Analyse Du Stock de Dettes Souveraines de La Côte D'ivoire

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LA CÔTE D’IVOIRE A-T-ELLE DES RAISONS D’AVOIR PEUR

POUR LE NIVEAU DE SA DETTE PUBLIQUE ? 23 Novembre 2021

Analyse de la dette souveraine de la Côte d’Ivoire (projetée à FCFA


21 529 Mrds en 2022 dont environ 59% de dettes extérieures contre
64% en 2020 et 63% en 2021) 1

L’analyse ci-après est un point de vue qui n’a pas la prétention d’être exhaustif. Elle espère s’approprier
les préoccupations inspirées des inquiétudes de nombreux citoyens ivoiriens au sujet du stock de la
dette. Elle vise à donner l’opportunité d’améliorer la compréhension du budget soumis au vote du
Parlement en Côte d’Ivoire et surtout à renforcer ou à modifier, si besoin en était, les certitudes qui
influencent encore la conviction de certains Parlementaires concernant le budget 2022.
De quoi s’agit-il ?
La taille de la dette publique (estimée à MXOF 19 622 Mrds en 2021) alimente à Abidjan le sentiment
que la prochaine crise économique en Côte d’Ivoire pourrait bien venir d’une « crise financière » sévère
en cas de retournement de la situation actuelle.
La question principale c’est de savoir si le pays est à l’abri d’une « crise de la dette souveraine » ou si
celle-ci est inévitable en Côte d’Ivoire, vu les agrégats économiques actuels ?
D’abord parce que les évolutions comparées du stock de la dette publique et des flux de ressources
propres de l’Etat contrastent avec la sérénité affichée par tous, bailleurs de fonds et Pouvoirs publics.
Ensuite parce que le produit intérieur brut (PIB) déclaré à Abidjan, bien que relativement élevé, semble
être un indicateur insuffisant pour mesurer aussi bien la performance que le seuil plafond du stock de
la dette publique arbitrairement fixé à 70% du PIB.
Enfin parce qu’au moment où le Côte d’Ivoire s’apprête à changer de signe et de zone monétaires
(FCFA v/s Eco), plus de 60 % du stock de sa dette souveraine est exposé à un risque de change
considérable qui requière une visibilité économique à moyen et long terme très nette.
C’est pourquoi, avant le vote du budget 2022 de la Côte d’Ivoire il est utile de se poser quelques
questions basiques que se poserait l’ivoirien lambda.
Après la tragédie grecque (2008-2010) de la crise de la dette publique, l’on n’a pas besoin d’être
forcément économiste pour s’inquiéter des conséquences de la forte croissance du stock de la dette
(triplé en une décennie) alors que les recettes propres de l’Etat observent une envergure et une
progression plus lentes, voire insatisfaisantes.
I – Quel est l’état des lieux de la dette souveraine de la Côte d’Ivoire
Une des évidences, difficile à noyer en effet, est la faible performance de la dette, outre le risque de
change très élevé qu’elle porte. Cette dernière tarde à faire produire suffisamment de richesses afin de
compenser son coût et ses effets de plus en plus préoccupants. Dix (10) ans après le point d’achèvement
des initiatives PPTE (pays pauvres très endettés) et IADM (initiative d’allègement de la dette
multilatérale), qui avaient permis de remettre les compteurs quasiment à zéro, les espoirs des
populations s’amenuisent. Le tableau ci-après montre les évolutions de la dette depuis 2011.
(L’initiative PPTE a été atteint en juin 2012 après l’atteinte du point de décision en mars 2009).

Année 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021* 2022**
Stock de la dette (Mrds FCFA) 4 908 4 680 5 257 6 439 7 915 9 023 10 045 11 607 13 300 16 802 19 622 21 529
Service de la dette (Mrds FCFA) 1 313 856 977 1 179 1 318 1 520 1 973 1 685 3 066 2 733 2 133 3 061
dont charges financières (Mrds FCFA) 218 233 215 214 298 417 416 461 570 743 803 1 016
Charges financières / Service annuel
17% 27% 22% 18% 23% 27% 21% 27% 19% 27% 38% 33%
de la dette (%)
(*) Estimations _ (**) Projections
Source : Extraits des rapports de la Cour des comptes, des lois de règlements et des lois de finances 2010 à 2011.

NB : Le rapport de la Cour des compte (page 26) relatif à l’exercice 2010 a indiqué des restes à payer de FCFA 1 184.6
Mrds à fin 2010 et un « encours global de la dette publique à fin décembre 2009 qui s’élèverait à 4.784,3 milliards » dont
« d’une part, 3.726,3 milliards de dette extérieure et d’autre part, 1.058 milliards de dette intérieure ».

(1)
Ministère du budget et du portefeuille de l’État : Cf. Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle 2022-2024 _ DPBEP
1/7 Réflexion proposée par Jean-Baptiste PANY
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1 - La dette est très onéreuse dans un contexte international de taux d’intérêts très bas
Les charges financières de la dette sont élevées (1 016 Mrds projetés en 2022) sans compter le poids
du capital à rembourser. Ainsi chaque année l’annuité de la dette ampute le budget national d’une partie
non négligeable (environ 30 à 40%) des relatives maigres ressources collectées par l’Etat.
2 – La qualité de certains investissements financés aggrave le besoin de nouvelles dettes
Il est observé des infrastructures, moins bien réalisées et qui font dire qu’ils sont « biodégradables »,
donnant le sentiment que la dette qui a permis de les financer, si elle n’est pas intelligente, pourrait être
un traquenard pour l’économie ivoirienne. Les accusations ou soupçons de corruption amplifiées ces
dernières semaines par les audits en cours aggravent ce sentiment.
3 – Le train de vie élevé de l’État alourdit les dépenses courantes et induit de nouvelles dettes
Le train de vie élevé de l’Etat avec en prime une administration jugée « élitiste », « pléthorique » et
« budgétivore », est une des causes des dépenses courantes élevées. Malheureusement celles-ci sont
financées en partie par de nouvelles dettes chaque année - d’après la structure du budget. La
superposition des Institutions de la République et les nombreuses créations de postes de hauts cadres
est un constat qui n’aide pas non plus à atténuer le sentiment que la dette pourrait devenir un piège.
La Côte d’Ivoire s’oblige à fonctionner par exemple avec une équipe gouvernementale de 44 Ministres
et assimilés, récemment alourdie par la création de 12 départements relatifs aux Ministres –
Gouverneurs, portant à 14 les membres de ces « hauts commis » de l’Etat … Était-ce indispensable ?
II - La bonne tenue du PIB de la Côte d’Ivoire ne
contredit-elle pas les inquiétudes exprimées ?
La dette recommence à croître beaucoup plus vite que les recettes propres encaissées par l’Etat, censées
la rembourser. Le PIB semble être bien tenu, mais le reste ne doit pas importer peu (?).
1 – La réévaluation du PIB actée en 2020 semble suspecte, dans un contexte où l’État était
quasiment au taquet de sa marge d’endettement et où cette réévaluation s’est faite « en silence »
Le stock préoccupant de la dette semble être bien corrélé uniquement qu’avec la hausse du PIB.
Cependant, même à ce niveau il y’a une gêne. La dernière réévaluation du PIB (constatée en 2020)
tarde encore à convaincre les plus sceptiques des ivoiriens, en ce qui concerne la pertinence et la réalité
des données (détails pas encore suffisamment diffusés) qui ont soutenu la réévaluation à la hausse
(correction des écritures comptables) du PIB effectuée « sans bruits ».
Étonnant, même les économistes et les universitaires chevronnés les plus critiques sont demeurés
silencieux.
2 – Pourquoi l’agrégat « PIB » devrait faire l’objet d’une gouvernance particulière ?
La dette est autorisée lorsque le ratio (Dettes/PIB =< 70 %) est respecté. Si le PIB est manipulé ou
calculé sans prendre certaines précautions, les erreurs de ceux qui ont la charge de le définir chaque
année pourraient pénaliser toute la nation. La détermination et la diffusion de certains agrégats comme
le PIB relèvent d’une responsabilité régalienne. Le PIB évalué sur l’ancienne base (SCN 1993) rendait
insoutenable le stock de la dette dès 2022. La réévaluation a permis de lever cet obstacle. Curieux ! Le
tableau ci-après éclaire mieux ce propos :
Exercice annuel 2017 2018 2019 2020 2021** 2022**
(Montant en Mrds XOF) Réalisé Réalisé Réalisé Réalisé Estimé Prévisions
PIB nominal, ancienne base 1996 (ref. SCN 1993) 22 151 23 900 25 955 28 308 30 868 33 628
PIB nominal, nouvelle base 1995 (ref. SCN 2008) 29 955 32 222 34 299 35 311 38 439 41 951
70 % du PIB (base SCN 1993) 15 506 16 730 18 169 19 816 21 608 23 540
70 % du PIB (base SCN 2008) 20 969 22 555 24 009 24 718 26 907 29 366
Stock de la dette 10 045 11 607 13 300 16 802 19 622 21 529
(**) Annexe 3 des lois fiscales (budget) 2020, 2021 et 2022

2/7 Réflexion proposée par Jean-Baptiste PANY


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Remarque : sans la réévaluation prise en compte dès 2020 la dette envisagée en 2022 et celles après
cette date auraient été théoriquement problématiques.

La réévaluation du PIB a permis d’améliorer la marge d’endettement de la Côte d’Ivoire dès 2021.
Certifiée ou pas, cette réévaluation impacte le quotidien de tous, surtout celui du « petit peuple ».
Puisqu’elle occasionne plus de dettes nouvelles pas forcément performantes, plus de services de la dette
à rembourser sur ressources propres insuffisantes et une progression insatisfaisante des investissements
comparé aux attentes des populations (c’est un constat historique).
Tout cela est vécu dans un contexte où la priorité logique est donnée aux remboursements de la dette
et au financement des dépenses courantes (induites en partie par le train de vie étonnant de l’Etat).
Toutes ces charges sont incompréhensibles pour le petit contribuable ivoirien dont le quotidien se
dégrade dans un environnement de cherté de la vie et de surchauffe progressive du front social mal
anticipée, accentuée par les menaces sécuritaires, le pillage des forêts, la pression de l’immigration
admise comme un sujet tabou malgré son poids évident sur le budget de la nation.

III – Pourquoi la procédure de réévaluation du PIB doit


être rendue transparente ?
Certains diront que la réévaluation du PIB attendue du fait de l’obsolescence des procédures et des
sources de données est normale. Personne pour certifier cependant que la bascule a été correctement
menée. Curieux !
Les salaires sont demeurés quasiment identiques sinon sont en baisse si l’inflation est prise en compte.
Les revenus individuels des agriculteurs sont encore miséreux. Le secteur informel demeure une grosse
énigme et une fabrique à pauvres encore difficile à cerner. Pourtant le PIB « sur papier » est désormais
estimé à FCFA 38 439 Mrds en 2021 contre l’ancienne référence qui le projetait à FCFA 30 868 Mrds
à la même période. Le PIB (FCFA 12 113 Mrds en 2011) en une décennie a plus que triplé, la dette
aussi.
Le spectre de la crise grecque (2009-2019) et celui de la crise mozambicaine de la « dette cachée »,
n’aident pas cependant à apaiser les plus sceptiques des analystes en ce qui concerne la confiance à
avoir dans les chiffres actés sans un débat public ou une information parlementaire. Ce débat n’était
pas pourtant superflu, vu que l’impact de la mesure de réévaluation du PIB a été une hausse de sa valeur
de 38,2 % en 2015. Ce niveau n’est ni négligeable, ni neutre concernant l’évaluation de celui du stock
de la dette présenté avec enthousiasme comme étant « bien tenu ».
Le tableau ci-après, dont l’auteur attribue les données aux lois de règlements et aux lois de finances de
la Côte d’Ivoire sur la période, justifie l’inquiétude autour de la gouvernance de la dette souveraine de
la Côte d’Ivoire, et de la politique du PIB.

3/7 Réflexion proposée par Jean-Baptiste PANY


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Quelques indicateurs macroéconomiques en rapport avec la dette souveraine et les


revenus propres encaissés par l’Etat de la Côte d’Ivoire.

Exercice annuel 2017 2018 2019 2020 2021** 2022**


(Montant en Mrds XOF) Réalisé Réalisé Réalisé Réalisé Estimé Prévisions
PIB nominal, ancienne base (1996) (Ref. SCN 1993) 22 151 23 900 25 955 28 308 30 868 33 628
PIB nominal, nouvelle base (1995) (Ref. SCN 2008) 29 955 32 222 34 299 35 311 38 439 41 951
Différence (plus-value de réévaluation) 7 804 8 323 8 344 7 003 7 571 8 323
Budget général de l’Etat (Rapport CC)* 7 117 6 932 7 727 9 494 8 399 9 901
Recettes budgétaires propres (: hors endettement, dons,
3 706 3 966 4 283 4 368 4 843 5 442
subventions et ressources exceptionnelles)
dont recettes fiscales 3 077,8 3 203,3 3 462,0 3 637,8 4 778,9 3 946,1
Recettes propres en % budget global réalisé 52% 57% 55% 46% 58% 55%
Stock de la dette 10 045 11 607 13 300 16 802 19 622 21 529
dont dettes non libellées en FCFA 5 770 7 613 8 868 10 757 12 279 12 671
dont dettes non libellées en FCFA en % 57% 66% 67% 64% 63% 59%
I - Annuité de la dette -1 973 -1 685 -3 066 -2 733 -2 133 -3 061
dont charge d’intérêt -416 -461 -570 -743 -803 -1 016
Poids du service de la dette sur le budget national exécuté -28% -24% -40% -29% -25% -31%
Solde des Recettes propres après le payement du service de la dette 1 790 2 280 1 217 1 635 2 710 2 381
II - Dépenses courantes -2 768 -2 763 -2 895 -3 552 -3 498 -3 498
Solde des Recettes propres après le payement du service de la
-978 -484 -1 678 -1 918 -788 -1 117
dette & les dépenses courantes
III - Dépenses d’investissements -1 406 -1 436 -1 360 -1 769 -2 163 -2 163
investissements prévus sur ressources intérieures 805,1 780,0 840,1 1 108,9 957,8 957,8
Investissements intérieures / Ressource propres (norme à >20= %) 26% 24% 24% 30% 20% 24%

Source : extraits des lois de règlement et des lois de finances de la Côte d’Ivoire de 2015 à 2021/2022.
(*) Rapport Cour des comptes
(**) Loi des finances, Annexe 3

IV - Pourquoi l’évolution des recettes propres de l’État


quoique triplées en 10 ans est jugée peu satisfaisante ?
Le tableau précédent rappelle les erreurs grecques et suscite plusieurs remarques dont celles ci-après :
1 – Les performances insatisfaisantes de collecte de ressources propres n’autorisent pas la dette
actuelle, ni certaines charges comme la masse salariale observée au budget
Les recettes budgétaires propres sont encore peu satisfaisantes en effet. 52 à 58 % des ressources
propres collectées couvrent insuffisamment et avec grande peine les besoins budgétaires
incompressibles ou essentiels. Dans cette dynamique, les faibles performances fiscales n’autorisent pas
la masse salariale prévue au budget. Oscillant autour de 50 % des recettes fiscales celle-ci est observée
excessive et contraire à la norme communautaire qui la limite à 35% des performances fiscales.
Or les puristes semblent indiquer que ce sont les ressources propres collectées par l’Etat qui doivent
servir en priorité à honorer le service de la dette et les autres dépenses incompréhensibles, sauf erreur.
Du coup, les adeptes du ratio Endettement/PIB < 70 % qui poussent l’Etat à poursuivre la stratégie de
faire financer ses besoins budgétaires peu productifs de richesses par une dette correspondant à 70%
du PIB déclaré, s’en trouvent gênés. D’ailleurs il est délicat d’admettre la seule norme de 70% du PIB
comme repère de bonne gouvernance de la dette souveraine. Pourquoi 70% et non 6 % ou 160% du
PIB ? Rappelons aussi qu’avant d’être porté à 70%, ce ratio de la dette était à l’origine fixé à 60%.
La gêne des défenseurs du ratio « Endettement/PIB < 70% » s’avèrerait encore grande, si l’on considère
que la réforme du PIB a été effectuée dans un contexte encore à clarifier (?). Cette « technique »
quoique pertinente dans la forme et induite par les recommandations du système de comptabilité
national adopté par l’ONU en 2008, pousse l’endettement actuel vers un stock inquiétant et encore
inefficace de FCFA 21 529 Mrds à l’horizon 2022. Cette hausse du PIB semble déconnectée, du moins
elle semble être faiblement corrélée avec la croissance des recettes propres encaissées par l’Etat.
4/7 Réflexion proposée par Jean-Baptiste PANY
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2 - Le stock de dettes souveraines est appelé à être remboursé tôt ou


tard par les recettes propres attendues dans les caisses de l’Etat.
Dix (10) ans après les initiatives PPTE et IADM, la préoccupation devient stressante dans un contexte
où la dette publique croît encore plus vite que les recettes propres encaissées au budget de l’Etat. Le
constat révèle surtout (comme avant la décennie précédente) que la hausse de la dette publique sert en
priorité à financer les dépenses de remboursement du stock de la dette ainsi que les dépenses
budgétaires courantes aggravées par le train de vie de l’État, alors que le pays souffre d’une insuffisance
pénalisante d’investissements de survie.
La BCEAO concernant la gouvernance prudente adossée aux flux de ressources propres a pourtant
donné la voie à suivre, elle qui indexe son soutien budgétaire à 20 % des performances de collecte de
ressources propres de l’Etat. Cela semble illogique de constater que pour lever les autres dettes (en
dehors de celles de la Banque centrale _ BCEAO), c’est une autre référence- et non la performance des
ressources propres- qui est quasiment seule mise en avant. La dette publique produit pourtant les mêmes
effets !
V – Que faut-il craindre du stock actuel de la dette
souveraine de la Côte d’Ivoire et de son évolution ?
Neuf (9) inquiétudes majeures découlent des observations exposées ci-dessus :
➢ La première préoccupation concerne la supportabilité du stock des dettes souveraines
observé et/ou envisagé en Côte d’Ivoire :
Avec un PIB projeté à FCFA 41 951 Mrds en 2022, la Côte d’Ivoire devrait être en mesure de
supporter sans frictions un stock théorique de FCFA 29 366 Mrds de dettes potentielles (70%
de ce PIB). Au contraire, ses flux de ressources propres sont prévus à un niveau peu
enthousiasmant d’environ FCFA 5 442 Mrds en 2022 et semblent déconseiller ce choix. Par
ailleurs les dépenses courantes sont projetées à FCFA 3 498 Mrds. Elles formeront avec
l’annuité de remboursement de FCFA 3 061 Mrds que lui exige de décaisser le stock de la dette
actuelle, la rondelette somme de FCFA 6 559 Mrds. (soit un déficit de 5 442 -6559 = -1 117).
Que lui restera-t-il donc pour rembourser une dette de la taille de celle évoquée ci-dessus ? Le
dernier réaménagement du stock de la dette n’a-t-il pas été motivé/contraint par la crainte de
cette éventualité ? La situation financière projetée en 2022 avec un déficit de -FCFA 1 117 Mrds
(-euros 1,7 Mrds) avant prise en charge des investissements, confirme que sans un emprunt
supplémentaire la Côte d’Ivoire sera en défaut de payement du service de sa dette. Par ailleurs,
elle ne sera plus capable, sans la dette ou les dons, ou les ressources exceptionnelles
(privatisations et divers) de financer aussi les investissements projetés. Peut-on dans ces
conditions dire que le stock actuel de dettes souveraines est supportable ?
➢ La seconde inquiétude concerne le coût annuel du stock de la dette qui est encore très élevé.
Il contribue à réduire la capacité créatrice de richesse de l’Etat ivoirien. Bien qu’observée en
hausse, la voilure des investissements en est directement et inévitablement impactée.
➢ La troisième inquiétude concerne le train de vie de l’Etat qui est tel que sans la dette, ce
dernier ne peut pas financer une partie de ses dépenses courantes (ni honorer le service brûlant
de la dette de l’administration centrale, comme indiqué ci-dessus).
Du coup, pour financer les dépenses d’investissement de survie pourtant très attendues ou
espérées par la population, il faut encore accroître le stock de la dette. Dans un contexte où
l’immigration exerce aussi une pression supplémentaire sur le besoin d’investissements de
survie. Sauf erreur d’appréciation, la Côte d’Ivoire semble bien être entraînée par un cycle
vicieux commandé par le stock de la dette souveraine, qui peine à prouver son inefficacité.

5/7 Réflexion proposée par Jean-Baptiste PANY


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En dehors du PIB certes en hausse, mais qui n’est pas entièrement acquis à la caisse commune
de l’Etat, la dette ou sa gouvernance éprouve des difficultés à créer suffisamment de richesses
propres pour le budget de l’Etat. Inutile de rappeler que ce dernier est le seul garant du
remboursement de la dette publique.
➢ La quatrième préoccupation est relative aux difficultés rencontrées pour capter
suffisamment de ressources propres pour la caisse commune de l’Etat en dépit d’un PIB
favorable. A défaut de créer plus de richesses nouvelles « taxables » en vue de renflouer les
caisses de l’Etat, celui-ci pourrait être contraint tôt ou tard - comme ce fût le cas en Grèce - soit
à accroître la pression fiscale (plus d’impôts), soit à réduire les dépenses budgétaires (moins de
services publics et/ou réduction des salaires ou des effectifs), ou les deux à la fois.
➢ La cinquième préoccupation vient du fait que les derniers réaménagements de la dette
obtenus ont reporté une partie significative de son remboursement à plusieurs échéances
lointaines « En politique, l’on ne règle pas les problèmes, mais les déplace » ironisait souvent
le Président Houphouët. Cette observation semble confirmer que l’engrenage de l’économie
ivoirienne est « grippé ». Sinon pourquoi reporter des échéances de dettes si l’on est
suffisamment riche pour y faire face à bonne date et sauver sa réputation ?
Par ce fait, l’Exécutif ivoirien semble anticiper une richesse suffisante à moyen et long terme.
Compte-t-il sur les dernières découvertes pétrolières ? La question concernant la capacité et
surtout le besoin urgent de créer inévitablement plus de richesses ou de réduire le train de vie
de l’État demeure.
Soit l’Exécutif estime que les investissements à venir, à induire par les dettes projetées, pourront
cette fois-ci créer plus de richesses pour compenser les faibles performances des investissements
passés, induits par le stock actuel de la dette, soit l’Exécutif compte sur de nouvelles
opportunités de croissance (pétrole ou mine par exemple).
Dans tous les cas, dans un environnement où personne ne dispose d’une boule de cristal pour
prédire l’avenir, il parait hasardeux de parier ainsi l’avenir des générations actuelles et futures.
L’enjeu c’est justement l’avenir de la jeunesse et celui du pays.
➢ La sixième préoccupation est relative à l’environnement socio-politique qui semble
contraster avec les options retenues en Côte d’Ivoire. Plusieurs questions pour comprendre cela.
Comment un pays qui peine à créer les conditions d’une bonne réconciliation des politiques et
du front social, ainsi qu’à garantir les libertés individuelles et collectives peut rassurer les
bailleurs de fonds afin de réduire le coût du risque pays ? C’est en effet l’unique explication
crédible des charges financières élevées qui grèvent le service de la dette (FCFA 1016 Mrds de
frais financiers prévus en 2022) ?
Comment réduire le besoin encore insatisfait d’investissements de survie avec le faible niveau
de ressources affectées aux dépenses d’investissements annuels, par ailleurs réduits par le poids
de la dette historique et par celui soupçonné de la corruption ?
➢ La septième préoccupation est le risque du financement abusif auquel s’exposent les
bailleurs de fonds qui sont les contreparties actuelles de la dette publique ivoirienne. Les
bailleurs de fonds qui sont les créanciers liés au stock problématique de la dette actuelle,
pourraient être accusés d’avoir surendetté sciemment la Côte d’Ivoire sachant que ses
ressources sont limitées. Les Parlementaires qui accompagnent cette stratégie, pourraient être
eux aussi accusés de complicité.

6/7 Réflexion proposée par Jean-Baptiste PANY


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➢ La huitième inquiétude tente de comprendre si la Côte d’Ivoire est réellement à l’abri


d’une crise de la dette souveraine. Car la situation de tensions financières latentes plausible
de la Côte d’Ivoire, sauf erreur est de plus en plus préoccupante.
Le pays dispose-t-il d’autres alternatives pour sortir de l’engrenage de la dette ?
Les leçons du passé peuvent-elles servir afin de mieux profiter de la manne pétrolière annoncée
ou applaudie à Abidjan ?
La réponse à ces deux dernières questions est plus qu’actuelle.
➢ La neuvième préoccupation vise à savoir comment la Côte d’Ivoire compte circonscrire le
risque de change auquel la gouvernance de plus de 60 % de sa dette souveraine demeure
exposée. Il est utile d’indiquer que l’objectif de 66 % de la dette libellée en devises est visé à
partir de l’horizon 2023 (contre actuellement 63 %) si l’on considère l’euro comme une devise
semblable aux autres. Dans le contexte où le pays s’apprête à changer de système monétaire
avec l’avènement de l’Eco, il est primordial de rassurer les acteurs économiques et les citoyens
sur la qualité de la gouvernance monétaire et sur celle de la gestion du stock de la dette.

Conclusion :
Doit-on voter le nouveau budget (2022) soumis au Parlement ivoirien sans se poser les questions vitales
exposées ci-dessus, celles que se posent certainement les citoyens de ce pays africain ?
2010 dans la mémoire collective des grecs, rappelle que le déficit public avait grimpé à 12,7% du PIB
et le taux prohibitif des obligations grecques avait empêché le financement sur les marchés.
L'éventualité d'un défaut de paiement faisait alors trembler toute la zone euro.
Croisons les doigts afin d’éviter un tel sort à la Côte d’Ivoire ou pour ne pas faire mentir ou regretter
le défunt Ministre ivoirien de l’économie et des finances, feu Charles Koffi Diby.
L’ex argentier de l’Etat ivoirien - après avoir précisé que la dette ivoirienne était de FCFA 6 396 Mrds
en juin 2012 - avait indiqué que « la Côte d’Ivoire est désormais crédible aux yeux du Monde ... Avec le point
d’achèvement de l’initiative PPTE, ce sont 4.090 milliards qui ont été annulés. Restent donc 2.214
milliards à apurer les prochaines années. L’atteinte du PPTE permettra à la Côte d’Ivoire d’avoir une
souplesse de gestion. Elle donnera certainement une marge de manœuvre. Mais, il faut être prudent
dans la gestion des ressources. « L’obtention du PPTE n’est pas une valise d’argent à destination de la
Côte d’Ivoire. Mais, lorsque vous consacrez le 1/3 de votre budget à payer la dette extérieure et que
vous vous battez pour que cette dette soit annulée, ce que vous utilisez pour payer la dette extérieure,
vous l’utiliserez désormais pour investir, pour créer le patrimoine et de la richesse dans le pays. Voilà
pourquoi le PPTE est important.» (dixit feu Charles Koffi DIBY).

La contribution de tous serait la bienvenue.

Jean-Baptiste PANY

7/7 Réflexion proposée par Jean-Baptiste PANY

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