Rapport D'Information: Sénat
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Rapport D'Information: Sénat
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
RAPPORT D’INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre
les hommes et les femmes (1) sur le bilan d’application de la loi Sauvadet, dix
ans après son adoption,
Sénatrices
(1) Cette délégation est composée de : Mme Annick Billon, présidente ; M. Max Brisson, Mmes Laurence Cohen,
Laure Darcos, Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam, Nadège Havet, MM. Marc Laménie, Pierre Médevielle, Mmes Marie-Pierre
Monier, Guylène Pantel, Raymonde Poncet Monge, Dominique Vérien, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Sylviane Noël,
secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Bruno Belin, Mme Alexandra Borchio Fontimp, M. Hussein Bourgi, Mmes Valérie Boyer,
Isabelle Briquet, Samantha Cazebonne, M. Jean-Pierre Corbisez, Mme Patricia Demas, M. Loïc Hervé, Mmes Annick Jacquemet,
Micheline Jacques, Victoire Jasmin, Else Joseph, Kristina Pluchet, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Lana
Tetuanui, Sabine Van Heghe, Marie-Claude Varaillas.
-3-
SOMMAIRE
Pages
AVANT-PROPOS .................................................................................................................. 7
B. LES PROGRÈS DANS LES FLUX PEINENT À SE TRADUIRE DANS LES STOCKS ....15
1. Le nombre de femmes en fonctions sur des postes à responsabilités augmente lentement,
sans accélération notable ...................................................................................................15
2. L’impact des quotas de flux sur les stocks n’est pas automatique .......................................16
a) Le dispositif des nominations équilibrées ne concerne que les
primo-nominations ....................................................................................................16
b) Les femmes nommées ne restent pas nécessairement en fonctions .......................17
c) La composition initiale des viviers des emplois concernés par le dispositif
importe .......................................................................................................................17
ANNEXES ..............................................................................................................................57
1. RECOMMANDATIONS : TABLEAU DE MISE EN ŒUVRE ET DE SUIVI .......................................59
2. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ...............................................................................61
3. COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE .................................................................................63
-7-
AVANT-PROPOS
1 Loi n° 2012‑347 du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des
conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les
discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique
2 Rapport d’information n° 757 (2020-2021) du 8 juillet 2021 Parité en entreprise : pour de
nouvelles avancées, dix ans après la loi Copé-Zimmermann, fait au nom de la délégation aux
droits des femmes par Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam et Dominique Vérien.
3 Loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
-8-
1 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
- 13 -
3. Un suivi des chiffres sur dix ans montre une lente augmentation
des primo-nominations féminines
50%
42% 43%
45%
40% 36% 37%
34% 35%
33% 33%
35%
30%
25%
20%
15%
10%
5%
0%
2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020
Source : ministère de la transformation et de la fonction publiques
10%
0%
2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021*
* Les chiffres 2021 concernent uniquement les nominations à décision du Gouvernement et les
emplois de direction en administration centrale
Source : ministère de la transformation et de la fonction publiques
- 15 -
1Marry, C., Bereni, L., Jacquemart, A., Pochic, S., Revillard, A. Le plafond de verre et l’État : La
construction des inégalités de genre dans la fonction publique. Armand Colin, 2017.
- 16 -
2. L’impact des quotas de flux sur les stocks n’est pas automatique
l’extérieur à l’heure actuelle. [Le métier de sous-préfet] est toutefois souvent très
solitaire et les femmes partent. Nous ne disposons pas d’un vivier solidifié, parce que
trop peu de femmes font carrière dans ce corps. Le fait que l’on contractualise ce
corps fera venir, je le crains, plus d’hommes en contrat que de femmes. Ce sujet doit
être approfondi, Femmes de l’Intérieur l’étudiera. »
Mais alors que les viviers de femmes existent indubitablement et
traditionnellement dans des secteurs comme ceux de la fonction publique
hospitalière, du ministère de la culture ou des ministères de l’éducation
nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et que l’ensemble
des employeurs publics ont eu déjà dix ans pour mener des actions en faveur
de la constitution de viviers, l’argument de l’absence de vivier semble
souvent utilisé comme un faux prétexte, témoignant de la persistance de
résistances systémiques.
1Décret n° 2018-1306 du 27 décembre 2018 modifiant le décret n° 2012-601 du 30 avril 2012 relatif
aux modalités de nominations équilibrées dans l’encadrement supérieur de la fonction publique.
- 19 -
€6 800
€6 600
écart de 12
€6 400
€6 200 €6 096
€6 000
€5 800
€5 600
Hommes Femmes
Source : Siasp, Insee. Traitement DGAFP – Sdessi
montons dans le grade, plus l’érosion de la présence des femmes est importante.
Le phénomène est similaire chez les directeurs des établissements sociaux et
médicosociaux, qui sont pourtant largement féminisés, avec 64 % de femmes. Dans
les emplois fonctionnels de cette catégorie, elles ne sont plus que 46 %. »
1 Parité dans le secteur public : des avancées réelles mais lentes, un levier de transformation publique
à saisir – Rapport du HCE n° 2021-02-23 PAR – 46 voté le 23 février 2021.
- 31 -
hommes et pour des hommes. Il est primordial de remettre sur le métier l’étude de
ces parcours professionnels. Plus que la question d’un certain nombre de passages
obligés, tels que le passage en cabinet, la question de la mobilité pour l’ensemble des
fonctionnaires pour pouvoir être nommés à des postes plus élevés reste un sujet
majeur. Nous observons en outre un manque de transparence sur les
nominations. Certaines ont encore lieu sans jury de recrutement, sans qu’on en
connaisse vraiment les critères et objectifs. Il est très important de pouvoir favoriser
cette transparence. Marlène Schiappa, à l’époque secrétaire d’État chargée de
l’égalité femmes hommes, avait tenté de répondre à ce problème. Elle avait, en mai
2019, pris une décision pour tenter de lutter contre ce marché caché qui continue à
exister. Cette décision, qui prévoyait notamment une diffusion aux réseaux féminins
de l’administration des postes à pourvoir n’a malheureusement pas été appliquée ».
secteur privé. Ces outils extrêmement simples à mettre en œuvre sont fondés sur la
transparence. L’Index Pénicaud est utile, car il comporte un levier réputationnel sur
l’organisation concernée par la publication de ces chiffres. Il est très important de
pouvoir appliquer le même dispositif sur l’administration publique et de se servir du
même levier réputationnel. Nos directeurs et secrétaires généraux, comme les chefs
d’entreprises, sont très attentifs à la réputation de leurs services et à la façon dont
ils sont pilotés ».
De même, Agnès Saal, haute fonctionnaire à la responsabilité
sociales des organisations du ministère de la culture, a affirmé devant la
délégation : « la transposition de l’index de l’égalité professionnelle au secteur
public nous semble une priorité, une urgence ».
Enfin, il apparaît indispensable que cet index de l’égalité
professionnelle s’applique à l’ensemble des trois fonctions publiques.
Françoise Belet, déléguée nationale de l’AATF, a ainsi rappelé que cette
association demandait également « une transposition de l’Index de l’égalité
professionnelle, (dit Pénicaud) au secteur public, y compris aux collectivités
territoriales ».
les hommes assistent à des réunions importantes en présentiel. Ces sujets doivent
être suivis pour constituer un réel progrès et non une régression ».
La délégation estime en effet que la question de la meilleure
articulation des temps de vie doit concerner l’ensemble des hauts
fonctionnaires, hommes comme femmes, pour que cette notion ait du sens
et ait un réel impact sur le déroulement des carrières des femmes
notamment.
Une réelle politique d’égalité professionnelle dans le domaine de la
haute fonction publique doit donc impérativement inclure cette réflexion sur
l’articulation des temps de vie au bénéfice de tous, au risque de freiner la
féminisation de l’encadrement supérieur de la haute fonction publique voire
de « ghettoïser » davantage les femmes.
Cette réflexion implique de repenser l’organisation du temps de
travail, les horaires des réunions, les sollicitations trop nombreuses à des
horaires atypiques, etc.
Ainsi, Corinne Desforges, vice-présidente de l’association Femmes de
l’Intérieur, inspectrice générale de l’administration, a souligné devant la
délégation : « le plus gros problème relève selon moi de l’organisation du temps de
travail. Je suis évidemment favorable à la loi Sauvadet, qui constitue une excellente
avancée, mais nous aurions dû réfléchir à certains sujets en amont. Les femmes
veulent bien prendre des postes de responsabilités, jusqu’à ce qu’elles se rendent
compte qu’elles les occupent au détriment de leur vie personnelle. Nous aurions dû
anticiper l’organisation du travail et ne pas organiser de réunions jusque 21 heures,
par exemple. J’avais moi-même demandé à une directrice au ministère si elle ne
pourrait pas tenter, avec son équipe, de partir chaque jour à 19 heures pendant une
semaine, comme tout le monde le fait dans les pays étrangers. Elle m’a dit que c’était
impossible. Ainsi, accepter le poste qui leur est proposé représente pour certaines
femmes un réel cas de conscience au regard des lourdes contraintes qui y sont
associées. Vous parliez de ce cas chez les hommes de 40 ans, qui doivent choisir entre
leur carrière ou leur vie. Pour les femmes, c’est la même chose, mais tout le temps.
En raison de la charge mentale, elles hésitent à passer le cap de rentrer à 21 heures
en n’ayant plus aucune vie personnelle. Nous aurions dû, et nous pouvons encore le
faire, réorganiser les méthodes de travail dans la haute fonction publique à Paris, qui
est quand même très spécifique à la France ».
S’agissant de l’influence de l’articulation des temps de vie sur
l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans la haute
fonction publique, la question de l’approche différente de cette question par
les hommes et par les femmes a également été soulevée par plusieurs
intervenants de la table ronde de la délégation, le 24 février 2022.
Ainsi, Caroline Chassin du SMPS a souligné l’importance, s’agissant
de l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle, de traiter du
sujet de l’égalité femmes-hommes « en tenant compte du fait que les hommes
n’ont pas les mêmes droits que les femmes dans leur vie personnelle. Nous défendons
l’extension du congé paternité. Malgré l’effort récemment consenti à ce sujet, il reste
- 47 -
des inégalités sur l’accueil de l’enfant, qui est dévolu à la mère par la loi. Le père ne
bénéficie pas des mêmes droits. Le couple de parents n’a d’ailleurs pas le droit de
répartir les jours de congé d’accueil de l’enfant comme il l’entend ».
Elle a également insisté sur la nécessité d’un rééquilibrage entre vie
professionnelle et vie personnelle : « plus les hommes auront la possibilité de se
libérer des contraintes d’un milieu professionnel fait par des hommes pour des
hommes pour s’investir davantage dans la sphère privée, plus les femmes pourront
accéder à des postes à responsabilités, et réciproquement. Il nous faut donc mener ce
combat ensemble. Je pense que beaucoup de nouvelles générations y aspirent. Nous
parviendrons à mener ce combat de l’égalité ensemble ».
La délégation partage l’analyse selon laquelle la conciliation entre la
vie professionnelle et la vie personnelle est un sujet qui concerne autant les
femmes que les hommes, et que toute mesure en faveur d’un meilleur
arbitrage en matière d’articulation des temps de vie profitera autant aux
femmes qu’aux hommes.
EXAMEN EN DÉLÉGATION
de responsabilité et se concentraient sur les postes les moins hauts placés et sur les
postes d’expertise.
Au sein de la fonction publique territoriale, la proportion de femmes
nommées à des postes à responsabilité a nettement augmenté, les collectivités étant
historiquement en retard en matière de parité.
Cependant, des progrès restent à faire sur les postes à plus hautes
responsabilités ou techniques. Les nominations ont concerné essentiellement des
postes de directeur adjoint des services (DGAS) – occupés à 41 % par des femmes
en 2020 – tandis que seuls 20 % des postes de directeur général des services (DGS)
et 15 % des postes de directeur général des services techniques (DGST) sont occupés
par des femmes.
Enfin, dans la fonction publique hospitalière, une féminisation
historiquement élevée cache une situation contrastée. En 2020, 42 % des emplois
d’encadrement supérieur et dirigeant y sont occupés par des femmes. Pour autant,
les femmes sont davantage à la tête d’établissements sanitaires, sociaux et
médico-sociaux (53 % de femmes) et de directions de soins (74 % de femmes) que
d’hôpitaux (27 % de femmes) et CHU (39 %), postes considérés comme les plus
prestigieux.
Les disparités dans les postes se retrouvent au niveau des salaires. Ainsi,
selon les données du Syndicat des managers publics de santé (SMPS), au sein de
la fonction publique hospitalière, le salaire net moyen des femmes est inférieur
de 21 % à celui des hommes. À responsabilités équivalentes, les femmes semblent
moins bien rémunérées que les hommes : les cadres supérieurs de santé, bras droits
des directeurs des soins, sont moins bien rémunérés que les ingénieurs, bras droits
des directeurs techniques.
Ces différents constats et ces difficultés persistantes nous ont donc amenées
à dresser douze recommandations, que ma collègue Dominique Vérien va
maintenant vous présenter.
Dominique Vérien, co-rapporteure. – Merci chère collègue !
Il me revient maintenant de vous présenter nos douze recommandations,
qui se répartissent en trois grandes thématiques que l’on pourrait résumer ainsi :
1. - élargir les obligations paritaires et renforcer leur suivi et les sanctions
associées ;
2. - accompagner davantage les femmes dans leurs parcours de carrière
dans la durée ;
3. - renforcer la mobilisation des employeurs publics autour d’une politique
d’égalité professionnelle et salariale ambitieuse.
Tout d’abord, nous estimons que le moment est venu d’élargir les
obligations paritaires des employeurs publics et de renforcer leur application.
Nous l’avons vu, les quotas portant sur les primo-nominations de femmes
dans les postes d’encadrement supérieur et de direction de la fonction publique,
- 53 -
assortis de sanctions financières, ont fini par porter leurs fruits, dans un contexte
qui demeure toutefois fragile et soumis à divers aléas.
Nous sommes aujourd’hui favorables à un élargissement des obligations
paritaires des employeurs publics avec, pour finalité, une extension des ambitions et
du périmètre de la loi.
C’est pourquoi nous proposons :
- de définir l’objectif poursuivi par la loi en termes de stock et non plus
seulement en termes de flux avec la fixation d’un quota de 40 % du sexe
sous-représenté dans le stock des postes d’encadrement supérieur et dirigeant de la
fonction publique ;
- d’imposer un quota de 50 % de primo-nominations du sexe
sous-représenté (objectif de flux) ;
- d’élargir le périmètre d’application des quotas à l’ensemble des postes de
direction, aux établissements publics et aux collectivités de plus de 20 000 habitants.
Afin de dissuader véritablement les employeurs publics de se soustraire à
leurs obligations de quotas, nous recommandons également de renforcer les
sanctions financières prévues par la loi Sauvadet.
S’agissant de l’amélioration du suivi des obligations paritaires dans la
haute fonction publique qui constitue également une manière de renforcer leur
application, nous estimons aujourd’hui nécessaire :
- d’une part, de désagréger les statistiques publiées relatives au respect de
ces obligations afin d’en améliorer la transparence. Nous plaidons pour une
distinction plus fine entre les différents emplois d’encadrement occupés afin, par
exemple, de ne plus comptabiliser de la même façon une sous-préfète de département
et une préfète de région ;
- d’autre part, d’anticiper la publication de ces statistiques en mettant fin
au décalage de deux ans qui consiste à publier en avril de l’année N les résultats
définitifs de l’année N-2. Il s’agit à la fois d’un enjeu de plus grande transparence
mais aussi de crédibilité de l’efficacité de ce dispositif. Les entreprises privées
publient en mars de chaque année les résultats des quotas Copé-Zimmermann de
l’année précédente. Les employeurs publics doivent s’astreindre aux mêmes délais.
J’en viens maintenant à notre deuxième grande thématique :
l’accompagnement des femmes dans leur parcours de carrière, sur la durée, en
construisant une véritable politique des RH dans la fonction publique.
Au cours de notre table ronde du 24 février dernier, la ministre de la
fonction publique Amélie de Montchalin avait déclaré : « le renforcement de la
place des femmes ne se fera que par la construction d’une véritable politique
de ressources humaines dans notre fonction publique ».
Nous estimons que la construction de cette politique en faveur des femmes
de la haute fonction publique doit avoir pour finalité un meilleur accompagnement
des femmes tout au long de leur carrière, en leur garantissant plus de transparence
- 54 -
quant aux critères de nomination au sein des postes d’encadrement, aux postes à
pourvoir et aux procédures de sélection pour ces postes.
Mettre en place une véritable politique de ressources humaines au sein de la
haute administration impose également d’agir sur le vivier de femmes, non
seulement au niveau du recrutement initial mais aussi aux différents échelons d’une
carrière.
Enfin, troisième et dernier champ de recommandations : le renforcement de
la mobilisation des employeurs publics autour d’une politique d’égalité
professionnelle et salariale dans la fonction publique.
Renforcer cette mobilisation peut recouvrir plusieurs aspects :
- promouvoir un portage politique plus ambitieux de la question de la
parité dans la haute fonction publique, sur le plan institutionnel notamment avec la
mise en place d’un comité interministériel dédié à ces sujets, l’intégration de ce sujet
dans les contrats d’objectifs et de moyens des établissements publics, ou encore la
nomination de hautes fonctionnaires à l’égalité dans les grandes collectivités
territoriales ou les grosses structures de la fonction publique hospitalière, sur le
modèle de ce qui existe dans les ministères ;
- encourager les actions concrètes des employeurs publics en faveur de
l’égalité professionnelle en valorisant par exemple la politique des Labels Égalité
dans l’ensemble des administrations afin aussi d’emporter l’adhésion des employeurs
publics aux bienfaits de la mixité et de l’égalité dans le processus de prise de décision
publique.
Nous estimons également que la question de l’égalité salariale et celle de la
transparence de la grille des rémunérations dans la haute fonction publique sont
primordiales. C’est pourquoi nous plaidons pour la transposition, au sein des trois
fonctions publiques, de l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes, qui existe déjà dans le secteur privé, en l’adaptant bien sûr aux spécificités
du secteur public. Cet index comporterait des critères et indicateurs objectifs
permettant de mesurer le degré d’implication des employeurs publics dans la mise en
œuvre d’une politique d’égalité professionnelle et salariale.
Enfin, il est urgent de développer, au sein de la haute fonction publique, des
méthodes de travail de nature à favoriser une meilleure conciliation entre vie
professionnelle et vie personnelle, au bénéfice de tous. Nous estimons en effet que la
question de la meilleure articulation des temps de vie doit concerner l’ensemble des
hauts fonctionnaires, hommes comme femmes, pour que cette notion ait du sens et
un réel impact sur le déroulement des carrières des femmes notamment. Cette
réflexion implique de repenser l’organisation du temps de travail, les horaires des
réunions, les sollicitations trop nombreuses à des horaires atypiques, etc. Si l’on
souhaite que les hommes aient plus de temps pour la vie familiale, avec une réelle
égalité à la maison, cela implique qu’ils ne restent pas trop tard au travail.
La conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle est un sujet
qui concerne autant les femmes que les hommes, et toute mesure en faveur d’un
meilleur arbitrage en matière d’articulation des temps de vie profitera autant aux
femmes qu’aux hommes.
- 55 -
répartir sur tout l’éventail des postes. Il faut des hommes sur les postes considérés
comme moins nobles. Il faut sortir de cette idée saugrenue que le soin est réservé aux
femmes.
Laurence Cohen, présidente. – Les postes au sein des assemblées sont-ils
évoqués dans votre rapport ? Dans les plus hautes fonctions au Sénat, il y a un
manque de femmes. Il faut être exigeant au niveau des ministères mais aussi des
assemblées. Il faudrait que cette question soit mentionnée au sein du rapport de la
délégation et faire en sorte que les assemblées parlementaires soient exemplaires en
la matière.
Martine Filleul, co-rapporteure. – Nous proposons d’élargir le nombre
de postes concernés par les quotas, toutes fonctions publiques confondues. Nous
pouvons tout à fait imaginer que l’Assemblée nationale et le Sénat entrent dans le
champ de cette extension.
Bruno Belin. – Pourrions-nous imaginer des quotas par sexe aux concours
de la fonction publique ?
Dominique Vérien, co-rapporteure. – Cela serait sans doute
inconstitutionnel mais il faut effectivement réfléchir à des solutions. Il faut trouver
des critères de recrutement qui permettent aux femmes de venir dans certains
métiers et aux hommes dans d’autres. J’aime prendre l’exemple de Renault :
lorsqu’ils ont transformé, pour leurs cadres, l’obligation d’un tour de France en tour
de région, le plafond de verre a explosé et le nombre de femmes arrivant aux postes
de direction a fortement augmenté.
Laurence Cohen, présidente. – Nous en venons à l’adoption des
recommandations. Avez-vous des modifications à proposer ? Je n’en vois pas.
[Adoption des recommandations].
Le rapport et ses conclusions sont donc adoptés.
Il nous reste à adopter un titre. Les rapporteures nous proposent le titre
suivant :
- Parité dans la haute fonction publique : changer de braquet dix ans
après la loi Sauvadet
Cette proposition fait visiblement l’unanimité.
Nous en avons donc fini avec l’examen de ce rapport d’information dont la
délégation autorise la publication. J’espère que vos recommandations permettront de
renforcer la loi afin d’atteindre la parité dans les trois fonctions publiques.
Je vous remercie.
- 57 -
ANNEXES
- Agnès ARCIER
Présidente de la commission Parité du Haut conseil à l’égalité entre les femmes
et les hommes (HCE)
- Françoise BELET
Déléguée nationale de l’Association des administrateurs territoriaux de France
(AATF), en charge de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes
- Caroline CHASSIN
Chargée des thématiques « égalité professionnelle » au sein du Syndicat des
managers publics de santé (SMPS), directrice générale du Centre hospitalier
de Draguignan
- Corinne DESFORGES
Vice-présidente de l’association Femmes de l’Intérieur, inspectrice générale de
l’administration
- Alban JACQUEMART
Maître de conférences en science politique à l’Université Paris-Dauphine
- Amélie de MONTCHALIN
Ministre de la transformation et de la fonction publiques
- Nathalie PILHES
Présidente de l’association Administration moderne
- Agnès SAAL
Haute fonctionnaire à la responsabilité sociale des organisations du ministère
de la culture, engagée au sein des associations Cultur’elles et Administration
moderne
- 63 -
hommes (HCE) relevait dans son rapport de 2021 un écart de vingt points
entre la proportion de femmes au sein de la catégorie A (65 %) et celle de la
catégorie A+ (42 %) – catégorie A+ qui semble constituer le vivier naturel
pour les postes d’encadrement.
Nous nous intéressons également aux actions complémentaires
menées par les employeurs publics et à l’efficacité des plans d’action
« égalité professionnelle » pour faire progresser la place des femmes dans la
haute fonction publique.
Pour éclairer nos réflexions, nous avons le plaisir de recevoir ce
matin comme première intervenante Amélie de Montchalin, ministre de la
transformation et de la fonction publiques. Je précise que, tenue par d’autres
obligations, elle devra nous quitter vers 8 heures 50.
Madame la Ministre, vous nous ferez part des derniers chiffres
relatifs aux primo-nominations féminines, à la part de femmes occupant des
emplois supérieurs ainsi que des données concernant les employeurs publics
soumis à des pénalités financières pour manquement à leurs obligations.
Le dernier bilan chiffré complet publié sur le site de votre ministère concerne
en effet l’année 2019. Vous pourrez ainsi nous confirmer les tendances
positives que nous avons pu constater dans les derniers bilans. Vous nous
décrirez également les actions supplémentaires que vous avez entreprises
pour faire progresser la place des femmes dans la haute fonction publique.
Nous entendrons ensuite Agnès Arcier qui nous présentera les
travaux qu’elle a menés en tant que présidente de la commission parité
du HCE et en tant que rapporteure, en 2021, d’un rapport sur la parité dans
le secteur public, qui avait un champ plus large que celui qui nous occupe
aujourd’hui, car il concernait également les quotas Copé-Zimmermann pour
les entreprises publiques. Vous noterez que ce sont les mêmes rapporteures
qui ont suivi ces deux dossiers au Sénat. Nous sommes particulièrement
intéressés par les recommandations formulées par le HCE pour étendre les
dispositifs paritaires et renforcer leur mise en œuvre et leur suivi.
Enfin, je donnerai la parole à Alban Jacquemart, politiste et
sociologue, maître de conférences en science politique à l’Université
Paris-Dauphine. Spécialiste des questions de genre, il est co-auteur d’un
ouvrage intitulé Le plafond de verre et l’État. La construction des inégalités de
genre dans la fonction publique. Il nous exposera son analyse de la loi Sauvadet
et, plus globalement, de la place des femmes dans la haute fonction publique
aujourd’hui et des raisons pouvant expliquer certaines résistances observées.
Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la
fonction publiques. – Cette année marque un anniversaire important en
termes d’égalité professionnelle dans la fonction publique. Vous l’avez
rappelé, la loi dite Sauvadet fête ses dix ans. En ce jour d’ailleurs difficile
pour notre continent Européen, il est important de revenir sur les progrès
réels ayant été engagés grâce au ministère de la transformation et de la
- 66 -
Enfin, le dernier bloc est celui des avant-gardistes que sont les
autorités administratives indépendantes. Elles nous ont semblé s’être
résolument engagées dans la mise en œuvre des dispositifs paritaires pour
atteindre ce que nous pouvons véritablement qualifier de parité. Elles ont
fait preuve d’une volonté d’agir sur le sujet de manière systémique et donc
d’en faire découler un certain nombre d’initiatives, de politiques de
ressources humaines et de traitement de sujets, avec un regard beaucoup
plus mixte.
Nous avons eu un dernier regard sur les comités consultatifs,
notamment durant toute la période du Covid. Nous avons eu le regret de
constater que malgré les dispositifs paritaires dans l’ensemble de la fonction
publique, le réflexe paritaire a pu être là - momentanément, nous
l’espérons – un peu oublié. En effet, il s’avère que la constitution de la
plupart des comités ne respecte pas une parité femmes–hommes.
Si l’on fait maintenant un focus sur la fonction publique, les
dispositifs paritaires ont eu un impact réel. Pour autant, nous avons constaté
une extrême lenteur pendant des années sur le mécanisme des
primo-nominations, qui est celui qui nous intéresse le plus aujourd’hui.
Au-delà de l’impulsion très forte qui a pu être donnée sur les années 2019
à 2021, nous devons nous arrêter un instant sur les difficultés structurelles
que nous avons observées, qui constituent des obstacles face auxquels
l’impulsion doit être permanente pour arriver à avancer sur le chemin de
l’égalité.
D’abord, les secteurs techniques restent globalement à la peine. Il est
très difficile d’atteindre une progression réelle des femmes dans ce type de
fonctions. Il demeure en outre un plafond de verre sur les fonctions de
présidence de conseil d’administration, d’autorités administratives
indépendantes, d’universités, malgré une progression des chiffres des
primo-nominations des grands cadres dirigeants.
Nous avons également constaté une instabilité forte des résultats
d’une année sur l’autre. Des progrès sont parfois suivis ensuite d’une forme
de régression avant de repartir de l’avant. Nous espérons que les impulsions
qui viennent d’être données ne donneront pas lieu à des régressions
ultérieures. Pour cette raison, nous pensons qu’il est essentiel de maintenir la
pression. Ce n’est peut-être pas seulement une politique de ressources
humaines qui peut permettre de la maintenir. Il nous a semblé que la
question de la volonté politique devait éventuellement s’inscrire de manière
institutionnelle. Certains ministères préfèrent encore payer plutôt qu’agir,
c’est vrai. Nous observons en outre des difficultés à développer les viviers,
notamment dans les ministères, alors qu’au niveau interministériel, un
travail important a pu être réalisé. Il est également nécessaire de soumettre
aux règles paritaires toutes les fonctions exécutives des fonctions publiques,
et donc d’élargir le champ.
- 73 -
les plus bas, au moins jusqu’en 2019, concernaient les postes les plus
prestigieux, les plus rentables et les plus hauts placés : ceux dont la
nomination relève du gouvernement, ceux de chefs de service ou de
sous-directeurs ou sous-directrices. En 2019, ce sont principalement les
primo-nominations à des postes de direction de projet ou d’expertes de haut
niveau qui permettent à la fonction publique d’État de s’approcher des 40 %,
avec 53 % de primo-nominations féminines à ces postes. Nous savons que
malgré leurs vertus, ces postes sont les moins favorables aux carrières.
C’est notamment le cas des postes d’expertes, qui n’offrent pas la possibilité
d’encadrer une équipe, une expérience pourtant extrêmement valorisée dans
les carrières des hauts fonctionnaires.
Deuxièmement, si le projet de loi Sauvadet a fait l’objet de
relativement peu d’oppositions frontales et publiques, par rapport à
d’autres, dont la loi Copé-Zimmermann ou les mesures de parité en
politique, dix ans plus tôt, et si l’outil s’est légèrement normalisé dans
l’action publique, nous voyons néanmoins des traces de résistance plus
feutrées dans les institutions et dans les cercles du pouvoir politique et
administratif.
D’abord, les chiffres sont publiés avec plus de deux ans d’écart.
Ce décalage n’a pas toujours existé. Il n’est apparu qu’en 2017 et s’est
maintenu depuis. En tant que sociologue, j’ai envie de mener une enquête
sur les rouages de l’administration, pour identifier la bascule et comprendre
dans quelle mesure ce constat peut témoigner d’une forme de résistance ou
de frein à cette politique.
Ensuite, le 27 décembre 2018 était publié un décret réduisant d’un
tiers le périmètre des emplois soumis aux quotas Sauvadet pour Bercy,
mauvais élève des nominations équilibrées, bien que la courbe augmente
visiblement. Cette diminution atteste probablement des formes de résistance
dans les cercles du pouvoir pour réussir à contourner une obligation votée
par la représentation nationale.
Enfin, j’aborde souvent dans mes enseignements la règle de l’arrondi
inférieur. Il s’agit d’un des points négatifs de la loi de 2019, malgré les
avancées ayant été rappelées aujourd’hui. Cette règle permet de considérer
que l’objectif de 40 % est atteint à l’unité inférieure. Il est donc inscrit dans la
loi que la nomination de trois femmes sur neuf nominations totales respecte
l’obligation de 40 % au moins de personnes du sexe sous-représenté. 40 % de
neuf personnes équivaudraient en réalité à 3,6 femmes. Le texte demande
pourtant au moins 40 % de femmes. Pourquoi, dans ce contexte, autoriser un
dispositif permettant la nomination de moins de 40 % ? Cette loi témoigne
à mon sens de résistances puissantes, bien que discrètes.
J’en viens à mon troisième point : que produisent ces quotas sur les
hauts et hautes fonctionnaires ? Le dispositif reçoit de plus en plus de
soutien de la population en général, et de la haute fonction publique en
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C’était une sorte de #MeToo avant l’heure. J’ai créé une association pour les
femmes hautes fonctionnaires. Je voulais l’appeler Femmes d’Intérieur, nom
qui me semblait très drôle. Il m’a été refusé par les commissaires de police,
qui m’ont assuré qu’il leur vaudrait des moqueries dans les commissariats.
Je continue toutefois d’appeler l’association ainsi puisque cet intitulé me
semble infiniment plus porteur.
L’association a été créée. Contrairement aux autres associations du
ministère (association du corps préfectoral, association des commissaires de
police..), nous sommes une « trans-direction ». Le ministère de l’intérieur
compte des policiers, des gendarmes, des sous-préfets, des pompiers, ainsi
que l’administration centrale. Personne ne se parle, chacun étant dans son
bloc. Pourtant, nous nous sommes regroupées entre femmes et avons une
vision transversale. Nous organisons des réunions avec des commissaires de
police, des gendarmes ou d’autres personnes qui ne se rencontrent jamais sur
le terrain. C’est très intéressant et très utile. Un jour, nous avons organisé un
dîner débat à l’Assemblée nationale avec Manuel Valls, alors ministre de
l’intérieur. Nous étions une centaine de femmes en responsabilités au
ministère de l’intérieur. En arrivant, le ministre a eu un mouvement de recul.
Il était seul avec son directeur de cabinet face à cent femmes. Cela ne lui était
jamais arrivé. C’était très troublant pour lui. Nous nous connaissions toutes
et discutions entre nous. Cet aspect de la loi Sauvadet nous aide beaucoup.
Nous sommes aujourd’hui une centaine de membres de
catégorie A+, soit des hautes fonctionnaires de niveau supérieur. Nous
venons de nous ouvrir aux hommes, après de longues discussions. Beaucoup
de femmes, notamment policières, voulaient rester entre elles. Pour autant,
les hommes ne viennent pas. Nous n’en comptons que deux.
Depuis neuf ans, nous organisons des conférences et des débats en
régions. Nous y rencontrons des femmes issues des différents corps
représentés sur le terrain. Nous aidons les femmes à préparer les oraux de
concours nationaux. Nous les avons par exemple poussées à tenter le
programme Talentueuses, après qu’elles nous ont dit qu’elles n’osaient pas le
faire. Tant qu’elles n’ont pas posé leur candidature, elles ne sauront pourtant
jamais si elles pourraient être prises ou non. Nous avons également tissé des
liens avec les autres associations de femmes présentes aujourd’hui, avec les
femmes du ministère de la culture ou de la commission femmes de
l’Association des anciens élèves de l’ENA. Tout un réseau s’est constitué grâce à
la loi Sauvadet. Nous nous sommes en effet créés pour exister et pour
surveiller nos ministères. L’association Femmes de l’Intérieur a même reçu
François Sauvadet au cours d’une réunion en 2018. Sa loi nous a mises en
visibilité. Elle nous a permis d’exister. Je crois que d’une certaine manière,
M. Sauvadet était féministe sans le savoir. Il nous aide beaucoup.
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devons nous intéresser très précisément aux « stocks ». J’ai oublié de préciser
que les femmes représentent plus de 54 % des effectifs totaux de notre
ministère. Qu’on ne vienne donc pas nous dire que le vivier n’existe pas.
Les femmes sont là. Elles sont compétentes et pleinement en mesure
d’assumer des fonctions de haute responsabilité. Sur cette base, il me semble
donc intéressant d’examiner les chiffres au-delà des seules
primo-nominations. À cet égard, nous avons enregistré quelques évolutions
significatives depuis 2017. J’en donnerai trois exemples.
En 2017, seuls 24 % des postes de DRAC et de DAC étaient occupés
par des femmes. En 2021, leur part s’élève à 42 %. Ce n’est pas encore la
parité absolue, mais ce progrès, lié à une volonté politique évidente,
annoncée et affichée, est réel.
C’est également le cas à la tête des établissements publics.
Le ministère de la culture compte aujourd’hui 80 opérateurs. Leur présidence
et leurs postes de direction générale sont très prisés. En 2017, seuls 30 %
d’entre eux étaient présidés ou dirigés par des femmes. Comparé au vivier
de femmes du ministère, ce pourcentage reflétait une vraie volonté de les
écarter, pour des raisons déconnectées de leurs compétences
professionnelles, de ces postes de responsabilités.
En 2017, Françoise Nyssen a inscrit dans notre feuille de route une
volonté de parvenir à la parité à la tête des établissements publics. Elle a été
reprise par ses successeurs et répétée par Roselyne Bachelot-Narquin, qui a
présenté la semaine dernière la feuille de route du ministère devant le comité
ministériel égalité. Elle reprend cet impératif de nomination de femmes.
Aujourd’hui, nous atteignons 41 à 42 % de femmes à la tête des
établissements publics, avec quelques nominations emblématiques. Je sais
que l’arbre ne doit pas cacher la forêt, mais nommer une femme, Laurence
des Cars, à la tête du Musée du Louvre, n’est pas insignifiant. Son talent, ses
compétences et ses qualités sont éminents. On ne l’a pas nommée parce
qu’elle est une femme, mais parce qu’elle est excellente. Alexia Fabre a quant
à elle été nommée à la tête de l’École des Beaux-Arts de Paris, première
femme à occuper ces fonctions. Elle est absolument remarquable.
Indépendamment de la dimension statistique, ces nominations montrent que
nos institutions culturelles les plus prestigieuses peuvent être dirigées par
des femmes, dont les parcours les conduisent naturellement à occuper ces
fonctions de responsabilités.
Malgré ce progrès dans les chiffres, nous craignons encore en
permanence un retour en arrière. Rien n’est définitivement acquis. Nous
avons bien vu dans la fluctuation des pourcentages, ne serait-ce que dans
l’atteinte des quotas Sauvadet, avec toutes ses imperfections, que ce qui peut
être très bon une année peut être très mauvais l’année suivante. Nous
devons donc nous intéresser aux stocks, pas uniquement aux flux, mais aussi
traiter de manière extrêmement volontariste la question de l’égalité salariale.
Résorber les inégalités salariales qui perdurent dans nos ministères et dans
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d’État a quant à elle versé plus de deux millions d’euros. Ce n’est pas
négligeable.
La loi Sauvadet a aussi parfois des effets pervers en visant l’équilibre
de chaque sexe. Parce qu’elle avait nommé trop de femmes, l’agglomération
de Bourg-en-Bresse a d’abord été condamnée à verser une pénalité pour une
unité manquante, s’élevant à 90 000 euros. La ville de Paris s’est également
vu imposer une pénalité, encore plus importante, pour la même raison.
C’était paradoxal puisque la loi avait pour objectif de favoriser l’accès des
femmes aux postes à responsabilités. Notre ministre de la fonction publique
a fait preuve de bon sens, puisque les poursuites contre ces collectivités ont
finalement été abandonnées.
Malgré ces épiphénomènes, de grandes avancées ont pu être
observées. Dans la fonction publique territoriale, nous atteignons près
de 47 % de femmes en 2019, en hausse de 14 points par rapport à 2018.
Les collectivités de plus de 80 000 habitants, au nombre de 353, étaient à
l’époque concernées par le rapport. Depuis la loi d’août 2019, nous sommes
passés à un seuil de 40 000 habitants.
Aujourd’hui, 34 % des emplois supérieurs de la fonction publique
territoriale sont occupés par les femmes, contre 26 % seulement en 2014.
Les chiffres sont assez éloquents. Sont ici concernés les postes de directeurs
généraux adjoints (DGA), de directeurs généraux des services (DGS) et de
directeurs généraux des services techniques. Ce sont les postes de plus haut
niveau dans la fonction publique territoriale. En 2019, 51 % de
primo-nominations de directeurs généraux adjoints concernaient des
femmes. Ces emplois sont désormais occupés à 40 % par des femmes.
Mes collègues ont évoqué l’accès aux postes à plus hautes
responsabilités, où se prennent les décisions. Effectivement, il reste des
progrès à faire à ce niveau. Les postes au plus haut niveau de la hiérarchie,
à savoir les postes de DGS, ne comptent que 29 % de femmes. Nous devons
tout de même noter une progression de quatre points par rapport à 2018.
Des collègues DGS sont plutôt optimistes quant au fait que des femmes vont
continuer à être nommées à ces postes.
S’agissant de la direction générale des services techniques, métier
traditionnellement occupé par des hommes, nous sommes arrivés à 44 % de
femmes, en augmentation de 27 points entre 2018 et 2019. J’ai beaucoup
travaillé sur la question de l’élargissement des choix professionnels, vers les
métiers techniques et scientifiques. Ce chiffre semble attester d’un
mouvement vers les métiers techniques. C’est une bonne nouvelle assez
significative sur l’ouverture des métiers du technique aux femmes.
Le processus est compliqué à apprécier dans les collectivités,
puisqu’il suit un cycle de cinq nominations sur plusieurs années. Toujours
est-il que les bons chiffres de 2019 ont vraiment changé la donne sur la
fonction publique territoriale.
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Les résultats sont bons sur les territoires, pourtant ce n’était pas
gagné d’avance. Nous avons dû affronter des résistances plus ou moins
explicites. J’ai organisé bon nombre de débats « pour ou contre les quotas »
dans des formations ou réunions. Les participants y sont rarement
favorables. Les femmes auraient peur d’être nommées au seul motif qu’elles
sont des femmes. Ce n’est à mon sens pas un argument. C’est plutôt de
l’ordre de l’imaginaire surtout dans la fonction publique. En effet, qu’il
s’agisse des concours d’administrateurs territoriaux ou civils, les femmes se
présentent aux mêmes concours et formations que les hommes. Le procès en
incompétence n’a pas lieu d’être puisque la compétence entre les femmes et
les hommes est la même. Ensuite, que se passe-t-il lors des recrutements ?
L’égalité est-elle toujours de mise ? C’est une autre question.
Je partage ce qui a été dit plus tôt, nous aimerions disposer de
chiffres plus récents. Pour autant, les derniers rapports de la DGAFP me
semblent très lisibles et détaillés. Ils nous demandent un peu moins un
travail d’archéologie que par le passé. Ils sont très intéressants.
Évidemment, les chiffres restent des chiffres. Pourtant, ils doivent
avoir une visée transformatrice. Il est important de disposer de statistiques
lorsqu’on compte les femmes pour qu’elles comptent vraiment. Nous n’en
disposons pas depuis très longtemps. Dans les collectivités, il était souvent
très compliqué d’avoir des chiffres significatifs dans les bilans sociaux,
en entrant dans les détails d’accès à la formation, de prise en compte d’autres
critères tels que les questions d’âge… Enfin, nous commençons à disposer de
ces données. C’est une bonne nouvelle.
Un appel à projets « égalité professionnelle », issu de l’accord
interprofessionnel de 2018, est financé en partie avec les fameuses pénalités.
Malgré les montants importants versés par les collectivités, les collectivités
territoriales n’étaient pas éligibles à ce fonds, J’y voyais un évident problème
d’équité ou plutôt d’iniquité. Lors du dernier congrès de l’AATF, j’avais
interpellé Amélie de Montchalin à ce sujet. Enfin, la circulaire
du 16 décembre dernier permet aux collectivités d’accéder à cet appel
à projets. J’espère que de nombreux projets en émaneront. L’information a
été donnée en décembre 2021 et le délai de réponse a été établi à un peu plus
d’un mois, soit début février 2022. Il se trouve que beaucoup de collègues du
terrain sont actuellement mobilisés par la crise sanitaire et ont indiqué qu’ils
ne seraient pas en mesure d’y répondre pour cette première année.
La loi porte ses fruits malgré un démarrage assez lent. Nous
observons également une poursuite de la volonté politique autour de ces
sujets.
Dans la continuité de la loi Sauvadet, la loi de 2019 n’est pas, elle
non plus, sans importance. Elle comporte un chapitre entier dédié aux
questions d’égalité professionnelle, portant notamment sur l’instauration des
plans d’action. Sur les territoires, l’obligation pour les collectivités de publier
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nous avons ainsi mis en place un atelier sur le budget sensible au genre.
J’ai aussi organisé une rencontre sur les femmes hautes fonctionnaires avec
Elsa Favier, qui a écrit sa thèse sur les femmes énarques, ainsi qu’un certain
nombre d’autres séminaires. Cette année, notre premier séminaire portera
sur la « parentalité parité », sur demande de certains administrateurs. Nous
y évoquerons entre autres la qualité de vie au travail ou la question de la
garde des enfants. Si nous parlons souvent d’hétérosexualité normée,
il existe aussi des couples de parents du même sexe. Comment
s’organisent-ils ? Notre société évolue. Nous avons vraiment envie
d’échanger sur ces sujets, sur la gestion des temps, sur le télétravail. Nous
organiserons en outre une rencontre avec des femmes DGS, qui ne sont pas
uniquement des quotas, mais aussi de vraies personnes. Quelles sont leurs
relations avec les élus ? Quelles difficultés rencontrent-elles ? Nous
reviendrons aussi sur la question des plans d’action. Des élèves de l’Institut
national des études territoriales (Inet) ont mené une enquête et nous
rendrons compte de ses résultats.
Monsieur Jacquemart, vous êtes sociologue, j’aimerais vous faire
part d’un problème : dans la fonction publique territoriale, nous n’avons pas
de connaissances, pas d’enquête approfondie. J’apprécie personnellement
beaucoup l’ouvrage auquel vous avez participé Le plafond de verre et l’État,
qui a été pour moi une révélation, ainsi que la thèse d’Elsa Favier que je
trouve d’une richesse extraordinaire. Pour autant, nous ne disposons pas de
données qualitatives d’ampleur dans la fonction publique territoriale, bien
que nous commencions à disposer de chiffres précis. Nous avons besoin
d’une enquête sur nos spécificités : la relation aux élus, le mode de
recrutement… D’où viennent les femmes dirigeantes ? Quels sont leurs
profils, leur histoire, leurs influences ? Lors de la première réunion que j’ai
organisée, au Conseil économique et social, Laure Bereni et Catherine Marry,
chercheuses au CNRS, ont présenté leurs travaux relatifs à la haute fonction
publique d’État. Depuis trois ans, l’association et moi-même pensons qu’un
travail similaire devrait être mené sur la fonction publique territoriale.
Parmi les autres propositions, nous avons aussi parlé de viviers.
Une amie de 41 ans n’a pas pu s’inscrire au dispositif Talentu’elles car il n’est
ouvert qu’aux femmes de moins de 40 ans. Je prône l’intergénérationnel.
Les carrières des femmes sont souvent plus lentes, pour des raisons qui nous
sont connues. Elles doivent elles aussi pouvoir être intégrées aux viviers.
C’est bien de penser à l’accompagnement des jeunes générations mais il faut
à mon sens prendre en compte les carrières des femmes sur toute la durée.
Enfin, il me semblerait intéressant que nous disposions aussi de
hautes fonctionnaires à l’égalité dans les grandes collectivités. Elles
permettent selon moi de construire un réseau, de faire un relais. Elles sont
une force.
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