haïti.

A la fin de l'année 1821, la partie orientale, l'Audience de


S anto- Domingo, qui était encore une colonie espagnole secoua
le joug de sa métropole et déclara qu'elle voulait faire cause
communie avec sa soeur occidentale. De 1822 à 1844, l'île d'Haï,
ti fut toute entière soumise au même gouvernement.

Boyer était un esprit bien moins scientifique, bien plus fer-

mé et plus autoritaire que Pétion. Beaucoup moins que celui-

ci il aimait le peupîe. Parvenu à la Présidence en 1818, dès le


18 Juillet 1821, il fit publier un ordre du jour pour annoncer
que la déUvrance de toutes les concessions de terrain faites à

titre de don national était suspendue. D'un autre côté, le pré.


sidént signifiait aux notaires de ne plus passer acte de vente
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 143

d'aucune propriété rurale^ lorsque cette propriété était d'une

conteaiauce inférieure à cinquante carreaux de terre (1).


Faut-il voir dans ces mesures économiques prises par le

Chef d'Etat haïtien comme un écho des terreurs exagérées dont


les esprits étaient hantés en France à cette même époque^ à
l'heure que^ dans le Parlement français^ on préconisait la ve^

constitution des majorats et qu'un député allait jusqu'à deman-


der que la France fût partagée en 440.000 fermes de cent hec-
tares chacune, et où, en Allemagne on interdisait te fraction-

nement des terres au-dessous d'un» certaine limite?

Comme l'esclavage dont on avait décrété l'abolition à ja-


mais^ ce système d'appropriation des tenues supprimait la per-

sonnalité^ la liberté et la propriété des paysans c'est-à-dire

l'homme tout entier et le laissait toujoui^ un être incomplet


N'étant pas propriétaire, sans avenir et sans intérêt, le paysan
n'avait qu'une notion confuse du patriotisme et se laissait en-

traîner facilement par les factieux de profession à lever l'éten-

dard de la révolte contre les gouvernements établis. De là

sont nées toutes les prétendues révolutions haïtiennes toutes


les guerres intestines si divisantes qui ont si cruellement
éprouvé la République noire antiléenne.
Le résultat des mesures économiques prises en 1821 par le

président Boyer fut immédiatem;ent déplorable. Les paysans


travaillaient avec ardeur pour amasser un petit pécule^ dans
l'espérance de devenir propriétaires. Dès l'insitant qu'ils virent

fermée pour eux toute accession à la petite propriété, ils se

(1) he carreau a une superficie de cent pas carrés; c'est une conte-
nance d'un acre et quart anglais. L'acre anglais égale quarante et un
ares; Un carreau c'est donc cinquante et un ares un quart; deux
carreaux forment un hectare.
144 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

découragèrent. La production du café, du coton, du cacao


et du sucre déclina rapidement.
En 1824 l'industrie sucrière, pratiquée surtout dans les

plaines du premier étage^ était déjà complètement morte.


En 182î^ les recettes s'étaien* élevées au chiffre de 3.570.691
gourdes. En 1822, elles ne sont plus que de 2.620.012 gourdes.
En 1824 encore que le territoire de la République eût été

doublé depuis deux ans, par l'annexion de la partie orien-


tale, le budget des recettes ne s'élève plus qu'à 3.101.716

gourdes chiffre inférieur à celui de 1821. Cette statistique

est aussi rigoureuse qu'éloquente. (1)

•fl'i)] Un pays sans statistique est un pays qui s^ignore, car la statis-

tique est la. physiologie sociale. Il en est de lui comme des individtis

qui ne savent pas comment fonctionnent leurs organes: ils sont tou-

jours m-dlades et meurent jeitues. Le gouvernement haïtien aurait dû


créer un bureau de statistique générale qnti serait souche att ministère

de Vintérieur et présidé par le chef de ce Département. DaTis chaque

ministère il y uurait ttn commis de statistique, Tonis les m^ns ils se-

raieiit t&nus de présenter un rapport verbal ou écrit. Us seraient de


droit m.embre du CoTiseil, Celui-ci serait en outre composé de fonc-

tionnaires compétents et de quelques commerçants. Le Conseil aurait

le droit de demander des renseignem.ents de toutes sortes aux auto-

rités départementales et com,munales. Centralisés et classés, ces ren.

seignement4 seraient publiés dans un Bulletin mensuel.

Il est superflu d'insister sur la haute portée économique et politique

d'u-ne pareille institution et sur le nombre de services pratiques qu'elle

pourrait rendre. C^est par son Conseil de statistique, par les hommes

spéciaux dont il s'entoure, que Bismarck gouverne l'Allemagne, et,

après lui avoir donné la suprématie militaire, lui assure une supré-

matie commerciale qui va grandissant chaque jour.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 145

De 1825 à 1831^ les recettes ne dépassèrent plus le chiffrfe

de 2.600.000 gourdes (2).

Le changement de mode de la propriété avait fait tout le

mal. Au fur et à mesure que les petits propriétaires mou-


raient ou se ruinaient les grands propriétaires rachetaient
les petites parcelles et les ajoutaient à leurs domaines, ab.
solunient comme il en fut fait en Irlande lorsque^ après la

ooaquête définitive de cette île par l'armée anglaise qu'a-


vaient soldée les aventuriers les chefs de cette armée acqué-
raient à vil prix les lots de terre qui avaient été attribués

à leurs soldats et constituaient ces immenses latifundia qui


font encore de l'Irlande une gueuse et du paysan irlandais

un exploité.

«La culture des terres est le plus grand travail des hom-
mes. Plus le climat les porte à fuir ce travail, plus la religion
et les lois doivent y exciter. Ainsi les lois des Indes^ qui
donnent des terres aux princes et ôtent aux particuliers Tes.
prit de propriété augmentent les mauvais effets du climat,

c'est-à-dire la paresse natujfelle».

Cette phrase est de Montesquieu.


On sait de plus, que la petite propriété est la plus conve-
nable au maintiiMi d'ime constitution démocratique. (Levas-
seur).

Les Etats-Unis n'ont progressé si vite que parce que dans


la Nouvelle Angleterre chaque cultivateur est presque tou-
jours propriétaire du sol qu'il exploite. Dans la Confédéra-

Un Conseil de statistique fédérale existe aussi aux Etats-Unis et

rend de grands services par les renseigneTnents quHl publie périodi-

quement.

(2) La gourde valait cinq francs et quelques centimes.


146 « LES AJFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

tian Etoilée, on ne trouve de fermiers que dans les ariiciems

Etats et là même en petit nombre. (Léonce de Lavergne).


Lorsque Michelet disait «l'homme fait la terre», il enten-
dait parier du petit propriétaire qui^ par le faire-valoir direct
du sol, étant à la fois capitaliste^ propriétaire et entrepreneiu-
d'industrie devitent aussi intéressé que possible à l'améliora-
tion du champ dont il est détenteur et bénéficiaire. (GamiSer)

De plus le système du faire-valoir par le paysan proprié,


taire est plusl propice aux progrès agricoles et mieux fait pour
développer l'intelligence la moralité et le bien-être des po-

pulations. (J. B. Say).


La culture par le propriétaire amène une juste limite à la

division des terres et à l'accroissement de la population; eDe


rend également les révolutions moins fréquentes. (Sismondi)
La culture des terres est le plus grand hitérêt de l'huma-
nité et l'appropriation individueDe est le moyen le plus ef_

ficace d'assurer et de développer cette culture. (Gamier).


Dans un pays tropical où l'homme a peu de besoins^ dans
un pays jeime^ dans un Etat démocratique surtout, la pro-

priété foncière ne saurait être le monopole abusif de quel-

ques-uns; elle doit être une institution d'utilité générale.

Le système qui consistait à louer et à affermer les terres j

de l'Etat était mauvais. Faute d'amélioration convenable les

terres du domaine public devaient rester en friche ou ne


pouvaient être amodiées qu'à de minimes conditions. Le
paysan n'étant pas avicBement^ égoïstement sollicité par l'in-

térêt ne cherchait pas à ttrea* du sol tous les produits qu'il

pouvait fournir puisqu'il savait qu'il n'aurait pas le droit

de disposer de ces produits seul et en toute propriété.


L'initiative privée, qui est à la fois multiple et intelligente^

et qui fait que le père souffre pour le fUs afin que celui-ci
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 >» 147

soit riche plus tard était tuée chez le paysan haïtien par les
singulières et despotiques combinaisons économiques du pré.
sidsent Boyer.
L'évolution de la nation tout entière en fut arrêtée.
«Le moyen le plus efficace et le plus économique pour
civiliser peuplades barbares ou semi-barbares de l'Eu-
les

rope, de l'Afrique^ de l'Amérique, de l'Asie, pour émanciper

les serfs et les esclaves, consiste à leur constituer


ime pro-
priété foncière individuelle. C'est aussi le moyen d'accroître

la fécondité du sol.

«Donnez à un individu la pos^ssion assiu-ée d'un rocher


aride, il le transformera en un jardin». (Arthur Young)
Le président Boyer semble avoir toujours ignoré que le

propriétaire est le meilleur des cultivateurs et des améliora-

teurs et que, même s'il ne travaille pas le sol, il est encore

le meillteur des surveillants et des conservateurs.

En France, avant la Révolution, les jachères abondaient


Le témoignage d'Arthur Young est formel à cet égard. La
Révolution, en retirant la terre des mains de la noblesse et
du clergé qui n'en tiraient rien, pour la faire passer dans
celles des paysans, a décrété non seulement la France ac.
tuelle tant industrieuse et si riche, mais l'Europe et le monde
contemporains. Sans la révolution économique commencée par
la Constituante de 1789, la révolution philosophique et politi-

que avortait complètement, piteusement.

n était justd d'ailleurs que le paysan haïtien fût proprié-

taire du sol. Il en avait le droit à plus d'un titre. C'était lui

qui l'avait conquis après l'avoir, pendant des siècles, en-

graissé de son sang souvent et de sa sueur toujours dans la

personne de ses aïeux d'Afrique transportés en Amérique;


148 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

c'était sur lui^ en définitive, que retombaient tous les in^ts,


toutes les charges. H était le principal consonunateur^ le seul
producteur, le seul exportateur.
A la vérité, c'est lui qui depuis que rindépendance d'Haïti
a été reconnue par la France, en 1825 d'abord et en 1838
ensuite, c'est lui qui a payé les quatre-vingt.dix millions H
les intérêts des arriérés que la nation haïtienne a versés de-
puis lors aux petits-fils des colons de Saint.I>omingue.

On aiurait facilement éteint l'emprunt de 1825, conclu ù


Paris pour solder le premier terme de l'indemnité d'Haïti,
si les dons nationaux n'avaient pas été exagérés en faveur
de quelques-uns et aux dépens de tous; si, comme l'a dit M.
Ethéart, «les récompenses avaient été sagement mesiu-ées, si

on avait fait fructifier en temps utile les terres qui revenaient

au pays tout entier; si on s'était contenté d'administrer avec


justice et bon sens; si on n'avait imposé tous pour payer ce
qui était donné presque gratuitement à quelques-uns (1)»
Pratiquant tous l'absentéisme et méprisant au fond le tra.
vail de la terre ces grands propriétaires illégitimes qu'a-

vaient improvisés Pétion et Boyer, ne pensaient jamais à


améliorer le sol qu'on leur avait injustement livré, et cela

en même temps qu'ils empêchaient les paysans de devenir


propriétaires. Ceux-ci opposaient à leur mauvais vouloir une
tactique fort habile pour les porter à vendre leurs terres.

Déjà sous la présid'ence de Boyer, ainsi que le constate le

journal haïtien Le Temps (niunéro du 7 Avril 1842), «les

paysans résistaient à s'employer pour autrui moyennant sa-

(iy —Liautaud Ethéart, — Le Gouvernement du général Boisro'>id Ca-

nal. — La France et VEmprunt de 1875, — Port-au-Prince, 1882.


-

« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 149

laire»; comme la loi les y forçait, ils accusaient les contrats


de louage qu'on les obligeait à passer, <«de gêner leiu: libre

arbitre» ce qui était vrai.

«Pour s'en affranchir ils appauvrissent les propriétaires,

les dégoûtent, les désespèrent, jusqu'à les porter à sacrifier


leurs propriétés. Alors, aux termes des contrats, leur gros
pécule amassé patienunent est là pour être offert aux pro_
priétaires qui se résignent».

Gustave d'Alaux, qui, dans son Uvre: Une Visite chez Sou-

louque, rapporte l'opinion du journal haïtien, a cru devoir


la faire suivre de ce commentaire peu bienveillant «Dans
le paysan nègre, il y a largement conune on voit l'étoffe

du paysan européen. Habilement excité et dirigé, cet esprit


de cupidité et de ruse pourra devenir plus tard au pis aller
un puissant levier d'organisation sociale»; mais ajoute-tJI
inmiédiatement avec moins de bonheur et comme pour dé-
truire l'effet de cette réflexion précédente pleine de justesse
si l'on supprime les mots «pds aller», «mais en attendant, il

avait ici pour mobile la paresse, pour tactique le ralentisse-

ment de la production et pour fin l'accélération du morcelle,


ment».
La vérité est que très peu de propriétaires se résignaient
à morceler leurs «latifimdia», poiu- 1^ vendre à de gros
paysans qui pouvaient devenir acquéreurs de cinquante car-
reaux de terre à la fois, et il est rigoureusement exact de
soutenir que rien ne fut fait pour le paysan haïtien de 1821
à 1843. La terre on la lui avait retirée. L'instruction, on ne
songeait pas encore à la donner aux classes pauvres en Eu-
rope; à plus forte raison n'y voulait-on pas songer en Haïti.

On sait qu'en France la loi Guizot, loi qui porte création


150 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

d'une école primaire dans chaque commune, est de 1833; on


sait qu'en Angleterre l'instruction publique n'a été sérieu-
sement prise à la cliarge de l'Etat que depuis moins de vingt
ans.

D'aiUeurs comme étroitesse d'esprit le président Boyer


ne le cédait en aucun point aux Chefs d'Etat les plus réac-

tionnaires de son temps. Il alla jusqu'à faire fermer les écoles


primaires que le Roi Christophe avait ouvertes dans le Nord:
et, plus tardj il fit fermer l'Université de Santo.Domingo
afin que la grande masse des citoyens étant plongée dans la

plus profonde ignorance^ sa politique et celle de ses parti-


sans fût à tout jamais prépondérante, tenue pour providen-
tielle, quasi divine. H repoussa les paysans des villes et les

attacha à la glèbe. Le cultivateur fut corvéable à merci. Seul


avec l'artisan^ il fut soldat^ et encore était-il toujours main-

tenu dans les bas grades de l'armée. (Schoelcher).

Toute iniquité sociale se paie; ce n'est pas impimément


qu'on peut fermer toute lumière et interdire la propriété de
la terre à des milliers d'hommes.
La révolution de 1843 vint renverser de la présidence le
Général Boyer qui depuis 1818 s'y prélassait dans un par-
fait contentement de lui-même et dans une coupable indiffé-
rence pour le sort du peuple.
L'opposition qui renversa Boyer était composée d'hommes
appartenant à la bourgeoisie. Les masses avaient adhéré au
mouvement sans trop rien y comprendre, mais espérant va-
guement que leur sort serait amélioré sous tout autre gou-

vernement que sous celui de Boyer. Elles furent déçues dans


leurs légitimes espérances.

Les anciens opposants, devenus gouvernants, s'amusèrent


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 151

au jeu des constitutions écrites sur le papier. Au lieu de faire

des hommes^ ils faisaient des lois.

D'abord ils restreignirent l'usage du suffrage universel,

du suffrage à un seul degré, pour les élections législatives.

L'article 164 de la Constitution^ qu'ils firent voter le 30 Dé-

cembre 1843, est ainsi conçu: «Tout citoyen âgé de vingt-et-


un ans a le droit de voter aux assemblées primaires et élec-

torales, s'il est propriétaire foncier s'U a l'exploitation d'une


ferme dont la durée n'est pas moindre de neuf ans^ ou s'il

exerce une profession un emploi ou une industrie quelcon-


que».

C'était rejeter de la liste électorale tous les paysans pro-


létaires^ tous ceux qui ne pc^sédaient rien en propre et qui
pourtant, étaient les plus nombreux. De plus on ne voit pas
qu'ils aient rien stipulé d'utile, de fraternel pour les paysans
dans cette Constitution de 1843 que nous avons sous les yeux.
Mais pour eux^ ils stipulèrent la liberté de la presse et celle
de la parole, la liberté de réunion^ la liberté d'association et
toutes sortes de choses qu'ils savaient ne pouvoir servir de riei
dans un pays et à une époque où un citoyen sur cent savaii
lire^ où un sur cinq cents avait reçu une certaine éducation,
et où personne ne songeait à faire pénétrer ses idées au mi-
lieu d'une foule à qui on avait eu soin de cacher toute lu-

mière^ en même temps que systématiquement on l'abrutis-

sait en rendant veule son cerveau, en bestialisant ses passions.

Le monde des paysans vit encore que les adversaires po-


litiques de Boyer maitres de l'autorité après la lui avoir ar-

rachée faisaient les affaires d'une petite fraction de la na-


tion avec les leurs propres et nullement celles de la majorité

du peuple; que la révolutijoin,, dévoyée, rapetissée^ tournait


152 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 «

eni révolte heureuse et que l'aristocratie militaire^ qui avait

gouverné avec le président déchu^ allait être remplacée par


une oligarchie de commerçants et d'avocats^ plus cupide,

plus égoïste plus tracassière et plus hypocrite encore^ la-

quelle aurait aussi opprimé, exploité, écrasé le peuple des


villes et des campagnes.

Les souffrances les espérances et les revendications des

paysans furent formulées résumées par im homme du peu-


ple Acaau, qui les cristallisait en lui H prit les armes en,

réclamant l'instruction publique générale et en demandant


pour les paysans les terres de l'Etat que Pétion leur distri-

buait autrefois mais que Boyer leur avait retirées. Là était

la vraie révolution et non sur le papier d'une constitution.

Acaau qui par ime sorte de révélation, par une espèce

de divination économique réclamait en Haiti luie partie de


ce qui ne fut réclamé énergiquement que fort longtemps
après par les économistes les plus éminents et les hommes;
d'Etat les plus sagaces en Allemagne, en Russie et en Au_
triche; Acaau, qui voulait que le petit paysan, exploiteur

du sol en fût le véritable propriétaire; Acaau, partisan de


la petite propriété, respecta les propriétés tant urbaines que
rurales fut sublime de générosité, de mansuétude et de bra>.

voure, et se brûla la cervelle lorsqu'il vit qu'il n'avait point


été compris par les siens et que son programme ne pouvait
être réalisé que lentement, au fur et à mesure. Cet ignorant
de génie, qui comprit si bien les véritables intérêts de son

pays; ce simple qui eut une intuition si profonde de la jus-

tice et du droit, ne fit de mal à personne; il fut meilleur ré-

publicain que tous ceux qui avaient renversé le gouverne-


ment de Boyer et qui, parvenus aux affaires à leur tour,
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 153

croyaient naïvement que les nations se nourrissent de cons-


titutions; qu'un gouvernement peut se soutenir même quand
il n'a pas le vrai peuple^ l'artisan et le paysan pour lui (1),
D'autres révoltes dfe paysans éclatèrent dans le Départe-
ment du Sud pendant le cours de l'année 1846 mais elles

furent toutes étouffées dans le sang par les gouvernants


maladroits et réactionnaires qui occupaient le pouvoir à
Port-au-Prince. Ce sont ces paysans qui déguenillés et n'a-
yant que des piques pour soutenir leurs revendications so.
ciales^ furent dénommés piquets par leurs adversaires. Le
nom leur est resté^ et les rétrogrades haïtiens de nos jours
désignent par le même sobriquet tous les déshérités qui
réclament leur place au soleil, qui demandent des moyens
de travailler poiur vivre^ et dont le plus ardent désir es .

d'avoir la terre à eux afin qu'ils la puissent cultiver en tout


propriété à leurs risques et périls.
Les paysans avaient parfaitement raison de ne labourer
qu'à contre-coeur sur des terres qui ne leiu- appartenaient
point, et qui pourtant auraient dû leur revenir plus légiiime-

(1) —La mémoire d'Acaau a été platenmervt àÀjjamée, Dans um étude

spéciale qtie je prépare, il sera prouvé que tou^ les torts ont été du
côté de ses adversaires politiques et de ses détractetcrs systématiques.

En attendant, on peut lire ce que j^ai dit de lui dUins 7non livre: La
RépnxbliqiLe d^HaA.ti et ses visiteurs. Les gouvernants liaitieiLS de 1S43

à 1847 méritent que le jour soit jait sur leiirs actes. Il sera fait (-1').

(Janvier 1884)

(•î^) — Il a été fait. Voir dans la collection de la «Bibliothèque dé-

mocratique haïtienne" via brochure intitxdée: Le Vieux Piquet, Paris,

Juillet 1884.

(Note nouvelle, Septembre 1884"!


154 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 ».

ment qu'à personne; ils murmuraient bien plus encore quand


il leur fallait abandonner plus de la moitié du produit de
leurs travaux annuels à des propriétaires qui ne l'étaient

devenus qu'au moyen de la fraude ou encore par les faveurs^


le caprice, le bon plaisir de Chefs d'Etat corrupteurs ou igno-
rants.

Le premier droit de l'homme est d'exister^ disait Robes-


pierre. C'est assassiner les hommes que de ne p^ leur re-
connaître ce droit, ajoutait Fourier.
Si les gouvernants de Port-au-Frince avaient su que les

paysans devenus propriétaires fonciers toutes les terres aug-


menteraient de valeur réelle et vénale; que les routes se-
raient percées d'elles-mêmes, pour ainsi dire les rivières

endiguées ou canalisées la production décuplée l'aisance

généralisée, la sécurité garantie^ les insurrections conjurées

à toujours, ils eussent peut-être consenti à reconnaître la jus-


tesse des réclamations formulées par 1^ paysans. Il n'en fut
rien et les partisans d'Acaau massacrés ou dispersés, la ques-
tion fut enterrée (1). Pendant le cours de la présidence de

(1) — aLa dette écrasante qui pesait siir la. vioyenne propriété avait

amené aux Illème et IVème siècles des crises intérieures terribles; La


jeune République se vit à plusieurs reprises suspenidue sur l'abîme;

mms elle se releva et releva avec elle toute la classe des laboureurs

daTïs le Latium, soit au moyen des assignatiwis de terre et des incor-

porations faites en masse au Vème siècle, soit en abaissant le taux de

l'intérêt, en même temps que le peuple croissait prodigieusement en

ivombre. R faut voir là la cause et Veffei towt ensemble de Vagrandisse-

ment démesuré de la puissance romaine, Pyrrhus, avec son ccmp-d'œil

militaire, ne s'y trompa jamais; il attnbvMt directement la prépondé^


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 155

Soulouque et du régime impérial de Faustiii 1er. sous les

présidences de Gcffrard^ de Salnave^ de Saget, de Domin-


gue et de Canal on n'y songea point, les questions irritantes

de la politique pure servant à alimenter après les avoir pré-

parées les révoltes aussi inutiles que sanglantes et coûteuses


qu'on a eu à déplorer depuis lors (2).
EUes ont ruiné la nation, faussé tous les ressorts brisé
toutes les énergies, lassé tous les courages et toutes les rési-
gnations, et aucune réforme sérieuse n'en est sortie. De plus
elles ont livré le pays presque pieds et poings liés à une
tourbe d'étrangers rapaces et durs qui tiennent tout le com-
merce^ font l'usure et fomentent les révoltes s'enrichissent
des dépouilles d'un peuple trop accueillant et trop sentimen-
tal qu'ils ne se privent point pourtant de couvrir d'injures
et de calomnies, après qu'ils l'ont pillé.

Une révolution purement politique n'est pas une révolu-


tion, n faut qu'elle soit aussi sociale, économique, qu'elle
amène une évolution pour tous un mieux pour les classes

les plus nombreuses, les plus nécessiteuses. C'est ce que M,


Salomon le président actuel de la République haïtienne a
eu le grand mérite de comprendre. M. Salomon a vécu une
existence des plus agitées^ des mieux remplies. Il fut le théo-
ricien des premiers piquets. Son père et lui étaient les véri-

rance de Rome sur le terrain de la politique et siir les champs de


bataille, à la conditiœi florissante de la classe agricole."

Mommsen, traduction Alexandre. HISTOIRE ROMAINE, chapitre VIII,

pages 270 et 271.

(2) —Voir dans vum ouvrage: La République d'Haïti et ses visiteurs,

c/iez Marpon et Flammarion, Paris 1883, le chapitre intitulé : LES


OPPOSITIONS EN HAÏTI.
156 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

tables directeurs de la ^erre sociale de 1844. Sénateur en


1846 ministre de 1848 à 1859, il fut toujours tenu en suspi-
cion par Faustin 1er. qui, obéissant aux habUes suggestions
des ennemis du peuple redoutait en lui un compétiteur dan-
gereux pour sa dynastie.

Geffrard n'alla pas par quatre chemins: en arrivant à la

présidence il organisa une émeute qu'il dirigea contre la

maison que M. Salomon habitait à Port-au-Prince. Celui-ci


dut partir pour l'Europe. A son retour aux Antilles on lui

ferma, à lui et à sa femme^ les portes de la patrie. II réclama.


Ce fut en vain. On craignait son influence, ses critiques.

Jusqu'en 1867 il fut forcé de séjourner à Paris. Eki 1867^ le

président Salnave successeur de Geffrard, qui craignait

aussi le retour de M. Salomon dans sa patrie, le nomma


ministre-résident d'Haiti à Paris, pour le tenir à l'étranger.

Salnave tomba du pouvoir en 1870; son remplaçant, Nissage


Saget fit impliquer M. Salomon dans une prétendue conspi-
ration et l'empêcha de rentrer. Le Général Domingue^ qui
fut élu à la présidence à l'expiration du terme quadriennal

de Nissage Saget ne jugea ni Nécessaire, ni prudent de met-


tre fin à un bannissement aussi injustifié que long, malgré
toutes les protestations du malheureux banni. En Haiti com-
me ailleurs il coûte cher d'aimer les humbles et les exploités,

et surtout de prendre ostensiblement la défense de leurs

intérêts.

Deux fois M. Salomon revint à Port-au-Prince; en 1876,


après dix sept ans d'exil, et en 1878; deux fois il se vit obligé par

le parti des rétrogrades, qu'on appelle aujourd'hui, par anti-

phrase, le parti libéral, de retourner en exil. Enfin, en 1879,


il réussit à prendre pied à Port.au-Prince. Nommé d'abord
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 157

membre du gouvernement provisoire il fut élu à la prési-

dence d'Haiti (23 Octobre).


n n'avait pas vécu à l'étranger^ à Londres et à Pajis, pen-

dant si longtemps sans amasser de nouvelles connaissances


pour les ajouter à celles qu'il possédait et à l'expérience des

hommes et des choses qu'il avait acquise en les maniant de


1843 à 1859.

* *
Une belle vie est le couronnement d'une pensée de la jeu-

nesse^ a écrit Alfred de Vigny (1). Celui qui avait été l'ins-

pirateur et le soutien des paysans en 1844 et qui à cause


d'eux avait enduré un si cruel exil ne pouvait les oublier.
Eai son ostracisme il avait dû même penser à eux toujours
On aime d'autant plus les personnes et les choses qu'on est
persécuté à cause d'elles.
Ses loisirs forcés lui avaient permis de ne rien ignorer
des mouvements qui se sont accomplis dans les idées écono-
miques modernes. Il avait eu occasion de se convaincre en
lisant Hyppolite Passy, Gasparin Me Culloch, Carey^ Thom-
ton^ Cliffe Leslie, Herbert Spencer, Paul Leroy-Beaulieu que
la petite propriété est la meilleure. Dans les pays où elle est

de règle^ avec du sable, sur du roc le paysan fait de l'or,

poiu- répéter aussi que plus le paysan travaille plus la na-


tion est prospère et pacifique.

Lorsqu'en 1879, M. Salomon constituait son premier cabi-


net ministériel, ii se rappelait plus que jamais qu'en
France, où la petite propriété représente les 95% du total

des cotes foncières, le pa:y'san est le vrai mari de la terre,

(l)-^—Qu^importe que d^autres exécutent, il est CLssez glorieux, assez

beau d'avoir pensé.


158 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

selon le mot de Michelet; qu'il l'imprègne sans relâche de


travail humain, la cultive avec une farouche amour. Il sa-
vait que la propriéié et la liberté vont ensemble; que si la

propriété est inutile, elle est illégitime, ainsi que l'a démon,
tré Stuart Ivlili; que^ de plus^ les propriétaires servent de
garantie contre les conunotions politiques parce qu'ils sont
essentiellement conservateurs dans le bon sens du mot»
partisans acharnés de la paix publique (1),

Un peuple doit donner la prééminence aux paysans d'abord


et avant tout. Cette considération qui est d'ordre primordial
partout ailleurs, l'est davantage encore dans im état pure-
ment agricole comme l'est Haïti; elle i\e pouvait que servir
de ligne de conduite à un esprit aussi patriotique et aussi

éminent que l'est celui à qui la nation avait confié le gou-

vernement de ses destinées au mois d'Octobre 1879,


En Haïti, de 1821 à nos jours, le paysan avait été le sacri-

fié. Surtout dans les plaines, sur les anciennes habifcatioois

sucrières, cotoiuiières et indigotières, le paysan avait eu à


subir les conséquences d'un véritable régime féodal, La
terre avait été un instrument de domination entre les mains

(1) —Les libertés sociales passent avant les libertés politiques^ Un


homme nu, ignorant, dont les moyens d'existence sont précaires, pro-

blémaUqU'es, n'^a que faire de droits idéaux dont il ne peut jouir et

dovtt même il n'a nulle connaissance. La liberté c'est la civilisation.

Oïl n^y arrive qu'en passant par des phases interTnédiaires et siirtoiit

en doniiant de plus en plus à Vhomme de libertés sociales. Ce sont


celles-ci qui créent les libertés politiques. En un mot, la liberté s^ac_

croît chez un peuple à mesure qu'il se civilise. Et la guerre, la guerre

civile s^irtout ne civilise point. Au contraire.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 159

des grands propriétaires, militaires ou fils de militaires, com-


me il en fut en Europe au Moyen Age (1)

M. Salomon arrivant à la présidence porté par le parti

démocratique pur qui atsendait tout de lui, devait voulob-

faire cesser le plus tôt possible cet état de choses^ qui aval
été si préjudiciable aux véritables intérêts de la nation.

Les lois agraires die la Prusse votées en 1811, en 1850, en


1867; celles adoptées en Autriche-Hongrie en 1848 et en
1849, puis en 1862, en 1967 et en 1873 ont démontré irrécu-

(1) —Nul nHgnore que, en Europe et en Amérique, tous les pe^tples

mit connu le régime de Vesclavage. Dans cette portion de VEurope

que les positivistes appelleM la république occidentale, Uhomme fut

tour à tour esclave, serf, affranchi. En France, le Tiers-Etat se recruta

dans la classe des affranchis. La RévoluUon de 1789 fit de la natàon

française un corps homogène qui déclara Végalité dogme foiidc.mental

dans VEtat.

Les corporations, les ordres, les privilèges furent supprim,és. Les

administrateurs d'tcuutrefois, qui étaient en même temps les concur

rerits économiques de leurs administrés, se montraient très jahnix dt

leitrs prérogatives et ne pensaient qu'à maintenir toujours le peuple,

le paysan courbé sous leur domination, abruti par Viynorance.

Le régime de la libre concurrence économique qui devait amener


après lui ^expansion la plus large, la plus complète, la plus xiiiver.,

selle de l'esprit en France ne pouvait dater que de la Révolution.

Charles Dunoyer énumère sept états sociaux successifs: Jo^ — Vétat

social des sauvages, celui dans lequel vivent les peuples chasseura et

pêcheurs; 2o — Vétat social des peuples nomades ou pasteurs; 3o — l'état

social des peuples sédentaires qui oiit des esclaves: 4o —celui des péri-

ples sédentaires qui ont des serfs; 5o celui des peuples où fletcrit le

régime des privilèges: Go —celui des nations qui vivent sous la sou-
160 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

sablement la véracité de grands faits d'économie politique.


On n'ignore point que, dans ce dernier empire partout où
le paysan est devenu propriétaire il a fait la richesse; que
la chose a éclaté aux yeux particulièrement dans les régions
où^ vivant autrefois esclave et exploité le paysan laissait les

terres en friche; qu'en c^ mêmles districts les revenius des

seigneurs doublaient et triplaient en même temps que ceux


des paysans depuis que ces lois agraires ont été mises à exé-
cution.

Les mesures agraires concernant l'Irlande prises en 1870,


l'ukase de 1861 et les réformes qu'il a amenées depuis lors,
l'ukase particulier de la Pologne promulgué en 1864 il en
avait probablement pris connaissance de même que lui pas-

sèrent sous les yeux plus tard le bill voté par le Parlement
anglais en 1881 , d'après l'initiative de M. Gladstone, l'ukase

de 1882 et les lois votées par le Folkesting pour satisfaire

les légitimes exigences des paysans danois.

Tout d'abord on procéda aux réformes financières. Une


banque nationale fut créée à l'aide de capitaux français atti-

rés en Haïti; la république noire entra dans l'Union interna-


tionale des postes; elle fit fondre de la monnaie d'argent ayant

veraineté d'un seul; 7o —celui des peuples qui jouissent du régime de

la libre concurrence économique.

Depuis que le peuple }uiitien s^est constitué, après avoir détruit le

régime de ^esclavage, il a connu le régime des privilégiés et le régime

de la souveraineté d'un seul, lesquels se confondent toujours ou pres-

que toujours. Il était réservé à M. Salomon de détruire, en donnant


des terres aux paysans, leur servage effectif et même légal décrété par
Bayer en 1821; il lui était réservé d'inaugurer dans son pays le régime

de la libre concurrence économique.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 161

le même titre que les monnaies des puissances qui forment


l'Union monétaire latine et il ne manque encore à la nation

Kaïtienne que l'étalon d'or pour faire partie de cette Union:


une exposition générale des produits du pays fut organisée
à Port-au-Prince en 1881; puis^ enfin^ les 26-28 Février 1883,
la loi suivante fut votée par le Parlement sur la proposition
des mjaiistres de M. Salomon, après que le projet eut été

discuté en séance du Conseil (1). Elle est tellement impor-


tante qu'O faut qu'elle soit rapportée ici en son entier:

LOI PORTANT CESSION CONDITIONNELLE DES


TERRAINS DU I>OMAINE NATIONAL
SALOMON, PRESIDENT D'HAÏTI

Considérant qu'il est du devoir du gouvernement vu la

situatiogn actuelle du pays d'encourager le développement de


l'agriculture par tous les moyens en son pouvoir pour assurer
le bien être des populations;

Considérant qu'il est urgent de donner un plus grand essor


à la production de nos principales denrées d'exportation,

d'augmenter nos moyens d'échange;


Sur le rapport des Secrétaires d'Etat de l'Agriculture et

fi) — Cette loi ixpère en HaiU la seule véritable REVOLUTION que ce


pays peut se vanter d^avoir vue depuis qu'il a conquis son autonomie

mt plutôt depuis 1821, car, somvie toute, to^is les prorminciamentos ou


coups d^Etat plus ou moins sanglants qui ont édifié dle;î gouvertie^nents

dans VEtat noir n'ont été que des REVOLTES heureuses dont les auteurs,

parvemus au pouvoir, continuaient sous un autre titre ou sous le mê.


itie, les errememts économiques et politiques, de leurs prédécesseurs.
-

162 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

de l'Intérieur, et de l'avis du Conseil des Secrétaires d'Etat^


A proposé,
Et le Corps législatif a rendu la loi suivante:
ARTICLE 1er. — Tout citoyen qui s'engagera à cultiver
les denrées suivantes: café canne-à-sucre coton cacao, ta.
bac^ indigo, ramie et tous autres produits d'exportation, aura
droit à luie mise en possession de trois à cinq carreaux de
terre du domaine public (1)^ après demande écrite adressée
au Secrétaire d'Etat de l'Intérieur qui y donnera suite, le
terrain ayant été préalablement arpenté aux frais du soumis
àionnairte (2),

ART. 2. — Dès qu'il sera constaté par une Commission


nommée à cet effet et après les délais suivants:

Four le café^ quatre ans;


Pour la canne à sucre, deux ans;
Pour le coton, deux ans;

Pour le cacao, cinq ans;

Pour le tabac^ deux ans;

Pour l'indigo un an;

Pour la ramie^ un an;

que les 3/4 du terrain concédé sont plantés en une ou plu-


sieiu^ de ces denrées et à la suite d'une première récolte,

l'occupant ou ses ayants droit recevront du gouvernemeiii


im titre de concession à perpétuité.

ART. 3. — Si, ces délciis passés le concessionnaire ne

(1) —Un peu plits ou un peu moins que ce qui est offert en Algérie
à chaqUrC famille d^invmigrant européen.

(2) — Il eût été meilleur que VEtat prit à sa charge les frais d'ar-

pentage, sauf à se faire rembourser indirectement plus tard con^nine

fait le gouvememeM fédéral des Etats-Unis.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 163

remplissait pas les conditions ci-desus édictées l'Etat ren-


trera purement et simplement en possession du terrain que
tout autre pourra soumissionner,

ART, 4. — Le fermier ou l'occupant actuel aura toujours


la préférence sur tout autre soumissiomiaire (1).
ART. 5. — Les usines fondées pour la préparation des
dites denrées, les sociétés anonymes par actions montées

(1) — Il jaut craindre que le paysan n'abuse des latitudes trop gran-

des qui lui sont laissées par l^article 4. Si mal il y avait Partiale se_
rait modifié par tine loi nouvelle pour sauvegarder les intérêts de

VEtai, du plus grand nombre.


Il est à désirer qite chaque titre de concession à pei'pétuité délivré
porte un numéro d'ordre et soit simplement détaché d'un livre à scni-

che spécial pour chaque commune. Provisoirement, on établira un


innpcst d^une denni-gourde sur chaque carreau de terre en plein rapport

et quelle qrte soit la denrée produite. Voilà le principe de la cote

joncière, le commeneement du cadastre, Vorigine de IHmpôt foncier.


La quotité de cet impôt pourra être élevée plus tard po^ir telle denrée

ou pour .telle espèce de terre, mais ne sera jamais abaissée pn.r au-

cune. Peu à peu, l'impôt foncier sera établi sur toutes les propriétés

rurales gtielles qu^elles soient. On prendra pour hase d*évalvavon et

de perception le revenu brut des parcelles iwuvellement créées et le

total du revenu de la production des cinq dernières années de la terre

à imposer.

Les maisons des campagnes et les maisons des villages seront aussi

imposées très légèremeiit dès à présent, vingt.cinq cent'mes par 'mai-

son, si petite soit-elle, mais on élèvera la quotité de Vimpôit qu'elles

auront à payer au fur et à mesure qtte le paysan deviendra plus ins-


truit et plus riche.
164 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

pour l'exploitation en grand du domaine public jouiront, en


tant que personne morale^ du privilège de naturalité (1).
ART. 6. — La présente loi abroge toutes lois ou disposi-
tions de lois qui lui sont contraires; elle sera exécutée à la
diligence des Secrétaires d'Etat de l'Agriculture et de l'In-
térieuTj chacun en ce qui le concerne.
Donné à la Chambre des Représentants, à Port-au-Prince
le 26 Février 1883^ an 80ème de l'Indépendance.
Le Président de la Chambre
(Signé) R. Honorât
Les Secrétaires,
(Signé) A.D. Thomas — F.N. Apollon
Donné à la Maison Nationale^ au Port-au-Prince le 27 Fé-
vrier 1883, an 80ème de l'Indépendance.
Le Président du Sénat
(Signé) M. Montasse
Les Secrétaires,

(Signé) F. Joseph -r- E. Pierre

AU NOM DE LA REPUBLIQUE
Xie Président d'Haïti ordonne que la loi ci-dessus du Corps
L/égislatif soit revêtue du sceau de la République imprimée^
publiée et exécutée.
Donné au Palais National^ au Port-au-Prince, le 28 Février
1883^ an 80ème de l'Indéptendance.

(!)"> — Cet article est très important. Il invite les c<vpitaux étrangers

à venir coloniser Haiti. C^est un acheminement à la radiation du fameux


ARTICLE SEPT, radiation qui sera opérée dès ViTistant que la neu-

tralisation de Vile d^Haïti sera reconnue et garantie par les grandes

puissances antiléennes.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 165

(Signé) Salomon
Par le Président;

Le Secrétaire d'Etat de l'Agriculture


(Signé) François Manigat
Le Secrétaire d'Etat de l'Litérieur
(Signé) Ovide Cameau

Au moment où la loi fut votée vivaient retirés à l'étranger,,


surtout à la Jamaïque et à Saint.Thomas, les chefs et les

principaux membres du parti anti-démocratique qui ont pris

les armfâ à Miragoane le 29 Mars de l'an dernier. Ils avaient

été bannis du pays en 1879 par le gouvernement provisoire


qui précéda celui définitif de M. Salomon parce que ayant
vu que le terrain parlementaire leur glissait sous le pied, ils

avaient tenté des mouvements insurrectionnels dans plusieurs


villes d'Haïti. Ces mouvements avaient été réprimés et au
cours de la répr^ion les vill^ de Port-au-Prince et de Go-
naïves avaient été incendiées par ïes insurgés et leurs parti,
sans.

Presque tous ces politiciens qui, en 1883 ont apporté la


guerre civile dans leur patrie, presque tous ceux qui furent
les meneurs des révoltés de Jérémie et de Jacmel et nombre
de ceux qui^ à l'étranger attisaient la haine et le mépris
contre leur pays^ étaient de grands propriétaires^ pratiquant
l'absentéisme^ et ayant hérité surtout des doctrines écono-
miques et politiques aussi égoistes que surannées qui avaient
été mises en pratique par le Président Boyer. Ils ne vou-
laient pas, ces singuliers libéraux, que le paysan devint pro-
priétaire. S'il le devenait^ il leur échappait^ reprenait son
indépendance passait de l'état de machine Inconsciente à
166 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

celui d'Homme ayant conscience de son rôle social^ de ses


droits et de ses devoirs.

Les coajspirateurs de la Jamaïque résolurent de rentrer en


Haïti coûte que coûte avant que la loi fût mise à exécution
sur tout le territoire de la République. Les insurgés donnè-
rent pour prétexte à leur prise d'armes une prétendue viola,
tion de la Constitution. Es ont toujours oublié, non seule-

ment de le faire démontrer en champ clos de Parlement pai


leurs amis politiques qui y siégeaient ou ailleurs, mais encore
de le faire dire en Parlement. Ce prétexte est fallacieux^ ab-

solujnent mensonger. On en peut démontrer le malfondé par


ce seul fait le plus significatif entre plusieurs: quelques
membres du Parlement qui n'avaient jamais parlé ime seule
fois contre les prétendues violations de la Constitution sont

pourtant restés à Jérémie pour soulever cette ville contre

l'autorité de l'Assemblée nationale^ alors que celle-ci était en


session à la Capitale (1).
Quand l'insurrection eut éclaté^ le gouvernement sentit

(1) —Ces indignes parlennentaires dont on ne saurait assez flétrir la

conduite et qui, pour toujours, auraient dû être frappés dHnrapacité

civique, étaient: MM. Kerlegrand et Hippolyte, sénateurs; MM. Hu-


gues Lestage, C. Robert, Pierre Auhert-Saint-Cloux, L, Bernard, Gran^

doit jeune, députés du peuple. Le 23 Août le Sénat écrivit aux séna-

teurs J. C. Kerlegrand et F. Hippolyte à Jérémie, les sov^mcJnt de

venir siéger, sotis peine de se voir appliquer la loi sur Pahstention,

Dans la séance du 11 Septembre, le Sénat déclare, déchu dt son


mandat M. Kerlegrand, chesf des insurgés de Jérémie et le mAt hors

la lou La Chambre jit choix de M. Mai^nan pour le remplacer. Le

nouveau sénateur prêta serment le 4 Octobre.

Dès le 27 Août, la Chambre avait invité les cinq députés dont on


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 167

immédiatement la nécessité de ne point laisser ignorer aux


paysans ses bonnes intention à leur égard, afin qu'il ne fus-
sont point trompés, dupés par les énûssaii^es que n'au-
raient point manqué de leur envoyer les insurgés. Dans cette
intention, le Président Salomon fit choix de quelques-uns
de ses amis politiques. Les plus instruits et intelligents les plus

vieiit de lire les noms à se rendre à la capitale pour remplir leurs


[onctions législatives. Cette invitation resta sans ejfet.

Un autre prétexte mis en avant par les insurgés, et plus ''Idicule

que le premier, ce fut le prétexte classique dai préjugé de couleur.


En politique tout se tient, tout ^enchaine: le préjugé de cou'-eur du
mulâtre contre le noir a grandi en Haïti surtout à partir de la pré.

ffidence de Boyer. Ce chef d'Etat Vinstitua en grand, le cidtlva avec

umour, le perfectionna par la simple constitution de la propriété fon-

cière telle qu'il la comprenait et par les lois commerciales qu'il fit

rendre. Tous les avantages écotwmiques, politiques, odmiwistrott/s res-

tant dtans les mains des mulâtres paHisans de Boyer, ceux-ci seuls et

un Uywt petit noyau de noirs pouvaient étudier, La covséquenc^ de a


système gouvernemental fut que les mulâtres, vingt fois moivi. nom_
hreux que les noirs, se entrent supérieurs <bux noirs. De là de graves

erreurs et de funestes malentendus. De là les écrits de MM. Alexandre

Bonneau, Lepelletier Saint Rémy, d^Alaux; de là la déplorable affaire

du 16 Avril 1848; de là la perpétuité jusqu'à nos joiirs du préjugé de


couleur. Si Von veut tuer celui-ci il faut le discuter chaque jour, le

railler, le ridiculiser, en montrer le néant; il faut surtout don-uer la

terre au paysan, décréter la gratuité et l'obligatioji de l^enseiynement

primaire. Ces cons>eils sont pour faire que lo paix règne toujcxirs en

Haïti, Si on ne les suit pas on n'aura pas l'umcm, ni le resrpect de la

loi. ni l'égalité, ni la /ratermité vraie. Or, sans l\Lnion, sans V unité,

runis périssons.
168 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

fidèles les plus influents et les plus patriotes, poui


porter ses paroles aux habitants des campagnes et les bien
faire pénétrer dans leur esprit. MM. François Manigat^ mi-
nistre de l'Agriculture et de l'Instruction Publique et D.
Légitime^ ancien ministre de l'Intérieur délégués dans le

Sud MM. Michel Pierre, ministre de la Guerre et de la Ma-


rine, Sahit Cap Blot et Guillaume Manigat députés du peu-
ple^ ces trois derniers délégués dans le Nord^ Urent belle
besogne: ils indiquèrent aux populations agricoles la ligne

de conduite qu'elles avaient à suivre; les paysans compri-


rciit si bien que leur devoir était d'aider le gouvernement
par tous les moyens en leur pouvoir que ceux des montagne*;
de Jacmel et ceux des montagnes de Jérémie, non contents
de servir comme volontaires, ont spontanément offert en ca-
deau à la nation toute leur récole annuelle de café afin que
l'Etat pût mieux faire face aux dépenses qu'allait occasionner
la guerre sociale. Pareil fait de patriotisme n'avait jamais été
.eglstré dans les annales de lliistoire d'Haïti, car on ne
peut établir de parallèle entre lui et l'acte des généraux de
Pétion, qui envoyèrent des vivres aux soldats de celui-ci^ alors

qu'il était en guerre presque personnelle avec Cliristophe.


Voilà les faits dans leur exactitude la plus rigoureuse. La
crise est surtout économique. Elle n'est politique que par un
circt de l'imagination de ceux qui veul^it tromper les éloi-

2;^ les simples et les crédules^ sur les véritables mobiles qui

les poussent à agir en Haïti contre les intérêts matériels de la

patrie haïtienne^ et qui font agir leurs complices à l'étranger


centre l'un de ses biens les plus chers : son honneur.

Partout où le paysan est propriétaire absolu, perpétuel du


solj ainsi que cela se passe en Suisse^ en Belgique^ en France.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 > 169

aux Etats-Unis, il est lui-même vigoureux au physique et in-

dépendant de son moral.


«On ne saurait voir sans admiration ces maisons de bois du
moindre paysan si vastes, si bien closes si bien construites^ s
couvertes de sculptures Dans l'intérieur de grands corridor,
dégagent chaque chambre de la nombreuse famille; chaque

chambre n'a qu'iui lit et il est abondamment pourvu de ri-

deaux, de couvertiu-es et du linge le plus blanc; des meubles


soignés l'entourent; les armoires son remplies de linge. La lai-

terie est vaste, aérée et d'une netteté exquise; sous le même-


toit on trouve de grands approvisionnements de Hé de froma-
ges et de boisi; dans les étables on voit le bétail le plus beau
et le mieux soigné de toute l'Europe; le jardin e^t planté de
fleurs; les hommes comme les fenunes sont chaudement et pro-
prement habillés; les dernières conservent avec orgueil leur
antique costume; tous portent sur leur visage l'empreint*'

de la vigueur et de la santé. Que d'autres natious vantent leur


opulence, la Suisse pourra toujours leur opposer avec orgueil
ses paysans.
«Partout où l'on retrouve les paysans propriétaire on rc
trouve aussi cette aisance cette sécurité cette conlîaxice dans
l'avenir, cette indépendance qui assurent en même temps le

bonheur et la vertu. Le paysan, qui fait avec ses «ifants tout


Vauvrage de son petit héritage, qui ne paie de fermage à persork
ne au-dessus de lui, ni de salaire à personne au-dessous de lui,

qui règle sa production sur sa consomomation qui mange scr


propre blé, boit son propre vin, se revêt de son chanvre et d
ses laines, se soucie peu de connaître les prix du marché ca
il a peu à vendre et peu à acheter, et il n'est jamais ruiné pa
les révolutions du commerce.
«Le paysan propriétaire est de tous les cultivateiu^ celui quf
170 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

.tire le plus de parti du sol parce que c'est lui qui songe le

plus à l'avenir (1).»

Et Michelet, dans le style imagé^ ailé dont U avait le secret^

a consacré une de ses pages les plus poétiques et les plus


émouvantes au paysan français :

«Si nous voulons connaitre la pensée intime^ la passion du


paysan de France, cela est fort aisé. Promenons-nous le di-

manche dans la campagne, suivons-le. Le voilà qui s'en va là-

bas devant nous. Il est deux heures; sa femme est à vêpres; il

est endimanché; je réponds qu'il va voir sa maîtresse. Quelle


maîtresse? Sa terre. Je ne dis pas qu'il y aiUe tout droit. Non;
il est libre ce jour-là il est maître d'y aller ou de n'y pas
aller. N'y va-t-il pas assez tous les jours de la semaine? Aussi
il se détourne : il va ailleurs; il a affaire ailleurs. Et pour-
tant il y va. n est vrai qu'il payait bien près^ c'était une
occasion. H la regarde mais apparemment il n'y entrera pas.
Qu'y ferait-il? Et pourtant il y entre. Du moins il est proba-

ble qu'il n'y travaillera pas; il est endimanché; il a blouse et


chemise blanche.- Rien n'empêche cependant d'ôter quelques
mauvaises herbes, de rejeter cette pierre. Il y a bien enco-
re cette souche qui gêne, mais il n'a pas sa pioche, ce sera

pour demain. Alors, il croise ses bras et s'arrête, regarde,

sérieux soucieux. Il regarde longtemps, très longtemps, et


semble s'oublier. A la fin, il se croit observé; s'il aperçoit un
passant il s'éloigne à pas lents. A trente pas encore, i! s'arrê-

te, Se retourne, et jette sur sa terre un dernier regard, re-


gard profond et sombre; mais pour qui sait bien voir il est

(l)—Sismondi. ETUDES SUR L'ECONOMIE POLITIQUE.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 171

tout passionné ce regard^ tout du coeur^ plein de dévo-


tion (1).

L'histoire de France offre des exemples frappants de la

décisive influence exercée sur la production agricole par la


pro5>riété de la terre dévolue au cultivateur, à plusieurs épo-
ques différentes les unes des autres. Nul mieux que Michelet
n'a esquissé à grands coups de brosse la physionomie de ces
époques. «Aux temps les plus mauvais aux moments de pau-
vreté universelle où le riche même est pauvre et vend par
force^ alors le pauvre se trouve en état d'acheter; nul acqué-
reur ne se présentant le paysan en guenilles arrive avec sa
pièce d'or et il acquiert un bout de terre. Ces moments de
désastre, où le paysan a pu acquérir la terre à bon marché,
ont toujours été suivis d'un élan de fécondité qu'on ne s'ex-
pliquait pas. Vers 1.500, par exemple, lorsque la France épui-
sée par Louis XI semble achever sa ruine en Italie, la no-
blesse qui part est obUgée de vendre; la terre passant à de
nouvelles mains refleurit tout à coup, on travaille on bâtit
Ce beau moment dans le style de l'histoire monarchique s'est

appelé le bon Louis XII.

«Il dure peu, malheureusement. La terre est à peine remi-


se en bon état, le fisc fond dessus; les guerres de religion
arrivent qui semblent raser tout jusqu'au sol, misères horri-
bles famines atroces où les mères mai: gea lent leurs enfants.
Qui croirait que le pays se relève de là? Eih bien la guerre
finit à peine de ce champs ravagé, de cette chaumière en-
core noire et brûlée, sort l'épargne du paysan. Il achète; en dix
ans, la France a changé de face; en vingt ou trente, tous les

biens ont doublé, triplé dei valeur. Ce moment encore baptisé

(1)—Michelet, LE PEUPLE, chap. 1er.


172 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

d'un royal^ s'appelle le bon Heairi IV et le grand Riche-


lieu (1).

Quand la révolution française fut faite quand la terre eut


passé définitivement dans la main du paysan, malgré l'état

de guerre de la France contre toute l'Europe p^idant vingt


années consécutives^ malgré toutes ces causes assurément
défavorables à une augmentation de population, celle-ci au
lieu de diminuer alla croissant.

A l'époque où la grande propriété et la grande culture


étaient de règle en Haïti, la concurrence pour le café le co-

ton le tabac le cacao était loin d'êtrie aussi sérieuse qu'elle


l'est aujourd'hui que le Brésil inonde le marché universel de
ses cafés que les Etats-Unis produisent des quantités consi-
dérables de coton et de tabac et que les Etats de l'Amérique
centrale exportent concurremment avec le Nord du Brésil,,

du beau cacao dans les deux mondes.


Les défrichements qui s'opèrent en ce moment dans toute
l'Amérique, du Canada à la Fatagonie, dans l'Inde et en
Afrique les progrès de la navigation^ la baisse générale du
prix du fret, la réduction des tarifs de chemin de fer^ toutes
ces conditions réimles mettent presque à néant le privilège
de situation que possédaient seules^ autrefois, les Antilles.
Particulièrement en Haïti, il sera plus que jamais urgent^
excellent, de concentrer la propriété et l'exploitation du sol

dans la même main : celle du paysan; que les grands pro-


priétaires se fassent des agriculteurs sérieux^ résidant sur
leurs domaines, étudiant la terre et ses transformations, pre-
nant des habitudes simples et rustiques vivant enfin de la
vie saine, large et virile des paysans, afin que cesse la pré»

(1)—Michelet, LE PEUPLE.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 » 173

caire opulence des uiis^ la trop grande siniplesse d'esprit des


autres et que s'arrête la ruine lente de tous.
n y a cent ans, quand Haïti était dénommée Saint.Domin
gxie, le produit du travail des champs appartenait tout entier
au grand planteur, propriétaire du sol et de l'homme; dans
l'état intermédiaire qui n'a que trop duré, de 1804 à cette
heure, le produit du travail agricole a été partagé entre le

propriétaire et le paysan; il est temps enfin que le paysan


jouisse seul des fruits qu'il tire du sol, après un rude labeur
sous le soleil tropical.

Tout en souhaitant ardemment et sincèrement que la gran-


de propriété collective par masses de paysans puisse exister
en même temps qu'elle et plus tard qu'elle je suis de ceux
qui croient que, pour commencer, la propriété doit être indi-
viduelle inviolable absolue perpétuelle.
C'est parce que tout^ ces conditions se trouvent réunies
aux Etats-Unis que la grande république fédérale peut pro-
duire en ce moment des quantités de blé sur de vastes terri-
toires qui s'ils avaient été cultivés comme la terre a été cul-
tivée en Haïti seraient encore en friche.

On s'est rappelé aux Etats-Unis que les Flandres n'avaient


été si riches et ne sont demeurées si prospères que parce
que, séculairement la petite culture y a .été en honneur.
Aussi, actuellement, dans les Etats du Sud de la Confédéra-
tion Etoilée et depuis que l'esclavage a été aboli les immen.
ses plantations d'autrefois ont été dépecées et les petits pay-
sans, noirs et blancs, sont devenus aussi nombreux qu'ils sont

de chauds républicains. Les derniers renseignements qui


m'ont été gracieusement et de vive voix conununiqués par
le Dr. Rudolf Meyer, lequel avait été aux Eitats-Unis exprès-
174 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 »

sèment pour étudier les effets de lois agraires sont con-


cluants à cet égard et éclairent la question d'un jour aussi
nouveau qu'intéressant. L'ouvrage où le Dr. Meyer a consi-
gné ses observations ne date pas de deux ans et déjà le gou-
vernement italien^ le gouvernement hongrois convaincus,
après lecture du livre de Rudolf Meyer, que toute la supé-
riorité de la production agricole des Etats-Unis vient du mo-
de d'appropriation de la terre sans ce pays ont fait publier
en hongrois et en italien^ les conclusions et les données sta-
tistiques de Meyer, afin que les économistes et les paysans
hongrois et italiens soient désireux de voir s'opérer des ré-
formes radicales dans les systèmes de propriété ou de cultu-
re qui sont encore en vigueur en Italie et en Hongrie.
En un mot^ aux Etats-Unis mieux que partout ailleurs on
a constaté que la petite propriété stimulait l'industrie, for-
mait l'intelligence^ encourageait la prévoyance et l'empire
sur soLmême^ accroissait la population toutes choses que
Frédéric H savait déjà quand il créa, d'un seul coup dans
son royaiune et sur ses baillages 35.000 petites fermes et
qu'il institua sur ces fermes le colonat héréditaire- (1)

Au fur et à mesure que la population augmente dans un


pays que la population y devient plus dense, la grande cul-
ture et la grande propriété tendent à disparaitre ou tout au
morni^ ne gagnent pas de terrain; mais^ ainsi que M. Gimel l'a

si victorieusement établi cette année même dans son savant


mémoire sur la Division de 'la pr-opriiété en France^ «on est
certainement fondé à conclure que le parcellement du sol et

la division de la propriété marchent d'un pas moins rapide

(1) — Lerotj.Beaulieu, REPARTITION DES RICHESSES, pages 163,

164, 166 et suivantes.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 » 175

qu'an ne le croit communément et se maintiennent dans des

conditions favorables à la culture et à l'équilibre de la socié-


té.»

Petite culture suppose que l'oeil du maitre est toujours

présent; que toute la famille travaille; qu'il existe une dis-

tribution naturelle des tâches entre l'homme mûr, l'adoks.

cent^ la femme et l'enfant; sa supériorité éclate dans les me-


nus travaux champêtres, dans la production des léçumes,
des plantes potagères, dans l'élevage du bétail et de la vo-
laille. De plus par la petite cultiu« le paysan échappe à l'u

niformité des tâches, laquelle est d'une tant accablante et s

désespérante monotonie.
*
* *
Nous sommes parvenus à la fin de cette étude. Les faits

ont été exposés expliqués. Il faut conchrre, et je conclus.


Jamais mesure politique ne fut plus opportune, plus juste
et plus fraternelle et plus sage, que la loidu 26 - 28 Février
1883; jamais insurrection ne fut plus criminelle en ses mo-

tife plus odieuse en ses résultats, que celle qui vient de dé


soler la République haïtienne.
Un pays où la sécurité manque, où les révoltes sont aussi

périodique que difficiles à comprimer, et par conséquent


ruineuses im pareil pays ne peut pas évoluer; or, ne pas
évoluer c'est rétrograder reculer mourir.

Aux grands maux, les grands remèdes. L'insurrection ré-


primée, trois choses s'imposent avant toutes' les autres

avant même une reconstitution nationale des finances :

lo. l'exécution prompte, intégrale, de la loi des 26 - 28 Fé


vrier et l'applicatiMi impitoyable de la loi portant confisca-

tion des terres des insurgés, lesquelles seront tout de suite


176 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

mises en vente par l'Etat ou bien, en vertu des deux lois des
21 Mars 1883 et 24 Août 1883, qui attendent encore leur exé-
cution, seront partagées et distribuées spécialement aux veu.
ves et aux enfants des soldats tués en combattant l'insiunrec-

tion; 2o un désarmement général de tous les citoyens haï-


tiens avec défense d'importation sous les peines les plus sé-
vères, de toutes les armes de guerre (1); 3o. l'organisation

immédiate d'une armée de 6.000 hommes, laquelle sera disci-

plinée absolument à l'européenne. Son entretien dans les ca-

(1) —Une mesure économique et politique qui sHmpose comrae un

devoir, c^est la démolition pure et simple de tous les forts qui défen-

dent les villes du littoral du côté de la mer et du côté de la terre.

Ces fortifications ont un double désavam-tage au point de vue de la

politique intérieure: elles donnent aux conspirateurs incorrigibles, aux

politiciens antinatioatiaux pour qtu le fusil est le seul argument, une

idée exagérée du droit qu'ils n'ont pas de s'insurger à chaque instamt

contre les volontés du pays; elles forcent trop souvent les gouverne,,

vients à ^entreprendre le siège en règle de plusieurs de ces villes qui,

^u détriment de Pévolutiom, de toute la ivation, se paient trop fréquem-

ment le luxe cruel de ruiner le pays par leurs rébellions inijustifiables

et injustifiées contre Vautorté légiUme.

En ce qm touche à la politique extérieure, nous rappelons a qui de

droit que nous n'avons pas oublié la mâle disposition de l'article de

la Constitution de 1805 ainsi coriçu: •'Au premier coup de canon d'a-

larme les villes disparaissent et la nation est debout.* Fort-au^^rirvce

seule devrait être fortifiée, mais fortifiée solidement, à la moderne

et sa rade défendue par des torpilles. En tout état des choses, un ar^

ticle de la Constitution aurait dû prévoir que, en Vabsence des Chaxm-

bres et doMS un cas de danger pressant, par simple décret Jris en


,

« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 _ 1884 » 177

semés (1) même à l'époque de la récolte ne toute ra que


six millioiis par an au gouvernement; mais^ comme elle assu-

rera la sécurité de façon définitive^ avant longtemps le ren-

dement des nouveaux impôts qu'il faudra établir fera dou-


bler et même tripler le budget des recettes. Alors les autres

services ministériels pourront être organisés et servis d'une


manière de plus en plus conforme au respect qu'une nation
a le droit d'exiger de la part de ses hôtes et de la part de
ses propres enfants, pour ses lois, ses institutions et

ses coutumes.

Haïti ne doit point oublier qu'elle est sur la route de Pa-


nama, et que^ pour ceia^ elle est convoitée à la fois par les
Etats-Unis et par l'Angleterre. D'un autre côté, elle a l'im,
périeux devoir de se souvenir qu'elle est la fille ainée de la

race noire, et que partant elle a une noble mission à rem-


plir, car elle est celle vers qui cette race qui nait ou qui re-
naît^ aura un jour les yeux tournés.
Que s 'appuyant sur la France, son ancienne métropole
dont elle est restée, malgré tout, et à tous les points de vue

ccynseil des viinistres, le siège du gouvernement pourrait être trans^

porté à Pétion-Ville ou ailleurs. Au surplus, Port~au-Priiice devrait

être décapitalisée politiquement, m,ême en restamt la capitale com,m^r


ciale et la seule fortifiée. Dans cette dernière combinaison, Pétioyivillc

serait déclarée capitale politique après avoir échangé son nom avec
DessaUrves.

(1) —Alors même que Port-au-Prince resterait la capitale politique,

c^est sur les collines qui entourent Pétion/oille qu'il iaudrait élever

ces casernes. Cette petite cité serait reliée à la capitale par unp. voie

ferrée et par le télégraphe.


178 « LES AFFAIRES D'HAITÏ 1883 - 1884 *

une colonie intellectuene, eUe veuille énergiqueraent^


et sache virilement mériter chaque jour désormais d'être
ce qu'elle est déjà^ en dépit des superficielles apparences du
contraire, qu'elle veuille et sache être de la famille chamiti-

que et l'orgueil et Tesxïoir! (1)

(ï)^—Je lie suis pas de ceux qui veulent que mon pays vive déchu
du rang qu'il occupe actuellement, sous un protectorat étranger eom-

me la Tunisie et VEgypte. Je ne veux pas non plus n;.'ïl soit r>artagé

comme on a partagé la Pologne,

L^appui que je demandais ici u'est ni un appui matériel et militaire,

ni un appui financier, ni même un appui diplomatique. C'est un appui

puremenft intellectuel et moral pour la réorganisation de l'armée haï,^

tienne et des écoles, pour la création, des banques populaires entière-

ment nationales et la fondation des caisses d^épargne postales et or-

dinaires.
LIVRE II

PRESSE haïtienne
« LES AFFAIRES DUAITI 1883 . 1884 » 17»

CHAPITRE I

(de Juillet à Novembre)

POLEMIQUE DE FAMILLE

A LA NATION HAÏTIENNE (1)

Paris, 29 Juin 1883

Une nation doit imposer ses volontés; et lorsque agissant


dans la plénitude de ses droits, elle s'est choisi un Chef -'ce
Chef ne doit tenir compte que de l'opinion de la ma}o.
rite. (2)
Les nombreuses adresses envoyées de tous ïes points du
territoire de la République à M. le Président d'Haïti doi-
vent lui donner la preuve que la nation haïtienne ne pense
qu'à la paix et au travail; que, pour elle la Constitution n'a

(1) Cette adresse parut dans le numéro de VOEIL, journal de Port-au^


Prince, le 24 Juillet 1883.

(2) La décadence d'un peuple arrive lorsque cent citoyens se figurent

que mille doivent leur obéir, alors Tnême que ces mille, jouissant

des mêmes droits qu'eux, auraient cUiirement manifesté leur désir de


se gouvenmer par des élits de leur choix. Si la majorité obéit à une
minorité, c'est qu'elle le veut; si la majorité prétend ne se laisser con

duire que par des hommes sortis de son sevn, elle a encore raison. De
vant sa volonté, tous doivent s'incliner. '
180 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 »

pas été violée, pas plus d'ailleurs qu'elle n'avait été imposée;
qu'elle aime mieux tourner ses vues vers le commerce
et l'agriculture qui peuvent l'enrichir que vers la guerre ci-

vile^ tant exécrable et si funeste laquelle ne peut que la


ruiner et même la livrer aux convoitises de l'étranger; et
qu'enfin elle entend être gouvernée par celui que la Cham-
bre des députés et le Sénat haïtiens ^
réunis en Assemblée
nationale ont librement placé à la tête du pouvoir.
Le général Salomon n'est pas l'homme d'un parti pas
plus qu'il ne nourrit de préjugés contre une fraction de la

famille haïtienne^ ainsi que ses ennemis — les ennemis de la

nation — veulent naïvement le faire croire- H représente le


peuple haïtien tout entier dont il est pour ainsi dire la quin-

tessence politique et sociale. C'est à lui de prendre tout^


les mesures les plus promptes et les plus énergiques pour
donner à la nation haïtienne la sécurité dont elle a besoin

et sans laquelle elle peut périr.

Décidés que nous sommes à le soutenir par tous les

moyens parce qu'il est le mandataire constitutionnel du


peuple haïtien, nous l'assurons de tout notre dévouement,
nous lui disons de compter siu* notre patriotisme et sur nos
lumières pour défendre à l'étranger lui et ses ministres con-
tre toutes les imputations calomnieuses qui pourraient être

dirigées contre eux.

Nous ne connaissons que la Patrie; et, pour nous, le salut

de tous est la loi suprême. En ce siècle de science et de poli-

tique scientifique les puérilités sentimentales ne sont plus


de jeu. Une nation a le droit et le devoir de se défendre con-
tre ceux qui l'empêchent de vivre, qui l'empêchent de pro-

gresser et qui sous le manteau d'un libéralisme hypocrite,


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 » 181

canspirent sa perte. Le vrai libéralisme se recoimait en ce

qu'il respecte la loi et la volonté nationale et en ce qu'il

n'en attaque les manifesi^ations que i^ar la plume et la

parole.

Une majorité qui ne pourrait se défendre contre une infi-

me minorité aussi turbulente qu'antipatriote, aussi factieuse


que perverse; une population d'un milUon d'âmes qui se

laisserait insulter par un miUier d'hommes; ime nation qui

laisserait toute latitude à une poignée d'étemels conspira,

teurs, de désoeuvrés d'ambitieux ignorants ou cupides,


— toute latitude pour l'empêcher de jouir de la paix —
serait éminemment coupable; elle manquerait à tous ses de-
voirs; eUe ne mériterait plus l'honneur de se dire et de se
croire libre intelligente et digne de la confiance et du res-

pect des autrfô nations.


Et nous signons (1)

(l) Comvie les autres articles réunis dans ce livre, cette pièce fut rédi

gée et signée par moi. Elle jut aussi signée par MM, Jacques Nicolas

Léger, secrétaire de la Légation d^Haiti à Paris, et Pierre ^MacDonald

Apollon, secrétaire de la Légation d^HaUti à Londres. Je fais ici cette

déclaration afin que chacun sache que je tiens à ne me dérober à au


t-zni€ des responsahilités ultérieures.
182 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 » :

II

libéraux;, MAIS MALADROITS (1)

Paris, 29 Août 1883.

On avait essayé de faire croire partout qu'Us étaient per-


sécutés; on avait soutenu qu'ils étaient animés d'intentions
humanitaires; on avait affirmé qu'ils respecteraient les vies
et les personnes et que, dans aucune circonstance, ils ne
voudraient verser du sang innocent; on avait déclaré en Eu-
rope et en Haïti, que seuls ils étaient des «honnête gens» et

que seuls, ils pouvaient gouverner Haïti, parce qulis


étaient les seuls bons, les seuls intelligents, les seuls ins-
truits. Ils ont prouvé qu'ils étaient des maladroits et des
bandits
Au moment où ils prenaient les armes à Jacmel, ils par-

laient pompeusement de principes violés et réclamaient une


constitution quelconque. Ils prétendaient selon l'usage anti-

que et solennel, qu'on leur avait ravi la Uberté d'écrire et

de parler dont ils n'ont jamais sérieusement usé.


On assiège la ville. L'armée du gouvernement constitu.
tionnel y pénètre. Voyant leur mutinerie sur le point d'être
punie ils se sont faits massacreurs. Eux-mêmes, ils se sont
tués;eux-mêmes ils se sont rendus impossibles à jamais.
Vériquain MiUien Jean- Jacques, dormez dans vos tom-
bes martyrs et héros.
Même en mourant vous avez encore servi la nation haï-

tienne. Le peuple a maintenant les yeux ouverts.


H voit à quel abime on veut le mener. Il sait désormais

(1) UOEÎL du 6 Octobre 1883.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 » 183

ce qu'on veut faire de lui ; le ridiculiser à l'étranger, le rui-


ner au profit de quelques-uns, après l'avoir bâillonné et

Jugulé ou bien assassiner les plus valeureux et les plus in-

telligents de ses enfants


Aristide Désiré et MiaiUe Jean- Jacques vous serez ven-
gés ! Vous êtes tombés victimes du droit et du devoir. C'est
au service de la nation que vous avez été égorgés. La patrie
prendra soin de vos veuves et fera élever vos enfants. Dès
aujourd'hui vos noms sont entourés d'une auréole de
gloire.

Et maintenant ceux qui pensaient encore que les soi.

disant libéraux étaient des hommes de gouvernement et des

modérés ceux-là seront détrompés. Ils verront bien que ces

menteiurs et ces renégats n'étaient que des tigres à figfure

humaine.
Leur tuerie de Jacmel les couvre de boue bien plus que
de sang. A toujours, ils sont enterrés sous la fange et sous
l'ignominie.

En Europe personne n'osera plus prendre la défense de


ces assassins et de ces incendiaires. En Haïti chacun garde-
ra l'étemel souvenir de leur ignoble scélératesse.
Leur tactique est dévoUée On ne peut plus reculer de-
vant le châtiment.
Ce châtiment ne sera jamais ni trop prompt, ni trop com-
plet ni trop fort.
184 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

m
A UN ANONYME

Répoiïse Analytique (1)

Ce 4 Août 1883.
L'Amérique, journal hebdomadaire qui se publie à Gand
en Belgique^ a inséré, dans son numéro du 19 Juillet 1883, une
correspondance concernant les affaires politiques d'Haïti et
rédigée parun Haïtien.
Ce correspondant qui a signé A., et dont la vanité n'est pas
mince déclare tout au commencement de son entrefilet qu'il
va répondre «point par point» et en quelques lignes à un arti.

cle intitulé : Questions Haïtdiennies qui avait paru à la date du


6 Juillet^ dans le joirmal parisien le Pairi^^ «ne supposant pas,
dit-il, qu'il faiUe de grands efforts pour faire manquer, à un

diplômé de l'Ecole des Sciences Politiques qui en est l'auteur^


le but poursuivi et qu'il croit avoir atteint».

Je suis ce diplômé de l'Ecole des Sciences Politiques qu'on


n'a pas voulu ou qu'on n'a pas osé nommer. Je m'adresse di-
rectement à l'anonjTne qui se cache si modestement derrière la

première lettre de l'alphabet et lui dis : Ce but est atteint, ô

naïf correspondant et vous prenez la peine de le laisser voir

vous-même dans votre premier alinéa lequel est ainsi conçu :

«Nous devons à l'obligeance d'un ami d'avoir lu, malheureu.


«sèment un peu tard, dans le journal Paris du 6 courant une

«L'OEiU du 20 Octobre.
^

« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 185

««lettre réfutant les grandes vérités publiées par la France^ sur


les événements d'Haïti.»
Elh bien valeureux Anonyme^ on ne réfute pas une véri-

té (1). Ouvrez le dictionnaire de Littré et vous lirez ceci : Ré-


futer : prouver qu'une proposition^ un argument, eitc, n'est

pas fondé» Donc, on réfute une erreur et non pas ime vérité,
simple correspondant.
Le signataire de l'article paru dans la Framoe a déclaré qu'il

avait été induit en erreur par un de vos pareils, et la preuve


la meiUeiure qu'il demeure d'accord d'avoir signé quelque
chose d'erroné c'est qu'il n'a pas répondu à mon article paru
dans le Paris du 6 Juillet encore que cet article ne fût pas très

(1) Une jrroposiiicni, un argument ne deviennent des vérités que


qvuvA ils cmt subi tous les assauts de VabjecUon et qu'ils n''ont pas

été réfutés. Celui qui ne connaît que son avis ne sait rien et toute

Ofpinion, pour être valable, bonne doit avoir été critiquée, Stuart Mill

veut qu'on admette toute discussion, surtout en politique. Cest là

surtout que de la contradiction jaillit la lumière. "Pour Vhomnne cul


tivé, dit Renan, il n*y a pas de muuvaise doctrine; car pour lui, fou-

te doctrine est un effort vers le vrai.»

Lorsqu^on discuta Vesclavage et la torture, on s^aperçut qu'iîs

étaient des choses erronées et monstrueuses.

On a dit et on répète qvp certaines vérités sont dangereuses et

d''autres utiles, «Kie^ ue prouve, dit Stuart Mill, que telle vérité est

dangeretbse et telle autre utile. C^eat affirmer son infaillibilité

que de soutenir que l'opinion du voisin est dwngeretise ; elle est quel

quefois fort utile.

Paul Janet partage la manière de voir de Stiuirt Mitl,

Paul Janet, «Cours de l'Ecole des Sciences Politiques». Leçons de


philosophie politique. (Notes personnelles,)
186 « LES AFFAIRES DUAITI 1883 . 1884 »

obligeant pour lui. H a été renseigné sur les questions haïtien-

nes^ et sa bonne foi lui a fait le devoir de ne plus tromper le


public français pour faire pla^ir à quelques renégats haï.
tiens.

Voilà le vrai.

n faut avoir un bon caractère pour continuer de discuter


avec un individu qui pense qu'on peut «réfuter une vérité»
Un ignorant de ce calibre ne saurait saisir aucune des finesses
de la politique scientifique que peut faire imprimer un diplô-
mé de l'Ecole des Sciences Politiques. Je comprends qu'il ait

écrit^ en parlant de mon article du «Paris» du 6 Juillet: «On a


«tout d'abord, par des arguments plus ou moins faibles les uns

«que les autres^ prétendu que le droit n'était pas pour les libé-
«raux et, entre autres soi.disant preuves probantes données à
«cela on a annoncé comme devant avoir lieu bientôt à Port-au-

«Prince la réunion en assemblée nationale du Sénat et de la


Chambre.»
«D'abord preuves probantes un pléonasme vicieux,
est sa-

vant Anonyme. Il vous faut retourner aux éléments de la

grammaire avant que de vous occuper sérieusement de poli-

tique.

n ne saurait exister de preuves improbantes. Si une preuve


n'était pas probante elle ne serait pas une preuve.

Maintenant, Monsieur l'empirique, sachez ceci : A l'Ecole

des Sciences Politiques de Paris, en section administrative, on


enseigne l'économie politique et la science financière en géné-
i-al puis l'administration le droit constitutionnel, l'histoh-e

parlementaire et les usages parlementaires des grands pays ci-


« LES AFFAIRES DUAITI 1883 . 1884 >» 187

vilisés de l'Amérique et de tous les pays d'Europe; lorsque


quelqu'un que son goût personnel porte à l'étude de ces ma-
tières a suivi les cours de cette Ecole^ la plus sérieuse et la

plus renommée en ce genre qui existe dans tout l'univers, et


qu'il en a conquis le diplôme à la suite de nombreux et véri-
tables examens, eh bien^ ce quelqu'un peut avoir la préten-

tion de n'être pas un ignorant en politique. Sa bonne foi ne


saurait être surprise par aucune protestation comme vous
avez semblé le croire et conune vous l'avez écrit. Il agit tou-

jours de propos délibéré^ en connaissance de cause et non à la

façon des béjaunes prétentieux ou des barbons décrépits.


Tel n*est pas votre cas. Anonyme Votre simplesse d'esprit
€t votre ignorance des choses politiques ou votre anti-

patriotisme et votre mauvaise foi percent à chaque ligne de


votre pitoyable article. Vous me faites pitié et c'est pour cela
que j'aime mieux vous tenir pour un crétin de bonne foi^ car^

si vous étiez de mauvaise foi et instruit ou simplement intelli.

gent vous seriez trop méprisable.


Si vous n'étiez pas un ignorant en politique^ vous sauriez
que dans tout pays parlementaire la Chambre et le Sénat

c'est tout le peuple, c'est la représentation nationale; et lors-


que vous insultez les sénateurs et les députés haïtiens que
vous appelez «moutonniers» et quand vous dites d'eux qu'ils

sont des «traîta:^es» et des «lâches», vous insidtez à la dignité


et à la majorité de toute la nation haïtienne.

Et maintenant qu'appelez- vous «le parti de la société»? En


politique^ il n'y a qu'une société^ c'est la nation. Le parti de
la société c'est le parti de la nation. Qui est avec la nation est
avec la société. Qui prend les armes contre la nation les prend
188 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 »

contre la société, c'est un traître, un bandit ou tout au moins


un mauvais citoyen. Vous le sentez tellement courageux
Anonjyme^ que vous n'avez pas osé signer votre article. Vous
poussez la bravoure à ce point que même en Eiu*ope vous
avez peur du gouvernement légal de votre pays tout en le
calomniant, ou bien vous avez tellement honte des inepties
que vous élucubrez contre vos compatriotes que vous n'osez
les signer (1).

Vous soutenez que M. le Président d'Haïti a des préjugés


de couleur. C'est inepte. Un noir n'a jamais le préjugé de
couleur, puisque c'est contre lui que ce préjugé est dirigé.
Comment le général Salomon l'aurait-il ce préjugé? Et où,
quand et comment a-t-il prouvé qu'il l'eût?

Citez donc des passages de ses écrits. Citez ses actes. Il a


fait fusiller des mulâtres qui étaient des ennemis de la na-
tion puisqu'ils avaient conspiré contre la paix et la sécurité

nationales. Il ne pouvait faire autrement la loi le lui com-


mandait.
N'a-t-il pas fait fusiller des noirs aussi qui avaient commis
le même crime?
Est-ce que Pétion, Boyer, Geffrard, autour desquels vous
menez tant de bruit en ce moment et que vous avez trop en-
censés aux dépens de la vérité historique, est-ce qu'ils n'ont
pas fusillé ou laissé assassiner des nègres qui étaient ennemis

(1) La Société n^est pas ce qu'un vain peuple pefnse... Ce ne sont pas
les faux monnayeurs et les contrebandiers qui la composent, la société.

Au contraire : Cest le paysan et l'artisan parce que ceux-là sont la

vertu mêvie.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 » 189

de leurs gouvernements respectifs? Relisez les livres d'his-


toire écrits sur Haïtij notamment ceux de Bonnet et d'Ar-

douin lesquels ne peuvent pas vous être suspects^ et vous


verrez ce qu'ils disent à cet égard.
Vouai prétendez que le président Salomon n'aurait pas
d'affection pour un fils mulâtre qui serait né de son mariage,
avec une Parisienne.
La passion politique vous aveugle jusqu'à vous faire diva-
guer. Aucune raison politique ne pouvait porter le général
Salomon à épouser une blanche. Il l'a fait étant en exil et ne
sachant même pas si les vôtres qui tenaient le pouvoir lui
auraient permis de remettre le pied sui- le sol de la patrie; il

l'a fait par affection pure pour une femme qui lui fut et qui
lui est dévouée jusqu'à la mort.

Le parlement haïtien^ lorsqu'il élut le général Salomon à


la présidence^ ne s'est pas soucié et ne pouvait se soucier de
savoir qu'il avait pour épouse une blanche. Il a élu et ne
pouvait élire que le citoyen haïtien dont les qualités gouver-
nementales sont aussi éminentes qu'indiscutables et recon-
nues par tous, aussi bien en Haïti qu'en Europe, et non le

mari d'une Européenne; il a élu le patriote instruit zélé et

plein de foi dans son pays et dans sa race, et non un mari


spéculant sur la couleur ou la race de son épouse.
Les distinctions de couleur dont vous parlez ne peuvent
exister que dans votre esprit; elles n'existent que dans
l'esprit de ceux qui haïssent M. Salomon pour totit le mal
que quelques mulâtres stupides lui avaient fait en 1843 et
que quelques autres plus stupides que les premiers ont fait

subir à lui et à sa famille de 1859 à 1879. Ce sont vos igno-


bles et mesquines persécutions qui ont fait de M. Salomon
im martyr et un drapeau et l'ont posé sur le piédestal qu'il
190 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

occupe actuellement. Quand donc aurez-vous le sens poli-

tique désobstrué?...

Un chef d'Etat ne peut avoir de haine personnelle ni de


haine collective contre telle ou telle catégorie de ses con^
citoyens; si des citoyens désobéissent aux lois, il est stric-

tement de son devoir de veiller à ce que ces lois soient

observées et exécutées. Voilà la doctrine, le principe, le

dogme. Depuis qu'il est au pouvoir M- Salomon ne les a pas


enfreints.

*
* *

Anonyme vous avifez promis de répondre «point par point»


à mon article du «Paris» du 6 Juillet. Je constate que vous
n'en avez rien fait. J'ai insisté sur le résultat capital de la ré-
volution agraire de la révolution territoriale en Haïti; j'ai

réfuté les assertions fallacieuses ou erronées touchant le nom-


bre des prétendues révolutions politiques qui avaient eu lieu
dans ce pays depuis 1807; j'ai touché deux mots des amnisties
présidentielles et de l'abolition de tous les droits! de douane
par vos amis les révoltés de Miragoâne : j'ai comparé entre
elles la Constitution haïtienne de 1876, la Constitution fédéra-

le des Etats-Unis et les lois constitutionnelles françaises de


1875; j'ai cité les noms de MM. Ovide Cameau, Preston, Ville-

valeix Fontange Chevalier; j'ai invoqué l'opinion de Schoel-


cher sur les préjugés de couleur renvoyant pour plus ample
mformé, à la lectiu*e de mon dernier ouvrage : «La Répu-
blique d'Haïti et! ses visiteurs»; j'ai parlé du prétendu pillage

du Trésor haïtien par le général Salomon et de la Banque Na-


tionale d'Haïti; des productions et du commerce de ce pays et

des commerçants étrangers qui l'habitent; des che& d'Etats


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 . 1884 » 191

haïtiens; de la maison d'arrêt de Port-au-Prince; des membres


du cabinet ministériel actuel, de leurs sympathies pour la

France et de leurs projets pacifiques et civilisateurs; des

lettres ou documents imprimés qui m'avaient été envoyés di-

rectement de Port-au-Prince du Cap-Haïtien et indirecte-


ment sans doute, de Jérémie et de Miragoâne; j'ai insisté sur
l'intérêt qu'il y aurait pour la nation haïtienne à ce que les
jeunes Haïtiens actuellement à Paris commençassent dès à
présent, à avoir l'esprit de tolérance, le respect de la volonté

nationale et de la loi, la patience, l'amoiur des siens poussé juj:-

qua l'abnégation, au sacrifice; j'ai ajouté qu'il serait néces.

saire qu'ils acquissent des lumières politiques sérieuses et non


des idées étroites d'une seule école ou d'une secte sociale poui
mettre plus tard ces lumières au service du pays qui les a
vus naître et j'observe, incomplet Anonyme, que vous n'avez
soufflé mot de tout cela.

Votre prétendue réponse brille par sa brièveté — si tant est


qu'un article de journal puisse «briller» par sa brièveté ou sa
«longueur». Quand on sait le poio*quoi et le comment des cho-
ses, on aime à en parler longuement parce qu'on le peut,
sachez-le,Anonyme, et vous êtes un étourdi en même temps
que vous manquez de sens patriotique et de respect national.

Cest pour cette raison que vous écrivez que M. Madiou,


Ministre de la Justice «a l'âme bîtôse et vile» — je guillemctte
vos expressions — parce que, poiu* complaire «au monstre Sa-
lomon» dont il est «le digne valet», parodiant Brutus, ce mi.
nistre de la Justice «a signé tout récemment sans hésiter

«d'arrêt de mort de son gendre- Cet acte seul ajoutez-vous


«avec une naïveté et une candeur enfantines cet acte seul ne
suffirait-il pas à le désigner à la réprobation universelle?»...
192 « LES AFFAIRES DUAITI 1883 - 1884 »

D'abord, oublieux Amxnyme^ vous faites une faute d'histoi-


re. Brutus était consul et avait fait mourir ses fils convaincus
de conspiration après que ceux-ci eussent été battus de verges,
tandis que M. IVIadiou n'est pas juge et qu'il ne remplit que
des fonctions scientifiquement et purement constitutionnelles
dans un pays où existe la séparation des pouvoirs. M. Madiou
a agi en excellent citoyen. D'ailleurs^ quand on est complète-
ment patriote on n'a pas de famUle ou du moins la patrie

est la première famille : la famille personnelle ne passe qu'a-


près la nation^ la famiUe nationale. Pour ma part je n'hésite-
rais pas une minute à signer l'arrêt de mort de tous mes pa<
rentSj sans exception, si l'intérêt de la nation haïtienne le com-
mandait et si surtout ils conspiraient poiu* troubler la paix pu-
blique. Je pense comme pensaient Brutus^ Pierre.le-Grand,
Polverel pour lesquels la patrie^ la nation passaient avant
tout.

Vous voyeZj Monsieur le correspondant anonyme, vous


voyez que «si je ne puis me croire le seul à aimer Haïti» com-
me vous l'avez sottement écrit je puis croire que je l'aime

plus que vous. Cent actions de ma vie si courte, et déjà si lon-

gue peuvent en témoigner et les lignes inunédiatement précé-


dentes en témoignent encore.
Votre article prouve que vous aimez votre patrie — si tant

est que vous l'aimiez — pour vous et poiu* vos amis qui l'ont

tant de fois pillée^ et peut être que vous portez le nom d'un
de ces pillards^ bandits intelligents ou politiciens empiriques,
qui depuis 1859 ont gaspUlé l'avenir de ma patrie.

Vous aimez la patrie haïtienne connue le pirate aime le ga-


lion qu'il dévalise.

Mon père^ qui était du peuple et qui fut successiv^nent


tailleur maitre tanneiu-, spéculateur en denrées et qui était
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 193

devenu bourgeois notable et aisé à force de travail et d'éco-


nomie^ mon père fut absolimient ruiné par l'idiote prise d'ar-

mes de 1868. n perdi-i tout ce qu'il avait amassé en quarante


ans de labeurs acharnés. Eln dehors de mon patriotisme ardent^
voilà la rais«n de ma haine implacable contre les soi-disant
révolutionnaires qui s'emplissent les poches après qu'ils ont
ruiné les citoyens laborieux.
Qu'ont.ils fait au pouvoir, vos Brice vos Boileau Laforest
et les autres qui en 1868 parlaient au nom d'une soLdisant
liberté qu'ils n'ont jamais donnée à personne quand ils furent
au pouvoir?... Ce sont eux qui ont brûlé Port-au-Prince en
Décembre 1869.

Qu'ont-ils fait avec leur Constitution de 1867 qui fut

d'ailleurs déchirée par Nissage et par Domingue? Qu'ont-ils

fait?... Ah si! ils ont fait quelque chose : ils ont pillé la na-
tion après l'avoir saignée aux quatre membres. Plusieurs

d'entre eux qui y étaient entrés gueux sont sortis ridi^ de


la guerre criminelle de 1869, mais la nation en est sortie

gueuse détraquée appauvrie déshonorée anémique et muti-

lée.

Anonyme vous me reprochiez le ton doctoral^ selon vous,


de mon article du Paris. Je vous demande mille pardons d'ê-
tre deux fois— car semble que cela
docteur il vous déplait,
vous gêne et vous ennuie — et pour vous c'est plaiîre que je

le prends ici sur le ton amical, familier^ gouailleur et mo-


queur : par ainsi vous êtes ridiculisé de façon polie mais hau-
taine et sans que je daigne me mettre en colère.

Vous me reprochez encore d'avoir dit ceci: «Les véritables


libéraux sont ceux qui n'ont d'autres armes que l'article de
194 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

journal le Hvre la parole, le bulletin de vote et qui^ dans


aucune circonstance ne veulent livrer leur pays à la guerre
intestine à l'anarchie.»
Et vous répondez ainsi : «A qui croit-on l'apprendre? il est

«évident que ce n'est pas à nous, car c'est précisément là

««notre opinion qui n'est pas du tout celle de M. Salomon.


«La preuve la meilleure et nous allons le dire tout haut
«puisqu'on nous y force c'est que si un individu en ce mo-
«ment en Haiti s'avisait de faire par la presse l'opposition

«la plus anodine au gouvernement actuel, il serait sûr d'être

«fusillé deux fois pour une sans compter que toute sa fa-

«miUe femme, enfants vieillards^ tous sans exception, se-

«raient jetés en prison pour n'en sortir que lorsqu'il plai-

«rait au caprice du tyran.»


Cela ne vous va pas de vouloir faire de l'esprit, Anony-
me; vous ne pourriez pas tout seid. C'est en vain que vous
essayez : ce n'est pas bien de forcer son talent et vous
nœntez ce qui est pis-

La preuve qu'un citoyen pleut faire opposition au gou-


vernement sans que sa famille ne soit poursuivie^ vous la

donnez vous-même. Le gendre de M. Madiou a été fusillé

parce qu'il conspirait contre la sûreté de l'Etat; a-t-on mis sa


fenune ses enfants et son beau-pèite, M. Madiou lui-même^ les
a-t-cm mis en prison?...
Nombre des parents des rebelles sont actuellement emplo-
yés du gouvernement, j'en connais et vous en connaissez^ Ano-
nyme. Le gouvernement a même été d'une mansuétude rare
envers plusieurs de ces employés qui furent les espions des
rebelles pendant que ceux-ci étaient à Kingston; ils émargent
au budget actuellement encore et actuellement encore^ au
lieu de «respirer en prison», comme dit Corneille, ils trahis-
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 195

sent la nation qui se saigne à blanc pour les payer.


Homme trop prudent, citez-moi citez-moi le nom d'im

^ul journaliste qui ait été fusillé ou même emprisonné pour


avoir critiqué les actes du gouvernement de Salomon. Eh bien,
Boyer a fusillé Darfour journaliste noir, qui critiquait les

actes de son administration et, publiquement^ il a insulté


David-Troy qu'il accusait d'avoir fait la même chose.

En France, pendant la Restauration^ sous Louis-Philippe^

sous Napoléon IH, pendant les présidences de Thiers et du


maréchal de Mac.Mahon encore que les journalistes fussent

souvent emprisonnés et quelquefois déportés pour avoir fait

opposition au gouvernement établi cela n'a jamais empêché


d'autres journalistes braves et convaincus d'exprimer leurs
opinions sans peur des amendes de la prison et de la dé-

portation.
Faites de même en Haïti, faites -le sans peur, au grand
jour^ vous et les vôtres^ et signez surtout quand vous écri-
vez, et, par ainsi^ vous aurez fondé le règne de la liberté,
le vrai régime Ubéral^ le régime de la discussion.

Dans aucune circonstance^ ne prenez le fusil; et tou-


jours déconseillez l'insurrection aux vôtres, au lieu de la leur
conseiller, brave Anonyme... Si vous prenez le fusil pour mon-
ter au pouvoir^ vous en serez renversé par le fusU et ce sera
toujours à recommencer. Or^ on perce le canal de Panama et
les Etats-Unis convoitent notre île- Je sais bien que cela vous
est égal, car on dit que vous demandez partout un protectorat
étranger pour Haïti; et on répète que vous avez hypothéqué
notre patrie pour avoir des armes afin de l'asservir et de la
livrer à ceux qui la convoitent.

Chaque révolte appauvrit la nation tout entière, lui fait


perdre tout crédit à l'étranger toute estime et tout honneur.
196 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 >»

En ce moment le gouvernement a dû fermer les écoles, voi.

là la misère intellectuelle et morale; il dépense au moins ctn.


quante mille piastres par jour et l'agriculture chôme et le

commerce est suspendu, voilà la misère physique^ matérielle.

Si vos amis les libéraux étalent véritablement instruits et de


vrais patriotes, ils ne seraient pas en ce moment des émeu-
tiers des insurgés des rebelles, des révoltés; ils seraient à

Port-au-Prince^ préparant au grand jour, loyalement comme


cela se fait dans les pays civilisés, préparant les voies pour fai^

re arriver au pouvoir les hommes de leur choix (1).


Ancttiyme dis-leur de ma part s'ils sont bien gentils

avec moi c'est-à-dire avec la nation tout entière; s'ils ne la

font pas insulter à l'étranger; s'ils ne vous laissent plus par-

ler en leur nom, vous si ignorant^ si simple et si empirique;


s'ils pensent à la majorité du peuple haïtien au lieu de penser
à eux seuls; s'ils mettent de côté leurs petites rancunes et
leur préjugé de couleur et leur sot orgueil; s'ils ne viennent

(1} *Le gcywoemement c^est la réaction de Vensemhle sur les diverses

parties de la société au point de vue de la directiom,, de V amélioration

et du progrès. L'autorité c'est la force nécessaire à une pareille oeu.

vre, h, plus éminente de toutes celles que puisse se proposer un hom


me public. <iPierre Lafitte. Cours de philosophie positive professé à la

salle Gersom. (Notes personnelles.)

C'est pour cela que les jeunes hommes qui se destinent à la carrière

politique doivent être des esprits émancipés et pourtant disciplinés,

sachant arudyser, synthétiser et comparer. De bonne he^ire, ils doivent

fouiller toute la sociologie, les hommes et les pays, les races et les cli

muts, la psychologie, et Vhygiène, et Vhistoire. Dans les pays jeunes

surtout, ils doivent être des encyclopédistes même en devenant des

spécialistes.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 197

plus nous parler de leur « dignité » quand la nation a parlé^


alors je serai avec eux dussent-ils me faire empoisonner,
cotmme on prétend peut-être à tort, qu'ils ont fait empoison.
ner Saint-Ilmont Blot,
Mais que d'abord ils laissait Salomon faire son septennat.

Qu'ils soient patients, qu'ils soient constitutionnels- Anony-


me; qu'ils fassent de la politique scientifique; qu'ils sacb^it
être des hommes d'Etat véritables au lieu d'être des révoltés
des empiriques; c'est un patriote un désintéressé, im loyal
adversaire^ un diplômé de l'Ecole des Sciences Politiques
qui vous parle, c'est celui qui a signé d!ans toutes les cir-

oooistjances comme il signe ici, en toutes lettres et signera


toujours.

Dr. Louis Joseph JANVIER


198 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »»

LA PATRIE EN DANGER

Au milieu des circonstances difficiles et des épreuves terri-


bles que la patrie traverse, toute parole doit être écoutée^ tou-

te vérité doit être dite chaque citoyen doit faire abnégation

de sa personnalité individuelle pour ne penser qu'à la collec-


tivité nationale.

La nation haïtienne a le droit d'exiger que chacun de ses


membres accomplisse son devoir. Oetix d'entre eux dont elle

a nourri le cerveau et qu'elle a fait des hommes^ ceuxJà sont


par trois fois ses enfants et ils ont pour missilon spéciale de
l'avertir quand un danger la menace. Ils ne s'appartiennent
plus : ils sont la chose de la nation. Si quelques égarés, dont
l'esprit est rapetissé par les préjugés et par la peur^ peuvent

garder un lâche silence et si quelques individus méprisables


peuvent trahir leurs frères en faisant cause commune avec les

insulteurs avérés de la République haïtienne et de la race

noire eux, les pupilles du peuple^ s'ils sont instruits, recon-


naissants et patriotes il leur est impérieusement commandé
de parler.
Elevons nos coeurs à la hauteur des événements et soyons
virils.

Mon devoir est d'avertir : je vais remplir mon devoir.

La nation haïtienne est en péril. La patrie test en danger.


A l'étranger, quelques renégats ont déchainé um ouragan
de haine de bave et de calomnie sur la majorité du peuple

(1) L'OEIL du 27 Octobre


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 19»

haïtien; à l'intérieur, il a été commis une infamie politifiue,

lui crime de lèse-humanité par ceux qui voyant la nation en-


dettée, appauvrie^ meurtrie par les épidémies, pourtant vail-
lante et tâchant de Ée refaire, n'ont pas craint de porter à
nouveau la guerre civile au milieu d'elle.

Ce sont là les faits visibles.


Chose plus grave : un complot est ourdi à l'intérieur ef à
l'extérieur par les insurgés de Miragoâne et par leurs parti-
sans pour mettre la nation haïtienne sous le joug d'une puis-
sance anglo-saxonne (1).

(1) Foule de faits prouvent que, à plusieurs Trumients, les anti^

nationaux ont eu Vmtention de mettre Haiti sous le protectorat de


l'Angleterre. C^est ce qui explique Vattitude agressive, provocante des

agents diplomatiquyes et consulaires anglais accrédités eni Haïti envers

lé gouvernement hdiUen. CPest ce qui explique la coupable conduite te-

nue par les autorités anglaises d^Inague, qui auraient pu arrêter dans

ce port les insurgés haïtiens au moment de leur départ pour Haiti. Chi.

peut consulter, dans le Moniteur haïtien du 19 avril 1884, les passages

des notes rédigées par Vinsurgé Charles Desroches, mort à Miragoâne,

où il avoue ces faits.

A Miragoâne et le 11 avril 1883, le même insurgé Charles Desroches^

écrivait ceci : 'Vers les cinq heures et demie, um. bateau de guerre an^

glais est entré da^ls la rade d'ici. H vient de Port-Royal (Jamaïque) et

n'annonce rien de nouveau. On fait co^irir un certain bruit qui m'a fort

inquiété." Ce bruit, c'était tout unicjuevient celui qui circulait parmi ses
complices que le vcdsseau de la marine royale anglaise venait s'assurer
des chances que les révoltée avaient de réussir dans leur crimiit£lle en-
treprise, afin qu'ils ftissent aidés par les forces britanniques des An_
tilles, moyennant l'engagem^ent qu'ils prendraient de placer le pays sousr
le protectorat du Royaume-Uni. Les Anglais virent que ces mauvais
2Q0 « LE^ AFFAIRES D'HATIÏ ,1883 - 1884 »

Voilà le fait qu'on tenait soigneusement caché, mais que


n'ignorent point ceux qui connaissent les dessous de la poli.
.

Idque ignoble dés prétendus libéraux et ceux qui s'occupent


des questions qui ont trait à l'existence de la République
d'Haïti et à l'avenir de la race noire.

Les faux libéraux se sont dit ceci : «Nous somm^ ime


«infime minorité et pourtant nous avons la prétention de gou-
«vemer une majorité trop clémente parce qu'elle est très sen-
?tinxentale; en prenant les armes nous avons violé la Consti.

«tution et pourtant nous avons osé prétendre que c'était

«FAssemblée nationale, c'est-à-dire la nation^ qui la violait.

«Si nous arrivons au pouvoir nous lïe pourrons nous y main,


«tesair que par la violence et apr^ avoir dissous la Chambre
«et le Sénat. Une révolte heureuse nous y aura petites; une
«révolte heureuse pourra nous en chasser. Nous avons été

Ifaitiens allaient échouer dans leur, folle tentative et se retirèrent. La


ville de Miragoâne ne tomba pas aussi vite qu'ils V avaient cru, parce
que, d'autres villes du pays ayant pris les armes, les forces du gouver^
nement furent obligées de se diviser pour aller les assiéger. Ils revi/n-

rent alors rôder autour de Miragoâne, de Jérémie et de Jacmel.

Le 26 décembre, un navire anglais, protégé par un vaisseau de cette

nation^ força le blocus de Jacmel, malgré la défense qui lui en fut faite

par un bateau de guerre haitien.

Comment de prétendus Haïtiens qui pensaient à faire perdre à leur

pays son, indépendance, peuvent-ils encore trouver des apologistes, des

déificateurs même parmi certains de leurs coreligionnaires politiques

qui se croient patriotes et instruits? Oest là une monstruosité morale


qm indique Vétat d'anarchie mentale des a/nMnationaux haïtiens et

qu'auQun engovuement pour leur cause, si stupide soit^il, ne saurait fai-

re excuser par n'importe quel patriote sincère.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 201

«les mineurs de ce peuple dont nous avons assassiné les plus

«ardents défenseurs quand nous ne pouvions pas les tuer par


"le mensonge et l'assassinat moral. Nous avons été les mépri-

«seurs et les bourreaux des paysans et des artisans qiïe nous


«aspirons à gouverner. Nous avons fait faire faillite aux com-
merçants en tuant leur crédit.

«Nous préférons la domination rogue du Saxon à l'admi-


«nistration de la nation par les élus de la majorité de la na-
«tion. Mettons le pays sous un protectorat et nous exerce-
rons le pouvoir en sous-main. Nous serons les domestiques
de l'étranger.
«Que nous importent les immortels souvenirs de 1802 et
1804 (1).

(1) Chacun demeurera d'accord que les faux libéraux d^Haïti méri.
tent bien le qualificatif d'amtitiatiorLatix que je leur ai appliqué quand
j'aurai dit qu'ils renient notre Libérateur, nx}tre Washington, notre Bo-
livar à nous, Dessalines. Sans Dessalines on donnerait encore le fouet à
MM. les faux aristocrates actuels d'Haïti: sans Dessalines, jamais ces

pseudo-nobles ne pourraient prétendre aujourd'hui à gouverner HaA,ti.

Ils protestent avec indignation parce que le gouvernement haïtien,

parce que les nationaux mettent le nom du Libérateur à la poupe d'un


navire lorsque tout le pays aurait pu se gl&rifier de s'appeler ainsi ;

Dessalinie comme tel autre se glorifie de s'appeler Bolivie.

Sont-ils curieux?...

Aussi critiquable est la conduite des Européens et Antiléens blancs


qui veulent nous faire accroire qu'ils nous aiment de sincère amour et

qui, à l'occasion, se moquent en catimini de ce quHls appellent nous ne

savons pourquoi aies princes nègres d'Afrique et d'Haiti*.

L'un de ceux-ci a cru être bien spirituel et bien malin quand, dans
202 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

«Que nous importent I>essalines et Boisrond Tonnerre.


«Que nous importe l'existence indépendante de la Républi-
«que haïtieraie, fille ainée de la race noire sentinelle avancée
de la civilisation noire latine î

«Ce qu'il nous importe c'est de gouverner; c'est de piller !e

«peuple ou de le compromettre après l'avoir trompé; c'est

«de l'abrutir à l'intérieiu* et pour faire croire toujours que


«sans nous il n'est rien^ que sans nous Haïti n'existe pas et

«ne peut exister

«La littérature haïtienne tant originale et si variée nous


«l 'étoufferons sous le sarcasme et le ridicule; le mouvement de
«culture intellectuelle des masses^ nous l'arrêterons; la fierté
«du front haïtien, nous la rabaisserons; l'étincelle qui illumi.

«ne le regard de ces hommes libres dont les pères furent si

«hardis et si dédaigneux devant la mort nous la ferons s'étein-

«dre à tout jamais. Le peuple des villes et des campagnes con-


«tinuera de nourrir nous, nos femmes et nos enfants. Nous
«nous vautrerons dans l'orgie et sous les monceaux d'or et le-

«pays sera à nous seuls comme autrefois. Tout cela nous le

un journal qui n'est pas tendre à la race noire, il a surnommé M. Salo.

mon un Africain. Oui ruyws siommes Africains.

Eh bien après? Ntyus ne renions pas nos origines, nous. Et qui nou^

aime doit commencer par vénérer tws gloires, par respecter notre

Lâbérateur, nos gouvernants. Nous admettons les critiques et les con-

seils, mais il nxnis déplaît d^être ridiculisés en la personne de nos élus.

De pltis, nous sommes de la grande espèce d'Africains qui avons des

Européens à notre solde. De plus, souvent, nous offrons aux AnUléenSy

blancs ou noirs, rums leur offrons l'hospitalité dans notre petitie Afri-

que. Le tout, grâce à Dessalines!


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 . 203

«ferons à la faveur d'un protectorat de puissance étrangère,


«ieqilel protectorat dé|ruisera lui véritable esclavage. Comme
«nous ne pensons qu'à nous sqnès nous, tant pis : vieime le
«déluge! n nous importe peu que avant trente ans, le peupte
«haïtien périsse sous la concurrence des exploiteurs étrangers
«ou oju'il soit massacré tout entier s'il se révolte! Que nous
«importe que le p^euple haïtien soit noyé dans son sang et
«disparaisse comme a disparu la populatkm indigène de la
«Nouvelle-Zélande ou qu'il soit décimé et écrasé comme
«l'est en ce moment la population autochtone des il^
«Saxedwich!
«Riches de son travail, gavés de ses dépouilles, nous
«irons les dépenser follement et niaisement à l'étranger.»
VoHà ce qu'ils s'étaient dit ce millier de faux frères de
Miragoâne et de Jérémie; voilà ce qu'ils complotent encore,
les assassins de Jacmel-
S'être élevé au rang de citoyen d^un Etat autonome et

vouloir redevenir régnicole d'une colonie! Etre homme et

aspirer à descendre au rôle de valet! Avoir dépensé tant de


sang ^puis 1804 et tant d'argent et de sueur depuis 1825
pour revoir flotter soi» l'azixr du ciel d'Haïti un autre dra-
peau que le splendide étendard bicolore!
Quelle honte et quelle ignominie!... Douletu* qui fait vi.

hrer le coeur et bondir les poitrines de fureur et de rage!...


O vous les magnanimes qui domwz sous les vagues bleues
et dans les entrailles des collines; vous qui le feu dans la
prunelle, aUiez, tragiques, sublimes et stoïques au milieu
des balles et de la mitraille pour créer im coin de patrie à
vos descendants; héroïques combattants de la Crête-à.
Pierrot, de Charrier et de Champin aïeux trois fois saints

dont on nous avait ordonné d'oubtier les noms Dessalines,


204 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

ÇapoiSj Clervaux, Paul Prompt^ Sylla, Christophe et toi

Vaillant-Gabart, que ditîes-vous dans vos suaires de gloire?...

Quel mépris doit emplir vos âmes !

Quel dégoût doit faire remuer vos os et combien voi|s devez


tressaillir d'indignation dans vos tombeaux!...
]\Iais nous vivons nous héritiers de vos vaillanjces ! Nous
allons, nous marchons, nous parlons, nous pensons, nous agis,
sons î Dormez tranquilles votre étemel sommeil; le sol où vous
êtes couchés ne sera jamais foulé que par vos enfants qui ne
vous ont jamais remi^...
Et vous, soldats de l'ordre de la liberté et de l'Indépen-
dance c'est à vous d'agir. Allez dans la fumée sous les
volées des can<ms sourds, iteprenez Miragoâne, entrez dans
Jérémie et dans Jacmel.
Le temps presse. Ayez le courage, encore une fois, de vous
couvrir de gloire.
Si vous hésitez, la nation haïtienne aura perdu son indé-
pendance et vous serez responsables devant vos femmes et

vos soeurs devant la race noire qui vous regarde et devant


l'histoire-

Avant tout et à tout prix, sauvez la nation. La patrie est

en danger.
fcfcS AIF^FAIRES D'HAITÏ'iSSl- iM » 205

"'
FAUSSAlràîS Èri^ tlBÊRAÙX (1) * *
/ .


LénjLT iniinidénùe «st'sâiis 'égale/ AH! ai jamais ils arrivaient
au poiiToir comme iJs crochîèteïàiërit les seirures'des cbnstitu-
tionSj comme ils se vautieraient dans la fange
de la tidonniie' et ^' I^mpbséure. ''
'"' du mensoij^e^

Quand 'ils veulent ifisciiter avec têurs àdveàreàires


"
^fcs' em-
ploient totis les moyens détournés. "Ils se caclîenï dans l'om-
bre et ils débitent bravement tout^ soôrtes d'iriJepifiés et ain-
sanités; ils essaient de baver sur les existences' ïés phis là3bo-

rieuses sur les individiialités les plus droites et les phis géné-
rerises.

Pôiir) le besoin de leib* cause ils font flèche de toiil bois; ils

ne reculent pas même devant le faux en écriture publique.

Un livre a été publié. H a été lu par deux mille personnes


au moins. H a été analysé, ^scuté disséqué, critiqué, éidgié

ou blâmé. + » .

Ëux^ saa3& verg<^^é, ils preniient leur plume de faussaires et

ils en copient des passages mais en (nnettant certaiios inofs,

en tronquainit les pihraâes et en soulignant tel nomj ilis dhéiiatu-

rent la pensée de celui dont ils prétendent citer les opinions.


Ceslit ainsi qu'as cm ont agi avec mon livre La Képublique
d'Haïti! et ses Visiteiuirs.

Oi) L'OEIL <iu 27 ocU>hre,


206 u L£S AFFAIBES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

Qu^tls sont loyaux^ ces Cartouches et ces Mandrins Ubé.


raux^ ces falsificateurs de ia phrase et de la pensée-
9e les dénonce aux honnêtes gens de tofus les partis; je les

traine à la barre de toutes les consciences franches et impar.


tiales et <>our lesquelles La moralité nesit pas un vain mot; je
les dénonce à la RépuhUqpie djes lettres. Je dis d^eux qu'en
falsifiant le texte d'un livre ils peuvent tout falsifier, et les
constitutians, et iesi conventions ou règ^enients de finance.

Ils {>euvent se poster la nuit au coin d'un niur et garrotter

toutef oipinion vaillante^ toute idée qui pasae vivante et vibran-

te dans l'âme d'un patriote que leurs promesses tron^euses


-ou leurs vaines et puériles menaces n'auraient pu terrifier

jusqu'à le réduire au silence.

Os peuvent^ armés de ciseaux, se livrer aux plus honteuses


tentatives d'émasculation sur les œuvres viriles et fortes^

commettre ta besogne de vandaUsimeque commettaient leurs


pères' sur les ouvrages où leurs turpitudes gouvernementales
et leuis tortueuses menées étaient dévoilées et trainées devant
la |umièi%u

ils peuvent prendre pour con^lices tous les désoeuvrés et


tous les ignorants qu'ils ont réunis autour d'eux afin de les

tromper; ils peuvietnt prendre pour sicaires , tous les simples


d'esprit qu'ils ont fanatis^ et leur commander d'aller tuer le

verlKe qui éclôt sous le crâne du pensçur.

*
Voilà ce qu'ils peuvent et voilà ce (fu'ils voudrairait faire.

Mais ils ne le feront pas, car il ne le«i* sera pas laissé, le

temps d'accomplir leurs funestes projets,

lia patrie haïtienne saura rejeter de soax ^eàn tous ces pré-
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 « 207

tendus libéraux qui^ non contents d'être des assassins, sont

«neore d'impudents falsificateurs et d'ignobles faussai-

««s (1).

(1) Et tost sera la c/iottsc mieulx encore preuvée pour Veshaudisse-

ment des Frèires Lâcheours et aultres compères qui, n'ayant fiance qu'es

ptrxMes évajigélicqwes, lors s'en pourlécheront les badigoinces quand

sera fournie démonstration encore une foys de la véracité de cettu-y mot

eseript, je cuyde, et ainsy que ung chascun le doiht sça/voir, au Livre

postjieTmier, Vinédit de VAfOcaXypse : La Roche Tarpéïane est proche

le Capitole.
208 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 «

VI

CES BONS LIBERAUX !


(1)

Ce 19 Octobre 1883.

On me mande de Port-au-Prince^ en date du 18 Septembre


qu'une lettre signée de mon nom et adressée à M. J.J. Chancy
aurait été interceptée par les insurgés de Jacmel, lesquels non
contents de l'avoir décachetée, au mépris du secret des corres-

pondamces n'ont pas reculé devant la responsabilité de la

livrer à la publicité-

Je ne renie jamais mes actes et je puis toujours les expli-


quer mais j'ignore si cette lettre est réellement de moi aucu-
rilB copie imprimée ou manuscrite ne m'en ayant été adressée
de Jacmel ou de Port-au-Prince; en tout cas^ et même quand
elle aurait été signée par moi^ il est plus que probable que
les insxu*gés Font falsifiée^ soit en y ajoutant quelques mots,,
soit en en retranchant quelques phrases.
Les renégats haïtiens qui habitent Paris n'ont pas craint
de falsifier en le citant !e texte d'un passage de mon livre:

«JjSl Répubîixiue d'Haïti «t ses Viilsiiitefttrs»^ à seule fin de me


faire dire dans un journal à leur dévotiom le contraire de
ce qui est imprimé dbns mon livre. J'ai été obligé de re-

lever cette petite infamie politiqu!e en me servant du bien-


veillant organe d'un journal parisien, — l'Evènemeint du
14 Septembre^ — et de flétrir ensuite cette action immoirale

(1) L'OEIL du 17 novembre.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 « 209

dâiis les; journaux haïtiens où j'ai le droit d'exprimer entière-

ment ma pensée. ...»


Quand on peut falsifier le texte d'un livre tiré à quinze
cents exemplaires et dont plus de trente journaux européens
et américains ont publié des comptes rendus ou des extraits, il

est certain qu'on peut mieux encore falsifier une lettre parti-

culière.

Jusqu'à plus ample informé, j'e déclare qu'on doit tenir

pour fausse et mensongère la lettre qu'on dit signée de mon


nom et qui a été publiée par les insurgés de Jacmel.

Il faut faire remarquer en passant que les prétendus Irbé^


raux de cette ville ont pris les armes contre les mandataires
élus du peuple haïtien pour se conformer à la teneur du
manifeste des insurgés de Miragoâne; or dans le susdit mani-
feste ceux-ci réclament pour eux le secret des lettres que^^

mensongèrement, ils disent violé par 1^ autorités constitu-

tionnelles d'Haïti.

Ce qu'ils réclament pour eux^ ils sont les premiers à ne pas


l'admettre pour les autres. Je n'occupe pas encore de fonction
dans l'Etat; je suis simple citoyen haïtien et profondément
respectueux de la volonté nationale représentée par la Cham.
bre et le Sénat; je suis donc couvert par toutes les lois haï-

tiennes et par le gouvernement de mon pays^ dont je reste

le zélé l'acharné défenseiu* au lieu d'en être le détracteur.

Si tant est même que j^aie écrit littéralement la lettre qu'ils

ont publiée^ — ce que je nie^ — les insurgés de Jacmel ont


déjà menti à leur programme de revendications politique.
Que serait-ce donc si jamais ils arrivaient au pouvoir?...
Encore une fois, et en tout état de cause^ qu'ils aient in-

venté la lettre de connivence avec leurs complices à l'étran-


2ie « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

ger ou qu'ils t'aient faLûfîée parce qu'ils y avaient hi ma sL


gnature ils se sont eux.mêmes mis en dehors du droit des

gens.
Que mes amis de Port-au-Prince se rassurent : la lumiè-

re sera faite sur la question comme sur beaucoup d'autres


pius sérieuses- (1)

{!) La lumière est fuite dans une brochure : Les Antirtationaux, Je


•ae public pas ici mon article intitulé : Intitnidalieaira et libéraux parce

que j'attCTids que restitutiiyii du vvcunuscrit tne soit faite par la justice

de mon pays d/&vant laquelle je suis en instance, -pour la réclamer cum


quibvisdam aliis.

Je coTiserve $mts mes droits sur ce travail qui m'a été voilé, je les

axnserve et les réserve. Il en est de même de ceux qtte j'ai sur ma


lettre du 14 juillet 1883 adressée à mon ami J. J. Ckamey.

On aait que, en droit, la lettre missive ap/partient à son auteur; «que

le destinataire même ne le reçoit qu'en dépôt et qiL'il ne la peut pu^

hlier sans le consentement formel, exrprès de V auteur ou de ses ayants

droit*, Pouillet. Propriété littéraire, 1877.

hes antinationaiu: ont des iwttiams si singulières sur le droit écrit, des

idées si bizarres sur les cœivenances politiques et même rrumdaines que

ceux de Paris ne pensaient qu'à faire sortir rma lettre de Jacmel afin

qu'elle fût pîiotographiée à la Jamaique ou à Paris et livrée ainsi à la

publicité. C'aurait été du cynisme raffiné dans le vol, du sublime dans


la Tnaladresse et dans l'absurde, du luxe dans Venfantillage et tout cela

d'autant plus inutile que, dans mes livres, j'en dis toujours plus qti«

dams mes lettres, parce que par mes écrits imprimés je vise <toujours les

collectirités au lieu de viser les individus.

TcnUefoiSt j*ai regret qu'ils n'aient mis à exécution ce beau, ce mirifi,.

que projet Ils m*aairaient fourni d'excellents arguments pour démon-


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 211

Dans l'espèce et en attendant^ entre celui qui émet tou.


jours sa pensée au grand soleil, qui défend toujours sa pa.

trie et sa race et les insensés qui tuent l'une et renient Pau-


trr les patriotes et les gens sensés peuvent déjà prononcer.

itrer de la manière la pitts topique, la plus saisissante, la plus frappante

du monde co>mhien ces gens qui se baptisent libéraux sont au fond, —


au fond et dans la forme^ — des mépriseurs de la liberté, du droit et de
la loi, des despotes qui se piquent de libéralisme pour éblouir les ba-
dauds et les ignorants, la pire, la plus exécrable espèce de despotes.
212 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

VII

PATRIOTISME DES LIBERAUX

Les imsurgés de Jacmel, de Miragoâne et de Jérémie et

leurs affiliés à l'éta-anger suscitent partout des eimemis à la


7*atrie- Ils ont employé tous les moyens ils ont recouru à

toutes! les calomnies les plus odieuses et les plus infâmes pour
exciter les rancîmes et pour envenimer les colères des nations
qui convoiteaîit l'île d'Haïti.

Après le regrettable incident de «l'Alps» qui a eu la rade de


Jérémie pour théâtre ceux de la Jamaïque ont mensongère-
ment écrit au «New York Herald» pour déclarer que c'était le

Président d'Haïti lui-même qui^ à Port-au-Prince^ avait fait

canoniser le navire anglais.


Ce mensonge ne leur suffisait pas. Voilà ce qu'ils ont fait

imprimer dans les journaux américains et anglais dont ils

avaient trompé la bonne foi des rédacteurs : «Le moment sem-


ble mûr pour une intervention étcraingèirie dians les affaires

d'Haïti»...

Partout Us font croire que les Haïtiens détestent les blancs;

partout ils répètent niaisement que leur pays est bizarre dan-
gereux, impossible; partout ils colportent qu'on veut massa-
crer en Haïti tous les hommes de la race blanche.

Ils disent aux Anglais : AUez, bombardez Port-au-Prince;

(J,J| UOEIL du 24 Novembre.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 >> 213

débarquez vos troupes sur la terre haïtienne; nous sommes


avec vous de coeur (1).
Et ces gens s'intitulent libéraux^ se prétendent patriotes.
Allons donc! Ds souillent et prostituent ces mots si nobles
en se les appliquant à eux-mêmes.
Et combien scmt-ils aveugles et vaniteux ces profanateurs

(1) 'Le parti politique qui, pour arriver au pouvoir, s'appuie sur

«V intervention étrangère, numique à ses d&voirs envers VEtat. S'il

1 arrive au pouvoir par ce moyen, il ne possède qu'un pouvoir précaire

<-et n'exerce qu'une souveraineté incomplète ; il est dans la condition du


agouvemement qui appelle l'intervenitien étrangère contre la nation.

1 L'intervention devient permanente, l'anarchie en, est la conséquence, et

<> conduit promptement soit à la ruine de l'Eta(t, soiî ai son asservissew,ent

«à une puissance étrangère.* (Albert Sorei et Funck-Brentano..

Drodit des Grens.)

"Au point de vue du droit intemai,tio(ruil, il faut distinguer le pari

politique national du parti politique. La Pologne est morte au XVIIIème


Siècle parce que, dans cet héroïque pays il n'y avait que des partis

jiolitiques. Ces pa/rUs n'éfxiient pas des partis politiques nationaux,

car ils s'appuyaient à chaque instattit sur l'étranger, sur le

Russe ou le Prv,ssien. En Haïti, le parti national est un parti

politique national; le parti dit libéral est, actuellement surtout, un parti

purement politique, car du jour où il a dernandé l'assistance de l'étran-


ger, de l'Angleterre, il n'a plus été un parti poHtiqiie national. Qui veut
se convaincre de l'absolue véracité de ce que je dis ici n'a qu'à lire,

dans le Moniteur haïtien, le narré des événements qui eurent lieu à

Port-au-Prince les 22^23 septembre 1883, le récit de l'entrée du prési-


deait Sàlomon à Jacmel, à la fin de l'insurrectioii et surtout les curieu-

ses révélations de l'insurgé Charles Desroches, mort à Mirogocne.»


(L,-J. Janvier, Les Antinationaux, page 52.53. Paris, Août 1884.)
214 « LES AFFAIRES DUAITI 1883 - 1884 »

et c^ bls^phémateurs; et combien méprisexit-ils le peuple haï-


tien lorsqu'ils se figurent qu^ le pourront gouverner après
qu'Us ont vomi sur lui des torrents de bave et des flots dln.
jure!...

Dès l'instant qu'Us n'ont pas la main dans la caisse ils nous
itaiient ils crient que nous sommes des sauvages; ils hurlent
pour demander qu'on nous mette enj tuteUe; ils lèchent les
bottes de l'étranger et lui chmitent à tue-tête : Va ^orge
Haïti...

Nous ne serons plus dupes des hypocrites protestations de


tendresse et d'auor dont ils nous assomment quand ils veu-
lent monter au pouvoir (1).

Le peuple haïtien doit connaitre son devoir.


S'il veut vivre, il doit se débarrasser de tous ces renégats
qui conspirent contre son indépendance.

On les trouvera dans Miragoâne, dans Jérémie et dans


Jacmel.
H est temps d'en finir

(iy Pas plus d'ailleurs que tuxus ne serons dupes des protestations

damour que nous font actuellement ceitx qui, n^ étant pas Haïtiens,

nous demandent d'unifier notre dette. L'an pa^sé, ils n'avaient pas con^

fiance, ils faisaient le mort, ne disaient mot, et trouvaient que je par-


lais trop, que j'écrivais trop. Cette année, ils ont tout mis en oeuvre

pour faire croire à ceux que je fus seul à défendre il y a huit mois,
que j'étais un m,auvais patriote parce que je combattais l'unification de

la dette, unification qui contient un réel danger politique pour Haïti.

Rien ne ?ne découragera. Je suis cuirassé contre tout. Et je dirai ï«

vérité à mon pays, parce que c'est mon devoir. L>es homvies passent, les

idées restent. Je ne suis qu'un serviteur des idées.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 215

CHAPITRE n

LES INEDITS

REVOLTES ET NON REVOLUTIONNAIRES (2)

Us se croient libéraux et ils ont recours au fusil pour reven-


diquer dfô droits politiques dont personne ne leur a jamais
contesté le libre exercice.
Ils se disent révolutionnaires ils le crient partout et les
gobe-mouches^ au lieu de contrôler leurs assertions d'exami-
ner leurs dires ies répètent en s'extasiant.
Ils ne sont ni révolutionnaires ni libéraux.
Les révolutionnaires sont des géants non des pygmées; ce
sont des hommes qui ont des idées, qui veulent les appliquer,
mais quij pour les faire prévaloir^ commencent par les expo-
ser.

Cil est leur programme^ à ces libéraux d'un nouveau gen-


re? Qu'ils le montrent !

Que veulent-ils en finances?


Que pensant-ils faire au point de vue économique et social?

(1) Cet article et le suivant devaient être publiés sur le jovrnal


llEgalité du Cap-Haïtien pour lequel ils avaient été spécialement écrits.

Ce journal ayant cessé de paraître, ils me sont revenus d''Ha:iti. Je le?

publie. Je ne reproduis pas ici Vartiele intitulé: Intimidateurs et libéraux,

parce que, comme je l'ai dit déjà, j'ai intenté un procès à celui qui
Vavait volé et que j^attends le prononcé du jugement.

(2) Ecrit le 31 juillet 1883.


216 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

Quelles sont leurs préférences en matière d'administration


et quel sera leur système de politique extérieure? Quelles
sont leurs idées sur l'instruction du peuple sur son ascension
toujours continue vers le progrès indéfini?
Où, quand, commeail: ont-ils prouvé que la fraternité em-
plissait leur coeur embellissait leur intelligence?
Qu'ont-ils fait ou projeté pour le vrai peuple pour le pay-
san^ sur lequel ils ont fait peser tout le poids de l'impôt
pour l'artisan qu'ils ont livré pieds et poings liés à la concur-

rence étrangère?
Avec leur Boyer^ dont ils font tant parade, ils ont retiré la
terre des mains du paysan; avec leur vaniteux Geffrard dont
ils se montrent si fiers, ils ont tué l'industrie nationale ce ;

sont euXj par conséquent^ qui ont énervé paralj^sé appauvri


la nation haïtienne.

Ils préfèrent se faire d&erteurs plutôt que de payer l'impôt


du sang. Us ne pensent qu'à eux et nourrissent les rancunes
les plus inavouables, les arrière-pensées les plus mesquines
contre leurs émules les plus généreux.

Ils arment les étrangers contre la patrie^ la mère commune;


Us donnent les renseignements, la plume^ ils la tiennent pour
qu'on calomnie leurs frères^ et^ plus tard^ ils osent encore
avouer cette monstruosité.

Ils renient la patrie toutes les fois que leurs poches sont
encore gonflées de l'or de leurs compatriotes qu'ils ont rançon-
nés; et, toutes les fois qu'ils sont affamés après l'orgie et qu'ils

sont obligés de tendre la main^ ils ont l'impudeur de soutenir


qu'ils sont Haïtiens.

Toujours on les a vus s'aplatir devant les Gustave d'Alaux^


les Alexandre Bonneau, devant toute la séquelle de stipendiés
u LES AFFAIRES D'HAITI 1883 - 1884 t» 2Ï7

qui ont calomnié la race noire d'Haïti depuis tantôt quarante


ans et qui la vilipendent e?îcore.
Ils appellent tyran un président constitutionnel dès l'ins-

tant que celui-ci connait ses devoirs et ne veut point se. laisser

mener comme un vulgaire mannequin qu'on a chamarré de


gdions affublé d'un titre^ poussé à la suprême magistrature
pour opprimer dépouiller le pauvre peuple en son nom.
Une Chambre des députés, un Sénat sont là^ à Port-au-
Prince à la capitale, légiférant et parlant; la nation entière
veut la paix le dit et ils soutieiment que eux qui opat dé-
chaîné la guerre, eux qui sont des rebelles, ils ont le ; droit

pour eux-
Us croient que^ par vertu supérieure seuls ils sont tout
Haïti; que seuls, ils doivent gouverner une collection d'hom-
mes qu'ils font bafouer tous les jours.
Ds n'écrivent point dans les jounnaux haïtiens pour démon-
trer l'excellence d» leurs idées politiques, pour les faire

triompher par la persuasion par la conquête des coeurs„


mais, à l'étranger, ils se mettent à dix pour accoucher de quel-
que plat pamphlet péniblement élucubré, dans lequel sous le

voUe de l'anonyme ils parlent de piquétàisanq le tout à grand


renfort de fautes de français et de fautes d'histoire.
La vérité, c'est que les pillards Ce sont eux, et l'Histoire à
la main je leur rappelle qu'eni 1846 1^ vrais p^uèts furent
les victimes; qu'on se baigna dans leur sang au lieu de faine
droit à leurs réclamationsi économiques et sociales qui
étaient justes, légitimes, bien fondées; je leur rappelle que-

ceux qu'ils ont encore surnommés piquets en 1868 sont sortis


gueux de la plus infâme, la plus criminelle, la plus ruineuse
des guerres civiles, tandis que les leurs, qui avtiient allumé
cette guerre au nom dé la Constitution de 1867 mais plutôt
218 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

pour échapper à îa banqueroute qui les menaçait, se sont enri-


chis et plus tard s'en sont allés à Londres et à Paris étaler
leur luxe de condottieri musqués et parfumés.
Leur impudente audace, jointe à l'ignorance des uns à l'in-

différence coupable, à la passivité^ à la veulerie de ceux qui

dfevraieîiit les démasquer fait toute leur force.

Quand un adversaire loyal et bien renseigné se dresse


devant eux, à visage découvert et la plume au poing ils se

dérobent, se cachent et, réfugiés dans l'ombre ils vomissent


contre lui les diffamations les mensonges les plus fantaisis-

tes et les plus enfantins.

Us se proclament libéraux et révolutiomiaires, mais


ds ne sont que d'étemels révoltés. Rebelles ils sont^ quand
ils: ne sont pas eunuques au pouvoir.
On peut respecter un révi^utionnaire. On doit tenir comp-
te de ste opinions s'il admet qu'on les discute, mais un révol-
té qui tient une carabine ne mérite le respect de personne.

Chaque jour qui s'écoulô, sans que Miragoâne et Jérémie


ne soient prises la nation haïtienne perd au moins un million
en argent; à chaque soleil qui se lève sur ces deux cités en
armes contre le gouvememeoit légal, qui se couche les

lai^^nt au pouvoir des insurgés^ l'honneur de la patrie est


maculé à l'étranger; chaque matin qui passie sans qu'elles ne
soient réduites le pays subit des pertes cruelles dans son ca-
pital immatériel dans sa force intellectuelle et morale, des
pertes incalculables et qui ne sauraient se chiffrer que par
des années de recul^ d'ignorance et de misère.
Il est grand temps que chacun se pénètre de cette vérité :

en Haïti comme ailleurs on conquiert les majoritési en leur


montrant leur intérêt, mais on ne saurait les intimider les
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 219

asservir, quand elles n'ont ni chefs^ ni drapeau^ ni boussole,


ni lumière.

La majorité de la nation haïtienne est composée aussi


bien de mulâtres que de noirs- D'ailleurs, tous les Haïtiens
appartiennent à la race noire, et, en Europe on ne fait pair

de distinction entre eux.

Que cette majorité se fasse respecter par les turbulents qui

pompeusement, emphatiquement et mensongèrement^ sfe dé-


nomment des révolutioniiaires; qu'elle châtie tous ceux noirs
ou jaunes instruits ou ignorants qui osent plaisanter avec

son avenir troubler la paix doint elle a besoim pour s'instrui-


re, pour s'enrichir, pour grandir.
220 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

II

LEURS GRANDES VERITES (1)

Dans la rnagistrale préface de son Histoire du XlXèihe siè-

chCj Michèlet dit ceci: «L'histoire! ne fera jamais rien si elle

«ne perd le rœ.pect. Le sacrilège là raillerie des faux dieux.


«C'tôt le premier devoir de l'historien, son indispensable ins-
«tniment pour rétablir la vérité- Mais il faut que la moquerie
«soit 'rexQKession d'un mépris sérieux^ profond solidement
fondé.»
C'est aussi le premier devoir du journaliste cet historiJeai de
l'heure présente de dire les faits !e plus crûment^ le plus

nettement possible, de déchirer virilement les masques derriè-


re lesquels s'agitent les pantins qui, tr<^ souvent^ font l'his-

toire.

Le journal l'Américpe qui se publie à Gand^ en Belgique^

(1) Ecrit le 10 août 1883. Je sais bien qu'on me reprochera toute ma


vie les violences, les sacrilèges, les railleries des faux dieux que con-

tient ce livre. Au lieii de m'en repentir, je m^urpplaudis de ma colère.

Elle a trop duré, elle a été trop soutenue pour qu'elle n'ait pas été stn„

cère et Tiécessaire. Si tant était qu'um citoyeii eût besoin de s'excuser

d'être violent <dors cfu'il défend à l'étranger son pays et sa race, atta-

qués par des com,patrU>tes et des congénères, voici mes excuses: j'écris

vais en pleine hatadle, féixiis personnellement attaqué, caUymttiié chaque

jour, je jouais gros jeu, ma patrie était en danger, je signais tous m,es

articles et mes adversaires qui ne sigyiaient jamais les leurs étaient en-

core ktien plus violents que moi. De plus, tous mes articles sont des

ripostes. Qui riposte à demi fait preuve de peu d'énergie ou physique

ou mentdte.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 221

insérait dans son numéro du 19 Juillet 1883^ et sous l'anonyme


d'un Haïtien, confesse-t-il^ les lignes suivantes:
«Nous avons lu dans le journal «Paris» du 6 Juillet, une
•«lettre réfutant les grandes vérités (sic) publiées par la
«France sur les événements d'Haïti»
Or parmi les «grandes vérités» publiées par la France du
18 Juin il faut signaler ceU^ contenues dans «P cet alinéa :

«serait à craindre que exaspéré et voulant à tout prix con*


«server la présidence, Salomon ne mît à exécution la menace
«qu'il a faite il n'y a pas longtemps, de décl^îner sur les

«Haïtiens ces hordes dé bandits montagnards connus sous le

«nom de piqiiets (1) et dont la génération actuelle ne i»ut se


«rappeler sans frémir les atrocités commises, il y a quarante-
« trois anSj alors que Salomon père ce cynique aventurier les

«arma poiu* la première fois contre la population hostUe à ses


«desseins»
L'article où l'on parlait de «cette grande vérité» qui, dès

qu'on l'a réfutée n'est plus une vérité était précédé dtesi mots
que voici de la direction, probablement du journal «l'Améri-
que»: «Un de nos correspondants! haïtiens nous adresse la no-
te suivante sur les affairep d'TEIaïti» etc.

Et dans la «France» du 3 Juillet, je rdève les «grandes


vérités» suivantes qui^ comme celles du paragraphe ci-

desssus transcrit ont été réfutées, attendu quelles sont

(1)\A la façon dont cette phrase est construite om, croirait qite, dans

V esprit de son rédacteur, il y a en Haiti deux espèces de citoyeTis : les

Ha^itiens et les piquets. Il semble même que, pour lui, les piqitets ne

sont pas des Haïtiens. C^est pharamineux! Le plus piqvAnt c'est que
jusquHci ce sont ces "bandits rTwnta.gnards» qui paient seuls tous les

impôts, y compris cehii du sang.


222 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

aussi autant d'erreurs historiques politiques et sociologi*

ques^ qiie de fautes de géographie.

«La plupart des présidents d'Haïti ont été des dictateurs


militaires, qui se sont emparés du pouvoir^ appuyés sur
une indigne tourbe de nègres capables de tous les excès...

«Le président Geffrard, s'appuyant sur luie minorité inteUi-

«gente^ celle des gens de couleur ou des mulâtres (1) dont


«beaucoup ont fait leur éducation en France a fait un mo-
«ment oublier aux Haïtiens leurs longues misères passées
«(2)^ mais voici que le président actuel, le nègre Salomon,
«en enrôlant autour de lui les pires des noirs recommence
«les ignobles méfaits de Soulouque (3)».

«n a exilé emprisonné, fusillé tous les bons citoyens (4)

(1) Haiti est une république démocratique où le suffrage universel

existe et fonctionne: elle ne saurait être gouvernée par une Ttiinorité.

Et si cette minorité fait écrire que la majorité — de vingt contre un —


« est une indigne tourbe de nègres », non seulement elle commet un

double mensonge, mais encore elle fait preuve par deux fois de son

ineptie politique.

(2) Cest peut-être pour cela que, sous son gouvernement, il y avait

au moins une révolte tous les ans.

(3) Geffrard a commis plus de méfaits que Soulouque. L'histoire

tnettra chacun à sa place.

(4^ Si tous les bons citoyens sonn4, fusillés ou emprisonnés, ceux git?

sont en ce moment des rebelles ne sont donc pas de bons citoyens?


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 223

pillé le Trésor public (1) et réduit à néant les échanges de


cette île merveilleuse (2).

«Un beau jour^ le 27 Mars dernier les honnêtes gens (3) se


sont révoltés contre le tyran et se sont tout d'abord emparés
de Miragoâne, dans la baie d'Haïti (sic) (4).
«Toute la population travailleuse va se soulever peu à pei»
contre le dictateur (5). D veut enrôler tout le monde et donne
à ses soldats nègres la paie dérisoire de 7 francs 50 par mois
soit un doUar et demi^ qu'il ne leur paie point de sorte qu'ils

n'ont qu'à compter sur le pillage et le désordre pour vivre et


se maintenir...
«Port-au-Prince a une population de 28.000 âmes. Les
«prisons regorgent. On compte plus de douze cents citoyens
«emprisonnés (6) et de temps en temps il en disparait quel-

le Ce sont justement les ^^honnêtes gens' qui, à Jticmel, ont pillé le

trésor de cette ville Vannée dernière, au début de leur insurrection,

O honnêtes gens! que vous nous la baillez bonne?

(2^ Ceci est une niaiserie économique. Qui veut trop prouver ne prou_

ve rien. Denys de Syracv^e lui-même n'aurait jamais pu réduire à

néant les échanges de la Sicile.

(3) Il en restait donc. Je les croyais tous 'iusillés ou emprisonnés*.

Que de contradicUons! Et quelle logique!

(4() Una baie d'Haijti/ Où çà peut-il bie^i être? Mon Dieu, que ces

géographes sont ignorants! Pas une de leurs cartes qm jasse mention de


cette baie d'H<Liti. Je le dirai à M. Levasseur, de Vlnstitut.

(5) Elle se souleva, mais en faveur du «dictateur^, mauvais pro-


phète.

(6,) Sans com/pter les femmes, les enfants et les vieillards, comme on
dit dans la Bible.
224 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

«cpies^uns (1). On dit alors quils sont «soirtis du dbemin»,.

«c'est-à-dire qu'on les a fusillés...

«Depuis quatre-vingts ans que ce pays est en république (2)^

il y a eu plus de soixante-dix révolutions (3).


«Tous les étrangers qui résident en Haïti font des vœux
«pour le succès de ceaix qu'on est convenu d'appeler des

<«rebelles (4) mais qui composent véritablement le parti li-

«béral, et pour la défaite de Salomon^ le dictateur, qui com-


mande le parti militaire et autoritaire»

Le rédacteur de «^la France» signataire de l'article du 3

Juillet dont je vi«is de rapporter quelque paragraphes en


les mettant entre guillemets, sans doute éclairé par mon
article du «Paris» du 6 Juillet et par mon ouvrage : La Répu-
blique d'Haïti et ses Visdteurs dont je lui offris un exemplaire,

a reconnu que sa bonne foi avait été surprise par ce même

(1) Ce qui vn^étorme, c'est cpiHl ait oublié de prétendre qu'on les man.
geait et que les meilleurs morceaux étaient réservés pour la table des

agents diplomatiques accrédités en Hditi.

(2) Erreur encore. De 1849 à 1859 inotamment U a été en empire; or

son indépendance ne date que de 1804.

C3I)Bé quelques autres encore. De telle façon que VEspagne rwus jait

concurrence sur ce point, la jalouse, elle qui, s'il ert faut croire le

Rappel a eu cent ciiiqtMnte révolutions et plus, depuis quatre-vingts

ans.

(4) Ils faisaient peut-être des voeux pmir les rebelles, mais ces voeux

devaient être bien platoniques, bien discrets car ils signaient aussi des

adresses flatteuses qu'ils envoyaient au président Salcnnon et mettaient

spontanément a sa disposition un mitlion d'un seul coup. Voir plus haut


à mon article du Paris du 6 juillet, page 32,
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 225

Haïtien sous Finspiration duquel il avait publié son article

dans «la France» du 18 Juin,


Que de calomnies contre le peuple d'Haïti sont accumulées

comme à plaisir dans ces quelques lignes guLUemetées au


long!...

Le dégoût vous monte aux lèvres quand on pense que ces


lignes ont été conune dictées par un Haïtien^ et qu'un autre
Haïtien a pu trouver qu'elles renfermaient de «grandes
vérités».

Ces deux Haïtiens traîtres à leur patrie, se disent libé-


raux. J'ai déjà prouvé que les prétendus honnêtes gens^ les
fameux libéraux de Miragoâne et de Jérémie, n'étaient que
des anti-nationaux dépourvus de toute patience et de toute
prévoyance politiques.
Les badauds et les superficiels les tenaient pour savants et
patriotes, mais leur tentative de Miragoâne prouve^ une fois

encore qu'ils ne sont que des fantoches et d'exécrables ci-

toyens.
Ce sont eux, ce sont leurs chefs qui ont des préjugés de
couleur contre les noirs dHaïti : tous leurs actes et tous leurs
écrits le prouvent.

Leurs complices de l'étranger qui font publier des rapsodies


dans l'Amérique de Gand, ceux qui prudemment se tiennent
dans l'ombre pouin parier de ïeur «dignité» ou pour adresser

(1) 'Celui qui insulte son pays à l'étranger commet une trahison en,

vers sa nation, parce que l'étranger a toujours des intérêts opposés à

ceux de la nation dams les affaires de laquelle il veut intervenir.»

Funck-Brentano. Cours de Droit des Gens professé à l'Ecole des Scien-


ces Politiques. Leçon du 22 janvier 1884. Notes perswinelles.
226 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

des lettres sous des noms supposés aux journaux de Paris ^

lettres rédigées en style d'épicier et dans lesquelles ils font

d'ignobles réclames à des assassins, fils d'as-

sassins ceux-là seront à jamais couverts d'opprobre et

d'ignominife.

Ils ont beau supposer dans leur non-pareiUe vanité, qu'ils

sont les plus intelligents les plus capables et que, seuls, ils

gouverneront toujours le peuple haïtien, ils se trompent : ils

ne sont ni les plus forts, ni les plus adroits.


Et la preuve la meilleure, c'est l'empressement ridicule,

c'est la rage qu'ils mettent à escompter l'avenir d'Haïti, c'est


leur aveuglement quand ils insultent le peuplé qu'ils ont la

prétention de diriger c'est leur candeur sans seconde quand


ils le font appeler ignorant et voleur.
Toutes les fois qu'ils ne sont point au pouvoir pour eux, la

nation haïtienne n'existe plus.

Ils ont beau me menacer d'exil ou de mort qu'ils soient

vainqueurs ou vaincus, il ne nïe feront pas peur.


Je parlerai toujours, j'avertirai mes frères; je leur dirai

qu'on les veut tromper; je répéterai qu'un gouvernement de la

majorité par la majorité et par ceux qui respectent la majorité


est seul possible en Haïti; je sonnerai le clairon jusqu'au jour

où mes poumons éclateront.

La nation haïtienne tout entière est représentée dans la

Chambre et le Sénat, dans l'Assemblée nationale- Or voici les


nobles et fortes paroles que, le 16 Juillet dernier au cours de
la séance d'ouverture au Parlement, le président de l'Aœem-
blée nationale, l'honorable M. Montasse, adressait au général
Salomon, président d'Haïti;
«L'Assemblée nationale vous donne Président, par mol
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 227

organe, iassurance de sa ferme volonté de concourir avec vous,


à tout ce qui tendra au rétablissement de la paix publique, au
relèvement de nos finances à la régénération de la patrie.
«Ne perdez pas courage, Président le pays debout à vos
côtés, a les yeux fixés sur vous; il vous soutient, vous ne
faillirez pas à la tâche.»
Ce sont là des paroles sacrées; ce sont tous les citoyens qui
s'expriment par la voix du président de l'Assemblée nationa-
le; c'est la nation qui parle.
Puisque les rebelles ont osé dire que les deux Chambres
qui soutiennent le président d'Haïti étaient composées «des
pires des noirs»; puisque ces étemels révoltés par ces seuls
mots ont insulté la nation tout entière; puisque ces menteurs
ont pris le fusil eh bien! peuple haïtien toujours moqué et

ruiné par eux, prends aussi le fusil, aide.toi de toute arme


et fais-toi justice, une fois entre toutes de ce millier d<
politiciens à réputation surfaite ou usurpée qui occupent Mi.
ragoâne, Jérémie et Jacmel; fais-toi respecter par tous leurs
complices de l'intérieur et de l'extérieur.
228 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

III

PROTECTORAT (1)

Nous engagerons vivement les trafiquants étrangers qui ha-

bitent Haïti à respecter la nation qui leur donne l'hospitalité

à ne pas se moquer d'elle.

Ils envoient par le monde une foule de dépêches aussi cour-


tes qu'absurdes par lesquelles ils cherchent à faire croire que
le gouvernement haïtien demande le protectorat d'une grande
puissance européenne ou américaine.
Haïti n'a besoin d'être protégée par personne pour se dé-
velopper. Elle n'a besoin pour vivre, ni du drapeau anglais,

ni du drapeau étoile de la République fédérale^ ni du drapeau


tricolore.

Nous savons parfaitement que derrière le protectorat vien-

drait l'annexion définitive c'est-à-dire la mort de la patrie

l'extinction du génie haïtien. On convoite Haïti parce qu'on


veut commander la route de Panama.
Nous ne saurions nous prêter sans hiuniliation et sans honte

à ces combinaisons perverses de quelques marchands d'hommes


aussi insolents que cupides
Nous sommes Haïti et nous voulons rester tels ou mourir
tels que nos pères de 1804 nous ont faits.

Haïti c'est la race noire indépendante, se gouvernant elle-


même, ayant ses lois ses usages^ ses moeurs^ sa vie politique

qui ne le cèdent en rien à ceux de plusieurs pays européens ou


américains.
Nous n'avons pas le droit de trafiquer d'un pareil héritage.

(1) Ecrit le 18 novembre 1883.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 229

Nous n'avons pas. le droit de reculer devant les devoirs qui


nous incombent.
La nation haïtienne est lumière. Elle marche malgré les se-
cousses apparentes. La race noire la regarde, pense à elle et
en elle.

Quand on est si haut on peut mourir^ mais on n'a pas le


droit de descendre ou de déchoir.
Nation nous sommes et non colonie.
Nous voulons rester nation.

Nous avons du sang d'orgueilleux dans les veines.

Que nul ne l'ignore-


LIVRE m
iSNAVAOT!
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 233

LE BILAN
Haïti fara da se.

Autrefois à la suite de chacune de ces sinistres aventures


dans lesqueUes l'avenir du pays avait été compromfe, on se
contentait (îe ne voir que le sang qu'elles avaient fait couler
et les larmes qu'elles avaient fait verser-

Dans l'iasouciance extrême et dans l'ignorance où I'om


était des intérêts collectifs, on avait peu cure des dommages
matériels^ on tenait peu compte des brèches énormes qui é-

taient faites aux finances publiques, au crédit général et à


la fortune nationale; on mettait une certaine coquetterie à
ne se soucier point du: retard que les pertes de temps et d'ar-
gent apportaient à l'évolution du pays.
n faut dresser ici et virilennent le bilan de 1^ dernière
insurrection.
Pendant près d'un an le paysan n'a pas travaillé. Retenu
devant Miragoâne^ campé avant Jérémie et devant Jacmel,
son café^ il n'a pu le cueillir, le faire sécher le vendre; so»
coton et son cacao^ il n'a pu les révolter; il a laissé croître

l'acajou, lé gayac et n'a pu porter la hache sur le tronc du


campêchier et du bois marbré^ sur le stipe du palmier.

La guimauve^ le datura, la bayahonde, les euphorbes les

convclvulus et lé ghaguiddi ont envahi ses champs où pous-.


saient le riz, le mil eit le maïs.

DonCj il s'est appauvri, puisqu'il n'a pu bénéficier d'une


production qu'il n'a point réalisée production dont la valeur
234 « L£S AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

inarchaii(fd peut être évaluée par aj^roximation, à quarante


millions.

Le commerçant n'a pu exporter pour faire consommer à


l'extérieur les denrées du pays autant qu'il aurait pu le faire,

puisque ces denrées n'étaient pas portées sur les marchés


des villes par leurs producteurs ordinaires.
Le chiffre de ses importations a beaucoup diminué par suite
de la cîise que tout traversait et dont chacun subissait les

effets.

Son crédit a été ébranlé au dehors et, pendant dix ans


encore^ on n'aura en lui qu'une confiance limitée; donc, le
gros consignataire étranger^ qu'il ait sa maison à Port-au-
Prince aux Cayes, à Jacmel^ à Gonaïves, au Cap^ à Jérémie,
à Miragoâne ou à Saint-Marc ccmtinuera à le gruger à le
tenir sous sa dépendance, à le mener à la remorque.
Le commerce intérieur le petit trafic des nationaux entre
eux, celui qui active la circulatiim locale des capitaux tan.
g^les du numéraire qui les apporte du centre vers la péri-
phérie et la périphérie vers le centre^ celui qui forme l'épargne
et la richesse futujre du régnicole haitien, a décliné^ a périclité

et ne grandiiia de nouveau que lentement.

Ces dommages, qui ne sauraient être que difficiiement cal-

culés chiffrés même par les administrateurs présents) sur les

lieux peuvent être estimés au moiais à une centaine de mil-


lions-

L'artisan est resté les bras croisés et il a souffert puisque


tout souffrait. Quand le café va, tout va. En ces quelques
mots se résume, pour Haïti la suivante théorie des débou-
chés dxHonée par Jean Baptiste Say.
En Haïti, c'est le paysan qui fait vivre tout le monde.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 235

Quand il ne travaille pas, quand il ne vend pas, quand il

n'a pas d'argent, personne ne travaille ne vend, n'achète,


ne consomme n'a d'argent.
Les travailleurs de l'idée même vivent de lui^ sont nourris
par lui directement ou indirectement. Les anxiétés d'un mo-
ment fécond en calamités, les angoisses de la patrie ont fait

se congeler la pensée sous le front des poètes des artistes,


des chercheurs du mieux alors que '
eux-mêmes aussi il^
^
pleuraient de douleur.
Le chômage des artisans a empêché la création d'une somme
de produits dont la valeur aurait pu se chiffrer à trente mil-
liens.

Les insurgés ont dépensé une dizaine de millions en argent


pour acheter des armes et des munitions, et des navires; pour
entretenir des émissaires à Paris, à| Londres à New- York à
Washington, à Saint-Thomas, à Kingston; pour acheter la
plume de quelques journalistes en Belgique à la Jamaïque
et ailleurs.

Autant de capitaux déjà cré^ qui ont été détournés de leur


but: la création de nouveaux capitaux haïtiens; autant d'ar-

gent qui s^n va enrichhj des individus lesquels actuellement


déjà, se moquent de ceux dont l'escarcelle a grossi la leur.

Pour écraser l'insurrection, le gouvernement haïtien a dû


faire sortir de ces coffres une dizaine de millions et obtenir
de ses créanciers ordinaires des emprunts à taux usuraires
dont la masse totale intérêts et capital se soldera en défini-
tive, par une cinquantaine de millions.

Comme le service de la double dette étrangère a été sus-


pendu pendant deux ans; comme la dette intérieure a aug-
menté dans des proi>ortions formidables et qu'elle sera diffi-
236 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

cilement amortie; comme les anciens bons du Trésor ont été


volés ï>ar des courtiers étrangers qui les ont revendus à de
gros trafiquants, étrangers ou renégats d'Haïti, et que ceux-ci
s'en feront rembourser la valeur par le gouvernement; com-
me la Banque s'est enrichie frauduleusement en pratiquant
l'ustire^ cela au mépris des termes de son contrat le pays
tout tentier^ l'artisan^ le paysan, le bourgeois, aura à payer les
intérêts de la dette et les frais de guerre.

Peaidant que les capitaux de la nation qui s'ils étaient dis-


ponibles, auraient tant aidé au perfectionnement de l'outillage

intellectuel et matériel, seront dévorés par des vampires ve-


nus de tous les coins du monde ceux qui par leurs intrigues
ont pousse les uns contre les autres les fik d'une même pa-
trie^ des trafiquants de passage, s'engraisseront de nos sueurs
et, plus tard iront nous calomnier à l'étranger.

Le prestige national a eu à supporter de terribles atteintes-

Oh a vu des contrebandiers à qui on accorde trop facilement^


et par faveur presque enfantine^ le droit de battre pavillon
dans Port-au-Prince, on a vu des personnages interlopes qui,
en des temps peu éloignés^ sont venus s'asseoir à notre foyer,
gueux affamés les dents longues; on les a vus nous cracher
l'injure au visage; on a vu des individus équivoques diffa-

mer ie peuple qu'en d'autres temps ils avaient pillé^ grugé,


rançonné, le menacer dans un acte public que tout l'univers
a lu.

n s'est trouvé que le Venezuela a pu insulter Haïti! Fait


à la fois risible et stupéfiant!...
C'est la seconde fois à cinquante ans de distance^ que ce
pays que nous avons aidé à conquérir son indépendance,
nous remercie de nos bontés par un sanglant outrage.
S'il faut en croire le LIVRE BLEU haïtien^ le pays aura
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 237

des indemnités à compter à ses bons amis à ses plus cliauds


amis^ à ses amis les meilleurs à ces excellents amis qui sont
toujours prêts, disent-ils à se faire hacher pour nous quand
nous leur donnons tout sans qu'ils ne nous donnent rien mais
qui, pourtant ne peuvent se défaire de la douce et lucrative
habitude qu'ils ont contractée de nous faire payer ce qu'ils
n'cmt point perdu en nous menaçant fratemellenient de leurs
cuirassés.

C'est donc une bagatelle de cinq à six millions que nous


coûtent "et à Port-au-Prince seulement, les deux journées
de Septembre! C'est cherl

Jérémie détruite, Jacmel trouée par lesi boulets Miragoâne


rasée de près Port-au-Prince incendiée par des émeutiers ex-
cités, puis cachés par des étrangers^ voilà des pertes matérieUes^
sensibles visibles, indéniables toutes à la charge d!es préten-
dus libéraux et dont l'évaluation ne peut être faite si on
considère que dans vingt ans encore après trente ans même,
dans telle de ces villes se verront des murs lézardés là où
existaient autrefois de luxueuses maisons; là où s'élevaient
des villas, des chaumières.

Le total des dégâts? Huit à neuf cents millions gaspillés^

gâchés^ jet& au vent.

Et pourquoi? Parce que quelques politiciens ignorants et


vaniteux se sont figuré qu'un pays démocratique, un peuple
de vaillants pouvait appartenir comme un vil troupeau à
une famille de naïfs et d'ignorantistes et d'aliénés; parce que
dix ou douze Jérémiens vantards et pervers deux douzai-
nes de Jacméliens ineptes, qui n'avaient jamais lu les livres
si lumineux de Schoelcher^ ont inventé cette insanité cette
238 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

chose burtesque à faire mourir de rire: qu'un noir pouvait


avoir des préjugés de couleur!
n faut repousser hautainement l'argent de l'étranger. Ce
sera prétexte à de nouveaux outrages, à de nouvelles immix-
tions dans nos affaires. Gardons -nous des pièges (1).

n faut se remettre virilement au travail pour payer les

dettes pour effacer les ruines^ pour réparer les désastres,

(IJ QvuTht à l'ennuyeuse et ridicule engeance des vent miiinin dlo

poussé de la finance qui tenaient leurs longues oreilles au frais pen_

dant la tempête, ils peuvent s'agiter et bourdonner à leur aise. Ce


sera toujours sans succès, qu'ils se déTnènent en Haïti ou ailleurs.

La terre haïtienne n'a pas été conquise et payée par nos aieux
pour que nous en fassions cadeau à des oppresseurs futurs. Que je

sois en Haïti ou ailleurs, c'est la thèse que je soutiendrai toujours.

En Haïti, je l'exposerai plus nettement, plus brutalement que jamais


devant les auditoires sympathiques, devant les foules déjà conquises

oux théories nationales, au lieu que de les développer sur des feuilles

de papier. La parole vivante et chaude est toujours plus convaincante

(jae la parole écrite.

Je préviens les «boyis amis" à affection intermittente.

Ceci dit, totts les muets qui ne retrouvent Vusage de leur languie

que qtuiTid le danger est passe et seulement devant les simples et les

compères, tous les prôneurs d^s unifications et des emprunts, moyeiis

transitoires et puérils, peuvent m'injurier cent fois plutôt qu'une dans

les petites lorgies et en présence des Esaiis de IHndépendance quhls


so{ilent de compliments intéressés et de Champagne pour la même
raison que le Renard de la fable flattait le Corbeau.

Le temps est venu oii nous savons qu^ouvrir le bec c'est laisser

tomber le fromage: l'heure est sonnée où les hommes qui OTV(t série^i-

sem,ent étudié, qui sont clairvoyants et probes peuvent parler au moins


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 239

pour instruire les pauvres d'esprit^ pour rendre meilleurs les

bons, pour détruire dans les jeunes cerveaux les levains de


discortîe et de haine qu'y ont semés les renégats et les im-
posteurs.
C'est ici le cas de répéter que la paix est la meilleure des
réformes.
Et si l'on vient nous parler des constitutions violées, de
dix morts qui, pour être vengés demandent l'immolation de
mille victimes de révolte nécessaire de guerre intestine in-

dispensable, soldats paysaifô, artisans commerçants, méde-


cins^ poètes et penseurs, tous en choeur, nous répondrons par

ime formidable clameur: la paix est la première, la plus dé-


sirable la meilleure des réformes

à côté des myopes, des empiriqttes, des gohe-mouches et des corrom-

pus, lesquels seuls autrefois touchaient et coupaient dans les affaires

qui intéressent la vie même de la collectivité natiaimle. Les appétits


individuels les appétits exotiques surtout seront com,hattu^ avec la

dernière violence. Dom,inateur pour domninateur, faime mieux le

dominateur haitien. Si les ultra-iiationaux hxiitiens — et je rrCen glo^

rifie <fen être, — se refusent à fléchir les genoux devant les psetido^

libéraux qui sont des Haïtiens, en somme, ce n'est cei-tainem,ent pas

pour aller s'apkttir devant les décavés, les rebuts de tripots nés à

mille ou d,eux inïlle lieues d^Hditi. Nos pères n'ont pas tant souffert,

ne se sont pas battus comme des lions à la Crète. à-Pierrot et Cham-


pin pour que nos petits-fils voient dans trente, dans cinquante ans

d^ici le paysan haïtien se tuer, se desséclier dans l'unique but de

servir des rentes à des fainéants — fils des futurs producteurs de

riens, qui croient encore et qui répètent que l'homme noir est u/ne

brute créée et mise au inonde pour engraisser les jouisseurs des autres

races pendant toute la suite des siècles.


240 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

Elle éteint les inimitiés; elle rapproche ceux qu'on avait


divisés; elle enrichit. Elle seule peut donner et conserver la

vraie liberté.
Que tout Haïtien se pénètre de cette vérité^ en fasse bien
comprendre la portée à ceux qui font métier de ne rien com-
prendre: dans cinq ans, l'isthme de Panama sera coupé; il

faut veiller plus que jamais autour du drapeau rouge et bleu-

*
* *

Tout est matière à enseignement surtout le malheur. Celui


qui considère dans leur ensemble et de haut la série des der-
niers événements dont Haïti a été le théâtre peut en tirer de
consolantes conclusions.
D'abordj le paysan n'est nullement ranciuïeux. Il pardonne
vite toutes les fois qu'il est vainqueur. Il est pourvu d'admi-
rables qualités militaires; il est très disciplinable; il sait obéir,

n est fraternel et gai. Devant Miragoânte, il cherche à con-


vaincre ses adversaires il veut les ramener à de bons senti-
ments.

Après avoir enduré pendant huit longs mois les privations

les plus dures il est encore rieur et point ne murmure. Il

entre sans colère à Jacmel; c'est sans colère qu'il pénètre


dans Jérémie. Dans ces deux villes il se conduit avec le plus

parfait respect de la discipline. Et pourtant il a été levé à la

hâte, on l'a détourné de ses travaux; il a laissé au logis toutes

ses affections; il vient de voir mourir ses compagnons les plus

aimés ses chefs les plus chers.


n faut savoir le conduire et lui faire faire de belles et no-
bles choses. Le gran^ secret c'est de savoir lui parler^ c'est

de pouvoir s'en faire entendre. Le paysan n'entend et ne


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 241

comprend que ceux dans le cœur desquels il sent battre son


cœur.
De lui-même, il avait couru aU secours de l'ordre menacé.
C'est qu'il sentait qu'on allait l'émanciper.
Une communion d'idées qui s'explique par une électricité

d'une nature toute particulière lui a permis de deviner ce


que personne auparavant n'avait pris la peine de lui démon-
trer.

Les gouvernements antérieurs et ce sera là leur condam-


nation^ ont presque toujours eu le tort de croire que dans
cette tète du paysan rien ne vivait. Tort très grave et qui a
fait commettre bien des fautes! H y vit deux idées, deux dé-
sirs impérieux deux volontés tenaces:
j
l^j soif de posséder le

sol le désireux, l'impérieux vouloir de s'instruire et de mo.


raliser ses fils.

n est donc l'être sociable en soi l'être perfectible par ex-


cellence. Avec de pareils éléments que ne peut-on tenter,
élaborer, construire?

Préparer l'homme c'est! fonder la puissance future. Elargir


la cellule sociale, c'est grandir le corps social. Fertiliser le

cerveau du citoyen c'est agrandir la patrie.


Ces mots contiennent la synthèse de l'œuvre de reconstruc-
tion. Reconstruction qui s'impose pour que soit atteint le

noble idéal, le but rêvé par les deux aïeux qui furent très
grands par.dessus les sublimes^

L'un conçut l'autre fonda. Le premier a nom Toussaint


Louverture. Le second, Jacques-le-Grand, dort, majestueux
dans sa simpUcité fière et dédaigneuse. Es attendent.
Ils resteront plus admirables que les autres parce que
leurs actes ne furent que les conséquences de leurs principes,
242 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

des opérations successives pour la réalisation d'un plan arrê-


té d'avance et parfaitement exécutable. Tous deux sont morts
martyrs pour le triomphe d'une idée: ils voulaient la patrie

forte et redoutable pour qu'elle fût secourable à la race.

Aïeux, nous maintiendrons; et nous ferons mieux: nous


saurons reconstruire!...
LA POLITIQUE NATIONALE

Pour peu qu'on veuille réfléchir^ on arrive à constater que,


trop souvent^ en Haïti^ l'individu, lorsqu'il est pourvu de
quelque instruction, refuse d'obéir à la collectivité ou la croit

sa serve.
Cela tient à ce que trop petit est encore le nombre des
lettrés et que, par conséquent, ceux-là mêmes qui le sont à
peine se figurent avoir dans l'Etat une importance trop gran-
de vis-à-vis du gouvernement et vis-à-vis des autres citoyens;
cela tient encore à ce que l'éducation du citoyen n'a ï>as été

exclusivement, étroitement patriotique; qu'on ne lui a pas


assez appris dès sa première enfance à considérer la loi

comme un dieu vivant.


De là un plus grand nombre d'égarés que de pervers.
Au moment de la lutte, alors que la plupart des conseil
leurs officieux d'aujourd'hui étrangers qui d'ailleurs ne con-
naissent rien de notre histoire gardaient un silence plus que
prudent, j'ai/ tenu nettement et hautement le langage de cir-
constance. On vient de le voir.
Le paysan haïtien devenu maître du sol, grâce au parti
national ne voudra être gouverné que par les chefs de ce
parti, à condition toutefois que ceux-ci veuillent préparer
leurs successeurs au lieu de leur barrer la voie; organiser le

gouvernement de façon telle qu«( le pouvoir puisse se trans-


mettre dignement aux hommes de la majorité, entraînés,
élevés spécialement pour diriger la nation; à condition sur-
tout qu'ils s'abstiennent à l'avenir d'aller prendre conseil des

prétendus économistes qui ne sont pas Haïtiens, des courtiers


242 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

de la finance interlope assoiffés d'or vantards, indiscrets et


compromettants qui leur demandent l'unification de notre
dette dans l'unique but de réaliser des millions sur cette opé-
ration financière^ dont le premier résultat serait la dépopu-

larisation immédiate du parti national et dont les conséqu'en.

ces politiquesi ultérieures seraient excessivement menaçantes,

extrêmement dangereuses pour l'indépendance d'Haïti, ainsi

que tout cela est prouvé déjà dans la deuxième édition de


ma brochure: HAÏTI AUX HAÏTIENS.
Ceci posé^ aux points de vue politique et humanitaire,
scientifique et sentimental, il est dfôirable que tout d'abord
les plaies vives soient cicatrisées.

Pour que l'œuvre de pacification de développement et

d'expansion continus l'œuvre de reconstruction dont je vais


parler se termine sans nouvelle secousse, il faut que soient
amnistiés les simples et les dénaturés; ceux qui ne savent
pas raisonner et ceux qui raisonnent à faux.
n ne faut rien faire à demi^ ni la paix^ ni la guerre.
Ce serait lui beau et noble spectacle si^ par un effet de la

bonté du Président le 1er Janvier 1885, tous les fils de ceux


de Janvier 1804, pouvaient s'embrasser devant l'autel de la

patrie s'ils pouvaient tous revoir leurs foyers. Une amnistie


générale publiée, dans tout pays où la nation a des consuls,
montrerait, mieux que ne le pourrait faire aucun autre acte,

et la force et la clémence du gouvernement, relèverait son


nom lui donnerait un prestige immense, un éclat incompa-

rable.
Que cette anmistie fût acceptée ou non par tous à l'étran-

ger on verrait clairement de quel côté est la vraie science

du gouvernement, le patriotisme éclairé, la grandeur des con-


ceptions politiques et la véritable noblesse de cœur.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 24â

—^La patrie a besoin de tous ses fils dirait-on à ces enfants

prodigues qui reviendraient.


Elle pardonne parce qu'elle est généreuse^ mais c'est à
condition que chacun fasse désormais abnégation de soi-même,
sacrifie son amour-propre, son orgueil ou sa vanité^ devant
l'expression de la volonté générale; elle oublie, à condition
que chacun s'incline comme c'est son devoir, en tant que
citoyen en tant qu'individu, devant les votes du Parlement,
devant l'opinion de la majorité.
Le parti national est trop fort; après sa victoire très com-
plète il se surveillera moins il se désunira se fractionnera,
les compétitions s'y produiront et l'affaibliront. Il a besoin
d'uiî contre-poids pour qu'il demeure compact entier tou-
jours. Rien n'aveugle conune la force. Du reste, tout pays où
on ne discute pas assez meurt intellectuellement.
La décadence intellectuelle fait la décadence sociale.

La lutte c'est la vie mais la lutte intelligente le choc des


esprits et des idées, et non la lutte la carabine au poing. Cel-
le-là est insensée et provoque le suicide d'un peuple.
Xt faut que chacun puisse exposer ses idées. Si elles sont
boniîies, il n'y a aucune raison pour qu'elles ne soient con-
nues, mises en pratique; si eUes sont mauvaises, subversives^
rien n'empêchera qu'elles ne soient combattues réfutées dé.
truites.

Au surplus, le parti national n'est pas fermé. Tous ceux


qui aiment la patrie, qui l'aiment par-dessus tout, mais qui
avaient été égarés par les fallacieuses promesses des préten-
dus libéraux, s'ils veulent se rallier au gouvernement de M.
Salomon pour l'aider de leius conseils, de leurs liunières.
seront fraternellement reçus- Tant pis pour les incorrigibles.
Ils seront rejeta de la patrie haïtienne.
244 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

L'amnistie générale accordée, tous ceux qui ne l'accepte-


raient pas en ne rentrant pas dans les dix mois après sa pu-
blication seraient considérés comme émigrés. A leurs per-

sonnes et à leurs biens seraient appliquées alors^ et dans leiu:

rigoureuse teneur les lois votées contre les insurgés l'année

dernière et qui n'ont pas encore reçu exécution.


Si nous avons le cœur bon, l'intelligence large^ politique^

cela ne nous empêchera nullement de remettre encore à la


raison quiconque osera essayer de troubler la paix publique.
Pas d'équivoque.
Le parti national^ étant fort, peut et doit être clément;

mais tout en ne voulant repousser personne^ il a le droit de


désirer qu'on vienne à luL II sait et saura vouloir que les
mots; liberté égalité fraternité qui sont inscrits sur les ban-
nières d'Haïti ne soient pas de vaines formules. Un pays
n'est grand que par l'union ne grandit que par la concorde
de tous ses enfants. ,

Que tous entendent et comprennent afin que personne ne


manque à l'appel.
La patrie attend^ les bras ouverts.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 245

II

Le gouvernement de Boyer auquel il faut toujours Hemonter

pour trouver les origines des «causes de nos malheurs» était

trop emcroûté dans la routine^ trop figé dans son admiration


de lui-même, trop ennemi des conseils qui pouvaient lui venir

des hommes éclairés, trop stupide en un mot^ pour bien com-


prendre que après 1825, l'indépendance reconnue^ il hii

fallait immédiatement aviser aux moyens de pwirvoir le peu-


ple d'un cerveau nouveau.
Au dire d'Ardouin (Histoire d'Haïti) donnait-on un conseil

au président Boyer il s'empressait de ne pas le suivre, fut-il

excellent^ de peur qu'on ne pût croire qu'il n'avait pas la


science infuse du gouvernement. C'est la vanité poussée jus_
qu'à l'insanité. Un pareil homme restant vingt-cinq ans au
pouvoir fut plus qu'un éteignoir : ce fut une calamité publique.
De grandes réformes s'imposaient entre 1825 et 1830. Boyer
devait armer la nation des trois espèces de facteurs de la ri

chesse et de la civilisation : facteurs matériels, facteurs in*

tellectuels et facteurs moraux; il devait penser à munir le

paysan de trois sortes de capitaux : le capital matériel, c'est-

à-dire le sol et l'argent; le capital intellectuel, c'est-à-dir&

l'instruction ordinaire et agricole; le capital moral c'est-à-dire


le protestantisme.

Dès lorSj la terre aurait dû être remise au paysan; on aurait


dû créer pour lui des caisses d'épargne et lui donner une ins-
truction primaire suffisante; l'organisation militaire d'autre-

fois qui n'avait plus dte raison d'être, puisque la nation était
désormais absolument sûre de son autonomie, aurait dû être
transformée en organisation purement civile et industrielle; on
246 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

aurait dû réduire l'effectif de l'armée régulière, états-majors


et soldats, et opérer scientifiquement^ impartialement cette

réduction; on aurait dû créer une petite armée régulière, soli-


dCj disciplinée, laquelle, se renouvelant à des intervalles pé.

riodiques, se serait recrutée dans toutes les classes sociales par

l'engagement volontaire et la conscription au moyen du tirage

au sort avec faculté de racîiat du service pour quelques privi-


légfiés puisque l'état intellectuel du pays le voulait alors.

Ce qui n'a pas même été tenté de 1825 à 1843, qui n'a été
essayé que timidement, presque à tâtons de 1843 à 1884, il faut

le concevoir en grand aujourd'hui, le mettre à exécution le

plus tôt qu'il se pourra et de la façon la plus rationnelle possi-


ble.

n est meilleur de dire conunent on doit s'y prendre pour


mener à bien la délicate opération d'indiquer les procédés à
employer, la marche à suivre, le processus, enfin selon lequel
elle doit être conduite plutôt que de se contenter de souhaiter
que telle ou telle réforme Sfoit projetée, plutôt que de la pro-

poser sans donner, au moins philosophiquement, mais scienti-


fiquement et congruement, les moyens de la réaliser.

A.— CAPITAL MATERIEL le) La terre au paysan.


Jusqu'ici tout ce livre n'a été qu'une longue paraphase,
qu'une explication détaillée de la légitimité de cette concep-
tion politique. Il est inutile de revenir sur ce sujet encore
qu'il soit bon de répéter en passant avec un économiste con-
cemporain : «La propriété privée est le pivot du progrès».
P. Leroy-Beaulieu
Le ooJlectivisme.— (Paris, 1884, P 106)
Au lieu de donner le capital matériel fixe, le sol aux pay-
sans, Boyer le leur retira. Il fit plus et pis: il leur retira la
faculté de l'acquérir en promulguant la loi qui défendait
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 247

aux) notaires de passer acte de vente d'aucune propriété ru-


rale dont la contenance serait de moins de cinquante car-

reaux de terre. Autant cette mesure prise par Boyer était

non seulement anti-démocratique^ mais stérilisante^ anti-so-


ciale, autant la loi du 28 Février 1883 est démocratique, fra-

ternelle et sera féconde en excellents résultats.

2o : La Caisse d'épargne. - Au moins^ Boyer aurait-il dû


çonger à créer des caisses d'épargne où l'argent du paysan eût
afflué. Là, sous la garantie de l'Etat, cet argent aurait rappor-
té des bénéfices à son déposant; le gouvernement aurait pu
en disposer pour exécuter des travaux industriels et agricoles^

pour percer des routes, réparer des ponts, canaliser et endi-

guer des rivières, bâtir des écoles, en un mot, pour perfec-


tionner l'outillage économique de la nation.
Il n'y pensa nullement. On peut le dire ici et sans honte, au-
tant que ses ministres Boyer manquait de génie personnel. Il

n'avait pas d'idées générales; quoique n'ayant subi aucune


préparation il dédaignait d'étudier. Dans dé bien grands pays
eiu-opéens et à la même époque, les mêmes infatuations d'es-

prit 1^ mêmes lacunes intellectuelles et morales se remar-

quaient chez les premiers dispensateurs du pouvoir.


Un politique doit se perfectionner chaque jour; il doit bien

savoir ce qui s'est passé et ce qui se passe, pour mieux devi-


ner ce qui se passera, afin d'enrichir son pays des conquêtes
immatérielles des autres.
Sous Boyer, et longtemps encore après lui on se contentait
pour dirig'er l'Etat, d'un empirisme de mauvais aloi qui con-
sistait à placer aux affaires et à y laisser croupir des vieillards
à qui on doit pardonner de n'être jamais sortis du pays mais
pour lesquels, et pour cela même le travail intellectuel n'au,

rait point dû être ou une fatigue ou une impossibilité.


248 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

On croyait naïveiwesnt que, parce qu'ils avaient les cheveux


blancs ces débris d'un autre âge étaient expérimentés. Im-
mense erreur. D'avoir vu les faits sans pouvoir les analyser^
les expliquer les conmaenter, sans pouvoir en tirer des ensei-
gnements, ce n'est nullement acquérir de l'expérience. Il exis-

te encore en Haïti foule d'homme illettrés qui ont assisté de


près à toutes les phases de la révolution de 1843. Sur mille
d'entre eux combien pourraient en énumérer toutes les eau.

ses en déduire toutes les conséquences?


Dix à peine. Et encore! Au contraire, tous les jeunes Haï-
tiens de vingt ans qui ont lu les écrits de Schoelcher, de Sa-
lomon^ d'Ardouin^ de Dubois, de Lepelletier de Saint-Remy,
de Gustave d'Alaux^ qui les ont compris, qui en ont sucé la
substantifique moelle, tous peuvent exposer les motifs de cette
révolution^ en présenter la synthèse, en analyser les effets
passés présents et futurs.
Si le travail est la base de la liberté l'économie est la sour-
ce de l'indépendance.
Boyer n'^ayant pas créé de caisses d'épargne, c'est au gou-
vernement actuel d'en fonder.
«Sans épargnes^ la société ne pourrait pas accumuler le ca-

pital nécessaire pour entreprendi^ de grands travaux utiles à


l'organisme collectif.

«C'est donc l'épargne qui engendre le capital.


«La nature elle-même donne à l'homme le sol et les eaux^
les animaux et les plantes qui suffisent à entretenir la vie des
chasseurs comme les Peaux-Rouges de l'Amérique et les nè-

gres de l'Afrique; mais ces races de sauvages ne font aucun


progrès social, parce qu'elles ne savent faire aucune épargne ni
accumuler aucun capital artificiel.» (Doherty. Phylosophie
orga-ique^ Paris, 1884, P. 182).
« LES AFFAIRES DUAITI 1883 - 1884 » 249

Sur ce point de biologie sociale les purs philosophes, les

plus subtils abstracteurs de quintessence, les spiritualistes eux-


mêmes ne pensent pas autrement que les économistes aux idées
hommes d'Etat aux vues nettes et vigoureuses.
pratiques, les

«Le souci des gouvernants^ a dit Léon Say, doit être d^en-

courager l'épargne, c'est le seul moyen pratique d'élever la

condition des masses populaires.» (Le S<xdalisme d'Etat).


«En 1881 les caisses d'épargne ont reçu, en Pruœe, en dé-
pôt, la somme de 1.819 millions de marks, dont elles ont placé

1.754 millions de la manière suivante : 27,95 pour 100 en hy-


pothèques urbaines, 27,98 pova\ 100 en hypothèques rurales,
24,72 pour 100 en valeurs au porteur, 9,75 pour 100 en billets à
ordre cautionnés, 2,63 pour 100 en prêts sur gages, 6,97 pour
100 en prêts à des communes et ii^titutions publiques.» (Mau-
rice Bloch. «La politique économique de l'AUemagne». «Revue
des Deux Moaides» du 1er Octobre 1884).

D'après le même article de M. Bloch qui résume Ifes récen-

tes enquêtes faites siu* l'agriculture allemande, la petite pro.


priété serait le système économique, politique et social prôné
actuellement dans l'empire allemand concurremment avec l'é-

pargne mutuelle.
Si dans un pays froid dont le régime politique est essentiel-

lement aristocratique comme l'est l'Allemagne, la démocratisa-


tion du sol et de l'argent devient de plus en plus une nécessité
sociale qui s'impose elle s'imposera davantage encore dans un
Etat démocratique, dans un pays chaud, comme l'est Haïti.

Actuellement ITEtat haïtien doit avoir la préoccupation

constante des caisses d'épargne et des sociétés de secours mu.


tuels. H peut au besoin leur prêter le secours de son organi-
sation administrative, à la condition, comme le veut Léon
Say «de respecter la liberté individuelle de ne rien faire pour
250 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

diminuer la confiance des citoyens dans leur action person-


nelle».

«La forme de l'épargne la plus essentielle, celle qu'on pour-


rait appeler la cellule originaire autour de laquelle toutes les
crganisations vouées à l'épargne peuvent successivement se
grouper, c'est la société de secours mutuels.» (Léon Say, Le
Socialisme d'Etat).

En Italie, où les caisses d'épargne jouissent de certains pri-


vilèges le gouvernement perçoit un impôt sur le revenu^ le-

quel est payé par les déposants dans dtes conditions très favo-

rables.

H en est de même dans plusieurs cantons suisses^ ainsi que


cela m'a été affirmé par M. Le conseiller fédéral, Louis Ru-
chonnet.
De même que les caisses d'épargne italiennes, les caisses d'é-
pargne haïtiennes pourraient librement disposer des capitaux
qui leur seraient coilfiés; ou^ comme cela se passe en Suisse,
notamment dans le canton de Vaud^ elles pourraient confier la

gestion de leurs fonds à une caisse hypothécaire, espèce de


crédit foncier local, et en tirer un profit par des placements
absolument volontaires (1).

(1) Cette caisse hypothécaire est admirablement administrée; ses

statuts et règlements d'administration sont rédigés avec la plus par-

faite clarté. Fondée en 1848, en 1883, le mouvement général de ses

opérations a atteint le chiffre de dix millions ceolt quatre-vingt six

mille cinq cents francs, quoique le taux de Vintérêt annuel exigé des
evipruntei.i,rs ne soit que de 4 0/0. Le canton de Vaud, donne 3 1/2 0/0
par au aux déposants à la caisse d^épargne. La population du canton
d'après la Statistique de la Suisse pour 1879, e^'i de 229,588 habitants.
(Beime, 20 isepitembre 1884.)
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 251

En ce moment^ en Italie, nous apprend Léon Say, il existe.

2.000 sociétés de secours mutuels, 357 caisses d'épargne libres,

458 bureaux de poste qui sont en même temps des bureaux de


caisse d'épargne, 206 banques populaires, lesquelles, sont ali-,

mentées par l'argent déposé dans les caisses d'épargne.

Tout cela est dû à l'action libre.de la prévoyance indivi-

duelle. I.

Cette thésaurisation de l'argent n^est nullement accompa-


gnée du statiomiement de numéraire, La circulation active

qu'on lui fait subir a produit une décentralisation du crédit

qui se manifeste par un emploi de l'épargne de telle popula-


tion aux lieux mêmes oii ces épargnes ont été réalisées.
n en est de même en Suisse,, dans le canton de Vaud, ainsi
que me l'a confirmé M. Le conseiller fédéral, Louis Ruçhon-
net (1).
La caisse d'épargne postale est de toutes les institutions d'E-
tat créées dans le but d'améliorer le sort des classes laborieu-
ses, la seule qui ait prospéré dans le monde entier. Ici et là, le

fin réseau des bureaux de la poste enveloppe la prévoyance;


ici et là, l'esprit de prévoyance endormi se réveille; il est forcé

d'agir; il devient plus fort,

n se trouve par un heureux concours de circonstances, que


les postes haïtiennes sont administrées d'une manière toute
moderne, à la française.

Quelques employés intelligents et probes ajoutés au person-


nel déjà existant quelques guichets nouveaux ouverts dans les

bureaux de poste qui fonctionnent actuellement rendraient


possible la combinaison économique dont il est question. Le

CI) Communication verbale. Berne, 17 septembre.


252 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

«ombre de ces bureaux de poste serait incessamment augmen-


té.

En tout pays administré d'une façon seulement suffisante,


la caisse d'épargne^ «joignant à l'universalité du livret l'omni-
présemce du bureau de recettes, donne à l'épargne le maxi-
mum de sécurité et le maximum de mobilité.» (Léon Say).
L'éiablKsement des caisses d'épargne postales ne gênerait
nullement l'action des caisses d'épargne ordinaires qu'il faut
aussi créer immédiatement,

Eln Suisse, par exemple, où il n'existe pas encore de caisse


d'épargne postale, d'après tout ce que m'ont dit MM. les con-
:seillers fédéraux Schenck, Droz et Ruckonnet, les caisses d'é-

pargne ordinaires sont tellement nombreuses qu'elles rendent


inutile, pour le moment l'établissement des caisses d'épargne
postales. L'argent recueilli dans les caisses d'épargne haïtien-
nes postales ou ordinaires pourrait servir soit à la création de
banques populaires de caisses hypothécaires départementa-
les, de crédits fonciers locaux soit à l'achat de rentes Iiaïtien-
nes pour les déposants; ou bien encore capitalisé à un certain
maximum, à 400 gourdes, par exemple il leur serait remis
pour qu'ils achetassent des lopins de terre ou pour qu'ils pus-
sent s'établir petits trafiquants. Il y aurait du même coup
dans les administrations de ces institutions financières nouvel-
les, débouché pour toutes les intelligences de bonne volonté,
même pour les anciens émigrés qui voudraient, j'aime à
l'espérer pour eux, — servir la patrie de façon effective.
Nous Haïtiens nous devons renoncer pour toujours au sys-
tème des emprunts contractés à l'étranger. Pour 21 millions
que nous avons empruntés en 1875 et dont nous n'avons pas
bénéficié d'un seul, nous aurons 40 millions à payer en prin-
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 253

cipal, 50 ou 60 au moins s'il faut compter les intérêts. Elmprun-


ter encore pour unifier la dette^ c'est toujours emprunter. Or
unifier c'est — sans réaliser notable économie — s'exposer à
se faire imposer un contrôle financier étranger, ce qui serait
non seulemenst humiliant, attentatoire à la dignité nationale,

mais compromettant pour notr'e autonomie. La criminelle.


Fûitolérable conduite de la Banque Nationale d'Haïti (?) est
une leçon dont nous serions insensés de ne pas profiter. Touh
les grands peuples d'Europe n'ont que des dettes nationales et

n<m internationales. Tous ont créé leurs capitaux eux-mêmes.


Pourquoi^ nous, Haïtiens^ petit peuple dont on convoite le

territoire, irions-nous follement emprunter pour que nous mé-


ritions le sort de la Tunisie et de l'Egypte?

Si lentement que nous puissions créer nos capitaux nous


devons les créer nous-mêmes; c'est la seule politique financiè-

re qui soit sage, sérieuse, vraiment nationale.

Armés de ces deux facteurs de progrès le capital fixe gisant

dans la propriété du sol et le capital en argent qu'il possède,

rait à la caisse d'épargne, le paysan ne serait pas encore dans


les conditions sociales les meilleures où un phUanthrope dou-
blé d'un politique le voudrait savoir.

Ces deux sortes de capitaux qu'on me permettra d'appeler


matériels, parce qu'ils sont, dans une certaine m^ure tangi-
bles, doivent être complétés par les capitaux immatériels, les
capitaux abstraits, j'entends parler du capital intellectuel et
du capital moral.

B. CAPITAL INTELLECTUEL.- L'instruction obligatoire.-


Ici nous touchons à la brûlante et toujours actuelle question
de l'instruction publique.
254 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

On sait que Boyer fit fermer les écoles professsionnelles^ les

écoles primaires et les académies que Christophe avait ouver-


tes dans son royaume du Nord; on sait que, plus tard^ il, trou-

va moyen de tuer l'Université de Santo-Domingo; qu'il ne to-

léra même pas que des écoles primaires rurales fussent ouver-
tes pour les enfants des campagnes par de riches particuliers.

(Voir Schoelcher^ «in Colonies françaises et Haïti»),


n voulait, ce président ignorantiste, n'avoir à gouverner
qu'un peuple de brutes; il voulait que^ comme l'artisan, le

paysan tenu systématiquement dans l'ignorance, ainsi qu'on


tient dans un bagne le galérien, fût matière corvéable et tailla-

ble àlnferci, sous lui et sous ceux de sa faction auxquels il

espérait transmettre les rênes du pouvoir.


C'était là calcul d'homme né aux temps d'esclavage, en ces

temps maudits, monstrueux exécrables, où le livre était con-

sidéré comme un ennemi et le maître d'école comme un înal-

faiteur.

«Le patriotisme est véritablement l'âme d'un peuple,» se-

lon la belle et pittoresque expression de Didon. (Les! Alle-

mands).
Plus un homme est instruit, plus il est patriote, plus il pro-
duit plus il consomme plus il est prêt à se dévouer, à mou-
rir pour l'agrandissement de cette chose abstraite et pourtant

concrète qui se nomme la Patrie. Un peuple ignorant n'a pas


d'âme; ses sensations nationales sont objectives, confuses. Il

ne sait où il va II flotte au hasard des gouvernants et des


gouvernements, passe d'un système à un autre, vit dans l'in-

souciance du lendemain ne pense qu'à jouir du moment. Il

ne voit que le présent et même ne le voit qu'à peine; il n'a


qu'à demi conscience de ses intérêts égoïstes ou de ses inté-
rêts moraux-
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 255

Il faut qu'une nation soit dressée d'après un plan général


d'éducation arrêté, convenu compris de tous.
C'est l'instruction du paysan prussien qui a servi de base
à la fortime militaire de la Prusse. «Lorsque après la bataille
de Sadowa, le soldat prussien pût interroger les prisonniers
autrichiei^ qu'il avait faits et qu'il vit que beaucoups d'entre
eux savaient à peine distinguer leur droite de leiu* gauche,
ses forces et son courage en furent décuplés.» (Paul de Saint-
Victor. Barbares et baindits.)

C'est l'instruction largement distribuée au paysan et à


l'artisan des Etats-Unis qui fait la force vive de ce pays qui
l'arme d'une façon tellement supérieiu*e que l'univers tend a
devenir un vaste marché commercial dominé par les Etats-
Unis.
L'instruction forme le patriotisme, l'unité morale; elle ap-
prend au citoyen futur à préférer son compatriote à l'étran-

ger quel qu'il soit; elle met la patrie au-dessus de tous et


de tout; elle conunande le dévouement entier à la chose
publique.
«En Allemagne, rois et empereur, chancelier et ministres
hommes de guerre et honunes de lettres étudiants et ou-
vriers, tous ne songent qu'à travailler à la patrie alle-
mande.
«Es n'ont qu'un mot d'ordre : la patrie avant tout; sa
richesse avant tout; sa primauté avant tout; leur patriotisme
est au-dessus de la discussion. Cette vertu sociale n'est
point chez eux un sentiment vague, c'est une force en mou-
vement vers un but grandiose et précis.» (Didon, «Les Alle-

mands»^ Paris, 1884).


Or, c'est dès l'école en Allemagne que commence cette
pédagogie sociale et patriotique.
256 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

Ainsi que l'a dit — et en termes excellents — M. Brénor


Prophète, Ministre intérimaire de l'instruction publique,
dans sa remarquable circulaire aux inspecteurs des écoles
de la République : «C'est à nos écoles qu'est dévolue la

mission de tirer nos frères^ et particulièrement ceux des


campagnes, de l'erreur dont leur ignorance les rend si sou-
vent victimes (1).»
Rien n'est plus vrai, car une démocratie sans lumière est

un fléau.

L'instruction primaire devrait être distribuée en Haïti à


raison de deux écoles primaires pour chaque section rura-
le, une de filles, une de garçons. Au chef-lieu de la com-
mune seraient établies des écoles primaires supérieures^

deux au moins une de filles, une de garçons.


Dans les communes riches, ces écoles seraient entière-

ment à la charge des municipalité; les conseils commu-


naux autorisés à percevoir des centimes additionnels sur
chaque matière imposée, centimes communaux •
scolaires,

pourraient les appliquer à payer les instituteurs- Dans les

communes pauvres, l'Etat fournirait le personnel enseignant,

mais le matériel scolaire, la maison, les bancs les tables,

pourrait facilement être fourni par la commune par les

paysans. Ici, il faudrait recourir à la prestation en nature ou


à la prestation en argent pour la construction de l'école et
l'entretien des instituteurs.

(I/; Moniteur haïtien, du 7 août 1884. Il règne dans ce document un

souffle chaleureux, un souffle de fraternité démocratique qu'on re-

trouve dans tous les actes de ce ministre, si ardemment progressiste, si

simple en sa mâle grandeur, si véritablement ami de la lumière et de

ceux qui en sont des foyers vivants.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 257

C'est à quoi a déjà judicieusement "pensé un organisateur


dont le grand sens pratique est admirable^ M, B. Prophète,
lorsque dans la circulaire du 6 Août dernier, dessus citée^

il disait aux commandants des arrondissements «d'inviter


les paysans à construire des locaux pour les écoles de leur
section rurale, cette dépense n'émargeant pas au bud-
get (1)».
Quant au personnel enseignant il se recruterait facile-

ment, si l'on voulait libérer du service militaire tout Haï-


tien de 21 ans qui consentirait à enseigner pendant cinq
ans dans une école rurale quelconque.
A la capitale, on établirait deux écoles normales primai-

res uns de filles, une de garçons, qui prépareraient spé-


cialement les futurs maîtres et maîtresses pour les écoles
primaires urbaines et rurales.
L'enseignement serait distribué très largement aux filles,

afin que, dans un avenir prochain, toute l'instruction primai-


re restât confiée, comme il en est aux Etats-Unis, aux fem-
mes et qu'une bonne partie de l'enseignement secondaire des
filles leur fût confiée, comme il en est en France depuis le

vote de la loi Camille Sée, loi promulguée en décembre 1880


et portant création des lycées de filles.

Elles sont plus patientes, plus douces que les hommes; elles

savent mieux qu'eux manier 1^ intelligences qui ne sont pas


encore ouvertes.

De plus, c'est par la fenune que l'on pourra tuer en Haïti


la routine les superstitions et les absurdes préjugés d'autre-
fois surtout le préjugé de couleur. Les femïnes font les
moEurs; plus que les lois, les moeurs dirigent les peuples.

(1) «Moniteur Haïtien» du 7 Août 1884i


258 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

Des tournées d'inspection mensuelles, de fréquents exa-


mens que les inspecteurs feraient subir aux élèves et aux
maîtres des rapports impartiaux et sévères adressés par eux
au ministre, maintiendraient la cohésion dans les études, l'u-

nité de vue, l'émulation dans les esprits des instituteurs.

Dans chaque chef -lieu d'arrondissement on bâtirait deux


de ces écoles d'enseignement primaire spécial, qu'on appelle
chez nous écoles secondaires. Elles prépareraient les enfants
des agglomérations urbaines dont la situation sociale des pa-
rents détermine généralement la vocation industrielle ou
commerciale. On y enseignerait les langues vivantes avec un
soin tout particulier.
De plus deux ans après la publication d'une loi expressé-
ment votée chaque loge maçonnique se verrait obligée d'ou-
vrir une école primaire, ou bien de tenir, le soir un cours
d'adultes où l'instruction serait donnée au moins à cinquante
personnes nécessiteuses, cela sous peine de fermeture de tou-
te loge qui n'aurait point exécuté la loi.

Dans chaque chef-lieu de département il existerait deux


collèges, im de filles, un de garçons, où l'enseignement serait
le plus élevé possible sans qu'il pût atteindre pourtant l'en-
seignement des lycées de Port-au-Prince. Dans ces collèges
ou pensionnats absolument laïques on n'enseignerait pas les

langues mortes, qui deviennent chaque jour plus inutiles à


mesure que le citoyen, les penseurs reconnaissent qu'au
brillant paiUon, à l'inutile clinquant il faut préférer le so-

lide et l'utile; mais l'étude des sciences naturelles, zoologie,


botanique, minéralogie de la phUosophie, de l'histoire géné-
rale, de l'histoire d'Haïti, et suirtout de l'histoire d'Haïti^ des

langues vivantes, de l'anglais et de l'espagnol particulière-


«. LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 259

ment, serait entreprise et continuée avec la plus vigilante


patience.

Enfin à Port-au-Prince, le lycée de garçons existant déjà,


et un lycée de filles fondé par l'Etat, dispenseraient large-
ment l'instruction secondaire- Pour fonder ce lycée de filles^

le gouvernement n'aurait qu'à mettre en vigueur^ en Haïti,

en l'empruntant à la législation française, la loi Camille Sée,


que je prends la liberté de recommander chaleureusement
aux ministres de l'instruction publique haïtiens jusqu'au
jour où notre pays se la sera appropriée.
En concentrant le véritable enseignement secondaire dans
ces deux établissements, en les dotant de tout le matériel

des lycées d'Europe, en mettant à leur disposition un ma-


gnifique budget, en y réunissant par un écrémage habile-
ment pratiqué, les enfants les plus intelligents choisis dans

toutes les écoles du territoire de la République, en plaçant


à la tête des classes les professeurs reconnus les meilleurs
par le concours ou appelés d'Europe, on aurait ainsi élaboré
tout le système général échafaudé toute la charpente, cons-
truit l'oeuvre vive de la régénération de l'instruction publi-
que.
Si l'enseignement secondaire était donné en Haïti de fa-

çon convenable, les parents n'auraient point à envoyer trop


jeunes leurs enfants en Europe. Ceux-ci abandonnés à eux-
mêmes, sans hygiène et brusquement transportés d'un pays
chaud dans un pays froid, meurent de phtisie, ou n'achèvent
point leurs classes, ou retournent en Haïti sans bien compren-
dre le pays où ils ont été élevés et sans pouvoir comprendre
celui où ils doivent vivre. S'ils ne deviennent pas des ci-

toyens incomplets^ trop souvent on constate qu'ils sont inuti-


les, parce qu'ils n'ont ni la patience ni la foi nécessaire, pour
260 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 «

faire évoluer le pays en se dévouant à la chose publique^ à

la démocratie.
On supprimerait du haut en bas de l'échelle de l'enseigne-
ment les examens de fin d'année^, et on les remplacerait par
des compositions et des notes mensuelles. Les prix se donne-
raient sur la moyenne générale des notes obtenues pendant
toute l'année. Aucun des élèves ne pourrait passer d'une
classe inférieure à une supérieure sans avoir subi un examen

spécial, ainsi que cela se pratique en Russie.


Le prêtre, protestant ou catholique, serait banni de l'école

et l'enseignement religieux réservé. On interdirait aux élè-

ves les premières conununions et tout exercice de dévotion


inopportune, inutile ou dangereuse : c'est un temps immense
de perdu pour les enfants que celui qu'ils passent à appren-

dre des choses théologiques ou spirituelles qu'ils ne com-


prennent point, qu'ils oublieront vite et qui d'ailleurs, n'of-

frent relativement aucun intérêt pratique. On déclarerait

supprimées, pour la population scolaire, toutes les fêtes du


calendrier qui tombent dans la semaine.
Par mesure d'hygiène physiologique et psychologique; la

saison des vacances de fin d'année scolaire coïnciderait avec

la fin de l'été et le commencement de l'automne; elle dure-


rait du 15 Juillet au 1er Septembre. Dans un pays de l'hé-
misphère boréal situé à 18 degrés de l'équateur, c'est une
chose vraiment absurde que de placer les vacances aux mois
les plus frais de l'année, à l'époque où le cerveau est le plus

dispos, le plus vigoureux^ toute la fibre humaine plus den-


se et plus serrée.

L'ignorance de l'hygiène, de la physiologie et de la mé-


téorologie l'absence d'idée de suite qu'on a eu à déplorer
chez la plupart des politiciens cupides et antidémocrates qui.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 » 261

autrefois entraient au ministèxe de l'instruction publique


comme on entre au moulin, peuvent seules expliquer, sans
nullement le faire excuser, cette aberration qui n'a que trop
dure,

I>ans toute la République nul emploi qu'au concours.


Les boursiers placés dans les deux lycées de Port-au-
Prince étant choisis par le gouvernement et élevés aux frais

de l'Etat, leurs études achevées, ils seraient tenus, en vertu

d'un contrat signé au commencement de leurs études, d'aller


enseigner pendant cinq ans dans teUe école ou cians tel collè-

ge qui leur serait désigné.


Dès maintenant on mettrait en usage tous les moyens au-
xiliaires d'éducation et d'instruction : ainsi d^ écoles publi-
ques libres de garçons et de filles, laïques et congréganistes,
des salles d'asile, des cours d'adultes, des écoles, des régi-
ments et des équipages de la marine seraient ouvertes ou en-
couragées; des bibliothèques scolaires créées.
La fondation et l'alimentation des caisses d'épargne scolai-
res feraient l'objet de la plus constante préoccupation des
instituteiu-s, afin que l'enfant apprit à économiser dès l'é-

cole.

On sait si le jeune Haïtien est dépensier! De là vient que


trop souvent l'Haïtien adiilte a des propensions à gaspiller
le budget, à emprunter au dehors et par conséquent à
appauvrir le pays (1)

(Ji) En France et en 1879, 30% des élèves qui fréquentaient les éta-

blissements où ces caisses ont été créées entaient des épargnants; 177.554,

c^est-à.dire les 4/5 de ces épargnants possédaie)it déjà un livret à la


caisse d'épargnée et y avaient en dépôt 3.602.621 fr. (Statistique de l'En-
seignement primaire, 1829_1877).
^262 a LÉS AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884

Le gouvernement déclarerait l'obligation et la gratuité de


l'enseignerment primaire, nécessités nati<Hiales, et publierait
une loi portant que des amendes et même la peine de prison
pourraient être prononcées c(mtre tout père de famille qu'il

fût. dans l'indigence ou non^ dont tous les enfants ne pour-


raient point, à un âge déterminé, justifier par examen qu'ils
,
savent Sire et écrire. Dans plusieurs cantons de la Suisse ex-

cessivement libéraux^ dans le canton de Vaud notamment, la

loi punit le père qui n'envoie pas son fUs à l'école.

«Ceux-mêmes qui affectent de croire que tout est bien


dans ce monde, que l'humanité marche d'un pas égal dans la

voie de la civilisation, qui disant sans cesse : «L'homme s'a-

gite et Dieu le mène» qui ne réclament que la Liberté sans

entraves em tout et partout; ceux-là même ne peuvent refuser


à l'Ëtat le droit et surtout le devoir de s'occuper de tout ce
qui tient à l'éducation. Au reste^ tous les économistes de
quelque valeur ont été d'accord sur ce point. Adam Smith,
l'apôtre du self-govemment, Adam Smith, qui veut réduire
l'Etat au rôle le pu s'empêcher de s'écrier
plus effacé^ n'a :

«L'Etat peut unposer à presque toute la masse du peuple


«l'obligation d'acquérir ces parties de l'éducation les plus
«essentielles, en obligeant chaque homme à subir un examen
«ou une épreuve sur ces articles avant de pouvoir obtenir la

«maîtrise dans une corporation ou la permission d'exercer


«aucun métier ou commerce dans un village ou dans une ville

«incorporée.» (B. Dussaud^ Zurich, 1884, «Rapport sur i'ins-

-ftruiction et l'éducation» adressé au Conseil fédéral suisse).

En dehors de ses appointements fixes^ l'Etat allouerait au


directeur et à la directrice de chaque école rurale pour en
jouir comme usufruitier, cinq carreaux de terre. Des presta-

tions en nature, que les paysans ne leur refuseraient pas


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 h 263

assureraient la culture et l'entretien de leur champ. Cet état


de choses ne serait que provisoire. D ptrendrait fin âès le jour

que le budget de l'instruction publique serait parfaitemeiift

équilibré.

Un examen de sortie du lycée, ou un examen prouvait que


le candidat possède le programme complet de cet établisse-
ment, donnerait seul le droit d'«itrée à l'Ecole de médecine
qui existe et à l'Ek^ole de droit qui devrait être fondée déjà
avec les instruments qu'on possède sous la mairu
On pourrait élargir le programme de llîcole de médecine^

confier une chaire, dans cet établissement, à chacun de


ceux, sans exception qui ont étudié en Europe, en leur ac-
cordant toutefois de beaux avantages pécunraires et honori-
fiques.

Les cours auraient lieu le matin et le soir et l'enseigne-

ment de l'hygiène y aurait une très large part.

Sans hygiène physique pas de force intellectueile, pas


de cerveau.
L'enseignement de l'hygiène ne saurait être assez soigné
partout, dans toutes les écoles : par cette branche des cœi-
naissances hiunaines en ce qui touche l'alimentatioo surtout,
on peut transformer la nation, et, en vingt ans décupler sa
force, sa capacité productrices.

On porterait à vingt, au moins, le nombre des boursiers à


cette école.

Les bourses pourraient être données au concours même


aux Port-au-Princiens qui s'engageraient par contrat à aller

exercer, pendant cinq ans. la profession médicale dans telle


commune à la désignation du ministre ou choisie d'avance.
A l'Ecole de droit, les chaires d'Economie politique, de
Finances, de Droit admin^tratif d'Histoire constituti(ttinelle
264 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883 - 1884 »

compairée^ le Droit des gens externe de Droit international


privé^ on les instituerait dès le début. Tous ces cours seraient
libres. Les professeurs ne manqueraient pas à l'appel du gou-
vernement, si jeunes qu'ils soient en ce moment. Dix bourse
seraient fondées à l'Ekîole de Droit pour être données au
concours aux jeunes gens des départements.
Tous les ans, et pendant dix années consécutives, on en-
verrait en Europe cinq boursiers^ pris au concours parmi les

dix premiers élèves du lycée et cinq jeunes filles, choisies

parmi les dix plus méritantes du lycée de filles de Port-au-


Prince pour y achever leurs études. Au retour des premiers,
qui seraient tenus de prendre des grades dans les facultés

d'Europe et sitôt que leur nombre serait suffisant pour cela,

on fonderait à la capitale une Faculté des Lettres et une Fa-


culté des Sciences. Les jeunes filles élevées en Europe, aux
frais de l'Etat, après avoir pris les brevets supérieurs de
l'Hôtel-de- Ville de Paris seraient placées comme directrices

à la tête des premières maisons nationales d'éducation. Les


deux écoles de Droit et de Médecine et les deux Facultés
formeraient l'Université d'Haïti. De la Théologie, il n^en se-
rait question. Partout on tend à supprimer l'enseignement de
la théologie.

L'enseignement industriel commencé à la Fonderie ou à la

Maison centrale de Port-au-Prince, pourrait être achevé en


Europe ou aux Etats-Unis par les jeunes gens jugés les plus
intelligents^ les plus instruits et dont le gouvernement se

chargerait de l'entretien pendant deux ou trois^ ans à l'étran-


ger. Rien ne s'opposerait à ce qu'ils fussent tenus par con-
trat d'aller s'établir aux portes des grandes villes. Dans leurs
ateliers, ils dispenseraient à des apprentis que leur confie-
raient l'Etat ou des particuliers l'éducation professionnelle.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » 265

Aux frais de la nation^ et leurs études secondaires ache-


vées, iraient suivre les cours des Ecoles spéciales de Gri-
gnon, des Mines de Paris, de l'Ekîole navale de Brest des
Ecoles militaires de Saint- Cyr et de Saumur, des Ponts et
Chaussées, de l'Ecole centrale des Arts et Manufactures à
raison de deux pour chaque école, quelques sujets d'élite

dont la vocation ne serait pas contrariée dès l'instant qu'ils

auraient donné des preuves de leur aptitude à s'assimiler

une ou plusieurs branches des connaissances himiaines.


Des fils de paysans pourvus d'une instruction suffisante,

pourraient être aussi dirigés sur l'Ecole agricole du canton


de Vaud en Suisse (1), ou sur les écoles agricoles départe-

mentales de France, afin y reçussent ime instruction


qu'ils

agricole pratique. Ils constitueraient le noyau d'instituteurs


par le secours duquel, le plus tôt possible, l'enseignement
agricole scientifique, théorique et pratique, ne serait plus im
desideratum regrettable dans l'outillage économique du
pays.

Le ministère de l'Instruction publique serait soustrait à


l'action des luttes parlementaires ordinaire. Le citoyen qui
tiendrait ce portefeuille ne pourrait accepter en même temps
la gestion d'aucun autre.
Dans certaines occasions, le ministre présiderait le Conseil

(!) M. le Conseiller fédéral, Louis Ruchonnet, qui est natif du canton


de Vaud, et M. le Conseiller fédéral Numa Droz, qui dirige le départe^

ment du Coimnerce et de l'Agriculture, m'ont fait Vhonneur de me dire

personnellement que les jeunes paysans ha/itiens seraierut reçus ouec

plaisir à VEcole agricole du canton de Vaud et traités fraternellement

dans les familles suisses où ils n'curaient à payer qu'une pension des

plus modiques. (Berne, Septembre 1884.)


2«6 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

de l'iMstructioM publique avec voix prépondérante. Le Con-


seil se réunirait une ou deux fois par mois.
Entièrement libre dans l'exécution de ses plans^ le ministre
resteswt encore responsable devant le Parlement qui pourrait
le renverser seul d'un cabinet, sans que ce cabinet fût obligé
de démissionner.

La même situation privilégiée conviendrait fort au minis-


tre de la Guerre. H faut placer haut, dans l'estime pubUque,
tous ceux qui sont chargés de la défense et ceux qui sont
chargés de veiller sur l'instruction; mais il faut qu'ils soient
contrôlés de très près, qu'ils sentent que comme on a fondé
sur eux de grandes espérances, ils doivent savoir agir et agir
en serviteurs respectueux de l'Assemblée nationale.

Pour qu'ils ne soient pas brusquement victimes des entraî-


nements ou des rancunes d'une seule des deux Chambres, fls

pourraient, après avoir essuyé un vote de blâme de l'une

d'elles demander que, par faveur spéciale, un second vote


des deux Chambres convoquées en Assemblée nationale^
les renvesrsât à nouveau le lendemain du jour du pre-
mier vote.
n va sans dire que, devant un vote de non-confiance
d'une seule des deux Chambres la plus vulgaire délicatesse

leur cœumanderait de se retirer inmiédiatement sans récla-


mer un secœid vote du Parlement tout entier.
Un vrai ministre de l'Instruction publique capable d'impo-
ser une direction raisonnée, animé d'un zèle démocratique et
ayant des idées sérieuses, nettes, pratiques, sur toutes les

questi<Ki3s de politique évolutionniste de sociologie et de pé-


dagogie^ de même qu'un bon ministre de la Guerre se trou-
vent difficilement.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » 267

S'ils doivent être critiqués chaque jour^ si chacun doit

avoir l'œil sur leurs agissements, ils ne doivent pas être


changés chaque jour.
Ce plan d'éducation nationale^ ce programme d'armemenl
cérébral, peut être exécuté dans toutes ses parties à la fois.

En tant qu'U faille commencer par un seul point, il faut com-

mencer par envoyer des boursiers à l'Ecole des Sciences Po-


'
litiques de Paris. *

Voici pourquoi : le pays a besoin d'un appareil de repré-


s^atation à l'extérieur-
Autant que possible, en tenant compte des services ren-
dus et du savoir, cet appareil doit être composé d'éléments
autres que ceux que^ par un respect de préjugés et de tra-
ditions surannées contre lesquels on doit réagir si' on
veut les détruire par une lâche capitulation de principes
devant des mensonges qu'il suffit de toucher du doigt
pour qu'ils soient anéantis on était dans la coutume d'em-
ployer autrefois : ce qui faisait croire partout à l'étran-

ger que la majorité de la nation était teUement îgnoraiite ou


barbare qu'elle ne pouvait se présenter au dehors que sous
la figure de la minorité.
Nul, autant que M. Salomon ne s'est élevé naguère avec
plus d'éloquence avec plus de verve indignée contre cette
manière d'agir, ainsi qu'il appert de sa brochure intitulée

une Défeoise - (pages 87 et 88), publiée à Bruxelles enj 1861.

Par l'effet de ce système maladroit, antiuational jusqu'à la

nigaudeiie, les diplomates haïtiens quand ils n'étaient ipas

décrépits ou muets^ sourds ou grotesques^ indolents on rené-


gats de la race, invisibles toujours^ inaperçus des foules, in-
connus de tous, sans action sur la presse, sans relations avec
les partis politiques du pays où Us étaient accrédités se mon-
268 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

traient trop souvent ignorants par conséquent candides, faci-

les à se laisser terroriser par le premier-venu prêts à livrer


les secrets de l'Etat pour la moindre caresse prompts à tra-

hir la confiance du gouvernement en charge pour mériter


celle du gouvernement qui selon eux, devait lui succéder au
pouvoir.

Nous «e sommes plus au temps où, au ministère des Re-


lations Elxtérieures en Haïti, on pouvait agir sans program-
me; où les ministres qui prenaient ce département, quelque-

fois aussi étonnés de s'y voir que le fut le doge de Gênes à


la cour de Louis XIV, s'estimaient heureux, ravis d'être du-
pés^ trompés plusieurs fois de suite par d^; pantins aux-
quels nos exploiteurs passés ou futurs dictaient toutes sor-

tes de raisonnements captieux ou stupides enveloppés de


pïu-ases miellées, lesquels raisonnements une fois crus et
acceptés comme paroles d'Evangile, avaient pour effet d'ap-
paiiv^rir la nation et de la rendre plus que jamais l'esclave
des boursicotiers d'outremer.
.

J'estime que, en tenant compte des lois du nombre qui


sont les lois du juste et du droit dans tout pays démocrati-

que, le gouvernement actuel a pour devoir d'entretenir six


boursiers à l'EIcole des Sciences Politiques de Paris, dont
trois en section administrative et trok en section diploma-
tique.

Dans chacune de ces deux sections les études ne durent


que deuxasn^. On pourrait envoyer même des hommes de tren-

te aniis passés. Rentrés en Haïti les diplômés de la section

administrative rendraient d'immenses services soit dans les

préfectures' swt dans les ministères comme chefs de division,


«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884». 269

soit comme secrétaires d'Etat^ soit à la Chambre, soit au Sé-


nat, pour la direction des délibérations.
Sans contrôle sur les lieux, sans tournées d'inspection, l'ad-
ministration des finances haïtiennes est défectueuse. L'Ecole
ne demande que deux ans pour préparer les candidats à
l'inspection des finances. Rien n'empêcherait que l'inspection
ne fût importée en Haïti et que d'abord des jeunes gens de
boime volonté ne fussent envoyés en Europe pour en étu-
dier tous les secrets. Que de millions n'économiseraient-ils
pas au pays, soit comme inspecteurs de finances^ soit à la
Chambre des Comptes, soit à la direction des douanes et,

surtout, en formant des élèves dans l'exercice même de


leurs fonctions?
Laissés à l'étranger, dans les légations et consulats géné-
raux^ les diplômés de la section diplomatique représente-
raient dignement avec science et conscience de leur mis-
sion et le pays et la race.

Par ainsi, chaque parti politique ayant son état-major d'a-


gents, à chaque changement de gouvernement le haut per-
sonnel diplomatique serait changé comme cela se pratique en
France, en Angleterre, en Espagne, aux Etats-Unis et le pays
tout entier n'aurait point à souffrir aux yeux de l'étranger de
ces trahisons honteuses, de ces infamies tambourinées à
grand fracas, de ces lâchetés mentales, de ces renoncements
tacites, de ces abandons veules qu'on a eu à déplorer ces
temps derniers.
Les hommes d'Etat ne s'improvisent pas et la politique est
lui art qui s'étudie tout aussi bien que la musique : si un
gouvernement veut être bien servi, il lui faut créer prépa-
rer ses auxiliaires.
Ainsi font foide de jeunes peuples soucieux de leur dignité
270 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

nationale, tels que la Grèce, la Roumanie, la Serbie, la Bul-


garie et même des pays d'Extrême-Orient où l'esprit moderne
est moins prompt à faire sentir son influence qu'en Haïti,
A l'avenir, il serait à désirer que les cabinets haïtiens fus-

sent représentés à l'extérieur par des hommes connus d'eux,


légitimement investis de leur confiance à qui ils pourraient
parler en toute sécurité sans crainte des lendemains déce-
vants, parce qu'il y aurait entre eux commiuiion d'idées com-
munion de principes, solidarité d'actes.

Sous l'énergique et féconde impulsion de ces diplomates de


nouvelle école, et de la bonne, non de l'empirique, les agents
commerciaux, à qui on laisse trop de latitude, tiendraient la

nation au courant de toutes les questions extérieures qui

pourraient intéresser son avenir par des rapports, des notes,


des dociunents qui seraient publiés en Haïti dans un Bulletin
spécial et reproduits par les journaux officiels et officieux

Faute de cet appareil, les gouvernements ultérieurs com-


mettront toujours de lourdes erreurs dont toute la nation
aura à payer les frais; sous le ridicule et puéril prétexte
d'économiser les quelques milliers de piastres qui servi-
raient à l'entretien de ces étudiants en politique, on gas-
pillera des millions, d'où diminution de la fortune matérielle;

à chaque instant la patrie sera blessée dans son honneur, dans


son crédit, d'où brèche à la fortune immatérielle et, tout ce-
la, sans compter qu'à l'intérieur, étant mal reiKseigné par ses
organes extérieurs, insuffisamment éclairé sur ses intérêts im-
médiats ou médiats, l'organisme collectif, la collectivité tout

entière n'évoluera qu'en tâtonnant dans la nuit noire, sans


but précis, défini, net et clair.

C. La Réforme Meaiitale. - La protestantisation. - J'appelle

ainsi la réformation d'Haïti. Pétion avait bien accueUli en


-

«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884» 271

Haïti des pasteurs protestants. Boyer fit fermer les chapelles

qu'ils avaient ouvertes. Boyer ne fut qu'un maladroit. Soo


cerveau devenait d'une étroitesse qui confinait à la nullité tou-

tes les fois qu'il s'agissait d'y faire entrer une conception de
politique subjective.
Au point de vue politique, le catholicisme est la négation du
patriotisme; au point de vue religieux^ c'est un fétichisme ac-
cepté parce qu'il est élégant; au point de vue philosophique et
social, au point de vue des résultats, il diffère peu du ma-
hométisme qui prêche le fatalisme.

Le catholique dit: Si Dieu veut: le musulman dit: Allah


est grandi; et ils comptent là-dessus.
Le protestant dit : Aide-toi et le ciel t'aidera.
Si Dieu ne veut pas qu'on soit riche et instruit, on ne le

sera pas, travaillât-on jour et nuit Dès lors, pourquoi tra-


vailler?

Aide-toi et le ciel t'aidera! Aide-toi d'abord. Toute la mo-


rale et toute la force du protestantisme est là.

Paul Leroy-Beaulieu a montré quelle intime relation exis-


tait entre le collectivisme et le fatalisme. (In le Collectivisme
Paris, 1884).

On peut démontrer que le catholicisme unique, l'ultra

montanisme surtout, amène la décadence prompte; ex^nples:


Le Portugal et l'Espagne-

Ce n'est nullement le catholicisme qui a civilisé le mon-


de. Autant vaudrait dire que le paganisme le civilisa au-
trefois. Partout au contraire, l'ultramontanisme a apporté la
ruine la désolation, l'esclavage, l'Inquisition, c'est-à-dire la

mort.
Le protestantisme est la religion de l'avenir, la grande
272 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 ..

épée. Voyez-le en action : partout il domine. En Allemagne^


par une ténacité indomptable, il établit la plus grande puis-
sance militaire; en Angleterre, il fonde la plus grande pros-
périté coloniale du monde. L'Espagne catholique et bigote

s'est elle-même ruinée a elle-même tué les colonies. Dans


celles qui lui restent, elle est encore esclavagiste, quoi qu'on
dise.

Aux Etats-Unis, le protestantisme crée la plus grande for-


ce d'attraction et une force d'expansion toujours florissante
et grandissante. Qui osera nier que ces trois nations Angle-
terre, Allemagne, Etats-Unis, ne puissent chacune individuel-
lement causer le plus grand mal au reste de l'hiunanité, si

chaciuie d'elles le veut?

Le protestantisme est la religion de l'instruction. Le mou-


vement de cultiu-e des masses est parti des Etats-Unis. Ho-
race Mann l'y créa. La Prusse l'a emprunté et l'a appliqué.

L'Angleterre en a fait de même.

«Le luthérianisme, dit Renan, ayant fait consister la reli-

gion à lire un livre et plus tard ayant réduit la dogmati-


que chrétienne à une quintessence impalpable, a donné une
importance hors ligne à la maison d'école; l'illettré a presque
été chassé du christianisme.

«Le catholicisme, au contraire^ faisant consister le salut en

des sacrements et en des croyances surnaturelles, tient l'école


pour ime chose secondaire. Les croyances surnaturelles sont
comme un poison qui tue si on le prend à trop hautes doses.

«Les nations cathoUques qui ne se réforment pas seront


toujours infailliblement battues par les nations protestantes.»
(Renan- Réforme iinitellectuelle et morale de la France.)
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » 273

Le catholicisme n'a été en Haïti qu'un accident. A aucune


époque, il ne s'implanta sérieusement.
Les premiers colons français qui défrichèrent Haïti étaient
peu religieux, libertins ou non pratiquants. Plus tard, à l'é-

poque de la splendeur de Saint-Domingue, ils furent voltai-

riens ou athées. Dans leurs mains^ le catholicisme fut urt ms-

trumentum regni, un moyen d'intimidation^ de coercition, de


servitude de torture.

n est pour cela d'autant plus exécrable pour les Haïtiens

de nos jours, si surtout ils veulent se rappeler que ce fut im


pape qui permit la traite des noirs; s'ils veulent se souvenir
qu'un concile alla jusqu'à décréter que le maître pouvait trai-

ter le noir comme on traite une bête^ attendu que, comme la

bête le noir n'avait pas d'âme.


En 1801, Haïti était quasi-indépendant sous la salutaire dic-

tature de Toussaint Louverture. Le Premier des noirs qui était

religieux à l'excès bigot même, crut bien faire en permettant


à l'évêque Mauvieille d'exercer son ministère apostolique

dans la partie orientale de l'île Mauvieille, voyant venir en

1802 les troupes de l'expédition Leclerc, paralysa la résistan-


ce, porta les officiers de Louverture à trahir leur chef, à tra-
hir la cause de l'indépendance, (Ardouin. «Histoire d'Haï-
ti», tome Vj, page 77.)

A Port-au-Prince, et à la même époque, l'abbé Lecun tint


la même conduite que Mauvieille à Santo-Domingo. (Madiooi.
«Histoire d'Haïti».)
S'il faut en croire les journaux haïtiens, la Nation entre
autres^ en Septembre de l'année dernière, l'archevêque de
Port-au-Prince se serait montré fort hostile au gouverne-
ment: il aurait été même le conseiller le plus actif d'un des
274 « LES AFFAIRES lyHAITI 1883-1884 »

plus agressifs des officiers des marines étrangères dont les


vaisseaux stationnaient dans la rade. C'est lui qui aurait porté
cet officier à menacer le gouvernement de bombarder Port-au-
Prince.

Voilà ^des faits significatifs. H n'est pas permis à un patriote


mstruit, avisé sagace d'ignorer que les intérêts des prêtres
catholiques qui vivent en ce moment en Haïti sont en opposi-
tion directe avec les intérêts du peuple haïtien.

Le patriotisme de ces prêtres ne saurait être un patriotisme


haïtien, puisqu'eux-mêmes ils ne sont pas haïtiens; ce patrio-
tisme leur commande de ne servir que les intérêts de leur pa-
trie d'origine; or, l'intérêt de cette patrie — n'importe la-

quelle — peut être opposé au nôtre à im moment donné. Un


catholicisme liiérarchisé sans un clergé national quant aux
origines des prêtres, est ime monstruosité politique.

Donc au point de vue purement, essentiellement haïtien,

le catholicisme est antinational.

En plusieurs circonstances ces prêtres ont montré le peu


de cas qu'ils faisaient de notre autonomie^ en plusieurs en-
droits, en plusieurs cures et diocèses, en des occasions solen-
nelles et à la capitale même, ils ont laissé voir les sentiments
de haine qu'ils nourrissaient contre l'auguste mémoire de
ceux qui furent nos libérateurs.

Partout ils combattent le patriotisme haïtien partout ils

cherchent à en affaiblir le sentiment, à le froisser^ partout


ils sèment la division.

Des établissements scolaires sur lesquels ils ont la haute


main, de leurs séminaires et de leurs couvents^ huit fois

sur dix si l'élève a été bien chapitré, dressé, il sort antinatio-

nal, cousu de préjugés pourri d'égoïsme et tout prêt à servir


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » 275

les eimeinis du peuple dè^ l'instant que ceux-ci jettent en


pâture à sa vanité quelques fallacieuses caresses.
n faut être aveugle et sourd pour ne pas entendre et voir
ils obéissent à un mot d'ordre.
que^ les uns et les autres,
Savamment puissamment hiérarchisée, la catholicité en
Haïti est une immense et puissante machinei qui, lentement,
défail et défera à coup sûr si on n'y met ordre, l'oeuvre de

1804.
«Préjudiciable à la religion, l'organisation ultramontaine

ne l'est guère moins à l'Etat.


«

«Ce n'est pas un superficiel préjugé qui a mis en opposition


dans certains pays les mots de «catholiques» et de «patriotes»
et en a fait le drapeau des partis contraires- Le catholicisme
est en fait, bien plus la patrie du croyant que l'Etat où il

est né. Plus une religion est forte plus elle a cet effet.

L'islamisme a totalement tué en Orient la patrie,


«L'Europe ne court pas les mêmes dangers, mais on ne
peut nier que le catholicisme ultramontain ne crée pour la

société civile de graves embarras.

«La religion, dans le système ultramontain, étant une puis-


sance à part qui dispose de moyens terrestres^ l'Etat est obli-
gé envers elle à de perpétuelles concessions.
«Les concessions sont toujours des diminutions de la liberté

publique.» (E. Renan. «L'avenir religieux des sociétés moder-


nes, in Questions contemptoraines». Paris, 1868 pages 386 et
387.)

Le Concordat signé avec le gouvernement d'Haïti ressem-


ble fort au Concordat signé entre Napoléon et le cardinal
Consalvi^ Concordat dont Portalis disait qu'il le résumait en
deux mots : «Régulariser et resserrer la superstition.»
276 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884»

Régulariser et resserrer la superstition, se servir des prêtres


qu'il introduisait en Haïti pour consolider et perpétuer son

pouvoir oligarchique, tel fut le but secret de Geffrard quand


il signa le Concordat de 1860.
En somme, ce Concordat était dirigé contre la démocratie.
La démocratie arrivant au pouvoir doit le briser.

Une conséquence inévitable du système idtramontain, par-


tout où il existe c'est la formation d'un «parti catholique»
ayant pour principe «d'employer son influence dans l'inté-

rêt de l'Eglise d'appuyer ou d'attaquer les gouvernements


suivant qu'ils servait ou ne servent pas la foi religieuse.»
(Reman, p. 389.)

Ce parti commence à prendre force en Haïti. Tel député,

e\.u avec le concours du; curé de sa commune^ en devient Pes-


clave au Parlement. L'existence de ce fait constitue une hu-
miliation inouie, imprévue, quatre-vingt ans seulement après
la proclamation de l'Indépendance, vingt-cinq ans seulement
après la signature du Concordat. Que serait-ce dans cinquante
ans si les choses continuaient à marcher sur ce pied?... On
verrait des prêtres des étrangers, présider ostensiblement à
l'élection des députés et des sénateurs^ comme il en est dans

certaines républiques sud-américaines, si dès maintenant on


ne coupait le mal à sa racine.

Rien n'est déplorable comme de voir un homme estimé en


son pays pour sa valeur intrinsèque, son intelligence^ sa scien-
ce, son patriotisme, un homme dépositaire d'une partie de la

confiance de ses concitoyens, député ou sénateur^ aller génu-


fiécliir en public ou en privé devant un autre qui est étran-

ger... Il y a là quelque chose de dégradant.


n est clair que cet étranger ne peut que le mépriser et avec
raison. Or^ lorsque^ dans un pays quelconque, les dépositaires
«LES AFFAIRÉS D'HAÏTI 1883-1884» 277

du pouvoir sont méprisés le pouvoir et le pays supportent les

conséquences de ce mépris.
Dans son Louis XI, Casimir Delavigne nous montte Ik roi

de France, le terrible et sublime unitaire, s'humiliaut devajit


un moine François dé Paule, qui lui reproche ses actes politi-

ques en l'accablant d'injures.


Même en tenant compte des idées de l'époque où vivait

Louis XI et de la bigoterie extérieure de ce monarque, lé fait

est scandaleux et porte atteinte à la dignité gouvernementale.


Trois solutions peuvent être proposés pour mettre fin à un
état de choses vraiment intolérables :

lo.- Ou l'Eglise haïtienne sera catholique^ centralisée à Ro-


me et traitera avec le gouvernement de puissance à puissan-
ce comme il en est en France;

2o.- Ou l'Eglise sera protestante et nationale mais hié-


rarchisée et dépendante de l'Etat comme elle l'est en
Russie en Suède et en Angleterre;
3o.- Ou enfin, on aura, en Haïti, l'Eglise libre ou plutôt
les églises libres, comme il en est de nos jours en Suisse
et aux Etats-Unis.

Dans le cas où la première combinaison devrait préva-


loir, il faudrait tout de même dénoncer le Concordat,' y
supprimer^ en la nouvelle rédaction^ les articles où il est
question de la nomination des évêques; se contenter
d'une direction des cultes qui^ instituée au ministère de
l'Intérieur, serait chargée de demander des prêtres de l'étran-
ger, de les placer à la tête des cures, au fur et à mesure
qu'elles deviendraient vacantes.

Aucune hiérarchie; par conséquent, la direction ne viendrait


que d'Haïtiens. Par ce régime, il n'y aurait pas de religion
278 « UES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

d'Etat proprement dite : les pasteurs protestants de toutes sec-


tes seraient trait^és^ au point de vue budgétaire sur le pied
de la plus parfaite égalité avec les prêtres catholiques car
les Haïtieais protestants aussi paient l'impôt.

Plus radicales les deux dernières solutions sont aussi) plus

politiques, se<raient plus fécondes en résultats. Au point de


vue des croyances, toutes les religions se valent; nulle d'entre

^es n^est fondée à se croire la meilleure; mais, au point de


vue des résultats politiques, économiques et sociaux, la reli-
gion protestante vaut mieux que toutes l'expérience le prou-
vant avec une surabondance de faits qu'il serait inutile de
nier puéril et oiseux de discuter.
Dans La première de ces deux dernières solutions l'église

épiscopale haïtienne actuelle serait déclarée église nationale;


dans la seconde qui est la meilleure, à mon avis, le culte se-

rait absolument libre, comme l'enseignement l'est actudlement;


toutes les eommimions auraient les mêmes libertés, jouiraient

des mêmes privilèges; chaque religion, chaque secte serait te-

nue de faire sa propagande pour vivre, la loi serait une pour


tous; le curé ou le pasteur qui désobéirait à la Im civile,

serait déféré aux tribunaux) comme étranger ou comme cito-

yen ordinaire. A la seconde condamnation qu'il aurait méritée,

on lui retirerait le droit de prêcher. A toute chapelle, urbaine


protestante ou catholique, obligatoirement, de par la loi, serait

souchée une école primaire


Par l'église entièrement libre, on détruira en Haïti l'esprit

de renoncement politique qui n'est qu'un pas vers la négation


dvé patriotisme <m portera un coup fatal aux préjugés aux
superstitions, on pourra préparer, fonder le règne de la liber-
té, de l'égalité et de la fraternité vraies.

S'il est bon de parler des choses de la reUgitm avec une cer-
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » 279

taine réserve, avec un respect relatif, il est meilleur fie dire la

vérité, toute la vérité.

Les vérités philosophiques et politiques surtout doivent

être formulées d'une manière absolue, entière, nette, catégo-

rique. La raison d'Etat passe avant tout. EUe doit l'emporter

sur n'importe quel respect humain.


Au-dessus des intérêts de la nation il n'y a rien, rien, rien.

En résumé, tandis que la religion catholique personnifie


l'autoritarisme étroit et mesquin; qu'elle est une religion tou-

te objective, toute du présent; qu'elle est sensuelle, amoureu-


se de la parade, du luxe du faste des fêtes aussi énervantes
que nombreuses qui créent le chômage; qu'elle produit l'a-

mour de l'ostentation enfantine et vaine, l'in^atience, le


manque de confiance en soi, toutes causes de ruine et de dé-
cadence; qu'elle laisse le cerveau en jachère pour le mieux
tromper; qu'elle tient le plus possible la lumière sous le bois-
seau; qu'elle fait profession de mépriser la loi civMe des peu-
ples qu'elle prétend dominer; qu'elle demeure la foi de ci-

toyens qui admettent qu'on puisse avoir un souverain à l'é-

tranger, lequel se qualifie infaillible; qu'elle n'est pas une re-

ligion de politique nationale; qu'elle aime maintenir les préju-

gés et les distinctions entre les citoyens, entre les riches et


les pauvres; qu'en un mot, elle se nomme Stagnation quand
elle ne se nomme pas Recul, au contraire, le protestantisme
se traduit par l'initiative privée, par l'individualisme le self-
govemment; c'est le progrès rapide et sûr; c'est la pondération
et la patience, le calme et la vigueur; c'est une croyance
subjective, toute abstraite, et qui respecte la loi civile partout
où il la rencontre.

Le protestant admet le libre examen et, par conséquent,


280 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

est un ami de la culture, intellectuelle, un protecteur de la


science. D met la lumière sur la montagne.
La foi protestante est démocratique et fraternelle^ et Mon-
tesquieu Michelet, EniUe de Laveleye sont unanimes pour le
constater; elle donne l'amour de l'ordre et de l'économie; c'est

elle qui est la créatrice et la propagatrice des caisses d'épar-

gne (1); c'est la religion des politiques nationaux, de tous les


hommes soucieux de la dignité de l'honneur et de la grandeur
de leur patrie!
Toutes les réformes ici proposées et dont l'utilité, l'urgence
sont démontrées^ doivent être tentées, commencées, poursui-

(1)* Les caisses d^ épargne furent fondées en Angleterre en 1798

(Priscilla), puis en Ecosse (Duncan).. Elles ne fureiit établies en France

qu'à partir de 1816. Les Etats-Unis, pays protestant, tiennent la tête

comme natiœi épargneuse; en France, VEst et le Nord, plus protestants,

sont les régions les pltts épargneuses. La Bretagne, la Corse, très catho„

liques, sont peu épargne^ises. La moyenne des versements est de 85 fr.

par tête en Suisse, pays protestant. En France, elle n'est que de 28 fr.

par tête.

Les caisses d'épargne rendent de graiids services nu gouvernement

français qui emprunte leurs capitaux pour les employer aux grands tra^

vaux d'une utilité publique générale. Si VEtat haïtien crée des caisses

d'épargne, il trouvera là une grande partie des capitaux qu'il est trop

souvent disposé à deviander en emprunt aux étrangers, lesquels ncnis


rançonnent et nous toiulent en notis prêtant, et nous insultent après

tout en nous tondant encore. Le mouvem,ent des déposants serait actif

vers les caisses d'épargne, si les ministres ordonnaient la suppression

diA carnaval, la fermeture des gaguenres, si, en même temps qu^on ou-

vrirait des caisses d'épargne, des conférences éiaient faites aux ou-

vriers et aux paysans pour leur indiquer la ligne de conduite qulls

auraie)it à suiirre.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1883 » 281

vies ou achevées le plus tôt possible pour la plus prompte réa-


lisation du grand idéal que peut poursuivre la patrie haï-

tienne.
*
* *
Nulle vie internationale, comme nulle vie individuelle,

n'est vraiment utile sans un but, un idéal déterminés.


« — Pourquoi l'Angleterre est-elle si vivace et si puis-

sante?
« — EUe veut la colonisation du monde et l'empire des
mers.
« — Pourquoi la Russie elle-même malgré tant de causes de
ruine, marche-t-elle vers un si grand avenir?
« — Elle rêve l'unité d'une race vigoureuse les Slaves.
« — Pourquoi l'Italie a-t-elle grandi jusqu'à la taiUe d'un
royaume de premier ordre, malgré la révolution qui gronde

en elle?
« — Elle a la passion de son unité.
« — Pourquoi grande république d'outre-mer, l'Amérique^
la

étonne-t-elle l'ancien monde par luie activité indomptable?


« — Elle a tout un continent à remplir et à féconder.
« — Pourquoi TAutriche malgré l'autorité de ses traditions,
est-elle si inquiète, si incertaine de son avenir?
« — Un grand but lui manque. EUe a perdu l'hégémonie
de l'Allemagne et elle hésite à devenir une puissance orien-
tale

« — Pourquoi l'Espagne se débat-elle vainement dans les

convulsions intestines?
« — Elle n'a plus une conscience nette de son rôle comme
peuple dans le concert Européen (1).»

(1) Didon. «Les Allemands», Paris, 1884.


282 « LES AFFAIRES DUAITI 1883-1884 »

L'idéal à poursuivre pour nous Haïtiens c'est la réunion de

l'île sous un( même gouvernement. Il nous faut ce grand but


national, qui ralfîerait les Haïtiens de toutes couleurs de
toutes les opinions, dans une action commune. Une fédération
pacifique, la fédération quisqueyeame, est le seul procédé de

consolidation qu'on puisse prévoir et désirer. EUe ne serait pas

plus impossible au point de vue ethnique ou au point de vue


du langage que la Confédération Suisse^ où trois races et trois
langues sont en présence, sans que la Confédération en souf-
fre. Hinche ou Saint-Jean en serait la capitale politique.

H est du devoir de tous les Haïtiens d'Orient et d'Occi-


dent, de langue française oiil de langue espagnole^ de s'unir

contre l'invasion anglo-saxonne qui menace notre jeune vie

africano-latine; c'est pour eux tous une obligation que leur


dicte le patriotisme territorial^ afin que l'île aux deux ré-

publiques soeurs puisse devenir, mieux encore, dans la

suite des temps le rendez-vous de tous les noirs des îles et du


continent américains; afirf qu'im jour Haïti puisse servii* de
métropole à la civilisation noire; afin qu'à un moment donné
les fils de la race éthiopique puissent partir de ce nid, de ce
refuge^ pour aller à la conquête de nouvelles destinées; afin

que, à l'heure psychologique la voix d'Haïti puisse être enten-


due lorsqu'elle pourra efficacement se montrer fraternelle en-
vers les enfants directs des aïeux premiers.

Voilà le but.

Pour l'atteindre, il faudra agir autrement que par des circu-


laires écrites.

Des paroles aux actes.


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » 283

Les voies et les moyens? — Les voici :


*

lo. - Un impôt foncier à établir sur les parcelles nouvelles


ainsi qu'il a été indiqué plus haut (1);

2o. - Un impôt perscmnel et mobilier sur tout habitant


d'Haïti, étranger ou haïtien, qui possède un mobilieT de phis
de 200 piastres;
3o. - Un impôt très élevé sur les guildives la chaudière et
îa maison étant imposées;
4c. - Un impôt sur la propriété foncière évalué, quant à sa
péréquation et jusqu'à parfait dressement du cadastre, par

masses de culture;
5o. - Un impôt sur la granide propriété foncièi^j dès
qu'eUe dépasse une contenance de cent carreaux de ferre
d'une seule chevauchée;
6o - Un impôt sur les chevaux, mulets, ân^ chiens et un sur
les bêtes à cornes;
7o. - Des impôts sur les cartes à jouer, sur les permis de
chasse, le port d'armes sur les pianos, sur les abattoirs^ sur les

marchés pour droits de place et de stationnement, les textes de


voirie les taxes d'octroi;
8o. - La régie du tabac.
Ce sont là des impôts nouveaux, ou à peu près nouveaux
dont l'établissement ne présente guère de difficultés; comme
ils existent déjà dans beaucoup d'autres pays, leurs modes d'é-

tablissement, d'évaluation de perception, peuvent être étu-


diés dans nombre de traités de finances.
Le tarif des douanes remanié scientifiquement; toute peine
prononcée contre le contrebandier déclarée infamante; le gou-
vernement se chargeant du transport des colis postaux; les

(1) Voir les lois agraires.


284 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 «

prestations en nature exigées des paysans et obtenues; le tra-


vail des routes exécuté sous le contrôle et la surveillance d'une
gendarmerie champêtre à cheval; les prestations en nature ra-
chetables moyennant une prestation en argent versée entre les

.mains du receveur communal toutes ces combinaisons finan-


cières et politiques arrêtées avec soin, poiu*suivies avec persé-

vérance^ donneraient au gouvernement les facilités et commo-


dités pour exécuter ses projets, lui procureraient l'argent et

les bras nécessaires pour mener à bonne fin les travaux à en-
treprendre : réseau télégrapliique, chemins de fer.

L'impôt, du reste fait travailler un peuple. Le paysan qui a


un impôt fixe à payer un impôt direct se rend compte de son
rôle. dans l'Etat.

On doit, sans crainte augmenter îe Budget. La politique na-

tionale doit faire grand. Si elle exige beaucoup d'argent beau-


coup d'efforts du paysan, c'est pour l'instruire mieux, le mora-
liser vite pour lui rendre foule de services nouveaux, pour
l'enrichir rapidement.

n va sans dire que l'exécution icj ne saurait être confiée à


des agents militaires. Les chefs de l'armée doivent être des sol-
dats et non des administrateurs. Les arrondissements devraient
être des chefs-lieux de préfecture administrés chacun par un
préfet, autorité civile absolvunent placée sous la direction du

.ministre de l'Intérieur. Les commandants d'arrondissements


actuels pourraient être nommés généraux honoraires^ pen-

sionnés en terre et en argent, mais mis en disponibilité ou


employés dans la nouvelle armée après revision des gra-

des.

Ces préfets auraient à leur disposition ime gendarmerie ac-


tive toujours en mouvement; ils seraient toujours étrangers

du département même dans lequel se trouverait l'arrondisse-


-

« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » 285

ment qu'ils administrent. Le ministre aurait le droit de les


déplacer à volonté. Ils seraient tenus de lui adresser des
rapports mensuels, de venir se concerter avec lui à Port-au-
Prince. Les chemins vicinaux, les routes communales et dé-

partementales, le partage des terres aux paysans et aux im-


migrants la surveillance de la confection du cadastre^ l'en-

diguement, la canalisation des rivières la jetée des ponts, tou-


te l'oeuvre économique et administrative serait confiée à leurs

soins.

Un Conseil d'Etat, composé de six membres établi à Port-au-

Prince, serait chargé de rédiger les règlements d'administra-

tion et de finance complémentaires des lois votées au Parle»


ment-
«Quand le caractère du gouvernement général change, ce-

lui du gouvernement local change aussi. Dans l'empire ro-

main le progrès vers un régime plus centralisé^ effet de la


permanence du militarisme, gagna du centre à la périphé-

rie.» (Herbert Spencer «Principes de sociologie»).


De sérieuses économies seraient réalisées par la suppres-
sion des inspecteurs de culture dont l'autorité sans action
est absolument illusoire, et par la réduction des états

majors le licenciement des gardes nationales. «La vie séden-


taire et la civilisation accroissent de trois manières la résis-

tance des intérêts économiques à l'action militaires, ce qui


a pour effet de réduire le rapport de la partie militaire à la

partie non militaire.» (Herbert Spencer).

L'armée serait une année régulière levée par la conscrip-

tion d'après le système français.

n n'y aurait qu'à appliquer en Haïti^ après de légères mo-


difications, la loi française sur le recrutement qui porte la
4ate du 27 Juillet 1872.
286 « LES AFFAIRES lyHAITI 1883-1884 »

D suffirait pour rassiu*er le pays d'un effectif de quatre


à six mille hommes^ mais tous présents sous les drapeaiLx,

concentrés et casernes autoiu- de Port-au-Prince.


Disciplinés exercés à l'européemie, de temps en temps des
détachements seraient envoyés en garnison svir différents

points du territoire pour que le soldat fût familiarisé avec


tout pays dont la garde et la défense lui sont confiées.
Le désarmement général déjà opéré ainsi que l'avait pres-
crit le gouvernement par la circulaire du ministre de la

guerre, M. Brénor Prophète, serait complété par le démantè-


lement de toutes les forteresses autres que celles élevées au-

tour de Port-au-Prince. Par ainsi seulement, les insurrections


seraient sinon conjurées à toujours mais les révoltés de pro-
fession, les fauteurs d'insurrections qui en redoutent les con-

séquences les virtuoses du faux libéralisme^ les prétendus

politiques qui n'ont ni idées ni programme, ou qui^ quand ils

en ont, n'osent pas les exposer au Parlement ou par la plu-

me, tant ils sont absurdes, tous seraient tenus en bride.

«Si la conservation de la société est la fin principale^ la


conservation de chaque membre est la fin secondaire, fin

secondaire qu'il faut assurer dans l'intérêt de la principale.


«Pour que ces conditions soient remplies^ pour que l'ac-

tion corporative soit complète pour que la partie non com-


battante s'occupe à pourvoir aux besoins de la partie com-
battante, pour que l'agrégat total soit fortement relié, enfin

pour que les imités qui le composent y subordonnent leur


individualité, leur liberté, leur propriété^ il faut une condi-

tion préalable : un appareil de coercition.


«Sans un puissant organe d'autorité, nulle union de ce
genre n'est possible. Quand on se rappelle les funestes ré-

sultats causés par la division dans un conseil de guerre ou


« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » 287

par la division en factions en présence d'un ennemi on voit


que le militarisme chronique a pour objet de développer le

despotisme^ puisque^ toutes choses égales, les sociétés qui sur-


vivront d'ordinaire seront celles où, grâce au despotisme l'ac-
tion corporative sera la plus complète. Cela suppose un régi-

me de centralisation.» (Herbert Spencer, «Principes de Socio-


logie )

Une force navale consistant en bateaux légers l'inscription

maritime étant instituée pour la levée d'une petite armée de


mer, permettrait le transport rapide d'ujie bonne fraction des
troupes sur le point du territoire le plus éloigné du centre qui
se serait rebellé contre l'autorité légitim©-
Le système entier bien entendu compris exécuté en tou-
tes ses parties, aurait pour effet d'assurer l'augmentation de
l'industrialisme en même temps qu'il resterait im noyau de
militarisme sérieux et puissant qui assurerait l'évolution pa-
cifique, graduelle, sûre de toute la nation,
Eînifin, la naturalisation serait facilement accordée après
revision de la Constitution et une émigration noire partie

des îles et du continent américains immédiatement provo-


quée, favorisée^ encouragée.

III

Dans le nouvel appareil d'impôts deux surtout méritent de


fixer l'attention : celui sur les parcelles nouvelles et celui sfur
les étrangers.

n est clair que l'Etat en distribuant au paysan les terres

qui lui appartenaient, a bien le droit d'exiger de lui, en re-


tour du revenu que produisait autrefois la location des ter-
rains du Domaine, le paiement d'un impôt.
288 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

n est aussi de toute justice que l'étranger, qui^ à chaque


instant^ réclame des indemnités de plus en plus fantastiques,
soit imposé en tant qu'exotique.
Voici de quelle façon la taxe des étrangers pourrait être
établie et perçue : chaque étranger qui arriverait en Haïti
avec l'intention d'y séjourner plus de trois mois sans avoir
le désir de se naturaliser serait tenu d'en faire la déclara-
tion au consul de sa nationalité habitant la ville où il débar-
que. On inscrirait son nom sur le registre du consulat, et,

tous les six mois, le consul adresserait le relevé des noms au


ministère des Relations Extérieiu-es d'Haïti.

Tout étranger adulte de 21 ans homme ou fenmie, paie-


rait ime taxe annuelle de deux piastres; la taxe serait

d'une piastre pour ceux au-dessous de cet âge.


L'étranger verserait cet impôt entre les mains de son
consul qui en ferait aboutir le total à l'administration des Fi-
nances de l'arrondissement.
La taxe serait exigible pour moitié de tout étranger ayant
vécu plus de six mois dans le pays^ le 1er Janvier et le premier
Juin de chaque année. Elle pourrait être acquittée d'un seul
coup.

En payant cet impôt, l'étranger n'aurait pas pour cela droit


à aucime indemnité en cas de perte de ses propriétés, surve-
nue au cours des troubles civils. Tout au plus le gouvernement
pourrait-il lui accorder des secours et de son plein gré.
Dans les villes où il ne réside pas de consul, l'étranger ver-
serait l'impôt à la caisse communale qui, elle-même^ le ferait
parvenir à l'administrateur de l'arrondissement financier.
Par le moyen de cette imposition, le nombre des étrangers
habitant Haïti serait connu et cette taxation même augmentée
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » 289

toutes les fois que le pays aurait été contraint par violence de
payer des indemnités qu'il n'aurait pas dues en vertu des rè-

gles du droit des gens consenti entre tous les peuples civilisés.

On peut estimer à 60 millions le total des contributions qui


pourraient être recueillies dès la deuxième année de fonction-
nement de ce système. On augmenterait le budget des recettes
en opérant la revision du tarif des douanes sans faire souffrir
les contribuables.

Dans cette révision^ on doublerait les droits sur les vins^ li-

queurs et alcools étrangers; les droits sur toutes les sortes de


marchandises fines, depuis les odexirs et cosmétiques jusqu'aux
selles anglaises.

Puisque la masse de tous les impôts de consommation re-

tombe sur le pauvre, il est juste que les articles qui ne sont
consommés, usés que par les riches acquittent des droits qui,
jusqu'à un certain point, peuvent faire équilibre à la somme
des impôts payés par les artisans et les paysans.
Les connaissements des commissionnaires étrangers qui font
des affaires avec Haïti seraient soumis scrupuleusement au
visa des consuls haïtiens, de telle façon que ceux de ces com-
missionnaires quij de complicité avec les commerçants haï-
tiens^ auraient fraudé le fisc, se verraient privés du droit d'ex-
pédier des marchandises en Haïti.
Le visa serait refusé, d'ordre du ministre du commerce, à
tout commerçant convaincu d'avoir injurié ou fait injurier le

gouvernement à l'étranger; toute marchandise expédiée frau-


duleusement par lui en Haïti serait refusée dans les ports ou
confisquée.
Conune il est juste que tous ceux qui poussent à la guerre
civile en subissent les conséquences, ces mesures prises se-
raient étendues aux Haïtiens qui retirés à l'étranger, au-
290 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

raient, de là, poussé leurs compatriotes à la révolte, soit direc-


tement soit indirectement. Une loi déclarerait les débiteurs

des ims et des autres en Haïti, dispensés de solder toute

créance postérieitre à la date où ils auraient fait acte d'hosti-

lité contre le Gouvernement.


Contre les tentatives et les causes de perturbations ultérieu-
res nous avons le droit, le devoir de nous précautionner. H
ne faut pas que ceux qui nous divisent^ qui nous murmu-
rent à l'oreille : «Battez-vous», puissent lorsque nous avons

siuivi leurs perfides conseils, répéter à haute voix : <€Ce sont

des sauvages, ils se battent toujours au lieu de discuter. H


leur faut une tutelle.»»

Toute la science de la politique se résume en hygiène socia-

le préventive. Il vaut mieux prévenir les maux que d'avoir à

les cautériser, à les guérir par le fer et par le feu.


Nous voulons la paix; nous la désirons sincèrement^ virile-

ment, nous la préparerons par tous les moyens afin que nos
enfants, nos continuateurs soient heureux dans Faveair.
POST-FACE

OULTRE PLUS

Depuis plus d'un an je vis ce livre. Je l'ai porté partout


comme une obsession. Il emplissait mon cerveau le faisait pal-
piter^ craquer et vibrer toujours. H est né. Je m'en sépare
avec plaisir. Je l'ai conçu dans les douleurs, dans les angoisses,

alors que la patrie! semblait agoniser. Je l'ai écrit sitôt que j'ai

pu parler^ afin que tous pussent m'entendre, le lire.

O mon livre, porte la paix dans tes pages. Que de bien tu


peux faire si l'on veut t'écouterî

Que le meilleur de mon sang et de mes nerfs que la fleur


de mon coeur ne soit pas perdue!
Jusqu'au jour de la grande paix définitive, tu resteras ton
jours actuel-

Par toij mon livre^ j'ai dit à ma patrie de douces et conso*


lantes vérités. Je lui en ai dit aussi de dures. J'en avais le

droit : durant la tempête, je ne fus pas égoïste; j'osai parler

malgré les menaces et les dangers.

Si, par malheur, il arrivait de nouvelles catastrophes ce


que nous ne souhaitons point^ — tous ceux qui ont des yeux
verraient alors que nous avons su prévoir^ avertir.

En tous cas, qu'il sorte de toi grand bien, ou que de toi il

ne sorte rien je puis soutenir devant quiconque qu'en t'écri-

vant je n'ai fait que remplir mon devoir.


292 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

Ce devoir m'était impérieusement dicté par la Patrie dont

la sainte image emplit chaque nuit mes rêves.


O Patria setnapiterniun vive!

Vivez toujours pour l'honneur de la race noire, pour sa con-


solation, son espérance et sa gloire.

Lausanne, 22 Septembre 1884.

FIN
APPENDICES
NOTE RECTIFICATIVE ET COMPLEMENTAIRE
DE LA PREMIERE PHRASE DE LA PAGE 8

D'après la Constitution de 1867, art. 123 et d'après la Cons-


titution de 1879, art. 120, la Chambre des communes accuse
le président et le traduit devant le Sénat. C'est au Sénat que
revient le droit de prononcer la déchéance.
.

APPENDICE A

(VOIR AUX PAGES 54 et 55)

On pourrait écrire tout un chapitre^ et dfô plus curieux,

sur l'histoire des variations des idées des( Haïtiens qui l'an-

née dernière, s'improvisèrent économistes (?) et journalistes


pour donner une apparence de raison aux révoltés de IVIira-

goâne et de Jacmel.
Dans le Paris du 12 Septembre, ils prétendaient que le
partage des terres était un «procédé césarien»; que l'on pou-
vait «flatter la plèbe», par ce système, mais que, par lui, on
ne îMïuvait «élever un peuple».
Dans le MoniteLu* des Intéx'êts Maritmes du 4 Novembre,
ils soutinrent une autre thèse.
Questionnés plusieurs fois, de façon nette et précise, par
la Bataille et la République Radicale, dans les deux premiè-
res semainas de sommés de s'expliquer, le 14
Novembre, et

Novembre ils répondirent par l'organe du Paris et dirent que,


pour eux la loi du 28 Février était «très libérale», mais que,
«pour produire de bons résultats, elle doit être appliquée avec
«opportunité»

Qui, mieux que le Parlement qui avait voté cette loi, mieux
que le gouvernement qui l'avait proposée, pouvait être juge
de cette opportunité?

Selon eux et le 14 Novembre, dans le Paris le président

Salomon est «plus comédien que Général» et n'a promulgué


cette loi que «dans l'espérance de conjurer la révolutioûoi qu'il

voyait arriver à grands pas». «C'est ce qui résulte, ajoutaient-


ils candidement des lettres de Bodeau Laforest, annonçant
le débarquement de Miragoâne.»
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » ^
295

En effet, la parade et la riposte étaient magistrales et un


chef d'Etat, «comédien su général», s'U était inepte conuiie
ils le disaient de M. Salomon, n'aïu-ait jamais pu les exécuter^

Ces aveux sont bons à retenir, d'autant plus que le 14 No-


vembre aussi^ deux d'entre eux allèrent à la bataille et décla-
rèrent «qu'ils trouvaient excellente la loi par laquelle le Pai*-
lement haïtien —entièrement salomoniste — avait accordé des
terresaux paysans».
«Nous leur donnons acte de ces déclarations écrivit M.
A. Crié dans le numéro de La Bataille du 15 Nox^embre, mais
nous regrettons que les insurgés de Miragoâne ne les aient
pas faites etn Haïti.

«Que nos visiteurs ajoutait-il, —en homme qui connait la


question, — nous permettent aussi de leur faire
;
rémarquer
!

que si, dès le 14 Février, le président Salomon prévoyait


« i

rinsurrection^ c'est que dès la fin de Janvier, le vote de la

loi agraire était par tout le monde considéré comme acquis;


c'est aussi qu'il savait bien que ces adversaires, n'ignorant
point la i»opularité qu'ime semblable loi avait donnée 'jadis
au président Pétion^ n'allaient plus reculer, une fois la loi

proclamée, devant l'insurrection qu'ils préparaient, en effet,

depuis la fin de l'anirée 1882.»


Ainsi la loi était inopportune dans le Paris du 14 Novembre;
dans la Bataille du lendemain elle devient excellente d'après

ces mêmes politiciens haïtiens. Quelle précoce duplicité !

Le plus piquant, c'est que, dans la Vérité du 23 Novrânbrè,


ils éprouvèrent le besoin de changer de thèse: la JEranchi^
réactionnaire l'emporta sur la duplicité et Us renièrent leur
opinion du 15 Novembre-
Toutes ces variations m'amusaient infiniment me prou-
vaient le peu de suite de leurs idées, le peu de cohésion de
296 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 «

leur groupe, le trouble de leius esprits et surtout! leur igno-


rance de l'histoire économique d'Haïti, et leur ignorance du
cœur humain.
Puisqu'ils ont avoué que la loi du 28 Février «était excel-

lente»^ pour une fois qu'ils sont d'accord avec moi, je ne veux
pas les contredire en me contredisant moi-même. Loin de là.

Je me suis donné le plaisir de relire toute l'Histoire romaine


de Mommsen, à seule fin de composer le résumé suivant qui
prouvera encore que j'avais raison entièrement raison quand^
dès 1882, dans ma République d'Haiti et ses visiteurs, je de-

mandais que la terre fût remise aux paysans et quand, l'année


dernière, je soutenais que de cette mesure découlerait la pros-

périté d'Haïti.

Voici, ce résumé d'histoire économique.


Dans la Rome des rois et de la République la grande Rome,
la Rome vertueuse virile et fière, la classe des laboureurs
fut le noyau de l'Etat, l'assise de granit de la nation,
ccA Rome, la propriété n'a point pour fondement le droit

du plus fort. Mais on considère que le sol, que tout domaine


en général a été concédé par la cité au citoyen, pour en avoir
la possession et l'usage exclusif; aussi le citoyen, ou celui que
la cité traite à son égal sont-ils seuls capables du droit de
propriété. La propriété privée eut une haute importance po-
litique la loi conciliant à la fois, autant qu'il était en elle,

et le droit plein du propriétaire et le maintien de la fortune

des familles »> (Monunsen. Histoire romaine, traduction A-


iexandre. Paris, 1863, tome I, page 207).
Sous la République, en 259, les patriciens romains refusè-
rent des terres aux soldats du dictateur Manlius Valérius

Maxim.us qui revenaient en vainqueurs d'une expédition.


L'armée était aux portes de Rome. Elle se retira^ sans se dé-
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884» 297

bander dans le pays de Crustumère, entre Id Tibre et l'Anio


et fit mine d'y bâtir une ville plébéienne sur la coUine^ à la-

quelle on donna plus tard le nom de Mont-Sacré Voyant


cela les patriciens capitulèrent les plébéiens rentrèrent dans
Rome, car le Sénat leur fit distribuer d^ terres.

En 268, Spurius Cassius, patricien, étant consul demanda


des terres pour le peuple. Il fut tué par les aristocrates.

En 237, Spurius ManUius et Spurius Métilius^ deux tribuns^

firent la motion du partage de tout le domaine public. Ils

échouèrent par l'effet du mauvais vouloir des nobles-

En 370 Marcus Manlius Capitolinus qui avait sauvé Rome


fut livré au bourreau pour avoir pris en main la cause des
opprimés. Les patriciens l'accusèrent d'aspirer à la royauté.
Les plébéiens auxquels il voulait que les terres fussent con-

cédées restèrent spectateurs muets terrifiés de sa mort.


En 631, Tibérius Gracchus propose sa loi agraire. La Ré-
publique était en pleine décadence i>olitique nùlitaire, éco-

nomique et morale. (Mommsen.) H déclara la guerre aux


grands domaniers représentés dans le Sénat. L'aristocratie
terrienne lui opposa Marcus Octavius, son collègue dans le

tribmiat. Tibérius le fit déposer par le peuple. La loi agraire


fut votée par acclamation. Les triumvirs répartiteurs furent
nommés. Les grands propriétaires jurèrent de se venger de
Tibérius Gracchus. Le dernier roi de Pergame étant mort et
ses trésors revenant au peuple romain, Tibérius proposa que
les richesses accxunulées par la dynastie des Attalides fussent

réparties entre les possesseurs de terre investis de la veille^

à titre de frais de premier établissement Ses adversaires po-


litiques firent d'abord échouer sa réélection au tribunat^ puis
portèrent contre lui l'accusation d'aspirer à la royauté et
l'assassinèrent
298 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 >»

En 632, toujours sous la République, Caius Gracchus mou-


rait victime, comme son frère, de son amour pour la patrie
qu'il voulait régénérer en augmentant le nombre des paysans
propriétaires. Les deux Gracques avaient donné à la Répu-
blique 80.000 paysans nouveaux.
On peut dire que dans la République romaine^ avant même
rapparition des grands types militaires qui devaient la tuer^
avant Marins, Sylla et César^ la question domaniale resta
toujours ouverte.
De même que Marins^ Sylla distribua des terres^ à ses lé-

gionnaires- SyUa établit 120.000 colons en Italie.

Avant qu'i^ eut obtenu son proconsulat d^ Gaules^ César


assigna des terres aux vétérans de son armée d'Asie. Malgré
du Sénat, son projet d'alors, grâce à son caractè-
l'opposition

re «habilement démocratique» (Mommsen), fut voté par le


peuple.
Jusqu'à la fin du Xlème siècle on avait lutté contre l'ané-

antissement progressif de la petite propriété par la création


incessante de nouveaux domaines au profit des paysans.

Quand le paysan, le petit propriétaire d'autrefois fut deve-


nu un simple métayer, quand la petite culture et la petite

propriété furent tuées em Italie par la grande culture et la


grande propriété^ il n'y eut plus que des planteurs et des es-
claves; les empereurs vinrent avec leur panem et circenses.

et firent la décadence. Pour que le peuple eut du pain, le

blé fut tiré de Sicile et d'Afrique. Ce fut alors que Pline

put écrire^ —et combien. justement: — «Les grands domaines


ont perdu l'Italie» latifundia perdidere Italiam.
Il demeure donc clairement prouvé que le partage des ter-
res a été une loi d'essence démocratique; qu'avant l'établisse-
ment de la monarchie militaire, de l'Empire les plus nobles
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » 299

esprits les politiques les plus sagaces de la Rome républicaine


recoururent ou eurent l'intention de recourir au partage des
terres de l'Etat qui restaient improductives, afin d'infuser à

leur patrie une sève, une chaleur de travail, une vie nou-
velle dont elle avait besoin pour mieux évoluer ou pour se
rétablir.

Dans l'Histoixe romaimie de Mommsen traduite par Guérie,

on trouve des renseignements sur la propriété chez les Ro-


mains, notamment aux passages ci-dessous indiqués: tome I,

Uv. I, chap. XI et XHI; Uv. H, chap. VHI; tome H, liv. H,


chap. Vin; tome IH, liv. IH, chap. XH; tome IV, liv. IV,
chap. n, chap. IV, chap- VI; tome V, liv. IV^ chap XI; tome
VI, liv. V, chap. I, chap. VI et tome VH, liv. V, pages 211
à 245.
300 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

APPENDICE B

(VOIR A LA PAGE 55)

Dans un pays démocratique tous les citoyens ne doivent


être instruits que parce qu'il faut que chacun prenne sa part
de responsabilité au gouvernement soit directement, soit in-

directement. En Haïti où. le gouvernement est une délégation


de la souveraineté des citoyens, ceux-ci peuvent présenter
des plans au gouvernement qui les acceptera ou les rejettera
selon que ces plans seront jugés bons ou mauvais.
Dès l'instant que le Parlement a parlé le citoyen s'efface;

il est à jamais couvert par une manifestation de la volonté

nationale*
Seulement, pour ne pas être accusé de modestie hypocrite^
—vertu négative d'ailleurs, — ou de couardise civique^ je dois

revendiquer ma part dans la paternité indirecte de la loi du


28 Février 1883. Je le fais parce que je n'ai peur d'aucune
responsabilité si pesante qu'elle soit, si grave qu'elle puisse
devenir.
Si cela était nécessaire et possible, s'il n'y avait que danger^
j'accepterais seul la responsabilité de la mesure pour en
laisser tout l'homieur au gouvernement qui proposa la loi,

au Parlement qui la vota. J'ai peu de souci de la gloire, de la


richesse de la popularité et des honneurs^ étant républicain
démocrate dans toute la force de ces deux mots.
L'économie de la loi agraire de Février se trouvait^ en^ ef-

fet, dans mon ouvrage intitulé: La République d'Haïti et ses

visiteurs. Dans leurs conversations et dans plusieiu-s de leurs


écrits de l'année dernière, les adversaires du gouvernement
haïtien ne se sont pas fait faute de me reprocher cette loi^
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884» 301

absolument comme si j'en étais tout seul l'auteur. (Voir no-

taimnent le Paris du mois de Septembre et la Vérité du 23


Novembre).
Bs ignoraient probablement ou feignaient d'ignorer que
dans sa brochure: Une Défense, qu'il ferait bien de rééditer,
pour rendre service à la génération actuelle, et par ricochet,
au pays futur, M. Salomon avait reproché au gouvernement
de Geffrard de distribuer des terres aux immigrants que
celui-ci faisait venir des Etats-Unis et de refuser de donner
ces terres aux vétérans de l'armée haïtienne Tout son mé-
rite —il y a à réclamer chose si juste et si simple — ça été
de demander qu'on fit pour les citoyens ordinaires —et j'ai

expliqué pourquoi — ce que Pétion et Salomon avaient voulu


qu'on fit pour les soldats ayant vieilli au service de la Patrie.

J'ajoute que si la loi est bifâti comprise, bien exécutée elle

donnera certainement la paix, la sécurité, la stabilité, la ri-

chesse au pays.
«Commander au sol fait la force de l'homme et celle de
l'Etat. La grandeur romaine eut son assiette inébranlable

dans le "«iroit absolu et immédiat du citoyen sur la terre et


dans l'unité compacte de la forte exclusive classe des labou-

reurs.» (Mommsen. Histoire romaine. Traduction Alexandre^


1869, Tome 1, page 281).
302 «LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884»

APPENDICE C

La patrie est surtout grande lorsque chaque citoyen agis-

sant isolément et sans mot d'ordre d'aucune sorte se figure


qu'il; est de son devoir de la défendre partout où il se trouve.
Qu'il me soit permis de remercier chaleureusement ici les

journalistes parisiens, qui l'année passée, m'ont donné les


moyens de défendre dans leurs journaux mon pays attaqué sur
des gazettes de la même ville d'ailleurs mal renseignées.
Us ont agi en politiques, car ce n'est pas en permettant d'in-

sulter les gouvernants d'un peuple qu'on conquiert l'affection


de ce peuple.
Je puis dire ici^ sans modestie fausse et sians orgfueil dépla-
céj que si je ne m'étais trouvé à Paris l'année dernière, le

gouvernement d'Haïti aurait été traîné aussi has dans la boue


qu'autrefois on y traina — et combien injustement! — le gou-
vernement de Faustin 1er.

L'honneur du pays et son crédit matériel eussent souffert


de ce décri pendant des dizaines d'années.

Je rends donc un public hommage à' la générosité de cœur


et à la haute intelligence politique de MM. A. Vacquerie di-
recteiu- du RAPPEL, Destrem et Frémine, rédacteurs à ce
journal; L. Nico, rédacteur à la FRANCE; Guyon, directeur
deLA PATRIE; Laisant, député^ directeur de LA REPUBLI-
QUE RADICALE; le baron de Tourtoulon, directeur de la
REVUE DU MONDE LATIN; de Santa Anna Néry, directeur
du COURRIER INTERNATIONAL; Tanneguy de Wogam, di-
recteur de L'ETENDARD; A. Crié, rédacteur à LA BATAIL-
LE; Vaughan, Benoît Malon^ rédacteurs à L'INTRANSI-
GEANT; Galli et Corra, rédacteurs à L'EVENEMENT.
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 » SOs

A Madame Olympe Audouard, directrice du PAPILLON,


je dois payer un tribut particulier de recoiwaissance et de
respect. Je proclame qu'elle est un vaillant esprit et un no-

ble cœur; qu'elle aime d'affection vraie, sincère et ma patrie


et ma race C'est elle qui m'a mis la plume en main pour leur
défense, m'a dit de parler pour elles, absolument comme si

d'elles j'avais reçu mandat formel d'agir en leur nom.

Et j'ai parlé. De là est né ce livre.

L'année 1883 restera toujours présente en ma mémoire; et

ma flamme, de ma jeimesse espérante je la veux garder à


jamais vivante au cœur.
Chaque jour alors^ je me répétais cette pensée que je veux
me répéter toujours:

ESPERER C'EST VIVRE; VIVRE C'EST AGIR.

Paris, 14 Octobre 1884.


304 « LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 »

TABLES DES MATIERES

DEDICACE V
VUE GENERALE I —X

LIVRE PREMIER
PRESSE FRANÇAISE

CHAPITRE I

(D'Avril à Septembre 1883)

LES SITUATIONS

— La vérité sur Affaires d'Haïti


I. les 11

n. — En Haïti 14
ni. — Nouvelles d'Haïti 16
IV. — L'Emeute d'Aquin 19

V. — Questions Haïtiennes 20
VI. — Le Parlement Haïtien 27

VU. — Les Affaires haïtiennes 29


Vin. — «La Victoire nous restera ! » 32
EX. — La Révolte en Haïti 36
X. — L'insurrection Haïtienne 40
XL — Les Questions d'Haïti 45
Xn. — Les Républiques soeurs 52
«LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884» 305

CHAPITRE II

(Octobre — Décembre 1883)

ACTIONS DECISIVES

I. — Corps à corps 54
n. — La Question Sociale en Haïti 56
in. — Un forceur de blocus 62
IV — Le 22 Septembre 1883 64
V. — Une Manoeuvre ,^ 66
VI. — L'Amnistie de Septembre 67
VU. — Circulaire diplomatique 68
Vffl. — Au Pied du mur 74
X, — Leurs Aveux 78
XI — Les deux Partis haïtiens 82
Xn. — L'Emeute de Port-au-Prince 89
Xin. — La Gonâve et l'Anse-à-Veau 95
XrV. — Echo diplomatique 99
XV. — La France aux Antilles 101
XVI. — Capitulation de Jérémie 107

CHAPITRE III

COMMENCEMENT DE LA FIN

I.— Une conférence sur Haïti 112


n. — Oswald Durand 115
in. — Fusilleurs et Libéraux 124
IV. — La Paix en Haïti 128
V. — Lois agraires en Haïti 136
« LES AFFAIRES D'HAÏTI 1883-1884 «

LIVREE
PRESSE haïtienne

CHAPITRE I

(De Juillet à Novembre)


POLEMIQUE DE FAMILLE
JL^ — A la Nation haïtienne 179
— Libéraux mais maladroits
II. 182

III.— A un anonyme (Réponse analytique) 184


IV. — La Patrie en danger 198

V. — Faussaires et Libéraux 205

VI. — Ces bons libéraux 208

M:I. — Patriotisme des libéraux 212

CHAPITRE II
LES INEDITS
I. — Révolta et non révolution; maires 215

II. — Leurs grandes vérités. 220

ra. — Protectorat 228

LIVRE III
EN AVANT !

Le BUan 233
La Politique nationale 243
Post-Face (Oultre plus) 291

APPENDICES
Note rectificative et complémentaire 293
Appendice A 294
Appendice B 300
Appendice C 302

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