Affacturage Ohada
Affacturage Ohada
Affacturage Ohada
JOSEPH DJOGBENOU
Résumé
L’intégration juridique amorcée par l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit
des affaires depuis dix-huit ans est à la croisée des chemins. Le processus a conduit, en effet,
au moyen d’actes uniformes édictés, à promouvoir une convergence juridique des Etats
Parties en droit des affaires : droit commercial général, arbitrage, sociétés commerciales et
groupement d’intérêt économique, sûreté, comptabilité, recouvrement simplifié et voies
d’exécution, transport par route de marchandises, procédures collectives, sociétés
coopératives. Mais ce processus est loin d’être achevé. Les investissements privés nécessaires
au développement des Etats membres n’ont pas atteint les niveaux espérés. En dépit des
réformes intervenues le 15 décembre 2010 à Lomé conduisant à la révision des actes
uniformes sur les sûretés et le droit commercial général, il convient de rechercher, notamment
en matière contractuelle, d’autres instruments utiles à la stimulation des affaires.
Sommaire _________________________________________________________________ 2
Introduction _______________________________________________________________ 3
I – Une réception nécessaire___________________________________________________ 7
A – L’attractivité de l’espace juridique ______________________________________________ 7
1 – Le contexte d’émergence de l’affacturage ________________________________________________ 7
2 – Les critères de convergence de l’espace OHADA ___________________________________________ 9
2
Introduction
2. On définit l’affacturage, tantôt comme une « opération de crédit »5, tantôt comme une
modalité de gestion de portefeuille client6 ou un « procédé de gestion »7 ou encore
1
Nous entendons par droit OHADA, la législation constituée du traité instituant l’Organisation pour
l’harmonisation du droit des affaires, Traité de Port-Louis, (Ile Maurice), du 17 octobre 1993 révisé au
Québec, le 17 octobre 2008 ; ainsi que des actes uniformes en vigueur : arbitrage (acte uniforme du 11
mars 1999), droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (acte uniforme du
17 avril 1997), organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises (acte uniforme du 24
mars 2000), organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (acte
uniforme publié au journal officiel de l’OHADA le 1er juin 1998), procédures collectives d’apurement
du passif (acte uniforme du 10 avril 1998), droit commercial général (acte uniforme révisé le 15
décembre 2010), les sûretés (acte uniforme révisé le 15 décembre 2010), les sociétés coopératives
(acte uniforme du 15 décembre 2010). A ce corpus assez fourni, il faut encore ajouter les règlements,
notamment celui relatif à la procédure devant la Cour commune de justice et d’arbitrage (décision du
conseil des ministres du 18 avril 1996), et les décisions, notamment celle relative aux frais d’arbitrage
(Décision n°004/99/CCJA du 3 février 1999). Certains y intégreront la jurisprudence inspirée de
l’application et de l’interprétation du traité et des actes uniformes, conformément aux articles 13 et 14
nouveaux et s. du traité. Dans tous les cas, on sait que ce « droit secrété est alors destiné non à la
satisfaction des intérêts de l’organisation, mais à être mis à la disposition des Etats et des autres
organisations régionales, existantes ou futures », POUGOUE P-G., KALIEU ELONGO Y. R.,
« Introduction critique à l’OHADA », PUA, Yaoundé, 2008, p.33. Tel n’est pas le cas du droit de
l’espace OHADA, regardé au plan géographique et regroupant des normes concurrentielles à celles de
l’OHADA : règles nationales, communautaires, internationales etc.
2
L’expression est inspirée par Jacques BEGUIN. BEGUIN (J.), « Les sociétés commerciales sont-
elles condamnées à l’immobilité commerciale ? », in, PAILLUSSEAU (J.), (Mél.), Dalloz, Paris,
2003, pp. 43-76.
3
Dans la plupart des Etats membres de l’OHADA, la liberté contractuelle résultant du Code civil dans
la mesure de son introduction et de son application autorise une adaptation pragmatique et compatible
à l’ordre économique, social et, en tout cas public des outils de transaction commerciale. A cela, les
contrats spéciaux primordiaux sont organisés par les règles positives. Il en est ainsi de la vente
commerciale, du bail commercial, des intermédiaires, de la cession du fonds commercial etc. Cf.
AUDCG révisé, in, Juriscope, « OHADA, traité et actes uniformes commentés et annotés », 3ème éd.,
2008, mise à jour 2011.
4
Affacturage vient, en effet, de l’anglo-américain factoring.
5
DELEBECQUE (Ph.), GERMAIN (M.), Droit commercial, tome 2, L.G.D.J, 17ème éd., Paris, 2004,
p.341, n°2400.
6
Elle se présente alors comme « une technique de gestion commerciale au profit des entreprises en ce
que l’adhérent confie à l’établissement d’affacturage le soin de procéder à la gestion de ses comptes
clients ». BEGUIN (J.), MENJUCQ (M.) (Dir.), Droit du commerce international, LITEC, Traités,
Paris, 2005, p.623, n°1814.
3
comme un mode de paiement ou une cession de créances. On peut considérer en effet,
au premier degré, reconnaître avec certains que l’affacturage est « la technique
juridique par laquelle un établissement d’affacturage, dénommé factor ou affactureur,
reçoit de son client, appelé adhérent ou fournisseur, des créances dont ce dernier
dispose à l’encontre de ses propres clients ».8
7
CORNU (G.), Vocabulaire juridique, PUF, Quadrige, Paris, 2009, pp. 34-35.
8
BEGUIN (J.), MENJUCQ (M.) (Dir.), ibid.
9
CORNU (G.), op. cit., p. 143.
4
simplifiée de créance et, à cet égard, pourrait être compris comme une cession dailly.
Celle-ci, qui porte le nom du sénateur à l’origine de la loi française qui a consacré
l’institution, constitue une technique de mobilisation des créances professionnelles : il
s’agit, en particulier, de la cession ou du nantissement de créances par voie de
bordereau.10 Dans toutes ces opérations, comme dans l’affacturage, les silhouettes de
la délégation11 ou celle du mandat12 se profilent ainsi que celle de l’escompte13.
L’affacturage est donc une opération complexe qui, quoique n’ayant pas la faveur
enthousiaste de la doctrine14 a conquis celle des âges.
5. L’affacturage, comme bien d’autres institutions, est, en effet, une création du monde
affaires. On a retrouvé sa trace dans l’antiquité, à travers l’activité des marchands
phéniciens, grecs ou romains, alors établis dans des comptoirs pouvaient recevoir les
marchandises des producteurs afin de les recevoir pour le compte de ces derniers. Au
Moyen-âge, le mercantilisme devint, peu à peu, nomadisme, et les marchands
développèrent des colonies commerciales en qualité de dépositaires-vendeurs. Ils
assuraient le financement des fournisseurs des marchandises en dépôt et acceptaient de
faire peser sur eux le risque de non-paiement par les débiteurs. La technique de
l’affacturage connut un développement prodigieux aux Etats-Unis au cours des XIX et
10
Instituée par la loi du 2 janvier 1981, la cession dailly, encore appelée, en pratique, le récépissé
dailly, est réglé en France par le Code monétaire et financier. En réalité, la cession dailly est une forme
de garantie renforcée au profit d’un établissement de crédit, constituée par une personne physique ou
morale dans le cadre strict de ses activités professionnelle. Elle a pour objet la constitution d’un
nantissement ou la transmission en pleine propriété à un établissement dispensateur de crédit d’une ou
de plusieurs créances détenues par le cédant sur un tiers, la cession se réalisant par la simple remise
d’un bordereau.
11
Perçu comme « une opération dans laquelle une personne, le délégant, demande à une autre, le
délégué, de s’engager envers une troisième, le délégataire ». CHAMBON ( Du, P. M.), Droit des
obligations, régime général, PUG, Grenoble, 2005, p. 86. La délégation constitue une cession de dette
et, pour ainsi dire, une cession indirecte de créance. Novation par changement de débiteur, la novation
permet, tout comme l’affacturage d’éviter le risque d’insolvabilité. Qu’elle soit parfaite (avec décharge
du délégant) ou imparfaite (sans décharge du délégant), ne réunit néanmoins pas toutes les
caractéristiques et avantages de l’affacturage.
12
L’affacturage emprunte au mandat son mécanisme. On pourrait considérer que l’affactureur agit,
dans la gestion de la clientèle de l’adhérent, comme un mandataire. Dans l’affacturage, le mandataire
accomplit en effet, pour le compte de l’adhérent des actes juridiques. Seulement, les modalités
contractuelles peuvent engager l’affactureur à accomplir les actes non pour le compte et au nom de
l’adhérent, mais en son nom et pour son propre compte.
13
L’escompte est un outil de mobilisation de créance au moyen d’un effet de commerce. Une
entreprise qui détient un effet de commerce peut, en effet, obtenir des fonds d’un établissement
financier par remise de l’effet. En contrepartie, cet établissement prélève un taux, le taux d’escompte.
L’escompte constitue, en fait, une opération de crédit. L’escompteur (le plus souvent une banque),
avance au porteur de l’effet non échu, le montant de la créance, contre transfert à son profit de l’effet
et sous déduction du taux, encore appelé agio d’escompte.
14
Peu d’auteurs se sont, en effet, intéressé à l’affacturage. Les développements les plus intéressants
sont proposés par quelques auteurs contemporains. Voir, BEGUIN (J.), MENJUCQ (M.), op. cit. ;
aussi, DELEBECQUE (Ph.), GERMAIN (M.), op. cit.
5
XX ème siècles.15 Elle fut réintroduite en Europe continentale dans les années
soixante.16 En droit français, il est revenu à l’arrêté du 29 novembre 197317relatif à la
terminologie économique et financière de consacrer en français factoring par
affacturage. Phénomène du droit du commerce, interne et international, l’affacturage
ne peut, pour longtemps, laisser indifférent le législateur de l’Organisation pour
l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), pour qui, le processus
d’harmonisation du droit des affaires n’a pour finalité que « de facilité l’activité des
entreprises »18 et de « favoriser l’essor de celles-ci et d’encourager
l’investissement »19. L’affacturage est, soit interne, soit international.20 Une nouvelle
forme de l’affacturage s’est développée : il s’agit de l’affacturage inversé encore
appelé le « reverse factoring », ou encore le « supply chain finance ». Il met
également en présence le fournisseur, son client et la société d’affacturage. Mais
contrairement à l’affacturage ordinaire, celui inversé est plutôt provoqué par le client
qui aide le fournisseur à financer les créances qu’il tient sur lui par le biais de
l’affactureur.
6. Au fond, l’affacturage semble traduire deux idées fondamentales qu’à l’évidence, rien
ne semble réunir. Au contraire, tout semble les opposer : il s’agit de la solidarité et du
profit. L’affacturage est en effet un outil aux mains des professionnels de l’économie
et, en particulier, des commerçants. Ceux qui ont des biens sans avoir des moyens
trouvent ces moyens financiers auprès de ceux qui les ont en surplus. En avançant les
fonds à l’adhérent, l’affactureur agit dans un conteste de solidarité des pairs. Ce
solidarisme commercial est à l’origine du mécanisme. Mais en réunissant des
professionnels, l’affacturage n’exclut pas le profit. Le profit a même fini par lui
assurer un développement auquel, à l’origine, on s’attendait moins. La quête du profit
a conduit à assurer la mutation des affactureurs en véritables professionnels de
l’intermédiation du financement.
15
En fait, c’est par cette technique que les britanniques finançaient le commerce du coton exporté par
les émigrants au Etats-Unis.
16
La première société d’affacturage fut implantée en France, en 1964 par la holding « international
factors ».
17
JORF du 3 janvier 1974
18
Préambule du Traité de l’OHADA signé à Port-Louis (Ile Maurice) le 17 octobre 1993 et révisé au
Québec (Canada) le 17 octobre 2008, in, Juriscope, op. cit., p. 21.
19
Ibid.
20
L’affacturage international est régi, en particulier, par la convention d’UNIDROIT sur l’affacturage
international, adopté à OTAWA, le 28 mai 1988.
6
présentation de l’affacturage qui, quoiqu’exhaustive, n’eut suffisamment appelé
l’attention du législateur. Il est possible de vérifier la nécessité d’une telle entreprise.
En dépit de ses avantages certains, il faudra, en effet, rechercher si l’affacturage est
utile à la stimulation des affaires, en l’état du droit OHADA.
7
se fut développée aux Etats Unis et soutenue par la Grande Bretagne n’étonne guère21.
On se rappelle bien que ceux qui ont d’abord conquis les côtes américaines et se sont
investis dans l’agriculture après avoir évincé les autochtones des espaces disponibles
et fertiles étaient des réfugiés européens et, en grande partie, anglais. On se souvient
aussi que le partenariat s’inscrivait dans la perspective de ravitaillement des usines
britanniques qui finirent par connaître un prodigieux développement à partir du
XVIIIe siècle, consacré par la révolution industrielle et technique. On voit bien que
l’affacturage naît dans les conditions où il importait d’assurer la circulation des
produits agricoles par les fournisseurs vers les manufactures, afin de rendre
disponibles les matières premières au profit de ceux-ci et les moyens financiers au
profit de ceux-là. La distance entre ces différents acteurs accroît l’utilité de
l’affacturage en raison de ce que cette technique introduit un intermédiaire
professionnel entre les deux acteurs et, dans sa finalité, amoindrit le risque
juridique22et le risque judiciaire23notamment celui du recouvrement.24
21
Le crédit-bail, qui est également une technique de financement des équipements au profit des
entreprises par les établissements financiers est également né de la pratique américaine, lorsqu’un
promoteur d’une industrie alimentaire, du nom de Scoenfeld, a voulu acquérir des machines en vue
d’exécuter une commande importante. BEY (E-M), de la symbiotique dans les leasing et crédit-bail
mobiliers, Dalloz, Paris, 1970, p. 3 et s.
22
Lorsque le fournisseur et sont client exercent leurs activités dans des endroits soumis à des
souverainetés différentes. La législation du ressort juridique du client, dans son contenu et sa mise en
œuvre peut échapper à la connaissance du fournisseur et, le plus souvent, heurter ses intérêts. Ce
risque juridique se dédouble du risque politique dans un contexte d’extranéité.
23
Le risque judiciaire et tout aussi important que le risque juridique. L’imprévisibilité, l’inconstance
ainsi que certaines pesanteurs sociologiques sont constitutifs de situations d’insécurité judiciaire qui
ruine les chances de paiement du fournisseur. Le fournisseur évitera ce risque judiciaire soit en
délocalisant la compétence judiciaire soit en faisant peser ce risque sur une autre personne.
24
Le risque de recouvrement fait partie du risque judiciaire et s’entend des difficultés de recouvrement
des créances commerciales. Ce risque varie suivant les systèmes juridiques et les Etats. Il constitue, à
l’instar du risque juridique et du risque judiciaire, un risque de transaction commerciale.
8
forfaitage25, le crédit-bail, auxquels il convient d’ajouter les outils classiques de
règlement26 l’affacturage évolue dans un marché du financement en plein dynamisme.
18. C’est un espace qui s’étend des côtes du Sénégal, à celle de l’océan indien. Avec les
Comores et, bientôt, la République Démocratique de Congo, c’est un espace de 115
Millions d’habitants. Si ces regroupements ont été institués, c’est bien dans la
perspective de la compétitivité des activités économique et financières des Etats
membres. Même si l’OHADA, en elle-même, ne constitue pas un marché commun30,
il n’en demeure pas moins offre aux espaces économiques intégrés dans son système,
les outils juridique qui leur permettraient d’atteindre cet objectif. On soulignera encore
que l’intégration juridique visée par l’OHADA est au service de la stimulation des
affaires et que, à cet égard, les outils juridiques compatibles à la réalisation des fins
majeures de l’organisation.
19. Mais un autre critère se réalise parfaitement en ce qui concerne l’OHADA : les
ressources du marché. Si l’on a bien relevé que l’affacturage étend ses tentacules dans
un espace de fourniture de matières premières et que, finalement, il permet de financer
la fourniture de ces matières vers les industries de production d’une part, et
l’importation des produits finis vers les marchés de consommation d’autre part,
l’espace constitué par l’OHADA entre convenablement dans ces critères. Le coton, le
café, le cacao, la banane ainsi que les autres produits générés par l’agriculture d’une
manière générale constituent des ressources importantes qui intéressent les industries
occidentales et orientales. Bien plus, les ressources minières d’une variété et d’une
25
C’est une opération d’escompte en vertu de laquelle le banquier qui accepte des effets de commerce,
renonce à tout recours contre le remettant en cas de défaillance du tiers débiteur de l’effet. Cf. SOUSI-
ROUBI (B.), Lexique de la banque et des marchés financiers, Dunod, 6ème éd., Paris, 2009, pp. 134-
135 ; aussi, BEGUIN (J.), MENJUCQ (M.), op. cit., pp. 596-597
26
Crédit documentaire etc.
27
Sur la définition du marché et ses composantes, voir BIALES (L) et Alii, Dictionnaire d’économie
et des faits économiques et sociaux contemporains, Ed. FOUCHER Paris, 2002.
28
Union Economique et monétaire ouest africain institué entre le Bénin, Le Burkina Faso, la Côte
d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Togo et le Sénégal.
29
Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale regroupant le Gabon, la République
Centrafricaine, le Tchad, le Congo Brazzaville, le Cameroun, la Guinée Equatoriale.
30
Ce qui est l’objectif de l’UEMOA et de la CEMAC
9
quantité exceptionnelles entretiendront, pour longtemps encore, aussi bien les TGV
que les fusées, créeront autant d’ordinateurs que de logiciels.
20. Par ailleurs, l’Afrique est un espace de consommation tout aussi importante, en tout
cas non négligeable. En tant qu’outil d’intermédiation de financement des acteurs
économiques l’affacturage pourrait, de part et d’autre, rendre facile le financement des
marchés visés. L’Afrique tout entière est en construction et l’espace de référence l’est
en particulier. La Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Gabon et la Guinée, avec leurs
immenses potentialités en ressources minières et vivrières justifient l’introduction des
mécanismes et des outils d’accompagnement et de financement de ces ressources. Les
nouveaux Etats pétroliers, tels que la Guinée équatoriale et le Niger intéressés par les
groupes internationaux d’exploitation de ces ressources peuvent être des champs
d’expérimentation des instruments de mobilisation des ressources financières. On sait
bien, en effet, que sans mobilisation des ressources financières, les ressources
naturelles n’accèdent pas à l’économie.
21. On soulignera enfin que ces nouveaux instruments de mobilisation des ressources sont
d’autant plus importants que les financements publics se réduisent notablement. A leur
place, l’investissement privé est recherché. Or, cet investissement a ses exigences et se
professionnalise. Les sociétés d’affacturage sont, en quelque sorte, des professionnels
de l’investissement de l’investissement privé.
22. Si l’OHADA apparaît, au plan des affaires, comme un espace au sein duquel certains
outils sont nécessaires à la mobilisation des ressources financières au profit des acteurs
économiques, il convient néanmoins de rechercher si l’affacturage est porteur d’une
valeur ajoutée par rapport aux instruments déjà éprouvé au sein de cet espace. En
somme, on s’interrogera sur l’attractivité de l’affacturage dans le contexte de
l’OHADA.
10
1 – L’insuffisance des solutions éprouvées par le droit OHADA
24. L’OHADA est, en réalité, une solution juridique à la thésaurisation économique.31
Cette thésaurisation s’explique, en partie importante, par les difficultés d’accès aux
sources de financement. Les enjeux du processus d’intégration juridique s’en trouvent
précisés : rendre accessibles et disponibles les investissements sains en vue de les
orienter à l’exploitation et à la transformation des ressources naturelles, en assurer la
sécurisation. On recourt ainsi au droit pour fournir les moyens nécessaires à la mise en
circulation des ressources naturelles en vue d’amorcer le développement de ces pays et
combattre la pauvreté. Or, depuis dix-huit ans de mise en œuvre du droit OHADA, il
n’est pas évident de conclure que les solutions consacrées par le législateur
communautaire aient permis de redresser la situation. Le financement a manqué aux
opérateurs aux fins d’investissements précieux et sains. On a relevé, par exemple, que
dans les pays développés, le volume des crédits représente 60% du PIB contre
seulement 30 dans les pays couvert par le droit OHADA.32 On a également noté que
« le total des prêts au secteur privé ne s’élève qu’à 18% du PIB en moyenne »33
25. Une approche fondée sur la prise en compte des outils classiques de stimulation des
investissements et de mobilisation des ressources fut tentée. Cette approche est
contenue dans les actes uniformes portant droit commercial général34 et sûretés35. Les
règles du droit commerciales ont été plutôt accentuées sur la vente et les conventions
qui en facilitent la conclusion. Il s’agit, notamment, des conventions d’intermédiaire36,
et, en particulier, du contrat de commission37, du contrat de courtage38 et des agents
commerciaux39.
26. D’une manière générale, les intermédiaires assurent une passerelle entre différents
contractants en matière commerciale en vue de l’accomplissement d’un acte juridique
à caractère commercial. L’intermédiation est fondée sur le mandat40 qui n’est pas
totalement absent de l’affacturage. Mais ces « auxiliaires »41 s’occupent plutôt de
conclure avec un tiers un contrat de vente. Ils apparaissent comme les ouvriers de la
vente commerciale. Si, bien entendu, l’affacturage pourrait inclure les services de
31
On entendra par thésaurisation économique l’impossibilité ou l’insuffisance de l’exploitation par
une communauté, un Etat, une région des ressources pourtant disponibles de manière suffisante. Cette
thésaurisation économique est l’une des explications du sous développement de l’Afrique.
32
YONDO BLACK (L.), L’enjeu économique de la réforme de l’Acte uniforme OHADA portant
organisation des sûretés : un atout pour faciliter l’accès au crédit ; in, Droit & Patrimoine, n°197,
Novembre 2010, p. 47.
33
Ibid. Observation inspirée d’un rapport de la Banque Mondiale daté de 2006.
34
Acte uniforme du 17 avril 1997 révisé le 15 décembre 2010.
35
Acte uniforme du 17 avril 1997 révisé le 15 décembre 2010.
36
Art. 169 et s. AUDGC
37
Art. 192 et s. AUDGC.
38
Art. 208 et s.
39
Art. 216 et s.
40
SANTOS (A. P.), Commentaire de l’AUDCG, in, OHADA, traités et actes uniformes commentés et
annotés, Juriscope, 2008, mise à jour 2011, p. 267.
41
SANTOS (A. P), op. cit. p. 264
11
l’intermédiation, celle-ci ne suffit pas à agréger les avantages de celui-là. Ce n’est
surtout pas dans les attributs du commissionnaire, appelé, il est vrai, à agir en son
propre nom mais pour le compte de son commettant en vue de conclure un contrat de
vente ou d’achat de marchandise que l’on retrouverait un instrument de financement
des entreprises. Ce n’est pas non plus le statut du courtier dont la profession consiste,
selon les termes de l’art. 208 de l’AUDGC à mettre en rapport des personnes en vue
de faciliter ou de faire aboutir la conclusion de conventions entre elles, qui satisferait
ces besoins de financement des acteurs économiques même si la notion de convention
est prise au sens large. Le même raisonnement est valable en ce qui concerne les
agents commerciaux, ces négociateurs professionnels aux fins de conclusion des
contrats courants, « au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de
commerçants ou d’autres agents commerciaux sans être lié envers eux par un contrat
de travail »42.
27. Si les contrats usuels, tels que prévus par l’AUDCG, ne suffisent pas à stimuler les
financements nécessaires aux activités économiques, on pourrait recourir aux sûretés
pour atteindre les mêmes objectifs. Là encore, les réponses paraissent insuffisantes. Ce
n’est pourtant pas en raison de ce que, depuis 1997 et, de manière plus évidente, en
2010, le législateur OHADA n’ait pas essayé d’introduire dans le droit des sûretés, des
institutions qui visent à financer les entreprises. La propriété cédée à titre de garantie43
et les différents types de nantissements44 ainsi que le nouveau régime de l’hypothèque
conventionnelle45n’ont d’autres objectifs que d’apporter à ces entreprises l’oxygène
financière nécessaire à leur développement tout en rassurant les institutions
financières. Mais leur efficacité paraît assez limitée, en dépit de l’esprit libéral qui a
présidé à leur élaboration. On soulignera, en effet, qu’il n’est pas évident, au plan
fiscal46 et sur le terrain de la réalisation de ces garanties, que les avantages comparatifs
avec l’affacturage soient plus élevés.
42
Art. 216 AUDCG
43
L’une des innovations majeures de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés (AUS) a été
d’instituer la propriété-garantie et, en particulier, la propriété-sûreté. Désormais, les biens à garantir
peuvent être cherchés dans le patrimoine du créancier. Il s’agit, en particulier, de la réserve de
propriété et de la propriété cédée à titre de garantie. Voir, art. 71 et s. AUS.
44
Le nantissement des meubles incorporels, en particulier, celui des créances, des comptes bancaires,
des droits d’associés, des valeurs mobilières et le compte de titres financiers, du fonds de commerce et
celui des droits intellectuels. Voir, art. 125et s. AUS.
45
Art. 203 et s. AUS, notamment avec l’avènement du pacte commissoire.
46
Le droit fiscal n’est pas saisi par le domaine de l’harmonisation et, de ce fait, est laissé à une forme
de fantaisie des législations nationales qui ne manque pas d’amoindrir les perspectives de stimulation
des affaires. A tout le moins, il constitue un levier aux mains des gouvernements des Etats membres
pour assurer un dumping économique réducteur des efforts de l’intégration juridique.
12
fois prestataire de services, assureur et banquier. Au titre de la prestation de service, il
veille, en effet, à mettre en place une surveillance permanente de la solvabilité de son
client. A cet égard, il organise le service crédit de l’adhérent. Il assure ensuite la
gestion de la clientèle de l’adhérent le conseille en matière de prospection de marchés.
A ce titre, il organise le service commercial de l’adhérent. Ses fonctions ont même une
dimension comptable puisqu’il peut procéder à la comptabilisation des factures de
l’adhérent, assurer même la facturation et les encaissements. Il procède au
recouvrement des créances et assure un service contentieux lorsque cela est nécessaire.
29. Mais l’affactureur est également assureur. C’est le cas lorsqu’il acquiert les créances
sans recourt contre l’adhérent. Il supporte le risque du non paiement à l’échéance ainsi
que celui de l’insolvabilité du débiteur. L’adhérent peut ainsi sortir ses créances
toxiques de son portefeuille et accroître ses chances de conquête du marché.
30. Enfin, l’affactureur est un banquier et cette dimension n’est pas la moins importante.
En effet, l’affactureur procède au paiement total ou partiel des créances de ses
adhérents même si celles-ci ne sont pas encore exigibles. Il consent un véritable crédit
dont le terme sera celui de l’échéance des engagements des tiers à l’égard des
adhérents.
31. L’importance des besoins d’un espace en construction commande, à tout le moins, que
soient prises en compte les techniques modernes de financement de ceux-ci.
L’affacturage pourrait offrir un cadre intéressant de partenariat entre les acteurs
économiques privés en raison de ce qu’il assure, finalement, un transfert de
compétence dans un secteur qui se professionnalise et qui se spécialise à un rythme
accéléré. Il reste, néanmoins, à s’interroger sur la méthode d’admission en droit
OHADA de cet outil de financement. A ce sujet, il faut convenir que l’attrait raisonné
n’exclut pas la prudence.
47
JESTAZ (Ph.), « L’évolution des contrats spéciaux dans la loi depuis 1945 », in, Autour du droit
civil, écrits dispersés, idées convergentes, Dalloz, Paris, 2005, p. 348.
13
une admission au moyen d’un acte uniforme. On pourrait également choisir d’y
procéder, de manière implicite, à l’occasion de la réforme de l’AUDCG.
35. La première objection tient en ce que certains ont, avec raison, qualifié de « risque de
démesure »49, consistant en une excroissance pathologique des objectifs de l’OHADA.
Ce risque pourrait prendre la forme, selon les mêmes auteurs, d’une « démesure
matérielle »50 lorsque l’excroissance est substantielle et d’une « démesure
géographique »51 lorsqu’elle saisit l’espace. Ce risque de démesure n’est pas absent en
ce qui concerne la réception de l’affacturage. Ce n’est point en raison de ce que
l’instrument ne ferait pas partie du droit des affaires tel qu’il est compris en droit
OHADA. On sait bien que le législateur OHADA confère au droit des affaires un
domaine extensible qui, en théorie, n’a d’autres limites que la volonté politique
décisoire du Conseil des ministres52.
36. En effet, suivant les termes de l’article 2 du traité : « …, entrent dans le domaine du
droit des affaires l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut
juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies
d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire,
au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et du
transport, et toute autre matière le Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité,
d’y inclure, conformément à l’objet du présent Traité… ». (Nous avons souligné).
Bien que le législateur n’ait pas expressément intégrer certains contrats spéciaux en
général et l’affacturage en particulier dans le bloc matériel établi, en raison de ce qu’il
n’est qu’énonciatif et non exhaustif, le Conseil des ministres est apte à l’« inclure »
dans le domaine du droit des affaires. Au demeurant, l’affacturage a un caractère
commercial évident, n’intervenant qu’entre les professionnels des affaires. Néanmoins
au seul motif d’un intérêt évident ou d’une utilité manifeste, on ne saurait l’admettre
48
Traité de l’OHADA, art. 1er.
49
POUGOUE (P. G.), KALIEU ELONGO (Y. R.), op. cit., p. 67
50
Ibid., p. 68 n° 53 et s.
51
Ibid., p. 89, n° 71 et s.
52
Le Conseil des ministres, selon l’art. 27, est composé des ministres chargés de la Justice et des
Finances des Etats
14
en droit OHADA au moyen d’un acte uniforme. Il est à craindre en effet, à ce rythme,
une inflation des actes uniformes constitutive d’un « flou du droit »53 ou d’un « plein
du droit ».54 Qu’il soit « flou » ou « plein », il devient inaccessible et non effectif.
Force est de constater, avec certains, que « L’OHADA n’a de sens et ne présente une
cohérence que si l’on a une conception stricte des matières à uniformiser…
Finalement, la recherche systématique du droit des affaires uniformisable doit se faire
avec circonspection… ».55
37. La seconde objection tient, en effet, en ce que, l’admission par voie législative directe
au moyen des « Actes uniformes » saisit plutôt, non une institution isolée, mais une
branche déterminée du droit des affaires, qui a atteint un degré d’autonomie suffisante
dans son régime et en ce qui concerne son domaine, compatible avec les objectifs du
processus d’harmonisation. C’est en cela-même qu’en dépit de ce que le législateur
OHADA a distinctement visé la vente dans le domaine de l’harmonisation, son
admission fut prise en compte dans l’Acte uniforme relatif au droit commercial
général. Or, l’affacturage, comme la vente commerciale, est un contrat si spécial que
l’admettre au moyen d’un acte uniforme distinct romprait la démarche classique. Il
reste alors à envisager la voie indirecte d’intégration de l’institution dans le droit
OHADA.
53
DELMAS-MARTY (M.), Le flou du droit, PUF, Paris, 2004.
54
M. MALAURIE ne disait pas autre chose lorsqu’il affirma : « Le mal des lois, c’est le mal
congénital des hommes, de tous les hommes : l’orgueil, l’outrance et la démesure – le contraire de la
courtoisie ». MALAURIE (Ph.), La pensée juridique de Jean CARBONNIER, in, Hommage à Jean
CARBONNIER, Dalloz, Paris, 2007, p. 55
55
POUGOUE (P-G), KALIEU ELONGO (Y. R), op. cit., p. 78.
56
AUDCG, art. 234 et s.
57
AUDCG, Art. 101 et s.
58
AUDCG, art. 135 et s.
15
générale et à son esprit. Or, la stabilité est source de sécurité juridique et un critère de
l’accès au droit, droit fondamental s’il en est.
40. La seconde branche de l’alternative paraît plus séduisante. Elle préserve l’architecture
et la nomenclature juridique déjà éprouvée mais suggère une réforme des actes
uniformes qui pourraient accueillir les nouveaux contrats et, en particulier,
l’affacturage. A ce sujet, l’acte uniforme sur le droit commercial général semble bien
indiqué. L’affacturage s’inscrivant dans les modalités des transactions internes ou
internationales.
44. Une ample élaboration de l’institution manquerait d’efficacité puisque le détail n’est
souvent pas de taille. L’affacturage est en effet soumis à la volatilité d’une pratique
commerciale dont les adaptations fréquentes ne peuvent être saisies par le législateur.
Il serait, de ce point de vue, hasardeux de prétendre en régler toutes les aspérités. Le
droit ne saurait discipliner la pratique, notamment en matière commerciale, que sur les
questions relatives à l’ordre public ou à l’intérêt général. La force de la volonté
individuelle et la cohésion professionnelle compatibles avec la libre initiative
suffiraient à prévenir un encadrement ambitieux. Il faut, pour la même raison, éviter
une élaboration qui isole le droit bancaire communautaire. Le droit du financement
relève, pour l’essentiel, des mécanismes d’intégration économique et monétaire,
représentés par l’UEMOA et la CEMAC. Or, une élaboration ample exposerait
davantage au risque de conflits de normes entre différentes législations
communautaires.
16
2 – Les intérêts d’une élaboration souple
46. Le critère de souplesse, fille de la simplicité, est consubstantiel au processus
d’uniformisation. On se rappelle que la simplicité est l’un des objectifs visés aussi
bien dans le préambule que par l’art. 1er du traité.59 Le législateur OHADA gagnerait à
procéder à organiser avec souplesse un contrat spécial. Il en a, par ailleurs l’habitude.
C’est ainsi que dans la vente commerciale, il a, très tôt, opéré un renvoi au profit des
« règles du droit commun des contrats et de la vente qui ne sont pas contraires aux
dispositions du présent Livre »60. La convention d’Ottawa sur l’affacturage
international pourrait constituer une source d’inspiration.61 En effet, cette convention
s’est contentée de fixer le contenu de l’institution62, les droits et obligations des
parties63 ; de régler la situation particulière des cessions successives64 ainsi les
dispositions finales.65 Il conviendrait, d’insérer, dans l’AUDCG, les règles relatives à
l’affacturage dans les aspects compatibles aux objectifs du processus d’harmonisation.
On pourrait ainsi, pour le surplus, renvoyer au droit commun des contrats et de la
vente. A la suite de M. JACQUET, il faut convenir que le droit souple intéresse les
enjeux de la codification.66
47. La réflexion sur la prise en compte de nouveaux contrats en droit OHADA est
heureuse. L’ouverture des marchés internationaux, les avancées démocratiques notées
en Afrique en dépit de quelques tentatives de raidissement expose le continent à une
contractualisation progressive de la vie et, en particulier, de la vie économique. Les
besoins qui s’expriment méritent d’être satisfaits. Le continent africain, encore à
construire en dépit de toutes ses ressources et avec celles-ci ne pourra relever tous ses
défis qu’avec les instruments juridiques qui instaurent la coopération, la solidarité, le
profit et la prospérité partagés.
59
Dans le préambule du traité, les Hautes parties contractantes affirment en effet qu’elles sont
« Persuadés que la réalisation de ces objectifs suppose la mise en place dans leurs Etats d’un droit des
affaires harmonisé, simple, moderne et adapté, afin de facilité l’activité des entreprise ». C’est cet
esprit, entre autres, de simplicité que traduit l’article 1er du traité.
60
Art. 237 AUDCG.
61
Il s’agit de la convention d’Unidroit sur l’affacturage international adopté le 28 mai 1988. Cette
convention est entrée en vigueur le 1er janvier 1995, conformément à l’article 14 al. 1er, au titre
duquel : « La présente Convention entre en vigueur le premier jour du mois suivant l’expiration d’une
période de six mois après la date du dépôt du troisième instrument de ratification, d’acceptation,
d’approbation ou d’adhésion ».
62
C’est l’objet du premier chapitre : « Champ d’application et dispositions générales ».
63
C’est l’objet du chapitre II de la convention.
64
C’est l’objet du chapitre III.
65
Elles sont contenues dans le chapitre IV.
66
« Le droit souple semble avoir quelques affinités naturelles avec les entreprises de codifications ».
JACQUET (J.M.), « L’émergence du droit souple (ou le droit « réel » dépassé par son double », in,
OPPETIT (B.), (études), p. 333.
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