Simmonney Dominique Le Désir Et Son Interprétation

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JACQUES LACAN

Le désir et son interprétation, Séminaire 1958-1959

Dominique Simonney

ERES | « Essaim »

2014/1 n° 32 | pages 161 à 169


ISSN 1287-258X
ISBN 9782749241074
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-essaim-2014-1-page-161.htm
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Jacques Lacan
Le désir et son interprétation
Séminaire 1958-1959 1

Dominique Simonney

Ce séminaire des années 1958-1959, superbe, se lit comme un roman.


Se munir tout de même d’un crayon pour prendre des notes… Comme
quelques autres séminaires de Lacan (citons, Les quatre concepts…, Encore),
il se présente comme l’aboutissement d’années de travail. Un concept que
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l’on a vu en gestation lors des années précédentes prend forme : c’est à la
naissance de l’objet petit a qu’il nous est donné d’assister.
Au début du séminaire sa définition n’est pas encore aboutie. Lors de
la première séance, Lacan définit ainsi le fantasme ($<>a) : « […] il s’agit
du sujet comme parlant, en tant qu’il se réfère à l’autre comme regard, à
l’autre imaginaire » (p. 30).
Le regard reste dans le champ de l’imaginaire, petit a est encore un
petit autre qui permet au fantasme de  : «  Donner au désir du sujet son
niveau d’accommodation, de situation » (p. 30).
Six mois plus tard, Lacan avance que l’objet a : « […] participe d’un
rien auquel il se réduit. C’est au-delà de ce rien, que le sujet va chercher
l’ombre de sa vie d’abord perdue » (p. 442).
L’objet a est un outil théorique et clinique dont il n’est nullement
exagéré de dire qu’il est tout simplement exceptionnel et qu’il va permettre
un abord renouvelé de la question du fantasme et de la relation d’objet.
Lacan annonce la couleur : « Ce sera notre but cette année de définir
ce qu’est le fantasme, et peut-être même un peu plus précisément que la
tradition analytique n’est jusqu’ici arrivée à le faire » (p. 52).

1. J. Lacan, Le désir et son interprétation, séminaire 1958-1959, établi par Jacques-Alain Miller,
Éditions de La Martinière, Champ freudien éditeur, 2013.

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S’il est très largement question du désir dans ce séminaire, il l’est


encore plus du fantasme en tant qu’il le soutient, lui donne, comme il vient
d’être dit, son niveau d’accommodation.
Le fantasme permet à Lacan de remettre en cause les théories alors en
vogue de la relation d’objet. Ainsi peut-il dire, évoquant son écriture du
fantasme : « Ceci est la forme vraie de la prétendue relation d’objet, et non
la façon dont celle-ci a été jusqu’ici articulée » (p. 434).

La clinique du graphe

Le graphe trouve ici sa forme quasi achevée. La version définitive


se trouve dans l’article des Écrits « Subversion du sujet et dialectique du
désir ».
Désir et fantasme sont inséparables, reliés sur le graphe par une ligne
orientée du désir au fantasme. Cette orientation montre que ce n’est pas
le fantasme qui fait le désir, mais que celui-ci a besoin de celui-là pour
s’exprimer. Par contre, il existe des voies de retour qui montrent que le
fantasme peut rétroagir sur le désir.
Lacan trace certains segments du graphe en pointillés, marquant ainsi
la nature inconsciente de ces parcours. Les lignes pointillées n’existaient
pas dans la version de l’année précédente proposée lors du séminaire Les
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formations de l’inconscient, et n’apparaîtront plus dans « Subversion du sujet
et dialectique du désir ».
Lacan a-t-il jugé que ces pointillés pouvaient donner lieu à une lecture
trop simplificatrice de son graphe ?
La clinique tient une large place dans ce séminaire. Pas moins de cinq
leçons sont consacrées à l’examen du rêve d’un patient d’Ella Sharpe, et,
véritable morceau de bravoure et régal pour le lecteur, sept leçons le sont à
Hamlet. Avec ce dernier, nous sommes en plein dans la clinique, remarque
Lacan qui fait du héros de Shakespeare le type même du névrosé, soute-
nant tout à la fois son désir comme insatisfait (comme l’hystérique) et
impossible (comme l’obsessionnel).
Le rêve du père « qui ne savait pas qu’il était mort », issu de la Trau-
mdeutung, inaugure ce recours à la clinique. Lacan situe « il ne savait pas »
et « qu’il était mort », respectivement aux niveaux de l’énonciation et de
l’énoncé, et « selon son vœu », l’interprétation de Freud, sur la ligne qui
relie désir et fantasme. Ce que veut le rêveur (donc le fils) est, à travers
la ligne supérieure en forme de point d’interrogation, questionné par
l’Autre : c’est le « célèbre » Che vuoi ?
Ce que veut le sujet est situé par Lacan au lieu du manque de l’Autre
(A/), c’est le phallus : « Le signifiant de l’Autre barré… le signifiant caché,

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celui dont l’Autre ne dispose pas, est justement celui qui vous concerne…
Il s’agit très exactement de cette fonction énigmatique que nous appelons
le phallus » (p. 355).
Une cure dont rend compte Ella Sharpe, et plus précisément un
certain rêve de son patient, est longuement commentée par Lacan. Il rend
hommage à l’incontestable talent clinique de celle-ci tout en avançant ses
propres remarques.
Il est beaucoup question de phallus (et de masturbation) dans ce (très
long) rêve. Ella Sharpe, dans les interprétations qu’elle livre au patient,
fait état d’une rivalité avec le père, et des craintes de castration qui en
découlent. Lacan trouve cette interprétation quelque peu précipitée et fait
remarquer que ce bon objet « n’est jamais là où on l’attend » (p. 243).
Il en repère la présence chez un personnage qui accompagne de
manière silencieuse le sujet tout au long de son rêve. Il faut pour ce patient,
remarque Lacan, afin de préserver le phallus, qu’il soit hors jeu : « Eh bien,
ce phallus hors jeu est, dans le rêve, représenté tout simplement par le
personnage dont on penserait le moins qu’il le représente. C’est à savoir sa
femme » (p. 248).
Ce commentaire de l’observation d’Ella Sharpe est l’occasion pour
Lacan de longuement commenter le statut du phallus en tant que signifiant
du désir : « Le sujet est et il n’est pas le phallus. Il l’est parce que c’est le
signifiant sous lequel le langage le désigne, et il ne l’est pas pour autant
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que, sur un autre plan, le langage, et justement la loi du langage lui dérobe.
[…] La loi en quelque sorte apporte dans la situation une définition, une
répartition, un changement de plan. La loi lui rappelle qu’il l’a ou qu’il ne
l’a pas » (p. 257).
Cette distinction entre l’être et l’avoir permet à Lacan d’élaborer
certaines formules proposant une répartition selon les sexes du rapport au
signifiant phallique : côté homme, « il n’est pas sans l’avoir », côté femme,
« elle est sans l’avoir » (p. 258).
Venons-en maintenant au commentaire d’Hamlet. Avec Hamlet, nous
sommes en plein dans la clinique, fait remarquer Lacan, comme nous
l’avons dit précédemment. Et il en fait la brillante démonstration. C’est
essentiellement au niveau du désir et du fantasme, et donc de la position
qui est la leur sur le graphe que se situera le commentaire.
Il montre qu’au-delà de l’ambivalence œdipienne que Freud le premier
a signalée – certes il faut venger le père, mais Claudius n’a-t-il pas accompli
le meurtre dont Hamlet, inconsciemment, rêvait –, il y a autre chose. Cette
autre chose qui contribue grandement à l’impuissance d’Hamlet est le désir
de sa mère. Désir d’une femme qui ne connaît pas de limite à sa jouissance,
qui n’a même pas fait semblant de respecter les convenances qu’aurait
exigées son deuil : « Le désir de la mère reprend ici pour lui la valeur de

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quelque chose qui ne saurait d’aucune façon être dominé, soulevé, levé »
(p. 334). Exemple « édifiant » de sa formule célèbre : « Le désir de l’homme
c’est le désir de l’Autre. »
Le désir ne se réduit cependant pas pour Hamlet à celui de sa mère.
Lacan pointe une figure du phallus dans Ophélie, dont le nom même,
remarque-t-il, trouve son origine dans ce fameux Phallos.
Mais il n’est pas possible de parler du désir d’un sujet sans repérer son
fantasme, pour autant, dit-il, que « le fantasme est pour nous l’axe, l’âme,
le centre, la pierre de touche du désir » (p. 291).
Sur le graphe, le désir marqué « d » se trouve faire face au fantasme,
qui se poursuit dans deux directions opposées  : l’une «  remonte  » vers
le signifiant de l’Autre barré, donc vers l’inconscient alors que l’autre
« descend » vers la ligne inférieure, celle du spéculaire. Cette dernière qui
relie le moi à l’image de l’autre est d’ailleurs en position d’homologie par
rapport à celle qui relie le désir au fantasme.
Le statut imaginaire du fantasme, qui saute aux yeux cliniquement, a
sa raison dans cet appui de son soubassement imaginaire.
Lacan trouve dans Hamlet une éclatante illustration de ce qu’il avance
de l’homologie de ces deux lignes : lors de la scène du cimetière, Hamlet
voit Laërte se précipiter dans le trou où le corps d’Ophélie vient d’être
descendu. II s’y rue à son tour pour disputer à celui-ci l’intensité de la
douleur que provoque cette mort. Rivalité moïque (ligne inférieure) qui va
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permettre à la ligne supérieure du fantasme de s’exprimer enfin, Ophélie
désormais «  impossible  », devient objet de son désir. Hamlet peut alors
effectuer l’acte de tuer le Roi, non sans faire le détour d’un autre parcours
moïque : le combat à mort avec son « frère » Laërte.

Pour en finir avec la relation d’objet

Nous avons vu en introduction que Lacan tient sa formule du fantasme,


comme « forme vraie de la prétendue relation d’objet ».
Si cette dernière est « prétendue », cela veut dire qu’il se peut que cette
formule : « relation d’objet », soit une coquille vide, pire, un fantasme de
psychanalyste visant à l’adaptation de son patient aux normes en vigueur,
dont lui, le psychanalyste, se pense porteur.
C’est cette prétention que Lacan a déjà dénoncée, deux ans auparavant,
dans son séminaire intitulé, précisément, La relation d’objet. Il revient donc
« à la charge », mais mieux outillé, avec la construction du graphe et une
définition du fantasme renouvelée par un objet a qui prend la forme, non
plus du petit autre, mais du reste : c’est un « objet de coupure » (p. 453).

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Dès lors, il est possible de séparer l’objet, imaginaire, celui que révèle
l’expérience spéculaire, de l’objet reste, qui participe du réel, l’objet a.
Pour asseoir sa critique de la relation d’objet, Lacan revient à plusieurs
reprises sur l’enseignement de Melanie Klein, qu’il considère comme
l’appui principal des tenants de cette théorie. Cette critique s’impose
d’autant plus à lui que ces «  tenants  » de la relation utilisent la théorie
kleinienne pour justifier une conception de la fin de l’analyse comme
incorporation du phallus « bon objet » de l’analyste, poussant le patient à
s’identifier à ce supposé idéal.
Lacan remarque que l’opposition kleinienne bon/mauvais objet
concerne le même objet : la mère. Il s’agit donc là d’une première opposi-
tion signifiante. Le moment où le sujet se considère comme un tout (phase
dépressive) n’est autre que ce stade du miroir où il peut concevoir pour
lui-même un dedans et un dehors. Ainsi peut se distinguer, dit Lacan,
« l’expérience qui définit le sujet de la première identification à la mère, et
précisément à ses insignes… » et d’autre part « le registre qui définit ce i(a)
où le sujet est typiquement et idéalement l’image de ce jeune semblable,
avec lequel nous le voyons de la façon la plus claire faire ses expériences
de maîtrise, de prestance » (p. 525).
Il fait donc une distinction entre signifiant et objet, qui n’est pas dans
l’œuvre de Melanie Klein, mais peut néanmoins donner la raison du succès
de quelques interprétations faites par celle-ci qui opèrent par le miracle…
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du verbe.
À l’inverse, l’objet a participe de la coupure. Il est certes inspiré
de l’objet transitionnel de Winnicott, mais sa nature a changé, de s’être
articulé au désir (par le biais du fantasme), donc au sexuel.
Cet objet, rapproché par Lacan de la bobine du fort-da freudien, est
donc articulé au pulsionnel  : «  Ce jeu, à partir de quand pouvons-nous
le considérer comme promu à sa fonction dans le désir  ? À partir du
moment où il devient fantasme. Il faut pour cela que le sujet n’entre plus
dans le jeu, mais le court-circuite, pour s’anticiper et s’inclure tout entier
dans le fantasme, où il se saisit lui-même dans sa disparition. Il le fait non
sans peine, bien entendu, mais pour ce que j’appelle fantasme en tant
que support du désir, il est exigible que le sujet y soit représenté dans le
moment de sa disparition » (p. 491).
La disparition du sujet «  dans son objet  », au cours du fantasme,
permet de mettre à sa vraie place l’aphanisis théorisé par Jones comme
crainte du sujet de la disparition de son désir : « En effet, si le mot aphanisis
– disparition ou fading ai-je dit encore – nous est utilisable dans le fantasme,
ce n’est pas en tant qu’aphanisis du désir, c’est qu’à la pointe du désir, il y
a aphanisis du sujet » (p. 501).

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L’objet a se différencie, insiste Lacan, de celui qu’«  une perspective


génétique promeut comme l’objet primitif d’une impression primordiale ».
Il participe « d’un rien auquel il se réduit » (p. 442). Comme reste de toute
demande possible, l’objet a rejoint le réel, explique Lacan. Il insiste « je dis
le réel et non pas la réalité, car la réalité est constituée par tous les licols que
le symbolisme humain, de façon plus ou moins perspicace, passe au cou du
réel en tant qu’il en fait les objets de son expérience » (p. 565).
Lacan précise : « Ce que nous appelons petit a est l’objet du désir sans
doute, mais à la condition de bien préciser qu’il ne se coapte pas pour
autant au désir. Il entre en jeu dans un complexe que nous appelons le
fantasme » (p. 446).
C’est pourquoi, sur le graphe, le désir marqué «  d  » se trouve faire
face au fantasme, seul lieu du graphe où apparaît petit a, « poinçonné » à
S barré. Le désir ne rencontre petit a que dans le fantasme.
Lacan donne une liste des objets a qui peut être considérée comme un
hapax, on ne la retrouve nulle part ailleurs sous cette forme. Il énumère
« trois espèces » de petit a : l’objet prégénital, le phallus et le délire (p. 452).
Dans l’ordre, les objets oraux et anaux, le phallus et la voix dans le délire.
Il convient de préciser que le phallus objet a n’est pas -ϕ, mais le
phallus dans son rapport à la mutilation, et plus précisément à la coupure,
à la marque du signifiant : Lacan évoque à ce propos la circoncision.
Concernant le phallus symbolique, le phallus comme signifiant, Lacan
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en multiplie les définitions : élément « soustrait à la chaîne de la parole en
tant qu’elle engage tout rapport avec l’Autre », « signifiant spécialement
délégué au rapport du sujet avec le signifiant », « métonymie du sujet dans
l’être » alors que le désir est « métonymie de l’être dans le sujet » (p. 34-35).
La castration, en tant qu’elle est d’abord effet de langage, est à référer à cet
élément soustrait, symbole du manque, métonymie d’un sujet barré qui
jamais ne rejoint l’être.
Même si le Phallus est le signifiant du désir, en tant que désir de
l’Autre, cela ne signifie pas qu’il faille s’en tenir à cette position phallo-
centrique signale Lacan. En effet, l’objet du désir, c’est l’objet a du graphe.
Cependant, Lacan semble quelque peu embarrassé pour donner son statut
à cet objet. Est-il inconscient ? Cela semble difficile puisqu’il n’est pas un
signifiant. Lacan « s’en sort » en disant : « Si l’objet parvient au sujet incons-
cient, il y parvient en tant qu’il est vœu de le reconnaître, qu’il est signifiant
de sa reconnaissance. Bref le désir n’a d’autre objet que le signifiant de sa
reconnaissance » (p. 563).
En quelque sorte, explique-t-il, le sujet est passé de l’autre côté du
rapport sujet objet, il est passé en a. L’objet a peut donc, dans une certaine
perspective, être rapporté au signifiant du désir, le phallus. Tout en se
différenciant de celui-ci en tant qu’objet.

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Névrose et perversion

Beaucoup de remarques, au cours de ce séminaire, portent sur la


névrose et la perversion. Rien, ou presque sur la psychose.
Dès qu’Hamlet entre en scène, Lacan multiplie les remarques sur la
névrose et les symptômes névrotiques. À tout seigneur tout honneur, le
« prince » de la procrastination est en ces termes salué par Lacan : « Notre
Hamlet procrastine, et tout au long de la pièce, ce qui en fait par excel-
lence la pièce de la procrastination » (p. 293), et il ajoute un peu plus loin
« […] chez l’obsessionnel l’élément révélateur de la structure… la fonction
majeure du désir consiste ici, cette heure de la rencontre désirée, à la main-
tenir à distance, à l’attendre » (p. 349). Ce jeu avec l’heure de la rencontre,
dit Lacan  : «  Domine essentiellement le rapport de l’obsessionnel à son
désir » (p. 350).
Que la question du désir et de ses manifestations symptomatiques
soit toujours à référer au désir de l’Autre, c’est là un des grands enseigne-
ments de ce séminaire, même si le propos n’est pas tout à fait nouveau
chez Lacan. Celui-ci le formule ainsi lors de la séance du 8  avril 1959  :
«  Ce discours pour l’Autre […] se prolonge au-delà de l’Autre, pour
autant qu’elle est reprise par le sujet à partir de l’Autre, pour constituer la
question – Qu’est-ce que je veux ? Plus exactement, la question s’adresse ici
au sujet, et sous une forme déjà inversée – Que veux-tu ? »
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Cette question, dont il convient de noter qu’elle n’est pas sans rapport
avec l’article de Lacan sur « Le temps logique », explique que l’obsessionnel
anticipe toujours trop tard alors que l’hystérique souffre d’un rapport à
son objet marqué d’immaturation, d’un « c’était trop tôt ». Dans son objet,
remarque Lacan, le sujet cherche toujours à lire son heure.
Lecture problématique, ainsi que le pointe cette définition de la
névrose, aussi valable pour un personnage de Labiche que pour un certain
héros de Shakespeare  : «  […] le névrosé est toujours occupé à faire des
bagages, ou son examen de conscience – c’est la même chose – ou à orga-
niser son labyrinthe – c’est la même chose. Il rassemble ses bagages, il en
oublie ou il les met à la consigne, mais ce sont toujours des bagages pour
un voyage qu’il ne fait jamais » (p. 542).
L’objet du fantasme, pour autant qu’il s’agit du désir, il s’agit de ne pas
l’approcher, fait-il remarquer (p. 504), et il explique ainsi la promotion, en
tant qu’interdit, de l’objet phobique, tout comme le caractère d’impossible
ou d’insatisfaisant des désirs de l’obsessionnel et de l’hystérique.
Cet évitement vaut pour l’objet et vaut aussi pour le rapport du sujet
au phallus. On a vu que si le sujet est le phallus, il ne l’a pas et que s’il l’a, il
est soumis à la castration. Le névrosé, remarque Lacan, joue de cette alter-
nance. Il « utilise l’alternative fondamentale sous une forme métonymique,

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en ceci que, pour lui, ne pas l’avoir est la forme sous laquelle il s’affirme, et
de façon masquée, l’être. Il n’a pas le phallus pour être le phallus, de façon
cachée, inconsciente » (p. 532).
Le rapport, au phallus comme à l’objet, est autre dans la perversion.
Lacan insiste sur la différence entre fantasme pervers et perversion. Cepen-
dant, la distinction n’est pas toujours évidente, me semble-t-il, dans ses
propos.
Il fait un certain nombre de commentaires sur le rapport de l’homo-
sexuel au phallus. Il postule que l’hypothèse classique, celle d’un phallus
paternel « résidant à demeure dans le vagin de la femme et […] redouté à
ce titre », est peut-être un peu courte. Il fait état d’un fantasme (repéré par
un analyste nommé Felix Boehm) « d’une évagination, l’extra-position de
l’intérieur de l’organe vaginal. Dans ce fantasme […] l’appendice phallique
apparaît comme fait de l’extériorisation de l’intérieur » (p. 437).
Lacan s’intéresse, à plusieurs reprises, à la question de l’apparition
d’une perversion transitoire dans la cure. Il cite, entre autres, le cas rapporté
par une psychanalyste belge, cas dont il a déjà fait état dans un séminaire
précédent, celui d’un homme qui fait état de son désir de coucher avec
son analyste, et qui rêve d’un homme en armure, d’une armure avançant
derrière le sujet, mais armée d’une seringue de Fly-tox.
L’analyste interprète en termes « d’expérience réelle de la mère phal-
lique », Lacan suppose, au vu de l’observation rapportée, que « le sujet fait
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surgir là l’image nécessaire et manquante du père ». Mais parmi les remar-
ques de Lacan je retiens surtout celle-ci : « Au nom de certains principes,
ledit principe de réalité en l’occasion, l’analyste eut le tort de se permettre
de jouer du désir du sujet comme s’il s’agissait là de ce qui devait être
remis en place » (p. 489).
À partir de ce genre de constat, c’est-à-dire du surgissement de perver-
sions transitoires quand un analyste veut réintroduire la réalité (c’est-à-
dire la sienne) dans une cure, Lacan conclut : « C’est en ce sens que nous
pouvons poser que ce qui se produit comme perversion reflète, au niveau
du sujet logique, la protestation contre ce que le sujet subit au niveau de
l’identification, en tant que celle-ci est le rapport qui restaure et ordonne la
stabilisation sociale des différentes fonctions » (p. 569).
Lacan aborde aussi la perversion à partir du splitting de l’objet, de sa
refente, à mettre en perspective avec celle du moi dont Freud parle tout à
la fin de sa vie.
De ce splitting, Lacan trouve le témoignage dans divers textes sur la
perversion écrits dans les années quarante et cinquante par un analyste
nommé W.H. Gillepsie, mais lui le trouve chez Gide. Il repère chez ce dernier
un splitting qui « se présente sous forme de deux volets identificatoires, à
l’image narcissique de soi-même, i(a), et l’autre à la mère » (p. 545).

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On peut dire que cette fente, qui fracture l’objet, et qui est aussi bien
celle du sexe féminin, mais encore celle de la division du sujet, cette fente
que le névrosé craint et évite, ou n’aborde que dans la honte de son fantasme
pervers, le pervers s’en arrange, plus, ordonne sa construction subjective
autour d’elle. Car, dit Lacan, « ce qui est au cœur de l’identification primi-
tive se trouve au fond de la structure du sujet pervers lui-même. Chez
le névrosé, le désir est à l’horizon de toutes ses demandes, longuement
déployées et littéralement interminables. Chez le pervers, le désir est au
cœur de toutes ses demandes, et à le lire dans son déroulement, il apparaît
incontestablement noué autour d’exigences esthétiques » (p. 550).
Chez Gide, au dire de Lacan, le fantasme articule le rapport du désir et
de la lettre. Et implique un processus de sublimation du désir.
Lacan élargit la perspective à la perversion, « entendue sous sa forme
la plus générale, comme ce qui, dans l’être humain, résiste à toute normali-
sation – nous pouvons voir se produire ce discours, cette apparente élabo-
ration à vide que nous appelons sublimation, et qui, dans sa nature comme
dans ses produits, est distinct de la valorisation sociale qu’on lui donnera
ultérieurement » (p. 571).
Faut-il souligner qu’il importe de ne pas négliger cette précision de
Lacan, qui précise qu’il parle ici de la perversion « entendue sous sa forme
la plus générale » ?
Ne serait-ce pas là l’envers de la névrose qu’évoquait Freud et dont
© ERES | Téléchargé le 15/01/2021 sur www.cairn.info par macla Nunes (IP: 201.17.70.66)

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Lacan, mettant l’une et l’autre en perspective, nous livre un éloquent
aperçu de leurs rapports, à bien des points de vue divergents, voire
opposés, au désir et au fantasme ?

En conclusion, saluons l’apparition, dans la transcription d’un sémi-


naire de Lacan, d’un index des noms propres. Et aussi d’un appareil de
notes, intitulé Marginalia, probablement parce que, de son propre aveu,
l’auteur de ces notules y associe librement.
Au lecteur d’apprécier.

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